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Deleuze - Cours sur le cinéma (1)

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l'Association :" Sicle Deleuzien" Constitue en juillet 2001, domicilie l'universit Paris 8, l'association a pour objet, aux termes de ses statuts, de "diffuser gratuitement l'enseignement et la pense de Gilles Deleuze sur supports numriques" et de "favoriser, promouvoir et mener toutes initiatives, tmoignages, manifestations et actions concernant la constitution, la conservation et la transmission du fonds documentaire oral et audiovisuel des travaux philosophiques et de la pense de Gilles Deleuze". Association but non lucratif rgie par la loi du 1er juillet 1901 et le dcret du 16 aot 1901 Adresse du sige social : 2, rue de la Libert Saint Denis, 93526 Cedex 02. Marielle Burkhalter, Matre de Confrences l'universit de Paris 8 - Philosophie Stavroula Bellos, universit de Paris8 - Philosophie Web-master : Marion Mainfray - service communication de Paris8 Avec le soutien de Gilles-Marc RibesRos - Communication/ Paris8 Comit scientifique : Alain Badiou - Professeur l'ENS Ulm - Philosophie Nolle Chatelet - Professeur Paris 4 - Philosophie Jean paul Doll - Professeur UP6- Architecture La Villette - Philosophie Jean Pierre Le Dantec - Directeur de UP6 - Architecture La Villette Stphane Douailler - Professeur Paris 8 - Philosophie Renaud Fabre - ancien Prsident de paris 8 - Economie Jacques Poulain - Professeur Paris 8 - Philosophie Ren Schrer - Professeur Emrite Paris8 - Philosophie

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pour la partie informatique, hypertexte et rseaux : Alain Cubertafond - Sciences de l'information Frdric Astier - Docteur en Philosophie / Paris 8 Tous nos remerciements : Monsieur Jean-Franois Mela - Professeur des universits Le service de la Recherche de paris8 Les ditions Verdier Jean Pierre Tillos Jean Jacques Lebel Jean Clment / MCF / Paris8 jean baptiste de Vathaire /ENS Lyon Jean Hughes Rty / MCF / IUT Paris8/Montreuil Anne Marie Delaune - BNF Marcelo Mendoza - Studio Audio-Visuel de UP6 Marc et Sacha Kravetz Jean Nol Flix Lucien et Paulette Gouty Et toute notre reconnaissance MILIE ET JULIEN DELEUZE pour nous avoir permis de diffuser ces cours sur le site internet de Paris8.

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CINEMA / Pense Octobre 1984/Juin 1985 - cours 67 91

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Gilles deleuze - Cinma et Pense cours 67 du 30/10/1984 - 1 Car dans le processus de normalisation qui frappe les universits, voila que a procde maintenant, par... pour autant que je l'ai compris, par tranches horaires. Tranches horaires qui font que d'une part, je crois, les cours sont de deux heures et demie, et puis les tranches horaires permettent une mobilisation des salles trs pousse. Pour nous dans le dpartement de philosophie, c'est assez catastrophique. Pour une raison simple dj c'est qu'il y a beaucoup d'auditeurs qui pour des raisons de travail, d'assdic, de je ne sais pas quoi, ne peuvent venir qu' dix heures, si bien qu'on a tous reu beaucoup de lettres sur ce thme, impossible pour eux qu'ils soient l neuf heures et demie, mme s'ils en avaient la bonne volont. Alors mon problme, c'est de trouver une salle o tout en respectant apparemment ces nouvelles tranches horaires, je ne les respecte pas essentiellement ; c'est--dire que je continue disposer d'une salle o je commence dix heures et o je termine autour de treize heures, quand vous n'tes pas trop fatigus, ni moi. Alors, j'espre que c'est le cas. Mais il y a une telle confusion quand... on va voir ce matin si onze heure et demie ou mme midi on est drang par quelqu'un d'autre qui a la salle, j'espre que non, a va tre la catastrophe. Il va falloir que j'aille ngocier une autre salle, s'il y en a, o je disposerai de mes trois heures de dix treize heures mais ce moment-l j'empite sur deux tranches horaires Vous comprenez, c'est extrmement dlicat. C'est--dire a fait vraiment partie du processus par lequel les universits sont maintenant alignes sur les lyces. Bon ! Alors voil ! C'est pour vous dire que, ce matin, on peut avoir un trouble, tre chasss d'ici... Quelqu'un, ben... Faudra... Faut voir... On verra bien. Bon ! Ceci dit, il est dix heures... Alors nous commenons le travail de cette anne... Et je voudrais la fois, l'entamer ce travail dj mais l'entamer la faveur de construire notre programme, puisque c'est seulement dans la mesure o je vous proposerai un programme que vous verrez vous-mme, d'une part si vous continuez venir, et d'autre part, si vous continuez venir, comment vous vous accrocherez telle ou telle partie. Et cet gard j'ai des choses vous proposer sur... pour varier votre participation. Alors j'ai annonc, j'ai dj annonc, il y a deux ans, trois ans, je ne sais pas, que j'en avais fini de... de parler de cinma et puis j'en ai encore pour un an. Aprs vraiment, je vois vraiment plus ce que je pourrais dire pour mon compte, donc ce sera fini. Et d'autre part peut-tre que certains d'entre vous, ou beaucoup d'entre vous se sont aperus au cours des annes dernires que ce qui me souciait, ce qui m'intressait, c'tait l'introduction la question " qu'est-ce que la philosophie ? " laquelle ensuite partir de l'anne prochaine je me consacrerai de toutes mes forces.

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Et voila que cette anne, je voudrais encore, donc pour la dernire fois, faire ou vous proposer un cours sur le cinma ; ou sur un aspect du cinma. Et aprs tout, le dernier aspect en effet qu'il me restait, j'avais pas tellement le choix. On a vu pendant un ou deux ans l'image-mouvement. On a vu l'anne dernire l'image-temps. Qu'est-ce qu'il me restait ? ben, il me restait l'image-pense. Donc on s'approche de cette question qui me soucie : " qu'est-ce que la philosophie ? " Mais c'est encore au niveau d'une rencontre cinma-philosophie. Qu'est-ce que a veut dire : pense et cinma ? Je voudrais faire comme l'anne dernire. C'est--dire cette rflexion qui est en apparence centre sur le cinma, ne doit pas empcher des dveloppements o comme des espces de plages proprement philosophiques o des thmes philosophiques seraient considrs pour eux-mmes sans pourtant briser l'ensemble de notre projet. Pour ceux qui taient l l'anne dernire, j'ai consacr par exemple des dveloppements au no-platonisme, l'anne dernire, dveloppements qui valaient pour eux-mmes ou bien des dveloppements sur Kant qui valaient pour eux-mmes, et qui n'empchaient pas qu'on retrouve notre fil conducteur : le temps et le cinma. Cette anne je voudrais faire pareil au niveau de la pense, il y aura parfois des plages philosophiques concernant uniquement des problmes de la philosophie par rapport la pense. Or pourquoi, pourquoi cette organisation ?

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Gilles Deleuze - Cinma et Pense cours 67 du 30/10/1984 - 2 C'est que, je voudrais dire que si je ne considre pas encore les rapports pense-cinma mais si j'essaie de les amener, de les fonder, moi j'ai toujours t frapp par ceci, c'est que tout exercice de la pense, philosophique ou non, mais particulirement philosophique, prsupposait une certaine image que la pense se faisait d'elle-mme. Cette image prsuppose de la pense, il n'est pas toujours facile de la dgager. Bien plus elle varie avec l'histoire. Est-ce dire qu'elle dpende d'une causalit extrieure, causalit sociale, causalit historique ? Je n'en suis pas sr. Elle varie avec l'histoire, bon, pour je moment je ne peux pas en dire plus. On peut sans doute assigner des causes de cette variation, mais les causes de cette variation ne nous disent rien sur la nature de la variation. Donc je suppose que toute pense prsuppose une image de la pense, image variable. Pour mieux comprendre ce qu'il faut saisir par image prsuppose de la pense, je crois que surtout il ne faut pas la confondre avec ce que tout le monde connat sous le nom de mthode. Penser implique une mthode. La mthode a deux aspects. Par exemple il y a une mthode de Descartes. Il y a une mthode de Kant. Bon ! La philosophie peut, d'une certaine manire tre dfinie explicitement comme mthodologie de la pense. Une mthode comprend deux aspects : un aspect temporel : l'ordre des penses. L'organisation de l'ordre des penses est un aspect de la mthode. _(bruit d'avion de Roissy)_ Elle comprend un autre aspect : spatial. savoir : la dtermination des buts, des moyens et des obstacles de la pense caractrise l'aspect spatial. Quels sont les buts de la pense ?, pourquoi penser ?, quels sont les moyens de la pense ?, comment penser ?, quels sont les obstacles la pense ?- constitue cet autre aspect. C'est bien les deux aspects de la mthode. Je dis que l'image prsuppose de la pense ne se confond pas avec la mthode, elle est prsuppose par la mthode. La mthode ne nous dit pas quelle image de la pense se fait d'elle-mme. La mthode prsuppose une image de la pense, une image implicite de la pense. Image variable. Cette image prsuppose de la pense, donc, en tant qu'elle est suppose par toute mthode, comment la caractriser de la manire la plus simple ? J'emploie un mot au linguiste et trs grand critique littraire Bakhtine : le chronotope. Il emploie chronotope en un sens trs simple. C'est un espace-temps. C'est un espace-temps, un continuum spatio-temporel. Il nous dit par exemple que la question " qu'est-ce que le roman ?" implique le dgagement du chronotope propre au roman. C'est--dire d'un type d'espace-temps prsuppos par le roman. De la mme manire, je dirais qu'il y a un chronotope de la pense, et que toute mthode, de son double point de vue, l'ordre des penses, l'ordre temporel des penses d'une part, d'autre part la distribution des buts, moyens et obstacles renvoie un chronotope de la pense, chronotope qui peut subir des variations, des mutations. Et qui n'est jamais donn. Ce qui est donn au besoin

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c'est une mthode, mais le prsuppos il n'est pas donn. Il faut un effort spcial pour le dgager. Si bien que ce chronotope de la pense, cet espace-temps prsuppos par toute organisation spatio-temporelle de la pense... quoi est-ce que nous pourrons le reconnatre ? C'est en lui que le discours philosophique se dveloppe mais lui-mme n'est pas objet de discours philosophique. Le discours philosophique qui se dveloppe prsuppose le chronotope. Il ne peut gure tre que jalonn, le chronotope lui-mme. Et, ce qui le jalonne, ce ne sont pas... [fin du CD1] Les concepts comme lments du discours philosophique, c'est quelque chose de plus insolite. C'est ce que... Il y a longtemps l, il me semble... il y a longtemps... il y a des annes mais, c'est un thme que je ne vais pas abandonner parce que quand j'en passerai aux autres annes, " qu'est-ce que la philosophie ? " - a prendra pour moi une importance de plus en plus essentielle -je dirai qu'il est jalonn cet espace temps, ce chronotope est essentiellement jalonn et signal par des cris. En d'autres termes il y a des cris philosophiques qui enveloppent l'image implicite de la pense. Ensuite il y a le discours et le discours vient recouvrir les cris, il y a la mthode et la mthode vient recouvrir le chronotope ou l'image de la pense. Mais cette image l, cet espace temps est comme marqu, dont les lieux et les moments sont marqus par des cris. Ca revient dire : il y a des cris philosophiques. Chacun sait que chez les oiseaux, on distingue les cris et les chants. Le cri d'alarme, par exemple, n'est pas un chant, comment l les ornithologues auraient beaucoup nous apprendre s'ils arrivaient nous donner de fermes distinctions entre le chant et le cri. Mais je peux dire que de mme dans la philosophie il y a des discours et que les discours ne sont pas la mme chose que les cris, les discours c'est le chant des philosophes. C'est leur manire de chanter, et voil qu'il y a des cris philosophiques. On risque de passer ct, ce moment l on se fait de la philosophie une ide d'une chose morte. On l'assimile au discours qu'elle dveloppe, et un cri philosophique peut toujours tre traduit en terme de discours. Mais voil que quelque chose rsiste et que non, si on a le moindre got de la philosophie, on sait bien que ce sont des cris alors, et que l, la philosophie y trouve les points de sa naissance, de sa vie. Et qu'est-ce que c'est ? puisque premire vue on risque de les confondre avec de simples propositions faisant partie du discours, et bien non, non non non, c'est autre chose... alors quoi ils renvoient ? et pourquoi sont-ils fonds, pas fonds, sont-ils arbitraires ? Qu'est-ce qui fait qu'un philosophe lance un cri philosophique ? Je disais les cris d'alarme des oiseaux c'est pas des chants, mais au moins on sait pourquoi ils lancent un cri d'alarme, il y a d'autres cris que le cri d'alarme, il y a des cris d'amour qui sont pas la mme chose que les chants nuptiaux. Alors si le philosophe c'est quelqu'un qui crie sa manire, qu'est-ce qu'il a crier ? Cherchons des exemples. Je lis Aristote et je vois un discours admirable qui est le chant d'Aristote, et je reconnais ce chant, c'est une manire de chanter qui n'a pas d'quivalent, je ne confonds pas le chant d'Aristote et le chant de Platon. Et puis voil tout d'un coup que j'entends dans Aristote et je bute sur la formule " Il faut bien s'arrter ". Si on faisait une vritable analyse des propositions, je dis, ah ! mais c'est trs curieux ... lorsque Aristote nous dit ce que c'est que la substance, il dveloppe a dans un discours-chant. Lorsqu'il nous dit " Il faut bien s'arrter ", c'est pas une proposition de la mme nature, " Il faut bien s'arrter ", c'est un cri. Qu'est-ce qu'il veut dire ? Il veut dire : vous ne remonterez pas , l c'est curieux c'est des propositions, dj l'crit c'est des propositions qui ne peuvent s'exprimer que sous la forme de l'interpellation. Il n'est pas forc de le dire explicitement, il nous dit " vous ne pourrez pas remonter l'infini d'un concept un concept plus gnral ", " il faut bien vous arrter ", c'est dire, il y a des concepts ultimes. Moi j'en sais rien s'il y a des concepts

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ultimes, vous non plus... Voil que quelqu'un vous le dit mais ne peut vous le dire que sous forme d'un cri : Il faut bien s'arrter , sous-entendez, il faut bien que la pense s'arrte quelque part, qu'elle saisisse le point o elle ne peut pas aller plus loin. Je dis tort ou raison, c'est une question de sentiment, je ne cherche pas vous convaincre de quoi que ce soit, mais j'ai le sentiment que a ne fait plus partie du discours philosophique, c'est un cri philosophique. Si on lui dit et pourquoi, pourquoi il faut s'arrter ? La question ne porte mme pas. L, on a atteint un point o la philosophie n'a plus donner ses raisons, alors quoi s'adresse-t-elle ? C'est peut-tre le plus important dans ce qui est donn, le cach de la philosophie. Descartes crit un discours philosophique qu'il intitule Les mditations. C'est son chant lui, et dans Les mditations surgit la formule clbre " Je pense donc je suis ", et " Je pense donc je suis " on peut le considrer comme une proposition ou l'lment d'un discours philosophique ; il vient sa place dans Les mditations, la seconde mditation, y'en a une premire puis une seconde, etc. y'en a cinq, survient dans l'ordre prcisment qu'on a pu appeler l'ordre des raisons, il fait partie du discours philosophique et pourtant il le cre. " Je pense donc je suis " est formul comme un cri. C'est le cri de Descartes. En quoi est-ce un cri ? C'est que son nonc c'est : " vous ne pouvez pas nier que si je pense je sois ". Pourquoi a ? L'important c'est l'aspect cri et en effet, le " je pense donc je suis " prtend quoi ? Il prtend nous donner une dfinition de l'homme d'un nouveau type, contre Aristote. Pour Aristote l'homme est un animal raisonnable. Descartes dit a, c'est du discours, dire l'homme est un animal raisonnable c'est un discours parce que animal et raisonnable sont des concepts qui renvoient eux-mmes d'autres concepts. Et il dit non, il faut atteindre autre chose, et " Je pense donc je suis " est cens remplacer, tout en faisant partie d'un tout autre monde, l'homme animal raisonnable. La vraie dtermination de l'homme c'est " Je pense donc je suis " et pas du tout l'homme animal raisonnable. En d'autres termes il veut une dtermination de l'homme qui s'exprime dans un cri. Je saute quand Leibniz lance " Tout a une raison ", " Tout a une raison ". Et qu'il en tirera pour le discours philosophique mille choses qui feront son propre systme, car si " Tout a une raison " a entrane bien des choses cette ide que tout a une raison . Pourquoi est-ce qu'il n'y aurait pas des choses sans raison ? Ben non, Leibniz ne veut pas qu'il y ait des choses sans raison. " Tout une raison ", bien avant d'tre un principe logique c'est un cri. Ou bien, a nous convainc dj qu'il y a des cris de la raison. Les cris de la raison ils s'expriment gnralement sous la forme gnrale : vous ne pouvez pas nier que... Vous ne pouvez pas nier qu'il faille s'arrter quelque part, vous ne pouvez pas nier que tout une raison, vous ne pouvez pas nier que si vous pensez vous tes. Et voil bizarrement que la philosophie comporte aussi des cris de la draison. Il n'y a pas que la raison qui crie, y'a des cris de la draison, on pourrait par opposition dire qu'on peut les exprimer sous la forme : " et si moi je nie ". " et si moi je nie " que deux et deux fassent quatre. Vous me direz c'est que des mots tout a. Non, Dostoevski lance le cri de la draison. " Je nie que deux et deux fassent quatre ", c'est dire il lance la lutte contre les vidences. Dostoevski dans ce textes clbre et philosophe, Dostoevski lance un cri : " Je veux, je veux que on me rende compte de chaque victime de l'Histoire, je ne serai pas tranquille et je ne vous laisserai pas tranquille tant que vous n'aurez pas rendu compte de chaque victime de l'histoire. " C'est un disciple de Dostoevski, c'est Chestov, qui, dans toute son uvre, rpte ce quoi, ce cri, cri de la draison. La draison n'a pas le privilge des cris, mais il y a des cris de la draison et des cris de la raison, et il arrive que on ne sache pas qui crie, si c'est la raison ou la draison. " Donnez-moi donc un corps ", c'est curieux que

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la pense qui pendant des millnaires plutt chercher chapper au corps, en arrive dire... est-ce que c'est un discours ? " Donnez-moi donc un corps ", donnez-moi donc un corps, on reconnat tout de suite que, je sais pas, j'aimerai vous faire sentir que a se reconnat au flair... c'est un cri philosophique. Voil donc que la philosophie elle-mme dpend donc d'un flair ou d'une capacit suprieure, d'un got. Et pourquoi pas ? Qu'est-ce qui serait juge des concepts, sinon les cris eux-mmes, est-ce que le cri c'est pas la seule manire dont le concept devient vivant ? Si vous n'tes pas sensible au cri philosophique vous n'tes pas sensible la philosophie. C'est comme pour les poissons, les cris philosophiques sont comme les cris des poissons. Si vous n'entendez pas le cri des poissons vous ne savez pas ce que c'est que la vie. Si vous n'entendez pas ce que c'est que le cri des philosophes et les cris des philosophes, vous ne savez pas ce que c'est que la vie et vous ne savez pas non plus ce que c'est que la philosophie et vous ne savez pas ce que c'est que la pense. Evidemment vous savez ce que c'est que le cri des poissons, et ce que c'est que le cri de la philosophie. Les philosophes alors c'est des poissons ? bon d'accord... Je dirais du cri, Artaud parlait de l'athltisme affectif propos de son thtre et bien plus, de sa conception de la pense. Il y a un athltisme philosophique. L'athltisme philosophique, c'est le pouvoir de pousser des cris spcifiquement philosophiques. En quoi j'avance ? je dis, bon, uniquement la pense philosophique prsuppose une image de la pense, un chronotope, un espace temps dans lequel retentissent des cris. Un point c'est tout. Je m'arrte l, la suite l'anne prochaine. J'en tire immdiatement et j'en viens ce qui va faire notre sujet cette anne.

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Gilles Deleuze - Cinma et Pense cours 67 du 30/10/84 - 3 S'il est vrai que la pense prsuppose une image de la pense, n'y a-t-il pas et sous quelle forme une rencontre entre l'image, une rencontre pas une identification, une rencontre entre l'image de la pense et l'image cinmatographique ? Voyez mon point de dpart est extrmement simple, toute pense prsuppose une image de la pense. Ds lors, quelle rencontre il y a-t-il, s'il y en a une, entre l'image de la pense et l'image cinmatographique ? C'est partir de l que nous pouvons construire notre programme. Et vous voyez dj ce que je voudrais de vous, ce qu'on a pas fait les autres annes. Je sais bien que les autres annes, moi je trouve que a marchait bien, surtout, par exemple, l'anne dernire, l y a eu de trs bons moments pour moi, parce que certains d'entre vous ont beaucoup apport, par exemple je pense ce qu'on a fait sur le cristal, tout a, bon...heu... moi je vous suggre... Je sais que d'autre part, je suis trs difficile interrompre parce que quand on m'interromp, je perds mes ides, alors je sais plus ce que je dis, tout a... alors c'est pas facile pour vous, mme quand vous avez envie, mais ce qu'on pourrait faire c'est m'interrompre...bien videmment je vous demande toujours de le faire quitte le recevoir avec impatience, mais tans pis, faut le faire. Mais ce qu'on pourrait faire c'est, au dbut de chacune de nos sances, si on n'est pas trop bouscul par les changements de salle, au dbut de chacune de nos sances, que ceux qui ont quelque chose dire sur la sance prcdente le fassent. Ce que j'aimerais c'est que certains d'entre vous disent : ha ben ! il y a tel point de la dernire sance o l c'tait pas clair, o il faudrait revenir, faudrait revenir sur tel point l . On irait peut-tre moins vite, mais ce serait peut-tre plus riche. Alors si a vous agrait, on pourrait concevoir comme a, un espce de... ce serait au dbut des sances que se reposeraient des questions. J'aimerais beaucoup que vous me disiez : ha ben non ! ce que tu as fait la dernire fois, il y avait quand mme un moment trop rapide ou trop lger, sur lequel il faut revenir . Mais donc, alors par exemple la prochaine fois vous pouvez trs bien me dire, H bien ! ton histoire d'image cinmatographique / image de la pense, c'est quand mme pas si clair que a faudrait un peu revenir l dessus. Alors ou bien je vous rpondrai a peut pas tre plus clair, hein ! tant pis (rires). Ou bien je vous rpondrai essayons, essayons, ou bien c'est vous qui le rendrez plus clair, a sera encore, bon... bref... Alors voil, a c'est juste mon point d'attaque. La rencontre se fait-elle ? une fois dit que je viens d'essayer de dfinir ce que j'appelle l'image de la pense. Une rencontre se fait-elle entre l'image cinmatographique et l'image de la pense et si elle se fait sur quelle base ? Voil, vous avez bien assimil a, tout va bien, et bien on y va. On y va c'est dire on va construire notre programme

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partir de ce problme, puisqu'on tient un problme. Construisons le programme. En quoi l'image cinmatographique peut-elle entrer en rapport avec une image de la pense ? A ce moment l, comprenez qu'il y aura lieu d'attendre beaucoup de choses, savoir si elle entre avec une image de la pense, sans doute elle l'oriente, sans doute l'image cinmatographique va se mettre en rapport avec une certaine image bien prcise de la pense qu'elle va elle-mme induire. La question va tre : est-ce que cette image de la pense induite par l'image cinmatographique recoupe des images de la pense propre la philosophie ? Or, l je dois partir d'une constatation de fait. Puisque nous construisons un programme, ce programme va contenir les principales indications bibliographiques sur lesquelles je m'appuierai dans l'anne et o je voudrais que chacun de vous, mais a on verra a quand notre programme sera fini, o chacun de vous prenne un bout, s'intresse telle ou telle chose. Et si je fais le programme, c'est parce que ceux qui cette anne n'ont pas de sujet d'intrt dans ce que je fais, puissent ne pas venir. Et je dis, il y a quand mme quelque chose de curieux. Si l'on se reporte , mettons les premiers grands pionniers du cinma. Car les premiers grands pionniers du cinma ne nous cachent pas que pour eux, le cinma, le cinma est une rvolution de la pense, et tout gard. Et ce sont les splendides dclarations, soit de Eisenstein, soit de Gance, soit d'Epstein, je prends les trois plus.. , ceux qui sont alls le plus loin dans cette voie : le cinma comme apportant une nouvelle manire de penser. J'y ajoute un pionner de la critique de cinma, les trois autres tant des cinastes, de grands cinastes, Elie Faure. Elie Faure grand critique d'art s'affronte au cinma, et il voit l'avnement d'une nouvelle pense. Et leurs textes nous restent splendides. Mais bizarrement, il faut bien reconnatre qu'aujourd'hui ils nous font rire, sourire avec tendresse et respect et admiration mais rigoler quand mme. On dirait qu'on n'y croit plus ! Cette chose si simple qui consiste considrer que les auteurs de cinma sont de grands penseurs, est devenue une chose que peu de gens croient. Comment a se fait ? comment a peut se faire ? Le cinma, ou nous la place du cinma, nous avons renonc aux ambitions du cinma premier. Nous saluons les exigences ou les ambitions de Gance, d'Eisenstein, d'Epstein. Mais, elles nous paraissent un peu drisoires, elles nous paraissent franchement naves. Qu'est-ce qui s'est pass ? On peut se demander. Voil un art qui, au dbut ne cessait de se situer par rapport la pense et aujourd'hui si vous comptez dans l'abondante bibliographie du cinma, quels sont les livres actuels qui portent ou qui engagent le problme des rapports du cinma et de la pense ? A ma connaissance vous en trouvez, en tout cas en France, deux, un point c'est tout. Vous trouvez le recueil d'articles de Serge Daney, et vous trouvez le livre trs extraordinaire de Shefer L'homme ordinaire du cinma. C'est pas beaucoup, c'est pas beaucoup... Les pionniers, qu'est-ce qu'ils nous disaient ? ils nous disaient qu' tout gard le cinma aidait renouveler la pense, c'est dire induire une nouvelle image de la pense. Je dirai presque de quatre point de vue : d'un point de vue qualitatif, d'un point de vue quantitatif, d'un point de vue relationnel et d'un point de vue modal. C'est bien parce que ce sont les titres des quatre grandes catgories chez Kant : Qualit, Quantit, Relation, Modalit. D'un point de vue qualitatif, c'tait une nouvelle pense. Nouvelle en quoi ? L je dois diffrer de quelques instants ma rponse. Mais c'tait une pense dont on ne trouvait pas l'quivalent dans les autres arts. Du point de vue quantitatif, la rponse peut-tre donne immdiatement : c'tait un art et une pense de masse, l'art des masses. Avec le cinma, le peuple devenait sujet, les masses devenaient sujet de la pense. Innombrables dclarations des sovitiques cet gard, de Vertov, d'Eisenstein, mais galement de Gance. Du point du vue de la relation, le cinma tait langue mais

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langue universelle. Du point de vue de la modalit, le cinma forait la pense sortir de la simple possibilit, possibilit de penser pour la soumettre une ncessit : vous ne pourrez pas ne pas penser . Qu'est-ce qui s'est pass ? Qu'est-ce qui s'est pass pour qu'aujourd'hui, ces grands auteurs soient traits de nafs ou considrs comme des nafs ? Oh bien sr, bien des choses sont passes par l. Je voudrais prendre un exemple : Le cinma, plus personne ne croit qu'il soit langue universelle. Pourquoi ? Entre autre parce qu'une smiologie d'inspiration linguistique a pris la question en main. Et que la smiologie d'inspiration linguistique telle qu'elle ft instaure par Christian Metz, a voulu attirer, a voulu importer la rigueur dans ce domaine d'une confrontation langue/cinma. Et que cette smiologie d'inspiration linguistique qui a voulu importer la rigueur linguistique dans la confrontation du cinma et de la langue et du cinma et du langage, h bien cette smiologie d'inspiration linguistique a dnonc comme nave, confuse et rapide les assimilations du cinma comme langue universelle. Me frappe dans la vie comme ailleurs qu'on ne sait jamais qui sont les nafs. Et aprs tout, a fera partie de notre programme de regarder d'un peu plus prs ce que les pionniers du cinma appelaient le cinma comme langue universelle pour voir si la smiologie linguistique n'est pas passe ct du problme qu'ils posaient alors, et si elle ne reprsente pas par rapport aux pionniers dit trop nafs un recul fondamental. Alors, c'est forc que si nous traitons du cinma et de la pense cette anne, on aura voir de trs prs le problme des rapports cinma/langage. Mais je ne peux pas dire que ce soit une intervention comme celle de la smiologie linguistique ni mme comme celle du cinma parlant qui a sonn le glas de l'ide d'une pense universelle. Elle avait t dj pressentie par un dfenseur des plus grandes ambitions premires du cinma, savoir Elie Faure. Elie Faure dans son livre, enfin dans son faux livre puisque c'est un recueil d'articles qui a t publi dans la collection Mdiations sous le titre Fonction du cinma, Elie Faure a un passage assez curieux o il pressent, il raconte, que le cinma c'est le successeur de l'art des cathdrales. Il intitule son chapitre ou son article " Mystique du cinma ". Il nous prsente le cinma comme nouvelle pense, art des masses, langue universelle, successeur de l'art des cathdrales. Et puis, il a un doute, un petit doute, et je voudrais que vous l'coutiez bien ce doute. " Des amis sincres ", c'est page 51, " Des amis sincres du cinma n'ont vu en lui qu'un instrument de propagande ". Il crit a trs tt. Soit, soit dit Elie Faure, voyez quoi a s'engage, Elie Faure fait partie de cette grande cohorte des pionniers qui disent : pense nouvelle, langue universelle, art des masses o les masses deviennent sujet. Et il dit " des amis sincres " , c'est pas des ennemis du cinma, " des amis sincres du cinma n'ont vu en lui qu'un instrument... , un admirable instrument de propagande ". " Les pharisiens de la politique, les pharisiens de la politique de l'art ,des lettres, des sciences mmes, trouveront dans le cinma le plus fidle des serviteurs, jusqu'au jour o par une intervention mcanique des rles ", non pardon, " jusqu'au jour o par une interversion mcanique des rles, il les asservira son tour ". C'est un texte trs mouvant parce qu'enfin, vous vous rendez compte ce qu'il est en train de dire. Il dit ben oui il y a un danger qui pointe, l'utilisation du cinma par la propagande. Mais faut pas s'en faire, il ajoute, il faut vraiment tre optimiste, faut pas s'en faire parce que par renversement mcanique, c'est le cinma qui tant mcanique s'asservira les pharisiens qui veulent s'en servir comme d'un instrument de propagande. En d'autres termes, a se fera tout seul. Le cinma grce a sa puissance proprement technique ne se laissera pas utiliser techniquement On peut toujours se contenter de a. En mme temps est-ce que a nous mne pas sur la voie ? Qu'est-ce qui a fait que les grandes

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dclarations des pionniers nous paraissent si surfaites, le cinma et la pense nous paraissent d'une certaine manire drisoires ? Pourquoi on ne croit plus au cinma comme rvolution dans la pense ? Justement dans son livre La rampe, Serge Daney dit trs bien, il dit : c'est la propagande d'Etat, c'est la propagande d'Etat qui trs vite s'est empare du cinma, savoir l'Etat a trouv dans le cinma quelque chose qui lui tait fondamental savoir la possibilit d'tablir et de propager ses grandes mises en scne. L'Etat - metteur en scne avait besoin du cinma. Et les grandes mises en scne du fascisme, les grandes activits d'un tat propagande ont asservi le cinma, en ont fait l'touffement de toute pense, et ont annul compltement, conformment au court pressentiment d'Elie Faure, ont annul compltement les ambitions du cinma. C'est dire, au lieu que le cinma fasse des masses son vritable sujet pensant, il a contribu l'alination des masses, la fascisation des masses. Ce serait a qui ferait que les grandes dclarations d'Eisenstein, de Gantz, d'Epstein nous paraissent aujourd'hui si belles mais si dmodes au point que on n'ose plus parler d'un rapport cinma / pense. D'une certaine manire la thse rcente de Paul Virilio va plus loin encore que la remarque de Daney. Bien sr on peut toujours dire, on peut toujours dire, ce qui a tu le cinma c'est la mdiocrit de sa production. Encore une fois c'est pas...c'est pas...oui et non...oui et non. Que la grande majorit de la production soit nulle archi nulle, c'est vident, mais c'est pas tellement une objection, a ne l'est qu' certaines conditions. Je veux dire, a n'est pas pire qu'ailleurs, absolument pas pire qu'ailleurs, si vous considrez le domaine de la Littrature et de l'Edition, dites vous bien que ce qui mrite le nom de roman dans la quantit de romans qui paraissent chaque anne, je prends le genre roman, dans la quantit de romans qui paraissent chaque anne, ne reprsente pas 5% de l'dition ditoriale. La grande majorit des romans qui paraissent chaque anne appartiennent la collection Aphrodite et collection du mme type qui occupent les quais de gare, qui occupent les librairies de gare, qui ont un tirage inimaginable et n'ont rien voir de prs ou de loin avec ce que vous appelez un roman. Bon, je ne parle pas du reste, le reste c'est pareil. On ne peut pas dire que la production musicale de la chansonnette qui est la grande majorit de la production musicale, que cette production soit... La situation du cinma ; elle est pas pire, vraiment pas pire qu'ailleurs. Encore une fois, la nullit de la production ambiante a toujours t une loi de toutes les activits dites " artistiques ". Simplement on pourrait me dire, peut-tre, et l je suis incomptent pour rpondre, on pourrait me dire que le cinma tant, et on tombe justement dans l'ide laquelle je voulais venir et qui me parat l'essentiel pour aujourd'hui, que le cinma tant un art industriel, la proportion quantitative de la nullit a un rle infiniment plus grand et dangereux que dans les autres disciplines. Et qu'on ne peut pas poser le problme de la mme manire au niveau d'un art industriel et au niveau des autres arts. C'est possible a. Mais en tout cas c'est pas la mdiocrit de la production qui a sonn le glas des ambitions des pionniers du cinma. Non, c'est pas a... c'est pas a... y'a eu pire... Si je rsumais un peu la thse de Serge Daney d'ailleurs, c'est pas la nullit de la production, c'est la lettre, c'est Leni Riefenstahl, qui elle n'tait pas nulle, savoir, la cinaste attitre d'Hitler qui a sonn les grandes ambitions du cinma, et encore une fois elle n'tait pas nulle, elle. Mais je disais, si je prends la thse rcente de Paul Virilio, il va encore plus loin que Serge Daney. Virilio dans son livre, Logistique de la perception, guerre et cinma, nous dit peu prs ceci : " ne croyez pas que le cinma ait t dtourn de ses buts par l'Etat propagande, (ce que suggre Daney ) ou par l'tat

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fasciste. C'est ds le dbut qu'il y a eu partie lie entre la cinmatographie et l'organisation de guerre, ou l'organisation fasciste d'Etat ". La thse tait bien parce que elle est un peu comme on fait toujours : il faut toujours remonter plus loin, savoir a a mal tourn ds le dbut.(rires). Vous savez on ne dit plus a a mal tourn avec Staline, ha non ! a tournait dj mal avec Lnine, on remonte plus haut quoi. Et puis a remonte pas mal avec Lnine, Hou la la ! Marx s'tait encore pire, simplement il a pas pu, il n'a pas pu faire ce qu'il voulait mais s'il avait fait ce qu'il voulait, qu'est-ce que... vous auriez vu que ce serait pire encore ! Alors Virilio en mieux, il fait la remonte. C'est ds le dbut qu'il y a le couplage abominable, cinma / guerre et pire cinma / organisation de guerre et cinma / organisation fasciste. Et l'argumentation de Virilio l, est trs intressante. Elle consiste nous dire, vous savez, il y a eu toujours un couplage fondamental entre l'arme et l'il. C'est de a qu'il part, le couplage arme/il. A savoir que le champ de bataille n'est pas simplement un lieu d'action, c'est un domaine de perception. Les armes sont des affects, mais les affects de la guerre ne vont pas sans des percepts. Et autant qu'envoyer des armes, il y a dans l'organisation de guerre la ncessit de percevoir des chants. Si bien que un couplage exemplaire ce sera camra / mitrailleuse, l'avion mitraille et prend le film de ce qu'il mitraille. Et ce doublet, ce couplage, il est essentiel... il est essentiel. Et l'histoire de la guerre est non moins une histoire de l'il qu'une histoire de l'arme. Bien, c'est une belle thse. Et d'une certaine manire la guerre est une vaste mise en scne. Virilio en veut pour preuve que il s'agit moins de cacher, il s'agit bien de cacher, par exemple, de cacher les organisations secrtes mais il s'agit surtout de dresser des leurres, faire croire l'ennemi que telle concentration de troupes se fait, fabriquer des chars en bois qui feront croire l'ennemi qu'une attaque se dessine par l, est prpare par ci par l. Tout a c'est toujours le doublet : arme / mise en scne . Et ce lien fondamental de l'arme et de la mise en scne, c'est ce que les fascistes dcouvriront les premiers et pousseront jusqu' un point jusque l inconnu. Et Virilio l, commet des accents trs rjouis lorsqu'il rappelle que jusqu' la fin, jusqu' l'extrme fin, Goebbels voulait rivaliser avec Hollywood, et organisait des super productions et que les adjoints de Hitler, notamment au niveau de la dfense passive, reconstruisaient des villes avec des colonnes de lumires... fausses villes... villes cinmatographiques... villes de pures lumire... architecture de lumire, tout a... Toute une mise en scne de l'Etat, de la propagande d'Etat et de la guerre d'Etat. En d'autres termes, ce que dit peu prs Virilio, c'est que, il y a toujours eu entre Hollywood et le fascisme un lien trs bizarre, qui fait et qui explique l'croulement du vieil Hollywood aprs la guerre. Non pas au sens o Hollywood aurait t compromis dans le fascisme, c'est pas a, mais au sens o, un cinma tel que le concevait Hollywood avait t ralis d'une manire infiniment plus parfaite par l'organisation de guerre et l'organisation fasciste, au point que nous ne pouvions plus croire ce cinma l. Voil, de la thse de Daney celle de Virilio, il me semble que il y a un progrs, une espce de surenchre qui nous donnerait une raison au moins. Pourquoi nous n'osons plus parler du cinma comme nouvelle pense, du cinma comme art des masses, o les masses seraient devenues sujet mme du cinma comme langue universelle ? Nous avons perdu ces espoirs l. Seulement, seulement, est-ce que a veut dire que l dessus videmment une certaine discrtion s'est faite sur le rapport du cinma avec la pense. Mais moi je reprends mon thme : Est-ce que a veut pas dire simplement que le cinma d'aprs guerre rompt avec une certaine image de la pense que le cinma avait rencontre alors, mais renoue des noces d'autant plus intressantes avec une autre image de la pense ? Je demande comment l'on peut ne pas traiter par exemple, Resnais comme un penseur, Godard comme un

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penseur, Visconti comme un penseur ? On accepte bien d'une certaine manire de les confronter des peintres, on accepte bien de les confronter des musiciens. Il faut, il faut retrouver la tradition du premier cinma compte tenu de toutes les diffrences o la confrontation devait passer aussi par le rapport de l'image cinmatographique et d'une nouvelle image de la pense. Peut-tre donc que dans sa courte histoire le cinma aurait affront deux images de la pense trs diffrentes ? Ce sera nous de voir a. Je vais vous dire, je prends un exemple tout simple, on peut parler des couleurs par exemple chez les grands coloristes du cinma, Antonioni, Visconti, Godard, on peut parler aussi de leur manire eux d'tre philosophe. On ne prend pas assez au srieux la pense des cinastes. Parce que on sait bien qu'elle ne vaut rien indpendamment du contexte, du contexte cinmatographique de leur uvre, si on l'extrait du contexte de leur uvre, a ne vaut plus rien. Mais c'est comme a pour tout le monde. Si vous extrayez la pense d'un philosophe du contexte philosophique de son uvre, mais je vous assure ce sont des platitudes, par dfinition, par dfinition. Mme Renoir c'est un grand penseur si vous considrez le contexte de son uvre. Il a pas simplement quelque chose montrer, il a vraiment quelque chose dire. Vous voulez que je vous dise ? Et bien Godard c'est un aristotlicien ! (rires). Je me souviens d'un article trs brillant de Sartre sur Giraudoux, il est repris dans situation I, o Sartre explique que Giraudoux c'est Aristote ralis. Pourtant il n'y a aucun lieu de penser que Giraudoux connaissait trs bien Aristote, c'est un homme trs cultiv, mais enfin, il avait peut-tre pas lu beaucoup Aristote, sauf peut-tre au moment du bachot, et encore au bachot on n'tudie pas vraiment Aristote. Et pourtant, l'article de Sartre est trs convainquant, en quoi le monde de Giraudoux est un monde aristotlicien ? L je fais des transitions faciles, il se trouve que je suis trs sensible la manire dont Godard aime beaucoup Giraudoux. Giraudoux c'est un des auteurs secrets de Godard, il l'avoue parfois puisque dans son dernier film Prnom Carmen, vous vous rappelez bien, Giraudoux est constamment voqu : " cela s'appelle l'aurore " et qu' il a toujours eu une espce de complaisance pour Giraudoux, Godard, une complaisance inavoue de Suisse, pour lui c'est l'image de la lgret en littrature (rires). Mais, la faveur de a, je dirai qu'il est beaucoup plus Aristotlicien que Giraudoux. Et vous savez pourquoi il est aristotlicien Giraudoux ? C'est parce que Aristote, c'est le philosophe qui prcisment en vertu de son cri " Il faut bien s'arrter " a le premier nonc et construit une table des catgories. Or... h dites l ! j'ai du souci ouvre la porte et rappelle le type, a s'annonce mal ! j'ai un pressentiment. Demande leur s'ils ont cours (rires) savent pas ..trs bon a ...Ouais, vous comprenez je vais lentement, mais... qu'est-ce que je disais ? je ne sais plus ce que je disais... Godard c'est un aristotlicien, vous savez pourquoi ? A ma connaissance, jamais il n'a construit un film, d'ailleurs il doit le faire exprs, lui Godard il a beaucoup lu, pourquoi il n'aurait pas lu Aristote en plus, jamais il n'a construit un film sans , soit explicitement soit implicitement, le diviser d'aprs ce qu'il faut appeler des catgories. On verra, a nous fera un objet, une rcration de parler des catgories chez Aristote justement propos de Godard, mais c'est pour dans longtemps a. Toujours c'est sa division. Simplement son astuce et ce qui fait notre joie, c'est qu'il invente des tables de catgories tout fait, tout fait bizarres. Mais c'est des tables... Godard, il n'a pas, pardonnez-moi cette formule un peu facile mais je crois qu'elle est vraie fondamentalement, Godard, il n'a pas une table de montage, il a une table des catgories. Et sa table de montage, c'est sa table

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des catgories. Je prends un film o a clate, " Sauve qui peut la vie. " Vous avez quatre catgories, quatre grandes catgories. Alors, on se dit, oh ben non ! faire de a des catgories, il faut le faire ! Chez Aristote les catgories c'taient la substance, la qualit, la quantit... Chez Godard les quatre grandes catgories de Sauve qui peut la vie, c'est l'imaginaire, la peur, le commerce, la musique. Mais elles jouent le rle explicite de catgories, savoir, chez Godard, l j'en dis trop, mais c'est juste pour prendre un exemple, chez Godard, pour fonder un exemple o je voudrais que vous pressentiez la ncessit de confronter le cinma non pas seulement avec les autres arts, mais avec la pense et la philosophie. Chez Godard, les catgories, la lettre, peuvent recevoir une dfinition trs stricte, savoir : ce sont des genres rflexifs dans lesquels se rflchissent une srie d'images. C'est un cinma sriel, mais les sries d'images se rflchissent dans un genre rflexif, le genre rflexif tant une catgorie. D'o pour chaque film, l o il est trs ingnieux, trs crateur, c'est que pour chaque film, il va refaire une nouvelle table des catgories correspondant au film. Et chaque fois les images se rflchiront dans des catgories qui peuvent prendre des figures les plus diverses. En ce sens je peux dire la lettre.. ..Vous avez un cours l (rires). Je comprends pas... il me disent qu'ils vont dans d'autres salles, h mademoiselle ! fatigant ! Je sais plus ce que je disais... Oui, dans chaque film, il va refaire sa table des catgories. Vous en voulez en voil. Evidemment charge pour lui qu'elles soient fondes par les sries d'images. Mais les sries d'images vont toujours se rflchir dans une catgorie, c'est comme a qu'il brise la narration. Une de ses manires de briser la narration, c'est prcisment de faire dpendre les sries d'images d'une catgorie rflexive, c'est dire d'un concept rflexif. Par l, c'est vraiment du..., c'est vraiment un rapport cinma /philosophie. Peu importe, je dis juste : acceptons la thse de Daney et de Virilio. Les ambitions des pionniers d'unir l'image cinmatographique l'image de la pense, c'est comme ma seconde conclusion, les ambitions de ces premiers pionniers d'unir l'image cinmatographique et l'image de la pense, a pu s'effondrer pour des raisons historico-mondiales qui sont la propagande d'Etat et le fascisme. On ne pouvait plus croire l'art des masses et la pense nouvelle telle qu'elle avait t dfinie par les pionniers et la langue universelle. Mais a n'tait qu'un rebondissement, le nouveau cinma, le cinma d'aprs guerre, allait entrer l'image cinmatographique nouvelle - et en quoi nouvelle, a on l'a un peu vu les autres annes - l'image cinmatographique nouvelle, allait entrer avec l'image de la pense dans de tout nouveau rapport, et pourquoi ? Pour une raison trs simple, c'est parce que l'image de la pense avait elle-mme subie le mme choc. C'est que la propagande d'Etat, le fascisme, l'organisation du fascisme, si elles n'avaient pas laiss intacte l'image cinmatographique, n'avaient pas d'avantage laisse intacte l'image philosophique de la pense. Et que sur la base de ces doubles dcombres pouvait se renouer une nouvelle alliance entre la nouvelle image cinmatographique et la nouvelle image de la pense. Qu'est-ce que serait cette nouvelle image de la pense ? Qu'est-ce que serait la nouvelle image cinmatographique ? Qu'est-ce qu'tait l'ancienne ? les deux anciennes ? Tout a fera partie aussi de notre programme.

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On avance, mais alors reprenons les choses zro et demandons, mme au niveau des pionniers, c'est comme mon troisime point, vous voyez que j'aborde... je suis trs ordonn aujourd'hui. Demandons-nous qu'est-ce qui se passe ? Mais comment s'est fait, mme au niveau des pionniers , parce que on a encore beaucoup a apprendre, il n'a pas suffit de dire fascisme, propagande d'Etat, pour liquider Eisenstein, Epstein, Vertov, Elie Faure, Gance. Qu'est-ce qui pouvait faire une rencontre ds le dbut, entre image cinmatographique et image de la pense, une fois dit que cette rencontre pourra changer de nature aprs la guerre et se poursuivra sous d'autres espces ou sous d'autres noces ? Il faut tout prix faire des grands cinastes des penseurs, vous savez. Car c'est de grands penseurs, je crois. Et bien la rponse elle est toute simple, qu'est-ce qui fait la rencontre de l'image cinmatographique et de l'image de la pense ? Ma rponse c'est donc mon troisime point aujourd'hui, on n'en a dj fait deux, on va une allure ! Ca ira pas si vite les autres fois. Deux points, j'aimerais que vous arriviez les distinguer bien dans votre tte, mais je pense que a va de soi, aujourd'hui c'est limpide. La rponse, elle est toute simple, mais elle va nous laisser perplexe, c'est patant parce que je ne vois pas d'autre rponse et puis il n'y a aucune raison de voir en quoi c'est une rponse. Ce qui fonde la rencontre de l'image cinmatographique et l'image de la pense, c'est l'automatisme de l'image cinmatographique. C'est ... L'image cinmatographique est automatique. Ce que je dis a ne peut pas ne pas concerner l'image de la pense. Voil une image automatique la seule image qui soit automatique. Et bien oui, l'image cinmatographique c'est la premire des images automatiques. Qu est-ce que veut dire automatique ? a veut dire l'image, l on l'a vu de nombreuses annes prcdentes, je ne reviens pas l-dessus : l'image cinmatographique c'est l'image mouvement c'est--dire elle ne reprsente pas quelqu'un ou quelque chose qui se meut, elle se meut elle-mme en elle-mme, elle est auto-ma-tique. Le mouvement de l'image cinmatographique est un auto-mouvement. Auto-mouvement, elle se meut d'elle-mme par elle-mme, c'est a que j'appelle le caractre automatique de l'image cinmatographique. Or c'est en tant qu'image automatique que l'image cinmatographique sollicite l'image de la pense. Vous me direz : Que c'est bizarre ! En quoi le caractre automatique de l'image cinmatographique, il n'y a qu'elle, un tableau c'est une image qui n'est pas automatique, elle ne bouge pas. L'image automate, a c'est le propre de l'image cinmatographique, c'est son caractre le plus gnral, c'est l'image qui bouge, c'est pas un corps rel qui bouge, comme le corps du danseur, c'est pas une image qui ne bouge pas, comme un tableau, c'est l'image automatique qui bouge. Et je dis : a suffit

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lui donner un rapport extraordinaire avec l'image de la pense, son caractre automatique. L survient l'objection, l'objection qui survient ds le dbut du cinma. savoir, toute la bande de clowns qui ont ragi en disant : " mais c'est justement a qui fait que le cinma c'est pas de la pense. " Je veux dire : quand on dit quelque chose, quoiqu'on dise, ds qu'on s'efforce de dire quelque chose, il y a tout de suite tout un nuage d'objections idiotes. Je veux dire : il n'y a pas de pense quelle qu'elle soit qui ne soit nimbe par tout un ensemble d'objections idiotes. C'est mme a qui fait la gat de la pense. Alors bon, la-dessus il y a deux sortes de gens, il y a ceux qui se gardent pour eux l'objection idiote parce qu'ils sentent qu'elle est idiote, et puis il y a ceux qui la disent parce que ils pensent que c'est une objection forte. Ceux-l c'est des vaniteux parce qu'ils ne pensent pas que l'objection est tellement bte que, aprs tout, celui qui a dit l'ide contre la quelle on objecte, a bien du se faire l'objection, sinon ce serait trs inquitant pour lui. Aussi, un auteur qui avait sa clbrit au temps du premier cinma et qui faisait des romans, d'ailleurs des romans pas mdiocres du tout, des romans qui ont une grande importance mme, mais qui lui n'tait vraiment pas un penseur, et qui s'appelait Georges Duhamel, a men une grande critique et contre l'Amrique, la civilisation amricaine, et contre le cinma. Et il disait : " je ne peux plus penser ce que je veux " Intressant a, a me fascine. Je cite le texte, un bout de texte. " Je ne peux plus penser ce que je veux devant le cinma, les images mouvantes c'est--dire les images automatiques, les images mouvantes se substituent mes propres penses.. " C'est patant parce que relisez. Quelqu'un qui vous dit a : " je ne peux plus penser ce que je veux ", on se dit tiens, voil quelqu'un qui veut penser ce qu'il veut. Enfin, ou bien il fait attention ce qu'il dit ou bien il ne fait pas attention. Et c'est quand mme intressant l'analyse de ce texte Madame ! il semble que la seule vue de cette salle leur fasse tellement horreur.. ;(rires) Bon ! Oui, rflchissez un peu. Quelqu'un vous dit : " avec le cinma il m'empche de penser ce que je veux. " Si on rflchit mais tout d'un coup on se dit : ah bon ! mais alors c'est un type qui, lorsqu'il lit un roman ou lorsqu'il se trouve devant un tableau, il pense ce qu'il veut ! C'est quand mme intressant a, quelqu'un qui se fait de l'art cette conception : devant l'art, je pense ce que je veux ! (rires). Alors devant un tableau de Rembrandt, je peux penser ce que je veux ! C'est curieux ! C'est quand mme une drle d'ide ! Je veux dire : comprenez ce que j'appelle image de la pense. Il y a des images de la pense dbiles. Quelqu'un qui vous dit : oh, le cinma a m'embte parce que je ne peux pas penser ce que je veux, c'est quand mme qu'il se fait de la pense une image dbile. Gnralement, l'idal de la pense c'est prcisment de ne pas penser ce qu'elle veut, c'est--dire d'tre force de penser quelque chose. Un tableau, bon, un Rembrandt, vous ne pouvez pas penser ce que vous voulez, c'est trs regrettable mais c'est comme a. Trs regrettable mais, si vous voulez penser ce que vous voulez, ben, je sais pas comment vous pourriez faire. Mais je sais pas d'ailleurs comment on peut faire pour penser ce qu'on veut. C'est la nature de la pense qu'on ne puisse pas pouvoir penser ce qu'on veut. Mais enfin, les images mouvantes se substituent mes propres penses, ben a c'est pas mal aprs tout, a fait pas de mal, a fera pas de mal Duhamel. Voil.. !

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Mais c'est une objection : le caractre automatique de l'image cinmatographique, loin d'tre, loin d'instaurer un rapport avec la pense, dtruit le rapport avec la pense. Mettons, l'image cinmatographique impose son droulement de pense. Admettons, admettons.. Alors, notre rponse a peut tre quelque chose : c'est que c'est videmment plus compliqu que a. Et qu'il faut d'abord s'entendre sur ce que signifie image automatique. Si c'est par l que nous dfinissons le caractre propre du cinma, image automatique, en quel sens ? Il y a un premier sens qui est technique. Bon, j'insiste pas sur lui. Il concerne la fois l'enregistrement et la projection. Ce sens est trs important, il est la base technologique de l'image, il est la base technologique de l'image automatique, prise de vue et projection. Mais je dis : il y a un second sens. Qui ne concerne plus cette fois-ci le moyen technologique de l'image mais l'image. Ce second sens parat accessoire et pourtant nous serons bien amens lui donner une importance fondamentale. Commenons par l'aspect accessoire. Est-ce par hasard que le cinma, ds ses dbuts, nous a prsent automates et marionnettes d'une manire si insistante, si constante, cette exhibition ou cette adquation des automates l'image cinmatographique ? Voyez que cette fois-ci il s'agit du contenu propre de l'image cinmatographique. Vous me direz que c'est un contenu accidentel. Faut voir ! Pas sr. Mais ds le dbut du cinma, les automates et toutes leurs varits envahissent l'image cinmatographique. Sous quelle forme ? Sous la forme de l'expressionnisme allemand, les golems, les somnambules, les automates vivants, les zombis deviennent les personnages-cls de ce nouvel art. Je ne pense pas que ce soit comme a un hasard qui dpende des sujets. C'est pas parce que le cinma affronte la terreur. Il y a quelque chose de plus profond dans cette appartenance des automates et de toutes leurs varits l'image cinmatographique et du peuplement de cette image par toutes les varits d'automates. Deuxime exemple parallle l'expressionnisme allemand : l'cole franaise. d'une toute autre manire, elle peuple l'image cinmatographique d'automates prsents alors d'automates inanims et ne cesse de procder la confrontation et l'change. C'est plus les automates vivants de l'expressionnisme allemand, c'est le rapport perptuellement dvelopp, perptuellement invers, de l'automate et du vivant. C'est une autre manire, ds les premiers films de Renoir, le thme, ds les films muets de Renoir, le thme de l'automate surgit fondamentalement. Il aboutira "La Rgle du jeu" et le cinma de Renoir ne cessera pas d'tre hant par l'automate. Vigo, " Atalante" : la prsence fondamentale de l'automate, comme mdiation entre les personnages vivants et d'un personnage vivant l'autre. L aussi, est-ce que c'est les hasards de l'histoire ou du genre ? Non. Le soupon nat en nous qu'il y a des noces alors trs profondes entre l'image cinmatographique elle-mme et l'automate qui vient la peupler. Et aprs tout c'est bien normal, on a notre rponse. Je suis bien content, on a plein de rponses, tout de suite : si le propre de l'image cinmatographique est l'automatisme, n'est-il pas tout fait normal que l'image cinmatographique nous prsente des automates ? C'est simple comme rponse. Et je ne m'en tiens pas au cinma premire manire, au cinma d'avant-guerre. Je fais un saut alors dans le cinma moderne, mme si les rapports image cinmatographique/ image... [coupure fin du CD3] ...le nombre d'acteurs. Il l'appelle modle cinmatographique, il l'appelle modle cinmatographique

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par opposition l'acteur thtral. Et quelle est la grande diffrence, qu'est ce qui caractrise, quel est le premier ? On aura revoir a dans le courant de l'anne de beaucoup plus prs. Qu'est-ce qu'il appelle un modle cinmatographique ? Mais si je prends le caractre le plus constant qu'il assigne, et le plus gnral qu'il assigne au modle cinmatographique, c'est quoi Bresson, c'est l'automatisme. L je n'invente pas le mot, si vous prenez le petit livre de Bresson, un classique du cinma, " Notes sur le cinmatographe ", vous trouvez non seulement tout un chapitre intitul.. page 29, " De l'automatisme ", qui commence comme ceci : " les neuf dixime de nos mouvements obissent l'habitude et l'automatisme, il est anti-nature de les subordonner la volont et la pense ". Je retiens la volont la pense. En d'autres termes le modle cinmatographique contrairement l'acteur de thtre ne doit ni vouloir ni penser, c'est un automate.. un automate quoi ? eh c'est l que Bresson n'est ni expressionniste allemand ni cole franaise, ce sera sans doute un automate spirituel et pourtant il n' pense pas. Trs bizarre. On verra que c'est trs compliqu l'histoire de l'automate chez Bresson. Mais ce que j'en retiens c'est, je lis un autre texte page 70, mais c'est constant dans le, il parle des modles, des modles cinmatographiques : " Les gestes qu'ils ont rpt vingt fois machinalement, tes modles ", il se parle lui-mme, il y a un soupon, il doit y avoir quelque chose... " Les gestes qu'ils ont rpt vingt fois machinalement, tes modles lchs dans l'action de ton film les apprivoiseront eux ", " Les gestes qu'ils ont rpts vingt fois machinalement, tes modles lchs dans l'action de ton film les apprivoiseront eux, les paroles qu'ils ont apprises du bout des lvres trouveront sans que leur esprit y prenne part, les inflexions et la chanson propre leur vritable nature, ", donc les automates ont une nature, " ...manire de retrouver l'automatisme de la vie relle " . Donc Bresson dans sa conception du modle cinmatographique ne cesse, et je n'en retiens que a, de se rclamer d'un automatisme qui est diffrent la fois de l'automate de l'Ecole franaise, certainement de l'automate vivant de l'Expressionnisme allemand, mais qui, son tour, est un type d'automate. Troisime aspect, non seulement l'automatisme concerne le moyen technologique de l'image cinmatographique, mais deuxime aspect il concerne le contenu de l'image cinmatographique elle-mme, enfin troisime aspect il concerne le plus haut de la forme de l'image cinmatographique. Et en quel sens cette fois-ci ? Je veux dire qu'il affecte la forme esthtique de l'image cinmatographique. Ou, si vous prfrez, la manire dont elle est perue et pense. Pourquoi ? la rponse est simple, du moins celle que donnera, celle que donneront les premiers grands pionniers du cinma. Les premiers pionniers du cinma auront, il me semble, avec malgr toutes les variations, une rponse globale qui est celle-ci : l'image automatique, l'image matrielle automatique du cinma a, pour corrlat un automatisme spirituel, un automatisme mental, ou une subjectivit automatique. C'est curieux, le vrai corrlat de l'image de cinma en tant qu'image automatique, c'est un automatisme proprement spirituel, mental ou une subjectivit automatique. Le cinma grce l'image cinmatographique, grce l'image automatique fait lever en nous l'automate spirituel. Ah. ! Mais quelle dcouverte ! Qu'est-ce que c'est que a l'automate spirituel ? L'art des masses fait lever l'automate spirituel. Quelle belle ide ! Quelle belle ide si on sait quoi elle se rapporte, mais il faut se laisser aller la beaut d'une ide avant de savoir ce qu'elle veut dire. Voil un texte d'Elie Faure page 56, coutez le bien parce que vous allez trouver : " En vrit c'est son automatisme matriel - du cinma - c'est l'automatisme matriel du cinma mme qui fait surgir de l'intrieur de ses images, ce nouvel univers qu'il impose peu peu notre automatisme

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intellectuel ". Voyez l'automate spirituel est le corrlat direct de l'image automatique. Et Elie Faure continue " c'est ainsi qu'apparat dans une lumire aveuglante la subordination de l'me humaine aux outils qu'elle cre ", l'outil c'est le moyen technique de l'image cinmatographique, " c'est ainsi qu'apparat dans une lumire aveuglante la subordination de l'me humaine aux outils qu'elle cre et rciproquement ", il y a donc action de l'image automatique sur l'automate spirituel et raction de l'automate spirituel sur l'image automatique. Epstein dans " Les crits sur le cinma ", dit la mme chose en d'autres termes, il dit l'image automatique du cinma a pour corrlat une subjectivit automatique. Cette subjectivit automatique c'est la camra. La camra c'est la subjectivit automatique. Voil, et c'est partir de l, je crois qu'ils vont dvelopper leur pense : le cinma est une nouvelle pense, c'est un art des masses et c'est une langue universelle. Voyez la raison, le fondement de ces trois aspects : c'est que parce que l'image cinmatographique est une image automatique que loin de nous empcher de penser elle fait lever en nous le vieux rve, le rve archaque mais seulement ralis par le cinma, le rve d'un automate spirituel. Automate spirituel, automate spirituel, alors c'est a, le cinma ne serait pas seulement l'image automatique, il serait le corrlat de l'image automatique et de l'image de la pense, c'est dire la corrlation de l'image automatique et de l'automate spirituel qui lui correspond. Vous me direz : mais tre rduit l'tat d'automate spirituel, c'est bon a ? Evidemment que c'est bon, videmment que c'est bon. Mais pourquoi que c'est bon, a a t notre rve tous, du moins notre rve de la pense, c'est a que Duhamel ne savait pas, a toujours t le rve de la pense. Un automate qui crie. Pourquoi ? C'est a qu'il faut voir maintenant, en quoi c'est le rve de la pense ?

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CINEMA / Pense Octobre 1984/Juin 1985 - cours 67 91

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Gilles Deleuze - Cinma et pense cours 67 du 30/10/1984 - 5 C'est dire, voyez pour le moment on tait dans l'image cinmatographique, passons de l'autre ct l'image de la pense. Est-ce que l'image de la pense a quelque chose voir avec le phnomne de l'automatisme ? Je dirai : elle n'a pas que quelque chose voir, elle a deux choses voir. Voil c'est mon quatrime point aujourd'hui, a va vous suivez bien ? Ce qui importe c'est de suivre les enchanements. Ca va, vous suivez bien ? vous me le direz la prochaine fois. Bon, quelle heure il est ? (Lucien Gouty : midi moins le quart) On se donne un petit repos ? Pour que vous fumiez vos cigarettes nocives...Mais pas longtemps. Mon quatrime point, c'est que tout a c'est pas clair les rapports pense/automatisme. Non, on va s'occuper un peu de la pense. C'est pas clair du tout ! Pourquoi ? Parce que ces rapports sont doubles. Qu'est-ce que c'est que l'automatisme par rapport la pense ? Il n'y a pas de question, hein, sur les trois autres points ? Aprs toute ma besogne, pas de question ? c'est trs clair ? Bon. Il y a un premier rapport qui concerne quoi ? C'est dans la mesure o l'automatisme va dsigner l'ensemble des mcanismes inconscients de la pense, mcanismes organico-psychiques. Et supposons, tout a ce sont des hypothses remanier plus tard, on appellera automatisme l'ensemble de ces mcanismes inconscients organico-psychiques par rapport la pense. En d'autres termes, l'automatisme dsignera ici une pure matire, une matire spciale, une matire organico-psychique que la pense consciente a pour tche d'intgrer, d'organiser et de dominer mais qui peut se rvler pour elle-mme et prendre comme revers la pense. Je ne suis pas sr qu'il y ait un tel ensemble, car qu'est-ce que nous y mettrons ? Nous y mettrons par exemple le rve, l'onirisme mais les rapports dits onirodes, il n'est pas mme sr que l'onirisme et les rapports onirodes fassent partie d'une mme catgorie ou puissent tre runis dans une mme catgorie. Et puis toutes sortes de troubles qui lorsqu'ils se rvlent, manifestent des mcanismes de pense qui ne sont mme plus contrls par la pense ni mme contrlables, du type fuite d'ide, et bien d'autres choses... En d'autres termes il y a-t-il une catgorie capable de grouper tout a , les mcanismes inconscients de la pense, si varis soient-ils ? En 1899, un grand psychiatre, j'insiste 1899 ,... tout a,..c'est la priode o nat le cinma. Donc je ne confonds pas des choses qui sont trs diffrentes dans l'histoire, trs distantes dans l'histoire. En 1899, le grand psychiatre Pierre Janet, crit un livre fondamental " L'automatisme psychologique ", o il envisage ce qu'il appelle l'automatisme total, l'automatisme psychologique. L'automatisme total savoir : catalepsie, somnambulisme, suggestion. Et d'autre part l'automatisme partiel : anesthsie et paralysie hystrique, ide fixe, hallucination, possession. Et il pense possible - voyez que n'y intervient pas le rve -, il pense possible de construire un concept consistant d'automatisme

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psychologique. Vers la mme poque.. Ah, alors, Vous avez un nouveau cours ici ? Attendez, je vais rentrer d'abord (rires ). Elle est gentille... ...un trs grand psychiatre du 19me, qui rpondait au nom bien plus joli de Gatan de Clairambault, je crois, c'est a. Clairambault forgeait la notion d'automatisme mental. Et l'automatisme mental de Clairambault tait trs diffrent de l'automatisme psychologique de Janet. Car, prcisment, loin de prendre le caractre psychologique comme ce qui faisait l'unit de cet automatisme, il affirmait une base organico-neurologique, qu'il posait comme premire, et qui nourrissait la psychose hallucinatoire et qui provoquait une raction ou qui pouvait ne pas provoquer, on pouvait en rester l, c'est dj pas mal ! Mais qui provoquait ou pouvait provoquer une raction psychique raction, comme il disait dans son langage , de caractre ; bien plus la raction psychique de caractre pouvait prcder, - c'est trs compliqu Clairambault ! - pouvait prcder la base organico-neurologique et y correspondait la psychose paranoaque. Et puis il y avait bien d'autres choses. Mais vous voyez : l'automatisme mental allait couvrir une base neurologique, organico-neurologique et une raction psychique, une raction caractrielle cette base. Bien, on aura voir de prs, c'est pour a parmi toutes nos directions de travail, j'indique et je souligne : l'uvre psychiatrique de Clairambault a t rdite rcemment par les Presses Universitaires sous le titre " Oeuvres psychiatriques ". " L'automatisme psychologique " de Janet, mon avis, je suppose, ne se trouve qu'en occasion ou en bibliothque. Voil, mais pour certains que a intresse, cet aspect de la grande psychiatrie du 19me, je vous conseille la lecture de ces auteurs qui sont les plus grands parmi les grands. En mme temps qu'est-ce qui se passe ? On ne peut pas s'en tenir qu' la psychiatrie. Si je viens de considrer, du point de vue de la psychiatrie ma question est juste et l j'avance pas, c'est juste pour grouper une question : peut-on considrer l'automatisme sous sa forme psychologique - Janet - ou sous sa forme mentale - Clairambault - comme groupant tout un ensemble de mcanismes inconscients de la pense ? Faut que je continue, car aprs tout, d'un tout autre ct - j'essaie pas de faire de mlange - s'exerce dans la littrature deux choses qui paratront avoir une grande nouveaut : d'une part, les surralistes dveloppent une criture, qu'ils appelleront l'criture automatique, un pont sera tabli par Breton et par Eluard et par Dali puisque je ne peux pas parler de modle mais ils considreront que l'criture automatique est en troite liaison avec certains phnomnes dont la psychiatrie s'occupe. Au point que des livres d'criture automatique se prsentent comme de vritables simulations de dlires et de psychoses chez Breton et Eluard et que, Salvador Dali prtend instaurer et inventer au meilleur moment de sa pense - je crois que c'est les textes de Dali qui gardent une grande force - une mthode qui lui est propre, et o il prtend aller plus loin que l'criture automatique que les surralistes, et qu'il intitule lui-mme la mthode " paranoa critique ". Qu'est-ce que veut dire tout cela ? Paranoa critique ? criture automatique ? C'est une criture qui sans doute prtend suivre ou exprimer les mcanismes inconscients de la pense. Mais ce serait une dfinition trs insuffisante car bizarrement sans qu'on comprenne encore pourquoi, il y aura lieu d'aller voir tout a cette anne. Trs bizarrement, ils insistent sur " ne croyez pas que c'est une criture sans contrle ". Quel est le type de contrle qui convient l'expression des mcanismes inconscients de la pense ? pour le moment a nous laisse dans le vide.. Je dis juste " n'y voyez pas une criture incontrle ". Ils se rclament tous d'un contrle, commencer par Dali, puisqu'il ne fait pas de la paranoa, il fait de la paranoa un usage critique, la paranoa devient

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une mthode de critique du monde et de ses apparences. Bon. Dans une toute autre direction surgissait dans la littrature quelque chose qui recevait le nom de monologue intrieur. Le monologue intrieur prtendait tre l'expression littraire de ce qu'on appelait le courant de conscience, ou plus prcisment du courant subconscient de la conscience. Certes le monologue intrieur n'tait pas la mme chose que l'criture automatique. Il y avait quand mme une rivalit d'ambition : saisir des mcanismes inconscients ou subconscients de la pense tout en les soumettant un contrle littraire. Et le monologue intrieur clatait avec Joyce. D'une part dans Ulysse et dans un progrs dcisif dans Finnegans Wake. On dit propos du monologue intrieur de Joyce, ce que Joyce en a dit lui mme, comme si il ne fallait pas se mfier de ce que disent les auteurs, non pas qu'ils mentent, mais ils aiment plaisanter. On dit toujours, mais c'est frappant comme on rpte a sans aller y voir sans doute, que le monologue intrieur, comme Joyce lui-mme l'a reconnu, a eu un anctre, un obscur romancier franais qui s'appelait Paul Dujardin, et qui fit un petit livre en monologue intrieur intitul Les lauriers sont coups, et qui a t republi en livre de poche. Et Joyce fait hommage Dujardin. Quand les grands auteurs, quand les auteurs de gnie sont modestes, ils adorent tromper les gens en invoquant des anctres qui ils font grand honneur, mais faut pas trop les croire sur parole. Si vous lisez Les lauriers sont coups, et l aussi on aura le voir car c'est un truc qui me soucie, car c'est repris tout le temps. Ah !le monologue intrieur c'est comme automatique.. l'anctre de Joyce c'est, c'est.... Vous verrez mon avis - ne me croyez pas sur parole mon tour - que l'usage que Dujardin fait du monologue intrieur n'a strictement rien voir, mon avis, avec l'usage que Joyce en fait dj dans Ulysse, si bien qu'il n'y a aucune filiation, mon avis de Dujardin Joyce. En revanche, mon avis toujours, Joyce en mme temps qu'il fait honneur Dujardin, cache ses vritables sources, tout a c'est des taquineries. A savoir : ses vritables sources sont beaucoup plus philosophiques, il savait normment de philosophie et ses vritables sources viennent des fameuses conceptions de William James, le frre d'Henry James, les fameuses conceptions de William James sur le courant de conscience et son expression. Donc il faudra voir tout a. Voyez donc on se trouve devant un ensemble assez riche pour le premier aspect de l'automatisme si je dfinis l'automatisme comme l'ensemble des mcanismes inconscients de la pense et le problme de leur expression. On a des lments psychiatriques, peut tre deux lments psychiatriques, deux lments littraires qui ne se recoupent en rien, qui correspondent par l ( ?)... a nous fait quatre lments. La bombe pour nous c'est quoi ? Comment a rencontre l'image cinmatographique ? Bien plus, quand la rencontre se fait avec l'image cinmatographique, l'image cinmatographique domine : ce que la littrature a tent de faire, je suis apte le faire mieux qu'elle. Voil la grande rencontre image cinmatographique/ image de la pense au sens l'automatisme / les mcanismes inconscients de la pense. Et en effet, le cinma d'inspiration surraliste, premirement le cinma d'inspiration surraliste se proposera de constituer une vritable criture automatique qui aura l'avantage d'tre visuelle et sonore, et de dpasser les possibilits de la littrature cet gard. Et le premier film surraliste, ce sera dj vrai dans Entracte, la premire tentative en ce sens , " Entracte " film de Ren Clair, mais le premier grand film surraliste, comme le rappelle Artaud, est le scnario d'Artaud, film par Germaine Dulac, la coquille et le clergyman, avant Le chien andalou, le grand film Artaud/Dulac. Artaud le prsente sous le signe de l'criture automatique, une criture automatique devenue visuelle, sonore autant qu'crite. Une criture procdant avec des images visuelles, une

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criture s'adressant la vue. Mais bien plus le monologue intrieur, et l a me parat trs important. Car c'est Eisenstein dans un hommage trs fort Joyce, qui s'empare de l'ide du monologue intrieur et va lancer son grand thme, qu' mon avis il n'abandonnera jamais : non seulement le cinma procde par monologue intrieur mais il ralise le monologue intrieur infiniment mieux que la littrature. Le vritable monologue intrieur, seul le cinma peut l'effectuer. Qu'est-ce qu'il veut dire ? Il veut dire une chose trs simple premire vue, c'est que le monologue intrieur en littrature la Joyce est encore dpendant de la barrire des langues, est encore dpendant de la barrire des langues nationales. Remarquez ce n'est vrai qu'en partie, or il faudrait qu'il excde, qu'il franchisse la barrire des langues nationales. Mais la littrature le peut-elle ? Dans Ulysse non, dans le grand monologue intrieur de Bloom non ! Mais dans Finnegans Wake commencent apparatre les mots qui n'ont plus aucune apparence, aucune appartenance une langue nationale. Les mots qui font appel plusieurs langues pour ne pas parler des onomatopes infinies. Et Finnegans Wake reprsente dj une espce de tentative tonnante, stupfiante pour que la littrature dpasse la barrire de telle ou telle langue nationale. Bien, n'empche que c'est limit, c'est limit par la forme des choses. Eisenstein peut dire que le monologue intrieur cinmatographique n'est plus subordonn aucune barrire des langues nationales en tant que cinma muet. Simplement il marque une volution, je dirai avant 35 et partir de 35. On verra que la thorie du monologue intrieur - pour moi - de Eisenstein, elle est fondamentale. Elle est fondamentale autant pour le cinma que pour la philosophie. Dans une premire priode avant 1935, a me parat trs curieux que Eisenstein - vous trouverez tous les textes cet gard dans Le film, sa forme, son sens, traduction franaise dans l'dition Bourgoin - Avant 35, Eisenstein considre que le monologue intrieur est encore l'expression cinmatographique de la pense d'un personnage, l'expression de la pense subconsciente d'un personnage et des mcanismes subconscients de cette pense. Il prend comme exemple un projet d'adaptation, il avait voulu adapter un roman amricain de Dreiser, American tragedy, Une tragdie amricaine, et il dit : vous voyez les tentatives de monologue intrieur de Dreiser comparez les avec mon projet, vous verrez que moi je vais beaucoup plus loin forcment puisque je peux l'tat libre faire les enchanements d'ides prconscientes, subconscientes mles aux sensations, aux souvenirs, aux projets etc. du personnage, et constituer une espce de courant de conscience du personnage. Je dirai que l, le monologue intrieur a dj franchi la barrire des langues, mais reste dpendant d'un cinma subjectif, ce qui ce passe dans la tte du personnage. En 1935, qu'est-ce qui se passe ? Je le prcise puisque c'est tout a... on le construit... aujourd'hui nous construisons notre anne Je le prcise parce que je crois que en 1935, Eisenstein est moiti forc, moiti prt improviser un discours. C'est le fameux discours de 1935. Pourquoi fameux ? Parce que sans trop s'y attendre - il devait avoir des pressentiments - Eisenstein, dans un colloque de cinastes sovitiques, se trouve pour la premire fois officiellement en proie une vaste critique des staliniens. Et que, dans ce discours peu prs, moiti improvis, srement, il montre la fois, je ne sais pas comment dire, un courage et une prudence, qui font mon admiration. La manire dont il s'en tire, en effet, c'est pas que les autres, les autres sont pas du tout des imbciles, il lui font des objections fondamentales, fondamentales, mais qui ont l'air d'tre proprement - c'est un texte

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passionnant - qui ont l'air d'tre uniquement cinmatographiques. Tout le monde comprend de quoi il s'agit, tout le monde comprend de quoi il s'agit savoir : l'il de Staline est sur toi et si tu continues faire ce que tu fais, tu vas voir ce que tu vas voir ! La rponse de Eisenstein est prodigieuse, elle est trs, trs prudente. Il dit : mais vous avez raison, vous avez raison, vous ne savez pas quel point vous avez raison, mais a n'empche pas que... on peut dire que...c'est ce que j'ai fait qui vous a permis aujourd'hui d'avoir raison, tout a, enfin... Il est malin comme tout. Ce texte il faudra le voir de trs prs. Mais ce qui m'intresse pour le moment uniquement dans le discours de 1935, c'est que le monologue intrieur est rig a une nouvelle puissance, il ne sert plus et ne dsigne plus la possibilit du cinma de donner une expression ce qui se passe dans la tte du personnage, il devient adquat au film tout entier. C'est le film entier qui se prsente comme monologue intrieur alors, non plus monologue intrieur qui se passerait dans la tte du personnage, mais monologue intrieur qui est aussi bien celui de l'auteur que du spectateur, et de l'un et de l'autre la fois, c'est dire qui est le film en lui-mme. Le monologue intrieur est le film. C'est le tout du film, au point qu'il nous dit, et l a doit nous intresser dans notre problme de la pense, ce qu'il appelle - on ne sait pas encore ce qu'il appelle comme cela - le cinma intellectuel, le cinma intellectuel a pour prolongement naturel le monologue intrieur. Le monologue intrieur est le corrlat du cinma intellectuel. Si bien que j'en reviens, puisque c'est un point que l'on aura considrer cette anne, lorsque la smiologie d'inspiration linguistique a dnonc chez Eisenstein une conception htive du rapport entre le cinma et la langue ou le langage, je me demande si, la base, ils n'ont pas singulirement mconnu ce que Eisenstein appelait monologue intrieur. Car ce qui me parat vident, si peu que j'en dise pour le moment, parce que ce sera pour l'avenir l'examen des rapports cinma/langage, car ce qui me parat vident, c'est que le monologue intrieur pour Eisenstein n'est ni une langue ni un langage. Si bien que l'alternative future de la smiologie linguistique, langue ou langage n'a pas lieu de se poser. Ils ont essay de prendre Eisenstein dans leurs pinces eux, langue ou langage, pinces qu'ils empruntaient Saussure. Mais c'est pas le problme d'Eisenstein, pas du tout. Pour Eisenstein, je dira,i quoique a reste encore incomprhensible, mais a fait rien, a deviendra peut-tre clair, plus tard. Le monologue intrieur pour Eisenstein n'a jamais t ni une langue, ni un langage. C'est une matire notique, notique a veut dire qui concerne la pense, une matire notique corrlative de la langue/langage et antrieure la distinction de la langue et du langage. Si bien que loin d'avoir reprocher Eisenstein de se faire une conception nave de ce problme, c'est presque la smiologie d'inspiration linguistique qu'il faudrait reprocher de se faire une conception nave et trop applique, une espce d'application des donnes linguistiques au niveau d'un problme qui n'tait pas a du tout. La question d'Eisenstein c'est conformment certains linguistes qui n'ont rien voir avec Saussure, la ncessit de dcouvrir une matire propre, une matire spcifique qui n'est encore ni langue ni langage, qui prexiste langue/langage, qui prexiste en droit pas en fait, qui prexiste en droit langue/langage, la distinction mme de la langue et du langage et qui constitue comme la matire premire. Et le monologue intrieur c'est cette matire premire. Et c'est ce niveau d'une matire premire prexistante la distinction de la langue et du langage, donc prexistant aux deux, qu'il faut poser le problme des rapports cinma / langue ou langage. Et j'en veux pour preuve que, aprs tout, un des matres de la linguistique, Jakobson, a au moins le mrite, dans l'interview qu'il a donn sur le cinma, de dire une chose qui moi m'a toujours... il le dit qu'en une phrase. Il dit juste, c'est rudement intressant, il ne dit pas du tout Eisenstein il est naf, lui il ne

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le dit pas. Il dit : s'il y a une chose qui me parat intressante c'est la conception qu'Eisenstein se fait du monologue intrieur quand il se rclame de Joyce . Et l, il le dit en tant que linguiste. Qu'est-ce que c'est que cette matire qui n'est ni langue ni langage et qui est pourtant comme le prsuppos de la langue et du langage ? Je dirai cette matire, pour le moment on ne peut pas en dire plus, c'est le monologue intrieur. Voil peu importe que ce soit un peut obscur. Voil... mais alors je regroupe juste, il y a un automatisme, voil. Il y a un automatisme de la pense qui peut se dfinir de manire trs vague par l'ensemble des mcanismes inconscients et subconscients. C'est un fait que l'image cinmatographique parce qu'elle est automatique - voyez ma rponse est trs simple, je suis en train de justifier mon invocation l'automatisme de l'image - c'est parce qu'elle est automatique que l'image cinmatographique, ds le dbut, s'est sentie une vritable vocation pour prendre son compte les mcanismes inconscients de la pense que l'on regroupait sous le noms d'automatisme psychologique ou mental Toute une longue descendance avec le changement de rgime du cinma, si je saute dans le plus moderne par exemple, Wells me parat un gnie du cinma hallucinatoire. D'une autre manire, Resnais est un gnie du cinma hallucinatoire. Donc a ne finira pas avec les pionniers tout a, a changera, il y aura des mutations. Mais le cinma, ds le dbut, s'est reconnu une vocation pour exprimer les mcanismes inconscients de la pense et par l, l'automatisme mental et psychologique. Parce que son image tait automatique, il tait vou l'automatisme psychologique ou mental. J'annonce vite ce par quoi nous commencerons la prochaine fois. C'est que, il y a un tout autre ple, je m'intresse toujours aux mcanismes automatisme/pense. Il y a un tout autre ple de l'automatisme par rapport la pense. L'automatisme ne dsigne plus cette fois-ci l'ensemble des mcanismes inconscients ou subconscients de la pense organico-psychique. Il dsigne quoi ? Cette fois-ci il dsigne : l'ordre suprieur d'une logique pure. L'ordre formel des penses qui dborde dans la pense et la conscience elle-mme. Ce n'est plus l'inconscient ou le subconscient, c'est le supra conscient. Ah bon... h oui ! Et l, la philosophie se retrouvait dans son image la plus pure de la pense. Ds le 17me sicle, sicle royal, apparaissait l'expression la plus insolite " l'automate spirituel ", automaton spirituale, dans un langage barbare puisqu'il runi un mot grec et un mot latin. L'automaton spirituale, cette splendide chose, ce splendide concept d'automate spirituel, apparat chez Spinoza. C'est qu'il a quelque chose, vu sa tradition juive comme le Golem, un Golem dans la pense, le grand Golem. Bon, il ne s'agit plus des mcanismes inconscients de la pense du type rves, rveries. Il s'agit de quoi ? Il s'agit de l'ordre formel. coutez moi bien ! Peu importe si vous ne comprenez pas bien encore, a viendra, faut pas tre press, faut entendre d'abord puis comprendre bien aprs, il se peut que vous compreniez dans trois mois. C'est l'ordre formel... L'automate spirituel, c'est l'ordre formel par lequel les penses se dduisent les unes les autres indpendamment de leur objet et indpendamment de toute rfrence leur objet. Ah, ! Vous me direz qu'est-ce que c'est que a ?, a existe une chose comme a ?. Mais vous savez bien que a existe mme si vous ne pratiquez pas et que vous ne savez pas comment a se pratique. La pense dmonstrative n'a jamais t autre chose, je veux dire la pense thormatique, l'enchanement des thormes n'a jamais t autre chose que l'ordre formel par lequel les penses se dduisent les

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unes des autres indpendamment de toute rfrence leur objet. Je veux dire vous dduisez quelque chose de l'ide de triangle indpendamment de savoir s'il y a des triangles, qu'il y ait des triangles ou qu'il n'y ait pas de triangle, vous vous en tapez. La dmonstration thormatique enchane les penses du point de vue formel pur. Vous me direz il y a encore des figures, il y a encore une figure de triangle, tout a, aussi on peut aller plus loin. Et la logique moderne perfectionnera d'une part, sous le nom de logistique et puis sous le nom - et c'est justifi car c'est diffrent de la logistique - d'axiomatique, et l'axiomatique sera bien un enchanement de pense, enchanement formel indpendamment de leur contenu La forme la plus haute de la pense en tant qu'elle enchane, ide avec ide, indpendamment de toute rfrence l'objet, c'est cela l'automate spirituel. L'automate spirituel ft ralis dans l'ordre dmonstratif des thormes, puis dans l'ordre de la dduction, de la logistique, puis dans l'ordre de l'axiomatique et du dveloppement axiomatique. Spinoza nous le verrons, il faudra quand mme bien voir le texte, qui est trs, trs curieux, le texte de Spinoza. O il lance l'automate spirituel comme donc tant une pense supra consciente. C'est la conscience qui dpend de la manire dont la pense enchane les..., il y a un renversement pense / conscience. C'est plus la pense qui dpend de la conscience, c'est la conscience qui dcoule de la pense. La conscience sera un rsultat de l'enchanement formel des ides les unes par les autres par la pense, indpendamment de toute rfrence l'objet. Ce grand renversement spinoziste anime l'automate spirituel. Une aussi bonne formule que l'automate spirituel ne pouvait pas surgir dans la philosophie sans que Leibniz s'en empare immdiatement. Et pour une fois, Leibniz qui n'empruntait pas grand chose Spinoza, lui emprunte immdiatement l'ide de l'automate spirituel pour la simple raison que Leibniz crateur d'une vritable logistique et poussant jusqu'au bout, ds son poque, l'ide d'un formalisme de la pense qui enchane ses ides pour en faire justement ce qu'il appelait une caractristique universelle. Dans cette nouvelle science qui donnera la logistique, deux sicles aprs, trois sicles aprs, dans cette nouvelle science Leibnizienne de la caractristique universelle, toute cette science est mise sous le signe de l'automate mental, l'automate spirituel. Au 20me sicle, un livre qui reste un livre insolite, il faudra voir...un livre qui paratra extraordinairement nouveau mais qui, mon avis, ne fait que pousser jusqu'au bout cet idal classique de l'automate spirituel. C'est le livre de Valry, Monsieur Teste. Et Monsieur Teste, c'est l'automate spirituel ou l'automate mental. Livre qui a eu un grand retentissement au dbut du 20me sicle, je ne sais plus de quand il est, et qui est un livre bien connu de Paul Valry qui prsente l'automate spirituel sous le nom exprs de Monsieur Teste. Car Monsieur Teste c'est quoi ? Teste c'est -comme le dit Valry- c'est la preuve. Et le mcanisme de la preuve c'est quoi ? C'est l'enchanement formel des ides qui dcoulent les unes des autres. Monsieur Teste est celui, dit Valry, qui affirme et qui pose et qui donne l'autonomie de la pense. Et qui porte une pense qui se nourrit de sa propre substance. Loin d'tre un dlire mathmatique de Valry, qui rvait toujours de mathmatiques, il me semble que Monsieur Teste est l'achvement de la pense classique du 17me sicle. Bon vous me direz, voil donc un second sens. Voyez que j'ai deux sens de l'automatisme dans ses rapports avec la pense. L'automatisme, c'est dire les mcanismes inconscient