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8/3/2019 Des hros trs discrets - Note d'analyse Gopolitiques n38
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Des hros trs discretsHommage nos soldats tombs en Afghanistan
Le 19 juillet dernier, lors dune crmonie aux Invalides, le chef de ltat
a rendu hommage aux sept soldats franais tombs enAfghanistan
la semaineprcdente. A ce jour, ce sont 75 militaires franais qui ont donn
leur vie dans ce thtre doprations lointain, au cours dun conflit ingrat
dont lopinion publique ignore presque tout. En effet, linverse
de ce qui se produit dans dautres pays ayant des hommes enAfghanistan,
lengagement de nossoldats, leur mission et mme leurs sacrifices sont trs
peu mdiatiss. Pourtant, comme le dmontrent deux rcents ouvrages
rdigs par de jeunes engags franais, le travail dlicat et prilleux
quaccomplissent l-bas, Nijrab, Tagab et dans la valle dAlassa, les 4.000
militaires du contingent franais force ladmiration. Cest aussi pour rendre
hommages ces hros trs discrets que jai souhait prsenter, dans cette
note danalyse, les motivations qui ont pouss ces jeunes gens - leur ge
nexcde souvent que de trs peu celui de nos tudiants - choisir de servir
leur pays sous luniforme.
Le contingent militaire franais en Afghanistan compte 4.000 hommes. Mais, enralit, en raison de la rotation des effectifs, ce sont quelque 50.000 militairesfranais qui ont dj combattu l-bas. Qui sont-ils ? En quoi consiste, au jour le jour,
leur mission ? Quelles sont leurs motivations ? Les ouvrages rdigs par le Lieute-nant Nicolas Barthe et le Sergent ChristopheTranVan Can,deux jeunes officiers du21e rgiment dinfanterie de Marine (RIMa) permettent de rpondre ces questions.Ces documents de premire main permettent de dcouvrir ce que sont rellementles conflits dits de basse intensitet la difficult des oprations dites de peace buil-dingqui constituent dsormais lessentiel des missions accomplies sur le terrainpar les militaires occidentaux. Ils clairent galement les ressorts de leur engage-ment et offrent quelques prcieux conseils en termes de leadership et de manage-ment des hommes. Mais surtout, sans que leurs auteurs laient pourtant recherch,ces ouvrages donnent une belle leon de courage.
Des jeunes gens ordinairesaccomplissant des choses extraordinaires
La lecture de ces deux livres permet dabord de rduire nant un clich encoretrop rpandu : non,les jeunes gens qui dcident de servir dans larme ne sont pasdes marginaux ni bien sr des rats! Ils nont pas choisi cette voie par dfaut,mais par vocation et souvent par idal.Le parcours du Lieutenant Barthe, engag vo-lontaire 23 ans,en tmoigne de faon loquente. Lui-mme crit : Un jour, appre-
Comprendre Les Enjeux Stratgiques
Note hebdomadaire danalyse gopolitiquede lESC Grenoble. octobre 2011
38
CLES - Comprendre Les Enjeux Stratgiques - Note danalyse n38 - octobre 2011 - www.grenoble-em.com- 1 -
Par Jean-Franois
Fiorina
Directeurde lEcole Suprieure
de Commerce
de Grenoble
CLES
Le contingent militaire
franais en Afghanistan
compte 4.000 hommes.
Mais, en ralit, en raison
de la rotation des effectifs,
ce sont quelque 50.000
militaires franais qui
ont dj combattu l-bas.
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nant que je servais sous le drapeau franais, une personne ma demand spontanment :Ah ? Vous naimiez pas lcole ? Or, ce nest pas parce que je me sentais en situation dchecdans le monde civil que je me suis engag. Jai eu la chance de suivre de longues tudes. Elles
se sont acheves par lobtention dun master en relations conomiques internationales Sciences Po.Fort de ce diplme, plusieurs options souvraient : la finance, le concoursde lEna ou celui de lInstitut rgional dadministration Mais le jeune homme hsiteplutt entre lhumanitaire et larme, deux voies permettant dtancher sa soif den-gagement et aussi daventure. Ce sera donc cette dernire.Un cas isol ? Nullement : parmi les hommes de sa section, comme parmi les cama-
rades du Sergent Tran Van Can, plusieurs ont suivi des tudes suprieures ou dispo-sent de comptences techniques recherches sur le march de lemploi. Enfin, lesdiscussions qui stablissent entre eux dans la promiscuit du camp permettent ausside constater quils ne sont nullement des tres asociaux : comme tous les jeuneshommes de leur ge, les militaires franais prsents en Afghanistan se passionnentpour le sport, suivent les rsultats des championnats de football, aiment les sortiesentre amis, chrissent leurs fiances, leurs pouses et leurs enfants et font des pro-jets davenir. Pour le dire clairement : ce sont des jeunes gens ordinaires - bien desgards comparables ceux qui suivent leur tude lESC Grenoble -, qui accom-plissent et vivent des choses extraordinaires.
Les affres dune drle de guerre,dans laquelle lennemi est partout et nulle part
En effet, leur quotidien na, en revanche, que peu de choses voir avec celui de leurs
camarades rests la vie civile. Relatant une conversation tlphonique avec sa fian-ce reste en France, le Lieutenant Barthe confie : Entendant la musique en arrire-fond, jai mesur lampleur du foss qui sparait nos deux mondes : dun ct, la lgret
dune nuit dt dans le sud de la France ; de lautre, mes hommes harnachs de fusilsFamas en partance pour les valles de Kapisa. On limagine bien : ce genre de viresna rien de touristique Et elles ne correspondent pas non plus lide que lon sefait traditionnellement de la guerre. Officiellement dailleurs, il ne sagit pas duneguerre, mais dune mission dassistance lArme nationale afghane (ANA). Face auxsoldats franais et leurs camarades des forces internationales, il ny a pas darmergulire mais des terroristes et des insurgs mls une population dont il sagitde gagner les esprits et les curs.Au plan stratgique, cela signifie - comme la parfaitement thoris 40 ans aupara-vant, David Galula, un officier du RIMa ayant servi en Algrie - que, dans un contextede gurilla, la bataille se gagne en obtenant le soutien de la population. Au plan tac-tique, cela signifie que lennemi, infrieurement quip, va se cacher au sein de lapopulation afin de pousser les militaires professionnels un usage non matris dela force voire la bavure qui creusera le foss entre eux et la population. Au quo-tidien, cela se traduit de la faon suivante : un harclement quotidien de la part din-dividus fanatiss dclenchant des tirs ou des engins explosifs sans hsiter sembusquer dans la foule dun march Cette drle de guerre, ainsi que la quali-fie le Sergent Tran Van Can, a bien sr de quoi faire craquer les nerfs des hommesles plus aguerris. Il ny a pas de mission de routine, seulement des missions auxquellesnous sommes plus habitus. Mme au cur du bazar de Tagab, la situation pourrait bas-culer en quelques instants : une rafale qui part dans une ruelle, un suicide bomber Le
risque est omniprsent, o que nous nous trouvions, quelle que soit la mission, crit-il. Eneffet, lennemi est partout et nulle part. On ne peut tre sr daucun tre humain -homme, femme et mme enfant - crois sur son chemin : chaque ruelle, chaque
route, chaque piste peut tre le thtre dune attaque meurtrire. Le lieutenantBarthe comme le Sergent Tran Van Can en ont fait lexprience : lun comme lautreont connu la douleur de perdre des camarades dans des embuscades la fois at-tendues et imprvisibles.
Le got de lengagement et celui du management
Quest-ce qui peu bien pousser des jeunes gens issus dun pays prospre et en paix sengager dans un tel gupier, des milliers de kilomtres de chez eux, aprs avoirparfois connu dautres situations dlicates comme en ex-Yougoslavie ou en Afrique ?Bien sr un certain penchant personnel pour laventure. Mais pas seulement. Lorsque,profitant de ses rares instants de calme, Nicolas Barthe sinterroge sur le sens de sacarrire militaire et sur les ressorts profonds de son choix, il ne trouve nul gotparticulier pour la chose militaire. En passant en revue sa jeune vie, il dcouvre quandmme un fil rouge : le got de lengagement quil a prcdemment assouvi dans lac-
tion associative et le sport. Il se trouve, avoue-t-il,que je mpanouis davantage dansle cadre collectif que sur le plan individuel.Il reconnat aussi une certaine aptitude lartdu commandement, ce que lon appellerait le leadership dans lunivers civil. Du reste,le jeune lieutenant nhsite pas recourir la terminologie civile. Dfinissant loffi-
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Les jeunes gens qui dcident
de servir dans larme ne sont
pas des marginaux ni bien
sr des rats ! Ils nont
pas choisi cette voie
par dfaut, mais par vocationet souvent par idal.
Face aux soldats franais
et leurs camarades
des forces internationales,
il ny a pas darme rgulire
mais des terroristes
et des insurgs mls
une population dont il sagit
de gagner les esprits
et les curs.
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cier comme un lieutenant-manager, voire un manager multicartes, il fait part deproccupations que ne renieraient pas les cadres dentreprise. Le management de masection est un combat quotidien. Certes, la formation quon ma dispense met un accent
particulier sur la gestion des ressources humaines, mais je ne mattendais pas devenir unvritable conseiller social ! Jai appris que ce rle, loin dtre anecdotique, constitue le nerfdu commandement. Seul un engagement au jour le jour permet de gagner le respect de
ses soldats. Cest grce lui que mes ordres sont suivis sur le terrain.Et il conclut : Cestce qui fait le sel de mon travail.Ce sens du groupe et de la hirarchie habite aussi leSergent Tran Van Can qui le rsume dune formule digne des mousquetaires : Cha-
cun sa place et tous ensemble !Un autre visage de la gnration Y
la lecture de ces rcits, on est bien sr saisi dadmiration pour ces jeunes gens. Onsonge dabord leur dvouement et aux risques quils consentent de prendre - entoute connaissance de cause - au service de leur pays. Mais, plus prosaquement, onne peut aussi qutre impressionn par leurs comptences, leur capacit crer ducollectif et de la motivation dans un contexte pour le moins dlicat. Enfin, on estfrapp par la faon dont ils acceptent et mme recherchent les responsabilits quivont de pair avec les fonctions dencadrement. Ces observations sont rjouissantes.Elles dmontrent en effet quil existe, dans les jeunes gnrations, des rserves consi-drables dnergie, de comptences et de gnrosit qui ne demandent qu sex-primer. Tel est aussi le message quadressent aux dcideurs civils les jeunes engagsfranais de retour dAfghanistan : il ne faut pas dsesprer de la fameuse gnration
Y. Pour peu quon lui donne des raisons de sengager et quon lui fasse confiance, elleest bel et bien capable de se surpasser. Cest heureux, car sur le front conomiqueet social aussi, notre pays aura besoin, dans les annes venir dhommes et defemmes dtermins.I
Pour aller plus loin : Engag, par le Lieutenant Nicolas Barthe, Editions Grasset, 260 p., 17 ;Journal dun soldat franais en Afghanistan, par le Sergent Chr istophe Tran Van Can,, ditions Plon,184 p., 17 .
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EXTRAIT :Le sens du groupe - Lexprience afghane a laiss en moi des blessures indlbiles, mais elle a aussi renforc les fonde-
ments de mon engagement. Le sens profond du pacte qui nous unit sest rvl dans les montagnes touraniennes : une confiance
absolue entre les hommes, lesprit collectif pouss jusqu sa dernire extrmit. Avec lamour, il sagit mon sens du lien humain
le plus fort qui soit.Nicolas Barthe, in Engag, op. cit.
Comprendre
Les Enjeux StratgiquesPourquoi CLES ?Depuis 2007, Grenoble cole deManagement a introduit dans soncursus un enseignement de gopo-litique. Cette initiative novatricesappuie notamment sur la convic-tion que, face un monde com-plexe et en mutation permanente,lentreprise et les managers ont be-soin du prisme de la gopolitiquepour se positionner, prendre lesbonnes dcisions et engager lesstratgies adquates.
Il sagit toutefois dune approche ori-ginale de la gopolitique. traversses enseignements et ses activitsde recherche, Grenoble cole deManagement envisage celle-ci sousun angle oprationnel.Lobjectif est doffrir aux dcideursconomiques les outils daide ladcision ncessaires pour naviguerdans un environnement au sein du-quel les risques et les opportunitsvoluent sans cesse.
Avec la publication des notes CLES,Grenoble Ecole de Managementsouhaite partager, chaque semaine,avec ses partenaires, le fruit de sesrecherches en matire de gopoli-tique.Elle souhaite aussi stimuler leschanges dides et les partagesdexprience. Car, dans le mondequi est le ntre, cest aussi de laconfrontation des visions que pro-vient la performance.I
Retrouvez dautres analyses gopolitiques surwww.diploweb.com et surwww.grenoble-em.com/geopolitique.
Tel est aussi le message
quadressent aux dcideurs
civils les jeunes engags
de retour dAfghanistan :
il ne faut pas dsesprer
de la fameuse gnration Y.
Pour peu quon lui donne
des raisons de sengager
et quon lui fasse confiance,
elle est bel et bien capable
de se surpasser.