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24 formation dossier Actualités pharmaceutiques n° 514 Mars 2012 Délivrance d’un médicament anti-Alzheimer à l’officine Une maladie d’Alzheimer a été diagnostiquée chez une patiente âgée de 83 ans dont la fille se rend à l’officine avec la première, puis la deuxième ordonnance délivrée à sa mère dans ce contexte pathologique. M adame Catherine est une patiente âgée de 83 ans. Elle présente comme seul anté- cédent une hypertension artérielle essen- tielle traitée et bien équilibrée par du ramipril 2,5 mg. Depuis 2 ans, elle souffre de troubles de la mémoire impactant les faits récents : elle ne sait plus où elle a rangé ses courses, où elle a posé le téléphone… En revanche, elle se souvient très bien d’éléments plus anciens : la date de naissance de son mari ou de ses petits-enfants, ou encore celle de son mariage. Au début, l’entourage a mis ces troubles sur le compte de l’âge et sur le fait que M me Catherine venait de perdre son mari. Au comptoir, vous vous rendiez compte du fait que la patiente masquait et tentait de compenser ces oublis. Dans un premier temps, son médecin traitant lui a prescrit de l’escitalopram 10 mg, sans succès. Devant cet échec, la patiente a été adressée en hôpital de jour gériatrique afin d’effectuer un bilan de troubles cognitifs. Elle y a consulté des gériatres et une neuro- psychologue. Au bout de 6 mois de suivi, le gériatre a décidé d’introduire un traitement par rivastigmine (Exelon ® ). Au cours de la consultation d’annonce du diagnostic, le médecin a évoqué une maladie d’Alzheimer accompagnée de problèmes vasculaires. La patiente a, de nouveau, rendez-vous dans un mois à l’hôpital de jour gériatrique. Première ordonnance La fille de M me Catherine, très inquiète, se présente à l’officine avec l’ordonnance remise à sa mère par le gériatre (figure 1). Elle évoque alors un certain nombre de questions la préoccupant sur l’état de santé de sa mère. La fille de M me Catherine se demande si sa mère ne souffre pas simplement d’une dépression. Que lui répondez-vous ? La dépression peut s’accompagner de troubles cogni- tifs. Votre maman a eu un traitement adapté à ce type de problème qui a servi de test (traitement d’épreuve) mais n’a pas fonctionné. De plus, elle a bénéficié, en hôpital de jour gériatrique, de tous les examens d’ima- gerie et tous les tests neuropsychologiques nécessai- res à l’établissement du diagnostic. Elle semble déçue que l’ordonnance n’ait été éta- blie que pour un mois. Que lui répondez-vous ? Le médecin doit revoir votre mère dans un mois afin d’évaluer la tolérance du médicament (Exelon ® ) au niveau digestif et au niveau cardiaque, car il peut ralentir le cœur. Un électrocardiogramme (ECG) devra à cet effet être réalisé dans un mois. Si le médicament est bien toléré, les posologies pourront être augmentées. Un autre médicament, la pravastatine, a été éga- lement prescrit. Comment expliquez-vous son utilité ? Bien souvent, plusieurs facteurs interviennent dans la genèse des troubles cognitifs : des problèmes dégé- nératifs et vasculaires. Pour éviter que des artères se bouchent, le médecin a prescrit un protecteur vascu- laire, la pravastatine. La fille de M me Catherine vous demande si la rivastigmine est bien supportée. Que lui répondez- vous ? Exelon ® peut provoquer des nausées ou des vomisse- ments. Ce n’est qu’en l’absence de troubles digestifs Dr François Neurol Hôpital de jour gériatrique 17 rue des Zoublis 21000 Dijon 5 janvier 2012 Mme Catherine (73 ans) Exelon ® 1,5 mg 1 gélule matin pendant 1 mois Pravastatine ® 20 mg 1 le soir Ramipril ® 2,5 mg 1 cp/jour Fortimel ® 1/jour Dr Neurol Figure 1 : Ordonnance du 5 janvier 2012.

Délivrance d’un médicament anti-Alzheimer à l’officine

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Actualités pharmaceutiques n° 514 Mars 2012

Délivrance d’un médicament anti-Alzheimer à l’officine

Une maladie d’Alzheimer a été diagnostiquée chez une patiente âgée de 83 ans

dont la fille se rend à l’officine avec la première, puis la deuxième ordonnance délivrée

à sa mère dans ce contexte pathologique.

Madame Catherine est une patiente âgée de 83 ans. Elle présente comme seul anté-cédent une hypertension artérielle essen-

tielle traitée et bien équilibrée par du ramipril 2,5 mg. Depuis 2 ans, elle souffre de troubles de la mémoire impactant les faits récents : elle ne sait plus où elle a rangé ses courses, où elle a posé le téléphone… En revanche, elle se souvient très bien d’éléments plus anciens : la date de naissance de son mari ou de ses petits-enfants, ou encore celle de son mariage.Au début, l’entourage a mis ces troubles sur le compte de l’âge et sur le fait que Mme Catherine venait de perdre son mari. Au comptoir, vous vous rendiez compte du fait que la patiente masquait et tentait de compenser ces oublis.Dans un premier temps, son médecin traitant lui a prescrit de l’escitalopram 10 mg, sans succès.Devant cet échec, la patiente a été adressée en hôpital de jour gériatrique afin d’effectuer un bilan de troubles cognitifs. Elle y a consulté des gériatres et une neuro-psychologue. Au bout de 6 mois de suivi, le gériatre a décidé d’introduire un traitement par rivastigmine (Exelon®). Au cours de la consultation d’annonce du diagnostic, le médecin a évoqué une maladie d’Alzheimer accompagnée de problèmes vasculaires. La patiente a, de nouveau, rendez-vous dans un mois à l’hôpital de jour gériatrique.

Première ordonnanceLa fille de Mme Catherine, très inquiète, se présente à l’offi ci ne avec l’ordonnance remise à sa mère par le gériatre (figure 1). Elle évoque alors un certain nombre de questions la préoccupant sur l’état de santé de sa mère. La fille de Mme Catherine se demande si sa mère

ne souffre pas simplement d’une dépression. Que lui répondez-vous ?La dépression peut s’accompagner de troubles cogni-tifs. Votre maman a eu un traitement adapté à ce type de problème qui a servi de test (traitement d’épreuve) mais n’a pas fonctionné. De plus, elle a bénéficié, en

hôpital de jour gériatrique, de tous les examens d’ima-gerie et tous les tests neuropsychologiques nécessai-res à l’établissement du diagnostic. Elle semble déçue que l’ordonnance n’ait été éta-

blie que pour un mois. Que lui répondez-vous ?Le médecin doit revoir votre mère dans un mois afin d’évaluer la tolérance du médicament (Exelon®) au niveau digestif et au niveau cardiaque, car il peut ralentir le cœur. Un électrocardiogramme (ECG) devra à cet effet être réalisé dans un mois. Si le médicament est bien toléré, les posologies pourront être augmentées. Un autre médicament, la pravastatine, a été éga-

lement prescrit. Comment expliquez-vous son utilité ?Bien souvent, plusieurs facteurs interviennent dans la genèse des troubles cognitifs : des problèmes dégé-nératifs et vasculaires. Pour éviter que des artères se bouchent, le médecin a prescrit un protecteur vascu-laire, la pravastatine. La fille de Mme Catherine vous demande si la

rivastigmine est bien supportée. Que lui répondez-vous ?Exelon® peut provoquer des nausées ou des vomisse-ments. Ce n’est qu’en l’absence de troubles digestifs

Dr François NeurolHôpital de jour gériatrique

17 rue des Zoublis

21000 Dijon

5 janvier 2012 Mme Catherine (73 ans)

Exelon® 1,5 mg 1 gélule matin pendant 1 mois

Pravastatine® 20 mg 1 le soir

Ramipril® 2,5 mg 1 cp/jour

Fortimel® 1/jour

Dr Neurol

Figure 1 : Ordonnance du 5 janvier 2012.

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Actualités pharmaceutiques n° 514 Mars 2012

Appréhender les troubles cognitifs à l'officine

– et d’anomalies repérées à l’électrocardiogramme –, que les posologies du médicament pourront être augmentées. Le médecin a prescrit Fortimel® car l’alimenta-

tion de la patiente n’est pas assez riche en protéi-nes. Sa fille vous questionne à ce propos et vous demande des conseils pratiques pour augmenter la teneur des repas en protéines.Les protéines sont utiles à la constitution des muscles. De plus, un bon apport protéique permet d’éviter les chutes. Pour augmenter la teneur des repas en protéi-nes, il convient d’ajouter du gruyère sur la purée et dans la soupe, et du lait en poudre dans le lait, la purée et le café, mais également de manger des aliments tels que sardines, thon, jambon, œuf, etc.

Deuxième ordonnanceUn mois plus tard, la fille de Mme Catherine revient à l’officine avec une ordonnance délivrée à sa mère à l’occasion d’une nouvelle consultation en hôpital de jour gériatrique (figure 2). Le médicament a été bien toléré sur le plan cardiaque (ECG sans modification) et l’absence de troubles digestifs a été constatée.

La fille de la patiente s’étonne du fait que le dosage du médicament Exelon® ait changé puisque le traitement convient très bien à sa mère. Que lui répondez-vous ?Effectivement, le gériatre a augmenté la dose. Votre mère ayant bien toléré la première prescription à 1,5 mg/jour, le médecin a estimé qu’il pouvait pres-crire un dosage supérieur afin d’améliorer l’efficacité du traitement. Pour limiter les nausées ou troubles digestifs qui peuvent survenir avec ce médicament, il est préférable que votre mère le prenne en fin de repas, matin et soir.

Deux jours après, la fille de Mme Catherine revient à l’officine, inquiète : « Maman s’est trouvée nauséeu se toute la journée d’hier. Ce matin, elle a même vomi une heure après avoir pris son médi-cament. Doit-elle en reprendre un maintenant ? » Que lui répondez-vous ?Votre mère ne doit pas doubler la dose de médicament. Apparemment, elle supporte mal l’augmentation du dosage. Je vous propose de contacter le gériatre.La conversation téléphonique avec le gériatre aboutira à une réduction de la dose d’Exelon® (1,5 mg le matin).

ConclusionLe diagnostic de maladie d’Alzheimer provoque souvent une grande angoisse et moult questionnements. Le pharmacien, qui rencontre le plus souvent un proche à l’officine, doit savoir expliquer les tenants et les abou-tissants du traitement délivré et rassurer l’aidant. �

François Pillon

Docteur en pharmacie et en médecine,

Chef de clinique en pharmacologie clinique, Dijon (21)

[email protected]

Déclaration d’intérêts : l’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Dr François NeurolHôpital de jour gériatrique

17 rue des Zoublis

21000 Dijon

6 février 2012 Mme Catherine (73 ans)

Exelon® 1,5 mg 1 gélule matin et soir pendant 2 moisPravastatine® 20 mg 1 le soir pendant 2 moisRamipril® 2,5 mg 1 le matin pendant 2 mois

Dr Neurol

Figure 2 : Ordonnance du 6 février 2012.

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