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DEMANDE DU CLIENT, DESIR DU CONSULTANT Maryse DUBOULOY INTRODUCTION Longtemps, nombre de dirigeants ont considéré que restructuration et réorganisation étaient une solution aux problèmes de productivité, de coûts fonctionnements, de prises de décision trop longues, de rigidité. Dans le même temps, les réductions du personnel étaient identifiées comme une des principales sources de productivité, voire d'efficacité (Hammer & Stanton, 99; Nickols, 1994; Rayport & Jaworski, 2004; Richman, 1995; Roach, 1996, p.476). Or, si avec de telles pratiques, la performance s'améliore parfois, en termes de rentabilité du capital investi, les résultats se nuancent considérablement sur d'autres critères (Janod & Saint-Martin, 2004) et les dysfonctionnements n'en disparaissent pas pour autant. De plus, dans bien des cas, il s'avère que ces réorganisations sont à l'origine de destruction de valeur, alors qu'elles étaient supposées en créer. L'innovation régresse (Roach, 1996), les compétences ne se renouvellent pas. Petit à petit, les managers et les DRH font le constat d'un autre effet pervers des restructurations : la souffrance des personnes. (Amiel, 1999; Buch & Aldridge, 1990; Dejours, 1998; Dubouloy, 1996, 2002; Fabre, 1997; Kets de Vries & Balazs, 1996, 1999; Paillot, 1996; Roussillon & Bournois, 1996). Stress, dépression, accidents, maladies psychosomatiques de toutes sortes, démissions et passages à l'acte divers accompagnent les restructurations. Les sentiments d'insécurité, d'iniquité, de culpabilité, la colère et la dépression diminuent les sentiments de loyauté à l'égard de l'entreprise, affectent le moral, les attitudes et 407

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Longtemps, nombre de dirigeants ont considéré que restructuration et réorganisation étaient une solution aux problèmes de productivité, de coûts fonctionnements, de prises de décision trop longues, de rigidité. Dans le même temps, les réductions du personnel étaient identifiées comme une des principales sources de productivité, voire d'efficacité (Hammer & Stanton, 99; Nickols, 1994; Rayport & Jaworski, 2004; Richman, 1995; Roach, 1996, p.476). Or, si avec de telles pratiques, la performance s'améliore parfois, en termes de rentabilité du capital investi, les résultats se nuancent considérablement sur d'autres critères (Janod & Saint-Martin, 2004) et les dysfonctionnements n'en disparaissent pas pour autant.

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DEMANDE DU CLIENT, DESIR DU CONSULTANT

Maryse DUBOULOY

INTRODUCTION Longtemps, nombre de dirigeants ont considéré que restructuration et réorganisation étaient une solution aux problèmes de productivité, de coûts fonctionnements, de prises de décision trop longues, de rigidité. Dans le même temps, les réductions du personnel étaient identifiées comme une des principales sources de productivité, voire d'efficacité (Hammer & Stanton, 99; Nickols, 1994; Rayport & Jaworski, 2004; Richman, 1995; Roach, 1996, p.476). Or, si avec de telles pratiques, la performance s'améliore parfois, en termes de rentabilité du capital investi, les résultats se nuancent considérablement sur d'autres critères (Janod & Saint-Martin, 2004) et les dysfonctionnements n'en disparaissent pas pour autant.

De plus, dans bien des cas, il s'avère que ces réorganisations sont à l'origine de destruction de valeur, alors qu'elles étaient supposées en créer. L'innovation régresse (Roach, 1996), les compétences ne se renouvellent pas. Petit à petit, les managers et les DRH font le constat d'un autre effet pervers des restructurations : la souffrance des personnes. (Amiel, 1999; Buch & Aldridge, 1990; Dejours, 1998; Dubouloy, 1996, 2002; Fabre, 1997; Kets de Vries & Balazs, 1996, 1999; Paillot, 1996; Roussillon & Bournois, 1996). Stress, dépression, accidents, maladies psychosomatiques de toutes sortes, démissions et passages à l'acte divers accompagnent les restructurations. Les sentiments d'insécurité, d'iniquité, de culpabilité, la colère et la dépression diminuent les sentiments de loyauté à l'égard de l'entreprise, affectent le moral, les attitudes et

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MARYSE DUBOULOY les comportements des collaborateurs et, en dernier ressort, la performance des entreprises.

Si cette dimension oubliée des restructurations, difficilement mesurable, est rarement l'objet des préoccupations des dirigeants au moment où ils décident des réorganisations (Amiel, 1999; de Gaulejac, 2005; Dubouloy, 2003; Giust-Desprairies, 2001; Kets de Vries & Balazs, 1997; Mohsen, 2000), les demandes d'intervention se multiplient auprès des consultants, une fois qu'elles ont eu lieu. La nature de ces demandes évolue. Elles sont à la hauteur du désarroi des dirigeants. De plus en plus souvent, elles prennent en compte, de façon plus implicite ou qu'explicite, la souffrance des salariés. Il ne s'agit plus d'opposer rationalité économique, produit d'une pensée instrumentale, positive et bien définie visant à la maîtrise du réel et un autre type de pensée plus difficilement définissable qui renverrait à une connaissance faisant une large part au vécu des personnes, à l'intuition, aux émotions, à la recherche du sens, voire à leur inconscient (Jeannet, 1997).

De tout temps, les consultants, se référant à la psychosociologie, ont identifié la souffrance des individus est une donné récurrente de leurs interventions (Barrus-Michel, Giust-Desprairies, & Ridel, 1996; Giust-Desprairies, 2001; Lévy, 2000; Schein, 1993).

Mais malheureusement, tous les dirigeants ne sont pas sensibles à cet aspect des restructurations, et les demandes des dirigeants-clients évoluent beaucoup moins vite que les recherches et les pratiques de certains consultants.

Cet article pose la question de ce que doit faire un consultant, quand il perçoit cette souffrance et que le dirigeant ne veut pas en entendre parler ? Pour apporter des éléments de réponse, cet article relate une intervention que j'ai faite. Je me suis trouvée dans la situation où le dirigeant-client persistait à demander une intervention centrée sur l'acquisition de connaissances et de comportements managériaux alors qu'il était clair, pour moi, que la souffrance psychique de certaines personnes mettrait en échec de tels objectifs. Par contre je pensais devoir intervenir auprès des salariés pour leur permettre de donner du sens à cet souffrance. Cet article tend à montrer qu'il peut être problématique, voire dangereux, de chercher à aller au-delà de la demande du client.

Dans une première partie, j'aborde rapidement certaines caractéristiques des interventions se réclamant de la psychosociologie clinique. J'évoque, également, en quoi la psychanalyse et en particulier l'analyse de la demande, des relations transférentielles et contre-transférentielles apporte un éclairage déterminant à ce type d'intervention.

Dans une seconde partie, je rends compte d'une intervention préalable à celle qui fait l'objet de ma réflexion et qui a été déterminante quant aux choix que j'ai faits pour cette nouvelle intervention. Je développe en particulier les

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DEMANDE DU CLIENT, DESIR DU CONSULTANT notions de travail de deuil et espace transitionnel qui constituent les références théoriques sous-jacentes à la construction du dispositif d'intervention.

La troisième partie est consacrée à la demande du dirigeant et l'analyse des raisons pour lesquelles je n'ai pas voulu (et sans doute pas pu) l'entendre et y répondre.

La partie suivante relate l'intervention elle-même et plus particulièrement la première demis journée et la séance de bilan à l'issue du troisième jour.

Cet article se termine sur une conclusion qui reprend les principaux éléments LA PSYCHOSOCIOLOGIE CLINIQUE

Le lien entre les individus et l'organisation Certaines situations se prêtent davantage que d'autres à l'approche

psychosociale clinique. En effet, certains phénomènes d'entreprise sont particulièrement difficiles à saisir avec les approches méthodologiques traditionnelles. (Kets de Vries & Balazs, 1999; Schein, 1993). Ceci est particulièrement avéré quand il s'agit de la souffrance provoquée par des changements organisationnels, lors desquels la dimension humaine a été négligée ou insuffisamment prise en compte (Dubouloy, 2002). La psychosociologie se donne pour objet l'étude des relations des personnes entre elles, mais également des relations entre les individus et les structures organisationnelles. Il s'agit de porter son attention sur les phénomènes psychologiques intra et interpsychiques (pouvoir, affirmation de soi, reconnaissance) qui s'articulent dans des dynamiques collectives (appartenances, processus identitaires, conflit, collaboration…) et organisationnelles (changement de stratégie, réorganisation, innovation, …). Le lien social y est interrogé sous de multiples formes (Barrus-Michel et al., 1996). Le rôle du consultant en psychosociologie est souvent de faire le rapprochement entre ce qui apparaît comme des problèmes purement organisationnels ou sociaux et les aspects intra ou/et inter psychiques de ces mêmes problèmes.

A l'écoute des individus et production de sens Dans les nombreuses définitions de l'approche clinique, on retrouve

systématiquement l'idée qu'il s'agit de se mettre à l'écoute des personnes en situation (Barrus-Michel, 1999; de Gaulejac, 2002; Enriquez, 1992; Giust-Desprairies, 2001; Lévy, 1997; Uhalde, 2002). Gaulejac précise que c'est à la fois un agent, un acteur et une personne qu'il faut entendre. L'agent se définit par la fonction et le rôle qui lui sont attribués par l'organisation. On ne lui demande pas d'avoir un regard personnel et critique sur sa mission. Par contre, l'acteur est sollicité dans ses capacités réflexives et créatives. Quant à la personne, elle est

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MARYSE DUBOULOY définie "par les façons d'être, de penser et d'agir singulières qui caractérisent son identité propre (de Gaulejac, 2002, p.33)."

Il ne suffit pas de les écouter, encore faut-il qu'ils puissent se réapproprier le sens de leur histoire. En effet, la psychosociologie clinique se refuse à se substituer aux personnes pour prononcer à leur place les mots signifiants qui leur permettent d'accéder au sens. Le consultant n'est, en aucun cas, le dépositaire d'un savoir sur les personnes et leurs situations (Lévy, 1997). Le sens est ce qui permet aux personnes concernées de comprendre la situation dans laquelle elles se trouvent, les relations qu'elles entretiennent les unes avec les autres, ce qu'elles font et pourquoi elles le font. Le sens permet à ces personnes de devenir des acteurs sociaux, c'est à dire d'avoir prise sur les événements à défaut de les maîtriser. Il crée du lien social et des solidarités. "Le sens ne s'élabore que dans la relation aux autres, l'échange et la réciprocité." (Barrus-Michel, 1999, p.32). Pour le consultant qui se réfère à la psychosociologie, il s'agit donc de créer des espaces d'échanges d'expériences et d'analyses collectives de celles-ci.

La psychanalyse à la découverte du sens caché Cependant, force est de reconnaître que certains propos, faits ou

comportements observables demeurent parfois bien obscurs. Il peut y avoir un écart important entre les raisons que les individus donnent à leurs conduites et les raisons réelles qui les ont poussée à les adopter (Gabriel, 2002). C'est pourquoi, lors d'intervention en entreprises, certains intervenants ont recours à la psychanalyse dont le paradigme est l'exploration les processus psychiques qui demeurent inaccessibles par d'autres moyens (Freud, 1923) pour éclairer la dynamique des situations (Arnaud, 1998; Barrus-Michel, 2002; Barrus-Michel et al., 1996; Czander & Eisold, 2003; Driver, 2003; Gabriel, 1999). La psychanalyse est également un moyen privilégié pour prêter attention et interpréter la dimension émotionnelle des situations qui laisse démuni plus d'un consultant traditionnel (Amstrong, 1998).

Par ailleurs, la psychanalyse mobilise une approche dialectique des contradictions, en particulier de ce qui peut opposer les individus entre eux ou encore les individus et l'organisation. Elle s'intéresse également à la façon dont les conflits intrapsychiques d'un individu se répercute sur les autres personnes et l'organisation. Lors de changement organisationnel, elle favorise la sortie de crise, en mettant à jour des mécanismes de défense trop rigides et souvent inadaptés, figeant, dans une répétition sans fin, un passé révolu (Barrus-Michel, 1999; Dubouloy, 2005). Nous verrons plus loin que ceci est très utile pour comprendre la dynamique des processus de deuil.

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La position paradoxale du psychosociologue clinicien entre sens et efficience

Les interventions menées par des psychosociologues d'inspiration psychanalytique conduisent au moins autant à la découverte des ressorts conscients et inconscients des situations et de l'action (ou des résistances qui s'opposent à celle-ci), qu'à la mise en mouvement des acteurs sociaux. Il s'agit d'aider les individus à interroger leurs représentations du monde, ce qu'elles peuvent avoir de subjectif, en relation avec la situation et l'histoire des uns et des autres, combien, parfois, elles sont déformées par la projection de leur monde intérieur sur le monde extérieur. Il s'agit de favoriser la prise la prise de conscience des désirs et de leur ambivalence. Ces découvertes contribuent également à favoriser la perception du monde tel qu'il est réellement, et non plus à travers leur seule subjectivité et leurs fantasmes. La question de l'efficience, tant attendue des dirigeants est secondaire pour un tel consultant, par rapport à celles du sens. L'efficience n'a pas besoin de la parole qui fait sens, elle se contente de la connaissance des règles, la coordination de l'action en vue de la production. La parole qui fait sens peut produire des questions, de l'individualisme voire de l'antagonisme, quand les mots de l'efficience construisent de la cohésion (Barrus-Michel, 1999; Giust-Desprairies, 2001). Le sens est, aussi, ce qui conduit les personnes à s'engager en tant qu'acteurs et sujets dans la stratégie d'entreprise et non plus en tant que simple agent1. Les personne (les sujets) n'agissent plus selon des règles et des comportements intériorisés, mais sur la base de leurs désirs, de nouvelles perceptions du monde qu'ils partagent, (Boog & Logger, 2001).

L'intervention du consultant peut, alors, être en contradiction avec la demande du client centrée sur l'efficience à court terme. A l'instar de la pression qui s'exerce sur eux pour produire du résultat, et qu'ils exercent en retour sur leurs collaborateurs, ils risquent fort d'exiger la même chose de la part des consultants. En effet, même sensibles à la dimension humaine des restructurations, Tout dirigeant ne souhaite pas que ces choix stratégiques soient remis en question. La demande des entreprises est souvent celle d'une meilleure adaptation des individus à l'organisation, sans passer nécessairement par la prise de conscience de ceux-ci sur les tenants et les aboutissants individuels et collectifs de leur situation. Même si on proclame aujourd'hui la nécessité de l'autonomie des collaborateurs, les décideurs cherchent souvent à faire l'économie de ce qui permet de la construire (Dubouloy & Alexandre-Bailly, 2003). Parfois, ceci peut être perçu comme dangereux. Dans une moindre mesure, elle apparaît comme inutile, consommatrice de temps.

1 En référence aux définitions de V. de Gaulejac

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Ainsi, ces situations contradictoires, voire paradoxales, mobilisent le consultant sur bien d'autre registres que se seule expertise en management ou en psychosociologie des organisations.

L'analyse du transfert et du contre-transfert Avec la capacité à déchiffrer et interpréter l'inconscient et à comprendre

les mécanismes de défense, l'analyse de la demande et celle du transfert et du contre-transfert est, selon Czander et Eisold (2003), ce qui caractérise les interventions d'orientation psychanalytique. Elle "peut aider le chercheur (et le consultant) immergé dans une organisation à mieux appréhender le contexte de se recherche, à analyser plus finement son rapport au terrain et à s'y positionner en toute connaissance de cause (mode d'approche, gestion des relations avec les acteurs, ect.) (Arnaud, 2003, p.83)." L'analyse du transfert va permettre au consultant de percevoir jusqu'à quel point il est instrumentalisé par le client, qu'il soit pris en otage, qu'il devienne la garantie de ses choix, le bras séculier de missions dont le client ne veut pas s'acquitter; il peut encore être un alibi, ou un fusible qui sautera à la première occasion (Arnaud, 1998; Czander & Eisold, 2003). Ainsi, à l'instar du psychanalyste, le consultant doit "procéder à l'analyse des présupposés axiologiques, idéologiques ou culturels qui structurent sa perception de la réalité qu'il a à interpréter, mobilisent ses affects, ses fantasmes et ses jugements dans la confrontation aux situations dans les quelles il intervient, sans pour autant renoncer à l'indispensable élaboration classiquement mise en œuvre dans l'espace de la cure (Diet, 2002, p.79)". Cette analyse devient ainsi un puissant levier de compréhension. Elle est, au contraire, une source de danger si elle n'est pas faite. Le contre-transfert, peut réduire à néant l'objectivité du consultant, car nul n'est "neutre". Chaque consultant aborde toute nouvelle intervention riche d'une expérience passée… mais qui risque de devenir un ensemble de préjugés et de partis pris, si elle n'est pas réinterrogée en permanence (Czander & Eisold, 2003). L'absence ou la faiblesse de l'analyse transférentielle / contre-transférentielle conduisent souvent à la projection de sentiments non analysés, de motivations cachées et de représentations de soi qui viennent se superposer à l'analyse de la situation et perturber celle-ci (Diamond, 1993). En dernière instance, le consultant prend le risque de se trouver pris dans des relations de pouvoir ou des situations de crise sur lesquelles il est supposé précisément intervenir. Se sentant menacé, le danger devient alors celui du passage à l'acte, de l'interprétation sauvage, dans un processus d'identification et de projection avec les personnes avec lesquelles il intervient.

C'est, en partie, à cause de ce type de défaillances que l'intervention qui fait l'objet de cet article s'est déroulée de la façon que nous allons examiner maintenant.

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UNE PREMIERE INTERVENTION J'ai été contactée personnellement par le dirigeant2 d'une entreprise d'insertion, à la suite à une intervention que j'avais faite dans une première entreprise d'insertion. Il est intéressant de présenter brièvement cette précédente intervention car elle est détermine grandement les options que j'ai prises pour la seconde intervention relatée dans cet article.

Apprivoiser le management et ses outils Cette première intervention avait pour objectif d'aider des directeurs

d'entreprises régionales d'insertion à comprendre l'intérêt des outils de gestion et se faire à l'idée qu'ils devront les utiliser3. Il s'agissait de réduire leurs réticences et de les familiariser avec quelques approches de management telles que la stratégie d'entreprise, le marketing, le contrôle de gestion et les théories du leadership. En effet, les aides et subventions de l'Etat destinées à ce secteur de l'économie sociale avaient tendance à s'amenuiser de façon inquiétante. S'ils voulaient survivre et continuer à assurer leur mission, outre le travail de lobbying à effectuer auprès des instances politiques et autres, le Directeur Général était convaincu qu'il fallait faire évoluer les méthodes de gestion en vigueur jusqu'à ce jour. Après une série d'entretiens avec les personnes concernées par mon intervention, j'avais pu constater que pour un certain nombre de ces personnes, ceci était vécu t comme une réorientation insupportable vers une logique purement économique, et le renoncement pur et simple à la dimension sociale de l'insertion. Le DG souhaitait la mise en place d'un dispositif prenant en compte les sentiments de perte liée aux nouvelles orientations stratégiques et managériales, et les renoncements et souffrances qui lui étaient inévitablement liés. Je me trouvais dans cette position évoquée par Gaulejac où le dirigeant cherche "un expert sortis du même moule, c'est-à-dire formé dans les écoles de gestion et de management" et qui soient simultanément "porteur d'un autre langage, capable de proposer d'autres visions, de redonner du sens (de Gaulejac, 2002)". Une vision commune et une confiance mutuelle avaient permis de co-construire un dispositif d'intervention, fondé sur les concepts de processus de deuil et d'espace transitionnel (Winnicott, 1975).

Traverser la souffrance : travail de deuil et espace transitionnel Il peut-être utile de préciser ce qu'est le processus de deuil et dans

quelle mesure il peut se révéler pertinent pour ce type d'intervention. "Le deuil

2 Par commodité, je l'appellerai M. Vierzon. 3 La demande d'intervention pour cette formation m'avait été faite par le DG de l'entreprise, suite à la lecture d'un article que j'avais écrit sur les processus de deuil dans les entreprises (Dubouloy, 1996).

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est régulièrement la réaction à la perte d'une personne aimée ou d'une abstraction mise à sa place, la patrie, la liberté, un idéal, etc. (Freud, 1917)" Plus généralement, "il y a deuil chaque fois qu'il y a perte, refus, frustration. (...) Le deuil est cette frange d'insatisfaction ou d'horreur, selon le cas, par quoi le réel nous blesse et nous tient, d'autant plus fortement que nous tenons davantage à lui (Comte-Sponville, 1995)." En fait, aujourd'hui, on admet que le processus de deuil s'applique chaque fois qu'un individu se trouve en situation de renoncer, d'abandonner à un objet qui a été fortement investi.

Avant d'arriver à l'ultime étape de l'acceptation de la disparition de la situation antérieure et des divers attachements qu'elle représente, les personnes doivent passer par quatre phases successives4. Après une première phase de rejet, vient la phase de "déliaison des pulsions" (Hanus, 1994). Au cours de cette étape, l'ambivalence des sentiments portés à ce qui est disparu se trouve scindée entre des sentiments de rejet d'un côté, et d'idéalisation de l'autre. C'est un passé mythique et idéalisé qui prend la place d'une réalité révolue. Quant à l'avenir, il devient l'objet de projections négatives, et est vécu comme indésirable et inadéquat (Dubouloy, 1996, 2002; Hanus, 1995). Au quotidien, cela se traduit par des résistances, et parfois une violence incompréhensible et inacceptable pour ceux qui ne sont pas eux-mêmes prisonniers du passé. Puis, vient le temps de la dépression et du rétablissement.

Plus que jamais, la dépression des uns donnent aux autres le sentiment d'urgence des actions à entreprendre. Ce sont ces écarts et ces incompréhensions réciproques, sources de multiples dysfonctionnements qui justifient le recours aux consultants extérieurs.

C'est précisément parce qu'il y a beaucoup d'émotions, de non-dits qu'il est intéressant que les consultants mobilisent une approche psychosociologique d'inspiration psychanalytique, pour intervenir dans des entreprises traversant des périodes de changements importants qui provoquent perte et souffrance. Ainsi, il est important de laisser de la place aux émotions et au temps pour que les maux se mettent en mots et prennent sens et qu'ils ne s'expriment pas en actes violents destructeurs. Pour cela, il est nécessaire de créer un espace collectif de confiance et de sécurité afin que les interactions puissent se développer entre les individus qui souffrent et ceux qui ont traversé plus rapidement le processus de deuil. Le concept d'espace transitionnel développé par Winnicott permet ce type d'approche, dans la mesure où il peut être considéré comme un retrait momentané du monde réel, puis un retour progressif vers celui-ci. A l'instar du petit enfant, pour qui le monde extérieur n'existe pas, et qui doit renoncer aux

4 Pour une description plus complète de l'ensemble du processus de deuil dans l'entreprise du point de vue psychanalytique, il est possible de consulter un article qui le détaille (Dubouloy, 1996).

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DEMANDE DU CLIENT, DESIR DU CONSULTANT relations fusionnelles avec sa mère, pour conquérir progressivement son autonomie et sa capacité d'agir de façon créative sur ce monde qu'il découvre, l'endeuillé doit se détacher de son passé pour participer à la construction du monde à venir. A l'instar de la "mère suffisamment bonne" (Winnicott, 1969), le consultant doit mettre en place un dispositif qui permette ce mouvement de retrait et de régression vers le passé; l'expression des émotions, les interactions entre les individus pour la mise en sens de ce qui se passe. Le dispositif doit présenter un cadre sécurisant et contenant (Kaës, 1987), mais suffisamment souple pour que le travail d'élaboration se fasse au rythme des personnes concernées.

Ainsi, l'intervention avait évolué au fur et à mesure de la prise de conscience et l'élaboration des renoncements nécessaires. La dynamique des échanges entre participants, et entre les participants et moi-même et de la confrontation a permis l'acceptation progressive des nouvelles pratiques managériales. L'ambiance s'est progressivement détendue, elle est devenait moins douloureuse. Et si certaines personnes sont reparties en maintenant leurs positions, d'autres au contraire rejetaient beaucoup moins ces approches managériales, certaines en voyaient toute l'utilité.

A l'issue de cette formation, une personne du groupe m'a recommandée au dirigeant de l'entreprise concernée par cet article. UNE DEMANDE QUE JE NE VEUX PAS ENTENDRE C'est donc avec en tête cette intervention à laquelle il a fait référence, que j'ai une conversation téléphonique avec M. Vierzon. Pendant plus d'une demie heure, il m'expose ce qu'il attend de moi, sans me donner beaucoup d'information sur son entreprise. Cependant, la teneur de ses propos me laisse penser qu'il s'agit du même type d'intervention centré sur les personnes et les difficultés qu'elles ont à s'adapter à un nouvel environnement et de nouvelles règles du jeu. Nous convenons d'un rendez-vous à une date rapprochée. M. Vierzon se dit dans l'urgence.

Or si la thématique était sensiblement identique, le contexte s'est révélé très différent.

Le besoin de l'entreprise Après une attente de plus d'une heure, je suis reçue pour une première

entrevue par le Directeur Général et le DRH d'une entreprise d'insertion d'envergure nationale. M. Vierzon m'informe sur le contexte.

Il est arrivé deux ans auparavant, et s'est donné, entre autres missions, une reprise en main et une professionnalisation des directeurs régionaux. Depuis cette date, 60% de l'encadrement de cette entreprise a quitté l'entreprise. Il me

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demande d'intervenir auprès de ces directeurs régionaux et de quelques cadres du siège social. Je mets un certain temps à comprendre, qu'en fait, les entreprises régionales dont il parle, sont des associations régies par la loi de 1901. Il attend de moi que je l'aide à transformer les actuels directeurs en "managers" et gestionnaires. Pour le DG, il est clair que certaines tâches doivent être mieux assurées, et, en particulier, le pilotage des directions régionales et l'utilisation de tableaux de bord dont la plupart refusent l'utilisation. Il me demande d'intervenir à un niveau opérationnel et pragmatique, visant la mise en place de comportements managériaux qui correspondent au modèle qu'il a en tête. Selon lui, les directeurs régionaux étant mieux armés face à un environnement de plus en plus difficile, le turn-over devrait diminuer.

Au cours de ce premier entretien, j'apprends également que les deux tiers des personnes qui étaient parties étaient majoritairement d'anciens éducateurs sociaux alors que les nouveaux arrivants sont diplômés d'école de gestion et /ou ont fait des passages dans des enseignes phares de la grande distribution5. Il me laisse entendre qu'il y a des tensions entre les "nouveaux" et les "anciens". Il précise, cependant, que, tous, "nouveaux" et "anciens", sont, selon lui, fortement impliqués dans la mission sociale de l'entreprise. Ils me sont également présentées comme ayant, pour la plupart, de "forte personnalité".

Les personnes concernées par l'intervention, au total un peu plus d'une trentaine.

Je pose une série de questions afin de comprendre en quoi les directeurs régionaux doivent modifier leurs pratiques, tout ce qu'ils sont supposés faire pour s'adapter à ces nouvelles conditions de l'environnement et répondre aux attentes du DG. Je cherche également à identifier ce à quoi ils doivent renoncer : position, statut, fonction, rôle, place, pratiques et représentation d'eux-mêmes et de leur mission. Tout en donnant quelques informations sur le processus de deuil, j'en évoque la possibilité par rapport à une situation antérieure.

Malgré des demandes répétées, je ne parviens pas à obtenir des éclaircissements sur les raisons et les conditions du départ de son prédécesseur. Il semble y avoir un véritable tabou sur le sujet. Mes questions relatives au climat de son entreprise et un éventuel mal-être ou résistance au changement, liés au départ brutal de son prédécesseur sont écartées fermement et ironiquement par le DG, alors que le DRH approuve timidement cette hypothèse.

Alors que je demande à rencontrer quelques directeurs, afin de construire ma proposition d'intervention, M. Vierzon s'y oppose et me propose

5 Activité en relation avec l'activité de l'entreprise d'insertion.

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cette hypothèse
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DEMANDE DU CLIENT, DESIR DU CONSULTANT d'en voir certains lors de la présentation de mon projet qui aura lieu simultanément à la réunion du Comité Exécutif.

Analyse de cette première entrevue : demande, désir et… malentendus Sur le moment, je fais l'analyse suivante de la situation. La mise en

place d'outils de pilotage est, sans doute, perçue par beaucoup, comme une façon de centraliser les décisions et de réduire d'autant leur capacité à s'adapter à un contexte local. La plupart doivent vivre également cela comme une diminution de leur pouvoir et de leur autonomie. Je perçois ce qu'il peut y avoir d'ambivalence dans les attentes de M. Vierzon, à l'égard de ses collaborateurs : il souhaite les rendre plus autonomes et responsables, tout en renforçant les outils de contrôle et la mise sous tutelle.

M. Vierzon est focalisé sur la dimension technocratique du problème. Selon lui, seul "l'agent" doit être concerné par mon intervention. L'acteur n'est concerné dans sa capacité réflexive que si celle-ci a vocation à aller dans le sens défini par la Direction. Quant à la personne, en proie à ses questions identitaires, à ses émotions et sa souffrance, il n'est pas question de s'y intéresser.

Le DG ne veut voir en moi qu'une consultante, experte dans la mise en place d'outils de management. J'entends également que cela le flatte que ce soit un professeur d'une grande école qui se penche au chevet de son entreprise. Cela lui permet également de valoriser et crédibiliser ses collaborateurs, mais aussi l'intervention et lui-même. Cette réaction est d'autant plus légitime que j'ai annoncé mon intention de pratiquer des prix d'intervention nettement en dessous de ceux habituellement en vigueur. Cela me semble "normal" compte tenu de la nature de l'entreprise, mais cela avait également pour fonction de me déculpabiliser, face à un monde où les personnes vivent dans des conditions particulièrement précaires.

Je ne comprends ni son refus d'entendre que ses collaborateurs puissent être en difficulté du fait d'un passé auquel ils ne parviennent pas à renoncer, ni son refus de me parler du départ de son prédécesseur. Je fantasme que celui-ci, également créateur de l'entreprise, était un leader charismatique, mais qu'il est parti suite à quelques malversations. Il y aurait comme un péché originel inavouable.

Je ne cherche pas à me renseigner davantage sur ce que je perçois d'angoisse derrière ce déni. Je ne ente pas davantage à interpréter le sens du contre-transfert qui se cache derrière ce fantasme de malversation. Si je perçois une certaine volonté d'instrumentation et de manipulation de sa part à mon encontre et sans doute à l'encontre de ses collaborateurs, "j'oublie" la recommandation d'Arnaud : "ceux qui cherchent à manipuler les autres peuvent eux-mêmes être manipulés par leur propre inconscient (Arnaud, 1998, p. 476)".

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par mes collègues.
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du directeur général
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remarque
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Page 12: Demande du client désir du consultant

MARYSE DUBOULOY

Aujourd'hui, mon interprétation de la situation est la suivante : - Il me demande d'atteindre des objectifs contradictoires (transformer son

encadrement en managers "autonomes" et "sous tutelle") et irréalistes (réduire le turn-over), avec de toute façon, des investissements en temps et en argent très largement insuffisants.

- La demande de M. Vierzon est ambivalente, il s'adresse à moi, investie sans doute d'une toute-puissance liée à mon appartenance à une grande école prestigieuse, à mes connaissances à la en stratégie d'entreprise et en psychosociologie des organisations et simultanément, et me rend impuissante en m'imposant sa vision de la situation et de l'intervention et en ne me donnant pas les moyens d'y parvenir (temps et budget). S'il me transforme en instrument de sa propre stratégie, il ne met pas moins en danger ses propres positions de pouvoir et de domination à l'égard de ses collaborateurs, en me demandant une intervention. Il faut donc que j'échoue

- Il sait également que la souffrance des individus me tient à cœur, mais il me demande de faire comme si elle n'existait pas, et il "m'interdit" de la prendre en compte dans mon intervention. Cette souffrance a réveillé à sa propre souffrance dont il ne veut rien savoir et qui et l'angoisse profondément.

- Me présenter ses collaborateurs comme des personnes à forte personnalité signifie pour moi qu'il rencontre une opposition qu'il supporte mal et qu'il ne parvient pas à contrer. Ne pas maîtriser les situations et les hommes réveillent également en lui une certaine forme d'angoisse.

- Pourtant, mettre ensemble 30 personnes qui, pour une raison ou une autre, s'opposent plus ou moins à son projet, et parmi lesquelles se trouvent des personnes en réelle souffrance psychique permet d'imaginer le pire et terme de violence latente et de risque de passage à l'acte. Cela peut provoquer de véritables ravages.

Bref répondre une telle demande mettait tout le monde en situation

d'échec potentiel. Il fallait refuser cette intervention. Or quasiment consciemment, je ne voulais pas prendre la mesure, des

ambivalences, contradictions et ambiguïtés.

Un contre-transfert qui s'ignore Si j'essaye d'interpréter mon acceptation, je dois constater que j'étais

poussée par des désirs contradictoires : - Mon histoire personnelle, me rend solidaire de personnes que je pense

en situation douloureuse. Je veux les aider à traverser cette période difficile, car je retrouve à leur égard dans la position de "mère suffisamment bonne" dans laquelle j'aime à me reconnaître.

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DEMANDE DU CLIENT, DESIR DU CONSULTANT

- Le timide soutien du DRH, trop heureux de rencontrer une personne qui ose dire quelque chose de la souffrance des salariés et qui à l'air de chercher à faire partager cette vision à son DG, me renforce dans cette analyse. Le risque est que je me prenne pour le porte-parole de toutes ces personnes et que je leur confisque à mon tour la parole ou que je me fasse manipuler par elles.

- Mes expériences passées réussies, dans d'autres entreprises me font négliger les nombreux risques encourus, dans cette situation précise. Je suis convaincue de la pertinence de la théorie du deuil et de l'espace transitionnel et de la capacité d'un dispositif construit sur la base de cette théorie à contenir tous les débordements émotionnels et pulsionnels.

- Ma focalisation sur la possible souffrance des personnes me rend sourde et aveugle aux autres éléments de la situation. Quand je perçois les conflits latents, je les minimise. En particulier, je n'accorde pas suffisamment d'importance à la perception que j'ai eue : ce DG est une personne autoritaire, sûre d'elle et de ses positions, peu décidée à en changer6. Je ne veux pas imaginer qu'il puisse y avoir autre chose que le deuil pour expliquer la résistance des personnes à leur dirigeant.

En fait, le refus de M. Vierzon à entendre mon analyse de la situation

me fait basculer dans une relation de pouvoir à l'égard de celui-ci. Je suis décidée à lui prouver que j'ai raison. Nous ne sommes pas loin de la toute-puissance et la dénégation de la réalité, bref dans une quasi paranoïa. LA PROPOSITION OU L'UTOPIE D'UN POSSIBLE COMPROMIS Sur le moment, mon intention me semble claire. Je vais construire un dispositif qui réponde, apparemment, à la demande du DG en termes d'acquisition d'expertise en management, tout en ménageant des espaces qui permettent à certains participants l'expression de leur souffrance et la prise de conscience pour tous de la dynamique du processus de deuil. N'ayant pas réussi à "faire avec" les résistances de M. Vierzon, et face à son refus de prendre en considération la souffrance des personnes, j'allais faire "contre lui". Il y aurait à la fois des finalités cachées et une proposition officielle avec des objectifs apparents.

6 Il me semblait percevoir une pression forte qui s'exerçait sur lui à ce propos, mais dont il ne disait rien

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MARYSE DUBOULOY

L'agenda caché Pour reprendre une expression anglo-saxonne particulièrement adaptée :

tout ceci fait partie de mon "hidden agenda" et est tenu sous silence. Je conçois donc un dispositif grâce auquel :

- Dans un premier temps, les participants ont la possibilité d'énoncer leur perception de l'entreprise et de leur situation, de leur point de vue subjectif, en laissant place aux émotions. Un "débriefing" des consultants sur la "forme" doit permettre de comprendre l'état émotionnel dans lequel ils se trouvent.

- Cela leur permet, dans un second temps, de faire la part des choses, entre les résistances liées au processus de deuil, d'une part et d'autre part, la remise en cause de leurs convictions profondes par les nouvelles méthodes managériales et la "prise de pouvoir" du DG.

- Dans un troisième temps, leurs capacités d'analyse de la situation de l'entreprise et de l'environnement peuvent se libérer. Cela pourra être vérifié, pendant l'intervention, à travers l'analyse de quelques situations spécifiques, grâce à quelques concepts managériaux que j'aurai présentés.

- Le DG sera alors suffisamment rassuré pour autoriser une approche plus participative du changement. Leur créativité peut se déployer dans un quatrième temps. A l'issue de l'intervention, ils sont ne mesure de faire des propositions acceptables par tous. Il suffirait d'en donner quelques signes pensant l'intervention elle-même.

La proposition officielle Je propose à deux autres consultantes de réfléchir avec moi sur le

dispositif que je peux proposer7. Je transmets donc une proposition "officielle" dont les objectifs répondent à la demande explicite du DG :

- Parvenir à une meilleure définition du rôle et des fonctions des directeurs ;

- Accroître la responsabilité et l'autonomie des permanents et particulièrement des directeurs grâce à une meilleure utilisation des outils de pilotage ;

Tout ceci va reposer sur les modalités d'animation qui doivent me

permettre d'atteindre à la fois les objectifs de l'agenda caché et ceux de la proposition officielle. Il est nécessaire que les participants aient le temps et l'espace suffisants pour vivre la dynamique des processus de deuil et que ceci

7 Elles connaissent mes travaux sur les processus de deuil. Le Directeur n'est pas disponible pour les rencontrer. Il souhaite que je sois sa seule interlocutrice : "il me fait confiance." Nous nous mettons d'accord sur la proposition qui suit.

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DEMANDE DU CLIENT, DESIR DU CONSULTANT puisse être mis en sens. Nous devons donc adopter la position de "mères suffisamment bonnes" dans un premier temps, qui soutiennent et contiennent les émotions, sans porter de jugement. Dans un second temps, il nous faudra être ces mêmes mères susceptibles de frustrer pour qu'ils perçoivent le monde tel qu'il est, et non tel qu'ils l'idéalisent. Ensuite seulement, le travail d'analyse de la situation actuelle de l'entreprise et la référence aux outils de management pourront être abordées.

Le travail se fait en trois sous-groupes, d'environ dix personnes, sous forme d'ateliers d'échanges de pratiques et de réflexion, pendant trois jours, afin de :

- Confronter des pratiques et des représentations ; - Echanger et dire leurs difficultés et leurs succès par rapport aux

fonctions qu'ils occupent aujourd'hui ; - Construire ensemble une représentation commune du métier de

directeur régional en interaction avec les fonctions support du Siège, ses rôles et ses fonctions.

Mon rôle et celui des deux autres consultantes centré sur l'animation des

ateliers, la régulation de la parole, et l'apport de quelques concepts managériaux en fin d'ateliers lors de la reformulation de ce qui a été dit. La prise de recul et la réflexivité sont au cœur de la dynamique interactive mise en place. La confrontation et la discussion sont essentielles Nous devons faire comprendre aux participants que nous ne sommes pas là pour juger, relever des erreurs ou des dysfonctionnements, mais véritablement pour aider à comprendre ce qui se passe et ce qui s'était passé.

Les thématiques proposées sont également un compromis entre les deux types d'objectifs :

- Analyse de l'environnement (dont la concurrence) et des parties prenantes (Conseil d'Administration, bénévoles, organismes qui subventionnent…) et définition de la mission de l'entreprise et positionnement ;

- Les fonctions du directeur régional, ses outils et style de management ;

- La gestion du changement.

Chaque atelier traite des trois thématiques successivement lors des trois journées.

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(ou le fantasment)
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avec quelques séance splénières,
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en séance plénière,
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MARYSE DUBOULOY L'INTERVENTION

L'impossible compromission ou l'affrontement de deux pouvoirs et le refoulement des pulsions C'est une banalité de dire que les non-dits conduisent souvent à des

situations dramatiques et qu'une intervention risque de devenir le révélateur des dimensions qu'on souhaite laisser dans l'ombre.

Le DG ne perçoit pas les espaces laissés ouverts par la proposition que je l'ai faite. Il l'accepte sans modification majeure après deux allers et retours, portant essentiellement sur des points de sémantique. Sans doute trop focalisée sur mes intentions cachées, je commets une erreur majeure : j'accepte la présence du D.G. sans définir préalablement, de façon précise, sa place et son rôle. De fait, il change d'atelier après chaque pause, pendant la première demie journée.

Lors du premier atelier, dans chaque sous-groupe, les participants commencent à évoquer la situation, de façon polémique. Ils énoncent des points de vue très différents. Quelques personnes minoritaires – les "anciens" principalement - expriment vivement et fortement la nostalgie d'une époque idéalisée et révolue d'un mythique "tout-social" où la seule préoccupation aurait été la réinsertion, sans souci de rentabilité des entreprises. La majeure partie du groupe – les "anciens" – exprime, avec un apparent "réalisme", la situation actuelle. Je suis plutôt satisfaite de voir que les choses se passent telles que je les ai anticipées. Les émotions s'expriment à travers la virulence des propos et des représentations du passé et du présent qui s'affrontent.

Dès qu'il comprend qu'un débat contradictoire se développe, et que les participants ne sont pas là uniquement pour m'entendre les contredire; leur assener des "vérités", et apprendre à bien se comporter en bons manager, le DG énonce, dans le sous-groupe que j'anime, "sa" vison de l'environnement, de la mission de l'entreprise, du rôle des directeurs régionaux. Les anciens réfrènent leurs propos du fait de la prise de du "pouvoir" du DG. Prise de court, je n'ose pas le contredire, ni même l'interpeller devant ses collaborateurs et rétablir un questionnement. Aucun travail d'élaboration n'est entreprise sur ce qui vient de se passer.

A la fin de la demi-journée, d'une façon extrêmement violente, le DG me prend à l'écart et me met en demeure de modifier l'animation, de proposer des matrices, grilles d'analyse qui permettent d'introduire immédiatement les outils de pilotage. L'expression des affects, les discussions contradictoires et passionnées ont, sans aucun doute, réveillé ses angoisses. Il a le sentiment que nous n'avons pas la situation en mains et que nous sommes totalement débordées par ses collaborateurs. Il nous juge tout aussi inefficaces que ses collaborateurs que nous sommes supposées former.

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DEMANDE DU CLIENT, DESIR DU CONSULTANT

Afin de la rassurer, je tente de lui expliquer que tout est "normal" selon la dynamique des processus de deuil. Je lui dévoile partiellement mon "agenda caché, et lui présente la dynamique du dispositif en relation avec celui-ci. Je précise que nous avons encore trois jours devant nous, et que les propos qui ont été tenus ne préjugent en rien de ceux qui seront tenus plus tard. Dans la mesure où sa vigilance a été trahie une première fois, il lui est impossible de me faire confiance. Il décide de reprendre le contrôle de la situation et me demande de mettre fin à ces "débats stériles".

Parce que je culpabilise de ne pas avoir été suffisamment explicite auparavant, j'obtempère. C'est ainsi que durant l'après midi, nous adoptons, toutes les trois, la posture du consultant classique, détenteur du savoir, qui utilise des méthodes participatives, en posant des questions, et encourageant, non plus la prise de parole, mais les "bonnes réponses". Cela a tôt fait de décourager la plupart des "anciens". Même les "nouveaux" ont l'air surpris. Personne ne comprend notre revirement revirement.

Dès lors, notre intervention vise à construire un objet idéal : le bon manager partageant la vision de son DG sur l'entreprise, sa mission, faisant régulièrement son reporting et utilisant les outils de pilotage.

De la mère "suffisamment bonne" à la mère trop tôt frustrante. Les deux journées suivantes se déroulent dans un climat de forte

tension. Je suis incapable de proposer un environnement rassurant. Je parviens à peine à contenir le pulsionnel, et c'est au prix d'une frustration que je sens susceptible de déborder à tout moment. Les seuls qui y trouvent leur compte sont les "nouveaux". Ils expliquent leurs difficultés "techniques", demandent des recettes et des outils pour être plus performants et efficaces. Ils jouent le jeu qu'on attend d'eux : celui de la rationalité. Les "anciens" ne parviennent pas à se participer à une réalité" dont ils se sentent, à juste tire exclus. Ils se débattent avec leurs émotions. Ils essayent, de façon récurrente, d'exprimer leur vécu, leurs perceptions, leur souffrance. Le plus souvent ces tentatives sont jugulées par les anciens qui donnent des conseils, expliquent, avec notre aide, pourquoi et comment ils ont raison. Après chaque session, il vient me confirmer qu'il faut "prendre les choses en main" et faire passer des outils, des techniques, des références et des connaissances. En voulant créer un espace de parole, contre la volonté du DG, j'ai réussi à créer un espace de refoulement en de rationalisation. Le DG veille à ce que je ne fasse pas le moindre faux-pas, reprenant la parole et la situation en main dès que je fléchis. Apparemment, nous sommes tous devenus dociles et obéissants. Intérieurement, frustration et rancœur sont en train d'alimenter une colère encore contenue et des envies de révolte.

La séance de bilan et le retour de refoulé A l'issue des trois jours, M. Vierzon insiste pour faire le bilan de

l'intervention, sous forme de tour de table. Comme je le pressens, ceci donne

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MARYSE DUBOULOY lieu au déchaînement du pulsionnel qui a été contenu bon gré mal gré jusqu'à ce moment. Amertume, dépit et désappointement sont au rendez-vous. Comme le fait remarquer Piterman (1999), "Se charger du rôle de "mère suffisamment bonne" quand quelqu'un utilise l'autorité qui signe le "mauvais père" est dangereux à tous les niveaux. L'échec à faire alliance avec l'autorité dans les organisations, particulièrement dans celles qui sont très hiérarchisées, est une garantie d'ennuis. Non seulement, cette position provoque la fureur celui qui détient l'autorité, mais cela suscite des sentiments de rage chez ceux qui doivent la subir (Piterman, 1999)". Ceci s'est avéré particulièrement pertinent lors de cette intervention.

Les "anciens", dans une dynamique d'identification à l'agresseur, ont alors repris le discours managérial développé pendant les deux jours et demi pour le retourner contre mon animation. Il est question de rétention d'information, de vision non partagée, de communication insuffisante, de manque de méthode, de territoires mal définis. Ils regrettent de n'avoir pas pu partager davantage leurs expériences. Certaines personnes disent qu'elles ont été exclues de la parole et se sentent plus généralement exclues de la dynamique du changement. Les "nouveaux" cherchent à nuancer les propos mais ne les contredisent pas. J'y vois (enfin) l'expression d'une solidarité entre les directeurs régionaux. Pendant ces trois journées, les "nouveaux" ont vécu à côté et ont vu les "anciens" se débattre avec leurs émotions, mais aussi avec leurs désirs de bien faire. Ils ont pris la mesure de leur engagement commun aux côtés des plus démunis, avec des Conseils d'Administration qu'ils trouvent souvent peu soucieux de leur venir en aide.

Le pouvoir du sens La première consultante, quand vient son tour pointe, les difficultés de

communication entre les personnes pendant le séminaire. Il ajoute que, selon lui, elles sont le reflet du fonctionnement de l'entreprise à tous les niveaux – région et Siège Social, fonctionnels et opérationnels, CA et directeurs régionaux, Directeurs régionaux entre eux, salariés et bénévoles…- ainsi qu'ils l'ont exprimé pendant trois jours

La seconde consultante rappelle sans autre commentaire, et comme cela a été dit à plusieurs reprises, que le changement a, comme point de passage obligé, une vision commune.

Lorsque mon tour arrive, mon intervention vise à interpréter et donner du sens à ce qui vient de se dire et ce qui s'est vécu pendant les trois jours. Je leur fais remarquer que leur divergence de point de vue est liée, pour beaucoup, à des histoires et des parcours professionnels fort différents. Je mobilise la théorie des processus de deuil qui concerne certains d'entre eux et fort peu les

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DEMANDE DU CLIENT, DESIR DU CONSULTANT

autres et qui justifie également des prises de position si différentes8 et parfois de façon si virulente.

Je précise que mon intervention était à l'origine sous-tendue par cette théorie. Ils ont été mis en situation de vivre la seconde étape du processus de deuil, sans que nous puissions en dire quelque chose sur le moment. Je reconnais que le dispositif mis en place n'a permis ni de faire le point sur le passé, ni de s'approprier le présent parce que nous sommes passés beaucoup trop vite à la dernière étape. Je ne parle pas du rôle qu'a joué M. Vierzon dans ce dérapage. Il est donc "normal" qu'ils se sentent floués. Néanmoins, ils ont se dire et entendre certaines choses qui ont été reprises par les deux autres consultants. J'ajoute qu'il est important qu'ils poursuivent les échanges afin d'élaborer cette nouvelle vision et mettre de en place de nouvelles pratiques adaptées à la situation.

Je me suis placée, une fois de plus, dans la position du consultant qui comprend ce qui se passe, grâce à ses théories et la multiplicité de ses expériences, quand les autres n'ont pas le recul suffisant sur la situation. Mon intervention est accueillie dans un grand silence. Alors que je lui propose, M. Vierzon ne reprend pas la parole pour commenter le séminaire ou le tour de table. Il a apparemment compris, comme toutes les personnes présentes, que les propos du tour de table s'adressaient autant à son mode de mangement qu'à mon mode d'intervention.

L'intervention, contrairement à la plupart des séminaires en résidentiel, s'est terminée très rapidement. Il est convenu avec M. Vierzon que je lui transmettrai un compte rendu d'intervention dans les jours suivants. Nous prendrons alors contact pour que je puisse présenter ce rapport oralement et en discuter avec lui.

Tout le monde était dans l'urgence de prendre son train.

J'envoie mon rapport d'intervention dans la semaine et je téléphone pour prendre rendez-vous. Plusieurs tentatives sont nécessaires pour que nous trouvions enfin une date. Lorsque je me rends au rendez-vous fixé, il a oublié et est absent de l’entreprise. Je ne réussirai pas à voir M. Vierzon. Lorsque je rappelle, j'apprends qu'il est absent pour cause de maladie puis, un peu plus tard, qu'il a quitté l'entreprise.

8 Certains, parce qu'ils ont quitté des entreprises où l'utilisation des outils de management était leur quotidien, regrettent que ceux-ci soient si peu présents et en idéalisent la performance.

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MARYSE DUBOULOY CONCLUSION Si l'approche psychosociologique nous apprend qu'il est essentiel que le consultant crée des espaces pour donner la parole aux personnes afin qu'elles redécouvrent les liens qui les relient aux autres, à l'organisation et au monde, l'approche psychanalytique nous rend vigilant à la fragilité de la mise en œuvre de cette intention.

La rend possible la compréhension de la dynamique des relations entre les individus qui ne sont pas accessibles par les méthodes traditionnelles. Elle permet de prendre en considération les dimensions affectives, imaginaires et symboliques des organisations et des relations des individus entre eux et d'examiner les demandes d'intervention faites au consultant, dans les trois registres du besoin, de la demande et du désir. Elle permet de percevoir que ce qui s'énonce comme le besoin d'une entreprise (améliorer l'utilisation d'outils de management), peut recouvrir une demande du client (affirmation et de reconnaissance de son pouvoir), mais cache aussi, bien souvent, le désir inconscient de celui-ci qui reste inaccessible au consultant.

S'il n'est pas question de chercher à découvrir le fonctionnement psychique du client, comme le ferait un psychanalyste dans son cabinet, il est important de garder, en permanence, présent à l'esprit, cette dimension car elle peut conduire à l'échec d'une intervention. Le désir inconscient du client recouvre, aussi bien et simultanément, des pulsions de vie (création, construction) que des pulsions de mort (destruction, anéantissement), le consultant occupant toujours, dans le fantasme du client, la place de quelqu'un d'autre, qu'il s'agit de séduire, d'assujettir, d'instrumenter, de manipuler… sans en rien savoir.

L'analyse des relations transfert / contre-transfert client/ consultant permet d'approcher cette dialectique psychique. Elle permet aussi et surtout au consultant d'analyser sa propre relation et son "désir au terrain et de s'y positionner en toute connaissance de cause (Arnaud, 2003, p. 128)." Cela lui permet de repérer quelle est son implication, quels sont ses enjeux et de ne pas faire "payer" au client le prix, toujours trop élevé, de sa névrose. Les bonnes intentions du consultant recouvrent, parfois, dans leur complexité, des désirs de destruction.

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