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1 LA DELIVRANCE DU CONGE DANS LE BAIL RURAL Denis ROCHARD Maître de conférences HDR Faculté de droit et des sciences sociales de l’Université de Poitiers Directeur de l’Institut de Droit Rural, du Master 2 « Droit de l’activité agricole et de l’espace rural » et du diplôme supérieur du notariat Centre de recherches sur les territoires et l’environnement (EA 4237) Il me revient d’évoquer « la délivrance du congé dans le bail rural » 1 , c’est-à-dire les conditions dans lesquelles, le bailleur ou le preneur, peuvent, par acte unilatéral, manifester leur volonté de résilier le contrat particulier qu’est le bail rural, ou en tout cas de ne pas le voir se renouveler. D’emblée, il importe de distinguer entre la minorité que représentent les baux ruraux non soumis au statut du fermage et du métayage, et la très grande majorité des locations qui relèvent de ce dispositif d’ordre public, dans lequel la délivrance du congé a forcément un régime particulier et rigoureux, puisque l’on sait que le statut du fermage et du métayage a été institué en 1945 pour protéger le locataire de la toute puissance du bailleur. Aussi, et faute de temps, nous n’évoquerons que le principal, à savoir les baux ruraux soumis au statut du fermage et du métayage. Et encore, comme l’indique le découpage retenu dans le programme du colloque, uniquement « dans le domaine de l’intervention obligatoire de l’huissier de justice ». En effet, dans certains cas la délivrance d’un congé en vue de mettre un terme au bail peut s’effectuer par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Mais il suffit de parcourir le Code rural et de la pêche maritime pour s’apercevoir que, fort logiquement, cette faculté n’est ouverte qu’au preneur (preneur qui peut naturellement préférer et opter pour un congé délivré par acte d’huissier). C’est ainsi la règle prévue lorsque celui-ci n’entend pas renouveler le bail ; il devra délivrer congé au propriétaire dix-huit mois au moins avant l’expiration du bail, sous peine de voir le contrat se renouveler pour une durée de neuf ans, dans les conditions prévues par l’article L 411-50 du Code rural et de la pêche maritime. Il en est de même dans les hypothèses visées à l’article L 411-33, et notamment lorsque le preneur souhaite mettre un terme à la relation contractuelle en vue de faire valoir ses droits à la retraite. 1 - Pour une étude plus générale du congé en matière de bail rural, on peut lire avec intérêt : - J Giffard, « Formes, délais et contestations des congés en matière de baux ruraux » : Defrénois 1950, art. 26800 ; - Y Cheminade, « La nature juridique du congé en matière de louage de choses et de services » : RTD civ., 1972, p. 307, n° 58 ; - J-P Moreau, « Congés », Fasc. n° 230, JurisClasseur Baux ruraux.

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LA DELIVRANCE DU CONGE DANS LE BAIL RURAL

Denis ROCHARD Maître de conférences HDR – Faculté de droit et des sciences sociales de l’Université de

Poitiers

Directeur de l’Institut de Droit Rural, du Master 2 « Droit de l’activité agricole et de l’espace

rural » et du diplôme supérieur du notariat

Centre de recherches sur les territoires et l’environnement (EA 4237)

Il me revient d’évoquer « la délivrance du congé dans le bail rural »1, c’est-à-dire les

conditions dans lesquelles, le bailleur ou le preneur, peuvent, par acte unilatéral, manifester

leur volonté de résilier le contrat particulier qu’est le bail rural, ou en tout cas de ne pas le voir

se renouveler.

D’emblée, il importe de distinguer entre la minorité que représentent les baux ruraux non

soumis au statut du fermage et du métayage, et la très grande majorité des locations qui

relèvent de ce dispositif d’ordre public, dans lequel la délivrance du congé a forcément un

régime particulier et rigoureux, puisque l’on sait que le statut du fermage et du métayage a été

institué en 1945 pour protéger le locataire de la toute puissance du bailleur.

Aussi, et faute de temps, nous n’évoquerons que le principal, à savoir les baux ruraux soumis

au statut du fermage et du métayage. Et encore, comme l’indique le découpage retenu dans le

programme du colloque, uniquement « dans le domaine de l’intervention obligatoire de

l’huissier de justice ».

En effet, dans certains cas la délivrance d’un congé en vue de mettre un terme au bail peut

s’effectuer par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Mais il suffit de

parcourir le Code rural et de la pêche maritime pour s’apercevoir que, fort logiquement, cette

faculté n’est ouverte qu’au preneur (preneur qui peut naturellement préférer et opter pour un

congé délivré par acte d’huissier). C’est ainsi la règle prévue lorsque celui-ci n’entend pas

renouveler le bail ; il devra délivrer congé au propriétaire dix-huit mois au moins avant

l’expiration du bail, sous peine de voir le contrat se renouveler pour une durée de neuf ans,

dans les conditions prévues par l’article L 411-50 du Code rural et de la pêche maritime. Il en

est de même dans les hypothèses visées à l’article L 411-33, et notamment lorsque le preneur

souhaite mettre un terme à la relation contractuelle en vue de faire valoir ses droits à la

retraite.

1 - Pour une étude plus générale du congé en matière de bail rural, on peut lire avec intérêt :

- J Giffard, « Formes, délais et contestations des congés en matière de baux ruraux » : Defrénois 1950, art. 26800 ;

- Y Cheminade, « La nature juridique du congé en matière de louage de choses et de services » : RTD civ., 1972, p. 307, n°

58 ;

- J-P Moreau, « Congés », Fasc. n° 230, JurisClasseur Baux ruraux.

2

Aussi le domaine d’intervention obligatoire de l’huissier de justice se limite-t-il au congé

délivré par le bailleur, comme l’affirme du reste clairement l’article L 411-47 du Code rural et

de la pêche maritime : le bailleur qui entend s’opposer au renouvellement « doit notifier congé

au preneur par acte extrajudiciaire ». Il s’agit là d’une formalité substantielle, dont le non-

respect entraîne naturellement la nullité du congé et ce, même en l’absence de préjudice2. Les

juges ont eu l’occasion d’affirmer très tôt que la forme prescrite par les textes ne saurait être

remplacée par l’envoi d’une lettre recommandée avec accusé de réception3, et a fortiori par

l’envoi d’une lettre simple4. En revanche, a été jugé valable le congé rédigé par le bailleur

mais notifié par acte d’huissier5. Naturellement, la régularité formelle s’apprécie au jour de la

délivrance6.

Maintenant que nous avons délimité le sujet avec précision, à savoir le congé donné par le

bailleur et délivré par acte extrajudiciaire dans le cadre d’un bail rural soumis au statut du

fermage, deux approches étaient envisageables pour le traiter :

- dresser la liste des congés que l’on peut demander à un huissier de justice de notifier, et les

présenter les uns après les autres ;

- ou retenir une approche plus structurante, plus en phase avec la pratique.

Mon choix s’est naturellement porté vers la seconde ; aussi je vous présenterai dans un

premier temps les personnes intéressées par le congé, avant d’évoquer l’acte en lui-même.

I. – LES PARTIES INTERESSEES AU CONGE

S’interroger sur les personnes revient à se poser 3 questions. Les deux premières sont

évidentes, à savoir : qui est l’auteur du congé ? et à qui doit-il être adressé ? La troisième

l’est sans doute moins : c’est celle de savoir quel est le bénéficiaire du congé ? Elle est

pourtant importante en ce qu’elle permet d’insister sur le devoir de conseil en la matière pour

les huissiers. Mais n’anticipons pas et voyons en premier lieu l’auteur du congé.

A) L’AUTEUR DU CONGE

2 - CA Besançon, 28 nov. 1997 : Rev. loyers 1998, p. 28, obs. Le Petit. 3 - Cass. Soc., 18 déc. 1967 : Bull. civ., 1967, IV, n° 803. 4 - CA Caen, 31 mars 2006 : JurisData n° 2006-307986. 5 - Cass. 3ème civ., 27 mars 1984 : Bull. civ. 1984, III, n° 80 ; JCP N 1985, II, p. 46, obs. J-P Moreau. 6 - Cass. 3ème civ., 2 oct. 1984 : JCP N 1985, prat. P. 393.

3

Nous évoquerons quelques situations particulières auxquelles l’huissier sera sans aucun doute

confronté à un moment ou à un autre.

1° Le propriétaire

Le premier à qui l’on songe est naturellement le propriétaire de l’immeuble rural loué, qui est

celui qui normalement délivre le congé. Cela mérite pourtant précision, et notamment que la

qualité de propriétaire du bien loué s’apprécie au moment où le congé est signifié. Ainsi, il a

été jugé qu’une société civile immobilière, bénéficiant d’une donation mais avec un effet

retardant l’accès à la propriété à l’accomplissement des formalités d’immatriculation, n’avait

pas qualité pour délivrer congé avant l’immatriculation7.

En fait, la principale difficulté surgit en cas de congé délivré par l’acquéreur sous condition

suspensive de non préemption par le preneur. Les juges refusent d’annuler le congé lorsque la

condition s’accomplit par la renonciation du fermier à l’exercice de son droit, car le nouveau

propriétaire est alors réputé l’être depuis le jour de la vente et le congé donné se trouve

rétroactivement consolidé8.

Toujours à propos de la qualité de propriétaire du bien loué, il a été jugé que le défaut de

publicité d’une vente ne peut être invoqué par le preneur pour contester la validité du congé

qui lui a été notifié par son nouveau propriétaire, acquéreur des terres9 ; la même solution a

été retenue s’agissant de donations non publiées10

.

2° Usufruitier et nu-propriétaire

L’article 595, alinéa 4, du Code civil nous enseigne que l’usufruitier ne peut, sans le concours

du nu-propriétaire (ou, à défaut, sans y être autorisé par décision de justice) donner à bail un

fonds rural. Et bien, ce principe ne s’oppose pas à ce que l’usufruitier délivre seul congé au

preneur11

, et ce même dans le cas d’un congé aux fins de reprise exercée par un descendant

par exemple12

.

3° Indivisaires

7 - CA Nancy, 24 nov. 2006 : JurisData n° 2006-324198 ou encore CA Nancy, 26 janv. 2007 : JurisData n° 2007-335581. 8 - Cass. 3ème civ., 3 nov. 1981 : JCP 1982, II, p. 178, n° 2 obs. J-P Moreau ; Bull. civ. 1981, III, n° 171 ; Cass. 3ème civ., 3

fév. 1982 : Rev. loyers 1982, p. 332 – RTD civ. 1983, obs. Ph. Rémy. 9 - Cass. 3ème civ., 23 oct. 1970 : Bull civ. 1970, III, n° 546. 10 - Cass. 3ème civ., 17 juin 1980 : Bull civ., 1980, III, n° 118 : Defrénois 1982, art. 32826, p. 214, note J-L Aubert. 11 - Cass. 3ème civ., 29 janv. 1974, Bull. civ., III, n° 48, p. 36 ; Cass. 3ème civ., 8 mai 1979, JCP 79, IV, 224. 12 - Cass. 3ème civ., 5 mai 1981 : JCP G 1981, IV, p. 255 ; RD rur. 1982, p. 37 ; Cass. 3ème civ., 5 fév. 1997, Bull. civ., III, 28.

4

Le principe selon lequel le congé suppose l’accord de tous les co-indivisaires13

n’a pas été

remis en cause par la réforme du droit des successions opérée par la loi n° 2006-728 du 23

juin 2006. Et la règle s’applique même lorsque le preneur est lui-même copropriétaire14

. Mais

d’une part, le congé émanant d’un seul coïndivisaire est valable dès lors qu’il est démontré

que celui-ci agit avec l’accord des autres. D’autre part, le congé délivré par un ou plusieurs

indivisaires peut ensuite être ratifié par les autres15

; parfois, ce sont les circonstances du

procès qui vont faire apparaître l’accord des coïndivisaires au congé notifié par un seul

d’entre eux, permettant alors de considérer le congé comme valable16

. Ajoutons que si les

indivisaires ont conclu une convention d’indivision, le gérant de l’indivision a le pouvoir de

donner congé, conformément aux articles 1873-1 et 1873-6 du Code civil.

Enfin, les articles 815-4 à 815-6 du Code civil permettent de recourir au juge pour passer

outre le refus injustifié de l’un des indivisaires ou quand l’un d’entre eux se trouve hors d’état

de manifester sa volonté, pour que puisse être néanmoins délivré valablement un congé17

.

Lorsque le bien fait l’objet d’un partage entre les indivisaires, chaque copartageant peut

donner congé sur la part qui lui revient18

; mais le congé délivré par un seul indivisaire sur sa

part ne peut produire effet si le partage n’est pas intervenu avant la fin du bail19

.

4° Les époux

S’agissant d’un bien dépendant de la communauté, l’article 1421 du Code civil déclare que

« Chacun des époux a le pouvoir d’administrer seul les biens communs et d’en disposer, sauf

à répondre des fautes qu’il aurait commises dans sa gestion. Les actes accomplis sans fraude

par un conjoint sont opposables à l'autre ». Aussi le congé peut-il être délivré par l’un ou

l’autre des époux. Attention à certaines situations particulières, dans lesquelles les juges ont

pu considérer que, bien que s’agissant d’un bien commun, le congé doit être notifié par les

deux époux : par exemple, lorsque la reprise est exercée en vue de consentir un bail à un

descendant20

.

13 - Cass. 3ème civ., 12 mars 1970 : Bull. civ., 1970, III, n° 199. 14 - Cass. 3ème civ., 25 juin 1975, Gaz. Pal. 1976, 1, 142. 15 - Cass. 3ème civ., 18 mars 1974 : JCP G 1974, IV, p. 165. 16 - Cass. Soc., 5 janv. 1962 : D. 1962, somm. 94. 17 - Saisi d’une demande sur le fondement de l’article 815-6, alinéa 1er, du Code civil selon lequel « le président du tribunal

de grande instance peut prescrire ou autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun », le président du

TGI a pu accueillir une demande tendant à la délivrance d’un congé aux fins de libération du fonds occupé par l’un des

indivisaires : TGI Carpentras, ord. Réf. 29 janv. 2001 : JurisData n° 2001-167845. 18 - Cass. 3ème civ., 10 nov. 1993, Bull. civ., III, 94. 19 - Cass. 3ème civ., 12 janv. 1978, JCP 1978, IV 84 ; Cass. 3ème civ., 17 juin 1981, Rev. Loyers 1981, 422. 20 - Cass. 3ème civ., 9 nov. 1982 : JCP N 1983, II, p. 230, n° 15, obs. J-P Moreau ; D. 1983, somm. 366 et Gaz. Pal. 27 févr.

1983.

5

En présence d’un bien propre, le pouvoir de délivrer congé appartient à celui des époux qui

est propriétaire du bien affermé21

. Naturellement, son conjoint peut être spécialement mandaté

pour signifier le congé. Il a même été admis que lorsque le mari a délivré seul congé aux fins

de reprise au profit d’un enfant commun d’un bien propre à sa femme, celle-ci peut intervenir

à l’instance pour ratifier le congé22

, comme cela est permis dans le cadre de l’indivision.

5° Les incapables

En principe, la personne qui a qualité d’administrateur peut valablement délivrer congé ; ainsi

en sera-t-il du tuteur du mineur ou de l’incapable majeur, sous réserve d’être, selon les cas,

muni d’une autorisation du conseil de famille ou du juge des tutelles. Il faut dire que le congé

doit être considéré -au même titre que la conclusion du bail rural- au regard de la nouvelle

nomenclature des actes telle qu’elle résulte de la réforme des incapables majeurs issue de la

loi n° 2007-308 du 5 mars 2007, comme un acte de disposition.

6° Les personnes morales

S’agissant des personnes morales de droit privé, l’on songe spécialement au Groupement

foncier agricole (GFA) qui aurait consenti un bail rural sur les biens dont il est propriétaire,

c’est son représentant légal qui aura capacité pour délivrer un congé. L’huissier de justice

prendra naturellement soin de vérifier au préalable qu’une telle possibilité entre bien dans les

pouvoirs conférés initialement par les statuts, ou que le gérant agit en vertu d’une délibération

spéciale de l’assemblée générale des associés.

Pour ce qui est des biens loués par des personnes publiques, par exemple une commune ou un

département, le congé devra être délivré par l’agent ou le fonctionnaire compétent et dûment

habilité à le faire, sous peine d’être déclaré nul23

.

7° Le mandataire

Parfois évoqué précédemment, rappelons qu’il est tout à fait possible que le congé soit délivré

par un mandataire représentant le bailleur. Les juges ont pu le valider dans les hypothèses

21 - C. civ., art. 1428 : « Chaque époux a l'administration et la jouissance de ses propres et peut en disposer librement ». Pour

illustration, voir notamment Cass. 3ème civ., 11 juin 1986, D. 1986, somm. 80 ou encore, Cass. 3ème civ., 29 avr. 1987, RD rur.

1987, 287. 22 - Cass. 3ème civ., 29 avril 1987 : JCP N 1988, II, p. 28, note Ph. Simler. 23 - TPBR Hyères, 7 juill. 1969 : AJPI 1971, p. 444, pour un exemple de congé n’émanant pas d’une personne ayant qualité

pour le délivrer.

6

suivantes : notaire mandaté par des copropriétaires24

, nu-propriétaire représentant

l’usufruitier25

, propriétaire indivis ayant reçu mandat de ses coindivisaires. Avec en pratique,

toujours les difficultés liées au mandat tacite ; en effet, nous constatons que si certains juges

l’admettent en se fondant sur la théorie de l’apparence26

, d’autres font preuve de rigueur et

s’en tiennent au principe selon lequel le mandat ne se présume point27

.

8° Le sort du congé en cas d’aliénation du bien loué

En cas de cession du bien loué à titre onéreux, l’article L 411-49 du Code rural et de la pêche

maritime dispose que l’acquéreur ne peut se prévaloir du congé donné par le vendeur en vue

de l’exercice du droit de reprise ; aussi, il ne lui restera plus qu’à, s’il est encore dans les

délais, délivrer un nouveau congé une fois devenu propriétaire.

Après avoir évoqué l’auteur du congé, consacrons maintenant quelques instants au

destinataire du congé.

B – LE DESTINATAIRE DU CONGE

La réponse semble évidente : le congé doit être signifié au preneur. Mais là encore l’huissier

doit faire preuve de prudence et s’interroger dans certains cas sur la qualité de « preneur en

place ».

1° Copreneurs

Lorsque le bail a été consenti à plusieurs copreneurs, le congé sera adressé à tous les preneurs

afin que chacun puisse, d’une part connaître et contrôler les conditions dans lesquelles il est

mis fin à la location et éventuellement les contester et, d’autre part, avoir le temps d’organiser

la sortie des lieux.

En présence de copreneurs solidaires, le congé notifié à l’un d’eux produit ses effets à l’égard

de tous, en application du principe de représentation réciproque28

. Mais dans la mesure où

cette solution n’est pas à l’abri de certaines critiques29

, l’huissier prudent adressera congé à

tous les copreneurs.

24 - Cass. Soc., 30 nov. 1951, JCP G 1952, IV, p. 13 ; Bull. Civ. 1951, III, n° 778. 25 - Cass. 3ème civ., 9 nov. 1981 : Bull. civ., III, n° 184 ; D. 1982, IR, p 187. 26 - Cass. 3ème civ., 2 mai 1978 : Bull. civ. 1978, III, n° 172. 27 - Cass. Soc., 1er fév. 1951 : Bull. civ., 1951, III, n° 75. 28 - Cass. 3ème civ., 20 juill. 1989 : JCP G 1989, IV, p. 357. 29 - Certains auteurs, comme Jean-Pierre MOREAU, se demande si la Cour de cassation n’est pas en train d’abandonner cette

solution jurisprudentielle classique selon laquelle l’on appliquerait mécaniquement la théorie de la représentation réciproque

7

Attention, en matière rural il se peut que le bailleur se soit engagé initialement avec un seul

preneur, mais que ce dernier décide en cours de bail, comme l’y autorise l’alinéa 2 de l’article

L 411-35 du Code rural et de la pêche maritime et avec l’agrément du bailleur ou à défaut du

tribunal paritaire « d’associer à son bail en qualité de copreneur son conjoint ou le partenaire

avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité participant à l’exploitation ou un

descendant ayant atteint à l’âge de la majorité ». Situation dont devra naturellement avoir

connaissance l’huissier afin que le congé soit signifié aux copreneurs, sous peine d’encourir la

critique comme l’a rappelé récemment la Cour de cassation, invitée à se prononcer sur la

validité d’un congé pour reprise délivré à un seul des copreneurs.

En l’espèce30

, le bailleur avait consenti une location de parcelles à des époux, qui par la suite

avaient divorcé sans qu’aucune attribution du bénéfice du bail à l’un d’eux n’intervienne.

Aussi, lorsque le bailleur délivre congé pour reprise personnelle à Monsieur seulement, ce

dernier saisit le Tribunal paritaire de baux ruraux d’une action en contestation du congé. Non

entendu en première instance, la Cour d’appel va lui donner raison au motif que le congé

aurait dû être délivré dans les mêmes formes à « son ex-épouse, demeurée cotitulaire du bail

malgré le divorce ». Décision censurée par la Cour de cassation au visa de l’article L 411-47

du Code rural et de la pêche maritime, car pour elle « le congé délivré à un seul copreneur

n’est pas nul, mais valable à son égard et seulement inopposable à l’autre copreneur » ; fait

dont seule l’ex-épouse aurait pu se prévaloir. La haute cour continue donc de privilégier la

thèse de l’inopposabilité plutôt que celle de la nullité, même si l’on est tenté d’en douter

parfois au vu de décisions contraires, mais rendues souvent dans un contexte différent. Citons

juste l’arrêt de la troisième chambre civile, en date du 19 février 200331

, dans lequel les juges

de la Cour de cassation considèrent « qu’en l’absence de toute demande du bailleur dans les 6

mois à compter du décès du preneur, le droit au bail est passé à la veuve du preneur et à ses

trois enfants, le congé à la seule copreneuse est nul faute d’avoir été délivré aux héritiers ».

2° Cession de bail

Distinguons plusieurs hypothèses.

a) La cession dans un cadre familial

des codébiteurs solidaires : Cass. 3ème Civ., 19 fév. 2003 : JurisData n° 2003-017797 ; Bull civ., 2003, III, n° 42 ; JCP N

2003, 1440, note J-P Moreau. 30 - Cass. 3ème civ., 17 fév. 2010, pourvoi n° 09-12.989. 31 - Bull. civ. III, n° 42 ; JCP 2003, IV 1682.

8

Par dérogation au sacro-saint principe de l’incessibilité du bail rural soumis au statut du

fermage, le preneur est autorisé en vertu de l’article L 411-35, alinéa 1er du Code rural et de

la pêche maritime, à céder son bail, avec l’agrément du bailleur ou à défaut avec l’autorisation

du tribunal paritaire de baux ruraux, au profit de son conjoint ou du partenaire d’un pacte civil

de solidarité du preneur participant à l’exploitation ou aux descendants du preneur ayant

atteint l’âge de la majorité ou ayant été émancipés. Dans une telle hypothèse, c’est-à-dire en

présence d’une cession de bail régulièrement intervenue, c’est au cessionnaire qu’il

conviendra d’adresser congé puisque c’est avec lui qu’est dorénavant engagé le bailleur.

b) La cession hors cadre familial : le bail cessible

Le bail « cessible hors cadre familial » constitue, avec le fonds agricole dont il sera l’organe

vital, l’une des innovations majeures de la loi d’orientation agricole n° 2006-11 du 5 janvier

200632

. En effet, aux premières brèches dans le statut du fermage évoquées précédemment

33,

le législateur vient d’en ajouter une encore plus significative, avec l’instauration du nouveau

bail cessible. En la circonstance, la cessibilité -ouverture vers la logique d’entreprise- devient

la règle et non plus une dérogation encadrée à une interdiction de principe.

La place du dispositif dans le Code rural et de la pêche maritime ainsi que le titre du chapitre

qui le contient sont riches d’enseignements. Le titre 1er

(« statut du fermage et du métayage »)

du livre IV (« baux ruraux ») s’enrichit d’un chapitre VIII intitulé « Dispositions particulières

aux baux cessibles hors cadre familial », composé des articles L. 418-1 à L. 418-5.

« Dispositions particulières » en ce que le nouveau bail cessible, contrairement aux baux à

long terme qui dérogent partiellement au statut ordinaire du bail rural, obéit à des règles à

part. C’est un nouveau contrat, venant enrichir la déjà longue liste des baux ruraux spéciaux34

,

encadré par ce que l’on est tenté d’appeler un « statut du fermage bis ». « Statut » car les

nouvelles dispositions ont un caractère impératif pour qui choisit d’opter pour le bail

cessible35

. Statut « bis » puisque l’on ne peut oublier le statut ordinaire du bail rural qui

s’applique dès lors que rien de spécifique n’est prévu au titre du bail cessible. En outre, les

parties peuvent déroger, par convention expresse au moyen de clauses validées par la

32 - JO n° 5, 6 janv. 2006, p. 229 s. 33 - Au-delà des cessions de bail dans un cadre familial prévues par l’article L 411-35, l’on peut ajouter comme illustration de

la remise en cause du sacro-saint principe de l’incessibilité du bail rural : l’adhésion à une société avec apport du droit au bail

régie par l’article L 411-38 ou le plus récent (loi développement des territoires ruraux du 23 février 2005) « assolement en

commun » prévu à l’article L 411-39-1. 34 - Pour les baux à long terme (articles L. 416-1 et s.), citons le bail à long terme de droit commun conclu pour au moins 18

ans, le bail de 25 ans et le bail de carrière. 35 - Les parties ne peuvent, sauf exception, y déroger ; « nonobstant toute disposition contraire » : C. rur., art. L. 418 al. 3.

9

Commission consultative paritaire départementale des baux ruraux, à certaines dispositions du

Code rural36

.

L’une des particularités du bail cessible37

est de pouvoir faire l’objet d’une cession en

respectant un formalisme relativement simple. C’est le 1er

alinéa de l’article L 418-4 du Code

rural et de la pêche maritime qui définit les conditions de notification au bailleur par le

preneur de la cession de son bail. Le 2ème

alinéa permet au bailleur de contester devant le

TPBR le projet de cession. Le 3ème

interdit la cession avant l’expiration du délai de recours

ouvert au bailleur. Dans la mesure où le principe est la cessibilité, il n’y a pas à requérir

l’agrément du bailleur mais simplement à l’informer de l’opération de cession projetée. Cela

prend la forme d’une notification au propriétaire, par lettre recommandée avec demande

d’avis de réception, l’avertissant du projet de cession avec mention de l’identité du

cessionnaire pressenti et de la date de la cession projetée.

Si le formalisme est léger, il convient d’attirer l’attention sur la nécessité de le respecter eu

égard à la sanction encourue. En effet, le texte prévoit que le défaut d’information est

sanctionné par la nullité de la cession mais aussi, à la demande du bailleur, par la résiliation

du bail. Le législateur a transposé la sanction applicable pour le bail à ferme de droit commun

en cas de défaut d’agrément de l’opération par le bailleur. Et l’on peut ajouter que la faute

commise par le preneur à l’occasion de la cession serait, de surcroît, de nature à le priver du

droit au paiement d’une indemnité d’éviction.

Si l’agrément du bailleur n’est pas nécessaire à la transmission du droit au bail, celui-ci peut

tout de même s’opposer à la cession projetée en saisissant le TPBR, dans un délai de deux

mois38

. Deux conséquences doivent en être tirées. D’une part, la cession ne peut intervenir au

cours du délai évoqué, sauf accord exprès du bailleur. D’autre part, passé ce délai le bailleur

est réputé avoir accepté la cession. L’opposition du bailleur au projet du preneur doit être

justifiée par un « motif légitime », qu’il appartiendra au tribunal d’apprécier. La cession

devenant une prérogative pour le preneur, son comportement (manquements à l’obligation

d’entretien, défaut de paiement du fermage, agissements de nature à compromettre la bonne

exploitation ..) ne devrait pas jouer comme motif d’opposition à la cession, mais plus

sûrement comme cause de non renouvellement ou de résiliation du bail. La question de la

compétence et/ou de la capacité professionnelle du candidat à la cession ne devrait pas

davantage avoir les faveurs du juge dans la mesure où le cessionnaire doit de toute façon être

36 - Les articles L. 411-25 à L. 411-29 concernant les droits et obligations du preneur en matière d’exploitation ; L. 415-1 et

L. 415-2 régissant les relations entre preneur entrant et preneur sortant ; L. 415-3 sur la répartition des charges du paiement

des primes d’assurances contre l’incendie des bâtiments loués et L. 415-7 sur le droit de chasser du preneur. 37 - Pour une présentation complète de ce nouvel instrument issu de la loi du 5 janvier 2006, se reporter à notre article « Le

bail cessible hors cadre familial », publié in Revue Droit et procédures, septembre-octobre 2008, p. 244 et s. ; 38 - C. rur., art. L. 418-4 al. 2 et R. 418-1.

10

en conformité avec le contrôle des structures puisqu’il y a transfert du droit d’exploiter39

.

Encore que l’aptitude de l’arrivant ne soit pas à négliger dans la perspective de

l’accomplissement des obligations nées du bail. En revanche, pourraient être retenus des

motifs tels que la situation financière ou les garanties économiques du cessionnaire. En

pratique, la prudence invite à organiser l’intervention du bailleur à l’acte de cession, ou à

recueillir son consentement par acte séparé.

Enfin, il faudra faire attention à l’existence éventuelle d’un pacte de préférence. En effet, ce

que les cocontractants peuvent parfois prévoir contractuellement, la loi l’a ici suggéré : les

parties ont la faculté, lors de la conclusion du bail, de prévoir « que le bailleur pourra

acquérir par préférence le bail cédé isolément » (L. art. 418-1 al. 6). Il s’agit là d’un pacte de

préférence permettant au bailleur de s’opposer à la cession projetée, en « rachetant le droit au

bail » au locataire, mais uniquement en cas de cession « isolée » du bail. Cela sous-entend que

le bailleur est privé de cette faculté, notamment en cas de cession du fonds agricole qu’aurait

constitué l’exploitant, et dans lequel le bail cessible ne serait que l’un des éléments. On devine

le soin qu’il conviendra d’apporter à la rédaction de la clause instaurant le droit de préférence

au profit du bailleur, en se demandant notamment si on limite la préférence aux cessions à

titre onéreux ou si cela englobe également les cessions à titre gratuit (donation, échange sans

soulte). En outre, le bailleur doit prendre conscience qu’il « rachète » le droit au bail, c’est-à-

dire que préférence lui est accordée mais aux prix, modalités et conditions envisagés par le

preneur cédant. En pratique, le notaire, rédacteur de la clause nécessairement incluse dans

l’acte originel qui rappelons-le est obligatoirement un acte authentique, prendra soin de

prévoir notamment la manière dont le bailleur sera informé, les délais dans lesquels il sera

autorisé à exercer le droit de préférence …. .

L’huissier en charge de délivrer le congé dans le cadre d’un bail cessible devra donc se

renseigner auprès du bailleur sur l’éventuelle cession intervenue afin que le congé soit délivré

au bon preneur ; étant précisé que le bail cessible pouvant faire l’objet de multiples cessions,

l’huissier devra être en mesure de retracer l’histoire contractuelle.

c) L’« apport » du droit au bail à une société

Toujours par dérogation au principe de l’incessibilité du bail rural classique, le preneur est

autorisé, en vertu de l’article L 411-38 du Code rural et de la pêche maritime, à faire

39 - L’article L 311-1 a vocation à s’appliquer dès lors qu’il y a changement d’exploitant « quels que soient la forme ou le

mode d’organisation juridique de celle-ci, et le titre en vertu duquel la mise en valeur est assurée ».

11

« apport »40

de son droit au bail à une société d’exploitation agricole ou à un groupement de

propriétaires ou d’exploitations, mais uniquement avec l’agrément du bailleur car la loi n’a

pas prévu ici de recours possible au tribunal paritaire. Alors c’est à la société, cessionnaire du

bail, qu’il conviendra de délivrer congé et non au preneur initial.

L’hypothèse d’une cession de bail, dans ou hors cadre familial, ne doit pas être confondue

avec une situation bien plus fréquente en pratique : la « mise à disposition » des biens loués.

3° Mise à disposition des biens loués au profit d’une société

Sous réserve d’en aviser le bailleur au plus tard dans les deux mois qui suivent la mise à

disposition, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, l’alinéa 1er

de l’article

L 411-37 du Code rural et de la pêche maritime autorise le preneur, associé exploitant d’une

société à objet principalement agricole, à mettre à la disposition de celle-ci, pour une durée

qui ne peut excéder celle pendant laquelle il reste titulaire du bail, tout ou partie des biens

dont il est locataire. Naturellement, comme le rappelle le texte à plusieurs reprises, le preneur

« restant seul titulaire du bail », c’est à lui et non à la société bénéficiaire de la mise à

disposition qu’il conviendra de délivrer congé.

La signification d’un congé à une personne autre que celle du preneur équivaut à une absence

de congé41

. La Cour de cassation a eu l’occasion de le rappeler récemment, dans une affaire

particulière où se posait notamment la question de savoir si, dans la mesure où le congé

n’avait pas été adressé à la bonne personne, le véritable preneur pouvait réagir sans être

forclos. En l’espèce42

, le preneur avait, comme l’y autorise l’article L 411-37, mis les

parcelles louées à disposition de la structure sociétaire à laquelle il avait adhéré, en

l’occurrence un groupement agricole d’exploitation en commun (GAEC). Souhaitant exercer

la reprise en vue d’installer leur fils, les bailleurs avaient délivré un congé à la société, qui

s’empressa de saisir le tribunal paritaire des baux ruraux (TPBR) en vue de le faire annuler.

En cause d’appel, le preneur, personne physique, bien que non destinataire du congé, décidait

d’intervenir volontairement dans l’instance en cours pour, d’une part soutenir les prétentions

et moyens défendus par le GAEC et, d’autre part et surtout, réclamer la condamnation du

40 - Le terme « apport » est sans doute excessif ; il conviendrait plutôt de parler de « transfert » du droit au bail, dans la

mesure où le bail rural ordinaire étant dépourvu de valeur patrimoniale, l’opération ne saurait donner lieu en contrepartie à

l’attribution de parts sociales. 41 - Il en est ainsi lorsque le congé est délivré à l’EARL ayant bénéficié d’une mise à disposition des biens loués, alors qu’il

aurait dû l’être au preneur à l’origine de cette sous-location, resté seul titulaire du bail : Cass. 3ème civ., 17 mai 2006 : Bull.

civ. 2006, III, n° 128 : AJDI 2006, p. 749, note S. Prigent. 42 - Cass. 3ème civ., 18 fév. 2009, pourvoi n° 08-10.919.

12

bailleur à lui verser une indemnité de sortie pour l’hypothèse où la validité du congé serait

confirmée et la fin du bail annoncée. La cour d’appel décida en toute logique d’infirmer le

jugement du TPBR ayant prononcé la nullité du congé, au motif que le GAEC n’avait pas

qualité pour saisir la juridiction de première instance. La solution allait de soi puisque l’article

L 411-54 dispose que le congé peut être déféré « par le preneur » au tribunal, qui ne pouvait

s’entendre ici que de la personne physique. Dans le même temps, les juges d’appel

repoussèrent l’intervention du preneur aux motifs que d’une part, son intervention ne portait

pas sur la validité du congé mais sur autre chose : la demande de paiement d’une indemnité de

sortie, et d’autre part, que faute d’avoir agi en temps utile, à savoir dans le délai de 4 mois

visé par l’article L 411-54 du Code rural et de la pêche maritime, le preneur était forclos.

A l’appui de sa demande de cassation, le requérant soutenait qu’il y avait matière à

régularisation. Il fut entendu par la Cour de cassation qui casse et annule l’arrêt d’appel, en

visant notamment plusieurs articles du Code de procédure civile. Le principal est l’article 126

qui prévoit que « dans le cas où une situation donnant lieu à une fin de non-recevoir est

susceptible d’être régularisée, l’irrecevabilité sera écartée si sa cause a disparu au moment

où le juge statue » (al. 1), et l’alinéa 2 d’ajouter que « il en est de même lorsque, avant toute

forclusion, la personne ayant qualité pour agir devient partie à l’instance ». Certes, l’on

comprend que si la régularisation est possible, elle doit en tout état de cause intervenir avant

forclusion. Or, dans la mesure où le preneur ne s’était pas vu délivrer régulièrement un congé,

les bailleurs l’ayant adressé au GAEC, il ne pouvait être atteint par la forclusion prévue par

l’article L 411-54 et pouvait par conséquent devenir partie à l’instance en cause d’appel et

demander la nullité du congé.

4° Preneur décédé

Comme en droit commun du louage de choses43

, le décès du preneur ne met pas fin au bail

rural. Cela étant, l’article L 411-34 du Code rural et de la pêche maritime instaure un régime

spécifique de dévolution successorale du bail rural, alliant qualité d’exploitant du fonds et lien

de parenté. En effet, le texte prévoit qu’en cas de décès du preneur, le bail continue au profit

de son conjoint, du partenaire avec lequel il était lié par un pacte civil de solidarité, de ses

ascendants ou descendants « participant ou ayant participé effectivement au cours des cinq

années antérieures au décès » à l’exploitation du bien loué. Mais le texte ajoute que rien

n’oblige les ayants droit du preneur à poursuivre l’œuvre de leur auteur ; faculté leur est en

effet accordée de demander la résiliation du bail dans les 6 mois à compter du décès du

43 - C. civ., art. 1742.

13

preneur44

. Et l’alinéa 3 d’ajouter que la même faculté est accordée au bailleur de s’opposer à

la poursuite du contrat, mais à deux conditions : que le défunt ne laisse pas de prétendant

remplissant les conditions de participation à l’exploitation, et qu’il agisse rapidement, là

encore dans les 6 mois qui suivent le décès.

Aussi, le bailleur devra être particulièrement vigilant lors de la délivrance d’un congé, en cas

de décès du preneur (évènement dont il n’aura pas forcément connaissance), afin de délivrer

congé à la bonne personne.

C’est l’existence de ce délai de forclusion que la Cour de cassation vient de rappeler, de

manière plus ou moins directe, dans les deux décisions évoquées ci-après.

Dans la première espèce45

, à la suite du décès du père, co-titulaire du bail avec son épouse, le

contrat de location s’était poursuivi avec l’un des enfants ayant effectivement participé à

l’exploitation, sans réaction immédiate de la part du bailleur. Ce n’est que bien plus tard que

ce dernier délivre un congé pour reprise au seul conjoint survivant, qui conteste le congé reçu

au motif qu’il aurait dû également être notifié à son fils, co-titulaire du bail depuis le décès du

père. Or, les juges d’appel décident de valider le congé, au motif que le preneur n’ayant pas

informé le bailleur du décès, ce dernier avait été privé de la possibilité d’exercer ses droits, de

contester la dévolution successorale prévue par l’article L 411-34 du Code rural et de la pêche

maritime. Fort logiquement, la Haute cour censure la décision. Elle rappelle que si le bailleur

peut s’opposer à la transmission du bail, ce n’est, d’une part, que dans l’hypothèse où le

preneur vient à décéder sans laisser de membres de sa famille remplissant les conditions de

l’article L 411-34 et, d’autre part et surtout, à condition qu’il sollicite la résiliation du bail

dans les 6 mois à compter du décès du preneur sous peine d’être forclos, comme en l’espèce,

pour agir.

Dans la seconde affaire46

, le décès du preneur avait entraîné la transmission du bail au profit

de son épouse et de son fils. 9 ans plus tard, le bailleur intente une action devant le Tribunal

paritaire de baux ruraux, au motif que si transmission du contrat il y avait eu, celle-ci n’avait

pu s’opérer qu’au profit du conjoint survivant faute pour le descendant de satisfaire à la

condition légale de participation à l’exploitation. La demande fut accueillie par les juges du

fond, relevant que le descendant ne pouvait rapporter la preuve d’une participation effective

au moment du décès de son père et pas davantage pendant les 5 années antérieures à cet

événement. Là encore, la Cour de cassation remet en cause la décision, sur le fondement du

3ème

alinéa de l’article L 411-34. Elle rappelle, si besoin était, que le bailleur dispose d’un

44 - C. rur., article L 411-34, alinéa 2. 45 - Cass. 3ème civ., 24 juin 2009, pourvoi n° 08-15386. 46 - Cass. 3ème civ., 21 juin 2009, pourvoi n° 07-21272.

14

délai de 6 mois pour contester la dévolution successorale du bail rural, et qu’il s’agit là d’un

délai de forclusion entraînant la déchéance du droit non exercé en temps utile, enrichissant par

la même une jurisprudence constante47

.

C) LE BENEFICIAIRE DU CONGE : LE CAS PARTICULIER DU CONGE POUR REPRISE.

Certes, l’huissier n’est pas juge de l’opportunité d’adresser ou non un congé. Cela étant, sa

connaissance du droit applicable en la matière doit lui permettre d’informer l’auteur du congé

tant sur le contenu du congé que sur le délai à respecter. Mais il serait bien inspiré d’aller au-

delà, et de s’interroger même au préalable sur les éventuelles conditions à satisfaire une fois le

congé délivré car l’histoire ne s’arrête pas le document transmis.

En pratique, et en particulier dans l’hypothèse particulière d’un congé pour reprise, lorsqu’il

indiquera dans le congé les énonciations obligatoires il prendra soin d’attirer l’attention tant

l’auteur du congé, le bailleur, que celui qui en bénéficie, à savoir le repreneur, sur les

conditions à respecter maintenant mais aussi une fois la reprise effectuée.

D’abord, le repreneur, qu’il s’agisse du bailleur, de son conjoint, de son partenaire pacsé ou

d’un descendant, devra être en conformité avec le contrôle des structures ; il en sera de même

lorsque les terres sont destinées à être exploitées dès leur reprise dans le cadre d’une société et

si l’opération est soumise à autorisation, celle-ci devant alors être obtenue par la société.

Ensuite, l’alinéa 2 de l’article L 411-47 du Code rural et de la pêche maritime déclare que « à

peine de nullité », le congé pour reprise doit indiquer : les noms, prénom, âge, domicile et

profession du bénéficiaire ou des bénéficiaires48

devant exploiter conjointement49

le bien loué

et, éventuellement, pour le cas d’empêchement d’un bénéficiaire subsidiaire, ainsi que

l’habitation ou éventuellement les habitations que devront occuper après la reprise le ou les

bénéficiaires du bien repris.

Aucun bénéficiaire ne peut être substitué à celui ou à ceux dénommés dans le congé, à moins

que, par force majeure50

, ces bénéficiaires ne se trouvent dans l’impossibilité d’exploiter aux

47 - Cass. 3ème civ., 24 fév. 1988, JCP N 1988, II, 271, obs. Moreau ; Cass. 3ème civ., 4 mars 1998 : JCP N, 1998, n° 28, p.

1094, obs. Moreau. 48 - La désignation alternative de plusieurs bénéficiaires, le bailleur donnant congé pour « l’un ou l’autre » de ses

descendants, n’a pas été admise : Cass. 3ème civ., 22 janv. 1980 : Rev. Loyers 1980, p. 251. 49 - Sur le fondement de cette disposition, certaines cours d’appel ont cru pouvoir déclarer nul le congé délivré au profit de

deux bénéficiaires qui devaient exploiter chacun séparément une partie des biens repris : CA Amiens, 1er avril 1982 : JCP N

1983, II, p. 29 – CA Caen, 13 mars 1984 : Gaz. Pal. 1984, 2, p. 505 ;note J. Lachaud). L’interprétation a été censurée par la

Cour de cassation, qui a considéré que c’était ajouter à la loi une condition qui n’était pas prévue : Cass. 3ème civ., 23 mai

2002 : RD rur. 2002, p. 328, obs. J-M Gilardeau. 50 - La force majeure ne saurait être retenue dans l’hypothèse où le bénéficiaire désigné dans le congé n’obtient pas

l’autorisation d’exploiter qu’il avait sollicité au titre du contrôle des structures (Cass. 3ème civ., 2 oct. 1974 : JCP G 1976, II,

18215, note P. Ourliac et M. de Juglart). L’âge de l’intéressé, plus de 65 ans, qui avait donné congé pour son propre compte,

15

conditions prévues par les articles L 411-58 à L 411-63 et L 411-6751

. Le texte est même

précis ; il ajoute que s’agissant d’une demande de reprise pour l’installation d’un descendant,

il peut lui être substitué soit son conjoint ou partenaire pacsé, soit un autre descendant majeur

ou mineur émancipé de plein droit. Si en revanche c’est une demande de reprise personnelle

du bailleur, ce dernier peut se substituer soit son conjoint ou partenaire pacsé, soit l’un de ses

descendants majeur ou mineur émancipé de plein droit.

A noter qu’en cas de décès du bailleur, son héritier peut bénéficier du congé s’il remplit les

conditions mentionnées.

Lorsque c’est une société qui exerce son droit de reprise, le congé doit indiquer les nom de la

société et celui du ou des membres de cette société devant assurer l’exploitation du bien

repris, avec les mêmes conséquences sur la validité du congé si celui-ci venait à désigner un

associé en indiquant que le fonds pourrait aussi être mis en valeur par d’autres associés non

individualisés52

.

Attention, l’article L 411-49 du Code rural et de la pêche maritime précise que l’acquéreur à

titre onéreux d’un bien rural ne peut se prévaloir d’un congé donné par l’ancien bailleur en

vue de l’exercice du droit de reprise53

. Maintenant, rien n’empêche à cet acheteur si le délai

légal de 18 mois pour la délivrance d’un congé n’est pas entamé, de délivrer un nouveau

congé pour reprise, celui envoyé par l’ancien bailleur devenant alors naturellement caduc.

n’a pas davantage été considérée comme un cas de force majeure : Cass. 3ème civ., 21 janv. 1975 : Gaz. Pal. 1975, 2, p. 593,

note J. Lachaud. 51 - C. rur., art. L 411-48, alinéa 1er. 52 -Pour une société : Cass. 3ème civ., 16 fév. 1983 ; JCP G 1983, IV, p. 136 et JCP N, 1983, prat. 8840, p. 618.

Pour une association : Cass. 3ème civ., 17 juill. 1989 : JCP 1987, II, 20770, obs. J. Prévault. 53 - « L’acquéreur d’un fonds loué ne saurait se prévaloir du congé qui a été donné aux fins de reprise par le bailleur ou tout

autre propriétaire substitué » : Cass. 3ème civ., 21 fév. 2001 : RD rur. 2001, p. 127, obs. B. Grimonprez.

16

II – L’ACTE : DELAI ET CONTENU

A) DELAI DU CONGE

1° - Le principe et les difficultés posées

a) Principe et computation du délai

Le principe est que le propriétaire qui entend mettre un terme au bail rural doit notifier congé

au preneur, 18 mois au moins avant l’expiration du bail, par acte extrajudiciaire54

. Le délai se

calcule de quantième à quantième55

, en excluant le jour de la notification56

: il ne bénéficie

d’aucune prorogation, même si le dernier jour est férié.

b) Les difficultés rencontrées

Le congé donné hors délai

Dans la mesure où le délai de 18 mois pour délivrer congé est un délai limite, si la formalité

est accomplie hors délai c’est-à-dire à moins de 18 mois de la fin du bail, le congé est

radicalement nul. Aussi, il ne saurait faire obstacle au droit à renouvellement du preneur, à

moins que le preneur n’ait renoncé à se prévaloir de cette inobservation de la règle en matière

de délai du congé57

.

Le congé donné pour une date inexacte

C’est loin d’être une hypothèse d’école quand l’on sait que bon nombre de baux ruraux sont

encore verbaux. Deux hypothèses sont envisageables, à l’issue toujours identique. Soit le

bailleur délivre congé pour une date antérieure à celle fixée pour l’expiration du contrat58

;

soit il délivre congé pour une date plus tardive que le terme effectif du bail, tout en respectant

le délai congé de dix-huit mois59

. Dans de telles hypothèses, le congé ne sera pas considéré

comme nul, mais il sera valable pour la date réelle de fin de bail. Hors, dans la première

hypothèse où le congé a été délivré pour une date antérieure, l’erreur du bailleur peut encore

se rattraper en délivrant un nouveau congé pour le terme effectif du contrat, si tant est que

54 - C. rur. Art. L 411-47 ; et L 411-55 pour le preneur. 55 - C.proc.civ., art. 640, 641 et 642.

Ces dispositions sont d’une portée générale ; elles concernent la notification de tous les actes juridiques et judiciaires et sont

par conséquent applicables au congé délivré dans le cadre d’un bail rural, tel qu’envisagé à l’article L 411-47 du Code rural et

de la pêche maritime : Cass. 3ème civ., 21 déc. 1987 : Bull. civ., 1987, III : JCP N 1988, II, p. 94 obs. J-P Moreau. Dans cette

décision, la Cour de cassation a admis qu’un bail rural ayant pris fin le 30 septembre 1983, le congé pouvait être valablement

donné par un acte du 31 mars 1982. 56 - Cass. 3ème civ., 9 mai 1972 : RD rur. 1972, 565. 57 - Cass. 3ème civ., 8 avr. 1992 : RD rur. 1992, p 366. 58 - Cass. 3ème civ., 17 janv. 1990 : Bull. civ., 1990, III, n° 21 ; JCP N 1990, II, p. 250, n° 3. 59 - Cass. 3ème civ., 14 nov. 1972 : Gaz. Pal. 1973, I, p. 226, note J-P Moreau.

17

l’on soit encore à plus de 18 mois de cette échéance. Dans la seconde hypothèse, la même

piste devient plus délicate à envisager.

Echelonnement de la fin du bail.

Il arrive que soient prévues pour la fin de la location deux termes différents : par exemple un

jour déterminé pour les bâtiments et les prairies et un autre jour, quelques mois plus tard, pour

des vignes afin de permettre au locataire d’effectuer les vendanges. Dans une telle hypothèse,

il a été jugé que, le bail étant un tout indivisible, le congé notifié par le bailleur 18 mois avant

la seconde date prévue dans le bail n’était pas hors délai par rapport à la première échéance

retenue dans le contrat pour les bâtiments et les pâtures60

.

Le congé délivré prématurément.

Si la loi fixe un minimum de dix-huit mois avant le terme du bail, rien n’interdit en revanche

au bailleur de délivrer valablement congé plusieurs années à l’avance61

.

Il existe malgré tout une limite, à savoir que saisi d’une contestation sur le bien fondé du

congé le juge, qui doit porter son appréciation en se plaçant non pas au jour de la délivrance

de celui-ci mais à sa date d’effet, peut dénoncer son caractère trop prématuré, l’empêchant

d’apprécier ce que sera la situation des intéressés le moment venu.

En l’absence de texte, ce sont donc les juges du fond qui apprécient souverainement si un

congé est ou non délivré prématurément62

. Si les juges, au moment où ils sont saisis, ne sont

pas en mesure d’apprécier si par exemple le bénéficiaire de la reprise remplira les conditions

de celle-ci le moment venu, le congé sera annulé comme prématuré63

. En revanche, bien que

délivré de manière prématuré, le congé sera validé si les magistrats peuvent d’ores et déjà

appréciés quelle sera la situation à la date d’effet du congé, soit au terme du bail.

La Cour de cassation vient d’en donner une nouvelle illustration, pour un congé délivré pas

moins de huit ans à l’avance ! Engagé dans cette affaire64

par un bail à long terme de 18 ans,

conclu le 29 septembre 1985, le bailleur décide de délivrer aux preneurs, le 28 mars 2002, un

congé pour reprise personnelle avec effet au 30 septembre 2003, soit comme le prévoit

l’article L 411-47 « plus de 18 mois à l’avance ». Mais il est précisé que le congé délivré est

subsidiairement destiné à limiter le renouvellement du contrat au 25 septembre 2006 pour

60 - Cass. 3ème civ., 5 déc. 1978 : JCP G 1979, IV, p. 53 : Bull. civ., 1978, III, n° 360. 61 - Cass. 3ème civ., 5 fév. 1997 : RD rur. 1997, p. 131 et 314 : ou encore CA Rouen, 24 oct. 2000 : RD rur. 2002, p. 48 où le

congé avait été délivré en 1998 pour 2001. 62 - Cass. Soc., 10 oct. 1957, JCP 1957, II, 10293. 63 - Cass. 3ème civ., 22 mai 1968 : Bull civ., 1968, n° 228 ; CA Amiens, 5 fév. 2008, JurisData n° 2008-360812 : RD rur.

2008, n° 366, obs. S. Crevel, où un congé délivré 7 ans avant le terme a été déclaré nul. 64 - Cass. 3ème civ., 24 juin 2009, pourvoi n° 08-18675.

18

Monsieur et au 25 septembre 2010 pour Madame, années au cours desquelles les co-preneurs

auront respectivement atteint l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des

exploitations agricoles.

Contestant la validité du congé reçu, les co-preneurs soutiennent en premier lieu que le

bénéficiaire ne dispose pas d’une autorisation préalable d’exploiter, pour exercer légalement

la reprise au terme normal du bail soit en septembre 2003. Sur ce premier point, ils vont être

entendus par les juges du fond. Sur le motif subsidiaire figurant dans le congé, à savoir le non

renouvellement pour cause d’âge de la retraite en 2010 pour l’un des co-preneurs, les juges

vont là encore écarter la validité du congé et inviter le bailleur à renouveler la procédure, se

fondant sur le caractère prématuré du congé fondé sur l’âge, délivré en 2002 pour produire

effet en 2010 soit 8 ans à l’avance.

Mais l’arrêt d’appel va, sur le second point, être censuré par la Cour de cassation, qui rappelle

que « le seul fait qu’un congé soit délivré prématurément ne suffit pas à entraîner sa nullité ».

Ainsi, reproche est fait aux juges du fond de ne pas avoir caractérisé les circonstances pouvant

justifier une telle annulation.

La jurisprudence nous enseigne que si les juges ont à l’occasion valider des congés délivrés

plusieurs années avant la fin du bail65

, ils ont pu tout aussi bien annuler un congé délivré sept

ans à l’avance66

. Où se trouve alors la limite ?

En fait, la règle est simple et empreinte de bon sens. Le fait que le congé soit délivré de

manière prématurée n’est pas en soi répréhensible, faute de base légale prévoyant une telle

sanction. Les juges du fond doivent caractériser les circonstances pouvant justifier une telle

annulation. Et ils doivent apprécier le bien fondé du congé, les effets de celui-ci à la date pour

laquelle il est délivré … mais à partir des éléments dont ils disposent au jour où ils se

prononcent. Or il semble évident que plus on est éloigné du terme du contrat, plus l’exercice

d’appréciation est délicat pour les magistrats67

.

Encore que certaines causes sont parfaitement objectives à quel que moment que l’on se

place, comme c’était le cas en l’espèce. Ici, le terme lointain du bail rural ne posait pas de

difficulté d’appréciation, précisément en raison de la nature du motif subsidiairement mis en

avant dans le congé. S’agissant d’un non renouvellement fondé sur l’âge du preneur, le fait

était objectivement appréciable et vérifiable aussi bien dix-huit mois avant la fin du bail que

65 - Cass. 3ème civ., 5 fév. 1997 : Rev. Huissiers 1999 ; obs. Teilliais.

Un congé délivré le 16 janvier 1998 pour le 29 septembre 2001 jugé non prématuré : CA Rouen, 24 oct. 2000 : RD rur. 2002,

48. 66 - Cass. 3ème civ., 28 mars 1973 : Bull. civ., III, n° 239 ; CA Amiens, 5 fév. 2008 : RD rur. 2008, n°s 111 et 173. 67 - Pour un exemple de la difficulté pour le juge d’apprécier la validité d’un congé délivré longtemps à l’avance : TPBR

Epernay, 8 déc. 2000 : RD rur. 2001, p. 287.

19

huit ans à l’avance. La solution aurait été toute différente et le congé sans aucun doute

invalidé s’il s’était agi d’apprécier huit ans avant le terme du bail la capacité du bailleur à

reprendre le bien loué.

2° Quelques cas particuliers

a) La reprise en cours de bail.

Par dérogation au principe posé par l’article L 411-5 du Code rural et de la pêche maritime

selon lequel « la durée du bail ne peut être inférieure à neuf ans », l’article L 411-6 est venu

prévoir qu’au moment du renouvellement, le preneur ne peut refuser l’introduction d’une

clause de reprise à la fin de la sixième année suivant ce renouvellement au profit du conjoint,

du partenaire titulaire d’un pacte civil de solidarité ou d’un ou de plusieurs descendants

majeurs ou mineurs émancipés, qui devront exploiter personnellement dans les conditions

fixées à l’article L. 411-59.

La reprise « sexennale » ne doit pas être confondue avec la reprise dite « triennale », elle aussi

prévue par le législateur mais dans une situation plus exceptionnelle : la reprise (prévue par

clause insérée dans le bail initial ou renouvelé) au profit d’un propriétaire en état de minorité

lors de la conclusion du bail (ou de son renouvellement), sur des parcelles lui appartenant et

dont il voudra profiter une fois devenu majeur, en pouvant exciper de la clause de reprise à

l’occasion de chaque période triennale, et ce tant lors du bail initial que du bail renouvelé68

.

Qu’il s’agisse d’une reprise « triennale » ou « sexennale », le bailleur devra notifier congé au

preneur non pas dix-huit mois mais deux ans au moins à l’avance, naturellement dans les

formes prescrites à l’article L. 411-47, à savoir par acte extrajudiciaire.

b) La résiliation pour changement de destination agricole

L’article L 411-32 du Code rural et de la pêche maritime permet au bailleur, à tout moment,

de résilier le bail sur des parcelles dont la destination agricole peut être changée et qui sont

situées en zone urbaine en application d’un document d’urbanisme69

. La résiliation70

doit être

68 - C. rur., art. L 411-6, alinéa 2 : « sauf s'il s'agit d'un bail conclu ou renouvelé au nom du propriétaire ou d'un copropriétaire

mineur, qui peut, à compter de sa majorité ou de son émancipation, exciper à son profit de la clause inscrite dans le bail à

l'expiration de chaque période triennale en vue d'exploiter personnellement dans les conditions susmentionnées. » 69 - En l'absence d'un plan local d'urbanisme ou d'un document d'urbanisme en tenant lieu ou, lorsque existe un plan local

d'urbanisme, en dehors des zones urbaines mentionnées à l'alinéa précédent, le droit de résiliation ne peut être exercé sur des

parcelles en vue d'un changement de leur destination agricole qu'avec l'autorisation de l'autorité administrative (C. rur., art. L

411-32, alinéa 2).

20

notifiée au preneur par acte extrajudiciaire ; elle produira effet un an après l’accomplissement

de l’acte extrajudiciaire. Il faut souligner que la notification doit mentionner l’engagement du

propriétaire de changer ou de faire changer la destination des terrains au cours des trois

années qui suivent la résiliation du bail.

c) Le bail de 25 ans

L’ordonnance n° 2006-870 du 13 juillet 2006 relative au statut du fermage71

, adoptée en

application de la loi d’orientation agricole du 5 janvier 200672

, complète l’article L. 416-3 du

Code rural et de la pêche maritime d’un alinéa ainsi rédigé : « en l’absence de clause de tacite

reconduction, le bail à ferme prend fin au terme stipulé sans que le bailleur soit tenu de

délivrer congé ». Le législateur précise ainsi le régime du bail de 25 ans dépourvu de clause

spécifique quant à son issue, faisant alors de ce contrat un bail à long terme à durée

déterminée. En effet, la modification apportée en 2006 met un terme à la jurisprudence bien

établie selon laquelle le bail de 25 ans sans clause de tacite reconduction se renouvelait par

période de 9 ans, comme la Cour de cassation l’a affirmé à diverses reprises73

.

En conséquence, c’est en amont, au moment de la conclusion du contrat, que tout se joue et

que la prudence est de mise. L’inclusion dans la convention de longue durée d’une clause de

tacite reconduction lui confère un caractère spécifique : la fin du contrat est subordonnée à

l’envoi d’un congé « à long préavis » en ce qu’il produit effet quatre ans après être délivré,

avec comme particularité qu’il peut ne pas être motivé74

.

Au contraire, en l’absence de mention particulière les parties adhèrent à la solution nouvelle :

la fin du bail pour le terme prévu. Conscient du danger, le législateur a fait preuve de sagesse

en dérogeant à la pratique habituelle d’application aux baux en cours des modifications

législatives survenues. Les dispositions de l’ordonnance complétant l’article L. 416-3 du

Code rural et de la pêche maritime n’intéressent que les baux conclus ou renouvelés à compter

de sa publication, soit à partir du 14 juillet 2006.

70 - Lorsque l'équilibre économique de son exploitation est gravement compromis par une résiliation partielle, le preneur peut

exiger que la résiliation porte sur la totalité du bien loué.

Le preneur est indemnisé du préjudice qu'il subit comme il le serait en cas d'expropriation. Il ne peut être contraint de quitter

les lieux avant l'expiration de l'année culturale en cours lors du paiement de l'indemnité qui peut lui être due, ou d'une

indemnité prévisionnelle fixée, à défaut d'accord entre les parties, par le président du tribunal paritaire statuant en référé. 71 - JORF 14 juillet 2006, p. 10626. 72 - Article 8 de la loi d’orientation agricole n° 2006-11, JORF 6 janv. 2006, p. 229. 73 - Cass. 3ème civ., 12 juin 2003, Leaux c/ Billerey : RD rur. 2003, p. 656.

Pour une présentation plus détaillée du « congé en matière de bail de 25 ans », voir nos observations à propos de l’arrêt :

Cass. 3ème civ., 31 oct. 2007, n° 06-18864, Musso c/ GFA de Saint-Laurent du Médoc, publiées in Revue Droit et procédure,

n°de septembre-octobre 2008, « Bail rural de 25 ans, clause de renouvellement par tacite reconduction, Motivation du

congé », p. 244 et s. 74 - Cass. 3ème civ., 16 juin 2004 : RD rur. 2003, p. 529, obs. B. Grimonprez.

21

Mais attention, si l’absence de clause spécifique dans un bail conclu après l’entrée en vigueur

de l’ordonnance crée une certitude : une durée limitée à 25 ans, sans besoin de congé à long

préavis, elle peut être aussi la source d’un piège. En effet, à défaut de libération des lieux à la

date initialement convenue, un bail verbal de 9 ans succède au bail de 25 ans au profit du

preneur qui s’est maintenu en place …. pour lequel le bailleur ne pourra délivrer congé que 18

mois avant le terme !

d) La location de « petites parcelles »

Dérogatoire pour partie au statut du fermage, la location portant sur de « petites parcelles »

connaît un régime tout à fait particulier en matière de congé, tenant à la forme du contrat. Si le

bail a été fait par écrit, il cesse de plein droit à l’expiration du terme fixé, sans qu’il soit

nécessaire de donner congé nous enseigne l’article 1737 du Code civil ; le preneur devra

quitter les lieux le moment venu, sous peine d’être expulsé75

. En revanche, en présence d’une

location verbale -ce qui est l’hypothèse la plus fréquente, surtout en présence de petites

parcelles-, le bail cesse par un congé délivré par l’un des intéressés à l’autre, 6 mois au moins

à l’avance76

, les juges invitant à tenir compte des éventuels usages locaux77

; congé qui

pourra, au choix des parties, être délivré par acte extrajudiciaire ou par lettre recommandée

avec demande d’avis de réception.

Reste une hypothèse qui a soulevé quelques difficultés en pratique. En effet, il se peut qu’à la

suite d’un partage par exemple, certaines des parcelles (voire toutes) du fait de la division

intervenue deviennent des « petites parcelles ». Faut-il alors les soumettre au régime spécial

des petites parcelles tel qu’il est fixé à l’article L 411-3 du Code rural et de la pêche

maritime ? En appliquant alors les règles que nous avons précédemment évoquées, distinguant

entre bail écrit et bail verbal. Ou doit-on au contraire continuer de leur appliquer le statut du

fermage ? La Cour de cassation a intervenu pour dire que « l’indivisibilité du bail persiste

jusqu’à son expiration nonobstant la division entre plusieurs propriétaires du bien en faisant

l’objet » ; ce qui revient à dire que le contrat, malgré la division survenue, reste soumis au

statut du fermage, et que par conséquent le congé devra être signifié dans les conditions de

75 - Cass. Soc., 21 oct. 1954 : JCP G 1955, II, 8652, notes P. Ourliac et M. De Juglart. 76 - C. civ., art 1775 et C. rur. Art. L 411-52. 77 - Il a par exemple été jugé que le délai fixé par l’usage des lieux ayant été observé (en l’occurrence un délai inférieur à 18

mois), le congé était régulier et devait être validé : Cass. Soc., 26 oct. 1965, IV, n ° 713 ; Cass. 3ème civ., 22 avril 1976, JCP

G, 1976, IV, 192.

22

l’article L 411-47 du Code rural et de la pêche maritime, c’est-à-dire par acte extrajudiciaire à

peine de nullité78

.

Mais il est une autre règle : le renouvellement consacre un nouveau contrat distinct du

précédent, et soumet par conséquent à coup sûr les petites parcelles résultant de la division au

régime dérogatoire de l’article L 411-379

. Aussi a-t-on vu se développer le fractionnement des

propriétés par le biais de donations aux fins que l’on devine80

. Pour mettre un terme à cette

déviance, le législateur a profité de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du

27 juillet 2010 pour enrichir la rédaction de l’article L 411-3 ; dorénavant, la dérogation

prévue pour les parcelles de faible superficie ne s’applique plus aux terrains « ayant fait

l’objet d’une division depuis moins de neuf ans »81

.

e) Le bail prorogé pour permettre au preneur d’atteindre l’âge de la retraite

L’article L 411-58, alinéa 2, du Code rural et de la pêche maritime permet au preneur de

s’opposer à la reprise lorsque lui-même, ou en cas de copreneurs l’un d’entre eux, se trouve à

moins de cinq ans de l’âge de la retraite retenu en matière d’assurance vieillesse des

exploitants agricoles. Il doit pour cela, dans les quatre mois du congé qu’il a reçu, notifier au

propriétaire, par lettre recommandée avec demande d’avis de réception, sa décision de

s’opposer à la reprise ou saisir directement le tribunal paritaire en contestation du congé. Le

bail sera alors prorogé de plein droit pour une durée égale à celle qui doit permettre au

preneur ou à l’un des copreneurs d’atteindre cet âge. Pendant cette période, aucune cession du

bail n’est possible.

Si le bailleur entend reprendre le bien loué à la fin de la période de prorogation, il doit de

nouveau donner congé dans les conditions prévues à l’article L 411-47, à savoir par acte

extrajudiciaire délivré dix-huit mois au moins avant la nouvelle échéance.

f) Les locations annuelles renouvelables

L’article L 411-40 du Code rural et de la pêche maritime autorise le bailleur à consentir à un

exploitant agricole déjà installé sur une autre exploitation dont la superficie est au moins égale

78 - Cass. 3ème civ., 4 déc. 1979 : JCP N 1980, II, p. 201, note J-P Moreau. 79 - A la perte du droit au renouvellement s’ajoute, notamment, celle du droit de préemption. 80 - Pour une illustration, voir nos observations à propos de Cass. 3ème civ., 16 janv. 2010, pourvoi n° 09-65028 : in Revue

Droit et procédures, n° 6, juin 2011, p. 26 et 27. 81 - Pour une présentation synthétique de la loi n° 2010-874, de modernisation de l’agriculture et de la pêche, du 27 juillet

2010, voir notamment nos observations in Revue Droit et procédures, n° janv. 2011, p. 8 à 12.

23

à la surface minimum d’installation, une « location annuelle renouvelable »82

, dans la limite

d’une durée maximum83

de six années portant sur un fonds sur lequel il se propose d’installer

à l’échéance de l’un des renouvellements annuels un ou plusieurs descendants majeurs

nommément désignés et ayant atteint l’âge de la majorité au jour de l’installation.

En ce cas, le preneur peut dénoncer la location par lettre recommandée avec demande d’avis

de réception deux mois au moins avant la date de chaque renouvellement annuel. Et le

bailleur peut mettre fin à la location dans les mêmes conditions, voire par acte extrajudiciaire,

en vue de l’installation du ou des descendants nommément désignés dans l’acte de location.

B) LES MENTIONS DU CONGE

1° Le congé pour non renouvellement du bail

Dans l’hypothèse où le bailleur entend s’opposer au renouvellement, il doit délivrer un congé

au preneur qui doit à peine de nullité :

- mentionner expressément les motifs allégués par le bailleur ;

- indiquer en cas de congé pour reprise : l’état civil, la profession et l’habitation du ou des

bénéficiaires de la reprise projetée.

- et enfin, l’huissier devra reproduire les termes de l’alinéa premier de l’article L. 411-54 du

Code rural et de la pêche maritime.

a) Les motifs allégués par le bailleur

Les motifs pour lesquels le bailleur ait admis à délivrer congé sont limitativement énumérés

par la loi : âge du preneur, faute du preneur ou reprise du bien loué .. .

Un seul motif suffit. Il est toutefois possible d’en mettre plusieurs en avant (par exemple,

preneur âgé ayant commis des fautes), auquel cas le congé devra alors respecter les formalités

propres à chacun d’eux. Les juges ont à l’occasion précisé que les motifs sont indépendants et

82 - Cette location est consentie à un prix dans les conditions prévues, selon le cas, par les articles L. 411-11 à L. 411-16 ou L.

417-3 du Code rural et de la pêche maritime. 83 - Attention ! Si à l'expiration de la sixième année de location le bailleur n'a pas installé ses descendants, la location est

transformée de plein droit en bail ordinaire ; à défaut d'accord amiable, le tribunal paritaire des baux ruraux en fixe le prix. Il

en est de même en cas de cession du fonds à titre onéreux.

Ce bail est considéré comme un premier bail et prend effet à la date à laquelle la location a été transformée : C. rur., art.L

411-42.

24

que par conséquent, la nullité de l’un ne remet pas en cause les autres84

. En revanche, le ou les

motifs allégués dans le congé sont intangibles ; aussi un bailleur ne saurait modifier a

posteriori les mentions portées à la connaissance du preneur. En revanche, le ou les motifs

allégués dans le congé sont intangibles85

; ainsi, un bailleur ne peut modifier a posteriori les

mentions portées à la connaissance du preneur86

.

b) Le contenu particulier du congé pour reprise

Nous invitons ici le lecteur à retourner à nos développements relatifs au « Bénéficiaire du

congé » (voir infra, Partie I, C) ; l’important étant de retenir que le congé doit mentionner ici

avec exactitude l’état civil du ou des repreneurs, ainsi que la profession exercée et l’habitation

qui sera occupée, afin que le preneur puisse apprécier d’emblée la réalité de la reprise projetée

et éventuellement contesté le congé délivré sur ce fondement, comme le rappelle la troisième

mention obligatoire du congé.

c) Le rappel de la faculté pour le preneur de contester le congé.

Le congé doit, à peine de nullité, reproduire les termes de l’alinéa premier de l’article L 411-

54 du Code rural et de la pêche maritime, selon lequel : « Le congé peut être déféré par le

preneur au tribunal paritaire dans un délai fixé par décret, à dater de sa réception, sous

peine de forclusion. La forclusion ne sera pas encourue si le congé est donné hors délai ou

s'il ne comporte pas les mentions exigées à peine de nullité par l'article L. 411-47 ».

Dans un arrêt remarqué et largement commenté87

, la Cour de cassation en a déduit que « la

mention dans le congé du délai de contestation n’était pas requise par la loi ». Certes ! Mais

l’on ne saurait faire reproche à l’huissier de remplacer, quand il reproduit les termes du texte

visé, la mention « dans un délai fixé par décret » par « dans un délai fixé à 4 mois ».

2° Les cas particuliers

84 - Pour que le congé soit validé, il suffit que l’un des motifs soit bien fondé, il importe peu que les autres se révèlent

inefficaces.

Ainsi en a-t-il été jugé dans une affaire où reproche était fait au congé délivré, fondé sur plusieurs motifs et notamment l’âge

du preneur, de ne pas contenir la mention obligatoire de l’article 411-64 (à savoir la faculté pour le preneur évincé en raison

de son âge de céder son bail à son conjoint, ou au partenaire avec lequel il est lié par un pacte civil de solidarité, participant à

l'exploitation ou à l'un de ses descendants ayant atteint l'âge de la majorité ou ayant été émancipé, dans les conditions prévues

à l'article L. 411-35 ; étant rappelé que le bénéficiaire de la cession a droit au renouvellement de son bail). L’omission a été

considérée par les juges comme sans effet sur la régularité du congé, dans la mesure où le congé était par ailleurs bien fondé

sur les deux autres motifs allégués, à savoir le reproche d’une exploitation des biens loués par des tiers et une reprise

personnelle : Cass. 3ème civ., 11 déc. 1979 ; JCP N 1980, prat. 7551, p. 265, obs. J-P Moreau.

Ou encore, Cass. 3ème civ., 12 mai 1976, Bull. civ., 1976, III, n° 200. 85 - Cass. 3ème civ., 8 mai 1978 : Bull. civ. 1978, III, n° 191 ; Gaz. Pal., 13 juill. 1979. 86 - Cass. 3ème civ., 4 mai 1994 : Bull. civ. 1994, III, n° 86. 87 - Cass. 3ème civ., 12 déc. 1990 : Bull. civ. 1990, III, n° 263 ; JCP N 1991, II, p. 293, obs. J-P Moreau ; Voir également sur

la question A. Bénabent, Rapport Cour de cassation pour 1990 ; D. 1991, chronique XXV, p. 175 et s.

25

S’agissant du contenu, j’en citerai trois.

a) le refus de renouvellement fondé sur l’âge du preneur : congé ou simple avis ?

En fait, il importe de distinguer les situations selon que l’on est en présence ou non d’un bail à

long terme.

Si le but poursuivi par le bailleur est, dans la perspective de reprendre les biens loués, de

s’opposer au renouvellement du bail en se fondant sur l’âge du preneur, il est indiscutable que

le congé délivré au preneur âgé doit, à peine de nullité, obligatoirement reproduire l’énoncé

de la disposition légale l’autorisant à céder son bail à l’un de ses descendants88

.

En revanche, la solution est différente pour un congé délivré dans le cadre d’un bail à long

terme. C’est l’enseignement que nous invite à retenir un arrêt rendu le 13 juillet 2011 par la

Cour de cassation89

, décision que nous commenterons prochainement dans la revue « Droit et

procédures ». En l’espèce, la bailleresse avait délivré, le 25 juin 2005, aux époux deux « avis

de refus de renouvellement », à effet au 31 décembre 2006, de deux baux à long terme de 18

ans conclus le 1er

janvier 1989. Preneurs qui ont reproché au jugement d’avoir validé ces avis

et ordonner leur expulsion, alors qu’aurait dû figurer dans le congé, à peine de nullité, la

faculté de cession au profit du preneur ayant reçu au cours d’un bail à long terme, un congé en

raison de son âge. Décision confirmée par les juges d’appel qui, ayant constaté que les

preneurs avaient atteint l’âge de la retraite, déduisirent d’une lecture combinée des articles L

416-1 et L 416-8 du Code rural relatifs aux baux à long terme, que les dispositions des alinéas

4 et 5 de l’article L 411-64 (sur la faculté de cession du preneur âgé) relatives au droit de

reprise «n’étaient pas applicables à l’acte par lequel s’exerçait la faculté de refuser le

renouvellement du bail à long terme à l’expiration de celui-ci, à raison de son âge ». Par

conséquent, les congés délivrés étaient selon la Cour d’appel valables, ce à quoi la Cour de

cassation n’a rien trouvé à redire.

b) La résiliation pour cause d’urbanisme

Le congé délivré doit obligatoirement contenir l’engagement du propriétaire de changer ou de

faire changer la destination des terrains au cours des trois années qui suivent la résiliation du

bail.

c) Le bail cessible issu de la loi de 2006

88 - C. rur., art. L 411-64 in fine. 89 - Cass. 3ème civ., 13 juill. 2011, n° pourvoi 10-10595 ;

26

Il est naturellement possible de délivrer un congé pour non-renouvellement du bail cessible

pour les motifs légaux précédemment évoqués à propos du bail ordinaire, sous-entendu

incessible.

Mais il présente une singularité qui l’apparente au bail commercial, en ce que le bailleur peut

s’opposer à son renouvellement sans avoir à motiver sa décision, ni être obligé d’invoquer les

dispositions relatives au droit de reprise pour exploitation personnelle (L. 411-57) ou encore

une faute du preneur (L. 411-31). Mais la liberté recouvrée du bailleur a un prix : si le non-

renouvellement n’est pas motivé, une indemnité d’éviction est due au profit du preneur en

place90

. C’est une créance d’ordre public, que les parties ne sauraient écarter par une clause du

contrat ; en la circonstance, le législateur s’est inspiré de l’indemnité d’éviction en matière

commerciale91

. Faute de distinction dans la loi, on peut considérer que l’indemnité d’éviction

s’applique tant pour le non-renouvellement du bail initial que pour les non-renouvellements

ultérieurs.

Se pose naturellement la question du montant de l’indemnité d’éviction. L’article L. 418-3,

alinéa 3, déclare que celle-ci doit correspondre « au préjudice causé par le défaut de

renouvellement ». Ceci permettra d’y inclure notamment « la dépréciation du fonds du

preneur, les frais normaux de déménagement et de réinstallation ainsi que les frais et droits

de mutation pour acquérir un bail de même valeur », « sauf si le bailleur apporte la preuve

que le préjudice est moindre ».

En tout état de cause, la liste retenue pour évaluer le dommage est non exhaustive ! Cela

permet d’y ajouter autre chose, comme la perte directe ou indirecte de droits incorporels

(DPU ….), suscitant d’ailleurs plus d’interrogations que de réponses. Aussi les parties, ou le

juge, peuvent fixer une indemnité d’éviction qui correspondrait à la valeur économique du

droit au bail (valeur de rendement de l’activité), puisque nous sommes en présence d’un bail

dont la valeur patrimoniale est reconnue.

L’indemnité sera exigible au moment où le bail prend fin, sans que le locataire puisse, dans

l’attente du paiement, se maintenir dans les lieux car il n’existe pas de disposition analogue à

celle de l’article L. 411-76, alinéa 3. Le bailleur sera sans doute d’autant moins prompt à

délivrer congé que le montant de l’indemnité lui semblera conséquent. Le principe ne saurait

être aménagé conventionnellement au moment de la conclusion du bail. En revanche, rien

n’interdit aux parties de trouver par la suite un terrain d’entente ; à défaut, il conviendra de

recourir à la médiation du juge.

90 - C. rur., art. L 418-3 al. 3. 91 - C. com., art. L. 145-14.

27

Mais l’indemnité d’éviction n’est pas exclusive ; peut venir s’y ajouter une indemnité pour les

améliorations apportées au fonds loué par le preneur sortant, sous réserve que celles-ci aient

été effectuées dans le cadre légal décrit aux articles L. 411-73 et suivants. Naturellement, il

conviendra de veiller à ce que le bailleur n’indemnise pas deux fois la même chose.

Je terminerai en évoquant un projet qui, s’il avait abouti, aurait sans aucun doute

perturbé la logique du statut des baux ruraux évoqué depuis tout à l’heure.

Lors des débats parlementaires relatifs à la loi de modernisation de l’agriculture du 27

juillet 2010, un amendement92

proposait d’instaurer le « congé-vente au profit des bailleurs

nécessiteux ». L’idée émise par le parlementaire était que le bailleur disposant de ressources

inférieures à une fois et demi le SMIC, puisse délivrer un « congé pour vente du bien loué au

meilleur prix » et sans que le locataire désireux de préempter ne soit en mesure, comme le lui

permet actuellement le statut du fermage, de solliciter une révision judiciaire du prix de vente.

Locataire en place qui, s’il ne se portait pas acquéreur aux conditions notifiées, aurait tout

simplement « été déchu de plein droit de tout titre d’occupation du bien loué ». Ainsi, le

bailleur nécessiteux aurait-il pu proposer la vente du bien au prix fort : vente au profit du

locataire dépourvu du droit de discuter le prix, …. ou à un tiers candidat à l’acquisition d’un

bien du coup libre de tout locataire, et donc d’une valeur effectivement supérieure. Cette

proposition pour le moins radicale a été repoussée, en rappelant simplement les obligations

légales du preneur en place : s’il peut effectivement chercher à réduire le prix d’acquisition du

bien mis en vente, en sollicitant la fixation judiciaire, le Code rural lui impose, une fois

devenu propriétaire par préemption, de continuer d’exploiter personnellement le bien loué

pendant 9 ans.

Pour conclure, j’espère vous avoir convaincu du rôle fondamental de l’huissier quant aux

personnes, aux délais et au contenu du congé délivré par le bailleur dans le cadre d’un bail

rural. Maintenant, un congé n’est pas toujours le préalable nécessaire pour qui souhaite mettre

un terme au contrat ; le bailleur peut poursuivre la résiliation du bail devant le juge, avec là

encore un rôle à jouer pour l’huissier.

92 - Amendement n° 29 rectifié, déposé par M. J. Auclair.