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Dans le cadre du Projet de 1’UNESCO (( VERS UNE CULTURE DE PAIX )) SYMPOSIUM INTERNATIONAL DES INSÉCURITÉS PARTIELLES A LA SÉCURITÉ GLOBALE ACTES Maison de 1’UNESCO 12-14 juin 1996 organisé par MEDN UNESCO Institut des hautes études Organisation des Nations Unies de défense nationale, France pour l’éducation, la science et la culture ~~-- avec le concours de ~ .-~ Centro di Alti Studi per la Difesa (CASD, Italie), Institut d’études de sécurité de 1’UEO Centro Superior de Estudios de la Defensa National (CESEDEN, Espagne)

Des insécurités partielles à la

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Page 1: Des insécurités partielles à la

Dans le cadre du Projet de 1’UNESCO (( VERS UNE CULTURE DE PAIX ))

SYMPOSIUM INTERNATIONAL

DES INSÉCURITÉS PARTIELLES A LA SÉCURITÉ GLOBALE

ACTES Maison de 1’UNESCO

12-14 juin 1996

organisé par

MEDN UNESCO Institut des hautes études Organisation des Nations Unies de défense nationale, France pour l’éducation, la science et la culture

~~-- avec le concours de ~ .-~

Centro di Alti Studi per la Difesa (CASD, Italie), Institut d’études de sécurité de 1’UEO Centro Superior de Estudios de la Defensa National (CESEDEN, Espagne)

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Éditeurs : UNESCO Moufida Goucha, Conseillère principale et spéciale du Directeur général René Zapata, Spécialiste principal en planification du programme Isabelle de Billy, Spécialiste du programme IHEDN Philippe Ratte, Directeur des études Emmanuelle Maréchal, Chargée de mission

Secrétariat : UNESCO Rachida Benshila IHEDN Isabelle Pagnon

Les idées et opinions exprimées dans cet ouvrage sont celles des participants au symposium inter- national cd Des insécurités partielles à la sécurité globale » et ne reflètent pas nécessairement les vues de I’UNESCO.

Les appellations employées dans cette publication et la présentation des données qui y figurent n’impliquent de la part de 1’UNESCO aucune prise de position quant au statut juridique des pays, territoires, villes ou zones, ou de leurs autorités, ni quant à leurs frontières ou limites.

Toute communication concernant cette publication peut être adressée à : Mme Isabelle de Billy, Spécialiste du programme UNESCO - 7, place de Fontenoy - F-75352 PARIS 07 SP Té1 : (33-l) 45 68 13 52 - Fax : (33-l) 45 68 55 55 Adresse du site Internet du symposium : http://www .unesco.org/cpp/fr/projets/insecurite/

CAB-97/WS/l

Publié en 1997 par l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture 7. place de Fontenoy F-75352 PARIS 07 SP

Imprimé dans les ateliers de I’UNESCO

0 CNESCO, janvier 1997 Imprimé en France

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COMITÉ D’ORGANISATION DU SYMPOSIUM

M. Federico Mayor Directeur général de 1’UNESCO

Général d’armée aérienne Bernard Norlain Directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale

Général de corps d’armée Carlo Jean Directeur Centro Alti Studi per la Difesa

M. Guido Lenzi Directeur de l’Institut d’études de sécurité de l’Union de l’Europe occidentale

Général de corps d’armée Javier Pardo de Santayana Directeur Centro Superior de Estudios de la Defensa National

Assistés de

UNESCO Mme Moufida Goucha

Conseillère spéciale et principale du Directeur général

M. René Zapata Spécialiste principal

en planification du programme Mme Isabelle de Billy

Spécialiste du programme

IHEDN M. Philippe Ratte

Directeur des études Mue Emmanuelle Maréchal

Chargée de mission

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TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’UNESCO .......................

OBJECTIFS DU SYMPOSIUM ........................................

MESSAGES DU GÉNÉRAL NORLAIN ET DE FEDERICO MAYOR ...............

OUVERTUREDUSYMPOSIUM .......................................

1.

II.

M. Federico Mayor, Directeur général de 1’UNESCO . Le général d’armée aérienne Bernard Norlain, Directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) M. Guido Lenzi, Directeur de l’Institut d’études de sécurité de 1’UEO Le général de corps d’armée Carlo Jean, Directeur du Centro Alti Studi per la Difesa (CASD) . . . Le général de corps d’armée Javier Pardo de Santayana, Directeur du Centro Superior de Estudios de la Defensa National (CESEDEN) représenté par le contre-amiral Alejandro Artal, Directeur adjoint du CESEDEN Allocution introductive par M. Federico Mayor, Directeur général de 1’UNESCO

PREMIÈRE TABLE RONDE : DE I-4 GESTION DES CRISES À I-4 PRÉVENTION DES CONFLITS Président : M. Guido Lenzi, Directeur de l’Institut d’études de sécurité de 1’UEO

Comment faire la guerre à la guerre ? par le colonel Jean-Louis Dufour (CRI, consultant militaire .

Les facteurs non militaires du processus de paix au Moyen-Orient par M. Domenico Siniscalco, professeur aux Universités de Louvain et de Turin .

L’IFOR : de l’imposition à la consolidation de la paix par M. Patrice Van Ackere, adjoint au chef de la Section <G gestions des crises » de 1’OTAN

La culture de la paix par M. Leslie Atherley. Directeur du programme de 1’UNESCO pour une culture de la paix . .

DEUXIÈME TABLE RONDE : LES SOURCES SOCIÉTALES ET CULTURELLES DE L’INSÉCURITÉ Président : le général de corps d’armée Carlo Jean, Directeur du Centro Alti Studi per la Difesa (CASD)

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Défense et sécurité : facteurs du développement par M. Jean-Christophe Rufin, Directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques, ancien vice-président de Médecins sans Frontières

Pacification et reconstruction en Afrique australe par M. Oscar Monteiro, ancien Ministre du Mozambique, consultant international

Les leçons de la guerre des Balkans par Mme Anna-Maria Corrazza, attachée auprès de l’envoyé spécial de la Commission des Communautés européennes à Sarajevo .

Initiatives des Nations Unies et de I’UNESCO en Afrique par M. Henri Lopes, Directeur général adjoint pour l’Afrique, UNESCO .

IIL TROISIÈME TABLE RONDE : LES CONDITIONS DE LA SÉCURITÉ DU DÉVELOPPEMENT Président : M. Ahmed Sayyad, Sous-directeur général pour les relations extérieures de I’UNESCO .

La sécurité démocratique par M. Denis Winckler, conseiller technique du programme SIGMA de I’OCDE

Les voies et les moyens du développement durable par M. Patrice Dufour, conseiller principal aux relations extérieures au Bureau européen de la Banque mondiale . .

Les mécanismes et approches pour la résolution des conflits par S. Ext. M. Mohamed Sahnoun, ambassadeur, conseiller spécial du Directeur général de 1’UNESCO .

IV. QUATRIÈME TABLE RONDE : LES POLITIQUES DE DÉFENSE ET DE SÉCURITÉ AU SERVICE DE LA PAIX Président : M. le Préfet Christian Decharrière, Directeur adjoint de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) . .

Quel rôle pour les armées africaines à l’aube du IW~ siècle ? par Mme Dominique Bangoura, présidente de l’Observatoire politique et stratégique de l’Afrique (Université Paris-I) .

Le contrôle démocratique des armées dans les PECO par M. Rudolf Joo, chercheur au George C. Marshall European Center for Security Studies . et par Mme Réka Szemerkenyi, chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (IISS) .

L’exploitation civile du potentiel technologique, scientifique et logistique des armées par M. Luciano Caglioti, Directeur des projets stratégiques au Centre national de la recherche scientifique d’Italie

Le nouveau rôle de l’armée dans la consolidation de la paix par M. Janusz Symonides, Directeur de la Division des droits de l’homme, de la démocratie et de la paix de I’UNESCO . . .

V. SYNTHÈSE DES TABLES RONDES . . par M. Philippe Ratte, Directeur des études de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN)

VL ATELIERS .< . . . . . . . . . . . . . . . .

A.PREMIERATELIER . . . . . . . . . . . ..<......<...................... Les perceptions différenciées de la sécurité et de l’insécurité Présidente : Mme Anaisabel Prera Flores, conseillère principale et spéciale du Directeur général de I’UNESCO

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B. DEUXIÈME ATELIER . . . . . . Les actions à entreprendre contre les insécurités Présidente : Mme Mouftda Goucha, conseillère principale et spéciale du Directeur général de I’UNESCO

C. SYNTHÈSE DES ATELIERS . . . . . . . . Conclusions générales des deux ateliers par le général Sofian Effendi, représentant de l’Indonésie . Observations complémentaires par les rapporteurs des groupes . . . . Remarques sur les travaux des ateliers par M. Larry Seaquist, coordonnateur des ateliers . . Perspectives ouvertes par les travaux des ateliers par Mme Moufida Goucha, présidente du deuxième atelier . . Vue d’ensemble sur les conclusions des ateliers par M. Philippe Ratte, rapporteur principal . . .

. .

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:HEDN) . . . 163

VII. PROPOSITIONS POUR LA POURSUITE DU DIALOGUE . . 157

VIII. CLOTURE DU SYMPOSIUM Président : le général d’armée aérienne Bernard Norlain, Directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (1

L’humanitaire donne-t-il la paix ? par M. Xavier Emmanuelli, Secrétaire d’État auprès du Premier Ministre, chargé de l’action humanitaire d’urgence . . . . . . Les valeurs de la paix dans la civilisation contemporaine par M. Federico Rampini, rédacteur en chef de La Repubblica

Président : M. Adnan Badran, Directeur général adjoint de 1’UNESCO Intervention de M. Adnan Badran . . . .

Allocution de clôture

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par le général d’armée aérienne Bernard Norlain, Directeur général de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) 175

179 IX. AGENDA1994-1997 . ., ., ., ., ., ., ., . . . . . . . . . . . .

1. Liste des participants . . . . . . . . . 2. Le programme UNITWIN/chaires UNESCO . 3. Extrait de l’Acte constitutif de 1’UNESCO . . . 4. Extrait de la Stratégie à moyen terme de KJNESCO pour 1996-2001 5. Extraits de la Résolution adoptée par la vingt-huitième session

de la Conférence générale de 1’UNESCO

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sur la Stratégie à moyen terme pour 1996-2001 . . . 203 6. Extraits des programme et budget approuvés pour 1996-1997 de I’UNESCO 205 7. Autres publications d’intérêt . . . . 207

8. L’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN, France) . . 209 9. Le Centre des hautes études de la défense (CASD, Italie) . . . 211

10. Le Centre supérieur des études de défense nationale (CESEDEN, Espagne) 213 11. L’Institut d’études de sécurité de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) . . 215

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PRÉFACE DU DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’ORGANISATION

DES NATIONS UNIES POUR L’ÉDUCATION, LA SCIENCE ET LA CULTURE

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Préface de Federico Mayor

Directeur général de I’UNESCO

Au cours des quelques mois qui se sont écou- lés depuis la tenue du symposium international ‘6 Des insécurités partielles à la sécurité glo- bale >a, des foyers de violence se sont éteints et d’autres ont surgi, ou resurgi. Et nous avons constaté que le processus qui transforme les sources d’instabilité en menaces et les menaces en causes de conflit continue de lancer sans relâche de redoutables défis à la communauté internationale en termes de prévention à long terme des conflits.

Mais nous sommes aussi tous concernés, y compris dans nos activités quotidiennes, pro- fessionnelles et associatives, publiques et privées, car les composantes de la sécurité sont multiples et imbriquées à l’échelle locale, nationale, régionale ou internationale.

Car la sécurité et l’insécurité sont ressenties par chaque être humain de façon très diffé- rente, qu’il s’agisse des droits de l’homme, des principes démocratiques de la paix, et pour beaucoup, tout simplement, du droit de vivre.

Pour prendre en compte tous ces facteurs, dans le cadre des interactions entre paix, démocratie et développement, il nous faut jeter les bases d’une nouvelle approche de la sécurité, laquelle exige à son tour un dialogue avec tous les secteurs de la société, sans exception,

L’UNESCO a voulu entamer un dialogue sur cette nouvelle approche de la sécurité avec les instituts de défense et les centres d’études stra- tégiques de divers pays et de diverses régions et, par leur biais, avec les forces armées, dans la conviction qu’ils ont un rôle fondamental à jouer dans l’édification d’une culture de la paix.

Le colloque qui s’est tenu à la Maison de 1’UNESCO en juin 1996 est une bonne illustra- tion de cette démarche. On verra dans les pages qui suivent combien un tel dialogue peut être fécond malgré la diversité des horizons, des antécédents et des approches. Une chose est sûre : la paix a un prix, que nous sommes de plus en plus nombreux à préférer à l’autre, trop lourd de sang.

Paris, le 30 janvier 1997

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OBJECTIFS DU SYMPOSIUM

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Les guerres prenant naissance dans 1 ‘esptit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes

que doivent être élevées les défenses de la paix.

Préambule de l’Acte constitutif de 1’UNESCO

Ce symposium, issu d’une initiative conjointe du Directeur général de l’UNESC0, M. Federico Mayor, et du Directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN), le géné- ral d’armée aérienne Bernard Norlain, et à laquelle sont également associés l’Institut d’études de sécurité de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), le Centre des hautes études de défense italien (CASD) et le Centre supé- rieur d’études de la défense nationale espagnol (CESEDEN), a pour objet :

1. De réunir des représentants d’instituts d’études de défense, représentatifs de plu- sieurs pays et régions, pour qu’ils expriment leur vision d’une culture de défense et de paix et échangent entre eux à ce propos ;

2. De susciter entre eux une réflexion débou- chant sur des propositions relatives à ces

thèmes et, notamment, de travailler à esquis- ser des programmes d’intérêt commun, par exemple définir un indicateur international de sécurité ;

3. De jeter les bases d’une relation plus suivie entre ces institutions, dont le réseau cons- titue un ensemble privilégié d’interfaces entre problèmes de défense et questions de développement, de paix, de sécurité inter- nationale et de dynamisme culturel et social ;

4. D’envisager des projets concrets tels que l’institution de chaires nouvelles sur le problème de la paix dans les académies de défense, des actions dans le domaine de la protection civile et du développement (notamment en milieu rural),

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MESSAGES DU

GÉNÉRAL NORLAIN ET DE

FEDERICO MAYOR

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CONJURER L’INSÉCURITÉ

Dans un monde où les cloisonnements tom- bent les uns après les autres, aucune insécurité ne peut plus être cantonnée : devenu global, notre monde se présente comme un système dont la fiabilité d’ensemble peut être compro- mise par la défaillance d’un élément, même très petit. Le temps des insécurités partielles consenties est révolu. Tout aspect du fonction- nement de notre planète doit être désormais considéré sous l’angle de la sécurité globale.

Cette approche, qu’il ne nous appartient pas de récuser puisque la force même des choses nous l’a d’ores et déjà définitivement imposée, oblige à voir le monde autrement.

Toutes les sources d’insuffisances dans le progrès humain, qu’elles soient sociales, éco- nomiques, écologiques, culturelles ou créées par la violence, deviennent causes d’insécurité, non seulement là où elles sévissent mais, rapi- dement, à l’échelle de la société mondiale tout entière. Elles doivent donc toutes être combat- tues et vaincues.

Toutes les forces que l’homme s’est données au cours de son histoire - économiques, tech- niques, scientifiques, mais aussi morales, cultu- relles, politiques - doivent être sollicitées à cette fin, chacune selon son génie - le marché y ayant sa part dans son ordre comme la démo- cratie dans le sien et la charité ou le dévoue- ment dans le leur -, selon la meilleure combi-

natoire possible en fonction des circonstances et de la volonté éclairée des peuples, des experts, des responsables politiques.

Mais il est impossible que cet effort consenti à l’échelle de l’humanité se développe dans un contexte d’insécurité physique. Il importe fondamentalement que les rudiments de la sécurité que sont la protection de la vie et le rétablissement de ses conditions de base soient assurés. A cet effet, l’existence et l’engagement de forces armées peut être une nécessité vitale.

Réfléchir à la part qui revient aux forces armées dans le rétablissement, le maintien et la construction de la Paix et mieux comprendre l’interaction entre sécurité et développement sont aujourd’hui des enjeux majeurs dans la conduite des affaires du monde.

Les Instituts de défense et de sécurité, réunis pour la première fois en symposium de libre discussion à ce propos, ont un rôle déter- minant à jouer de ce point de vue : en précisant la pensée de tous en ces matières, et en lui donnant une expression plus nette, ils concour- ront à rendre l’action plus juste, plus efficace et plus sûre.

Général d’armée aérienne Bernard Norlain Directeur de 1’IHEDN

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Le <c village mondial 3’ est un. Après la chute du Mur et la faillite des idéologies, avec l’explo- sion des technologies de la communication, aucun pays, aucune collectivité ne peut plus s’abstraire de la communauté mondiale, immense réseau dont la force est fonction, comme tout réseau, de son maillon le plus faible. Cette interdépendance est aujourd’hui largement reconnue et formulée : mais en a-t-on tiré toutes les conclusions qui s’imposent du point de vue de la sécurité et des compor- tements à adopter en conséquence ? Le temps des insécurités partielles tolérables est révolu ; celui de la sécurité globale a commencé.

Sur cette planète, de plus en plus petite, règne une profonde injustice : 20 % de ses habitants détiennent 80 % de ses ressources et rechignent à les partager. Cette injustice fonda- mentale est aujourd’hui la première cause d’in- sécurité. En effet, la misère est source de nom- breux engrenages - exode rural, migrations massives, urbanisation effrénée, frustration, violence, intolérance, corruption, etc. - qui déstabilisent l‘ensemble de l’c~ économie- monde a>. Réparer l’injustice, redresser l’asymé- trie Nord-Sud en favorisant le partage des richesses et le développement durable des pays pauvres, voilà la première tâche d’une huma- nité consciente de sa solidarité obligée autant que de ses responsabilités éthiques.

Pour être authentique et durable, le déve- loppement doit se poursuivre dans le seul cadre moral et politique qui donne à chaque individu le sens de sa dignité et les moyens de la préserver : la démocratie. C’est en effet le respect des principes démocratiques qui per- met aux citoyens de participer à la vie collec- tive, d’influer sur les décisions qui les concer- nent et de se sentir partie prenante de la société où ils vivent. C’est le respect des mêmes

principes qui garantit entre les États, entre les collectivités, un vrai dialogue, par où passent la coopération et la compréhension mutuelle.

Si le développement est assumé par des populations confiantes dans leurs propres forces et convaincues de l’appui solidaire des nantis, si la démocratie fonctionne. en confor- mité avec le génie et les traditions de chaque culture, alors la paix aura des chances de prendre durablement ses assises sur un monde réconcilié. A quoi sert de bâtir une paix sur le sable de la misère, de l’égoïsme, de l’ignorance, de l’injustice, de l’oppression ? La paix ac dans les esprits a> - celle dont 1’CNESCO doit, aux termes de son Acte constitutif, élever les défenses -, la seule paix qui vaille. ne sera durable que si les conditions de vie matérielles, sociales et morales n’en sapent pas les fonde- ments.

Ainsi la paix, le développement et la démo- cratie sont-ils les trois sommets d’un triangle interactif, qui est aussi un cercle vertueux ; les synergies qui s’y forment seront irrésistibles et invulnérables. Encore faut-il, pour les amorcer, réunir la masse critique nécessaire à l’échelle de la planète. Aucun pays ne tirera plus, seul, son épingle du jeu. Aucun modèle ne s’impo- sera plus à des peuples souverains. Aucune catégorie sociale ne sera plus ni privilégiée ni sacrifiée. Toutes les sociétés, et toutes les com- posantes de chaque société, doivent unir leurs forces dans la présewation de leur avenir com- mun. Gouvernements, organisations intergou- vernementales. mouvements associatifs, autori- tés municipales, groupements de particuliers, autorités ecclésiastiques, bref, tous les niveaux, tous les ordres, tous les modes d‘organisation et d’existence sociales doivent être mobilisés.

Dans cette ‘1 mobilisation générale 2) pour assurer la sécurité globale, les forces armées

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jouent, à l’évidence, un rôle déterminant. Protagonistes des scénarios de guerre, elles sont également une pièce maîtresse du réta- blissement, du maintien et de la construction de la paix, un moteur d’une logique de paix mettant à profit les interactions entre la sécu- rité, le développement et la démocratie. Elles exercent et peuvent exercer, dans ce triangle interactif, une action directe et un effet de levier dont la puissance reste encore largement insoupçonnée.

Tous différents, nous devons être tous soli- daires. Si nous avons réellement conscience de notre communauté de destin, nous prendrons les décisions et adopterons les comportements qu’elle dicte, et qui sont fondés sur la justice, la liberté, l’équité, la tolérance et le partage. C’est du respect universel de ces valeurs que dépend la sécurité humaine.

Federico Mayor Directeur g&I&21 de NJNESCO

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OUVERTURE DU SYMPOSIUM

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ALLOCUTIONS DE BIENVENUE

par ICI. Federico Mayor, le général Bernard Norlain,

M. Guido Lenzi, le général Carlo Jean,

le contre-amiral Alexandra Artal, représentant le général Javier Pardo de Santayana

Général, Messieurs les officiers généraux, Monsieur le Directeur, Mesdames, Messieurs les ambassadeurs, Chers collègues, Mesdames, Messieurs,

S OYEZ les bienvenus dans la Maison de toutes les cultures. dans la Maison de la

paix. Institution ‘1 intellectuelle )) du système des Nations Unies. 1’UNESCO a vocation à explorer, avec ses partenaires, les approches et solutions nouvelles qu’exigent situations et problèmes nouveaux, en l’occurrence, les approches et solutions qu’exige l’évolution actuelle de la notion de sécurité à l’échelle internationale. Il s’agit, bien plus que d’accompagner cette évo- lution ou de s’y adapter, de l’anticiper.

Et quand je vous vois, monsieur le Directeur de l’Institut des hautes études de défense natio- nale, qui avez la charge de défendre les prin- cipes démocratiques auxquels fait référence l’Acte constitutif de l’UNESC0, quand je vois le général Carlo Jean, Directeur du Centre des hautes études de défense italien, ainsi que toutes les personnalités présentes ici, quand je me rappelle le général James R. Hardingl, je

sais que notre dialogue, que notre recherche, que nos efforts communs seront fructueux.

Comme vous le savez, ce symposium est une initiative conjointe. Le général Norlain et moi-même en avons rédigé ensemble la lettre d’invitation, et nous avons pu compter sur la coopération de l’Institut d’études de sécurité de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), du Centre des hautes études de défense d’Italie (CASD) et du Centre supérieur d’études de défense nationale d’Espagne (CESEDEN).

Nous avons eu ici même, avec l’Institut fran- çais des hautes études de défense nationale, des réunions très importantes, notamment sur la défense africaine et malgache. De ce dialogue, de ces échanges, de ces études en commun, 1’UNESCO tire nombre d’enseignements utiles. Notre coopération avec les instituts, les acadé- mies, les centres nationaux spécialisés dans les questions de défense et de sécurité nous aide à accomplir notre mission, qui est de bâtir la paix dans l’esprit des hommes. Pour bâtir cette paix, il faut, en effet, que la démocratie soit forte, que les principes démocratiques soient respectés. Soyez donc tous les bienvenus.

Federico Mayor

1. Directeur du Inter-American Defense College et pré- sident du Inter-American Defense Board.

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OUS V savez que la bataille de Fontenoy est restée célèbre dans l’histoire par la phrase

« Tirez les premiers, messieurs les Anglais ! >a. C’est pourquoi je parle le second, en hommage à ce temps où l’art de la guerre le cédait au pri- vilège de la culture.

Ce n’est donc pas par hasard, monsieur le Directeur général, que la place de Fontenoy, qui réunit nos deux maisons plus qu’elle ne les sépare, porte le nom de cette bataille. L’histoire militaire et le prestige de la culture y trouvent ensemble leur compte. Ce voisinage s’est avéré fécond. Directeur général d’une institution prestigieuse dédiée à l’éducation, vous avez pu constater, du haut de votre bureau, que l’école la plus proche de 1’UNESCO était l’École mili- taire. Vous avez également reconnu dans la charte fondatrice de I’UNESCO cette très belle mission consistant à fonder dans l’esprit des hommes les racines de la paix.

Au-delà d’un heureux voisinage, nous pou- vions dès lors nous reconnaître une mission commune. Comme une monnaie, la paix n’a d’épaisseur, de consistance, qu’avec ses deux faces : celle de la sécurité et celle du projet humaniste. Pour bien comprendre la paix concrète et non pas seulement celle des chi- mères ou celle des cimetières, il faut prendre ces deux approches à la fois. C’est ce que nous entreprenons ensemble aujourd’hui, et je suis

véritablement très heureux que, dès le premier instant, ce projet ait été partagé par nos amis Guido Lenzi, Carlo Jean et Javier Pardo de Santayana, amis qui ont engagé leurs institu- tions respectives. Ensemble, nous avons trouvé l’écho de tous ceux qui sont ici, parmi lesquels déjà tant d’amis connus, et de tous ceux qui, par le truchement d’Internet, se tiennent en communication directe avec nous et participent véritablement à ce symposium.

Je salue tout particulièrement parmi vous les auditeurs de la dixième session internatio- nale africaine et malgache, qui forment, avec les instituts de défense et de sécurité, le noyau de cette rencontre.

Nos travaux ont une double portée : une portée que l’on pourrait qualifier de substan- tive, en ce que ces travaux vont nous permettre d’approfondir notre connaissance et notre compréhension exacte de l’insécurité et des moyens d’y remédier ; mais, davantage encore, une portée qualitative, en ce qu’ils nous aide- ront à mieux nous comprendre, à mieux nous connaître et, donc, à engager dans l’avenir une coopération prometteuse qui est le véritable gage d’une coopération de notre part à la sécurité globale. Je vous remercie.

Général Bernard Norlain

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J E crois que nous devons tous être reconnais- sants à 1’UNESCO et à son Directeur général

de continuer leur recherche de la culture de la paix, car la paix est une mentalité et ses fon- dements sont dans les perceptions des indivi- dus et des nations.

Dans la phase de transition, tant nationale qu’internationale, qui caractérise aujourd’hui toutes les nations indistinctement, l’accent est mis sur la coopération multilatérale dont le sys- tème des Nations Unies représente l’expression suprême. Ce sont d’ailleurs les Nations Unies qui détiennent l’autorité de légitimer l’usage de la force pour le maintien de la paix.

Le système de sécurité internationale qui en découle, en particulier par le biais des organi- sations régionales prévues par le chapitre VIII de la Charte des Nations Unies, n’est d’ailleurs plus fondé seulement sur la défense territoriale collective mais plutôt sur la sécurité en tant que solidarité coopérative, ce, afin de prévenir les conflits en s’adressant à leurs causes plutôt qu’à leurs conséquences.

La globalisation à laquelle nous assistons ne nie pas l’existence de spécificités nationales, qui doivent être conçues et pergues comme l’expression d’un pluralisme démocratique qui enrichit chacun d’entre nous car il est un fac- teur de dynamisme et de propulsion. C’est la force des spécificités nationales qui a provoqué l’écroulement de la confrontation idéologique Est-Ouest. Les identités particulières que la guerre froide avait sclérosées doivent mainte- nant retrouver leur fonction de levain et non pas, à l’opposé, alimenter l’ethnocentrisme, l’exclusion et la xénophobie.

Partout, aux niveaux tant national qu’interna- tional, les différentes traditions et civilisations ne s’opposent pas nécessairement, comme certains le soutiennent. L’imaginaire collectif est aujour- d’hui plus vaste que jamais, ce qui doit permettre d’y inclure les aspirations de tous dans un sys- tème de valeurs communes qui se réclame de l’universalité de la nature humaine. En d’autres termes, si les chemins sont différents, le chemi- nement doit être constant et convergent.

Nous assistons partout à l’érosion des fonc- tions que l’État s’était attribuées dans une période de confrontation internationale, au profit de la décentralisation vers des commu- nautés locales et les organisations non gouver- nementales. Ce pluralisme n’est pas néfaste, car il permet une plus grande liberté de participa- tion, de décision et d’expression. C’est sur le plan international, sur le plan multilatéral que les États doivent recouvrer leur fonction pri- maire de protection du bien-être et du progrès des citoyens contre les défis transnationaux d’aujourd’hui. Dans ces conditions, même les organisations de sécurité deviennent un instru ment de consultation politique pour la préven- tion des crises entre leurs membres ainsi que vers l’extérieur.

L’Union de l’Europe occidentale (UEO), que je représente ici aujourd’hui, n’échappe pas à cette fonction en regroupant, à plusieurs titres, vingt-sept pays européens ou en rapport avec les pays méditerranéens avec lesquels elle a entamé un dialogue ainsi que, naturellement, avec les États-Unis d’Amérique et le Canada. Mais notre mission ne se limite pas à ces pays. Les missions que 1’UEO s’est assignées en prio- rité à la réunion ministérielle de Petersberg lui confèrent un rôle d’interposition et d’interven- tion humanitaire, dans un cadre opérationnel et politique que la Conférence intergouvernemen- tale de l’Union européenne est en train d’éla- borer. Il s’agit de doter l’Europe de capacités de contribution plus efficaces à la stabilité interna- tionale par la prévention des crises et des conflits.

L’Europe qui se construit, à l’instar de l’ensemble de la communauté humaine, doit tout d’abord s’enraciner dans les mentalités, dans les cultures. C’est la tâche qui est confiée aux instituts tels que celui que je repré- sente, et c’est l’importante contribution que I’UNESCO apporte sur un plan mondial. C’est la raison pour laquelle je me réjouis d’être parmi vous.

Guido Lenzi

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J E m’associe aux remerciements qui ont été adressés par mes collègues au Directeur

général de 1’UNESCO pour l’initiative qu’il a prise et qui représente une réponse aux condi- tions de la sécurité nouvelle, sécurité qui est organisée non pas contre les autres mais avec les autres.

La sécurité est devenue une fonction multi- dimensionnelle, multifonctionnelle. Elle s’élar- git, partant du domaine proprement militaire qui avait dominé pendant la guerre froide pour s’étendre aussi aux domaines culturel, écono- mique, écologique, de la protection civile, des biens culturels, etc

Le danger principal auquel nous devons faire face est constitué par la mentalité du « clash des civilisations )> et, à mon avis, l’initia- tive de 1’UNESCO est très importante à cet égard. Nous devons 1~ prévenir les conflits » plu- tôt qu’. intervenir dans les conflits ». Les mili- taires, ainsi que les centres et les experts de la sécurité et de la défense, peuvent apporter leur contribution pour chercher à lutter contre cette idée d’une opposition inévitable entre les diffé- rentes cultures, les différentes civilisations. Le Ministère de la défense italien, aussi bien le ministre Beniamino Andreatta que le chef d’état-major, l’amiral Guido Venturoni, soutient très fortement l’initiative de I’UNESCO et m’a chargé de remercier son Directeur général de tout ce qu’il a réalisé dans ce domaine.

Cette initiative est très importante surtout dans les zones de fracture géopolitique, comme la Méditerranée, dans lesquelles il existe des décalages démographiques, économiques et culturels assez importants, parce qu’elle permet d’établir des ponts, des liaisons et des dia- logues entre le Nord et le Sud (sans oublier qu’il existe plusieurs Nords et plusieurs Suds, car chaque pays, chaque nation possède une identité particulière). Je vous remercie.

J E vous souhaite également la bienvenue, et je suis très heureux d’être parmi vous

pour réfléchir aux moyens de passer des insé- curités partielles à la sécurité globale. Nos séances de travail prendront-elles la forme d’une recherche ou seront-elles consacrées à la discussion ? Je l’ignore, mais, comme disent les Chinois, je vous souhaite de vivre des moments intéressants.

Je sais que nous allons les vivre, car la réunion d’un tel nombre de participants déci- dés à réfléchir, à agir en faveur de la paix et de la défense de la paix est remarquable. Alors, je crois que nous devons nous remercier pour un si noble objectif.

Je vous souhaite de tenir des réunions de travail fructueuses qui vous permettent de tirer, véritablement, des conclusions nouvelles. Je profite de l’occasion pour remercier le Directeur général de I’UNESCO et le général Norlain, de I’IHEDN, qui nous ont donné cette occasion inestimable d’être ensemble.

Contre-amiral Alexandro Artal, représentant le général de corps d’armée Javier Pardo de Santayana

Général Carlo Jean

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TR TIV

par Federico Mayor, Directeur général de 1 ‘UNESCO

Messieurs les officiers généraux, monsieur le Directeur, mesdames, messieurs les ambassa- deurs, mesdames, messieurs, soyez les bienve- nus dans cette Maison de toutes les cultures, dans cette Maison de la paix.

Dans le cadre de ce symposium, nous allons pouvoir explorer ensemble les approches nou- velles qui s’imposent face à de nouveaux pro- blèmes et à de nouvelles situations. Alors même que je souhaite la bienvenue à tous les participants, venus d’une quarantaine de pays, alors même que je m’adresse à vous, monsieur le Directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale, au seuil de cette rencontre, j’ai confiance : vous saurez, nous saurons amor- cer et poursuivre notre dialogue sur cette ques- tion vitale.

Il s’agit d’une initiative conjointe de l’Institut français des hautes études de défense nationale (IHEDN) et de l’UNESC0, en coopération avec l’Institut d’études de sécurité de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), du Centre des hautes études de défense (CASD) italien et du Centre supérieur d’études de la défense natio- nale (CESEDEN) espagnol.

Nous avons tenu, ici même, des réunions très importantes avec 1’IHEDN sur certains aspects de la défense africaine et malgache, et 1’UNESCO a tiré grand profit de ces débats, ainsi que de ceux qui ont eu lieu à Washington et à Rome. La réflexion et la démarche des ins- tituts de défense, des centres d’études straté- giques, des académies militaires et des orga- nismes analogues intéressent 1’LJNESCO car elles font partie, actuellement, de la transition en cours d’une culture de guerre à une culture de paix ; en outre, ces institutions comptent au nombre de celles qui sont chargées de défendre les principes démocratiques de liberté et de dignité fondant nos sociétés, principes

qui sont énoncés dans l’Acte constitutif de 1’UNESCO.

Depuis quelques années, les réalités mon- diales subissent des mutations profondes. Nous 2 vivions dans un monde bipolaire où nous étions spectateurs de l’affrontement de deux idéologies, de deux visions du monde. Tout à coup, ce monde bipolaire a basculé à cause de l’effondrement d’un de ses pôles. Peut-être ne nous sommes-nous pas rendu compte de ce qu’étaient les valeurs de cette importante partie du monde parce que l’un des deux pôles repré- sentait l’oppression, la réduction au silence. En effet, il s’agissait d’un système économique de planification, mais aussi d’un système de contrainte de l’individu. Seuls certains de ses représentants s’exprimaient au nom de tous ceux qui restaient dans l’ombre, dans le silence.

Outre la fin du modèle bipolaire, il faut sou- ligner un grand événement : la fin de la fatalité du conflit, de la fatalité du malheur. L’apartheid en Afrique du Sud : qui, hors de l’UNESC0, avait toujours cru à son abolition ? Peu de gens. Soudain, grâce à la lumineuse vision de Nelson Mandela, qui, durant ses vingt-six années de prison, a accumulé de la sagesse au lieu d’accumuler de la haine, grâce à la lucidité de Frederik De Klerk, ce système d’apartheid qui avait posé de si nombreux problèmes de conscience a disparu. Aujourd’hui, l’Afrique du Sud vit en démocratie, dans un équilibre difficile. Elle traversera encore, certes, des moments amers et délicats, mais la plaie ouverte qu’elle représentait sur ce continent a commencé à se fermer.

Fin de la fatalité du conflit, ai-je dit. El Salvador, la Namibie, le Mozambique et, plus récemment, l’Angola, le Proche-Orient, autant d’exemples qui montrent que tous ceux qui considéraient ces situations comme autant

Outre la fin du modèle bipolaire,

‘1 faut souligner un grand

événement. la fin de

la fatalité du conjlit,

de la fatalité du malheur.

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La fin du règne implacable de la force, de l’inéluctabilité des conjlits impose des tâches urgentes à I’UNESCO et à tous ceux qui ont le devoir de garantir la paix et de défendre les principes démocratiques de justice, de liberté, d’égalité et de solidarité.

A l’échelle du monde, la société comporte aussi tous les acteurs : les problèmes mondiaux ne serontpas réglés par une seule partie du monde.

d’impasses s’étaient trompés. Le moment était venu de mettre au point, en faisant preuve d’imagination, des formules de nature à arrêter l’affrontement armé et à amorcer la réconcilia- tion nationale.

Élever, dans l’esprit des hommes, les défenses de la paix : telle est la mission de I’UNESCO. Comment pouvons-nous maintenir la réconciliation nationale ? Comment pouvons- nous vraiment dire à tous les citoyens de ces pays que la <’ remise en marche » après le conflit ne se fera au détriment d’aucune des parties ? Comment leur dire que des solutions existent, qui permettent aux deux rives de faire partie du même fleuve ?

La fin du règne implacable de la force, de l’inéluctabilité des conflits impose des tâches urgentes à ~UNESCO et à tous ceux qui ont le devoir de garantir la paix et de défendre les principes démocratiques de justice, de liberté, d’égalité et de solidarité.

En effet, force est de reconnaître que nous ne sommes pas préparés aux nouveaux types de conflits. Les événements de Somalie, du Rwanda, de Bosnie, du Libéria ont démontré à quel point nous sommes démunis.

Dans le monde d’aujourd’hui, l’interaction est totale. Nous sommes informés en temps réel. Nous avons la connaissance en temps réel. Dans ce village global, les menaces tiennent à l’asymétrie sociale et économique, à l’injustice, à la discrimination. Dans la plupart des pays, la voix de la moitié de la population, celle des femmes, ne peut se faire entendre que d’une fason encore très timide. A l’échelle mondiale, 6 % seulement des postes de décision sont occupés par des femmes, 10 % seulement des parlementaires sont des femmes. La moitié de l’humanité reste encore quasiment invisible.

Les asymétries de tous ordres, les exclusions sont à la racine de nombreux conflits. Il y a une exclusion par rapport aux biens matériels et au savoir, il y a une exclusion d’ordres géogra- phique, économique, social, culturel, religieux, linguistique, et je vais ajouter, en ma qualité de Directeur général de l’UNESC0, qu’il y a aussi une exclusion éducative.

Dans le système éducatif traditionnel d’au- jourd’hui, ceux qui n’ont pas la possibilité de « prendre le train de l’éducation » dans leur enfance sont définitivement mis à l’écart. Si nous voulons que l’éducation soit le moyen par lequel seront données à chaque femme et à chaque homme la maîtrise de soi-même et la possibilité d’agir en accord avec ses propres projets d’avenir. si nous voulons donner à

chaque être humain cette capacité, nous devons inclure les exclus. Nous devons utiliser les technologies de communication pour atteindre ceux qui vivent en habitat dispersé ou dans les zones les plus reculées, les plus iso- lées. Nous devons leur dire : G< Prenez courage. L’éducation, c’est tout au long de la vie. Vous n’avez pas raté à jamais le train de l’éducation, vous n’êtes pas exclus pour toujours. Vous aurez d’autres chances d’accéder à l’éducation et à la formation. L’éducation est un droit fon- damental de tous les êtres humains. »

De même, nous devons inclure les exclus qui souffrent de l’amertume, de la haine, de la violence. L’exclusion n’est pas une fatalité. De même que les conflits ne sont pas une fatalité, de même tous les phénomènes d’exclusion peuvent-ils être combattus. Mais, dans ce pro- cessus, l’État ne peut tout faire tout seul. Il n’est d’ailleurs pas habilité à le faire. Naguère omni- présent, tout-puissant, l’État a reculé dans son emprise, et les espaces qu’il a laissé libres sont maintenant occupés par la société. J’ai dit <( société )), et non « société civile ». La société démocratique doit prendre la coresponsabilité d’inclure les exclus et d’aller à la racine des conflits, de la misère, de l’ignorance, de l’égoïsme, et aider à façonner le nouveau cadre dans lequel les conflits n’existeront plus ou, s’ils existent, seront réglés par des solutions pacifiques.

Cette société comporte donc tous les acteurs - civils, militaires, ecclésiastiques -, toutes les tendances, toutes les composantes. A l’échelle du monde, la société comporte aussi tous les acteurs : les problèmes mondiaux ne seront pas réglés par une seule partie du monde.

Chaque jour, le vaisseau Terre compte deux cent cinquante-quatre mille passagers de plus. Et ces nouveaux venus « embarquent >a dans les endroits les plus pauvres, où les femmes et les hommes n’ont pas encore la maîtrise de leur propre comportement. Parce qu’il n’y a pas de modèle à exporter.

Nous nous sommes trompés, nous Occi- dentaux, en croyant savoir, en croyant pouvoir donner des leçons aux autres. La sagesse aurait voulu que nous écoutiions les civilisa- tions qui, pendant des siècles, ont eu le temps de réfléchir, sans livre peut-être, mais avec leurs traditions orales, leur sensibilité, leur mémoire.

Ambivalence de la communication globale. Elle nous permet le partage instantané de l’évé- nement, la connection immédiate, d’un bout à

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l’autre du monde. Mais n’oublions pas le risque qu’elle comporte pour notre diversité cultu- relle, pour le maintien des spécificités et des identités.

La diversité est notre richesse, de même que l’union est notre force. Quel peut être le ciment de cette union de composantes si différentes ? Ce sont les quatre principes démocratiques qu’à la fin de la deuxième guerre mondiale, monstrueuse et perverse, certains visionnaires ont définis comme les piliers de la paix : jus- tice, liberté, égalité et solidarité.

Vous jouez un rôle fondamental dans la défense de la démocratie. Il y a de nombreux exemples de démocraties vulnérables aujour- d’hui. Des efforts considérables ont été faits pour établir des régimes démocratiques, parfois prématurément ou précipitamment. D’où le nombre élevé d’échecs.

Autre problème découlant du déséquilibre Nord-Sud et de l’accroissement démogra- phique : les migrations. Comme me le disait un Africain sur le chemin de l’exil volontaire : «Je n’ai rien à perdre. J’ai pris la route. » Bien sûr, il fàUt stimuler le développement endogène. Parfois, les riches ont donné trop et mal, appli- quant à des situations différentes des recettes uniformes. Ils ont ‘< approvisionné >a, sans susci- ter cette capacité intérieure, endogène, qui peut transformer un peuple et stabiliser un régime.

Par où commencer? En 1990, ~‘UNESCO et ses institutions sœurs du système des Nations Unies ont lancé l’éducation pour tous, par tous, tout au long de la vie. Aujourd’hui déjà, les résultats sont spectaculaires. Tout en augmen- tant les financements extérieurs, nous avons demandé aux pays d’accroître le budget consacré à l‘éducation. Dans tous les pays les plus peuplés, quand l’instruction augmente, la fécondité diminue. Quel que soit le contexte religieux ou idéologique, seule l’éducation donne à chaque être humain la maîtrise de son propre destin. Seule l’éducation est, en der- nière analyse, la solution des problèmes que pose la surpopulation.

La violence ? Elle résulte souvent du refus du partage, de l’exclusion, du manque d’édu- cation dont je viens de parler. C’est préci- sément dans les bidonvilles, dans la misère, que se développe le sentiment de frustration et de repli sur soi qui favorise l’éclosion de toutes les violences. La solution est là, à portée de main : investir dans l’esprit, investir dans les valeurs, de façon à combler non seu- lement les aspirations matérielles mais aussi le

c< déficit d’âme ‘> dont souffrent les pays les plus nantis.

La plupart des difficultés auxquelles nous sommes aujourd’hui confrontés sont transnatio- nales. Dans le domaine culturel, surtout, les problèmes transnationaux n’ont que des solu- tions transnationales, les problèmes transfron- tières n’ont que des solutions transfrontières.

Il y a cinq jours, j’étais à Istanbul, où je me suis adressé aux maires réunis pour l’ilssem- blée mondiale des villes et des collectivités locales. Les maires représentent le pouvoir décentralisé. L’action municipale constitue le cadre direct de la démocratie. C’est dans les vil- lages, dans les villes que vivent les citoyens, c’est là qu’ils peuvent participer, c’est là qu’ils peuvent vraiment être acteurs de leur propre vie. Et les municipalités comptent, à mon sens, au nombre des partenaires qu’il faut désormais privilégier - au même titre, d’ailleurs, que les parlementaires, au même titre que les mili- taires - si nous voulons nous acquitter de la mission qui nous a été confiée voici cinquante ans : bâtir la paix, pour éviter aux générations futures le fléau de la guerre.

Pour conclure cet exposé introductif, je vou- drais souligner combien les pères fondateurs de 1’ONU voyaient loin quand ils affirmaient, dans la Charte des Nations Unies, la détermi- nation des peuples à préserver les générations futures du fléau de la guerre. Oui, ils avaient su voir loin, et nous devons suivre leur exemple. Nous devons honorer cette promesse faite en notre nom à tous - civils et militaires, de toutes croyances et convictions : faire de la paix notre objectif suprême.

Dans son rapport intitulé Agenda pouv la paix, le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies, M. Boutros Boutros-Ghali, a défini les deux principales missions de la com- munauté internationale dans ce domaine - édifier et maintenir la paix. Le maintien de la paix, c’est une forme d’action qui est mise en œuvre après un conflit et à laquelle nous consacrons actuellement d’immenses efforts. Pour sa part, l’édification de la paix recouvre des activités aussi diverses que l’aide au déve- loppement, le renforcement de la démocratie et la mise en place d’un système judiciaire. Quand nous préparons des juristes à la fonction de magistrat et que nous contribuons à doter un pays d’un appareil judiciaire, quand nous pré- parons des journalistes à réfléchir de façon res- ponsable sur les événements et à s’exprimer librement, nous contribuons à construire la paix.

La solution est là, à portée

de main : investir dans

1 ‘esprit, investir dans

les valeurs, de façon

à combler non seulement

les aspirations matérielles mais

aussi le ~1 déficit d’âme >J dont souffrent

les pays les plus nantis.

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Nous devons mettre nos connaissances - vous, dans vos académies militaires, collèges et centres d’étude - au service de la prévention des conjlits.

Mettre de plus en plus l’accent sur 1 ‘éd@ation de la paix, telle doit être notre tâche, notre mission commune.

Malheureusement, il existe une immense disproportion entre les ressources consacrées au maintien de la paix et celles qui sont affec- tées à l’édification de la paix. C’est pourquoi nous devons agir tous ensemble dans notre intérêt mutuel. Nous devons mettre nos connaissances - vous, dans vos académies militaires, collèges et centres d’étude - au ser- vice de la prévention des conflits. II y a tant de choses que vous pouvez faire à cet égard - dans le domaine de l’éducation mais aussi dans celui de l’équipement. Et il ne s’agit pas d’at- tendre qu’une catastrophe naturelle se produise pour intervenir. Il existe, par exemple, une multitude d’actions qui pourraient être entre- prises en temps de paix pour donner aux habi- tants des zones rurales les moyens d’améliorer leur qualité de vie. Il y a tant de pays où il suf- firait de panneaux solaires pour produire de l’électricité et développer ainsi les communica- tions avec les habitants des régions isolées (soit 30 % environ de la population mondiale), que leur éloignement exclut trop souvent de toute participation à la vie de la société.

Je n’ai jamais oublié qu’au cours d’un entre- tien passionnant avec le Vice-Président des États-Unis d’Amérique, M. Al Gore, celui-ci m’avait dit combien il était important aujour- d’hui d’être à la pointe de la recherche-déve- loppement sur les autoroutes de l’information. A quoi je lui ai répondu, et il en est convenu bien volontiers, qu’à côté des autoroutes nous ne devions jamais oublier l’importance des « sentiers » de la communication : il existe encore, de par le monde, six cent mille villages dépourvus d’électricité, et c’est ce qui explique l’exode des ruraux vers les villes, parce qu’ils ont l’impression d’être coupés de la société.

Nous sommes aujourd’hui confrontés à de nouvelles missions de maintien de la paix après les conflits, comme la protection de l’aide

humanitaire ou le déploiement d’observateurs pour garantir la liberté et l’objectivité des élec- tions. Mais il aurait tellement mieux valu pré- venir ! 11 est vrai que la prévention, et cela vaut tout à la fois pour les militaires, les médecins, les responsables politiques ou les experts de I’UNESCO, est presque toujours invisible. Si vous avez empêché qu’un événement fâcheux ne se produise, ne vous attendez pas à des remerciements, car personne ne se rendra compte de ce qui aurait pu se passer si vous n’aviez pas été là. Pas plus que la santé ou le bonheur, la paix ne fait la <’ une ‘2 des journaux télévisés, elle n’est pas médiatique. Nous savons tout cela, mais nous continuons à faire de notre mieux pour remplir notre mission de bâtisseurs de la paix afin que le maintien de la paix et le recours à la force deviennent de moins en moins nécessaires. Mettre de plus en plus l’accent sur l’édification de la paix, telle doit être notre tâche, notre mission commune.

J’ajoute qu’il existe aussi des situations dans lesquelles il faut savoir intervenir avec prompti- tude et fermeté pour garantir la sécurité ; et je pense que 1’UNESCO devrait s’associer à une réflexion sur les critères en vertu desquels le Conseil de sécurité pourrait décider de prévenir ou de contenir un conflit de cette manière. Cette tâche est ardue, mesdames et messieurs, et, pour conclure, je dirai que le grand défi de cette fin de siècle est de nous préparer à gérer la complexité, à penser globalement et à voir aussi loin que les pères de la Charte des Nations Unies quand ils se sont engagés à préserver les générations futures du fléau de la guerre. Le seul moyen d’honorer cette promesse est de favoriser le passage d’une culture de la guerre, qui fut trop longtemps la nôtre, à une culture de la paix. Pour ma part, je suis convaincu que vous pouvez apporter une contribution décisive à cette transition historique.

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PREMIÈRE TABLE RONDE

De la gestion des wises à la pévention des conjlits

Président : M. Guido Lenzi, Directeur de l’Institut d’études de sécurité de I’UEO

La réalité stratégique du monde contemporain consiste en crises d’ampleur diverse, qui, pour circonscrites qu’elles puissent être, n’en sont pas moins dévastatrices

là où elles se produisent. La communauté internationale s’attache au devoir de les contenir, de les réduire et, autant que possible, de les prévenir. L’expérience concrète des crises

qu’il a fallu gérer est une précieuse leçon pour une approche réaliste et sagace de la prévention des conflits, formule à la fois plus constructive, plus efficace

et moins coûteuse que toute forme de gestion des crises, même couronnée de succès.

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COMMENT FAIRE LA GUERRE A LA GUERRE ?

par le colonel (CR) Jean-Louis D~~OW~, consultant militaire, professeur à I’INALCO et chargé de COUTS

au Collège interarmées de défense

Je tiens au préalable à faire deux remarques. D’abord, le titre de l’exposé, que j’ai choisi, me paraît à l’usage plutôt maladroit, 11 Faire la guerre à la guerre BS, c’est le cri fameux des paci- fistes du début de ce siècle ; or, l‘expérience l’a montré, le pacifisme est insuffisant pour faire reculer la guerre. La force et l’emploi de la force, en maintien ou en rétablissement de la paix, sont à l’occasion non seulement néces- saires mais indispensables. L’expérience de ces dernières années l’a éloquemment montré.

Seconde remarque préalable, il faut dire ce qu’est la paix, observer quelle est sa nature, dire ce qui la fonde pour mieux la conserver.

Raymond Aron, dont la pensée est intime- ment marquée par la guerre froide, distinguait trois sortes de paix : l la paix de satisfaction : les États sont

contents de leur sort et n‘entendent pas régler par la guerre des différends mineurs qui ne valent pas les dépenses ni les dan- gers d’une confrontation armée ;

l la paix d’impuissance : la menace de l’holo- causte nucléaire rend la guerre impossible ; le moyen de la faire si vous risquez d’être vitrifié !

l la paix d’empire : qu’ils soient soviétique, américain ou coloniaux, les empires ont cela de bon qu’ils s’efforcent ou s’efforçaient de maintenir l’ordre dans leur domaine, tant bien que mal, avec des procédés divers, les uns brutaux, les autres plus diplomatiques, politiques ou économiques..

Qu’en est-il aujourd’hui ? De ces trois types de paix, seule existe encore, dans un nombre rela- tivement élevé de pays, et c’est heureux, la paix de satisfaction.

Il n’est pas sûr, en effet, que la paix d’im- puissance demeure ! L’arme nucléaire, efficace pour détourner de la guerre deux alliances

militaires opposées, mais rationnelles et déter- minées l’une et l’autre à n’en point découdre, c n’est pas assurée de sa pérennité pacificatrice.

Il est, en revanche, quasi certain que bd paix d’empire a disparu, emportée par le démantè- lement de ces mêmes empires ; plus d’ordre assuré par des puissances tutélaires et c’est le désordre possible. Divers pays d’Afrique, d’Asie, d’Europe - Afghanistan, Libéria, Somalie, Sierra Leone, Rwanda, ex-Yougoslavie, républiques d’Asie centrale ex-soviétique - confirment cette éventualité. Toutefois, ce qui vient de se passer en République centrafricaine illustre à la fois la permanence de la paix d’em- pire et le retard à intervenir dans une querelle interne, signe que cet empire a du mal à oser dire son nom...

Je voudrais articuler mon propos le plus simplement du monde en partant des deux types de guerres que connaît le monde aujour- d’hui : les guerres entre États et les guerres civiles.

Dans un premier temps, nous nous pose- rons la question de savoir si oui ou non la guerre entre États est morte. Dans l’affirmative, il peut être envisagé d’agir pour que cet état de fait plutôt heureux demeure..

Dans un second temps, face au deuxième type de guerre, la guerre civile, il revient pro- bablement aux États, dans la mesure où il en reste, d’inventer des méthodes sérieuses de maintien et de rétablissement de la paix. En dépit des efforts méritoires de la communauté internationale, personne ne sait très bien com- ment faire pour séparer deux peuples qui se battent.

1. Dernier ouvrage paru : Les crises internationales: de Pékin (19001 à Sarajet’ (1995). Bruxelles. Éditions Complexe. 1996.

Il faut dire :e qu’est la paix,

observer quelle est sa uature,

dire ce qui la fonde

pour mieux la consemer.

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Le passé ne garantit pas 1 ‘avenir, il peut néanmoins 1 ëclairer.

1. Plus de guerre entre États ou la mort de la guerre

1.1. Les faits

La guerre était interétatique, elle est aujourd’hui interne. Les tendances sont lourdes et donc claires, elles sont peut-être de nature à orienter l’action.

Avant 1939, quatre conflits sur cinq étaient interétatiques. Depuis 1945, quatre conflits sur cinq sont internes, le plus souvent compliqués d’interventions étrangères. Depuis 1980, on compte sur les doigts des deux mains le nombre d’affaires interétatiques : Iran/‘Iraq, Grande-Bretagne/Argentine, Tchad/Libye, Iraq/ Koweït. Grenade/États-Unis d’Amérique, Panama/ États-Unis, Burkina Faso/Mali... Depuis 1991, on peut relever des accrochages entre le Pérou et l’Équateur, une querelle interyéménite. une dispute entre 1’Érythrée et le Yémen, peu de chose en vérité.

1.2. Les causes

Pourquoi n’y a-t-il plus de guerres entre États ? La question est essentielle. De la réponse dépend, dans une certaine mesure, l’avenir du monde.

La mondialisation de l’économie, c‘est-à- dire l‘intégration des économies nationales, peut avoir sa part de responsabilité. Philippe Delmas, dans son ouvrage Le Bel Avenir de la gzww, cite cet auteur anglais, Norman Angell, qui écrivait en 1912 : c~ La guerre avec l’Allemagne ne se peut pas. Nos fortunes sont trop liées ; sa destruction serait celle d’une telle part de nos débiteurs qu’elle nous ruinerait fatalement. Les conséquences seraient telles que nous ne pourrions même pas prendre la place de l’Allemagne sur les marchés qu’elle contrôlait, sans compter la perte du marché allemand lui-même [. ..l. )>

Le coût démesuré de la guerre, qui la rend irrationnelle, peut également être une autre rai- son (voir Paul Kennedy, Grandeur et d&lin des grandes pissames), mais, après tout, il suffit d’utiliser des matériels moins sophistiqués.

Les différences technologiques majeures, qui creusent un fossé entre les différentes nations. peuvent rendre la guerre impossible (résultat de la dernière bataille aérienne, surve- nue au Liban le 10 juin 1982 : soixante-quatre à zéro. Impossible de faire la guerre dans ces conditions,. >

11 existe également des causes d’ordre stra- tégique, telles que l’absence, depuis la fin de la

guerre froide, de soutien automatique de la part de l’un des deux Grands.

Ces causes peuvent être d’ordre juridique : il est interdit de faire la guerre SOLE peine, pour les contrevenants. d’encourir de dures sanc- tions internationales. La Serbie, par exemple, en a subi les effets dévastateurs, d’ail l’emploi de divers subterfuges comme, en Corée ou en ex-Yougoslavie, l’appel à des ‘< volontaires »_

Il y a enfin une raison d’ordre politique : la démocratie a fait quelques progrès ; or les démocraties ne se font pas la guerre. A moins qu’il n’y ait parmi vous quelqu’un qui puisse évoquer un précédent sérieux, jamais dans le passé une démocratie n‘a fait la guerre à une autre démocratie... Le passé ne garantit pas l’avenir, il peut néanmoins l’éclairer.

1.3. La paix perpétuelle

C’est le moment d’évoquer, je crois, le projet de paix perpétuelle imaginé par Emmanuel Kant et dont je vous rappelle les termes : la paix régnera sur la terre le jour où trois conditions préalables seront réunies : . quand il y aura pertinence décroissante des

gains territoriaux en tant que source de ren- forcement de la puissance d’une nation, c’est-à-dire quand le territoire et son contrôle ne seront plus synonymes de puis- sance ;

. quand les économies seront interdépen- dantes ;

. quand les systèmes politiques seront convergents.

Si les États étaient capables d’œuvrer dans cette triple direction, il-pourrait y avoir une chance de diminuer les affrontements armés inter- nationaux.

Reprenons les trois conditions de Kant, pour voir dans quelle mesure on peut agir sur leur généralisation et si le monde est bien dans la bonne direction.

Tout d‘abord, territoire et puissance. On constate qu’on en est encore loin : la guerre du Golfe a eu le territoire et son sous-sol comme enjeu, l’Inde et le Pakistan se battaient pour le Cachemire, les crises récentes de cet hiver 1996 - gréco-turque, sino-taïwanaise, nippo-coréenne - ont également eu le terri- toire pour enjeu..

Ensuite, l’interdépendance des économies, qui est en bonne voie. Mais pour avoir des économies interdépendantes, il faut qu’au préalable il en existe une, ce qui signifie que l’intégration n’est possible que lorsque l’on a

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quelque chose à intégrer. Les organisations économiques des États du Golfe, des États afri- cains et des États du Maghreb ne sont que des coquilles vides, il n’y a pas d’intégration éco- nomique, le commerce continue de se faire dans un sens Nord-Sud, pays par pays, mais en aucune manière dans un sens Sud-Sud faute de produits à échanger, de compétences respec- tives et de spécialisation internationale du tra- vail capables d’enrichir réciproquement les États concernés.

Reste la convergence des systèmes poli- tiques, l’abandon des idéologies conquérantes. Qui ose se dire fondamentalement opposé à la démocratie libérale ? La démocratie a fait d‘im- menses progrès en Europe centrale. en Afrique, en Amérique du Sud, en Asie même... Or la démocratie, c’est le règne du droit. le recours au juge, l’existence de contre-pouvoirs. Mais est-ce suffisant ?

Les démocraties. je l’ai dit, répugnent à se faire la guerre : mais des démocraties peul’ent cesser d’en être pour justement se faire la guerre. Tout est dans la qualité de la démo- cratie, ses aspects formels étant bien insuffi- sants pour empêcher la guerre : souvenons- nous de Milosevic, démocratiquement élu, qui a engagé et soutenu la guerre en Bosnie, d’Eltsine. régulièrement élu. qui a engagé la guerre en Tchetchénie, d’Israël au Liban, en 1982 et en 1996. largement à l’origine de la guerre.

Autrement dit, il n’est pas suffisant de faire en sorte qu’un chef d’État soit élu à peu près démocratiquement. encore faut-il qu’il soit un bon chef. Vaste problPme qui nous entraîne sur les pentes glissantes de l‘ingérence. Mais qui nous entraîne aussi vers les guerres civiles et leurs causes profondes.

2. Faire cesser les guerres civiles

Finalement. si les guerres entre États disparais- sent, il reste les guerres civiles, nombreuses.

On dit couramment que ces guerres civiles se multiplient depuis la fin de la guerre froide. Je dirais qu’elles risquent de se multiplier : on en compte aujourd’hui de vingt à vingt-cinq par an, et ces chiffres sont les mêmes depuis cin- quante ans.

Le problème me paraît être l’existence d‘une raison commune à la fois à la disparition des guerres entre États et aux guerres civiles. Cette raison unique, c’est la faiblesse des États ou, comme dit Ghassan Salamé, la panne des États...

2.1. La faiblesse des États

Faire la guerre et l’envisager, à tort ou à raison, comme un procédé utile et souhaitable est un privilège d’État, et d’État fort, capable de ras- sembler, d’ordonner, d’être suivi par ses hommes, ses électeurs, ses soldats... Pas de guerre entre États. souvent, faute de moyens et faute d’États : on compte ainsi cinquante États en Afrique et pratiquement aucune guerre internationale..

Or on assiste à la disparition progressive des États-nations de type européen, c‘est-à-dire d’un ensemble structuré capable d’assurer diverses missions.

Faute d’État, les problèmes ne sont pas ou plus pris en compte : soutien à la population, aide en cas de cataclysme, dette, désertifica- tion, sururbanisation, police, santé, éducation. Ainsi. dans ces pays où disparaissent toutes les formes ordinaires de la souveraineté étatique, on assiste naturellement à l’émergence d’insur- rections plus ou moins anarchiques, plus ou moins intégristes, plus ou moins liées au grand banditisme.

Ce phénomène est également visible au Nord, dans nos vieilles démocraties : emploi de l’armée au maintien de l’ordre intérieur (Italie. Espagne. France, États-Unis d‘Amérique) ; émergence en Belgique, en Italie et au Canada de forces centrifuges ; naissance de zones de non-droit dans les villes comme dans les ghet- tos urbains ; émergence de régions entières de non-droit : la Corse. à cet égard, est un bon exemple.

La France, d’ailleurs, illustre ce démantèle- ment progressif de la puissance des États et, partant, de leurs capacités. A l’intérieur, c’est la décentralisation, ou la régionalisation, et donc le transfert de la responsabilité de l’État 2 des structures intermédiaires innombrables.. C’est aussi la diminution considérable des budgets militaires : nécessité économique, certes, mais également refus de s’engager plus avant. A l’extérieur, c‘est l’abandon des tâches naturelles et traditionnelles de l’État-nation, qui sont confiées à des organisations internationales, irresponsables par nature, du type Organisation des Nations Unies. voire Organisation du Traité de l‘Atlantique Nord.

Tout cela signifie qu’incapables de se faire la guerre, et c’est heureux, des structures étatiques évanescentes sont propices à l’émergence de guerres civiles, et cela est malheureux.

Bien entendu, ce I< moins d’État a> ne va pas être de nature à améliorer l’efficacité et la

Or la démocratie. c’est le règne

du droit, le recours

au juge, 1 ‘existence de

contre-pouvoirs. Mais est-ce suf$sant ?

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détermination des puissances qui pourraient avoir envie de maintenir l’ordre international. Mais il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre.

2.2. L’action face aux conflits armés

L’action doit-elle être de renforcer les États, au risque de les voir suffisamment forts pour être désormais tentés de se faire la guerre ? Plus sérieusement, que revient-il à ces puissances de faire ?

2.2.1. La préYision de la guerre

Cette prévision est fondée sur le renseignement. Qu’en dire, sinon qu’en la matière la coopéra- tion internationale est plus délicate que jamais ? Déjà difficile à organiser à l’intérieur des États, la coopération entre services de renseignement d’État, qu’ils soient militaires, stratégiques ou politiques, est encore plus aléatoire.

Pour autant, cette information des États, garants de l’ordre, est fondamentale. A cet égard, des actions communes en matière d’ob- servation militaire de la terre vont, en Europe, dans le bon sens. A condition toutefois de ne pas se contenter de renseignements tech- niques, et sans oublier que, si une image satel- lite peut montrer un missile prêt à tirer dans une certaine direction, elle ne peut dire si le chef d’État considéré a l’intention ou non d’appuyer sur la détente et, si oui, quand il le fera.

C’est dire que, pour les grandes démocra- ties, la prévision ne va pas sans une certaine dose de renseignement humain, autant dire d’espionnage. Les Services, comme on les appelle, ont de beaux jours devant eux.

2.2.2. La prévention de la guerre

Cette prévision de la guerre fonde toute poli- tique de prévention. Sachant ce que l’on doit redouter, il est alors théoriquement possible d’agir. Théoriquement seulement, car les démo- craties, tout comme d’ailleurs la société inter- nationale, éprouvent naturellement quelques difficultés à anticiper. Les yeux fixés sur les sondages, préparant sans cesse les prochaines échéances électorales, les dirigeants ont de la peine à anticiper, dès lors qu’ils sont trop occupés à gérer l’instant.

Cela n’empêche pourtant pas la réalisation de très nombreuses actions de prévention,

civiles (diplomatiques, économiques, adminis- tratives et financières) ou militaires.

Ces actions peuvent viser, dans les cas extrêmes et de manière révolutionnaire, à mettre sous tutelle les États quand la commu- nauté internationale juge qu’ils ne sont plus en mesure d’exercer leurs responsabilités, et à empêcher la prolifération anarchique des États : ne faut-il pas faire subir des sortes d’examens à certains peuples, certains groupes humains, certaines minorités - si nombreux aujour- d’hui - désireux de se constituer en États ?

De manière plus classique, ces actions peu- vent viser à désamorcer une situation poten- tiellement dangereuse, avoir pour but de dis- suader un boutefeu ou de décourager une agression.

Ces actions de prévention peuvent égale- ment avoir une visée à court terme, comme le prépositionnement de soldats américains en Macédoine à partir de 1993, ou à plus long terme, comme en témoignent les actions fran- çaises de coopération.

Il peut s’agir d’une aide à la démocratie, en participant au bon déroulement d’élections de chefs d’État, comme la France vient de le faire au Tchad et comme elle l’avait fait en 1993 en République centrafricaine.

On pratique aussi l’aide à la stabilité des États en participant à la formation de leurs forces armées, de leur police et de leur gen- darmerie. On peut aider au bon fonctionne- ment des États dans tous les domaines : santé, justice, éducation, équipement, etc. Toutes ces actions, communément appelées coopération, vont dans le sens d’une prévention de la guerre. Ayant pour but de renforcer les États et leurs capacités d’intervention, elles ont pour ambition première d’empêcher un conflit d’éclater.

Notons également que le système de prépo- sitionnement de forces, prévu en principe pour décourager un trublion de l’ordre international, peut avoir pour effet secondaire d’aider à la sta- bilisation d’un État, avec cet inconvénient que ce système n’est pas une panacée.

Ce prépositionnement de forces permet, à l’occasion, de disposer au bon moment et au bon endroit d’une force amie, apte à faciliter, par la connaissance des lieux et des sens, une intervention plus lourde, à rendre un pays de stationnement plus stable et plus tranquille, mais il a pour inconvénients de disperser des forces quand le principe de la guerre, l’écono- mie des forces exigent qu’on les concentre, de créer l’incident et la crise que l’on prétendait

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Page 29: Des insécurités partielles à la

justement éviter (comme naguère en Répu- blique centrafricaine ou à Okinawa l’hiver dernier).

Mais ces actions de prévention sont évidem- ment insuffisantes, l’exemple du spectaculaire échec français en République centrafricaine en atteste. La mutinerie centrafricaine montre que l’aide est insuffisante, qu’une démocratie for- melle n’a pas grand sens dès lors que ne s’y ajoutent pas, chez les dirigeants, le souci du bien public, le sens de l’État, l’honnêteté, la volonté de gérer réellement et bien.

2.2.3. L’action : l’interruption de lu guerre

Il faudra donc, le plus souvent, tenter d’arrêter la guerre qu’on n’aura pas su prévoir et encore moins prévenir.

Des gendarmes savent séparer deux force- nés en train de se battre. La communauté inter- nationale est plus désarmée quand il lui faut empêcher deux peuples d‘en venir aux mains.

Rappelons, très simplement, qu’il existe ~YOSSO modo trois attitudes possibles et imagi- nables face à une guerre civile.

D’abord, ne rien faire. C’est la solution du type guerre de Sécession américaine. On laisse le plus fort l’emporter. C’est le procédé employé au Soudan, en Afghanistan, au Liberia... Ce n’est pas forcément le plus mau- vais. Un peu comme en économie, on laisse les forces du marché s’exercer librement.

Ensuite, confier le pays en proie au déchaî- nement de la violence interne à la tutelle d’un pays tiers. C’est la solution du Liban, où la Syrie assure l’ordre qui est évidemment son ordre. Cela suppose un pays volontaire pour assurer la tutelle, décidé à en assumer les risques et les inconvénients. C’est donc la dictature, ou la recolonisation, mais c’est aussi la paix. La com- munauté internationale s’en satisfait. Les Libanais peut-être moins..

Enfin, l’intervention d’une force internatio- nale, chargée de s’interposer et d’imposer la paix. Elle peut prendre différentes formes : l une interposition entre les belligérants,

quand ceux-ci sont d’accord pour être ainsi séparés. C’est la solution Chypre, dont l’in- convénient majeur est de cacher la solution en gelant la situation ; c’est la solution Liban, sans efficacité puisque sans moyen de coercition ;

. la FORPRONU : avec une certaine hypocri- sie, on a tenté de maintenir la balance égale entre assaillants et agressés ;

. la force de réaction anglo-franco-hollan- daise, qui s’impose par la force ou par la certitude qu’elle emploiera la force ;

l une coalition ad hoc, qui contraint les belli- gérants à être séparés en attendant le retour au calme et la pratique d’élections ; c’est la force de 1’OTAN ou l’IFOR. en ex- Yougoslavie, qui espère qu’après un an de ce système les causes de la guerre auront disparu.

Comme le fait observer Ghassan Salamé dans Appels d’empire (Éditions Fayard), la fm de la guerre froide a entraîné un changement dans la nature des interventions : 1~ L‘intervention du temps de la guerre froide avait valeur de dis- suasion, voici aujourd’hui venu le temps de la contrainte. Iraq, Bosnie, Rwanda, Somalie en témoignent. Dans le même temps, la marge d’initiative ou de manoeuvre des grandes puis- sances s’accroît, mais les rend d’autant plus sélectives dans leurs interventions. >a

Conclusion

En conclusion, je voudrais marquer les limites de l’exercice en faisant deux constats : l 1’ONU a largement échoué dans le maintien

de la paix. Ce n’est toutefois pas sa faute, mais celle des États qui forment l’organisa- tion mondiale avec, notamment et pour une large part, l’abstention américaine. Le refus américain de s’engager dans des opérations onusiennes constitue l’une des causes de cette impuissance ;

l il reviendra toujours aux États de maintenir la paix, tout en sachant que ce maintien de la paix ne pourra probablement pas s’exer- cer partout où celle-ci est menacée.

Napoléon Ier le disait bien : « Le moyen de n’être fort nulle part est de vouloir l’être par- tout. 8, De la même manière, les démocraties ne pourront assurer valablement la paix que si elles se fixent des priorités. Cela est en particu- lier vrai pour un très grand nombre de puis- sances moyennes, comme la France. Nos pays doivent choisir. La bonne gestion des res- sources financières et humaines en dépend, tant il est vrai que le maintien de la paix (autant dire la guerre à la guerre) continuera de privi- légier l’emploi de moyens militaires.

Quelles seront ces priorités ? Sans être assuré d’avoir raison, on peut imaginer ce qui peut les sous-tendre : la défense des intérêts nationaux. Les États-Unis d’Amérique ont mon- tré le chemin : ils n’entendent intervenir qu’en

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fonction et 2 la mesure de leurs propres inté- rêts. Ainsi pourrait-on imaginer un certain par- tage du monde, au demeurant variable selon les puissances, qui a d’ailleurs été déjà esquissé par divers auteurs et qui se répartit en trois niveaux : l niveau 1 : l’État proprement dit et la défense

de ses frontières ; l niveau 2 : les zones d’intérêt prioritaires

(l’Europe de l’Est pour l’Europe occidentale ou le Golfe persique pour les États-Unis) ;

l niveau 3 : le reste du monde. ‘< les bar- bares la, comme dit Jean-Christophe Rufin. où un niveau de sécurité moindre est accep- table dans la mesure oil l’insécurité ne risque pas de s’étendre -ce qui n’est, au demeurant, jamais garanti.

Une chose est sûre : le maintien de la paix ne va pas et n’ira pas sans une extrême volonté politique. Il n’ira pas non plus sans que les démocraties acceptent d’en payer le prix, y compris, le cas échéant: celui du sang.

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LES FACTEURS NON MILITAIRES DU PROCESSUS DE PAIX AU MOYEN-ORIENT

par Domenico Siniscalco, professeur aux Universités de Louvain et de Turin,

Directeur exécutaj’de la Fondation Mattei

Permettez-moi tout d’abord de préciser que je ne suis ni un expert des problèmes de skcurité, ni un spkcialiste des conflits. Je ne suis qu‘un konomiste trks intéress6 par les relations entre l’économie et la sécurité, entre l‘économie et la paix. C’est donc essentiellement du point de vue économique que j’analyserai les relations entre l’intégration économique et la paix au Moyen-Orient.

Je prendrai pour point de départ l’argument gkkral enon& dans le texte de prksentation de cette confkence, 2 savoir, le fait que le monde est confronté aujourd’hui 5 une skie de crises de plus ou moins grande ampleur qui ont un effet dkvastateur dans les rkgions où elles se produisent, tant par leurs conséquences sur le bien-être de la population concernée que par leurs rkpercussions rkgatives pour le reste de la planète. Il n’existe pratiquement aucune crise, aussi circonscrite soit-elle, qui puisse être qualifiée de locale. J’accepte donc pleinement, comme un axiome même, si vous le voulez, l’idée exprimée ici selon laquelle la commu- nauté internationale n’a pas d’autre choix que de contenir ces crises, de les désamorcer et, par-dessus tout, de les prkvenir par des inter- ventions et des moyens non militaires. Comme le titre de mon intervention l’indique claire- ment, je traiterai essentiellement ce problème dans le cadre de la Méditerranée. mais mon argumentation vaut également pour n‘importe quelle rkgion intégrée. Elle peut donc s’appli- quer, nous le verrons, 5 toute situation plus générale du tnême type.

Le bassin méditerranéen est une région en partie fermée dont les différents territoires sont très fortement liés entre eux. Ses principaux acteurs sont, dans le sens des aiguilles d’une montre, les pays membres de l’llnion euro- péenne, les pays issus de l’ex-\iougoslavie. la

Turquie, Israël et les pays du Moyen-Orient et de [‘Afrique du Nord. C’est une région forte- ment peuplée. Elle compte aujourd’hui 360 mil- lions d’habitants, concentrés en tnajeure partie dans les zones urbaines. Cette population se divise en deux groupes d‘importance sensible- ment kgale : une moitié vit dans les pays du Nord, l’autre moitic dans les pays du Sud. Mais, en l’an 2025, ek aura considérablement aug- menté : les estimations oscillent entre 520 et 570 millions d’habitants en fonction essentielle- ment de la dynamique démographique en Turquie. dont 1’6volution, des plus incertaines. est la principale inconnue. L’important est de noter que l’urbanisation sera beaucoup plus élevée qu’à l’heure actuelle et que la rkpartition de la population entre les deux sous-r6gions - Nord et Sud - se sera profondément modifike. La population du Nord demeurera 5 peu près constante, alors que celle du Sud se sera accrue dans des proportions considérables.

Je m’apprêtais à souligner l’importance de la croissance démographique, mais, dans son allocution d’ouverture, le Directeur général, M. Federico Mayor, a tnontrk tr& clairement pourquoi ce phénomene avait de très fortes incidences konomiqucs, pourquoi il pouvait être une source de pauvreté et même, dans cer- taines régions, de miske, pourquoi il pouvait se traduire par des migrations massives.

Les migrations massives, vous le savez, sont de puissants facteurs d’instabilité dans nos pays. Si ces pays sont sujets à des crises sociales, c’est parce qu’ils doivent faire face à des mouvements de population de l’ordre de deux à trois millions de personnes. Mais nous parlons ici de migrations potentielles beaucoup plus importantes. qui, je le répète, pourraient mettre gravement en péril nos konomies. On peut en dire autant de l’urbanisation, sur

Il n ‘existe pratiquement aucune crise,

aussi circonscrite soit-elle,

qui puisse être qual@e de

locale.

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.Je dois ajouter que la croissance économique est un ciment pour la paix.

La stabilité est une notion qui va plus loin que celle de paix, car elle prend également en compte la situation interne de chaque pays. Elle est donc, en un sens, plus vaste et plus générale que le concept de paix proprement dit.

laquelle la conférence Habitat II s’est penchée ces jours-ci à Istanbul. L’urbanisation est syno- nyme de pressions accrues sur les ressources environnementales. A revenu égal, un citadin consomme trois fois plus d’énergie et utilise trois fois plus d’infrastructures qu’un paysan. Les habitants des grands centres urbains, des mégapoles, posent un problème d’une tout autre nature que les habitants des zones rurales. Aussi peuvent-ils être à l’origine d’une certaine agitation sociale qui suscite des pré- occupations dans de nombreuses régions.

L’interdépendance des pays méditerranéens emprunte de multiples voies, qui sont déjà sub- stantielles mais qui, nous le verrons, pourraient se développer considérablement dans un ave- nir proche. Les premiers maillons de cette inter- dépendance - et je ne pense pas seulement à l’interdépendance entre le Nord et le Sud, mais aussi à celle entre le Sud et le Sud - sont les denrées agricoles, les produits manufacturés, la construction, les grands travaux et l’énergie. Pour l’heure, les flux d’énergie sont dirigés essentiellement du Sud vers le Nord, mais ils pourraient faire place à des flux Sud-Sud à mesure que la population s’accroît et que l’ur- banisation s’intensifie, pour la simple raison que je viens d’évoquer : la population urbaine du Sud va doubler. Or, les citadins consom- ment beaucoup plus d’énergie que les ruraux, de sorte que le besoin d’un réseau de distribu- tion de l’énergie - qu’il s’agisse de l’électricité ou des sources d’énergie primaires comme le gaz naturel - va augmenter lui aussi à l’inté- rieur de la sous-région. Mais c’est dans le domaine des services que l’interdépendance est la plus marquée : je veux parler du tourisme et des médias, car, du Maroc à l’Iraq. on utilise une langue commune, sinon identique, ce qui, en un sens, rend possible dans cette partie du bassin l’échange d’informations et de services de toutes sortes, même si cet échange n’est encore que peu développé.

Par ailleurs, les pays de la région sont très fortement interdépendants sur le plan de la cir- culation des capitaux et des flux financiers. A l’heure actuelle, ces flux financiers sont, pour dire le moins, mal orientés. La chose a de quoi surprendre. Lorsque j’ai commencé à travailler dans ce domaine, j’ai découvert que les plus gros flux de capitaux dans le bassin méditerra- néen allaient du Sud vers le Nord, du fait que les habitants du Sud confient leur argent aux institutions bancaires du Nord. Ce n’est pas précisément ce à quoi on se serait attendu, connaissant la répartition des revenus dans la

région. C’est pourtant le cas. Par flux de capi- taux, j’entends l’investissement. De grosses quantités de capitaux sont d’ores et déjà inves- ties sous différentes formes dans des co-entre- prises associant les pays de la région. Il me faut aussi mentionner la main-d’oeuvre, entendez la main-d’œuvre immigrée. Celle-ci représente des flux très importants, orientés pour l’instant à la fois dans le sens Sud-Nord et dans le sens Sud-Sud, pour ne rien dire des échanges Nord- Nord. On observe, par exemple, des mouve- ments de la région méditerranéenne vers la France et vers l’Italie.

N’oublions pas non plus l’environnement. Nous n’avons pas l’habitude de voir dans l’en- vironnement un champ d’interaction, et cela en est pourtant un de taille. Tous les pays de toutes les parties du bassin méditerranéen ont un environnement commun, ce qui est très important à la fois pour le tourisme et pour le développement de la région en général. Cet environnement se caractérise par une très forte interdépendance, comme le montre clairement les travaux du Plan bleu, patronné par le Programme des Nations Unies pour l’environ- nement (PNUE). C’est ainsi que les pays rive- rains du Sud pourraient gravement pâtir des émissions polluantes du Nord. Il faut donc être extrêmement attentif à l’environnement. Enfin, les pays de la Méditerranée partagent, à peu de choses près, une même culture, un même sys- tème de valeurs, même si les religions sont dif- férentes. Je veux dire que les points communs et les terrains d’entente sont plus nombreux que les divergences dans cette région. C’est là, je crois, un atout de taille que nous devrions nous efforcer de mettre à profit.

Dans cette région déjà irriguée par les flux que j’ai mentionnés, et qui sont sans doute insuffisamment développés, notre objectif est de faire avancer la paix. Il n’est pas difficile de montrer que la paix est source de prospérité. Mais, pour nous économistes, cela demande de longues explications. Je dois ajouter que la croissance économique est un ciment pour la paix. La stabilité est une notion qui va plus loin que celle de paix, car elle prend égale- ment en compte la situation interne de chaque pays. Elle est donc, en un sens, plus vaste et plus générale que le concept de paix propre- ment dit.

Pour nous, économistes, qui sommes appe- lés à intervenir dans ce débat et aussi dans cer- tains aspects de l’activité diplomatique qui en découle, l’un des principaux instruments sur lesquels il conviendrait de s’appuyer pour

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favoriser la stabilité dans la région, c’est-à-dire la paix entre les pays et la stabilité à l’intérieur de chacun d’eux, est la croissance économique. La vie nous paraît impossible dans cette région si rien n’est fait pour promouvoir, au moins, la croissance dans tous les domaines, pour, d’une manière ou d’une autre, promouvoir la prospé- rité. Mais, plus encore que la croissance, nous croyons que la paix - et la stabilité - seront renforcées, favorisées et consolidées par des échanges plus étroits et une plus grande inter- dépendance entre pays que ce qui existe déjà sous les formes que j’ai décrites. Par consé- quent, les efforts diplomatiques en faveur de la paix au Moyen-Orient et, de manière plus générale, de la stabilité dans la région - ce qui implique la stabilisation des flux migratoires, davantage de croissance et de bien-être - doivent viser à développer l’économie mais aussi à promouvoir une plus grande interdé- pendance entre les différentes sous-régions et entre les différents territoires. Tel est, par exemple, le sens de la doctrine dite des « divi- dendes de la paix 8, qui a été forgée ces der- nières années par le gouvernement des États- Unis d’Amérique, par son Département d’État, par Shimon Peres, par le roi du Maroc et de nombreux autres acteurs influents dans la région. Selon cette doctrine, si l’on améliore le bien-être, si l’on renforce les liens et l’interdé- pendance entre les pays, leurs habitants perce- vront immédiatement, ou plus aisément, les avantages liés à la paix, les dividendes de la paix, et accepteront la paix beaucoup plus volontiers qu’aujourd’hui.

Pourquoi cela ? L’idée fondamentale est que tisser des liens et consolider l’interdépendance entre les pays à différents niveaux - circu- lation des biens, des services, des capitaux, de la main-d’œuvre, de l’information, de la culture, etc. - constituent, d’une certaine manière, la meilleure réponse possible à toute action unilatérale et le meilleur moyen d’élargir le champ de la coopération. Je n’irai pas jus- qu’à prétendre - aucun économiste, je crois, ne le ferait - que l’interdépendance écono- mique est une condition suffisante de la paix. Je suis entièrement d’accord avec le précédent orateur, qui a évoqué le débat sur les relations entre la France et l’Allemagne entre les deux guerres, certains en France affirmant alors que la dette de l’Allemagne serait un frein suffisant à la guerre. L’histoire a montré que non, car l’Allemagne avait puissamment intérêt à annu- ler sa dette par la guerre. Cela dit, nul ne serait assez naïf pour croire que des liens plus étroits

suffisent à prévenir la guerre. Ce qui est sûr, c’est qu’ils modifient et renversent substantiel- lement le rapport coût/avantage. Quels que soient les avantages qu’un pays peut trouver à l’instabilité - agression à l’encontre d’un pays voisin, déstabilisation interne, que sais-je encore ? -, si l’on accroît l’interdépendance, on accroît par là-même le coût de telles actions. La logique de la G< réponse la plus avantageuse » est alors considérablement modifiée, et la guerre ou l’instabilité devient plus coûteuse. Naturellement, nous assisterons au phénomène inverse dans des périodes d’instabilité et de guerre, lorsque les avantages l’emporteront, malgré tout, sur les coûts. Cependant, en aug- mentant les coûts, on ramène à un niveau plus acceptable les risques d’instabilité, la dyna- mique générale de la guerre et les interactions négatives dans la région.

Ce n’est que simple bon sens. Toutefois, la difficulté est de savoir comment renforcer les liens et l’interdépendance dans la région. Une chose est en effet de définir des objectifs, une autre de les appliquer. J’ai eu, par exemple, l’occasion de suivre les sommets économiques en rapport avec le problème de la paix qui se sont tenus à Casablanca et à Amman, au cours desquels différents pays ont tenté de faire accepter la doctrine des dividendes de la paix, et je dois admettre que les résultats n’incitaient guère à l’optimisme. Il ne suffit pas de déclarer que des liens étroits favorisent la paix, il faut encore consolider ces liens.

Deux approches principales s’opposent en la matière. La première, favorable aux grandes initiatives diplomatiques, consiste à dire : « Asseyons-nous autour d’une table, ouvrons tous les dossiers, examinons toutes les possibi- lités de coopération mutuelle et voyons ce que nous pouvons faire ensemble sur tous ces points. )> C’est l’approche préconisée à Casablanca et Amman par la diplomatie inter- nationale, l’approche de Warren Christopher et de Shimon Peres, et qui, à mes yeux, est quelque peu utopique. Car il faut convaincre les hommes d’affaires de venir, d’ouvrir leur portefeuille et de mettre l’argent sur la table, ce qui est toujours un peu compliqué. Quoi qu’il en soit, si l’on adopte cette approche, on com- mence par créer un marché commun pour les biens et les services, on crée une banque régio- nale qui financera les investissements, on crée un organisme chargé de promouvoir l’environ- nement, le travail, l’information, etc.

Dans les périodes de grande incertitude comme la nôtre, où nous devons tous être

Toutefois, la dijjkulté

est de savoir comment renforcer

les liens et l’interdépendance

dans la région. Une chose

est en effet de définir

des objectif, une autre

de les appliquer.

Il ne sufjt pas de déclarer

que des liens étroits favorisent

la paix, il faut encore

consolider ces liens.

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conscients des risques encourus, il existe une autre voie, qui ne se substitue pas à la première mais qui lui est largement complémentaire. Elle consiste à commencer, par des mesures très modestes, à développer la coopération dans des domaines limités puis à l’étendre peu à peu à d’autres domaines, en élargissant les dimensions et en y associant un nombre croissant de pays. Prenez des domaines qui n’exigent pas de trop gros investissements, comme l’environnement, la protection civile, les biens culturels. Il est tout à fait possible, dans ces domaines, de tisser des liens de coopération entre les pays du Nord et ceux du Sud, comme entre ces derniers, et de mobiliser les ressources autrement que par le passé. Nul besoin pour cela de milliards de dol- lars, ni d’un accord entre chefs d’État. En procédant de la sorte, ce qui, par parenthèse, aurait des effets positifs sur le tourisme - je pense à l’environnement, aux biens d’équipe-

ment, etc. -, nous pouvons, petit à petit, conso- lider une telle coalition d’intérêts en vue de nous attaquer ensuite à des problèmes plus sérieux. Il y a là, à mon sens, des possibilités qui peuvent être exploitées immédiatement et pour lesquelles nous disposons d’un bon exemple : la constitu- tion de l‘union européenne. Comme vous le savez, l’Union européenne a d’abord été une communauté du charbon et de l’acier avant d’ac- quérir progressivement de plus amples dimen- sions, de devenir un marché commun, et ainsi de suite, jusqu’à former aujourd’hui une commu- nauté plus vaste qui pourrait même déboucher sur un accord politique dans plusieurs domaines. Avancer pas 2 pas est certes moins satisfaisant que de parvenir à un vaste accord à la table de négociations, mais c’est aussi un moyen plus sûr de progresser et, comme je vous l’ai dit, je suis d’avis que c’est la voie que nous devrions essayer d’emprunter.

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L’IFOR : DE L’IMPOSITION CONSOLIDATION DE LA PAIX

par Patrice Van Ackere, adjoint au chef de la Section cc gestions des crises J)

de la Division des plans et de la politique de défense à I’OTAN

Depuis que l’Alliance atlantique s’est déclaré, en décembre 1992, disposée à soutenir des opérations de maintien de la paix menées sous l’autorité du Conseil de sécurité des Nations Unies, elle s’est impliquée, de manière crois- sante, dans les efforts déployés par la commu- nauté internationale pour rechercher la paix dans l’ex-Yougoslavie.

L’engagement de l’Alliance a commencé par la vérification du respect de l’embargo dans l’Adriatique et le contrôle, puis la mise en ceuvre. de l’interdiction de survol de la Bosnie- Herzégovine. La première opération s’est rapi- dement transformée en action de mise en œuvre de l’embargo, qui, après avoir été conduite séparément par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord et l’Union de l’Europe occidentale, a été menée de manière conjointe par les deux organisations.

Un plus grand engagement est apparu en 1993, avec le lancement des opérations aériennes visant à assurer la sécurité des forces de l’Organisation des Nations Unies en Bosnie (par le soutien aérien rapproché) et de celle des zones de sécurité (au moyen des frappes aériennes). Cette action a culminé durant l’été 1995 avec l’opération Force délibérée, menée après la prise de Srebrenica et de Zepa. Cette dernière a été un succès, dans la mesure où elle a permis de mettre fin au siège de Sarajevo et favorisé l’ouverture des négocia- tions qui ont abouti à l’accord de paix.

Cet accord est mis en ceuvre, dans ses aspects militaires. dans le cadre d’une opéra- tion dirigée par I’OTAN (cc Effort concerté ),). Six mois après son lancement, une première réflexion peut être menée sur les raisons de son succès ainsi que sur les enjeux de l’avenir, pour la Bosnie-Herzégovine et pour les opéra- tions de maintien de la paix en général.

1. Une paix imposée et en voie de consolidation

A mi-parcours de son mandat, il est possible d’affirmer que la mission de l’hlplementution Force (IFOR) est un succès. Les parties res- pectent le cessez-le-feu et la zone de sépara- tion, qui a été établie sans heurts majeurs. Elles ont aussi respecté, pour l’essentiel, les diffé- rentes échéances, et les manquements aux engagements que l’on peut observer reflètent généralement moins l’absence de volonté poli- tique que la persistance de difficultés tech- niques.

L’analyse des raisons de ce succès fait appa- raître plusieurs atouts majeurs de VIFOR : struc- ture adaptée à la mission, processus décision- nel souple, moyens & la hauteur des objectifs, forte légitimité, coopération avec les autres organisations et accompagnement par des actions complémentaires.

1.1. Une structure adaptée à la mission

L’IFOR dispose d’atouts majeurs qui faisaient défaut aux forces de protection de I’ONU aupa- ravant déployées en Bosnie-Herzégovine. En effet, elle bénéficie d’une structure militaire intégrée, celle de l’OTAN, qui, après quarante années d’expérience, a commencé à être adap- tée en 1991 (avec, notamment, la création d’un corps de réaction rapide). Cette structure a été en mesure de se déployer avec une rapidité remarquable, en particulier grâce à la capacité d’un état-major de se projeter sans délai (état- major de ~‘ARRC, le corps de réaction rapide de l’Alliance). L’IFOR a pu également profiter d’une structure de commandement, de contrôle et de communication particulièrement bien

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rodée. Par ailleurs, ses forces sont habituées à travailler ensemble et tirent le plus grand profit de leur haut degré d’interopérabilité.

Il faut souligner ici que les forces françaises ont eu l’occasion, lors des opérations menées contre l’Iraq en 1991, de faire le bilan du retard pris en matière d’interopérabilité avec les forces des pays de I’OTAN et de prendre les mesures qui s’imposaient. Cet effort n’est pas encore achevé mais commence à porter ses fruits, comme on le voit tous les jours en Bosnie.

Il importe également de souligner qu’un sixième des forces militaires engagées dans l’IFOR n’appartient pas à l’OTAN, et que la moi- tié de ces forces non-OTAN est fournie par des pays anciennement membres du Pacte de Varsovie. La coopération avec les forces de l’Alliance ne pose pas de problème insurmon- table et se développe particulièrement bien. La forte volonté politique de coopération avec I’OTAN y est pour beaucoup, d’autant plus qu’elle est motivée, dans le cas de certains États, par le désir de se montrer à la hauteur d’une organisation de défense à laquelle ils souhaitent ardemment adhérer. Le fait que cette coopération puisse exister sur le terrain est aussi en grande partie dû au développement de programmes concrets dans le cadre du Partenariat pour la paix.

1.2. Un processus décisionnel adapté à ce type d’opération

Le Conseil de l’Atlantique Nord est le pivot du système décisionnel de ~)OTAN. Son fonction- nement se caractérise par sa souplesse, garante de l’efficacité du système. Le Conseil a défini le concept de base et demandé aux autorités mili- taires de I’OTAN d’élaborer le plan détaillé qui en découlait, dont il a ensuite approuvé les élé- ments critiques. Le plan a bien sûr été soumis à tous les pays contributeurs de troupes. Les États membres de l’Alliance, quant à eux, sont impliqués depuis longtemps dans la planifica- tion, qui avait commencé dès 1993 pour la mise en œuvre éventuelle du plan de paix Vance- Owen ainsi que des plans qui lui ont succédé.

Le Conseil a délégué au Commandant suprême des forces alliées en Europe (SACEUR) la mise en œuvre de ses décisions. En contrepartie, ce dernier lui fait le rapport de toutes les mesures importantes qu’il ordonne, et sollicite de nouvelles instructions chaque fois qu’une décision militaire susceptible d’avoir un impact politique doit être prise. Le SACEUR veille à ce que le Conseil soit informé

en permanence de tout fait ou incident militaire significatif, et participe régulièrement aux réunions du Conseil afin d’y faire des comptes rendus. L’instance supérieure de décision de l’Alliance évite ainsi de s’immiscer dans la gestion quotidienne des opérations militaires.

Le SACEUR, à son tour, a délégué au con- mandant du théâtre des opérations la mise en œuvre de ses décisions. C’est dans ce contexte que doit s’apprécier la disposition par I’OTAN d’une chaîne de commandement unique, qui constitue un atout majeur pour I’IFOR et qui faisait défaut au système en place en Bosnie avant son arrivée. Elle permet une prise de décisions extrêmement rapide et leur applica- tion immédiate. Elle permet aussi d’exécuter toute décision de recours à la force lorsque l’un des belligérants viole ses engagements ou des dispositions importantes du droit international.

La structure intégrée de l’Alliance a été en mesure d’accueillir de nouveaux participants dans des délais très rapides. La préparation de l’opkation a été l’occasion d’associer les futurs pays contributeurs de troupes dans le cadre d’un groupe de planification ad hoc.

En ce qui concerne le processus décision- nel, il faut souligner l’ouverture de la structure intégrée, qui inclut une représentation aux principaux échelons de décision, au siège, à Bruxelles, et à l’état-major de Mons. Toutes les structures et procédures ont été testées pendant longtemps, permettant l’exécution d’une opéra- tion commune à des pays qui n’obéissent pour- tant pas tous aux mêmes règles de fonctionne- ment sur le plan interne. Il importe aussi de préciser que le processus décisionnel repose sur le respect de la souveraineté des États, tant au niveau de la prise de décisions (par consen- sus) qu’à celui de l’exécution (certaines règles d’engagement approuvées par le Conseil de l’Alliance peuvent ne pas être autorisées par les autorités nationales en ce qui concerne leurs propres forces).

Les opérations menées en Bosnie sont à l’origine d’une relation toute nouvelle avec la Russie, qui va au-delà des arrangements pris dans le cadre du Partenariat pour la paix. L’Alliance peut désormais associer ce pays à ses décisions concernant l’IFOR, en tenant compte de son statut particulier de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations Unies et du Groupe de contact. En ce qui concerne le com- mandement des troupes russes, un arrange- ment a été négocié avec les autorités politiques de la Russie pour permettre à ces forces de ne

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pas être sous le contrôle direct de l’OTAN, conformément au souhait du gouvernement.

1.3. Des moyens adaptés à la mission

La puissance de I’IFOR est un élément essentiel de son succès. Cette force comporte une tren- taine de brigades, dont la plupart sont équipées de blindés, totalisant cinquante-cinq mille hommes et disposant d’une puissance de feu considérable. Elle est appuyée par une force aérienne de cent trente appareils environ (deux cents avions au début de l’opération) et soute- nue par une force navale d’une demi-douzaine de bâtiments de guerre, auxquels pourraient s’ajouter, en cas de besoin, des renforts en nombre considérable. L’IFOR bénéficie égale- ment de règles d’engagement particulièrement protectrices pour sa propre sécurité et pour l’accomplissement de sa mission. Elle tire aussi un grand profit de la manifestation d’une forte volonté politique d’autoriser le recours à la force chaque fois que cela est nécessaire. Ce sont là des éléments qui manquaient aux forces de 1’ONU déployées en Bosnie, dans la pre- mière partie de leur mission au moins.

A cela s’ajoute le fait qu’une partie des troupes de I’IFOR était déjà sur place avant l’ar- rivée de celle-ci (dans le cadre des forces des Nations Unies) et a, de ce fait, une bonne connaissance du terrain.

1.4. Une forte légitimité

L’opération Effort concerté tire sa légitimité d’une résolution du Conseil de sécurité de 1’ONU (qui a sollicité l‘Alliance, sans la nom- mer, dans la résolution 10311, d’une décision prise par les seize États membres de l’Alliance atlantique et de l’acceptation de sa présence par toutes les parties (qui, dans l’accord de paix, ont par avance signifié leur acceptation de l’emploi de la force pour assurer, le cas échéant, la mise en œuvre des aspects mili- tairesl). A cela s’ajoute la forte représentativité de l’IFOR, qui regroupe les forces de trente- deux pays, dont quatre des cinq membres per- manents du Conseil de sécurité de 1’ONU.

Le soutien que lui apportent les pays voisins (Croatie et République fédérative de Yougoslavie) témoigne de leur acceptation de l’opération.

Le fait que I’IFOR dispose d’un mandat clair et accepté par toutes les parties accroît cette légitimité. Il s’agit du maintien de la cessation

des hostilités, de l’établissement d’une zone de séparation, du contrôle du déminage et, secon- dairement, de la création d’un environnement sûr pour favoriser la mission des autres organi- sations impliquées dans la mise en œuvre de l’accord de paix.

Cette opération se déroule dans le cadre du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, ce qui est une garantie d’efficacité et de sécurité. Toutefois, l’opération ne peut être un succès complet que si elle est acceptée par toutes les parties. Cela implique que le recours à la force soit manié de manière équilibrée, c’est-à-dire de façon suffisamment déterminée pour assurer la protection des troupes et l’accomplissement de la mission, mais en veillant à ce que 1’IFOR soit toujours perçue comme impartiale et à ce que le contact avec toutes les parties soit conservé en toutes circonstances.

1.5. Une coopération intense avec les autres organisations

Les opérations menées en Bosnie ont été l’occasion de créer des liens très serrés avec I’ONU, avec 1’UEO et, plus récemment, avec l’organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). De plus, depuis le début des opérations, les pays membres de l’Alliance sont informés en permanence de toutes les décisions et actions de ces organisations en ce qui concerne les actions politiques et militaires dans l’ex-Yougoslavie. Il en va de même pour les activités de l’Union européenne et du Groupe de contact.

Les aspects militaires du plan de paix en sont la partie la plus visible, mais les aspects civils sont également extrêmement importants pour l’avenir du pays. Même si un haut repré- sentant a été nommé pour assurer la coordina- tion des actions civiles, il n’en reste pas moins que ces dernières sont effectuées par un grand nombre d’organisations, aux statuts très diffé- rents, et qui sont attachées à leur autonomie.

C’est la raison pour laquelle les nombreuses liaisons entre 1’1~0~ et ces organismes sont essentielles. Il s’agit d’assurer à la fois une coordination et un soutien logistique en marge de la mission principale de l’IFOR. Outre l’éta- blissement et le maintien d’un environnement

1. L’artifice par lequel la République fédérative de Yougoslavie a représenté les Serbes de Bosnie dans la négociation et la signature de l’accord de paix (et, donc, pris des engagements pour eux) n’enlève rien à cette affirmation.

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sûr (dont bénéficient toutes les organisations civiles), l’IFOR apporte au Haut Représentant un important soutien en matière de transport, de logistique, de sécurité, de communications et de planification. La force de police interna- tionale de l’ONU, quant 2 elle, est aidée par les patrouilles de I’IFOR à Mostar et à Sarajevo, qui renforcent les siennes, et, surtout, par la mise à disposition, en cas d’urgence, de forces de réaction rapide. L’IFOR coopère également avec le Tribunal pénal international, en lui livrant les présumés criminels de guerre qu’elle aurait pu être amenée à appréhender, en assu- rant la sécurité de ses équipes d’inspecteurs et en surveillant les charniers que le Tribunal sou- haite faire examiner par ses experts.

On rappellera ici que ~‘OTAN est représen- tée dans toutes les grandes conférences inter- nationales convoquées pour traiter des pro- blèmes de la Bosnie, et que le Conseil de l’Atlantique Nord reçoit régulièrement les res- ponsables de la mise en œuvre des aspects non militaires de l’accord de paix.

1.6. L’accompagnement par des actions complémentaires

Les opérations menées pour la mise en œuvre de l’accord de paix en Bosnie sont renforcées par des actions qui en sont indépendantes mais qui contribuent à en renforcer l’efficacité : l l’accord de désarmement sur le point d’être

signé, sous les auspices de l’OSCE, en appli- cation de l’annexe 1B de l’accord de paix. contribuera au désarmement tout à la fois dans la République fédérative de Yougoslavie (Serbie et Monténégro), en Croatie et en Bosnie, et aura donc un effet stabilisateur pour cette dernière. Il en va de même pour les mesures de confiance et de sécurité, qui ont déjà fait l’objet d’un accord ;

l le processus de démilitarisation de la Slavonie orientale, sur le point de s’achever, devrait exercer un effet très positif sur la Bosnie, par la suppression d’un foyer de tension à partir duquel le conflit aurait pu être relancé ;

l la présence continue des forces de préven- tion de I’ONU dans l’ancienne République yougoslave de Macédoine contribue à la sta- bilisation de cet État, avec des effets béné- fiques sur les États voisins ;

l la possibilité pour le Haut Représentant et I’OTAN d’imposer à nouveau l’embargo à l’encontre de la République fédérative de Yougoslavie et des Serbes de Bosnie (au cas

où ils manqueraient significativement aux obligations qu’ils ont acceptées dans le cadre de l’accord de paix) leur donne un moyen de pression utile pour obtenir l’exé- cution de ces obligations.

2. Enjeux de l’avenir et enseignements

L’IFOR a su imposer le respect de l’accord de paix, mais sa mission va manifestement plus loin : en jetant les bases de la réconciliation, par le retour à la stabilité et à la liberté de mou- vement, par la confiance en voie de restaura- tion grâce au dialogue nécessaire à la mise en œuvre du plan de paix, l’IFOR opère une véri- table consolidation de la paix. Son expérience sera également riche d’enseignements pour la réflexion sur les opérations de maintien de la paix (au sens large) et sur l’architecture euro- péenne de sécurité.

2.1. Une Bosnie unitaire ?

Le caractère viable ou non de la Bosnie- Herzégovine dépendra tout à la fois de la capacité de la communauté internationale à jeter les bases de la reconstruction de l‘éco- nomie de ce pays, du résultat des élections de septembre 1996 (qui devraient permettre d’as- surer l’existence d’un véritable État) et des déci- sions qui seront prises pour la période de l’après-IFOR.

Les engagements de la communauté inter- nationale en faveur de la reconstruction écono- mique dépassent 1,8 milliard de dollars. Cepen- dant, le problème qui se pose aujourd’hui relève peut-être moins de l’insuffisance de fonds disponibles que des capacités d’absorp- tion limitées des structures économiques bosniaques.

Face à l’urgence de certains besoins, I’IFOR a réagi rapidement : elle a pris en charge la reconstruction de soixante-dix ponts, pour l’es- sentiel aux frontières (permettant le désencla- vement du pays) et, de manière plus générale, elle s’est engagée dans près de trois cents pro- jets de reconstruction (routes, écoles, infra- structures).

Les élections de septembre, organisées sous l’égide de l’OSCE, ne s’annoncent pas sous les meilleurs augures. Il semble en effet que les partis nationalistes exercent un contrôle impor- tant sur les médias, disposent de réserves finan- cières que les autres partis n’ont pas pu accu-

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muler pendant la guerre et soient favorisés par les règles électorales. Il faut y ajouter une crise économique (taux de chômage très supérieur à 50 %> dont ils ont appris à tirer parti. Enfin, la <’ République serbe ‘> n’est plus une société multi-ethnique depuis que l‘kpuration ethnique y a produit tous ses effets.

La difficulté pour le Tribunal pénal interna- tional de mettre en jugement les personnes inculpées de crimes de guerre et la volonté per- sistante des principaux d’entre eux de conser- ver une influence politique ne favorisent pas la tenue d’élections vraiment libres’.

L‘IFOR multiplie les efforts pour assurer la liberté de mouvement sur le territoire hos- niaque (qui est l’une des conditions pour que les élections puissent être considérées comme libres et sincères) et s’apprête à apporter un soutien matériel considérable 2 l’OSCE pour l’organisation de ces élections. Toutefois, les éléments nationalistes, refusant la multi-ethni- cité, peuvent chercher à multiplier les actions visant à troubler le processus (restrictions à la liberté de mouvement, manifestations, troubles, pressions destinées 2 pousser les modérés à la démission ou à empêcher les partis multi-eth- niques de faire campagne...).

D’une manière plus générale, de nom- breuses interrogations persistent quant à l’ave- nir. L’accord de paix comporte un certain nombre de dispositions visant au désarmement des armées des ex-belligérants et à la création d’un climat de confiance. Il n’en reste pas moins que deux armées vont coexister dans un seul État, or il n’y a pas de tel précédent dans l’histoire. Il convient aussi de rappeler les pro- blèmes que rencontrent les membres de la Fédération croate-musulmane pour créer une armée fédérale unitaire.

L’après-IFOR n’a pas encore fait l’objet de décisions de la part du Conseil de l’Atlantique Nord, ni de planification. Les alliés tiennent en effet à ne pas donner de signal susceptible d’être mal interprété par les parties. Ils ont annoncé à Berlin, le 3 juin dernier, leur déci- sion de maintenir le niveau actuel des forces jusqu’aux élections de septembre et de conser- ver leur capacité globale jusqu’à la fin du man- dat de l’IFOR, en décembre. Le besoin d’une force de suivi se fait cependant de plus en plus sentir. Il a été exprimé par plusieurs pays et par certaines autorités en Bosnie (Bosniaques serbes à Banja Luka par exemple). Aucune réflexion ne sera cependant lancée avant la réunion ministérielle, qui se tiendra en sep- tembre en Xorvège.

Au-delà des actions de la communauté internationale, qui seront probablement déterminantes, c’est l’existence d’une volonté de vivre ensemble au sein des peuples de la Bosnie-Herzégovine qui permettra l’émergence d‘un pays unitaire. Or il semble qu’une telle volonté fasse défaut, notamment chez la majo- rité des Serbes de Bosnie. Il est bien sûr trop tôt pour savoir si le désir de vie commune pourra. se développer sous le poids des réalités économiques concrètes ou sous la pression de la communauté internationale.

2.2. De précieux enseignements pour l’avenir des opérations de maintien de la paix

La mise en ceuvre de l’accord de paix en Bosnie et, auparavant, des actions de maintien de la paix dans l’ex-Yougoslavie permet de tirer une double série de leçons.

2.2.1. Premiers enseignements de la mise en œuvre d’un accord de paix

Plus le texte d’un accord de paix est détaillé, plus la probabilité de succès de sa mise en ceuvre est grande. L’accord paraphé à Dayton et signé à Paris est particulièrement détaillé. Il ne l’est cependant peu-être pas assez. Ainsi, la liberté de mouvement est proclamée en prin- cipe, mais sans précision quant 2 son mode d’exercice. Cela a permis 2 certaines forces de s’opposer à des passages de citoyens autrement qu’à pied, vidant d’une bonne partie de son sens cette obligation de libre circulation. De même, si l’évacuation de certaines zones était prévue, notamment dans le cadre d’échanges de territoires, il n’était pas précisé que les terri- toires et bâtiments concernés devaient être transférés dans un état Lriable. D’autres exemples de l’application de l’accord à la lettre, mais non dans son esprit, pourraient être cités. Il s’agit souvent d’incidents mineurs, mais le rétablissement de la paix implique le retour à la vie normale, y compris dans ses détails quotidiens.

La mise en ceuvre d’un accord de paix ne soulève pas que des problèmes de volonté politique, elle est également affaire de

1. L’IFOR n‘a pas mandat d’arrêter les personnes inculpées de crimes de guerre : elle n’a pour mission que de les appréhender au cas où elles viendraient en cont3ct 3vec elles.

’ c ‘est 1 èxistence d’une volonté de

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Herzégouiîae qui permettra

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Unité et volonté politiques sont irremplaçables.

moyens concrets. Ainsi l’obligation de retirer des matériels militaires ne peut-elle souvent être remplie, faute de moyens de transport ou de carburant. De même, les obligations de faire ou de ne pas faire, imposées aux troupes, impliquent que les moyens de communications soient suffisants pour que les ordres soient transmis dans les délais nécessaires à leur mise en œuvre. Le manque d’expérience peut, dans certains cas, freiner l’application d’obligations souscrites et exé- cutées en toute bonne foi. Les ex-belligérants de Bosnie se sont engagés à démobiliser leurs forces dans certaines conditions et dans certains délais mais ils n’ont aucune expé- rience de telles opérations, dont la complexité et la lourdeur logistique dépassent leurs capacités.

Inscrire dans l’accord de base la mission de la force de paix qui va se déployer est tout à fait essentiel pour son application. Il en va de même pour les actions de contrainte que cette force va pouvoir mener, et qui doivent avoir été acceptées au préalable par toutes les parties en conflit.

La planification de tous les aspects de la mise en ceuvre d’un accord de paix pourrait être utile. Autant les aspects militaires ont fait l’objet d’une planification longue et minu- tieuse, autant les aspects civils n’ont pu béné- ficier d’un tel traitement, ne serait-ce qu’en l’absence d’une organisation unique pour ce faire.

2.2.2. Enseignements généraux pour les opérations de maintien de la paix

L’action préventive est la meilleure option lors- qu’elle est encore possible (voir l’exemple de la Macédoine).

La division du travail entre organisations internationales en fonction de leurs ac avantages comparatifs >) est à rechercher systémati- quement.

Il importe que l’organisme mandataire fixe les objectifs politiques à atteindre, ce qui per- met de donner aux commandants militaires des instructions claires et précises.

Unité et volonté politiques sont irrempla- çables.

L’association de tous les pays fournisseurs de troupes au processus de décision politico- militaire favorise cette unité politique.

La puissance militaire et la volonté politique d’en autoriser l’usage sont essentielles.

L’unité de commandement d’une opéra- tion de maintien de la paix est un gage d’efficacité.

Une flexibilité opérationnelle maximum doit être garantie aux autorités militaires, encadrée par des instructions politiques claires.

Les troupes doivent être disponibles en nombre suffisant, avoir reçu l’entraînement adéquat, bénéficier de la protection requise, de la logistique et des moyens de communication nécessaires.

La coordination militaro-civile est essentielle pour le succès de la mise en œuvre d’un plan de paix complexe, notamment lorsque les opé- rations militaires et humanitaires sont étroite- ment imbriquées.

Une politique d’information active vis-à-vis de la population et de ses responsables politiques (y compris et surtout en ce qui concerne l’usage de la force) est l’une des clefs du succès d’une opération de maintien de la paix.

La fin d’une mission doit faire l’objet d’une attention particulière. Le désarmement, qui doit normalement être terminé avant la fin de la mission, n’est accepté par les factions rivales que si, en contrepartie, existent un système de protection efficace et un système politique fonctionnant correctement - ce qui suppose un processus de réconciliation. La préparation des combattants au retour à la vie normale nécessite une aide extérieure importante.

Conclusion

Les opérations menées en Bosnie ouvrent natu- rellement la voie à une réflexion sur l’architec- ture européenne de sécurité. L’implication des États-Unis d’Amérique et de la Russie dans toute opération de grande envergure en Europe, en l’état actuel des choses, semble nécessaire. Il y aura bien sûr des cas où ces pays ne voudront ou ne pourront intervenir. Leur soutien politique pourra cependant s’avé- rer nécessaire dans le cadre des Nations Unies ou de l’OSCE, ce qui impliquera une COOpétX-

tion politique étroite. Sur le plan logistique, le soutien des États-Unis d’Amérique pourra s’avérer très utile (et, dans certains cas, celui de la Russie), du moins tant que les pays euro- péens n’auront pas les moyens de leur autono- mie stratégique. La même conclusion s’impose en matière de renseignement. On soulignera ici que la décision, prise par les alliés 2 Berlin le 3 juin dernier, de mettre en œuvre les Groupes

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de forces interarmées multinationales (qui ont la direction des opérations, 0~1, du moins, fait l’objet de négociations pendant plus de d’exercer un puissant effet d’entraînement. deux ans) devrait permettre aux États euro- Cette direction ne doit pas forcement être celle péens de conduire des opérations dans le cadre du même pays dans toutes les opérations, ni de l’UE0, avec les moyens de l’Alliance. même d’un seul pays. Elle peut également être Toutefois, il faut rappeler que l’unité d’action exercée par deux 011 trois États, 2 condition que implique qu’un pays soit capable de prendre leur entente soit bien entendu sans faille.

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LA CULTURE DE LA

par Leslie Atbedey, Directeur du Programme de I’UNESCO

pour une culture de la paix

1. Introduction

J’aimerais à mon tour souhaiter la bienvenue aux participants. Aujourd’hui, je vais parler briève- ment de la culture de la paix, des défis auxquels elle est confrontée et de la nécessité d’intégrer la composante militaire, partenaire puissant et déterminé de la quête de paix et de sécurité. Je commencerai par une brève présentation de notre programme, de ce que nous considérons être les thèmes clefs du cadre conceptuel de la culture de la paix et des tâches qui nous atten- dent, conjointement avec nos partenaires.

1.1. Qu’est-ce qu’une culture de la paix ?

Promouvoir une culture de la paix consiste à contribuer de manière significative au renforce- ment de la nécessaire relation entre la paix, le développement, la justice et les pratiques démo- cratiques dans l’intérêt du plus grand nombre.

Promouvoir une culture de la paix suppose une action collective, une action fondée sur des acteurs et des défenseurs à tous les niveaux. Il s’agit des initiatives axées sur la prévention des conflits, comme de celles qui ont pour but de consolider la paix après le conflit. Certes, les actions sur le terrain peuvent varier d’une région à l’autre, mais il est important qu’elles soient guidées par la volonté commune d’inté- grer la paix, la démocratie et la justice dans la vie et dans les expériences quotidiennes de chaque citoyen du monde.

1.2. Créer une culture de la paix : la vision de l’UNESC0

Le Programme de 1’UNESCO pour une culture de la paix est une initiative relativement

récente, lancée en 1994 en réponse à 1’Agenda pour la paix du Secrétaire général de 1’ONU et à l’appel lancé par le Conseil exécutif de l’UNESC0, qui a demandé à ce que l’on coor- donne les actions ayant pour but de promou- voir, de renforcer et de créer les conditions de la paix, de la sécurité et du développement durable dans des contrées soumises à des conflits violents ou en passe de l’être.

Ce programme est fondé sur les principes de l’inclusion, de la participation et de la néces- sité de promouvoir et de renforcer la consoli- dation de la paix et le développement, ainsi que sur la recherche du consensus et le dia- logue. Nous pensons, comme Mme Sadako Ogata, haut commissaire des Nations Unies pour les réfugiés et lauréate, en 1995, du prix Houphouët-Boigny de I’LJNESCO pour la paix, que <c la réconciliation et la paix ne sauraient être imposées de l’extérieur [...l ; la justice à l’égard des victimes et le dialogue entre gens de bonne volonté, et le respect total des droits de l’homme de chacun devraient permettre de sortir de la spirale de l’impunité, de la violence et du déplacement, et de jeter les bases d’une paix et d’un développement durables >a (allocu- tion prononcée à l’occasion de la Conférence de Bujumbura, février 1995).

Conformément à ces principes, notre pro- gramme œuvre à transformer la violence et l’in- stabilité qui s’installent au lendemain d’un conflit en une atmosphère plus positive, pro- pice à la paix et au développement, et ce, par le biais des actions suivantes : l la conception et la mise en œuvre de pro-

grammes nationaux pour une culture de la paix. Les programmes nationaux pour une culture de la paix chapeautent des projets spécifiques qui relèvent des domaines de compétence de 1’UNESCO et qui ont une

Promouvoir une culture de la paix

consiste à contribuer de

manière sig@@ative

au renforcement de la nécessaire

relation entre la paix,

le développement, la justice et les

pratiques démocratiques

dans l’intérêt du plus grand

nombre.

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composante liée à la consolidation de la paix. Il peut s’agir, par exemple, de dispen- ser une formation en matière de droits de l’homme à des journalistes ou une assis- tance technique à la conception de pro- grammes d’éducation à une culture de la paix. Nous avons déjà mis en œuvre des programmes nationaux pour une culture de la paix à El Salvador, au Mozambique et au Burundi, en collaboration avec les efforts de 1’ONU dans le domaine du maintien et de la consolidation de la paix. En outre, I’CNESCO est venue en aide aux Philippines dans le cadre de son programme national pour une culture de la paix. D’autres initia- tives sont également lancées dans un certain nombre d’autres pays, dont le Congo, Haïti, le Guatemala, le Nicaragua, la Somalie et le Soudan, initiatives qui pourraient à terme se transformer en programmes nationaux pour une culture de la paix ;

. la mise en place d’un système de réseaux d’information. Notre système de réseaux d’information est un projet d’envergure mondiale. Il consiste à relier les multiples organisations non gouvernementales, OIG, organismes gouvernementaux, groupes communautaires et particuliers qui œuvrent de par le monde à la promotion d’une culture de la paix. Le Programme de 1’UNESCO pour une culture de la paix a commencé à mettre en place un système de réseaux d‘information qui permettra aux responsables de ces diverses initiatives de rester en contact les uns avec les autres et de promouvoir leurs objectifs. Il s’agit d’agrandir le plus possible le réseau de par- tenaires et de soutiens de I’UNESCO, de coordonner la collecte et le partage d’infor- mations essentielles et d’associer les res- ponsables politiques au processus de consolidation de la paix ;

l la coordination des activités de consolida- tion de la paix au sein de 1’UNESCO et du système des Nations Unies. L’importance que revêt, pour la culture de la paix, la coopération entre les institutions spéciali- sées des Nations Unies est de plus en plus souvent reconnue. Des projets sont menés à bien en collaboration avec d’autres organi- sations internationales, notamment régio- nales, et d’autres organismes et programmes de 1’ONU. Ainsi, dans le nord du Mozambique, I’LJNESCO travaille avec le HCR (Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés) pour faciliter la réinser-

tion des réfugiés à leur retour dans leur pays d’origine, par la remise en état et la reconstruction des infrastructures de base. Le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) et I’UNICEF tra- vaillent également en étroite collaboration avec nous dans le cadre d’un certain nombre de projets. Outre le renforcement de notre coopération au titre des pro- grammes nationaux pour une culture de la paix, il conviendrait également d’envisa- ger une coopération au titre de projets de formation, de recherche et de règlement des conflits, susceptibles de contribuer à la paix à l’échelle de la région ou de la sous- région.

L’initiative pour une culture de la paix au sein de 1’UNESCO se traduit par une vaste gamme d’actions qui font appel à l’ensemble des com- pétences de l’Organisation en matière d’éduca- tion, de science, de culture et de communica- tion. Depuis 1996, ce programme a été étendu et transformé en un projet transdisciplinaire, l’objectif étant de tirer le meilleur parti possible des compétences et des connaissances de cha- cun des secteurs,

Par conséquent, nous avons adopté une démarche intégrée vis-à-vis des projets de consolidation de la paix et de développement. Il s’agit, notamment, de projets élaborés avec des partenaires locaux, régionaux ou interna- tionaux. Ils peuvent être axés sur des thèmes précis, comme notre prochain projet sur la vio- lence dans les écoles en milieu urbain, mené en association avec le Projet des écoles asso- ciées, ou notre projet sur la reconversion et la formation des soldats démobilisés.

Le Programme de I’UNESCO pour une culture de la paix et ses diverses activités ont permis de contribuer ou de participer à toutes sortes de projets. Comme je viens de l’in- diquer, nous avons travaillé avec des soldats démobilisés au Mozambique, à El Salvador et au Nicaragua pour faciliter leur réinsertion dans leur communauté d’origine. Nous avons égale- ment travaillé avec des parlementaires au Rwanda, au Burundi et à El Salvador pour rechercher les moyens de contribuer au déve- loppement et à la consolidation des processus démocratiques et apporter, au besoin, une for- mation sur les droits de l’homme. En avril 1995, nous avons lancé, à El Salvador, un projet de radio associative axé sur les Salvadoriennes défavorisées et sur leurs besoins en matière d’éducation de base et d’information. Vous trouverez, dans la documentation de la

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réunion, un rapport complet sur nos activités avec les militaires, passées ou projetées. Ce sont des actions que nous avons menées à la demande des parties intéressées.

On nous demande souvent de participer à un certain nombre d’initiatives élaborées en dehors de 1’UNESCO ou de leur apporter notre soutien, L’Office of the Peace Process, aux Philippines, comme nous l’avons brièvement indiqué précédemment, nous a demandé d’ap- porter notre assistance technique et financière à son Programme national pour une culture de la paix ; il a également participé a l’organi- sation de notre deuxième Forum international sur une culture de la paix, tenu à Manille en novembre 1995. Par ailleurs, les autorités muni- cipales d’Aguachica, en Colombie, nous ont demandé d’agir en tant qu’observateurs à l’occasion d’une consultation municipale desti- née à éliminer toutes les formes de violence.

Vous aurez peut-être l’impression que je me suis davantage concentré, dans le cadre de cette présentation, sur les activités de consoli- dation de la paix après le conflit, mais la pré- vention, principal axe du travail des secteurs, fait partie intégrante des efforts de 1’UNESCO pour promouvoir une culture de la paix.

2. La nature cyclique du conflit

Permettez-moi de souligner que, même dans une culture de la paix, il existera toujours des conflits. Le conflit fait partie intégrante des rela- tions humaines. Toutefois, il n’a pas à être vio- lent. L’idée qui sous-tend la notion de culture de la paix consiste à quitter progressivement la phase violente du conflit et à en exploiter au mieux les aspects positifs dans l’intérêt de la société, et non à son détriment. Il s’agit là d’un objectif à long terme, dont il ne faut pas s’attendre à récolter les bénéfices dans l’immé- diat. La cessation de la guerre n’est que la pre- mière étape d’un processus plus long de réta- blissement de la paix et de développement au sein d’une communauté. Il faut s’en souvenir, et ne pas se décourager.

Les traités de paix et les règlements poli- tiques ne sont pas des fins en soi, mais le début d’un processus. C’est la raison pour laquelle il est de plus en plus nécessaire que les opéra- tions de maintien de la paix comportent des éléments de prévention (lors d’une menace de conflit) et de consolidation de la paix (après le conflit s’il a éclaté) dans la mesure, première- ment, où ces deux aspects constituent le début

et l’aboutissement d’une phase conflictuelle, et, deuxièmement, pour que des dispositions soient prises concernant ce type d’actions dans le cadre du processus de réconciliation, afin de limiter et d’éliminer les principales sources de conflit et d’instabilité susceptibles de resurgir.

2.1. La conception originale de la consolidation de la paix

En vertu de la définition traditionnelle qui en est donnée, la consolidation de la paix concerne toutes les 1s actions mises en oeuvre après un conflit, de nature essentiellement diplomatique et économique, en vue de conso- lider et de reconstruire les infrastructures et les institutions gouvernementales afin d’éviter une reprise du conflit ». Mais la difficulté que com- porte cette vision des choses réside dans le fait que, si nous continuons de concevoir la conso- lidation de la paix uniquement comme une action intervenant après le conflit, nous ris- quons de ne pas saisir l’intérêt qu’elle peut présenter tout au long de la durée d’un conflit violent.

2.2. Repenser radicalement la consolidation de la paix

Nous estimons que, en tant que praticiens de la consolidation de la paix, nous devrions revoir en profondeur la manière dont nous percevons cette activité, surtout pour ce qui est du moment où elle doit intervenir. Le Programme de 1’UNESCO pour une culture de la paix remet en cause l’idée selon laquelle la consolidation de la paix ne doit intervenir qu’après le main- tien de la paix. En fait, elle devrait intervenir avant le conflit et, s‘il n’a pu être évité, pendant et tout de suite après sa fin. Nous pensons qu’il est important de considérer la consolidation de la paix comme un processus se déroulant en parallèle avec l’ensemble des activités préven- tives sur la chaîne qui va du conflit au déve- loppement. Par conséquent, quiconque est amené à participer à des opérations de main- tien de la paix doit connaître l’existence de la notion de consolidation de cette paix et être disposé à y contribuer.

Par ailleurs, on sait aujourd’hui qu’il n’existe pas de moments fixes et déterminés auxquels sont censés intervenir les organismes de secours, d’aide au développement et d’aide humanitaire ; les processus sont simultanés et se chevauchent. En d’autres termes, les respon- sables de programmes comme le nôtre doivent

La prévention, prz’ncipal axe

du travail des secteurs,

fait partie intégrante des

efforts de 1 ‘UNESCO pour

promouvoir une culture de la paix.

Il est important de considérer

la consolidation de la paix

comme un processus se déroulant en parallèle

avec 1 ‘ensemble des activités préventives

sur la chaîne qui va

du conflit au développement.

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d’autres groupes clefs de la société comme les femmes, les chefs religieux et les aînés, les militaires et les anciens combattants de la liberté doizient être associés et intégrés au processus de reconstruction si 1Un veut garantir la stabilité du climat politique et social d’un Pa+s qui sort de la violence.

travailler main dans la main avec les orga- nismes de secours et d’aide au développement et en collaboration avec les gouvernements, dans le cadre de leurs initiatives visant à pré- venir les conflits violents ou à en atténuer les effets. Nous ne pouvons pas attendre que les autres c< aient fini >’ pour entreprendre le proces- sus de reconstruction et de réconciliation.

La consolidation de la paix consiste à mettre en place des infrastructures et des institutions capables de faire face aux problèmes socio- politiques de vieille date et de prévenir une reprise du conflit. Mais, compte tenu de la nature cyclique de ce dernier, la consolidation de la paix peut parfois intervenir avant même que la violence n’ait éclaté.

3. Élargir la portée des questionsdepaix et de sécurité

Dans notre approche des aspects à long terme de la paix et de la sécurité, il nous faut adop- ter une vision plus large, plus exhaustive de la sécurité. La paix n’est pas statique ; c’est un processus dynamique et mouvant qui a besoin d’être entretenu et soutenu. Au coeur du sys- tème de I’ONU, on reconnaît depuis longtemps que la paix ne signifie pas simplement l’absence de guerre, et que les menaces à la paix et à la sécurité internationales doivent être interprétées plus largement qu’auparavant et inclure, par exemple, l’instabilité &ono- mique ou politique d’une région, ou d’un pays, ou les effets d‘une catastrophe naturelle.

Dans ce cas, le maintien de la paix, conjoin- tement a\-ec les efforts politiques et humani- taires, peut contribuer à créer les conditions préalables à une culture de la paix, mais il ne peut pas fournir de solution au conflit, à court ou à long terme. Pourquoi ? Notamment parce que la paix et la sécurité nécessitent un déve- loppement économique et social durable, puisque, pour reprendre les termes d’Olara Otunnu, président de l‘International Peace Academy à New York, s< investir dans le déve- loppement économique et social constitue l’un des moyens les plus sûrs de b2tir un fondement solide à une paix durable, au sein des sociétés comme entre elles >a.

Il est clair que l’insécurité politique résulte, en partie, de l’exclusion et de la privation des droits civils. Par conséquent, au même titre que d’autres groupes clefs de la société comme les femmes, les chefs religieux et les aînés, les mili-

taires et les anciens combattants de la liberté doivent être associés et intégrés au processus de reconstruction si l’on veut garantir la stabi- lité du climat politique et social d’un pays qui sort de la violence.

4. Les défis à relever parles militaires:une confrontation d'untype nouveau

Les défis que doit relever l’armée dans le contexte d’une promotion d’une culture de la paix sont nombreux et variés : au sein de son propre pays et au-del2 de ses frontières, elle est confrontée à des victimes d’un type nouveau, des femmes et des enfants plutôt que des sol- dats. Le jeu a changé, mais les règles, en tout cas pour ce qui concerne l’intervention et l’imposi- tion de la paix, n’ont pas encore été modifiées en conséquence. Il s’agit là d’une situation difficile pour tous, y compris pour les militaires auxquels revient la difficile tâche de protéger les civils qui vivent dans un état de chaos et d’anarchie et qui, souvent, ne leur font pas confiance.

Cette évolution des conditions de la guerre (champs de bataille non militaires, victimes civiles, etc.) et la nécessité pour l’armée de s’y adapter sont autant de sources de tensions aiguës lorsqu’il s’agit de mener à bien des opé- rations de maintien de la paix auxquelles parti- cipent des militaires, dans la mesure où ceux-ci sont souvent considérés comme extérieurs à la solution du problème. En fait, les militaires qui participent à ce genre d’opération considèrent généralement qu’ils sont étroitement associés aux activités destinées à imposer la paix et à prévenir la guerre, mais non aux activités à long terme de consolidation de la paix.

L’image que l’on se fait des militaires et des combattants de la liberté ou d’autres groupes paramilitaires, tout comme celle qu’ils ont d’eux-mêmes, les empêchent souvent de s’im- pliquer activement dans le processus de récon- ciliation et de reconstruction.

Après la fin du conflit, il existe par ailleurs une tendance contradictoire visant à vouloir maintenir la discipline et une structure rigide, épine dorsale de l’ordre militaire, dans un cli- mat de dialogue et de recherche du consensus. Ce problème concerne essentiellement le haut commandement militaire, qui n’est générale- ment pas associé au processus de consultation et qui, par conséquent, n’est pas en mesure de trouver ses propres moyens d’adapter ses ser- vices aux nouveaux besoins de la société.

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5. Comment répondre à ces besoins nouveaux en matière de sécurité ?

Savoir repérer les signes précurseurs de troubles et prendre des mesures suffisamment tôt pour y remédier, gérer l’aide humanitaire et l’assistance au développement et assurer la protection des droits de l’homme font partie des mesures préventives qu‘il convient de prendre aujourd’hui pour instaurer et garantir la paix, la sécurité et la stabilité internationales de demain. Mais la coordination de cet effort représente une tâche monumentale. Elle sup- pose une collaboration entre des partenaires militaires et ci\rils qui sachent comment réagir à des éléments aussi complexes que les guerres intestines, l’assistance humanitaire et la sur- veillance d’un processus électoral.

Pour ce faire, il faudra éventuellement apporter quelques changements à la formation. En particulier, il conviendra d’aborder la conso- lidation de la paix dans le cadre des pro- grammes d’éducation au maintien de la paix et de formation militaire : il est certainement nécessaire que les militaires aient une certaine connaissance pratique de techniques telles que la médiation et les bons offices lorsqu’ils sont placés dans des situations de conflit. Le Centre canadien international Lester B. Pearson pour le maintien de la paix et INCORE, une initiative conjointe de l’université des Nations Unies et de la University of Ulster sur la résolution des conflits et l’ethnicité. menée en collaboration avec le Département des opérations de main- tien de la paix de l’ONU, ont déjà permis de faire de grands progrès à cet égard.

Conclusion

Enfin, j’aimerais poser deux questions à tous ceux ici présents : en l’état actuel des choses, les militaires peuvent-ils actuellement contri- buer à une culture de la paix? Ou doivent-ils évoluer pour être en mesure de jouer leur nou- veau rôle ? La réponse est oui dans les deux cas. Pour développer ce qui peut paraître une réponse simpliste à la première question, je dirai que l’armée, dans sa forme actuelle, a un

rôle important à jouer aujourd’hui, tant à l’échelle nationale qu’internationale. Les pro- blèmes de sécurité auxquels nous sommes actuellement confrontés nécessitent la collabo- ration et le soutien de forces militaires profes- sionnelles, qui agissent de manière responsable à l’intérieur de leurs frontières ou avec I’autori- sation d’organes intergouvernementaux, dans le cadre d’un effort de maintien de la paix aux facettes multiples.

Les compétences tactiques des militaires sont inestimables et peuvent servir de fondement à l’élaboration de stratégies militaires propres à contenir et à limiter le conflit armé interne aU& par les bouleversements politiques. Il faut pour cela que les militaires puissent dépasser les complots politiques et ne se laissent pas mani- puler par ceux qui visent des objectifs contre- productifs. De même, ils ne doivent pas tomber dans le piège qui consisterait à penser qu’ils peuvent, seuls, rétablir la paix et l’ordre.

Quant à la seconde question - les mili- taires doivent-ils changer ou s’adapter à ce nouveau rôle qui est en train de devenir le leur? -, je crois qu’il est évident qu’ils vont effectivement devoir le faire. Demain comme aujourd’hui, ils auront un rôle vital à jouer. Mais cette fois, il s’agira de préparer le terrain pour favoriser la réussite de processus politiques pacifiques et contribuer au règlement rapide de conflits violents, si conflit il y a. Les militaires font partie intégrante du processus de recons- truction et de rétablissement de l’ordre interve- nant après un conflit prolongé. Ils ne doivent jamais perdre de vue leur potentiel, et doivent faire en sorte de relancer et de réorienter leur rôle afin d’être aussi efficaces et nécessaires dans la pratique, comme nous savons qu’ils peuvent l’être.

La culture de la paix, telle que 1’UNESCO l’envisage, consiste à intégrer le meilleur de la réflexion et de la pratique de tous les secteurs de la communauté internationale, et à mobili- ser cette masse de connaissances et cette éner- gie pour créer un monde où la paix et la sécu- rité prévaudront sur la guerre. Tous ceux ici présents aujourd’hui sont instamment priés de s’associer à cette révolution, à cette action com- mune en faveur d’un monde plus sûr, moins violent.

Les militaires peuvent-ils

actuellement contribuer

à une culture de la paix ?

Ou doivent-ils évoluerpour être

en mesure de jouer leur

nouveau rôle ? La réponse

est oui dans les deux cas.

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II. DEUXIÈME TABLE RONDE

Les sources sociétales et culturelles de l’insécurité

Président : le général de coqs d’armée CarloJean, Directeur du Centra Alti Studi per la Difesa (CASD)

Dans un monde où les grandes puissances sont désormais attentives à faire prévaloir un ordre international pacifique et se donnent les moyens de contraindre

les États fauteurs de trouble, les agressions extérieures sont, nettement moins que par le passé, la cause première de l’insécurité.

En revanche, les situations économiques et sociales de régions entières du monde s’avèrent être des sources pérennes de déréliction et de désespoirs

qui engendrent une insécurité récurrente. Au surplus, ces situations dangereuses sont aggravées par leur couplage

avec des attitudes culturelles propices à la violence plutôt qu’à la construction pacifique, en une dialectique aisément explosive.

La recherche de la sécurité, préalable nécessaire de tout développement, ne peut faire l’économie de remèdes à ces situations de fond

où s’enracinent les causes profondes des maux à combattre.

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DÉFENSE ET SÉCURITÉ : FACTEURS DU DÉVELOPPEMENT

par Jean-Christophe RU$~, Directeur adjoint de l’Institut de relations

internationales et stratégiques, ancien vice-président de Médecins sans Frontières

Je souhaiterais d’abord envisager les rapports entre sécurité et développement, et entre défense et développement, sur un plan chro- nologique. Le thème du développement est un thème récent, apparu dans la vie internationale avec la période des indépendances et, notam- ment, lors de la conférence de Bandoeng en 1955, comme un thème peu lié au problème de sécurité : le développement devait normale- ment procéder des indépendances, autrement dit, la décolonisation achevée, le développe- ment devait commencer.

La situation s’est compliquée au début des années GO. Avec la révolution cubaine, les problèmes de la difficile décolonisation de l’ex-Congo belge et la reprise de la guerre du Viet Nam, le développement est devenu une question stratégique et politique liée aux questions de stabilité et de sécurité. Ainsi, pour faire pièce à la déstabilisation du conti- nent sud-américain, les États-Unis d’Amérique vont lancer, à partir de 1963, un grand Programme d’alliance pour le progrès avec la création d’organismes comme le Peace Corps, dans un esprit que Kennedy présente dans son discours de Punta del Este : <’ Le développement, c’est le gage de la stabilité et de la sécurité. >) Dans les années 60, on a donc cette première équation : la sécurité naîtra du développement.

C’est alors le début de la prolifération d’un grand nombre de programmes mis en place au sein d’organisations du système des Nations Unies, telles que I’UNICEF, entre autres. C’est également l’époque de la multiplication d’im- portantes organisations non gouvernementales (ONG), notamment en Europe, mais tout parti- culièrement en Scandinavie et aux États-Unis d’Amérique, qui se lancent dans de vastes pro- grammes de développement avec l’idée

qu’elles œuvrent à terme pour la stabilité et la sécurité du monde.

Arrive alors une guerre que personne n’at- tendait et qui n’entre pas véritablement dans la vision du monde bipolaire : la guerre du Biafra. Cette guerre est restée comme l’acte de nais- sance de l’humanitaire frangais moderne. C’est 2 la fin de cette guerre que sont nées des orga- nisations du type Médecins sans Frontières. Cette guerre du Biafra est venue soudain rap- peler au monde que le développement n’était pas nécessairement un gage de sécurité, autre- ment dit, qu’il y avait aussi des problèmes poli- tiques, militaires, de stabilité ainsi que des convulsions qui pouvaient secouer certains États, notamment des États nouvellement indé- pendants comme le Nigéria. Ces convulsions n’étaient pas forcément de nature Est-Ouest ou de nature idéologique, mais pouvaient, au contraire, plonger leurs racines profondément dans l’histoire de ces pays. Finalement, la guerre du Biafra a mis l’accent sur un risque qui était celui de la fragilité des États.

Je voudrais insister sur cette alerte qu’a constituée la guerre du Biafra. On a cru, à l’époque, qu’on allait assister subitement, un peu partout, à l’éclatement des États nouvelle- ment indépendants. L’année suivant son achè- vement, en 1971, il y eut d’ailleurs un deuxième épisode d‘= éclatement d’État a), à savoir, la partition du Pakistan et du Bangladesh à la suite d’un bref conflit. Les esprits ont commencé à penser que ce type d’événement allait se multiplier. En rkalité, cela ne s’est pas passé tout de suite ainsi. Les États du tiers monde sont restés intacts ; on a vu seu- lement proliférer en leur sein de longues guerres civiles de basse intensité. Entre 1975 et 1980, une floraison de conflits nouveaux apparaît. D’abord, la décolonisation, en Afrique

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La stabilité ou la sécurité ne naîtra pas du développement mais, au contraire, un minimum de sécurité permettra le développement.

australe, des anciennes colonies portugaises et les guerres civiles qui s’en sont ensuivies : Mozambique et Angola notamment ; ensuite, la décolonisation du Sahara occidental, la guerre entre la Somalie et l’Éthiopie, la chute de Somoza au Nicaragua, l’invasion soviétique en Afghanistan, la révolution iranienne, la guerre au Liban, l’invasion ou la libération, selon le point de vue, du Cambodge par le Viet Nam en 1978... En l’espace de cinq années, nous avons vu se multiplier les conflits comme jamais.

Cette situation a conforté l’idée de ceux qui disaient : fi Il va y avoir des problèmes poli- tiques partout, les problèmes de sécurité vont être dominants. 8, En réalité, ces guerres ont été multiples, certes, mais elles ont en même temps été stables, c’est-à-dire que tous ces petits conflits, que l’on a appelés de basse intensité, ont été sérieux, dignes d’être pris en considé- ration, chargés d’enjeux dans le contexte de la guerre froide, mais qu’ils n’ont pas conduit à l’éclatement des États dans lesquels ils se sont produits. Par exemple, la guerre d’Érythrée s’est prolongée sans que l’Éthiopie s’effondre, la guerre du Mozambique s’est prolongée avec la guérilla de la Rénamo sans que l’État mozam- bicain s’effondre, etc.

Il y a eu des guérillas frontalières, des troubles, mais la stabilité globale n’a pas été remise en question, ni les problèmes de sécu- rité à l’échelle globale. Certains décrivent cette période étrange comme une sorte de choix : quelques pays conservaient une stabilité poli- tique mais pas de continuité ou de stabilité ter- ritoriale. Par exemple, le Myanmar est un pays d’une extrême continuité politique, mais avec toute une couronne de zones fragmentées et qui, territorialement. sont moins contrôlées. Au contraire, un pays comme le Tchad 3 connu de très nombreuses alternances politiques mais sa continuité territoriale n’a jamais été remise en question. Autrement dit, les États « se cassaient 3’ soit sur un plan politique soit sur un plan terri- torial, mais pas sur les deux à la fois.

Pendant les années 80, il existait donc une certaine forme de stabilité qui permettait de poursuivre des programmes de développement. Le paradoxe, c’est que tout a changé et s’est s’ag- gravé avec 13 fin de la guerre froide. Depuis 1990, nous assistons en effet à une série de crises beaucoup plus graves : on s’aperçoit qu’un cer- tain nombre de celles des années 80 ont trans- formé et ruiné en profondeur certains États. Même après la fin d’un conflit, on l’a vu au Cambodge ou à El Salvador, le retour vers la paix est très coûteux, très difficile et très aléatoire.

En outre, il existe des situations de chaos qui naissent de la fin de l’antagonisme Est- Ouest. Je prends l’exemple de l’Afghanistan, dont on pensait qu’il avait touché le fond dans les années 80 ; finalement, aujourd’hui, alors que les Soviétiques en sont partis, ce pays connaît une situation beaucoup plus grave dans sa déstructuration interne, dans son écla- tement. Depuis sept ans, nous avons vu appa- raître un phénomène nouveau, à savoir, celui des États qui ‘< se cassent )> à la fois sur un plan politique et territorial, c’est-à-dire que le chaos peut s’installer à la fois au sein même de l’État et sur son territoire. Les exemples du Libéria ou de la Somalie nous montrent qu’il y a des cas d’implosion, d’effondrement complet d’États, où plus rien n’est possible. En particulier, le développement ne l’est plus, et on est donc amené, dans ces années 90, à inverser la pro- position de départ : la stabilité ou la sécurité ne naîtra pas du développement mais, au contraire, un minimum de sécurité permettra le développement. Il faut que cet élément de sécurité intervienne d’abord, car il ne procède pas naturellement du développement.

Comment assurer cette stabilité et cette sécurité qui sont les seules, les vraies condi- tions du développement et du travail en pro- fondeur ?

Il faut reconnaître que les conflits dans le monde ne sont pas uniquement liés à des conflits idéologiques importés d’Europe ou du Nord, et que la guerre froide n’était pas le seul et unique facteur de crise. Je crois que ce rai- sonnement nous 3 fait commettre beaucoup d’erreurs. Un certain nombre de mouvements armés ne se battaient pas uniquement parce qu’ils étaient marxistes, ou procommunistes, ou prosoviétiques, ou autre, mais pour des raisons qui plongent leurs racines dans l’histoire de ces p3ys. Sans colonisation, sans guerre froide, sans perturbations extérieures, il existe toujours des causes de conflits profondes, multiples, dont il faut savoir regarder les risques en face. La stabilité et la sécurité ne vont pas de soi, elles ne sont pas naturelles ; elles s’obtiennent par un effort, et les opérations de maintien de la paix en témoignent.

Par ailleurs, l’économique n’est pas toujours un facteur de paix. Il est vrai que le dévelop- pement de l’activité économique peut, dans certains cas, et dans de nombreux cas, accom- pagner la stabilité, mais quelle économie, et quel développement économique ? Les institu- tions internationales ont beaucoup encouragé l’économie dite informelle, c’est-à-dire une

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économie qui s’exerce dans un secteur non contrôlé, qui est libre et souterrain. Cette éco- nomie informelle est en continuité avec l’éco- nomie criminelle, et il y 3 là un grand danger de glissement. Je prendrai un seul exemple. En Afrique du Sud, il y a eu privatisation des cars qui ramenaient les gens dans les touwships le soir. Pour encourager l’économie informelle, l’achat de petits véhicules a été aidé de façon à ce que de petites entreprises puissent faire ce travail. Cela c’est très bien passé au départ, puis chacun a voulu acheter le véhicule de son voi- sin, de telle sorte que de puissants groupes ont fini par se constituer et de véritables guerres de taxis se sont produites. Ces guerres ont été très meurtrières, et l’économie informelle a été le terreau d’une activité criminelle extrêmement sérieuse qui a donné lieu à la constitution de mafias parallèles. Aujourd’hui, contrôler les économies informelles et éviter leur glissement vers la criminalisation est un point capital.

En effet, les mouvements politiques armés dans les pays du tiers monde aujourd’hui ont, pour une très grande part, perdu leurs soutiens extérieurs du fait de la fin de 13 guerre froide. Ils se sont eux-mêmes souvent reconvertis dans des activités économiques criminelles. Par exemple, les Khmers rouges, au Cambodge, se sont lancés dans une série d’activités d’expor- tations de pierres précieuses, de bois, d’anti- quités, etc. Ces mouvements armés eux-mêmes alimentent cette économie informelle. Donc, l’économique peut aussi nourrir des mouve- ments qui déstabilisent en profondeur les États. Il faut, certes, encourager l’économie dans son secteur informel, mais il faut qu’un arbitre puisse faire 13 séparation entre l’informel et le criminel. Cet arbitre, il n’y en a qu’un à ma connaissance, c’est l’État.

On a beaucoup dénoncé le G< trop d’État ‘3, l’État excessif. Mais il faut aussi alerter sur le ‘< pas assez d’État )a, car c’est un indicateur de crise à venir. Il existe des pays dans lesquels l’infrastructure étatique minimum n’existe plus. Je citerai, sans le nommer, un pays d’Afrique dans lequel les pompiers se déplacent en taxi et font payer 13 course à celui qui les a appe- lés. Comment voulez-vous que, dans une telle situation d’appauvrissement, l’État soit en mesure d’assurer les fonctions minimales qui lui permettent d’arbitrer la vie et de produire les conditions optimales de sécurité ?

Autre exemple des fonctions importantes de l’État : le contrôle des frontières. Bien sûr, il y a des excès : les frontières ont été parfois trop contrôlées, des mouvements de populations

nomades brutalement interrompus, des ethnies divisées ; mais qui nous parle des frontières qui ne sont pas contrôlées du tout ?J’ai le souvenir du Mozambique : sur cette côte immense, on m’avait montré les gardes-côtes pourvus de vieilles barques rouillées qui demandaient à être équipés de moyens plus modernes. Sans gardes-côtes, le territoire mozambicain est per- méable à tout le monde, à tous les trafics qui partent vers 13 profondeur du continent. On sait qu’un grand nombre des trafics d’armes à destination de l’Afrique du Sud passent par cette côte. En outre, n’importe qui peut venir pêcher, et les eaux territoriales ne sont donc plus exploitées par le pays. Par conséquent, cette pauvreté de l’appareil d’État, cette insuffi- sance sont absolument préjudiciables à sa sécu- rité, à sa stabilité et à son développement.

Dernier point toujours à propos de l’État : les crises récentes telles que celles survenues au Libéria, en Somalie, etc. nous ont enseigné que l’on ne reconstruit pas l’État de l’extérieur. Quand une structure s’est effondrée, il est extrê- mement difficile de la reconstruire de là. Les opérations de maintien de la paix qui ont été tentées se sont toutes arrêtées à ce stade, c’est- à-dire au moment d’une véritable reconstruc- tion lorsque le pays a complètement explosé.

Le même type de remarque pourrait être adressé à ceux qui affirment que les dépenses de sécurité ne sont pas des dépenses de déve- loppement. Je pense qu’elles le sont. Il y a un minimum à assurer pour que le développement soit possible. Il y a un minimum et, évidem- ment, il y a un optimum. Il ne faut pas tout consacrer aux dépenses de sécurité, mais il convient que l’État soit maintenu en état de fonctionnement, et il ne faut pas attendre qu’il se soit effondré pour voler à son secours. On a vu cela notamment en Somalie : quand l’État commençait à aller mal, il était harcelé par les institutions internationales. et lorsqu’il allait très mal, on lui envoyait l’armée américaine pour le reconstituer, sans succès d’ailleurs.

Cela ne justifie pas tout. Bien entendu, ce propos n’est pas une apologie des États forts, autoritaires ou totalitaires, qui ne sont d’ailleurs pas des États puissants. D~OS remarques sont évidemment tout à fait compatibles avec le souci démocratique. Mais, là encore, démocra- tie ne signifie pas démocratie sans sécurité et sans stabilité. Je crois que le meilleur service que l’on puisse rendre à un pays qui se lance dans un processus démocratique, c’est, au contraire, de redoubler d’efforts pour lui per- mettre d’assurer sa stabilité.

On a beaucoup dénoncé

le cc trop d’État JJ, 1 ‘État excess$

Mais il faut aussi alerter sur

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car c’est un indicateur

de crise à venir.

Démocratie ne si@jïe pas

démocratie sans sécurité et

sans stabilité.

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Page 51: Des insécurités partielles à la

En conclusion : on peut, bien sûr, faire seulement du commerce avec des pays sans s’intéresser à leur stabilité intérieure. On le peut toujours, même dans des pays qui sont complètement G< casses ~2, Par exemple, au Mozambique, pendant la guerre civile, l’entre- prise Lonrho continuait de faire des affaires en ayant recours à une garde privée autour des sites qu’elle exploitait. Cela ne s’appelle pas du

développement, mais des comptoirs, des lieux où l’on vient faire du troc ou du business. Pour faire du développement, c’est-à-dire pour s’in- téresser véritablement non pas seulement à un échange avec les pays mais à quelque chose de plus profond, qui touche la population et per- mette l’accès à une paix durable, il faut faire autre chose : il faut d’abord faire des efforts en faveur de leur stabilité et de leur sécurité.

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PACIFICA7’IQ EN AF

par Oscar Monteiro, ancien Ministre du Mozambique,

consultant international

Je vous invite à faire Un retour au début des années GO, où dominait en Afrique australe 13 colonisation blanche, soit portugaise, soit rho- désienne, soit sud-africaine.

Il 3 fallu attendre dix ans, à partir de l’indé- pendance de la Zambie en 1964, pour que, après des luttes de libération, l’indépendance du Mozambique et de l’Angola soit proclamée ainsi que celle des autres colonies portugaises. Il a fallu attendre encore six années pour que le Zimbabwe devienne indépendant (1980), puis dix de plus pour que la Namibie soit indé- pendante et, enfin, trois à quatre ans encore pour que la situation change en Afrique du Sud.

Cette période s’est caractérisée par une ter- rible confrontation et des destructions considé- rables, surtout au cours des dix dernières années. Je vous rappelle les thèses militaires des tenants de l’apartheid sur la stratégie totale contre l’attaque totale. Ils pensaient qu’il y avait une grande invasion soutenue par le terrorisme international ou, en tout cas, par les pays com- munistes, destinée à anéantir le pouvoir blanc en Afrique australe.

La réalité est que la confrontation s’est fina- lement achevée, mais qu’elle a laissé des séquelles particulièrement durables et des souf- frances énormes. Plusieurs pays, tels que l’Angola et le Mozambique, ont été détruits. Le Mozambique a régressé jusqu’à devenir le pays le plus arriéré du monde, et, dans la guerre qu’il a connue, toutes les méthodes ont été uti- lisées. Pendant cette période, les conflits internes ont été exacerbés et, même si on peut affirmer qu’il y avait des sources sociétales, des problèmes internes dans chacun de ces pays, c’est surtout 13 présence de forces extérieures qui leur a donné une telle dimension et entraîné un intense processus de destruction.

L’Afrique du Sud et le contexte de 13 guerre froide ont joué un rôle non négligeable, en provoquant un durcissement des positions.

Par ailleurs, les perspectives et les possibili- tés d’évolution pacifique ont été entravées par la guerre elle-même ; il y 3 eu, dans les pays nouvellement indépendants, un renforcement de l’autorité qui a facilement conduit à l’autori- tarisme. De même en Afrique du Sud où le régime, qui était fondé sur le racisme, est devenu ultra-militariste ; les positions se sont durcies de part et d’autre et le pays s’est trouvé au bord d‘un conflit qui aurait pu dépasser les frontières. Heureusement, l’ère de la guerre froide s’achevait, ce qui a permis d’entrevoir une solution à cette situation. Mais il est vrai que cette période s’est caractérisée par un ren- forcement du militarisme dans l‘ensemble de la région. Pour ce cas particulier, je dirai qUe 13 guerre engendre 13 guerre ainsi que des atti- tudes d’intolérance, aussi bien sur le plan externe, à l’égard des pays voisins. que sur le plan interne. Finalement, c’est l’évolution géné- rale dans le monde et la lassitude due à la guerre qui ont conduit, d’une part, à la signa- ture des accords de paix et, d’autre part, à la transformation interne en Afrique du Sud.

Le dénominateur commun adopté alors a été le système du multipartisme. Il 1'3 peut-être été pour des raisons circonstancielles, mais, dans les cas du Mozambique et de l’Afrique du Sud, il a bien fonctionné. En effet, dans ces deux pays, les régimes sont malgré tout relati- vement stables ou, tout du moins, la transition a été possible. Pour l’Angola, en revanche, cela n’a pas été le cas.

Il faUt dire aussi que cette période de trans- formation interne, qui est 13 première phase, a été facilitée, dans le cas de l’Angola et du Mozambique, par des interventions externes,

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Est-ce qu ‘on ne doit s’occuper que du maintien de la paix ou de la prévention ? L’après-conflit est touj’ours porteur de grandes instabilités politiques dues au fait, d’une part, que le pouvoir sort affaibli d’un conjlit et que, d’autre part, les forces criminelles traditionnelles, pro3tant de cette faiblesse, s’épanouissent immédiatement dans un contexte de retour à la paix.

notamment des Nations Unies, qui se sont limi- tées à l’aspect du peace-keeping : des opéra- tions de maintien de la paix. A plusieurs reprises, car j’ai collaboré au travail des Nations Unies, nous avons essayé d’aller au-delà de ces opérations de maintien de la paix.

Est-ce qu’on ne doit s’occuper que du main- tien de la paix ou de la prévention ? L’après- conflit est toujours porteur de grandes instabili- tés politiques dues au fait, d’une part, que le pouvoir sort affaibli d’un conflit et que, d’autre part, les forces criminelles traditionnelles, pro- fitant de cette faiblesse, s’épanouissent immé- diatement dans un contexte de retour à la paix. D’une certaine façon, il est paradoxal qu’une situation de guerre constitue un facteur de répression de ces formes de criminalité. C’est pourtant une réalité ; j’en veux pour preuve la situation de l’Afrique du Sud et du Mozambique par rapport à celle de l’Angola : bien qu’en Angola, qui a connu une guerre extrêmement longue, dévastatrice et épuisante pour l’administration - en ce qui concerne les capacités de l’État formel -, l’affaiblissement de l’État soit plus avancé qu’au Mozambique et qu’en Afrique du Sud, la criminalité est moindre. Les opérations de maintien de la paix, malgré les sommes souvent considérables qui leur sont consacrées (au Mozambique, près d’un milliard de dollars américains), ne laissent toutefois pas préjuger de l’avenir et un pays, peu après la fin d’un conflit, risque de faire à nouveau face à une situation de crise grave.

Dans la période de transition, qui est la deuxième phase, les pays subissent encore des séquelles de la guerre telles que la réintégration des démobilisés, de centaines de milliers d’an- ciens soldats, qui parfois avaient été bien enca- drés et parfois l’avaient été par des organisa- tions militaires incapables, du fait du type de guerre, de leur inculquer des principes de dis- cipline et d’organisation (dans certains cas, ces forces servaient à des opérations de pillage). Les laisser livrés à eux-mêmes comporte un danger réel, qui est toujours présent actuelle- ment. Les situations sont cependant différentes selon les pays : l’Afrique du Sud a réussi, car elle a une capacité de réintégration des anciens soldats supérieure à celle du Mozambique, par exemple. Comme conséquence de la guerre se pose également le problème des réfugiés : environ quatre millions de personnes sont des réfugiés ou ont été déplacées à l’intérieur du pays. L’économie et surtout le tissu social ont été détruits. On a parlé de l’insécurité dans les zones rurales et urbaines : s’il est vrai qu’elle

est traditionnellement plus grande dans les premières, elle peut être très forte également dans les secondes si le tissu social y est développé.

Si nous voulons parler de la transition sud- africaine, en particulier, l’Afrique du Sud conti- nue de représenter le facteur dominant de la situation de guerre et de la situation de paix tout comme, dans le passé, elle n’était pas le seul facteur, mais a contribué largement à l’extension de la guerre. Maintenant que les armes se sont tues, apparaissent, à un niveau supérieur, des conflits d’une autre nature qui étaient déjà présents et qui, dans certains cas, se sont développés, comme le conflit dans la province du Natal. De jour en jour, on a des révélations sur le rôle joué par le régime pré- cédent dans ce type de conflit. A l’heure actuelle, cela est devenu un problème réel, avec une capacité de déstabilisation de toute la région. C’est probablement le conflit le plus dangereux, de par ses capacités à s’étendre ou à affecter la région. Mais ce n’est pas le seul, parce que ce type de conflit et l’extension de l’insécurité peuvent également conduire, par réflexe, à une réaction d’une partie de la com- munauté blanche qui, bien qu’acceptant de jouer le jeu, émet encore quelques réserves. Si la situation d’insécurité se développe, peut-être à partir de la situation du Kwazulu au Natal, les forces en présence, comme à la veille de l’in- dépendance, pourraient resurgir et devenir un facteur d’instabilité.

Mais les problèmes ne se situent pas seule- ment à ce niveau : la transition sud-africaine a été, tout le monde le dit, miraculeuse, et, ce matin, le Directeur général de 1’UNESCO faisait référence à la sagesse de cette personnalité remarquable qu’est Nelson Mandela. Mais il s’agit sans doute d’une transition complexe. Les écarts sociaux demeurent très grands, les inter- prétations que font les différents secteurs de l’opinion, certaines couches sociales, de la tran- sition sont différentes, les attentes sont égale- ment différentes. Il y a toujours des secteurs considérables de la population démunie qui espèrent des changements plus rapides, chan- gements qu’il semble difficile de réaliser ; c’est là un facteur d’insécurité interne, un radica- lisme potentiel qui peut remettre en cause le processus de transition en Afrique du Sud, avec toutes les répercussions que cela pourrait avoir dans la région.

Cela signifie qu’une fois les principaux pro- blèmes surmontés, d’autres, d’ordre ethnique ou social, demeurent présents, auxquels il faut

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ajouter le développement du sida et de la cri- minalité. La période de transition que connais- sent le Mozambique et l’Afrique du Sud favo- rise leur utilisation en tant que pays de transit pour la drogue. Récemment, une seule cargai- son de drogue représentait davantage que les exportations annuelles du Mozambique. Cela donne une idée de l’ampleur des enjeux éco- nomiques, de la faiblesse des États et de la manière dont ils doivent s’armer pour résister à un tel phénomène. En Afrique du Sud, le trafic de voitures volées, surtout les voitures de luxe et les 4 x 4, est le plus élevé du monde. Il y existe un réseau international qui achète et revend des voitures et s’étend à l’ensemble de l’Afrique australe. Le pouvoir de ces nouveaux réseaux criminels, soit internes, soit externes, dépasse de loin les capacités de certains États.

La recherche d’un nouveau modèle de sécu- rité s’impose à tous, et elle est fondée sur la reconnaissance du fait que la prospérité ne peut être atteinte facilement et à court terme.

De quels obstacles s’agit-il ? Tout d’abord, de la non-complémentarité des économies : l’Afrique australe est une région où tous les pays fabriquent et exportent des produits simi- laires. L’expansion, le développement des éco- nomies d’échelle pour un pays se fait toujours aux dépens de l’autre.

Ensuite, l’Afrique du Sud joue, certes, un rôle déterminant dans la région, mais cela entraîne une distribution inégale du pouvoir économique et du pouvoir militaire. Pour des solutions à court terme, l’existence d’une puis- sance régionale siir laquelle nous pouvotis nous appuyer est un élément positif, mais ce n’est pas viable à long terme car cette situation engendre des réactions de rejet des pays voisins.

Enfin, un autre facteur, qui peut être un appui, un atout, mais également un facteur défavorable, est le travail migratoire dans toute la région. Pendant des années, la main-d’oeuvre des pays voisins a émigré en Afrique du Sud. Aujourd’hui, ce pays a besoin d’employer ses propres travailleurs et met systématiquement

des obstacles à l’embauche des travailleurs des pays voisins.

Une politique de stabilité dans ce contexte difficile suppose qu’on ne passe pas tout de suite au niveau supranational : certains pro- blèmes doivent être résolus au niveau national. Tout d’abord, il faut stabiliser les États natio- naux pour qu’ils soient capables de garantir la sécurité de tous les citoyens, de reconnaître, plus que par le passé, les diversités et d’éviter que les phénomènes régionaux, ethniques ou autres phénomènes de diversité puissent jouer contre la stabilité. Cela passe par un élargisse- ment de la philosophie pluraliste de l’État.

Il faut développer également d’autres sec- teurs, plus qu’on ne l’a fait par le passé, dans la société. Bâtir sur ce qui existe, et cela aussi pour la paix. Il existe une organisation régionale, la South African Development Community, qui, à partir des projets individuels qu’elle mettait auparavant en ceuvre, essaie maintenant de formuler une stratégie générale. On dit souvent que cette organisation devrait peut-être disposer de mécanismes plus effi- caces pour garantir la sécurité. Je pense, au contraire, qu‘il faut continuer à avancer lente- ment, car ce n’est pas le fait de créer une orga- nisation formelle qui permettra de résoudre des problèmes aussi complexes, qui passent par le renforcement des capacités nationales et que, à l’inverse, on risque ainsi de renforcer une hégé- monie sud-africaine qui serait un nouveau pôle de conflit en Afrique australe. D’ailleurs, à l’oc- casion des dernières réunions économiques, tous les pays s’élevaient déjà contre l’Afrique du Sud en raison de son rôle dominant, de sa puissance et de ses pratiques économiques. Situation qui ne facilitera pas les transitions.

Il ne faut pas laisser les institutions for- melles s’occuper seules du problème : il faut que ceux qui étudient le problème, que les forces de la société s’imposent et instaurent une culture de la paix. Après presque un siècle de conflit en Afrique australe, nous avons le droit, l’espoir et le devoir de parvenir à une culture de la paix.

Une politique de stabilité

dans ce contexte d&$cile suppose

qu ‘on ne passe pas tout de suite

au niveau supranational :

certains problèmes

doivent être résolus

au niveau national..

Cela passe par un

élargissement de la philosophie

pluraliste de l’État.

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LES LEÇONS DE LA GUERRE DES B

par Anna-Maria Corrazza, attachée auprès de 1 ‘envoyé spécial

de la Commission des Communautés européennes à Sarajevo

Face à de telles personnalités de la culture, je n’ose m’engager dans une analyse anthropolo- gique des éléments culturels et sociaux de l’in- sécurité ; je préférerais avoir une approche de terrain et, ainsi, partager avec vous un peu de ce que nous avons vécu en ex-Yougoslavie ces quatre dernières années.

Il est temps, à mon avis, de se pencher sur l’analyse des aspects socioculturels des conflits. En effet, que ce soit dans le processus déci- sionnel ou dans la détermination des poli- tiques, peut-être sous l’influence des médias ou en raison de la rapidité des événements, ces aspects, pourtant fondamentaux, n’ont pas véri- tablement été pris en compte. Si l’on veut vrai- ment arracher du flanc de l’Europe cette épine que constitue le conflit en ex-Yougoslavie, atta- quons-nous à ses causes sociales et culturelles !

Je me contenterai d’identifier quelques-uns des aspects que nous avons constatés, d’expo- ser notre façon de les envisager à la fois dans le présent et dans le futur.

Le premier d’entre eux, très frappant, est que toutes les parties en conflit sont complète- ment centrées sur le passé. Pour elles, la seconde guerre mondiale, c’était hier. Cela dénote une incapacité absolue à avoir une vision du futur. Dans l’histoire de ce peuple, tout le monde se sent victime et rêve de ven- geance. Il en découle un manichéisme absolu et définitif qui suscite des raisonnements tels que ~1 moi je suis bien, toi tu es mauvais, moi j’ai raison, toi tu as tort, moi je te traitais comme mon frère et toi tu m’as trahi, donc j’ai le droit de me venger », attitudes tout à fait fatalistes et qui concernent toutes les parties en conflit.

Il est également très impressionnant de constater qu’il existe ce que l’on pourrait appe- ler « la culture de la Kalachnikov >). La popula- tion de l’ex-Yougoslavie semble avoir une

confiance très limitée dans le système juridique, judiciaire ou légal, pour ce qui est d’assurer sa sécurité, et elle croit encore moins au rôle que pourrait jouer la communauté internationale dans ce domaine. Elle pense que c’est la Kalachnikov cachée dans la cave de la maison ou le tank sur la place du village qui y par- viendra. Ce concept de sécurité collective - en effet, même les enfants ont l’habitude de se servir d’armes - a énormément influencé le processus de démilitarisation : la population elle-même, indépendamment de la pression exercée par le pouvoir, s’est opposée au retrait des armements lourds car elle avait vraiment peur.

En fait, la peur est plus forte que la haine. C’est une peur du génocide, une peur enra- cinée dans les siècles, une anxiété qui a été alimentée non seulement par l’histoire mais aussi par la crise d’identité qu’a provoquée la fragmentation de la Yougoslavie. Elle touche tout le monde. A l’heure actuelle, nous sommes confrontés à une société collective- ment traumatisée, et il est difficile de mesurer la portée de ce traumatisme et des consé- quences qu’il peut exercer sur l’établissement d’un processus de paix durable, sans parler de démocratisation, de développement de la société civile, de modération idéologique, etc. Je ne cite ici que quelques éléments, qui méri- teraient une réflexion beaucoup plus appro- fondie si nous voulions déterminer des poli- tiques efficaces.

Le deuxième aspect qu’il convient d’aborder concerne l’approche de la question des fron- tières. Pourquoi, pour la Krejina ou la Répu- blique serbe, était-il tellement important d’éta- blir cette frontière avec ses voisins ? Parce qu’elle était véritablement perçue comme un bouclier, comme une ligne de défense, comme

. ..toutes les parties

en con7it sont complètement

centrées sur le passé.

Pour elles, la seconde

guerre mondiale, c ‘était hier.

Cela dénote une incapacité

absolue à avoir une vision

du futur.

En fait, la peur est

plus forte que la haine.

C’est unepeur du génocide,

une peur enracinée

dans les siècles, une anxiété

qui a été alimentée non

seulement par 1 ‘histoire

mais aussi par la crise

d’identité qu’a provoquée

la fragmentation de la

Yougoslavie.

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il est absolument irréaliste de séparer une opération de maintien de la paix, pendant la guerre, d ‘une opération deplanajîcation de la reconstruction et du développement économiques d’après-guerre.

la seule façon d’assurer sa sécurité. Alors que nous, Européens, raisonnons en termes de pro- tection de notre identité culturelle -ou, du moins, devrions-nous le faire -, ces peuples, dans le cadre de l’intégration, considèrent que la seule façon de préserver leur identité est d’établir des frontières nationales, physiques, protégées par des armements. Ces frontières ont créé un isolement aggravé par l’effet des sanctions et dont les conséquences psycholo- giques sont évidentes, notamment dans les cas de la Slovénie orientale et de la République serbe. Pour être plus efficaces, nous devrions chercher à le briser et à comprendre les reten- tissements qu’il a eus sur la population.

Le troisième aspect qui se manifeste main- tenant est celui d’une société dont les institu- tions ont disparu. Après cinq années de guerre, seules restent l’armée et la police, ainsi que ce noyau de commandement national qui n’a pas changé depuis les accords de Dayton, toutes entités confondues s’entend. Le pro- blème actuel est le suivant : comment assurer un processus de paix durable dans une situation où il n’y a pas d’interlocuteurs valables ni d’institutions civiles, où il ne reste que quelques intellectuels et quelques profes- sionnels ? En outre, les instruments que la communauté internationale a mis à la disposi- tion du processus de paix n’ont pas été en mesure de promouvoir un vrai développement de la société civile, ce qui, à mon avis, est une nécessité première. Le commandement conti- nue à promouvoir la logique de la partition et à contrôler les médias, l’armée et la police, sources d’intimidation plutôt que de protec- tion ; cela est vrai surtout de la police. La population est donc privée de parole et donne clairement des signes de lassitude vis-à-vis de la guerre. Elle souhaite un retour à la norma- lité et, si elle pouvait s’exprimer et jouer un rôle, elle pourrait probablement être le mael- strom du processus de paix. Il s’agit mainte- nant, pour la communauté internationale, de briser le cercle infernal de l’anéantissement du patrimoine culturel, de la destruction des habi- tations et de lutter contre un nationalisme exa- cerbé. Il est trop facile d’affirmer que ces actes relèvent de la sauvagerie féodale. Ils ont une base beaucoup plus profonde. Le défi auquel nous sommes confrontés consiste donc à coopérer également avec la société civile, et pas seulement avec le gouvernement ou les autorités légitimées par elles-mêmes.

Loin de moi toute idée de tenir des propos subversifs. Dans une situation aussi délicate, il

est essentiel de poursuivre le dialogue avec les décideurs ; j’insiste sur ce point car nous avons affaire à des sociétés complètement centralisées et nous ne pourrons pas obtenir de résultats si nous ne nous adressons qu’à la société civile. Il est de notre devoir, et c’est un point qui mérite réflexion, de savoir comment aborder les forces vitales de la société civile, c’est-à-dire les intel- lectuels, les professionnels, les organisations non gouvernementales, les syndicats, les asso- ciations de citoyens, si nous voulons quelque peu systématiser une approche décentralisée. Je crois que c’est la seule façon de rétablir la confiance et la crédibilité de l’action de la com- munauté internationale.

Le quatrième aspect d’importance qu’il nous faut évoquer est celui des médias. On peut tirer une grande leçon de l’action de la FORPRONU dans ce domaine même si, malheureusement, elle a eu lieu trop tardivement. Je suis tout à fait favorable à l’établissement d’un réseau de télé- vision et de radio géré indépendamment des autorités nationales dans les zones de guerre, et ce, tout de suite après la guerre. Je crois que l’impact de la rhétorique de guerre sur les médias locaux a été sous-estimé : tous les efforts pour rétablir la confiance ont été systé- matiquement remis en cause par la propagande quotidienne, que personne ne pouvait contre- carrer faute de moyens indépendants. Là encore, sans vouloir paraître subversive, je pense qu’il faut envisager d’importantes mesures économiques et une stratégie concertée.

J’aborderai maintenant un élément essen- tiel, qu’il faut développer, l’instrument écono- mique au service de la consolidation de la paix. Nos collègues, ce matin, ont parlé de l’approche du peace-building, à laquelle je m’associe complètement. Je crois que l’on a appris, en ex-Yougoslavie, qu’il était absolu- ment irréaliste de séparer une opération de maintien de la paix, pendant la guerre, d’une opération de planification de la reconstruction et du développement économiques d’après- guerre. Il faut absolument être prêt, dès le jour de la signature d’un accord de cessez-le-feu, à mettre en oeuvre un plan de réhabilitation qui s’attaque aux problèmes fondamentaux de l’emploi des soldats démobilisés et de la réin- tégration des réfugiés. Je crois que le fait que le programme Employed Generation and Reintegration of Refugees ne puisse être appli- qué par manque de moyens en Bosnie est un facteur fondamental de l’érosion du processus de confiance. Il est évident qu’un soldat ne va

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Page 57: Des insécurités partielles à la

pas retourner chez lui - mes collègues, géné- raux et militaires, beaucoup plus compétents que moi, pourront me contredire - s’il n’est pas assuré de pouvoir subvenir aux besoins de sa famille. Cela semble évident mais, malheu- reusement, personne n’a encore apporté les instruments institutionnels pour s’attaquer à ce problème. Je souhaite qu’en nous appuyant sur l’expérience de l’opération de rétablisse- ment des services essentiels à Sarajevo et de l’utilisation de l’humanitaire pour la réhabilita- tion, expérimentée en Bosnie, nous puissions créer des instruments plus institutionnels, afin de gérer la période pendant laquelle un ces- sez-le-feu est respecté même si un plan de paix n’a pas encore été signé. En effet, il faut un minimum de stabilité pour relancer le pro- cessus de confiance.

En outre, il est essentiel que l’instrument économique soit étroitement lié à la politique. Le discours du « bâton et de la carotte ‘1 ne doit pas s’appliquer à la réforme politique, comme en Afrique, mais faire en sorte que l’aide éco- nomique dépende directement de l’application du processus de paix. Par exemple, si une municipalité de Sarajevo réintégrait aujourd’hui quelques Serbes dans son conseil municipal, des ressources économiques pourraient lui être attribuées, plutôt qu’à celles qui maintiennent des conseils entièrement musulmans. Cela s’applique à la Fédération en ce qui concerne le respect des accords de paix. C’est plus diffi- cile à réaliser au niveau micro-économique, c’est-à-dire au niveau des municipalités, mais il est primordial que la communauté interna- tionale et les donateurs aient une approche cohérente sur ce sujet. L’influence économique peut fonctionner si elle s’accompagne d’une pression politique cohérente.

L’aspect temporel est essentiel dans la réso- lution des conflits. La situation de l’ex- Yougoslavie - cela semblera peut-être un commentaire très cynique - a été un incroyable laboratoire pour tester tous les ins- truments qui n’avaient pu être mis en place avant la guerre, faute de temps. Cette expé- rience a permis d’apprendre « sur le tas », c’est- à-dire de réagir, de fournir une réponse aux crises qui émergeaient et se développaient sous nos yeux. Ce que l’on pourrait souhaiter, pour la continuation du processus de paix en ex- Yougoslavie ou en cas de nouvelles crises ailleurs, est que les instruments pour y faire face soient prêts, rodés, et que le consensus politique soit déjà établi.

En d’autres termes, il faudrait que nous ayons par exemple, aujourd’hui, la possibilité de nous engager et de planifier des redresse- ments économiques opérationnels, ce qui ne peut être le cas pour des raisons évidentes.

En matière de conséquences organisation- nelles, tous les bénéfices de la coopération civilo-militaire qu’il faudra systématiser ont déjà été passés en revue. Des mécanismes comme le Political Military Analysis Group, les Human Rights Action Teams, qui ont demandé trois indispensables années de réflexion, devraient devenir à présent des outils utilisés systémati- quement dans toutes les missions de maintien de la paix. La formation est essentielle à ce sujet, qu’elle soit militaire ou civilo-militaire, pour permettre aux militaires de travailler avec les civils, pour inculquer, aux civils comme aux militaires, toutes les notions concernant les aspects culturels et sociaux des conflits. En effet, elle entraînerait une plus grande effica- cité, moins de gaspillage des ressources et de meilleurs résultats à long terme.

La formation est essentielle

à ce sujet, qu’elle soit militaire ou civilo-militaire, pour permettre aux militaires

de travailler avec les civils,

pour inculquer, aux civils

comme aux militaires, toutes

les notions concernant les

aspects culturels et sociaux

des conflits.

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INITIATIVES DES NATIONS UNIES ET DE L’UNESCO EN AFRIQUE

par Henti Lopes, Directeur général adjoint pour 1 ;Ifrique, UNESCO

Je voudrais vous rappeler tout d’abord comment notre Organisation et les Nations Unies se situent par rapport à la problkmatique de la paix.

Le préambule de l’Acte constitutif de 1’UNESCO débute par : « Les gouvernements des États parties à la prksente Convention dkclarent que, les guerres prenant naissance dans l’esprit des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être elevées les dkfenses de la paix ; que l‘incompréhension mutuelle des peuples a toujours éttt, au cours de l’his- toire, à l’origine de la suspicion et de la méfiance entre nations, par 06 leurs désaccords ont trop souvent dkgénérk en guerre. >a

C’est dire que le but premier de I’Orga- nisation, tel que fixé par les pères fondateurs au lendemain de la guerre, Gtait le maintien de la paix et de la sécurité. Ensuite, et ensuite seu- lement, figurent les moyens d’y parvenir (<en resserrant par l’Éducation, la science et la culture la collaboration entre les nations... 2). Le message est donc clair : KJNESCO n‘a pas ktk créée pour construire des écoles, pour bâtir des laboratoires, mais pour utiliser les kcoles exis- tantes, les maîtres, tout le personnel ensei- gnant, afin d’tdifier la paix dans l’esprit des hommes.

Le problème auquel l’actualité nous confronte, c’est que les Nations Ilnies, kgale- ment instituées au lendemain de la guerre, pré- voient dans leur Charte différents mkcanismes pour empêcher les guerres entre les nations, mais aucun mécanisme concernant les guerres intraktatiques. Lorsque nous regardons la carte de l’Afrique, il est facile de voir au premier coup d’œil que ce continent est en proie & de nombreux conflits, dont la très grande majorité se déroulent à l’intérieur même des pays.

Je n’entrerai pas dans le dktail des causes de ces guerres intestines, j’en mentionnerai

seulement certaines. Ces causes peuvent être regroupkes sous une expression communé- ment employiie : la course au pouvoir. Course au pouvoir parce que, pendant la pkriode de luttes de libération, les mouvements restent divisés. Dans ce cas, lors de ces luttes de lib& ration. les mouvements s’affrontent et, une fois l‘indkpendance acquise, si l’une des parties se sent éloignke du pouvoir, elle conteste la légi- timitk de l’autoritt centrale et entre en dissi- dence. Tels furent les cas de l’Angola et du Mozambique.

Deuxième exemple de course au pouvoir : c’est, à mon avis, la situation cr&k par l’appa- rition du multipartisme. Dans de nombreux pays, celui-ci s’est appuyé sur les differences régionales ou ethniques. Des partis sont appa- rus sans programme particulier, sinon celui de rassembler autour d’eux des gens appartenant à la même région ou à la même tribu. L’affron- tement devient inéluctable et plus évident quand ces groupes ne sont que deux, comme c’est le cas au Rwanda et au Burundi.

TroisiOme exemple de cette course au pou- voir : c’est la situation engendrée par des élec- tions mal préparkes. En l’occurrence, les résul- tats sont souvent contestks et 2 l’origine de troubles. En réalité, l’un des aspects d’une véri- table politique de prkvention des conflits armés devrait prendre en compte la période préélec- torale, qui constitue egalement une source non nkgligeable de contestations, afin que tous les candidats puissent avoir kgalement accès aux mkdias et se rendre dans toutes les régions en toute sécuritk.

Les conskquences de ces guerres intestines sont nombreuses. Je n’en citerai que quelques- unes. De tous les continents, l’Afrique est actuellement celui dans lequel est recensé le plus grand nombre de réfugiés. D’après les

L’un des aspects d’une véritable

politique de prévention

des conflits armés devrait prendre

en compte la période

préélectorale.

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Il est donc souhaitable de décrire exactement quelles sont les responsabilités des armées, dans quelles limites et quelle mesure, elles peuvent être aussi les garants d’un ordre républicain encore naissant et fragile.

statistiques des Nations Unies, l’Afrique compte huit millions de réfugiés et dix-huit millions de personnes déplacées à l’intérieur de leurs frontières.

Une autre conséquence de ces guerres intestines est qu’elles entraînent la fragmenta- tion des armées nationales. Les différentes divi- sions existant entre les hommes politiques se répercutent sur ces armées, et cette situation se complique encore lorsque, dans certains cas, on assiste à la création de milices.

Le développement du trafic d’armes, sur lequel je n’insisterai pas car cela a été évoqué toute à l’heure, est un autre corollaire de cette situation. La population se trouve non seule- ment dans une situation d’absence d’État mais également d’absence de recours. Dans une société dite normale, lorsque la sécurité d’un individu se trouve menacée, celui-ci fait appel à 1’~s l’homme en uniforme ‘8, le pompier, le policier ou, dans certains cas, l’armée. Or, dans les situations de désarroi telles que celles que connaît actuellement l’Afrique, le civil qui s’adresse à l’homme en uniforme ne sait pas quelle sera sa réponse ; celui-ci ne va-t-il pas en profiter pour le terroriser ou se livrer à des actes répréhensibles ? Il n’est pas besoin d’in- sister beaucoup pour dire que ces conditions empêchent tout développement.

Quelle est, dès lors, la place des armées en Afrique ? Certains officiers supérieurs, se voyant intimer l’ordre de réprimer des manifestations ou différents troubles, ont connu des drames de conscience, car ils considéraient avoir été formés pour se battre et défendre leur patrie mais se sentaient totalement inexpérimentés pour faire face à des troubles intérieurs dans lesquels les intérêts de l’État étaient mal situés. Il est donc souhaitable de décrire exactement quelles sont les responsabilités des armées, dans quelles limites et quelle mesure elles peuvent être aussi les garants d’un ordre répu- blicain encore naissant et fragile.

En ce qui concerne les armées africaines, sans répéter ce qu’a dit Jean-Christophe Rufin, il convient de trouver un équilibre entre trop d’armée et pas d’armée du tout. Il est néces- saire qu’elles prennent conscience que leur rôle en tant que gardiennes des frontières devrait diminuer, notamment dans la pers- pective d’un développement. En effet, on observe une tendance mondiale au regroupe- ment en ensembles régionaux économiques. C’est d’abord vrai des pays industrialisés, et même de ceux qui ont les plus grands marchés. L’analyse de la situation du continent améri-

cain, des États-Unis d’Amérique jusqu’à l’Amérique du Sud en passant par le Canada, le montre. C’est également vrai de l’Europe, qui s’organise. Sans doute y a-t-il des difficultés ici ou là mais, vaille que vaille, un marché euro- péen se crée. Il n’y a pas officiellement d’entité économique en Asie mais, d’une part, ce conti- nent est formé de pays au poids démo- graphique beaucoup plus important que l’Afrique et, d’autre part, il est animé d’un désir, sinon d’unité, du moins d’harmonisation entre les différents partenaires, Je ne vois pas com- ment l’Afrique réussira à se développer si elle reste dans le cadre d’États aussi petits, qui constituent intrinsèquement des marchés peu rentables.

Face à la situation de conflits internes qui existe en Afrique, je pense que les armées ont, en revanche, un rôle interafricain important à jouer en tant que force d’arbitrage. Les armées devraient constituer un recours fiable et se transformer en une sorte de police continen- tale. Il est également important qu’elles partici- pent aux interventions internationales, ne serait-ce que pour démontrer que l’Afrique est solidaire du maintien de la paix dans le monde.

En effet, il faudrait, me semble-t-il, réfléchir à cette situation de transition évoquée précé- demment entre la situation d’urgence, créée notamment par des conflits, et la situation de développement.

J’aurais voulu, en dernière partie, illustrer le rôle que joue 1’UNESCO dans le contexte qui vient d’être décrit. Le temps ne me permet que d’évoquer très rapidement quelques cas. Ainsi, celui du Mozambique, où nous préparons les différents dirigeants des communautés au res- pect des droits de l’homme et à la gouver- nance. Nous nous attelons également au pro- blème de la démobilisation des anciens combattants, qui sont complètement désorien- tés lorsque la paix arrive.

J’en viens à une autre forme d’intervention : celle que nous réalisons en Somalie et au Soudan, où il s’agit d’offrir un cadre intellectuel dans lequel des personnalités de différentes tendances puissent se rencontrer et préparer ainsi des négociations politiques, afin que d’autres organisations plus spécialisées que la nôtre, comme l’Organisation de l’unité africaine (OUA), les Nations Unies, etc., puissent pour- suivre leur action à caractère diplomatique et politique. Nous sommes en négociation avec I’OUA pour mener de concert et mettre au point des mécanismes d’alerte et de prévention des conflits. Dans les zones à risques, telles que

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le Rwanda et le Burundi, nous avons installé des bureaux permanents pour aider les autori- tés à promouvoir une véritable culture de la paix, c’est-à-dire instaurer un dialogue permet- tant de vivre ensemble. L’un des domaines, par exemple, où nous intervenons de manière concrète et visible est celui de la communica- tion car, dans ces deux pays, les radios ont été l’un des vecteurs de haine et d’exclusion, Il s’agit donc, pour nous, de mener avec ce

même vecteur une action inverse. Le Congo, qui a été la proie de guerres intestines armées, est un autre pays où nous menons une expé- rience intéressante. L’UNESCO a d’ailleurs pré- sidé un forum qui a permis aux différents pro- tagonistes de se rencontrer.

L’ensemble de ces activités sont réalisées dans le cadre du projet transdisciplinaire (1 Vers une culture de la paix >a, auquel s’est déjà référé mon collègue Leslie Atherley.

. ..la communication

car, dans ces deux pays,

les radios ont été l’un des vecteurs

de haine et d’exclusion.

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III. TROISIÈME TABLE RONDE

Les conditions de la sécurité du développement

Président : M. Ahmed Sajyad, Sous-directeur général pour les relations extérieures de I’UNESCO

Si l’insécurité s’enracine dans le maldéveloppement, qu’elle aggrave, la relation dialectique contraire entre la sécurité et le développement est la réponse à leur enchaînement calamiteux.

Il est donc fondamental, pour amorcer et accompagner le développement économique, culturel et social, de travailler, parallèlement, aux conditions de la sécurité.

Les plus immédiates sont évidemment de l’ordre de la pacification par une force publique, mais elles renvoient instantanément à un cadre légal,

au fonctionnement d’institutions démocratiques, à une assise économique, qui s’avèrent, de ce fait, constituer les vrais fondements de la sécurité et du développement

ou, pour mieux dire, de la sécurité du développement.

1.------ -

-_-- - .

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LA SÉCURITÉ DÉMOCRATIQUE

par Denis Winckler, conseiller technique du programme SIGM de I’OCDE

Le renforcement de la sécurité a toujours été l’une des priorités des relations internationales, singulièrement en temps de paix. Le jeu des alliances militaires trouve là sa justification. Mais il est apparu, notamment aux artisans des traités qui ont mis fin aux deux grands conflits mon- diaux, que les moyens les plus efficaces pour assurer la sécurité à long terme devaient égale- ment être trouvés dans la mise en place de structures politiques appropriées, et que les vecteurs privilégiés de la stabilité politique étaient la démocratie et le développement. L’histoire de l’Europe occidentale, et singulière- ment de l’Union européenne, a confirmé cette hypothèse au cours du demi-siècle qui vient de s’écouler. Dans ce contexte, les organisateurs de ce symposium ont voulu attirer notre attention et fixer un moment notre réflexion sur le sens du développement de la démocratie dans les pays de l’Est au regard de la sécurité.

La démocratie peut se définir, dans cette optique, comme un système politique permet- tant de résoudre les conflits par le jeu des mécanismes de concertation librement consen- tis Les institutions démocratiques mises en place jouent, que ce soit dans le contexte interne des pays ou dans les relations entre pays, un rôle de conciliation et de médiation. Ce rôle est non négligeable dans le renforce- ment de la sécurité.

Des organisations telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ou le Conseil de l’Europe favorisent la mise en place et le jeu des institutions démocra- tiques, Certaines d’entre elles concourent à l’amé- lioration des mécanismes de marchés. D’autres contribuent à l’affinement des mécanismes de la démocratie. Toutes permettent des échanges fruc- tueux entre les praticiens des pays membres. C’est à ce titre que j’ai été invité à vous parler.

Ma contribution au débat de ce jour se veut modeste, pragmatique et concrète. Elle exami- nera expost un aspect limité de la collaboration qui se développe depuis quelques années avec les pays de l’est de l’Europe, pour en tirer les leçons sous l’angle de la sécurité. Ce propos s’appuiera essentiellement sur les travaux réali- sés par le programme conjoint de la Commission européenne et de l’OCDE, mis en place pour favoriser la réforme de l’administration publique dans les pays d’Europe centrale et orientale.

Dans un deuxième temps, j’aurais voulu faire porter notre réflexion sur une question qui sous- tend le travail du programme SIGMA : s’il est vrai que la mise en place d’institutions démocratiques favorise le développement de la démocratie et, par delà, de la sécurité, elle n’y suffit pas. Les systèmes politiques qui ont pris la succession des régimes dans les pays de l’est européen n’évo- luent pas nécessairement dans le sens de la démocratie, du moins telle que Montesquieu ou Tocqueville en ont fixé le concept.

Il convient, dès lors, de s‘interroger sur les relations qui existent entre les institutions mises en place et le fonctionnement politique de ces États en transition, pour en tirer quelques leçons dans le domaine de la sécurité.

Vous me pardonnerez, je l’espère, de ne faire qu’effleurer ces aspects du sujet qui m’était proposé, pour suggérer des pistes de réflexion.

1. Le développement desinstitutionspubliques dans les pays de l'Est

Les pays dits d’Europe centrale et orientale réalisent, à l’heure actuelle, un important effort de réforme de leurs institutions publiques. Ils y sont conduits par leurs choix de société, mais

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ils y sont également contraints par les exi- gences de l’économie de marché dans laquelle ils se sont engagés et par le simple contexte international dans lequel sont prises les déci- sions politiques, même nationales.

Ces réformes s’articulent, pour la plupart, autour de deux axes principaux qui favorisent la mise en place d’institutions démocratiques.

1.1. La réforme du centre de décision

Quelle que soit la forme attribuée par la constitution de chacun de ces pays au « centre de décision politique 8) de son gou- vernement, celui-ci est le plus souvent confondu avec les services du premier ministre. Primus inter pares en Pologne ou en Lituanie ou véritable chef de gouverne- ment comme en Hongrie ou en République tchèque, le premier ministre est, dans les circonstances actuelles, mis dans la nécessité de collaborer avec les autres membres du gouvernement à des projets complexes, puis de négocier leur adoption avant de piloter leur mise en œuvre. Ces contraintes nou- velles imposent une transformation d’une fonction gouvernementale qui, récemment encore, se limitait à la mise en œuvre de cer- taines décisions du parti unique.

Le premier ministre est ainsi appelé à jouer un rôle de coordination entre toutes les institu- tions gouvernementales. Il devient le point de convergence et l’origine de la circulation de l’information nécessaire à l’action gouverne- mentale. Il assure, en outre, les conditions d‘exercice des fonctions des ministères hori- zontaux - et, en particulier, du ministère des finances - dans la mise en place de pro- grammes de réforme.

Ce rôle du premier ministre exige la mise en place de mécanismes de négociation et d’arbi- trage interministériels. Il requiert en outre du centre de décision qu’il mette à la disposition du gouvernement les compétences et la réflexion requises pour son travail.

Le travail de SIGMA a pour objet, dans ces conditions, d’accompagner la réflexion des gouvernements héritiers des systèmes socia- listes dans la réorganisation de leurs institutions de décision centrale. Des séminaires, réunissant des représentants du secrétariat général du gouvernement ou du service juridique du pre- mier ministre du pays considéré avec leurs homologues occidentaux, érodent progressive- ment le bastion que constituait chacun des

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ministères dans de nombreux gouvernements, pour instaurer des équipes de travail.

Un exemple parlant de réforme des services du premier ministre aboutissant, d’une part, à plus d’efficacité et de clarté et, d’autre part, à un meilleur service du pays peut être trouvé en Pologne. En se fondant sur la nécessité poli- tique vitale de soutenir l’économie du pays par une structure gouvernementale et administra- tive cohérente, efficace et la moins onéreuse possible, le Premier ministre a chargé un pléni- potentiaire responsable des activités écono- miques de l’État de réformer ses propres ser- vices, en distinguant les fonctions politiques de son cabinet des fonctions administratives du Secrétaire général du gouvernement, en créant un Ministère de la fonction publique et de l’in- térieur dont sont à présent détachés les services de renseignement, et en réorganisant non seu- lement la structure du gouvernement mais aussi les organigrammes des ministères. Une réforme du service public et une amélioration radicale de la procédure d’élaboration des lois et des règlements, dans le contexte du droit euro- péen, complètent ce programme de réformes.

Ce type de réformes, mettant en place des institutions démocratiques dans le contexte d‘un projet politique à long terme destiné à renforcer les structures de l’État, pourrait être illustré par d’autres exemples, empruntés à tous les pays d’Europe centrale et orientale. Ils tou- chent - sans doute avec plus ou moins de bonheur - la plupart des secteurs du gouver- nement.

Il peut sans doute être observé ici que, sans affecter directement les institutions centrales de la démocratie que sont le parlement et l’équilibre des pouvoirs dans la nation, de manière capil- laire et spontanée, des mécanismes de coordina- tion, de compromis politique, de solution des conflits et donc de paix sont mis en place avec des outils de bonne gestion gouvernementale.

1.2. Le contrôle des activités de l’État

Il convient également de relever que les réformes administratives en cours sont complé- tées par des dispositions qui renforcent la transparence de l’État, mettent en place des voies de recours aux décisions administratives et instituent des systèmes de contrôle, des dépenses publiques notamment. L’éthique de la gestion publique et la lutte contre la corruption renforcent la confiance des citoyens dans leur administration publique. La nouvelle

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relation entre l’État et le citoyen est, ici encore, source de stabilité sociale et, donc, de sécurité.

Nombre de pays d’Europe centrale ont été conduits, ces derniers temps, à élaborer des « stratégies de réforme » de leur administration publique. Cela leur a permis d’exprimer claire- ment les principes politiques fondant les réformes qu’ils ont engagées.

S’il n‘est pas possible d’établir un tableau comparatif des mesures prises dans les pays d’Europe centrale et orientale pour assurer le contrôle des activités de l’État, en raison des lacunes encore très fréquentes dans les sys- tèmes mis en place dans chaque pays, il peut être constaté que la volonté de mettre en place des systèmes de <c contrôle et d’équilibre », tant au niveau central de l’État qu’au niveau local, est généralisée. Quelques exemples peuvent illustrer ce double constat.

La Lituanie dispose, depuis 1994, d’un Ministère de la réforme de l’administration publique et des collectivités locales. Ce Ministère a préparé et présenté - notamment en Pologne, dans un contexte intéressant de coopération internationale - une synthèse des choix autour desquels s’articule la politique de réforme de ce pays. La volonté de mettre en place des moyens de contrôle, d’arbitrage et d’expression de la volonté des citoyens est manifeste.

Une conférence organisée à Turin, en colla- boration avec le Bureau international du travail (BIT), proposera à l’ensemble des pays d’Europe centrale et orientale un manuel sur les règles de gestion des marchés publics, réa- lisé en collaboration étroite avec des pays comme la Pologne ou la Slovénie, qui dispo- sent déjà d’une législation d’excellent niveau dans ce domaine. L’un des résultats attendus de cette conférence est la mise en place de cycles de formation dans les pays qui enverront des délégations. L’adoption de législations sur la passation de marchés publics puis la mise en place d’institutions chargées de leur mise en ceuvre constitueront une étape importante dans la lutte contre la corruption.

Dans un contexte plus polémique, il est très intéressant de remarquer qu’en Hongrie, où les médias nous font savoir que le Gouvernement dispose de moyens plus importants qu’ailleurs pour mettre le public sur tables d’écoute, il est de notoriété publique que le pouvoir judiciaire a les moyens de défendre les libertés publiques et qu’il en use avec courage et indépendance.

Ces deux exemples ne sont qu’à moitié rassurants. Ils rappellent également que la

démocratie n’est pas acquiseCpour autant que les institutions publiques l’organisent et la défendent.

2. Le processus de mise en place de la démocratie n’est cependant pas linéaire. Il s’inscrit dans un contexte historique complexe et des conditions de réceptivité très marquées par le post-communisme

Si la mise en place d’institutions performantes joue un rôle important dans la gestion paci- fique des conflits, elle ne va pas nécessaire- ment de pair avec le développement de la démocratie.

2.1. La permanence des ressources humaines est un facteur d’immobilisme

La mise en place des institutions démocratiques dans les pays d’Europe de l’Est n’a que très marginalement affecté les responsables de la gestion de l’économie et de l’administration publique, de l’éducation nationale et de l’ar- mée. Il faut ajouter à cela que la majeure par- tie des institutions économiques conservent leurs structures, héritées des toutes récentes décennies de communisme.

Non seulement cet état de fait influe sur les résultats réellement obtenus grâce aux réformes engagées, mais il est de plus notoire que les habitudes et les méthodes de gestion des cadres dirigeants sont souvent en contra- diction directe avec les nouvelles orientations démocratiques.

Dans nombre de pays d’Europe centrale et orientale, l’efficacité du travail gouvernemental bute sur les droits acquis du ministère des finances, de l’intérieur ou d’un autre ministère de ligne vis-à-vis du centre de gouvernement. Le ministre nomme et révoque les fonction- naires dans des conditions qui limitent consi- dérablement l’autonomie de l’administration publique vis-à-vis du parti politique dominant.

Dans un grand nombre de cas, il est égale- ment clair que le gouvernement doit composer, dans l’exercice de ses fonctions définies par la constitution et le droit, avec des groupes de pression puissants. Ces groupes - souvent issus des anciennes institutions, et dont l’exis- tence est présente à l’esprit de tous - influent

La nouvelle relatiofz

entre l’État et le citoyen est,

ici encore, source de

stabilité sociale et, donc,

de sécurité.

La démocratie n ‘est pas acquise

pour autant que les

institutions publiques

l’organisent et la défendent.

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Page 65: Des insécurités partielles à la

La période de transition ne peut se prolonger trop longtemps sans h-que pour la sécurité, la santé économique et la cohésion sociale des pays concernés. Ceux-ci ressentent très

fortement le besoin d’une stabilisation rapide de leur situation nouvelle.

largement sur la politique intérieure et exté- rieure des pays concernés.

Dans les pays d’Europe centrale les plus avancés du point de vue des institutions démo- cratiques, il est fréquent de constater que la mise en place d’une législation sur la fonction publique a permis d’installer, au niveau des décideurs, les tenants du parti au pouvoir, puis de garantir leur permanence en cas de change- ment de majorité.

2.2. L’idéologie rejetée n’est pas remplacée par un nouveau contrat social

Un phénomène, qui n’est sans doute pas le seul fait des pays d’Europe centrale mais y est particulièrement visible, consiste en la désaf- fection des citoyens par rapport au dialogue politique et le développement de l’individua- lisme aux dépens du sens civique et de la soli- darité.

La désaffection des citoyens s’exprime par l’abstentionnisme ou l’indécision aux élections. Elle peut également être perçue dans la passi- vité et le manque d’intérêt au regard des orien- tations prises par le gouvernement. Une illus- tration surprenante de l’absence de dialogue politique ne manque pas d’inquiéter : tous les pays d’Europe centrale et orientale ont pré- senté leur candidature à l’intégration euro- péenne, mais ceux dans lesquels les citoyens se sont inquiétés des répercussions de ce choix sont l’exception. Or, il est certain qu’elles seront graves.

A un professeur de l’Université de Budapest qui nous faisait remarquer, il y a quelques jours, que les programmes politiques, les « plates-formes électorales » et même les cam- pagnes de sensibilisation intéressaient de moins en moins de citoyens, j’ai demandé si l’isolement des responsables des affaires de l’État par rapport aux citoyens ne risquait pas, à terme, d’être dangereux pour la sécurité intérieure. La réponse a été négative pour le court terme : aucun orateur ne réussit plus à convaincre ; aucune idéologie n’entraîne plus les foules. Le citoyen, nous disait-il, n’est inté- ressé que par sa propre réussite. L’État peut tout lui demander, sauf de payer l’impôt ou de dévier du chemin qu’il s’est lui-même fixé.

Le manque d’intérêt du citoyen pour les questions qui concernent son pays, et plus encore pour les questions internationales, ne laisse pas pour autant les responsables sans points de repère, tant il est vrai que l’interna-

tionalisation de la vie politique insère les gou- vernements dans un contexte où leur liberté d’action est limitée.

2.3. L’internationalisation de la vie politique

Vis-à-vis des pays d’Europe centrale et orien- tale, les problèmes liés à l’internationalisation se posent avec une acuité particulière. Non sans paradoxe, c’est au moment même où ces pays ont enfin accédé à une véritable souverai- neté qu’ils doivent accepter de consentir à cer- taines limitations. Les problèmes qu’ils ont à résoudre sont à la fois nombreux et nouveaux, et nécessitent une solution urgente.

Ils sont nombreux : la question de I’intégra- tion à l’Union européenne, que ces pays n’abor- dent d’ailleurs pas tous de la même manière, n’est pas la seule qui se pose à eux. Ils concer- nent notamment l’ouverture au commerce inter- national et les rapports avec la nouvelle organi- sation mondiale du commerce (OMC), les questions stratégiques et les rapports avec l’OTAN, et les relations avec l’ensemble des pays développés qui peuvent s’instaurer par le canal de I’OCDE, du Conseil de l’Europe, etc.

Ces problèmes sont très largement nou- veaux. Le cadre des relations internationales des pays d’Europe centrale et orientale a changé du tout au tout. Les gouvernements éta- blissent de nouvelles solidarités et de nouveaux contextes de travail.

Ces problèmes, enfin, requièrent un règle- ment urgent. La période de transition ne peut se prolonger trop longtemps sans risque pour la sécurité, la santé économique et la cohésion sociale des pays concernés. Ceux-ci ressentent très fortement le besoin d’une stabilisation rapide de leur situation nouvelle.

Conclusion

La création d’institutions démocratiques et per- formantes dans les pays d’Europe centrale et orientale ne génère pas pour autant les condi- tions de la démocratie.

Les nouvelles règles du jeu restent à définir, tout comme les nouvelles conditions d’exercice du droit des citoyens à gérer leur avenir. C’est là une question nouvelle, et PUNESCO a certai- nement un rôle central à jouer dans la défini- tion du nouveau contrat social où les citoyens garderont leur identité culturelle, mais dans un contexte de solidarités régionales et mondiales.

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LES VOIES ET LES MOYENS DU DÉVELOPPEMENT DURABLE

par Patrice Dufour, conseiller principal aux relations extérieures au Bureau européen de la Banque mondiale

Je me suis permis de donner ce titre à mon intervention parce que créer les condi- tions du développement durable, même dans des économies en paix, n’est pas une mince affaire. On commence à connaître aujour- d’hui les <G ingrédients » qui permettent ce développement durable, et certains pays font effectivement de grands progrès et valident ainsi les approches proposées dans ce domaine.

On sait qu’il faut investir dans les ressources humaines, qu’il faut créer les conditions qui permettent à l’initiative de s’épanouir. On sait également qu’une économie ouverte a plus de chances de succès qu’une économie fermée et, enfin, qu’une certaine stabilité macro- économique est indispensable pour un progrès économique et social.

Mais, aujourd’hui, de nombreux pays ne réunissent pas ces conditions, et leur stagnation a créé une situation explosive. Il est urgent pour eux de se ressaisir, car il est frappant de voir combien la guerre et la pauvreté mar- chent main dans la main. Sur les cinquante conflits recensés au cours des quinze dernières années, quinze sur vingt des pays les plus pauvres ont été affectés par des situations de trouble majeur. La moitié des pays à faible revenu ont souffert de conflits d’une forme ou d’une autre.

Les conflits qui ont affecté ces cinquante pays ont souvent réduit leur économie à néant. Pour dix de ces pays, les conflits ont duré plus de vingt ans ; pour vingt d’entre eux, ils ont duré plus de dix ans. On constate donc aujour- d’hui, à l’échelle internationale, un transfert des ressources du développement vers l’humani- taire parce qu’il faut soulager les souffrances de la population qui est affectée, aux dépens même du développement.

Une institution comme la Banque mondiale est concernée par cette recrudescence des conflits.

En Bosnie, par exemple, 90 o/o de la popu- lation dépend de l’aide alimentaire et humani- taire pour sa survie. A Gaza, une part impor- tante de l’aide internationale est consacrée à la création d’emplois de fortune, pour permettre 2 la population affectée par le chômage de rece- voir quelques revenus.

La Banque mondiale, créée comme une <’ Banque internationale pour la reconstruction et le développement », a certainement sa place dans les efforts de retour à la paix. En effet, quand on ‘passe d’une situation de conflit à une paix que l’on veut durable, il faut mener 2 bien une série d’interventions techniques, oppor- tunes et bien ciblées. Ces inter-entions ont pour objectif de faciliter le processus de paix. 2 la fois en réduisant les obstacles qui freinent la reconstruction et en jetant les bases d’un déve- loppement que l’on souhaite durable. Dans cet effort, les institutions de développement peu- vent apporter une perspective à long terme et des ressources financières massives, dont les organismes humanitaires sont parfois démunis. J’essaierai donc avec vous d’aborder briève- ment quatre questions.

En premier lieu, il faut rappeler que les économies affectées par les troubles et les conflits sont en général dans un triste état. La deuxième idée, c’est que le processus de reconstruction comporte un certain nombre d‘étapes sur lesquelles il est bon de se pencher. On verra ensuite que la Banque est intervenue dans nombre de cas, et qu’elle en a tiré quelques leçons. De ces leçons émanent (et ce sera mon dernier point) des recommandations à la communauté internationale sur ce que, peut-être, on pourrait améliorer à l‘avenir.

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Page 67: Des insécurités partielles à la

D’abord, il faut absolument consolider le processus de transition de la guewe à la paix avant depouvoirjeter les bases d’un développement durable.

Pour cela, il faut aussi déminer.

1. L'état des lieux

Il est désolant. Un conflit réduit à néant des années de patrimoine culturel, productif et humain, et les chiffres sont assez étonnants. Si l’on prend le cas de la Bosnie, sur le plan humain, on compte deux cent cinquante mille victimes, deux cent mille blessés -dont qua- rante mille à cinquante mille enfants -, deux millions de réfugiés à l’intérieur de la Fédération, un million à l’extérieur et 90 % de la population vivant de l’aide humanitaire. Concernant les dégâts matériels, la capacité de production est réduite à 5 %, 80 % de la capa- cité d’énergie est détruite, la capacité hospita- lière est entamée de 30 %, celle de l’enseigne- ment de 50 % ; 60 % des logements sont inhabitables, quelques millions de mines vont devoir être déterrées à grand prix... Bref, les suites d’un conflit sont en général affligeantes. On le constate aussi au Cambodge et au Mozambique, dont les situations sont tout aussi dramatiques.

Sur le plan humain, le problème des réfu- giés a pris une ampleur considérable. Au cours des dix dernières années, soixante-dix millions de personnes ont été déplacées. Dans une région comme l’Afrique centrale et l’Afrique de l’Est, vous avez aujourd’hui vingt-deux millions de personnes qui ont été éloignées de leur lieu de résidence.

Enfin, il y a un autre problème. Les conflits ont mobilisé des hommes qui ont désappris leur métier pour apprendre celui des armes. Ils ont perdu le contact avec la population civile. La démobilisation du personnel militaire est cruciale. On parlait du problème des mines : quelques mil- lions en Bosnie, mais, dans le monde entier, c’est cent millions de bombes qui ont été posées, sans compter les cent millions qui sont encore en stock. toutes prêtes à être employées.

2. Le processus dereconstruction

Il est certain qu’engager un processus de reconstruction dans ces conditions n’est pas une mince affaire. Ce processus a deux objec- tifs. D’abord, il faut absolument consolider le processus de transition de la guerre à la paix avant de pouvoir jeter les bases d’un dévelop- pement durable. Pour cela, il faut réparer le tissu social et redonner confiance aux opéra- teurs économiques. Il faut aussi tenir compte du fait que l’on a très peu de temps pour le faire. La <c window of opportunityal, comme on

dit en anglais, la période qui permet de faire cet effort est limitée. Il faut donc agir très vite, sinon une situation de conflit ne tardera pas à renaître.

Quelles sont les étapes d’une stratégie de reconstruction ? En premier lieu, il faut doper l’économie nationale en injectant des ressources qui permettront d’engager une activité écono- mique. C’est vrai pour l’économie dans son ensemble, car les crédits consentis permettront d’importer, d’acheter les matériaux de construc- tion afin de reconstruire des infrastructures. 11 faut donc apporter très vite ces ressources.

C’est également vrai sur le plan individuel et des ménages parce que, faute de travail, les gens n’ont plus de revenu. Faute de revenu, ils ne peuvent plus consommer. Donc il faut, là aussi, prévoir des programmes pour créer des emplois, même un peu artificiels. Je pense par exemple à Gaza, où nous venons d’approuver un crédit de vingt-trois millions de dollars amé- ricains pour financer des emplois urbains, dont l’utilité n’est peut-être pas phénoménale mais dont l’un des objectifs est de donner du pou- voir d’achat à la population.

Il faut ensuite rebâtir les infrastructures de communication et de transport, car elles sont à la base du développement. Pour cela, il faut aussi déminer. J’ai encore en mémoire les com- mentaires d’un de mes collègues de retour de Sarajevo, décrivant le travail des démineurs qui vérifiaient les voies des tramways pour leur permettre de circuler une fois réparées.

Puis il faut organiser des programmes de démobilisation et de formation du personnel militaire (faire passer, par exemple, l’armée ougandaise de quatre-vingt mille à quarante- trois mille personnes en quelques années). Cela demande un effort logistique et un effort de formation considérables, qui doivent débou- cher sur la création de multiples entreprises.

Enfin, il faut réintégrer la population dépla- cée. 11 y a donc là un ensemble d’actions, dont les séquences peuvent être différentes mais qui peut être organisé et géré comme un tout. Ce qui est frappant, à l’examen de ces efforts, c’est que l’on se rend compte que des conditions cohé- rentes sont très difficiles à réunir. Et la Banque est fortement impliquée dans ces situations.

3. Le rôle de la Banquemondiale

On oublie parfois que le quart des crédits consentis par l’Association internationale de développement, notre organisme qui prête aux

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pays les plus pauvres, est destiné à des pays qui se relèvent de divers conflits. Il est clair que la Banque doit tirer un meilleur profit des expé- riences passées et mieux écouter ceux qui sont déjà sur place. Elle doit également intervenir plus tôt, parce qu’un travail de reconstruction se prépare avant même la fin d’un conflit.

Quand la Banque mondiale a été créée - Bretton Woods, c’était en 1944 -, la seconde guerre mondiale n’était pas terminée. Tirons-en des leçons aujourd’hui en disant : le travail de reconstruction se prépare avant même que les accords de paix ne soient signés. On l’a vu, par exemple, dans le cas de Gaza et de la Cisjordanie, où des missions de la Banque mondiale se sont rendues bien avant la signa- ture des accords. La Banque doit adapter son mode de fonctionnement interne pour répondre rapidement aux situations de conflit. Mais elle ne pourra le faire sans qu’une action concertée ait été décidée au niveau de la commu- nauté internationale. Je dirai qu’elle apprend à réagir de plus en plus vite. Là où un projet demande traditionnellement un à deux ans de préparation avant d’être soumis au Conseil d’administration, c’est en quelques semaines qu’elles parviennent au Conseil d’administra- tion pour les opérations actuelles en Bosnie.

4. Un effort cohérent

Une énorme quantité d’énergie est aussi consa- crée à l’effort de coordination des aides. Il y a tellement d’intervenants pour Gaza et la Cisjordanie, ou pour la Bosnie, qu’un effort considérable est déployé pour collecter les contributions que les pays ont promises au titre de leur participation à l’effort de reconstruc- tion, à l’effort de paix. Peut-être faudrait-il créer une sorte de c’ pot commun ‘2 qui serait géré conjointement. A l’image de ce qui se fait dans le cadre du Fonds pour l’environnement mon- dial (le Global Environmental Facilityl, les res- sources de tous les contributeurs pourraient être mises en commun puis gérées de manière collective, de façon à éviter les retards au démarrage, trop souvent constatés dans les efforts de reconstruction.

Et c’est sur cette idée forte, celle de la créa- tion d’un Fonds commun pour la reconstruc- tion, que j’aimerais terminer mon intervention en la soumettant à votre réflexion, car il est cer- tain qu’on ne peut pas perdre de temps lors de l’effort de relance de l’économie. Une phase de redémarrage rondement menée est indispen- sable pour conduire ensuite vers un dévelop- pement durable.

Les ressources de tous

les contributeurs pourraient

être mises en commun puis gérées de manière

collective, defaçon à éviter

les retards au démarrage,

trop souvent constatés dans

les efforts de reconstruction.

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Page 69: Des insécurités partielles à la

LES MÉCANISMES ET APPROCHES POUR LA. RÉSOLUTION DES CONFLITS

par S. Ext. A4. Mobamed Sahnoun, Ambassadeur,

conseiller spécial du Directeur général de ITLNESCO

Je voudrais particulièrement mettre l’accent sur la dégradation de l’environnement, et on m’ex- cusera si je dresse un tableau peut-être un peu sombre de l’avenir, mais c’est pour mieux mobiliser.

On a dit et répété qu’au cours des cinquante prochaines années, la population mondiale va probablement dépasser les neuf milliards d’ha- bitants, la croissance la plus importante ayant lieu dans les pays en développement. Dans le même laps de temps, la production écono- mique va probablement quintupler.

Quel que soit l’apport positif de la techno- logie, dont l’impact est souvent localisé, la ten- sion et la pression que vont exercer les ten- dances écologique et économique sur les ressources naturelles seront telles que certaines ressources non renouvelables seront ou épui- sées ou, en tout cas, sérieusement écornées. Même certaines ressources renouvelables telle l’eau potable, comme vient de l’indiquer un rapport de la Banque mondiale, vont connaître une situation de pénurie grave. Les atteintes aux différents écosystèmes, les ruptures d’équi- libre écologique qui vont suivre, telles que la déforestation (dix millions d’hectares disparais- sent chaque année) ou l’érosion des sols (six millions d’hectares disparaissent eux aussi chaque année), peuvent prendre des propor- tions encore plus importantes et menacer, par conséquent, les bases économiques non seule- ment de pays mais de régions entières.

Il va sans dire que les conséquences poli- tiques et sociales de ces développements peu- vent être particulièrement graves, et nous en voyons les prémices. Je crois que tout le débat, aujourd’hui, souligne justement la multiplicité de ces crises internes. Il était devenu évident pour moi, lorsque j’étais en Somalie en qualité de représentant spécial du Secrétaire général de

l’ONU, que j’étais témoin d’une guerre civile et d’une crise institutionnelle et sociologique, dont les causes profondes étaient autant écologiques que politiques. Il faut se rappeler que dans la corne de l’Afrique, et en particulier en Somalie et en Éthiopie, près de la moitié des sols ont été touchés par l’érosion au cours de ce siècle, ce qui a nécessairement conduit à des déplace- ments de population ainsi qu’à des situations sociologiques et économiques précaires, et qu’une mauvaise gouvernante - j’entends par gouvernante le système et les méthodes de gouvernement - peut accentuer cette situation.

Il était difficile d’entrevoir les failles de la société somalienne, en raison de son apparente homogénéité ethnique, culturelle et linguis- tique. Cependant, le facteur de l’insécurité peut réveiller des démons insoupçonnés de l’imagi- naire culturel. L’individu somalien recherchait ainsi dans le clan, le sous-clan ou même la famille le « ghetto >) qui allait lui offrir sa sécu- rité et sa survie, même si cela impliquait le dys- fonctionnement des structures d’État, des bases économiques et la destruction de ces infra- structures et du tissu social lui-même.

Une bonne gouvernante, donc, de la part des tenants du pouvoir comme des leaders de l’opposition, doit pouvoir être avertie de ces ruptures écologiques, surtout dans une situa- tion de sous-développement, et aménager des voies et moyens d’amortir les chocs et même, au-delà, de mieux gérer les potentialités de nos sociétés.

Environnement et gouvernante, voilà donc pour moi les deux paramètres fondamentaux des crises latentes et ouvertes, surtout, mais pas uniquement, dans les pays en développement. Ayant souligné l’importance de ces paramètres, il est utile de rappeler certains facteurs

Le facteur de l’insécurité peut réveiller

des démons insoupçonnés

de l’imaginaire culturel.

Environnement et gouvernante,

voilà donc pour moi les

deux paramètres fondamentaux

des crikes latentes et ouvertes,

surtout, mais pas

uniquement, dans les pays en

développement.

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Les recettes concoctées dans les tours d’ivoire très éloignées des institutions internationales, ne tenant compte que partiellement des données du terrain et motivées parfois par les pressions médiatiques, peuvent se révéler stériles, voire néfastes.

historiques, culturels et systémiques qui entre- tiennent l’incertitude politique, fragilisent le développement économique et, quoique n’étant pas à mon sens les causes profondes, favorisent généralement le déclenchement ou le développement des conflits.

Parmi ces facteurs figure le processus d’in- tégration - processus qui conditionne la créa- tion de l’État-nation. Il existe bien sûr dans nos pays des différenciations d’origine ethnique, tribale ou linguistique qui, tout en recelant une certaine potentialité culturelle susceptible d’être mise à profit dans d’autres circonstances, ten- dent à freiner le processus d’intégration.

Le processus de décolonisation est un autre de ces facteurs. Les séquelles d’une décoloni- sation mal engagée, mal finalisée surtout, peu- vent constituer un handicap majeur dans la création de l’État-nation. On l’a vu, le sort des anciennes terres de la colonisation, le tracé des frontières, certainement, le mimétisme poli- tique et les échafaudages constitutionnels de dernière minute ont souvent attisé ou réveillé des antagonismes latents et rendu le processus d’intégration et de stabilisation encore plus complexe.

L’héritage de la guerre froide est un troi- sième facteur à mettre en évidence. Il s’agit, ici surtout, d’une déviation des luttes de libération ou simplement des luttes sociales, qui ont été pour ainsi dire prises en otage par les protago- nistes de la guerre froide et infectées en consé- quence par le virus de la guerre idéologique. Il en est résulté des conflits complexes, que l’abondance des armes a prolongés au-delà de toute mesure.

L’antagonisme religieux fait également par- tie de ces facteurs. La cohabitation religieuse est une mesure du degré de tolérance existant dans ces sociétés. Elle dépend non seulement du sentiment de sécurité, que j’ai déjà souligné, mais aussi du rôle des élites religieuses et poli- tiques, qui ont parfois elles-mêmes mal assimilé le message religieux. Ces élites exploitent à des fins politiques ou par zèle messianique les dif- férences formelles, exacerbant ainsi les appré- hensions, les méfiances et le sentiment de mar- ginalisation.

Il y a enfin ce que j’appelle les G< jacqueries modernes )>. Ce sont des révoltes sociales. Qu’elles soient paysannes ou urbaines, elles sont évidemment provoquées par les faillites du système politique et économique et par la perception d’injustice. L’intégrisme religieux leur donne souvent ce véhicule idéologique qui les porte à leur paroxysme.

Ce sont là donc les quelques facteurs prin- cipaux qui favorisent le déclenchement des conflits dont le monde est témoin. Ils peuvent se retrouver d’une manière concomitante dans tel ou tel conflit ; ils se présentent rarement seuls.

Il est donc utile de dresser une sorte de vade-mecum, sorte de point de repère des dif- férentes catégories de conflits internes latents ou ouverts, de mieux cerner le développement, et d’inclure le jeu des acteurs et des interfé- rences de trafic d’armes. L’ambition aveugle de certains leaders militaires ou politiques, la carence des infrastructures administratives, la paralysie des mécanismes traditionnels de conciliation et de médiation, la négligence sont autant de circonstances aggravantes qu’il faut pouvoir appréhender et dont il faut atténuer les effets.

La prévention et la résolution des conflits sont des exercices délicats, souvent de longue haleine, et, sans une certaine clarté, sans une certaine fermeté et célérité dans le traitement des circonstances aggravantes, il est illusoire d’estimer arriver à des résultats probants. Les recettes concoctées dans les tours d’ivoire très éloignées des institutions internationales, ne tenant compte que partiellement des données du terrain et motivées parfois par les pressions médiatiques, peuvent se révéler stériles, voire néfastes.

Il serait indiqué de revoir les structures et les méthodes actuelles dans le sens d’une décentralisation de la prévention et du traite- ment des conflits. Il s’agit d’abord d’encourager la promotion, la création ou la consolidation de structures régionales, sous-régionales ou natio- nales pour la conciliation et la médiation. Il s’agit également de promouvoir de nouveaux cadres d’intervention inclus dans la société civile. Ce n’est que timidement que les organi- sations régionales ont récemment inauguré une démarche en ce sens, avec la mise en place du mécanisme de l’Organisation de l’unité afri- caine (OUA) pour la résolution des conflits, le rôle de 1’ASEAN dans le conflit cambodgien et la mise en place de l’Organisation pour la sécu- rité et la coopération en Europe (OSCE).

J’ai été personnellement associé à une réflexion visant à examiner les voies et les moyens d’améliorer l’efficacité du mécanisme de I’OUA. Il faut reconnaître que, malgré la présence ou la disponibilité de ressources humaines tout à fait valables pour une inter- vention de médiation, de conciliation ou de maintien de la paix, I’OUA - et on peut dire la

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plupart des organisations régionales dans le monde dit en développement - ne disposent pas pour le moment de moyens logistiques adéquats ni même de structures pour l’élabora- tion de plans stratégiques. J’ai été le témoin de ces insuffisances lorsque l’OUA m’a demandé d’offrir mes bons offices aux différentes parties en conflit au Congo en 1993-1994. Nos efforts de médiation ont abouti, mais nous nous sommes trouvé paralysés quand il s’est agi de transformer ce résultat en mesures concrètes de supervision d’élections, d’arbitrage, etc. C’est alors que nous avons recherché la coopération de l’Union européenne. Ainsi, pour la première fois, deux organisations régionales. l’une du Nord et l’autre du Sud, ont instauré une coopération interrégionale particulièrement significative.

On pourrait, à mon sens, généraliser ce pré- cédent et promouvoir, avec la bénédiction des Nations Unies elles-mêmes, des relations systé- miques permanentes entre les organisations régionales et sous-régionales, en se faisant aider des organisations internationales telle I’UNESCO et son programme <’ Culture de la paix ‘2 ainsi que des institutions de Bretton Woods. Dans une approche décentralisée, un cadre de consultation élargi peut devenir la cheville ouvrière d’une communauté internatio- nale sincèrement solidaire. L’action diploma- tique traditionnelle, par exemple, peut gagner en efficacité, étant mieux synchronisée. On évi- tera les confusions tragiques qui ont entouré le drame du Rwanda, quand on n’a pas su tirer le bénéfice du processus de concertation engagé à Arusha. Le manque de communication, la suspicion et parfois l’incompétence conduisent à l’instauration d’un climat d’intrigue, au cli- quetis des armes et, finalement, au drame.

S’agissant de méthodologie, je n’insisterai jamais assez sur l’importance de la promptitude de l’intervention, le timing, comme disent les Anglais. Les retards et les atermoiements nous reviennent toujours avec des factures particu- lièrement lourdes, souvent d’ailleurs en vies humaines. J’ai eu tour à tour à m’occuper de la Somalie, du Congo et, récemment, de la ques- tion du Sud-Soudan, et j’en suis sorti avec cette conviction profonde que l’intervention tardiv-e en Somalie expliquait largement l’anarchie qui s’est graduellement instaurée dans ce pays.

S’agissant toujours de méthodologie, il faut éviter de laisser la situation se dégrader sur les plans humanitaire et institutionnel. Rien ne doit empêcher ou freiner une assistance humani- taire urgente, car la dégradation de la situation

à grande échelle entraîne nécessairement une déperdition rapide des valeurs morales, du sens civique, et la disparition d’un certain nombre de repères institutionnels et sociologiques qui désorientent le citoyen et mènent directement au chaos.

Enfin, il faut savoir doser l’intervention armée et éviter d’y recourir trop massivement, comme ce fut le cas en Somalie. L’intervention armée est une arme noble et délicate qu’il ne faut ni banaliser ni discréditer. On a trop ten- dance à s’y référer comme à une thérapeutique de choc. En fait, non. Il s’agit d’une chirurgie minutieuse, localisée, et il s’agit aussi en un sens de la mise en ceuvre d’un processus de réhabilitation des structures ou des facultés humanitaires. Ici, sans vouloir flatter outre mesure le contingent français qui a été déployé à Baidoa, en Somalie, c’est ce qu’il a accompli qui doit servir de modèle, plus que la stratégie du marteau-pilon qui a été mise en œuvre à Mogadiscio.

Il s’agit aussi, évidemment, de privilégier les solutions politiques. Cela exige des négocia- tions ardues et fastidieuses avec toutes les par- ties en conflit, ainsi que la mise en blanc de tout un arsenal de ressources et de potentialités du pays, de la région et de la communauté internationale. C’est là qu’intervient la société civile. Il s’agit évidemment d’une notion très complexe, qu’il ne faut pas non plus idéaliser.

La société civile, dans la plupart des pays en développement, n’est peut-être pas encore tout à fait organisée ou structurée. Il n’en demeure pas moins qu’il existe des forces que l’on peut discerner et orienter. Les institutions et les indi- vidualités du monde religieux, de la chefferie traditionnelle, du corps enseignant, du corps médical et des regroupements de marchands et de femmes, les associations de droits de l’homme représentent généralement des lignes de force qu’il faut pouvoir cimenter, conforter et encourager. Il faut aider ces forces à disposer d’éléments concrets de réflexion, d’exemples historiques, pour qu’elles puissent trouver elles-mêmes les moyens de prendre quelque distance et élaborer des stratégies de paix, dans une situation marquée essentiellement par l’an- goisse et les pulsions irrationnelles.

Un très gros effort devrait porter sur la ges- tion de la mémoire collective des conflits pré- cédents. La mauvaise gestion de cette mémoire, l’absence de métabolisme, pour ainsi dire, des traumatismes qui surviennent pendant la crise, est une source majeure de la prolongation de la crise. C’est là qu’intervient le rôle d’un

Il s’agit évidemment

d’une notion très complexe,

qu ‘il ne faut pas non plus

idéaliser.

Il faut aider ces forces à disposer

d’éléments concrets

de réjexion, d’exemples

historiques, pour qu ‘elles puissent

trouver elles-mêmes les

moyens de prendre

quelque distance et élaborer

des stratégies de paix, dans une situation

marquée essentiellement

par l’angoisse et les pulsions

irrationnelles.

Un très gros effort devrait porter

sur la gestion de la mémoire

collective des con.its

précédents.

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programme tel que la « Culture de la paix 1) de I’UNESCO. Cette action de promotion des lignes de force de la société civile locale est souvent mieux gérée par des partenaires qui parlent le même langage et sont les représen- tants de la société civile internationale. Comme pour l’action humanitaire, il faut faciliter le contact et la coopération et autoriser ainsi un transfert d’informations, de connaissances et de savoir-faire, en même temps qu’une sécurisa- tion qui favorisera la recherche d’alternatives à la violence.

Nous avons été témoins au Congo, à l’occa- sion du Symposium sur la culture de la paix organisé par 1’UNESCO et auquel a fait réfé- rence M. Henri Lopes, d’une formidable mobi- lisation de la société civile, qui a exercé une

pression telle sur les acteurs politiques qu’il en est émergé un consensus et même un gouver- nement d’union nationale. Qu’il s’agisse donc des structures intergouvernementales ou du rôle de la société civile, il faut se rapprocher des populations et des régions concernées.

Un manifeste de I’UNESCO sur la culture de la paix, que je vais citer en conclusion, dit ceci : « La fin de la guerre froide et la dissolution des deux blocs ayant dominé la planète ont modifié le rôle que jouaient les Nations Unies et ses agents spécialisés au cours de leurs missions, destinées à préserver ou à maintenir la paix. Aujourd’hui, plus que jamais, de nou- velles structures de construction de la paix sont nécessaires pour permettre le passage d’une culture de la guerre à une culture de la paix. »

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Iv. QUATRIÈME TABLE RONDE

Les politiques de défense et de sécurité au service de la paix

Président : M. le préfet Ckwi.stian Decharnière, Directeur adjoint de l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN>

Les institutions démocratiques, les systèmes économiques féconds, le fonctionnement régulier de la société doivent, pour être garantis durablement, bénéficier du soutien d’une force publique.

Loin des représentations qui assimilent les armées soit à des outils d’agression soit à des forces de répression, l’expérience des pays les plus avancés manifeste

que celles-ci participent, au contraire, d’un système international d’équilibre des forces dans lequel elles sont susceptibles de jouer un rôle d’appoint déterminant

dans les efforts de paix, voire de reconstruction, Qu’elles agissent au dehors, dans le cadre de coopérations très complexes,

pour maintenir ou rétablir la paix, ou qu’elles constituent au dedans un élément de cohésion collective, d’action organisée ou d’appui au progrès, elles s’avèrent aujourd’hui capables,

sous certaines conditions, de concourir très utilement au développement et à la paix. L’essentiel réside donc dans ces conditions,

qu’il importe au plus haut point de définir et de faire prévaloir.

Page 74: Des insécurités partielles à la

UEL RÔLE POUR LES ARMÉES AFRICAINES UBE DU XXI” SIÈCLE ?

par Dominique Bangoura, chargée d’enseignement et présidente

de l’Observatoire politique et stratégique de 1 ‘Aftique, Université Paris-I Panthéon-Sorbonne

En cette période de recrudescence des conflits en Afrique sub-saharienne, il me revient d’éva- luer le rôle des armées africaines à l’aube du XXI~ siècle. Évaluer consiste d’abord à identifier la nature de la conflictualité, afin de mieux cer- ner les menaces potentielles et réelles contre les États et la population.

Car ce sont les menaces, dont bon nombre ont évolué ou changé depuis la fin de la guerre froide, qui obligent à repenser, au moins par- tiellement, les missions et fonctions des forces armées, avec le concours plus ou moins appuyé des forces de sécurité.

En outre, parallèlement aux menaces et aux dangers internes et externes, il convient de réexaminer les besoins de la population en matière de sécurité et ses manières de se protéger.

Après l’examen du pourquoi - des forces armées pour quelles missions et fonctions, pour quels objectifs et quelle finalité dans un nouvel environnement sociopolitique -, il faut repenser le comment.

Identifier le rôle des forces armées afri- caines, c’est également savoir confronter les nécessités, les priorités au réel, aux possibilités, aux limites humaines et matérielles des États, des pouvoirs publics, des sociétés.

Or, d’emblée, l’analyse se heurte au constat de crise des forces armées : l crise interne, institutionnelle, de générations ; l crise professionnelle, opérationnelle, de

capacités ; l crise dans leurs relations avec le pouvoir ; l crise dans leurs liens avec la société. C’est dire qu’à l’instar de l’État et de la société, les forces armées ne sont pas épargnées par les contradictions alors que, dans le même temps, on exige d’elles efficacité et compétence en termes de défense et de sécurité, en ces temps

de restriction des ressources et de transition politique.

Vaste programme ou immense défi ? Sans doute les deux à la fois, au regard des enjeux qui se dessinent sur le continent.

1. Vulnérabilités nouvelles et adaptation des missions

1.1. Identification des menaces

Davantage que par le passé, les conflits s’em- parent de la scène sociopolitique interne pour se répercuter ensuite à une échelle plus vaste.

1.1.1. La con$!ictualité interne

Depuis la fin de la guerre froide et le retrait stratégique Est-Ouest, l’Afrique connaît une multiplication des conflits internes, liée, certes, à la baisse des pressions extérieures mais, aussi et surtout, à la montée des revendications poli- tiques et sociales pour de meilleures conditions de vie, le pluralisme politique, le respect des droits de l’homme, l’alternance au pouvoir.

Cette conflictualité interne provient en par- tie de l’incapacité de l’l?tat à assurer ses fonc- tions de souveraineté et d’État providence, d’où les manquements des États postcoloniaux en matière de défense, de sécurité publique, de justice, de sécurité sociale et économique - eux-mêmes sources de chômage, d’exclusion, de pauvreté.

Sur cette conflictualité, provenant notam- ment de la crise de 1“~ État importé ‘J, se greffe, au cours des trois décennies passées, la crise du pouvoir politique, longtemps illégal,

1. Badie B. L’État importé. Paris, Fayard. 1992, 334 p

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Dans ce contexte d’instabilité et de précarité, la perte des repères sociaux et culturels s’accélère et s’aggrave, conduisant à une crise interne généralisée.

Les menaces d’aujourd’hui sont donc éminemment civiles, rarement de nature strictement militaire, parfois imbriquées, et appellent pour y remédier des mesures sociopolitiques. Elles ne sont plus circonscrites par des frontières internes et se dispersent au-delà des territoires.

souvent illégitime, usant de la force et de la violence’ pour asseoir sa longévité2.

Dans ce contexte d’instabilité et de préca- rité, la perte des repères sociaux et culturels s’accélère et s’aggrave, conduisant à une crise interne généralisée. Dès lors, la violence de l’État et la violence contre l’État s’affrontent3, entraînant au passage les forces les plus affai- blies et les plus vulnérables de la société*. C’est ainsi que surviennent émeutes, répression, rébellions, massacres, guerres civiles..

Les menaces majeures à l’encontre de l’Afrique d’aujourd’hui sont donc des menaces internes, multiformes et permanentes, dont les origines se trouvent dans les carences de l’État et le conflit État/société.

Cependant, cette conflictualité ne s’arrête pas aux frontières. Il s’agit d’une conflictualité en spirale qui se propage du local au national et au sous-régional. Ainsi, d’ouest en est et du nord au sud, le continent africain connaît des zones de tensions et de conflits.

1.12. La conflictualité sous-régionale et transnationale

Deux prolongements des conflits internes appa- raissent fréquemment. Les rébellions, qui fuient ou organisent leur économie de guerre au moins partiellement à partir de sanctuaires éta- blis dans les pays voisins, agissent soit avec l’appui, soit à l’insu de ces derniers. Les réfugiés qui, par millions, se retrouvent sur les routes de l’exode affaiblissent les pays d’accueil, déjà en proie à toutes sortes de difficultés. Avec la mili- tarisation des camps de réfugiés rwandais au Zaïre, la violence franchit un degré supplémen- taire, à la fois à l’encontre des victimes et à l’en- contre de la sécurité sous-régionale.

De plus, du fait de l’incapacité de nombreux États à matérialiser et surveiller leurs frontières, des fléaux tels que les trafics d’armes, de drogue ou de pierres précieuses sévissent, voire se développent, relayés par des réseaux locaux, sous-régionaux et internationaux sou- vent puissants. Il n’est d’ailleurs pas exclu que des gouvernements ou des dirigeants isolés participent à ces tractations. Dans une moindre mesure, l’immigration économique clandestine débouche, dans certains cas, sur la criminalité.

Des menaces, difficiles à maîtriser, sont, par ailleurs, celles qui touchent les esprits, indivi- duellement ou collectivement, car, telles les diverses formes de sectarismes ou d’inté- grismes, elles sont plus diffuses ou éparses mais très pernicieuses.

1.1.3. La conjlictualitt? interétatique

La conflictualité inter-États se voit ainsi reléguée au second plan sans pour autant totalement disparaître, comme en témoignent les événe- ments survenus entre le Sénégal et la Mauritanie en 1989, l’actuel conflit Cameroun/Nigéria, ou encore celui qui oppose 1’Érythrée au Yémen.

L’enjeu de ces conflits est essentiellement économique : en période de pénurie ou de res- trictions budgétaires, il s’agit pour les États ou, plus directement, pour les équipes dirigeantes de protéger des ressources exploitables.

Les menaces d’aujourd’hui sont donc émi- nemment civiles, rarement de nature strictement militaire, parfois imbriquées, et appellent pour y remédier des mesures sociopolitiques. Elles ne sont plus circonscrites par des frontières internes et se dispersent au-delà des territoires5.

Par conséquent, les forces armées doivent procéder à une réévaluation et à une redéfi- nition de leurs missions et fonctions, pour savoir dans quelle mesure elles ont ou auront à intervenir.

1.2. Les missions

1.2.1. Les missions des forces armées

Comment, au cœur de cette conflictualité, repenser les missions des armées ? La difficulté est grande à plusieurs égards : l à la lumière, tout d’abord, de ce que furent

les forces armées africaines pendant trente- cinq ans, notamment dans leurs relations avec le pouvoir et avec la société ;

. au regard, ensuite, des besoins actuels, qui sont surtout des besoins de sécurité inté- rieure et ne relèvent pas spécifiquement des missions d’une armée ;

0 en ayant à l’esprit, enfin, que les missions de défense et de sécurité ne s’improvisent pas, qu’elles nécessitent réflexion et prépa- ration, d’autant plus que les transitions démocratiques s’avèrent délicates, avec des avancées et des recul&.

1. Bangoura D. État et sécurité en Afrique. Politique afri- caine, no 61, mars 1996, p. 39-53.

2. Drame T. La crk-e de I’Étut. Dans : Ellis S. (dir. publ.). L Afrique maintenant. Paris, Karthala, 1995, p. 333-346.

3. Bangoura D., op. cil., p. 40-47. 4. El-Kenz A. Les jeunes et la violence. Dans Ellis S., op. cit.,

p. 87-109. 5. Badie B. LaJïn des territoires, Paris, Fayard, 1995, 276 p, 6. Bangoura D. Armées et dé! démocratiques en Afïque.

Dans Hurbon L. (dir. publ.). Les transitions démocra- tiques. Paris, Syros, 1996, p. 91-102.

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Théoriquement, les forces armées africaines ont vocation à assurer la défense de l’intégrité territoriale, à participer à la sécurité sous-régio- nale, comme en Afrique de l’Ouest avec l’Accord de non-agression et de défense (ANAD) et le Protocole d’assistance mutuelle (PAM), signés respectivement par la Commu- nauté économique de l’Afrique de l’Ouest (CEA01 et le Togo en 1977 et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en 1981, ou encore à participer à la sécurité internationale aux côtés de troupes mandatées par 1’ONLJ.

Dans la pratique, les conflits inter-États ont été relativement peu nombreux durant ces trois dernières décennies, et, pour la plupart, régio- nalisés ou internationalisés du fait de la guerre froide (Tchad/Libye, Éthiopie/Somalie, Afrique australe) - faisant, par conséquent, intervenir des alliés ou des contingents étrangers. Non animé par des dynamiques extérieures, le conflit Mali/Burkina Faso, en décembre 1985, montra les limites dans les deux camps.

La coopération militaire sous-régionale se révèle peu développée et institutionnalisée, même en Afrique de l’Ouest, pour des raisons politiques de non-ingérence dans les affaires intérieures des États. En Afrique centrale, 1’ONU multiplie les efforts en ce sens depuis quelques années. La nécessité d’adapter les ins- titutions de défense et de sécurité à la préven- tion et à la résolution des conflits internes se pose avec acuité, mais se heurte encore à des réticences pour les raisons ci-dessus évoquées.

La Force de paix de l’OUA, déployée au Tchad en 1981, n’a connu que cette seule appli- cation

Quant aux opérations de maintien de la paix, elles sont lourdes à organiser pour les États africains. Quelques contingents sénéga- lais, ghanéens ou nigérians se sont distingués autrefois en apportant leur contribution à la FINUL au Liban. Dans un contexte différent, la guerre du Golfe a mobilisé des troupes afri- caines compétentes. Cependant, l’intervention de I’ECOMOG dans le conflit libérien montre que les problèmes politiques, logistiques et financiers restent importants et nécessitent des soutiens extérieurs.

Les cas extrêmes de la Somalie et du Libéria soulignent la nécessité pour l’Afrique, lorsqu’il y a disparition de l’État, de venir en aide à la population victime d’agressions multiples. Comment prévenir dorénavant ce type de conflit? Par quels moyens ? Mais, aussi, com- ment rétablir la paix lorsque tous les usages

politiques et diplomatiques ont échoué et qu’il faut sauver ou épargner des vies humaines ? Il reste beaucoup à faire dans ce domaine, sur un continent où nombre d’États s’affaiblissent, et les forces armées ont incontestablement un rôle à jouer. Il appartient aux États membres, à l’OUA, à son Secrétaire général et à la commu- nauté internationale de donner toute l’impul- sion nécessaire à un engagement approprié, qui reste à définirl. Le Mécanisme de préven- tion, de gestion et de règlement des conflits adopté par l’OUA au Caire en juin 1993 et l’idée de force africaine d’intervention marquent une étape en ce sens, mais un long chemin reste à parcourir.

1.2.2. Les missions des forces de sécurité?

La nature de la conflictualité prédominante amène à examiner parallèlement les missions des forces de sécurité, réputées plus proches de la population.

Comme leur nom l’indique, les forces de sécurité ont pour mission d’assurer la protec- tion des personnes et des biens, le bon fonc- tionnement des institutions et le respect de la loi sur l’ensemble du territoire. Ces forces que sont la gendarmerie et la police ont vocation à faire respecter la sécurité publique et à mainte- nir l’ordre.

Dans les faits, cependant, les forces de sécurité africaines, obéissant au politique, s’illustrent souvent par leur caractère répressif à l’encontre des militants politiques et des mani- festants, en particulier depuis l’ouverture des périodes de transition.

Le rôle de ces forces en matière de sécurité apparaît donc très important aux côtés de la population, mais reste en réalité sous-évalué. De plus, les forces armées interviennent fré- quemment dans des situations de crise inté- rieure, sans pour autant avoir été formées et équipées pour de telles circonstances et bien que les textes ne prévoient leur emploi qu’une fois la police et la gendarmerie débordées. Les missions des forces respectives semblent par conséquent devoir être redéfinies en tenant compte de l’évolution politique et sociale.

L’ensemble des forces a, de plus, besoin d’être éduqué, au même titre que les civils, en matière de droits et devoirs de chaque citoyen dans un État démocratique.

1. Bangoura D. Afrique : quelle force d’intervention ? LeMonde, 4 février 1993, p. 2.

Le rôle de ces forces

en matière de sécurité apparaît

donc très important aux

côtés de la population,

mais reste en réalité

sous-évalué.

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En revanche, il est un domaine où les forces armées peuvent valablement se rendre utiles : celui de la sécurité du développement.

1.3. Les fonctions des forces armées

Après l’échec des fonctions politiques, sociales et économiques des forces armées en Afrique, il convient de réfléchir au rôle qui leur revient ou qui ne leur incombe en aucune manière. Il appartient aux sociétés africaines de préciser ces fonctions et de décider de les intégrer à un projet global. L’apport éventuel du chercheur ou de l’observateur se limite à l’analyse des expériences passées et à l’ouverture de quelques pistes.

1.3.1. La fonction politique

Après la vague de coups d’État des années GO, 70 et 80, la fonction politique des armées s’avère un échec. Rares sont les militaires au pouvoir qui n’ont pas reproduit les erreurs des civils qu’ils ont destitués. Le mythe du « soldat rédempteur a> doit donc être entendu avec pru- dence, voire avec méfiance.

Plus récemment, le renversement, le 27 jan- vier 1996, du président Mahamane Ousmane, démocratiquement élu au Niger, par le colonel 1. Baré Maïnassara soulève un nouveau pro- blème : celui de la paralysie des institutions issues de la transition et de l’échec du partage du pouvoir. D’où certaines questions : à partir de quand un pouvoir légal et légitime devient- il illégitime ? Comment y remédier pacifique- ment, et comment analyser, avec quels critères, cette intrusion récidiviste des forces armées dans la vie politique au Niger ?

Plus généralement, l’idée de fonction politique des armées fait resurgir le spectre de l’autoritarisme, qu’il soit civil ou militaire. Nombreuses sont en effet les forces armées exerçant, de gré ou de force, une mission de sécurité rapprochée de l’équipe dirigeante - bien souvent en concurrence avec d’autres forces paramilitaires, des gardes présidentielles ou des milices.

Les forces armées, à l’aube du XXF siècle, doivent se tenir à l’écart de telles dérives, mais il n’est guère possible de les exclure pour l’ins- tant, Ce risque majeur pour les jeunes démo- craties persiste, compte tenu des pesanteurs du passé et des résistances actuelles au changement.

1.3.2. La fonction sociale

La fonction d’intégration sociale des forces armées n’apparaît pas en Afrique comme une

réussite. Dans les pays francophones ayant choisi la conscription dès les années 60, l’inté- gration n’a pas eu lieu, pour des raisons poli- tiques et économiques. Tantôt le pouvoir a pré- féré recruter et encadrer ses troupes avec des éléments politiquement fiables qu’il a lu-même sélectionnés, tantôt les moyens financiers ont manqué pour héberger, nourrir, former et équi- per chaque année les jeunes gens en âge d’ac- complir leur service militaire.

1.53. La fonction économique

La fonction économique des armées laisse à désirer dans la plupart des pays, même si, ici ou là, cette fonction existe (transport, génie...). Les expériences de services civiques, dont l’idée de départ, fondée sur l’intégration et la solidarité nationales, était pourtant originale et généreuse, n’ont pas produit les effets escomp- tés. Qu’il s’agisse de versions souples ou lourdes d’inspiration extérieure, elles ont été détournées de leur finalité par le politique.

Le principe de rentabiliser les forces armées en temps de paix, en les envoyant aux champs ou en leur faisant construire des routes et des écoles, est loin d’être récent. Il se comprend d’autant mieux dans les pays où compte toute contribution ou, au contraire, tout poids à l’en- contre du développement. Cependant, confier en priorité des missions civiles à des forces armées n’est pas sans danger. D’une part, celles-ci peuvent perdre de leur capacité de défense et, d’autre part, elles peuvent se sentir indispensables et être tentées par l’exercice du pouvoir.

De nos jours, alors que cette idée d’armée- acteur du développement revient régulière- ment, il convient de bien mesurer ce rôle éven- tuel et d’en évaluer les avantages et les inconvénients. Les forces armées peuvent exer- cer de nombreuses tâches, y compris produire les denrées et certains équipements nécessaires à leur fonctionnement, mais sans perdre de vue leur mission de défense.

Cette question est d’autant plus d’actualité que des pans entiers des économies autrefois dites nationales se privatisent peu à peu. Il apparaît ainsi moins probable de voir des forces armées accaparer des secteurs écono- miques civils.

En revanche, il est un domaine où les forces armées peuvent valablement se rendre utiles : celui de la sécurité du développement. Car, dans les pays d’Afrique où la sécurité de proxi- mité et la sécurité de l’ensemble du territoire,

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en dehors des grandes métropoles et des lieux de production économico-stratégiques (pétrole, minerais, ressources d’exportation), présentent de graves carences, au détriment notamment de la population, il reste beaucoup à faire.

S’il ne fait aucun doute que les forces armées peuvent et doivent contribuer à la sécu- rité, il est pourtant beaucoup plus difficile d’établir sur quelles bases ou quels critères.

Étant donné la confusion qui a régné au sein de nombreuses forces armées africaines entre missions de défense et de sécurité, il convient d‘éviter de nouveaux écueils. Sans doute une évolution conceptuelle des missions et des fonctions des armées est-elle souhaitable à l’aube de ce nouveau siècle, dans le souci de mieux protéger la population. Sans doute faut- il se pencher également sur une approche com- plémentaire, non seulement institutionnelle mais aussi plus fonctionnelle, de la sécurité, c’est-à-dire sur une participation directe de la population. En somme, il s’agit d’identifier les facteurs civils et militaires d’une véritable dyna- mique de paix.

C’est là que la question posée par les orga- nisateurs de ce symposium revêt tout son sens : <G comment promouvoir des politiques de défense et de sécurité au service de la paix ? >a

2. La voie de la réforme etdupartenariat

La paix externe et interne, tout comme la sécu- rité multiforme, ne peut s’obtenir qu’en combi- nant et en harmonisant le politique, le militaire et le social. Que l’un de ces paramètres vienne à manquer, et la paix ou la sécurité se voit menacée. Dans ce contexte, comment conce- voir un nouveau rôle pour les forces armées ? En engageant la voie de la réforme et du partenariat.

2.1. L’adoption et l’application de principes démocratiques

Au moment des conférences nationales et des grands débats publics, la question du rôle des forces armées n’a pas été clairement posée. Les regards ont davantage été tournés vers le passé, vers le procès des anciens régimes, qu’orientés vers un débat constructif pour l’avenir.

Les militaires ont parfois été conviés à ces forums, mais ont rapidement claqué la porte, se sentant mis en cause. C’est dire que la rupture

est grande entre armée et société, et plus ou moins marquée selon les pays.

Dès lors, en l’absence de dialogue, la tran- sition démocratique reste aléatoire car elle ne peut réussir qu’en présence de tous les acteurs. Or, les forces armées sont un facteur clef sous- estimé dans ces processus. Au Bénin, au Mali, des voies originales ont été trouvées pour sor- tir de l’impasse, mais, dans de nombreux autres cas, la transition est rude et douloureuse.

En principe, l’armée doit s’intégrer dans un État de droit et être issue d’un projet de société. Le problème pour les peuples africains est donc de pouvoir se donner les forces armées dont ils ont besoin. Toute la difficulté se trouve là, avec les incompréhensions mutuelles entre les deux camps, le fait étant que les civils ont souvent souffert de la répression et des exac- tions des militaires.

Le blocage réside par ailleurs dans le poli- tique, lorsque les anciens dirigeants, qui dispo- sent de la force, refusent ou résistent au chan- gement.

Une politique de défense et de sécurité au service de la paix doit prendre en compte non seulement la paix aux frontières mais aussi la paix civile et la paix sociale. Elle passe néces- sairement par la restauration de la confiance entre les forces armées et le peuple, et par la séparation entre le militaire et le politique dans les hautes fonctions dirigeantes.

La réussite d’une telle politique, ainsi que des processus de transition, s’avère donc tribu- taire d’une approche novatrice des relations armée/société et armée/pouvoir.

2.2. La réforme institutionnelle des forces armées

La réforme des forces armées visant à obtenir des institutions cohérentes, crédibles, efficaces et modernes nécessite une évaluation préalable des menaces, des besoins et des moyens dis- ponibles.

Compte tenu de la diversité et des diver- gences existant d’une armée à l’autre1 selon les pays et des différences d’un corps militaire à l’autre à l’intérieur des États, la réforme ne peut être uniforme.

En effet, des disparités physiques existent, de par le nombre d’hommes mobilisés ou mobilisables, l’état des équipements et des

1. Bangoura D. Les armées africaines : 1960-1990 Paris, CHEAM, 1992. 190 p.

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Page 79: Des insécurités partielles à la

armements, la capacité opérationnelle de ces forces. Certaines troupes sont intégrées et rémunérées ; d’autres, au contraire, se voient plus ou moins livrées à elles-mêmes ou aban- données.

De même, des sensibilités politiques diffé- rentes se présentent entre forces armées selon qu’elles se situent dans des pays à régime civil ou militaire.

En outre, des disparités de statut se mani- festent entre des forces bénéficiant d’une cer- taine continuité (Sénégal, Côte d’ivoire, Gabon) et d’autres qui, à l’issue d’accords de paix, recrutent des ex-troupes rebelles (Angola, Mozambique, Mali, Niger).

Des variations d’ordre géopolitique persis- tent d’une armée à l’autre, dans les sous- régions, comme en témoigne la position de l’Afrique du Sud, du Nigéria ou du Zaïre dans leurs zones respectives. Toutefois, ces capacités sont de plus en plus relatives avec l’affaiblisse- ment interne des États.

On trouve néanmoins des points de conver- gence entre forces armées d’Afrique sub- saharienne. Toutes traversent une crise interne plus ou moins aiguë : crise idéologique ou de générations, entre les jeunes officiers et les anciens ; crise matérielle, entre ceux qui vivent dans l’opulence et la troupe qui connaît la misère, entre ceux qui sont proches du pouvoir et ceux qui restent dans l’anonymat ; crise d’identité ou crise morale, pour des militaires qui cherchent un sens à leur engagement.

2.3. La mise en œuvre d>un partenariat entre civils et militaires

La sécurité est l’affaire de tous, et nul ne peut s’en désintéresser. C’est pourquoi l’idée d’un partenariat impliquant la participation de l’en- semble des citoyens paraît plus proche des besoins et des réalités.

D’une part, les forces armées et de sécurité ne peuvent seules tout assumer et, d’autre part, la société civile n’est pas suffisamment auto- nome pour subvenir à l’ensemble de ses besoins de sécurité.

De surcroît, les menaces qui frappent les populations et les États sont à la fois civiles et militaires.

Le rôle des armées africaines à l’aube du xxte siècle semble donc s’inscrire dans ce vaste tableau, aux côtés et en renfort de la popula- tion civile et à l’avant-poste des États et des pouvoirs publics pour défendre le territoire, le patrimoine commun, les institutions librement choisies par les peuples.

Conclusion

S’il n’est pas possible de conclure sur un tel sujet, il est tout de même permis d’évoquer quelques priorités de recherche.

Pour la décennie à venir, l’accent devra por- ter sur la réflexion scientifique afin de mener à bien un tel projet. L’identification des missions respectives puis le partage des responsabilités de défense et de sécurité demandent encore à être analysés et approfondis.

Parallèlement, et en accompagnement des efforts précédents, la diffusion d’une culture de la paix interne et externe auprès des civils et des militaires semble primordiale pour la réus- site de politiques de défense et de sécurité. De même, l’éducation des citoyens est souhaitable.

Et surtout, il importe de bien ancrer les solu- tions qui pourront poindre à l’horizon dans les us et coutumes, dans les cultures, dans le patrimoine social négro-africain. Les appuis et les soutiens extérieurs, le rattachement à des valeurs ou à des principes universels ne devraient jamais perdre de vue cet aspect pri- mordial de la sécurité et des acteurs qui en auront la charge.

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LE CONTRÔLE DÉMOCRATIQUE DES ARMÉES DANS LES PAYS D’EUROPE CENTRALE ET ORIENTALE

1 re partie

par RudolfJoo, ancien secrétaire d’État à la défense de Hongrie,

professeur au George C. Marshall European Center for Security Studies

Le dkbat d’hier a bien demontre que la pro- fonde mutation de l’environnement internatio- nal avait provoqué des adaptations plus ou moins radicales de la part des différents acteurs internationaux : des pays développés et moins développés, de leurs armées respectives et des organisations internationales de types divers.

Dans ce contexte, le cas des pays d’Europe centrale et orientale (PECO) est bien spéci- fique. Dans cette région d’Europe, les événe- ments ont non seulement boulever& le contexte international des pays, mais ils ont aussi simultanément poussé les États vers des changements de régime interne. En d’autres termes, les PECO étaient confrontés à un double défi qui rendait toute réforme, particu- lièrement celles relatives aux forces armées, encore plus complexe et difficile.

Par ailleurs, on ne peut sous-estimer l’im- pact d’événements tels que la dissolution du Pacte de Varsovie, la multiplication des souve- rainetés nationales à travers la région, l’éclate- ment des conflits militaires en ex-Yougoslavie -pour ne mentionner que ceux qui ont le plus marqué l’histoire récente de cette région.

Je voudrais illustrer cette évolution en ~VO- quant le cas d’un pays comme la Hongrie. Au début des années 90, en l’espace de deux ou trois ans, la Hongrie a vu le départ des troupes soviétiques de son territoire et le rétablissement de sa complète souveraineté, y compris en matière de défense. La désintégration de la Yougoslavie, de la Tchécoslovaquie et de l’Union soviétique a fait passer le nombre des États voi- sins de la Hongrie de cinq à huit. Et, plus impor- tant encore, cinq de ses voisins sont des États nouveaux. Enfin, il faut mentionner la guerre en ex-Yougoslavie, une guerre bien rkelle dans le voisinage immédiat de la Hongrie et de nom- breux autres pays de la région.

Un pareil bouleversement des données géo- politiques nécessite une réévaluation profonde des concepts et des structures de sécurité des pays concernés. Il explique l’intérêt accru pour de nouvelles méthodes de diplomatie préven- tive et de gestion des crises, y compris de nou- velles exigences en termes de maintien de la paix. La situation actuelle justifie la recherche déterminke de garanties réelles qui peuvent être assurées, tout d’abord, par la voie de la coopkation et de l’intégration. Face à la décomposition, il y a donc des efforts impor- tants à faire dans cette région pour trouver les moyens de recomposition, parfois dans de nouveaux cadres institutionnels.

C’est un immense défi. Cependant, pour les PECO, c’est seulement une partie de l’histoire. L’autre partie, non négligeable, est la dimen- sion interne du changement : la transformation du système préckdent, qui était 2 la fois anti- démocratique et inefficace.

Faute de temps, le rôle des armées au sein du régime communiste ne peut pas être ana- lysé en détail. Pour l’essentiel, avant 1990, dans les PECO, les forces armées étaient extrême- ment politisées et considkées comme l’un des piliers du système dit socialiste, non seulement au niveau national, mais aussi international (dans le cadre du Pacte de Varsovie).

L’armke n’a pas joue un rôle politique auto- nome dans la sociW communiste. De ce point de vue egalement, la différence est considé- rable avec l’expérience de nombreux pays afri- cains, qui vient de nous être présentée. C’est plutôt une symbiose qui existait entre le parti unique au pouvoir et les forces armees. Le parti exerçait un contrôle strict sur les forces armées par l’intermédiaire de ses cellules, de ses offi- ciers politiques et de l’éducation idéologique permanente. Un mécanisme robuste avait été

Page 81: Des insécurités partielles à la

La mutation du système - 1 ‘instauration de l’État de droit, le pluralisme des partis et la mise en œuvre de l’économie de marché- a exigé une redé$nition des rapports entre le civil et le militaire, y compris des relations entre 1 ‘autorité politique et le commandement de l’armée.

Dans les PECO, 1 ‘établissement du contrôle civil sur les forces armées n ‘est pas un but en soi. Il sert essentiellement à consolider davantage 1 ‘ordre démocratique naissant dans ces États.

mis sur pied pour garantir la loyauté incondi- tionnelle de l’armée vis-à-vis du parti. C’était un contrôle politique bien réel, efficace même, mais, évidemment, il ne s’agissait pas d’un contrôle démocratique.

La mutation du système - l’instauration de l’État de droit, le pluralisme des partis et la mise en œuvre de l’économie de marché - a exigé une redéfinition des rapports entre le civil et le militaire, y compris des relations entre l’autorité politique et le commandement de l’armée. L’objectif déclaré était de créer une structure et une culture de défense comparables, pour l’es- sentiel, au modèle occidental.

Cependant, à l’heure actuelle, il existe encore dans les PECO un fossé considérable entre les déclarations d’intention et la réalité du contrôle civil sur les forces armées. Les PECO ont réalisé des progrès importants dans la voie de la dépolitisation des armées : la suppression du monopole et des privilèges de l’ancien parti unique s’est déroulée relativement vite et sans à-coups. Enfin, il faut mentionner la législation en matière de défense, l’établissement d’un cadre légal et constitutionnel conforme aux normes démocratiques qui a également pro- gressé d’une façon plutôt encourageante.

Par rapport à ces résultats, les mutations ins- titutionnelles et personnelles, traduisant les sti- pulations juridiques en faits politiques, sont très souvent en net décalage. Même aujourd’hui, dans de nombreux cas, il existe toujours des ambiguïtés en termes de répartition des attribu- tions entre le ministère de la défense et l’état- major général. Parfois, on voit encore des polé- miques <c gouvernement contre président >) pour le contrôle de l’armée. Évidemment, le flou entourant les autorités respectives rend difficile le fonctionnement normal des différentes institutions, et empêche également les relations

civilo-militaires d’évoluer plus harmonieuse- ment qu’aujourd’hui.

A cet égard, il faut également mentionner que, dans les PECO, très peu de civils encore travaillent aux ministères de la défense en tant que fonctionnaires, experts ou conseil- lers. Aujourd’hui encore, le passé totalitaire explique principalement cette situation. Il y a souvent des réticences à engager davantage de civils dans l’appareil ministériel. Il est égale- ment significatif que la plupart des pays de la région manquent encore d’institutions compa- rables à l‘Institut français des hautes études de défense nationale, où des civils suivent une for- mation d’experts non militaires de la défense.

L’enseignement et l’éducation en général peuvent également contribuer au rétablis- sement du prestige de l’armée dans les sociétés G’ démocratisantes )>. Ces armées, qui traversent de profondes transformations, méritent que l’opinion soit « retournée en leur faveur )a. Or il me semble que la restauration du prestige des forces armées est un aspect parfois négligé des réformes en cours.

Pour conclure, le débat d’hier a bien souli- gné l’interdépendance étroite existant entre la sécurité internationale, d’une part, et la stabilité des institutions démocratiques internes, d’autre part. Dans les PECO, l’établissement du contrôle civil sui les forces armées n’est pas un but en soi. Ii sert essentiellement à consolider davantage l’ordre démocratique naissant dans ces États.

Des procédés démocratiques et une trans- parence accrue sont, à leur tour, susceptibles de renforcer la confiance entre les États. Plusieurs moyens permettent d’accélérer cette évolution, tels que l’enseignement et l’intégra- tion dont ma collègue, Réka Szemerkenyi, à qui je cède la parole, va vous parler plus en détail.

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NTRÔLE DÉMOCRATIQUE DES ARMÉES D’EUROPE CENTRALE ET 0

2” partie

par Réka Szemerkenyi, chercheur à

l’international Institute for Strategic Studies (E?S) de Londres

M. Joo a très bien résumé les multiples défis que vont devoir relever les forces militaires, les politiciens et la société civile pour conduire une réforme de l’armée dans l’esprit de l’époque de l’après-guerre froide. Il vous a éga- lement promis que j’aurais des propositions à faire sur la manière dont l’armée elle-même pourrait contribuer à accélérer ce processus. Effectivement, l’heure est venue de faire le point des réformes engagées au cours des six années passées, depuis la fin de la guerre froide, de dresser le bilan des succès et des échecs, d’en tirer des conclusions pour l’avenir et de réfléchir à la suite des événements. C’est ce que je vais m’efforcer de faire à présent.

Les relations entre civils et militaires consti- tuent la face cachée de la stratégie. Et la réflexion stratégique a connu de formidables bouleversements, ces temps derniers, en Europe centrale et orientale. Alors qu’elles étaient auparavant organisées en structures à visée essentiellement offensive, les armées des nouveaux États indépendants d’Europe centrale et orientale ont dû se doter des caractéristiques de forces de défense nationale et des moyens de coopérer avec leurs anciens ennemis. Au surplus, elles ont dû s’adapter à une nouvelle réflexion internationale sur l’usage de la force militaire, surtout pour les opérations de main- tien de la paix et de la stabilité. Ces deux nou- velles fonctions intéressent tout particulière- ment notre débat.

Il y a six aspects que j’aimerais aborder briè- vement pour ce qui a trait à la réforme de l’ar- mée en Europe centrale. Je crois qu’une grande partie de l’expérience de cette région du monde est pertinente pour vos travaux.

Les trois premiers aspects de la conception nouvelle des forces armées que je souhaiterais évoquer sont d’ordre politique, financier et

bureaucratique, tandis que les trois derniers concernent l’éducation, les relations publiques et des facteurs d’ordre structure1 et fonctionnel. Je commencerai par l’aspect politique.

Pendant quarante ans, les forces armées d’Europe centrale ont été accoutumées à accepter que l’influence politique et l’engage- ment individuel déterminent les conditions de la promotion et de l’avancement. Dans ces conditions, faire évoluer les mentalités relève véritablement du défi. Bien que les réformes juridiques et constitutionnelles aient suffi à mettre un terme aux liens officiels entre le corps des officiers et les partis politiques, une analyse attentive montre que, six ans après les changements, les liens officieux entre militaires et anciens partis communistes subsistent, de même que les sympathies des premiers à l’égard des seconds. Il existe un clivage, au sein de l’armée, entre les militaires de l’ancienne génération et les plus jeunes, et ce sont les pre- miers qui entretiennent ces liens officieux, qui suffisent cependant à créer une sorte de résis- tance passive à un grand nombre des réformes de l’armée et se transforment parfois en « obs- tructionnisme de coulisse >a.

Les relations entre civils et

militaires constituent la

face cachée de la stratégie.

Le deuxième problème est d‘ordre financier. La réduction des budgets de la défense est généralement citée comme étant l’un des plus graves obstacles à la réforme de l’armée. J’aimerais, à cet égard, souligner deux aspects de la chose. Premièrement, la diminution de la part du budget militaire dans le PNB en Europe centrale ne date pas seulement de 1990, puis- qu’elle avait déjà commencé au milieu des années 80, et ce, dans la quasi-totalité des pays. Par conséquent, la situation actuelle résulte de l’effet cumulé d’un processus entamé il y a de cela près d’une dizaine d’années. Deuxième- ment, il existe une exception à cette tendance

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Page 83: Des insécurités partielles à la

Il serait important de se concentrer également sur la nécessité de former les civils à réjéchir sur le nouveau rôle des forces armées.

Réformer non seulement la formation mais aussi l’éducation militaire. Une nouvelle ré$exion stratégique sur les forces armées doit porter non seulement sur la coopération technique mais aussi sur le nouveau rôle des militaires en tant qu ‘artisans de la stabilité démocratique.

qui mérite d’être gardée à l’esprit. La Pologne a été le seul pays de la région à enregistrer un taux de croissance économique positif, une situation qui n’a pas eu les mêmes effets sur les dépenses militaires que dans la République tchèque et en Hongrie, qui n’ont pas tardé non plus à prendre le chemin de la croissance. En 1995, la part (fixée) des dépenses militaires dans le budget était de 2,6 % en Pologne ; elle a été portée à 3 % en 1996 mais, si l’on ajoute à cela que l’économie polonaise devrait pro- gresser de 5 à 10 % en 1996, on peut voir que la tendance ne sera pas la même que dans d’autres pays de la région. Dans la République tchèque, par exemple, les dépenses militaires ont chuté de 33 % en l’espace d’une année, entre 1989 et 1990. Alors qu’elles représentaient 4,7 % du PNB en 1995, elles n’étaient plus que de 2,36 % en 1995. De même, en Hongrie, si l‘on prend l’année 1988 comme base 100, les dépenses militaires n’étaient plus que de 79 en 1990 et de 37 en 1995, après avoir été successivement de 64, 57, 54 et 49 au cours des années intermédiaires. Par conséquent, l’on a enregistré une diminution de près des deux tiers.

J’en viens au troisième aspect, celui d’ordre bureaucratique. Même si les autorités ont offi- ciellement indiqué qu’elles voulaient placer l’armée sous surveillance civile, les militaires sont les seuls à posséder les connaissances de base nécessaires pour gérer un ministère de la défense. voire pour assurer leur propre gestion administrative et financière. Tous les PECO souffrent d’une pénurie chronique de civils dotés de compétences et de connaissances dans le domaine des affaires militaires et des questions de sécurité, notamment du rôle nou- veau des militaires en tant que défenseurs de la paix et de la stabilité -le thème de notre conférence d’aujourd’hui.

Quatrième aspect : l’éducation. De nom- breux projets bilatéraux et multilatéraux de réforme de l’armée ont été entrepris depuis 1990. Toutefois, je suis d’avis que la plupart d’entre eux sont essentiellement des pro- grammes conçus par des militaires pour des militaires, ou par des pays de 1’OTAN pour des pays d’Europe centrale et orientale, de même qu’ils concernent plus souvent la formation que l’éducation. Il existe très peu de programmes conçus par des civils pour des civils, qui fassent le pendant de la coopération entre militaires ; et même les programmes théoriquement ouverts à la fois au secteur civil et au secteur militaire privilégient, dans la pratique, les mili-

taires. Il serait important de se concentrer éga- lement sur la nécessité de former les civils à réfléchir sur le nouveau rôle des forces armées.

Cinquième aspect : les relations publiques, ou l’image des militaires auprès du public. Je pense qu’il existe en Europe centrale une grande diversité de perceptions de l’armée. Parfois, l’opinion publique est très favorable aux forces armées, tandis qu’ailleurs, comme en République tchèque, les affaires militaires sont pour ainsi dire absentes des thèmes de politique intérieure. Je crois que ce désintérêt vis-à-vis des questions militaires est une ten- dance régionale. Il existe cependant une forme d’intervention militaire qui bénéficie clairement de l’appui du public : il s’agit précisément du thème dont nous parlons ici, à savoir, le nouvel usage de la force militaire pour contribuer au renforcement de la stabilité et à la construction de la paix de par le monde. C’est la raison pour laquelle l’opinion publique est favorable à la participation des forces armées nationales à des opérations internationales.

Le dernier point que j’aimerais évoquer concerne l’aspect structure1 et fonctionnel des réformes. En Europe centrale, un double pro- cessus s’est engagé : la réduction des effectifs et des moyens militaires et leur restructuration à la suite de la disparition du Pacte de Varsovie. Il existe toutefois un troisième élément du pro- blème, qui résulte de la nouvelle tendance internationale au maintien de la paix et du rôle nouveau de l’armée dans ce contexte. Bien qu’elles aient eu l’occasion de participer, depuis de nombreuses années déjà, à de mul- tiples exercices de maintien de la paix dans le monde entier, les forces armées continuent d’y voir plutôt un aspect exceptionnel de leur rôle qu’une forme nouvelle d’intervention militaire. C’est un élément qu’il convient d’ajouter aux multiples pressions qui s’exercent déjà sur les armées d’Europe centrale.

Que faut-il conclure de tout cela, en ce qui concerne la possibilité d’accélérer les réformes ?J’aimerais profiter de l’occasion pour proposer une démarche ou une politique à trois volets visant à faire de l’armée un véritable instrument de paix et de stabilité.

Le premier volet, axé sur les forces armées elles-mêmes, consisterait à réformer non seule- ment la formation mais aussi l’éducation mili- taire. Une nouvelle réflexion stratégique sur les forces armées doit porter non seulement sur la coopération technique mais aussi sur le nou- veau rôle des militaires en tant qu’artisans de la stabilité démocratique.

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Page 84: Des insécurités partielles à la

Un deuxième volet de cette stratégie Le troisième et dernier volet devrait être axé concernerait le côté politique et civil. La nou- sur le public et sur ceux qui façonnent l’opi- velle réflexion stratégique doit s’articuler autour nion publique. L’image de l’armée en tant que du rôle des militaires dans les opérations inter- fardeau financier dans le processus de transfor- nationales, et trouver sa concrétisation tant mation doit changer et se porter plutôt sur le dans les budgets de la défense que dans les rôle nouveau des forces militaires en Europe conceptions bureaucratiques professionnelles. centrale dans le maintien de la stabilité.

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L’EXPLOITATION CIVILE DU POTENTIEL TECHNOLOGIQUE, SCIENTIFIQUE ET LOGISTIQUE DES ARMÉES

par Luciano Caglioti, Directeur des projets stratégiques au

Centre national de la recherche scientzjîque d’Italie

Depuis la chute du mur de Berlin, en 1989, le monde traverse une période de bouleverse- ments : de nombreux États - par exemple l’Union soviétique, la Yougoslavie ou la Tchécoslovaquie - se sont désagrégés sous la poussée de mouvements d’indépendance internes ; d’autres, comme le Canada, sont au bord de la dislocation ; d’autres encore connaissent des turbulences, ainsi la France avec la Corse, l’Espagne avec la Catalogne, la Belgique à cause de la division entre Flamands et Wallons, et l’Italie, où les régions du nord posent un problème grandissant. Dans le même temps, le conglomérat des deux cents plus grandes entreprises et banques (qu’Ignatio Ramonet a appelé, dans Le Monde dgloma- tique, « le club des 200 z~> a vu sa part dans le PNB mondial passer de 16 % en 1965 à 29 % en 1989. Et la « privatisation ~1 de groupes, les fusions de grosses sociétés, l’expansion des firmes occidentales en Russie, en Chine, au Viet Nam et en Extrême-Orient portent cette part à des niveaux plus élevés encore, dépassant peut-être 30 ou 35 %.

Pour la plupart de ces sociétés, le point de départ est la technologie ; cela signifie que le développement et l’expansion des technologies transforment non seulement le monde de la production mais aussi les sphères de la poli- tique et de l’économie. La mondialisation de l’économie, l’immigration du Sud et de l’Est dans les pays européens, ainsi que les change- ments dans les orientations militaires, posent de nouveaux problèmes mais ouvrent sans doute également de nouvelles possibilités. Confrontés soudain à des situations nouvelles, nous devons trouver de nouvelles façons de résoudre des problèmes nouveaux et inatten- dus, et rechercher aussi bien de nouvelles stra- tégies que de nouvelles possibilités.

Simultanément, le monde militaire met en place de nouvelles stratégies d’interaction avec la société civile : la grande réforme proposée par le président Chirac constitue peut-être un premier pas vers la prise de décisions ana- logues dans le reste de l’Europe.

Nous assistons, de plus, à l’émergence de nouveaux traits de société dont l’importance concerne le monde civil comme le monde mili- taire : je veux parler de l’instabilité et du terro- risme au Japon, en France ou en Italie. En 1~ sur- fant » sur Internet, on trouve aussi bien le résumé d’un discours prononcé hier que nombre de documents étonnants, tels que le Manuel du ter- roriste - quarante pages d’instructions sur la manière de fabriquer une bombe avec des pro- duits que chacun peut aisément se procurer - ou Comment tout faire sauter, autre manuel d’instructions destiné à d’étranges lecteurs.

La région méditerranéenne présente pour nous tous un intérêt particulier. Rappelons- nous ce qui s’est passé en Asie du Sud-Est lorsque les guerres de Corée et du Viet Nam se sont enfin terminées. Un grand centre techno- logique comme le Japon et la force de travail de millions et de millions de gens ont été à l’origine de l’émergence d’un pôle de produc- tion majeur - comme nos marchés le savent bien. La même chose pourrait arriver dans la région méditerranéenne : il existe, en Israël et en Europe méridionale, d’importantes concen- trations technologiques ; nous avons la main- d’auvre, nous avons également les matières premières, depuis les phosphates du Maroc jus- qu’au méthane et au pétrole d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.

Dans ces conditions, la science et la tech- nologie offrent l’un des moyens, sinon le seul, de traiter les nouveaux problèmes auxquels nous sommes confrontés, qu’il s’agisse de

La mondialisation de 1 ‘économie,

l’immigration du Sud et de l’Est dans les pays

européens, ainsi que les

changements dans les

orientations militaires, posent

de nouveaux problèmes mais

ouvrent sans doute également

de nouvelles possibilités.

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Page 86: Des insécurités partielles à la

La collaboration entre le monde civil et le monde militaire est une tâche complexe pour l’un comme pour 1 ‘autre, où vont de pair dfjcultés d’interaction et retombées technologiques.

l’accroissement de la population urbaine et des problèmes environnementaux ou des nouvelles maladies liées, d’une manière ou d’une autre, aux variations considérables de la population mondiale et de sa localisation géographique, sans parler des dangers naturels connus de longue date comme -les secousses sismiques, les inondations, etc.

La collaboration entre le monde civil et le monde militaire est une tâche complexe pour l’un comme pour l’autre, où vont de pair diffi- cultés d’interaction et retombées technolo- giques : des technologies qui ont été élaborées pour le domaine militaire trouvent de nom- breuses applications dans notre vie quoti- dienne - telles que les fours à micro-ondes ou les poêles à revêtement teflon de nos cuisines - ou dans nos sociétés - comme l’énergie nucléaire. Les articles publiés au sujet des applications des technologies militaires au sec- teur civil mentionnent, en général, quatre types de technologies : les transistors et circuits inté- grés, les machines à programmation automa- tique, les circuits intégrés à très grande vitesse et le programme de calcul stratégique.

Entre autres espoirs, notre réunion d’aujour- d’hui a celui d’encourager une collaboration internationale à grande échelle - promue par 1’UNESCO sur les deux rives de la Médi- terranée, comme l’a proposé son Directeur général, M. Federico Mayor - sur des sujets à la fois importants et utiles pour les êtres humains, mais propres également à intensifier la coopération entre les armées des pays médi- terranéens et la population de ces régions.

Le premier domaine auquel on pense immé- diatement est celui de la télémédecine, un terme qui recouvre différentes activités dont, le plus souvent, celles du télédiagnostic et de la téléassistance. Le télédiagnostic consiste à transmettre des images obtenues par radiogra- phie, résonance magnétique nucléaire, électro- cardiographie, etc., d’un laboratoire périphé- rique à un hôpital bien organisé qui posera le diagnostic et définira les mesures thérapeu- tiques à prendre. Du (< matériel de terrain ‘1 mili- taire, tant du côté de l’appareillage et de la transmission que de celui des spécialistes, peut être indispensable à ce type d’approche, qui permet d’éviter un afflux de population inutile de la périphérie vers les villes : le télédiagnos- tic permet de déterminer qui a besoin d’être hospitalisé et qui peut être soigné à domicile.

La télémédecine donne en outre la possibi- lité de soigner chez elles des personnes âgées, simplement à l’aide d’appareils télématiques qui transmettent des données sur leur cœur, leur tension artérielle et d’autres paramètres essentiels.

En cas de catastrophe naturelle, ou quand une vaccination de masse est nécessaire, l’ar- mée peut fournir à la population un matériel efficace. La collaboration entre le civil et le militaire est également essentielle pour la sur- veillance de la pollution de l’environnement ou de la désertification.

Il existe encore un autre domaine où cette collaboration peut se révéler très précieuse : celui des biens culturels.

Notre patrimoine culturel témoigne de nos racines communes. Pour les nouvelles généra- tions, nous avons le devoir de préserver ce patrimoine que nous ont transmis nos ancêtres. Des facteurs environnementaux, en particulier dans les villes, détériorent les matériaux : les différents oxydes d’azote (NO,), l’anhydride sulfureux (S02), l’ozone et la lumière ont des effets nocifs, d’une sorte ou d’une autre, sur le marbre, les métaux et la pierre. Quant aux secousses sismiques, elles menacent la sta- bilité des églises, des palais et des murs anciens.

De plus, de nombreux objets n’ont pas encore été localisés, et nous devons recourir au géoradar, à des instruments sous-marins et à l’observation par satellite pour retrouver, sous terre ou sous la mer, d’anciens murs ou villas de l’époque romaine ou grecque, ou à des détecteurs de métaux pour repérer des objets métalliques.

En ce qui concerne la protection contre les secousses sismiques, nous disposons de pro- duits pour la restauration des biens, leur conso- lidation et leur préservation.

La collaboration, tant au niveau national qu’international, entre experts civils et mili- taires pour la formation de spécialistes est, en outre, un facteur important pour la modernisa- tion de nos pays.

Les propositions dont nous débattons ici sont essentielles. Elles offrent une réponse au changement, sur la base d’arguments tech- niques et de considérations qui unissent les peuples au lieu de les diviser, des considéra- tions comme la santé, la sécurité, la protection de l’environnement et la culture.

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LE NOUVEAU RÔLE DE L’ARMÉE DANS LA CONSOLIDATION DE LA PAIX

par Janusz Symonides, Directeur de la Division des droits de l’homme,

de la démocratie et de la paix à I’UNESCO

Je dois avouer qu’ayant occupé un rang des plus modestes dans la hiérarchie militaire, je me sens un peu gêné en présence de tant de généraux et de colonels. Puisque je prends la parole en dernier, un certain nombre des remarques que je souhaitais faire ont déjà été présentées, ce qui me permettra d’être assez bref.

Avant d’entrer dans le débat sur les rôles nouveaux des armées dans la consolidation de la paix, il convient d’abord de dire quelques mots sur leurs rôles G< traditionnels ». Quels sont ces rôles et ces missions traditionnels dont s’ac- quittent les armées ? Naturellement, celles-ci défendent les États contre les attaques et les agressions extérieures. Elles protègent les fron- tières nationales. Elles maintiennent la stabilité intérieure et rétablissent, quand cela est néces- saire, l’ordre constitutionnel. Très souvent, la puissance militaire détermine la position de l’État dans la communauté internationale. Le terme de ec superpuissance » repose sur la pos- session d’armes nucléaires stratégiques. Tous les membres permanents du Conseil de sécurité sont des puissances nucléaires. La force mili- taire sert depuis des siècles d’instrument au ser- vice de la politique étrangère. La pression, la menace et l’usage de la force militaire ont permis d’atteindre des objectifs de politique étrangère.

Ces fonctions traditionnelles restent-elles toutes valables dans un nouveau contexte inter- national, une nouvelle situation internationale ? Certes, la fin de la guerre froide, la fin de l’affrontement idéologique ont, dans une large mesure, écarté le risque d’un conflit mondial nucléaire ou conventionnel. Beaucoup de représentations de l’ennemi ont été transfor- mées ou éliminées. Beaucoup de menaces pour la sécurité ont disparu. Des doctrines mili-

taires nouvelles font l’objet de discussions, telles que la suffisance militaire ou la défense non offensive.

Quelles sont celles des fonctions tradition- nelles des armées qui restent encore valables ? Peut-être finirons-nous par admettre que la défense d’un État contre une agression et une attaque extérieures est probablement moins importante aujourd’hui qu’autrefois. Comme on l’a dit hier, c’est peut-être vrai pour certaines régions, comme l’Amérique du Nord et l’Europe, mais cela l’est moins pour le Moyen- Orient ou l’Asie. Peut-être la puissance militaire n’est-elle plus maintenant aussi importante pour déterminer la position des États. Dans la discussion en cours sur les changements dans la composition du Conseil de sécurité, ce n’est pas tant la puissance militaire que les facteurs économiques ou politiques qui sont pris en considération. On peut également dire qu’aujourd’hui, la force militaire est moins effi- cace comme instrument de la politique étran- gère qu’elle n’avait coutume de l’être.

Cela signifie-t-il que le facteur militaire est sans importance aujourd’hui? Ma réponse est non ! Si certaines fonctions traditionnelles des armées sont peut-être en déclin, d’autres au contraire se développent. La prolifération des conflits internes crée le besoin de préserver la stabilité intérieure et l’ordre constitutionnel. La protection des frontières acquiert elle aussi une dimension nouvelle. Avec les bouleversements introduits dans le droit de la mer, la protection de la zone économique des deux cents milles constitue pour de nombreux pays un grave problème.

Les armées peuvent opérer non seulement au niveau national mais également au niveau international. Aussi peut-on parler des rôles internationaux et des missions internationales

Si certaines fonctions

traditionnelles des armées

sont peut-être en déclin,

d’autres au contraire

se développent.

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Oui, les armées peuvent faire beaucoup pour promouvoir le respect des droits de l’homme. Et souvenons- nous que la question du respect des droits de l’homme comporte deux dimensions au sein des armées et dans les relations entre les armées et la population.

de l’armée. Quels changements peut-on voir là ? Les spécialistes du droit international connaissent bien la situation où des armées agissent au nom de la communauté internatio- nale. Quel que soit leur pavillon, les navires de guerre ont le droit d’arraisonner et d’inspecter tout bateau et d’arrêter son équipage en cas de piraterie et d’esclavage. La Convention de Montego Bay (1982), entrée en vigueur l‘an dernier. a même élargi ces fonctions puisqu’elle autorise l’intervention des navires de guerre dans la lutte contre le trafic de drogues illicites.

A cela s’ajoute une autre dimension : l’utili- sation de la force militaire et des armées pour l’autodéfense collective au titre de sanctions militaires ou d’actions contre une agression. La Charte des Nations Unies a prévu un système de sécurité collective au moyen de forces armées des Xations Unies et du Comité d’état- major. Ce système ne pouvait pas être mis en place au temps de la guerre froide. Celle-ci ayant pris fin, la question est posée de savoir s’il est nécessaire de créer une armée des Nations Unies. Pour diverses raisons. cepen- dant, la création d’une telle armée est une pos- sibilité passablement lointaine.

La fonction internationale qui est actuelle- ment en plein essor est,le maintien de la paix. A l’évidence, le rôle des militaires y est très important. Il suffit, pour s’en convaincre, de quelques chiffres. En 1987, dix mille soldats ont participé à des opérations de maintien de la paix. En 1993, leur nombre avait été multiplié par sept, pour atteindre soixante-dix mille. Quelles sont les tâches dont s’acquittent ces soldats ? On peut énumérer un certain nombre d’activités militaires, comme la séparation des forces en présence, l’application d’embargos, le désarmement et le déminage. Ils s’acquittent également de tâches civiles, comme le contrôle de la mise en œuvre d’accords de paix, la pro- tection des victimes et des réfugiés, l’organisa- tion et la surveillance d’élections, etc.

Les opérations de maintien de la paix sou- lèvent deux questions. La première est de savoir s’il faut utiliser du personnel militaire pour remplir des fonctions civiles ou des tâches de police. Des doutes ont été exprimés à ce sujet. L’autre question concerne le caractère des opérations militaires : doivent-elles se limiter au seul maintien de la paix, ou une autre fonction, celle d’imposer la paix, doit-elle s’y ajouter ? Le Secrétaire général des Nations Unies la men- tionnait dans son rapport à l’Assemblée géné- rale en 1994, mais la réponse des Nations Unies a été plutôt négative. L’ONU n‘est pas encore

prête à conduire ou à organiser une telle tâche. Il faudrait plutôt la mener en coopération avec des structures militaires régionales telles que 1’OTAN. Il ne faut pas oublier que le maintien de la paix est une opération qui se fonde sur le chapitre VI et non sur le chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Les nouveaux déve- loppements en matière de maintien de la paix sont liés à des arrangements de mise en attente par lesquels certains pays acceptent de dési- gner à l’avance des forces qui seront affectées au maintien de la paix. La Jordanie, le Danemark et le Ghana ont contracté une obli- gation de ce genre.

Par les opérations de maintien de la paix, les forces armées contribuent largement à consolider la paix entre les parties. Mais nous devons nous souvenir qu’en soi, le maintien de la paix est aussi une mesure de confiance. Si nous considérons que, dans certaines opéra- tions, on a vu coopérer le personnel militaire de plus de quarante-six pays, de diverses régions, de diverses cultures, de diverses reli- gions. cela devient de toute évidence un élé- ment important créant la confiance entre les troupes et armées participantes.

Permettez-moi à présent de dire quelques mots sur les armées et les droits de l’homme, le droit humanitaire, le pluralisme culturel et le dialogue. La liste des sources de conflit dans le monde actuel est prodigieusement longue. Elle comprend notamment des violations massives des droits de l’homme et une discrimination à l’encontre de personnes appartenant à des minorités ethniques, nationales, religieuses et linguistiques. et de populations autochtones. Peut-être convient-il d’ajouter à cette liste le nationalisme extrême et l’extrémisme religieux. Des armées peuvent-elles être d’une aide quel- conque pour contribuer à éliminer de telles sources de conflit? Oui, les armées peuvent faire beaucoup pour promouvoir le respect des droits de l’homme. Et souvenons-nous que la question du respect des droits de l’homme comporte deux dimensions : au sein des armées et dans les relations entre les armées et la population. Dans les armées totalitaires, la dignité humaine était violée. Aussi est-il d’une extrême importance, dans les pays en voie de démocratisation, que la dignité humaine soit pleinement rétablie et respectée dans l’armée.

Il est important également de promouvoir le droit humanitaire. Dans un contexte nou- veau, marqué par la prolifération des conflits internes, les droits de la population civile sont massivement violés. C’est pourquoi la

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protection de la population civile est d’une extrême importance. Les conventions de Genève et les deux protocoles additionnels pour la protection des victimes de conflits armés internationaux et non internationaux ne garantissent pas pleinement la protection nécessaire. Des armées sont utilisées dans diverses situations, telles qu’états d‘urgence, troubles ou crises publics, qui ne peuvent pas être qualifiées de conflits armés. La question des normes humanitaires minimales à respecter dans ces situations revêt donc la plus haute importance.

La montée du nationalisme extrême fait sur- gir le risque que l’État apparaisse comme la propriété d’un groupe ethnique ou national, ou d’une religion. La situation est plus dangereuse encore lorsque l’armée est considérée comme le défenseur d’un groupe, d’une religion ou d‘une idéologie. C’est pourquoi l’accès à l’ar- mée, son <G ouverture a> 2 tous les groupes et seg- ments de la société et la représentation de ceux-ci dans l’armée sont d’une grande impor- tance. Les armées doivent protéger les intérêts de la société tout entière. De ce point de vue, les arrangements de paix prévoyant, dans le cadre d‘une réconciliation générale, l’intégra- tion de forces « rebelles >’ au sein des forces gouvernementales peuvent être considérés comme un pas dans la bonne direction.

Au cours de ce colloque, on a plusieurs fois demandé si 1’UNESCO coopérait avec des armées. Permettez-moi de rappeler brièvement que, dans la mesure où il s’agit de la promotion des droits de l’homme et du droit humanitaire, I’UNESCO a créé tout le réseau de chaires qui coopèrent avec les armées. Pour le présent exercice biennal (1996/1997), nous avons un projet pilote spécial sur la promotion du droit humanitaire en Europe centrale et orientale ; pour le prochain exercice (1998/1999), cela est prévu pour l’Afrique. L’UNESCO organise actuellement un certain nombre de conférences auxquelles participent des représentants d’ar- mées et d’écoles militaires. En 1994, par exemple, nous avons tenu en Pologne un sémi- naire sur l’éducation pour les droits de l’homme au niveau universitaire, et une table ronde spéciale a été consacrée à l’éducation pour les droits de l’homme dans les écoles

militaires. En avril 1995, nous avons tenu à Moscou une conférence sur l’éducation pour la démocratie et le droit humanitaire, avec une impressionnante représentation de diverses écoles militaires et du Ministère de la défense. En septembre 1995, nous avons organisé une réunion à Shimla (Inde), avec la participation de membres du haut commandement qui ont présenté d’intéressants programmes sur la pro- motion des droits de l’homme et du droit humanitaire dans l’armée indienne.

Permettez-moi de conclure par quelques brèves remarques. Nous traversons, sans aucun doute, une époque de mutations et de trans- formations profondes. Il n’est pas surprenant que celles-ci apportent l’instabilité et l’insécu- rité. Les armées se trouvent confrontées à de nouveaux défis. Il leur est possible de promou- voir la stabilité et de consolider la paix, à condition qu’elles acceptent leurs nouveaux rôles et fonctions, sur les plans national, régio- nal et mondial. Comme le Directeur général l’a dit à plusieurs reprises, il est toujours plus coû- teux et moins efficace de réprimer ou de réta- blir ou imposer la paix que de prévenir, d’éli- miner les causes profondes d’un conflit. Les armées peuvent contribuer à éliminer diverses sources de conflit, notamment celles qui tien- nent à la discrimination frappant des groupes vulnérables et à la violation des droits de l’homme et des principes démocratiques.

L’utilisation de la force militaire reste légi- time. Néanmoins, cette force ne devrait être uti- lisée que d’une manière limitée, dans des cas extrêmes, parce que, habituellement, les armes créent plus de problèmes qu’elles n‘en résol- vent. Il est vrai qu’il existe maintenant des armes dites « intelligentes 13, plus précises qu’au- paravant, qui limitent probablement le nombre des victimes. Elles sont toutefois conçues pour détruire. L‘opinion démocratique ne peut guère accepter des pertes massives de vies humaines. Le droit à la vie est un droit fondamental de l’homme.

J’aimerais terminer sur une note encoura- geante : dans les discussions sur l’utilisation de la force militaire, les représentants des armées sont très souvent plus circonspects, plus pru- dents, plus mesurés, en un mot plus respon- sables que bien des politiciens.

Les armées se trouvent

confrontées à de nouveaux défis.

Il leur est possible de promouvoir

la stabilité et de consolider

la paix, à condition qu ‘elles

acceptent leurs nouveaux rôles

et fonctions, sur les plans

national, régional et

mondial.

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v. SYNTHÈSE DES TABLES RONDES

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SYNTHÈSE DES DÉBATS ISSUS DES TABLES RONDES

par Pb ilippe Ra tte, Directeur des études

de l’Institut des hautes études de défense nationale

1. Deux constats ettrois refus

Les tables rondes qui ont occupé la première partie de notre symposium ont versé au dossier qui nous occupe - comment passer des insé- curités partielles à la sécurité globale-des contributions de grande valeur auxquelles on ne rend pas justice en les groupant en une syn- thèse : toutes ont présenté une richesse et une pertinence qui dénoncent d’avance le projet d’en recueillir l‘essentiel en une forme de pre- mier bilan. Il est néanmoins utile 2 la poursuite de nos travaux, sinon d’avoir cette outrecui- dance, du moins de proposer un rappel des traits saillants de la réalité, qui sont apparus comme par recouvrement des diverses lectures que nous en ont tour à tour proposées les ora- teurs successifs, à la manière dont la superpo- sition en transparence de fragments d’un mes- sage crypté permet soudain d’en deviner le sens, masqué dans chacun d’eux.

A travers toutes ces interventions, nous sommes invités à faire tout d‘abord trois consta- tations fondamentales. a) La première, c’est que le problème de la

paix est essentiellement (c’est-à-dire dans son essence) une affaire civilo-militaire. La force militaire est incapable de le résoudre, mais il n’existe pas non plus de solution qui en fasse l’économie. La formation dans laquelle nous nous rencontrons ici et la matrice de nos travaux que sont les instituts de défense, ouverts, pour beaucoup d’entre eux, aux civils comme aux militaires, consti- tuent un atout très favorable pour traiter un tel thème. Cela nous encourage dans notre mission et conforte notre ambition, mais cela nous aide surtout à aller à l’essentiel : la paix n’est pas un état stable, gardé (ou bou-

b>

leversé) par des militaires pour le bonheur (ou le malheur) des civils. Elle est une dynamique à reprendre sans cesse par une combinatoire intelligente de force et de pré- venance, d’action et de prévention, d‘inter- vention et de gestion. La paix n’existe que comme résultante d’une action civilo- militaire appropriée, dans laquelle, parfois, l’un des deux termes peut momentanément tendre vers zéro mais sans jamais y atteindre ni même trop s’en approcher, sous peine de calamités redoutables. La seconde constatation, c’est que notre débat est daté. Il ne s’agit pas d’un débat théologique ou philosophique sur la sécu- rité ; il s’agit de parler aujourd’hui, et d‘une manière qui peut-être sera périmée demain, d’une situation qui se passe dix ans à peu près après la fin de la guerre froide, et dix ou vingt ans peut-être avant autre chose qui échappe à notre imagination du moment et changera peut-être la donne. Débat daté, ce débat doit donc être centré sur l’action et non pas sur la théorie. La théorie est éter- nelle, l’action, c’est le moment. Cette consi- dération triviale a une portée philosophique et pratique : elle circonscrit l’horizon des rai- sons invocables dans l’ordre du praticable, et relègue donc plus loin les spéculations philosophiques proprement dites ; elle invite à des actions efficaces dès à présent, quitte à en méditer les attendus plus tard. En un mot, elle situe nos problèmes dans l’ordre du politique et de l’éthique, aussi loin de la métaphysique (cc où est le premier moteur immobile ? )B) que de la résignation (cc oui, mais qu’y faire ? 2)). Nous avons choisi de dire oui à l‘action responsable dans le monde présent, avec les moyens qu‘il requiert et les capacités qu‘il comporte.

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c) Le troisième acquis commun à constater, c’est que nous avons dit non à un certain nombre de choses, prenant ainsi une posi- tion commune sur un certain nombre de sujets.

l Pour commencer, l’idée du choc des civilisations nous paraît erronée et pernicieuse.

La raison d’être de l’institution qui nous accueille est, en vérité, de s’insurger contre cette idée et de la démentir chaque jour. Cela a été dit dès le départ avec une force admirable par M. Mayor lui-même, et développé par M. Lopes dans sa communication.

Mais notre refus s’alimente également à des convictions qui se sont forgées parmi nous : il nous a semblé que cette vision de l’histoire empruntait par trop à une référence caduque, celle du grand affrontement planétaire. Aujourd’hui que les oppositions Est-Ouest ou Nord-Sud s’estompent ou se brouillent pour laisser paraître des myriades de problèmes, à la façon dont la tombée du jour permet de voir les étoiles - jusqu’alors masquées par la trop forte lumière de l’astre proche mais qui n’en étaient pas moins là -, loin de voir monter de nouveaux chocs frontaux, nous devinons des pléiades d’arrangements imprévus, impro- bables, inespérés. Les problèmes que nous découvrons dans ce crépuscule de fausses oppositions sont concrets, ils se passent ici et maintenant. Ils ne relèvent pas d’une puissante destinée globale à la Toynbee, mais forment une nuée de situations contingentes assez fai- blement reliées entre elles. Au surplus, comme nous l’a rappelé notre collègue algérien, ces situations lourdes de problèmes inédits ne se trouvent pas que dans les pays « à risques » ; on les rencontre partout, y compris au coeur des pays réputés les plus paisibles. Loin donc de l’idée que nos peurs doivent s’alimenter au mythe d’un choc entre civilisations, notre luci- dité doit s’attacher à circonscrire et dissoudre les vésicules de venin capables d’empoisonner de l’intérieur chacune des civilisations. Dans ces perspectives, les regards croisés, l’acuité critique de tous sont précieux, au service de la civilisation tout court, entendue, à la manière de Guizot, comme le processus selon lequel l’humanité tout entière s’efforce de mieux faire. . Notre second refus collectif pourrait s’appe-

ler la peur de l’exclusion. Nous sortons d’une époque où, au fond, la dynamique pour tout État consistait à écarter les inclu- sions excessives. On cherchait à éviter

d’être trop pris dans un empire, dans un système. Laissant aux superpuissances la charge de structurer le monde, chacun cher- chait à marquer sa différence, tout en s’ac- commodant du monde en place.

Les choses sont aujourd’hui tout autres : il n’y a plus d’empire auquel se soustraire par un geste d’indépendance suffisant pour engendrer une relation structurante avec le reste du monde. Il n’a, au contraire, jamais été plus facile à quelque peuple, nation, ethnie que ce soit de prendre son autonomie, de se voir reconnaître jusqu’à l’indépendance, sans faux-fuyant. Mais cet avantage prodigieux doit s’apprécier à la lumière d’un nouveau cours du monde, de plus en plus nettement constitué en un système unique auquel il s’agit d’appartenir. En son sein, le bien vital à conquérir n’est plus l’indé- pendance - si libéralement reconnue - mais au contraire la participation, l’interdépendance. Le pire est d’être abandonné à une indépen- dance séparée, de ne pas partager les contraintes du système monde, désormais telle- ment capable de se passer de presque n’im- porte quel élément ne pouvant suivre son rythme et ses règles.

Le monde dans lequel nous vivons à pré- sent est animé par une dynamique d’intégration globale. La puissance consiste à en tirer avan- tage, et non plus à se fortifier séparément. Les plus grandes puissances se plient à cette loi, au prix, s’il le faut, des remises en question les plus radicales. Dans ce contexte, la catastrophe n’est pas d’être assimilé mais, au contraire, d’être négligé. La peur d’être exclu, ou la réa- lité de l’exclusion, est source d’une partie des troubles que nous voulions examiner. Nous disons donc non à l’exclusion, sans ignorer que ramener dans le mouvement global de l’histoire les pays, les sociétés, les groupes humains qui ont voulu .s’en distinguer ou n’ont pu s’y asso- cier constitue une tâche très lourde, très diffi- cile. Elle est pourtant inévitable, dès lors que l’insécurité est directement fille de ces exclu- sions, subies ou voulues. l Notre troisième refus, du reste, répond à

cette nécessité de réduire les sources d’insé- curité, notamment celles qu’engendre la réalité ou l’angoisse de l’exclusion, puisqu’il consiste à dire non aussi à l’inaction.

On le rappelait tout à l’heure, la paix n’est pas un état tendanciel, une référence imma- nente. C’est une action incessante. Elle n’est pas le contraire de la guerre, mais quelque chose de positif qu’il faut essayer de construire. En ouvrant nos travaux, le général Norlain

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comparait la paix à une pièce de monnaie, qui a nécessairement deux faces ; sinon, c’est sim- plement une idée de pièce de monnaie. Il y a la face de la sécurité et la face du projet huma- niste, mais l’important est de comprendre que l’une sans l’autre n’existe pas. Nous devons être très sensibles à cette double notion : la paix se construit comme la toile de Pénélope, tous les jours, inlassablement, à mesure qu’elle se défait, et elle ne peut se concevoir qu’en double face, sécuritaire et humaniste en même temps. Autrement dit, l’inaction défait virtuelle- ment la paix en cessant de lui communiquer le mouvement positif qui lui est absolument nécessaire pour s’établir et durer. Nous devons la refuser comme la cause peut-être la plus grave de l’insécurité, celle qui conduit à des situations d’exclusion et, par elles, à des affron- tements ayant des allures de chocs entre pré- tendues (< civilisations >a artificiellement distin- guées au sein du processus global de civilisation à l’œuvre sur notre Terre. Agir, par tous les moyens appropriés, est un devoir de chacun pour empêcher que cet enchaînement pernicieux ne prenne le dessus.

2.Unematrice pour affiner l'analyse

Ces trois refus, associés aux deux constats qui les avaient précédés, constituent comme un premier socle aux travaux qui nous attendent à présent. Sans doute peut-on retirer bien davan- tage des quatre tables rondes qui ont conduit à les formuler, et les présenter en forme de tableau croisé, ou de matrice, est une manière commode de signaler les points forts.

Ces tables rondes - les crises d’insécurité, les sources de l’insécurité, les conditions pour sortir de l’insécurité et les politiques pour y parvenir - se partagent en deux ensembles : les deux premières nous invitaient à examiner ce qui se passe aujourd’hui, quelles sont les crises, quelles sont leurs sources ; les deux autres cherchaient à déterminer ce que l’on peut faire demain, sous quelles conditions, avec quelle politique. Ces deux ensembles, de deux tables rondes chacun, forment les quatre lignes de la matrice. Un certain nombre de fac- teurs, invoqués par les conférenciers, peuvent être portés en colonnes, tels que le rôle du monde dans son ensemble - du complexe au particulier - économique, écologique, géopo- litique, etc., le rôle des sociétés, celui des cultures, des États, des circonstances, etc.

Au croisement des quatre lignes et de ces colonnes apparaissent des cases auxquelles les discours entendus permettent d’attacher une valeur particulière.

On verra ainsi par exemple que, dans les crises elles-mêmes, le monde ne peut être tenu pour un facteur déterminant : ce n’est pas parce que le monde va comme il va qu’il y a une crise ici ou là, cela est plutôt imputable à un contexte local, géopolitique ou culturel, comme nous l’a rappelé M. l’ambassadeur Sahnoun. Les sociétés en général subissent la crise et n’y peuvent pas grand-chose. Les cultures peuvent être un facteur aggravant ou apaisant, de même que l’État, selon la manière dont il se comporte et 3. la mesure de son poids. Les circonstances pèsent de tout leur poids.

Si l’on recherche, en revanche, les sources de l’insécurité, on verra que le monde ne peut s’exempter de ses responsabilités (la façon dont marche le monde a une incidence sur la sécu- rité et sur les sources de l’insécurité), même si le contexte demeure un facteur majeur, que la société, la culture et l’État ont leur part, tandis que les circonstances doivent être comptées pour peu de chose.

Si l’on se tourne vers l’avenir, on observe que les conditions d’une sécurité plus grande sont largement tributaires de l’action collective du monde, que le contexte n’est pas un facteur qui peut se changer tout seul, qu’il faut donc agir sur lui-c’est pourquoi il compte pour zéro en tant que facteur -, que le rôle des sociétés, le rôle des cultures, le rôle des États est important, et que les circonstances doivent être tenues pour négligeables, infinitésimales.

Enfin, pour ce qui est des politiques, il est ressorti des nombreux exposés que les sociétés avaient un rôle capital à jouer en profitant, le cas échéant, de leur contexte, des capacités que le monde peut mettre à leur disposition, des cultures également, et que les États ne sont certes pas des acteurs négligeables.

Quelques réflexions peuvent naître de l’observation de la grille ainsi constituée, à partir des propos entendus lors des tables rondes. a) On voit notamment s’établir un contraste

entre le lieu géométrique des crises et celui des capacités d’intervention pour y remédier. Dans la production d’insécurité, le poids de la société en cause est détermi- nant et sa composante culturelle est impor- tante. L’action des États, largement corrélée à ces variables premières, en est souvent

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l’interprète. Quand on envisage, au contraire, les moyens d’agir contre l’insé- curité, la pondération met en relief l’importance des facteurs de contexte (économique, écologique, géopolitique), conjugués, là encore, à une dimension culturelle. Ces deux leviers renvoient, pour le rôle d’opérateur principal, à l’acteur « monde *, qui peut à la fois influencer sensiblement le contexte à court et long termes et pourrait faire évoluer la culture ambiante en suscitant, comme l’a suggéré Patrice Dufour au nom de la Banque mon- diale, des attitudes proactives en faveur de la sécurité.

6) On se trouve donc ainsi avec deux termes distincts, respectivement, pour la produc- tion d’insécurité et celle de sécurité, la variable 1’ culture » se trouvant en position centrale d’enjeu et d’appui : d’un côté, une gradation des facteurs qui fait de la société et de l’État les acteurs décisifs de la produc- tion d’insécurité ; de l’autre, une gradation différente, qui donne à la communauté internationale une responsabilité première pour peser sur des contextes qui constituent la clef du retour à la sécurité. A l’articulation des deux, la culture comme attribut (éven- tuellement aggravant en termes d’insécurité) de chaque société, mais aussi comme contexte créateur de sécurité, à créer pour toutes les sociétés.

3. Le passage des insécurités partielles à la sécurité globale

Cette interprétation des éléments rassemblés lors des tables rondes est bien évidemment par- tielle et sommaire ; du moins tend-elle à mon- trer que le passage des insécurités partielles à la sécurité globale ne peut jamais se faire dans une unité de lieu, de temps et d’action : les sources d’insécurité ne sont pas du même registre, en négatif, que les sources de sécurité. On ne combat donc pas l’insécurité seulement en inversant, compensant ou annulant les fac- teurs identifiés d’une crise (par exemple en neutralisant un État criminel ou en soulageant une société en pleine détresse). Il est néces- saire, pour établir la sécurité, d’engager, indé- pendamment de toute réponse circonstancielle à telle ou telle insécurité constatée, des actions en profondeur, à long terme, à grande échelle, sans commettre pour autant l’erreur inverse de

négliger les moyens d’agir où, quand et comme il le faut en cas de crise.

Cet arbitrage entre les formes appropriées d’appui à la sécurité et de riposte à l’insécurité appartient à un certain nombre d’acteurs qu’il convient de hiérarchiser. a) L’État d’abord. Son premier devoir, avant

toute action qu’il soit susceptible de mener, est d’être non oppressif. Un État oppresseur ne remplit déjà pas sa fonction première, la démophilie. Si l’on peut admettre que la question de la démocratie reste ouverte, tous les pays ne la concevant pas exacte- ment sous les mêmes espèces, celle de la démophilie, c’est-à-dire de l’affection qu’un État manifeste envers sa population, peut apparaître à tous comme un devoir indiscu- table de tout État.

Mais l’État ne doit pas non plus être dépressif. On a beaucoup dénoncé la crise des États, la panne des États, l’insuffisance des États, géné- ratrices d’insécurité au dedans et, quelquefois, au dehors.

Cet État doit être coopératif, c’est-à-dire qu’aucun État aujourd’hui n’a la capacité de peser suffisamment sur quoi que ce soit qui le concerne pour emporter la décision. Le concours des autres, leur assentiment sont fondamentaux pour sa capacité à agir, et celle-ci sera d’autant plus facile à développer dans un cadre coopéra- tif que l’action sera cohérente-le mot cohé- rence est sans cesse revenu dans nos échanges.

Cet État doit être actif. Il doit inscrire une action, non pas dans l’instant, mais dans la continuité, et se montrer capable d’en mener une d’envergure à long terme. Il doit être réfor- mateur. Transformer des situations historique- ment en mutation et piloter des réformes sont les choses les plus difficiles qui soient, et sup- posent de la patience, de la durée. Un État ne doit pas être dur mais doit savoir durer, ce qui suppose de sa part un certain niveau de capa- cité. Enfin, pour donner un cadre à cette acti- vité, à cette coopération, à cette réforme, l’État doit être légitime et agir selon la loi, être donc légal et même légiste, au sens où il doit res- pecter sa propre légalité et iieiller à ce qu’elle le soit de façon scrupuleusement juridique, ce qui est toujours nécessaire.

On doit désormais passer d’une époque où l’État était fort de son droit, c’est-à-dire capable d’imposer à d’autres ce qu’il estimait être son droit, à un État fort, mais fort dans son droit, c’est-à-dire dans le droit qu’il a tissé avec les autres et qui est reconnu par tous. Mais le mot ‘< fort 13 doit être encore retenu. Nous ne

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parlons pas ici d’un État qui fait de manière vague : pour être cohérent, pour être continu, pour être capable, pour être patient, pour durer, il faut posséder une certaine force. b) Parmi les facteurs majeurs qui affectent l’ac-

tion, outre les États, il faut compter le temps. A la suite du major-général Skik, nous étions tous d’accord pour considérer qu’il ne fallait pas seulement réfléchir. mais aussi agir hic et nunc, dans le présent. Cependant, le temps comporte deux autres volets que le présent, dont on perdrait beaucoup à négliger l’importance. Il faut anticiper, cela a été répété très souvent, ce qui ne veut pas dire réagir, mais pré-agir, agir d’avance, construire l’avenir. Cela sup- pose, en fait, l’élaboration d’une nouvelle culture dans laquelle chacun puisse consi- dérer que son propre développement est tributaire de celui des autres, doive dès maintenant se préparer pour des crises qui. demain peut-être, interviendront chez d’autres ; autrement dit, que, dès mainte- nant, chacun incorpore à son propre déve- loppement, à sa propre vision du monde, l’intelligence, le souci, la culture des autres, et s’en préoccupe.

On voit que cette capacité à pré-agir, à antici- per, passe par une transformation profonde des mentalités et des comportements de tous les États. Pour agir demain, changeons tout de suite.

Or, pour changer tout de suite, pour être capable de pré-agir, il faut s’imposer de rétro- agir, c’est-à-dire de traiter la mémoire : après le présent et l’avenir, le passé doit être pris en compte. Il existe des traces laissées par l’his- toire - elles peuvent être très anciennes - dans lesquelles on peut reconnaître des souve- nirs positifs, des traces neutres et, souvent aussi, des traumatismes. Mme Corrazza nous a rappelé que l’un des handicaps majeurs que rencontrent les hommes et les femmes de bonne volonté qui travaillent en Bosnie réside dans les souvenirs atroces encore présents dans la chair et la tête des gens. Donc, agir sur la mémoire, c’est agir pour le futur, c’est agir sur le présent. Il faut que nous sachions com- prendre le passé pour entreprendre l’avenir.

Sortir de l’instant fugace des médias : je vais insister là-dessus, car on a beaucoup montré que ceux-ci pouvaient être des leviers de crise en alimentant la perception instantanée des choses, en alimentant le goût du sang, de ce qui est catastrophique, en montrant les armées à l’œuvre, alors que les problèmes ne sont pas

dans l’instant et dans la vision de certaines scènes tragiques. La réalité se situe toujours dans la longue durée. Il convient donc d’inver- ser les choses, de faire entrer le temps long dans les esprits, ce qui adviendrait plus facile- ment si l’on pouvait mobiliser les médias à cette fin. On nous proposait d’incorporer à toute gestion de crise une émission de radio ou de télévision pour accompagner, intellectuelle- ment et médiatiquement, les efforts entrepris sur un terrain d’intervention. Ce serait très utile. Les médias peuvent être la meilleure des choses, après avoir été dénoncés comme la pire. De toute façon, leur impact est si impor- tant, leur intervention si inévitable qu’on ne peut se dispenser d’agir dans ce domaine.

De ce point de vue, l’expérience des méfaits de l’événement et de son traitement passionnel invite à fortifier ce qui fait contrepoids à cette manière de vivre le monde en termes d’actua- lité (ou, pire encore, d’actualités). La culture de la défense peut y aider grandement.

La défense, en effet, c‘est le temps long. Par conséquent, dans toute société, la nécessité, rappelée précédemment, d’agir dans la durée et la continuité s’alimente à l’expérience de la défense. Dans une structure administrative, dans un système public, la défense est souvent ce qui nécessite les plus longues préparations, les plus longs investissements, la plus grande continuité : donc. indépendamment de toutes les raisons qui peuvent être évoquées ailleurs, retenons l’idée qu’il y a une valeur de la défense qui est de nous enseigner le temps long. c) Le troisième élément majeur pour l‘action,

enfin, tient peut-être à ce que, pour se guider dans le temps long, il faut des références.

Ces références ont été évoquées au cours de nos débats sous la notion de culture du déve- loppement que Patrice Dufour, qui était parmi nous hier, a relevée comme un thème fort. Je voudrais symboliser la culture du développe- ment d’une manière qui parlera à tous les esprits. Elle a été longtemps fondée sur le prin- cipe d’égalité, égalité arithmétique consistant, pour une partie du monde donnée, à détenir les mêmes attributs et les mêmes capacités que d’autres. L’expérience a montré que cette éga- lité était non seulement difficile à atteindre mais souvent inversée, c’est-à-dire qu’au lieu d’aller vers l’égalité on allait vers davantage d’inégalité. Peut-être ceci doit-il conduire à une perception du problème en fonction de deux autres critères. Au lieu de partir de la seule

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valeur d’égalité pour penser qu’elle générera tout le reste, comme on a pu le croire naguère, au temps des grands programmes lancés par le président Kennedy que nous rappelait Patrice Dufour, on peut également imaginer de valori- ser les deux autres facteurs que la France a pris soin d’associer à l’idée d’égalité : la fraternité et la liberté.

Liberté : il y d’abord la liberté acquise, l’in- dépendance, une certaine franchise d’action, une certaine responsabilité, une certaine démo- cratie. Celles-ci permettent la liberté conquise, c’est-à-dire l’exercice de ce que M. Mayor appelle la souveraineté personnelle, à savoir, la capacité pour chaque citoyen de se conduire et de concourir de manière active à la vie sociale et à la vie collective.

Fraternité : il ne s’agit pas d’un sentiment sympathique, mais de la fraternité pratiquée. Ne serait-ce que par pur cynisme, les nations doivent pratiquer les unes envers les autres une forme de fraternité parce que, si elles ne le font pas, les mauvais coups pris par d’autres sans leur secours reviennent de toute façon chez elles. Être fraternel est une forme de sagesse, et, même si le mot n’est invoqué que sous l’empire d’un certain esprit cynique, il garde une vertu, à savoir qu’effectivement, des com- portements de type fraternel induisent un mieux-être et une plus grande sécurité.

Parce qu’elle permet la somme de ces trois notions, l’idée de culture du développement prend une grande force, tant du point de vue de la sécurité que du simple point de vue du développement.

4. La population, les armées et la politique

Que font les armées dans cette affaire ? Peut- être certains d’entre nous sont-ils entrés en séance au cours de ces débats avec l’image des armées source d’un pouvoir, d’un contrôle, et source de lutte avec les autres. Or, il est frap- pant qu’on ait discerné, tout au long de ces tra- vaux, une perception fortement différente et qui consiste à bien distinguer trois familles d’acteurs majeurs dans tout ce qui nous préoc- cupe, à savoir, la population, les armées et le politique. a) La population doit être bénéficiaire de la

sécurité, c’est pour elle qu’on la fait régner, et pour personne d’autre - lorsqu’on dit « la population 1’) ce n’est pas celle de tel ou

tel petit canton, telle ou telle petite ethnie, c’est naturellement la population du monde entier. La moindre atteinte à la moindre des peuplades est une blessure portée à tous les peuples ensemble. La population est donc l’élément premier, Elle a vocation à émettre des messages et,

éventuellement, des mandats vers le politique. Plus il y a de mandats, mieux c’est. Pour que le politique assume ses responsabilités, évoquées ci-dessus, il doit être (1 le maître des horloges )a, selon le beau titre d’un livre de Philippe Delmas. Savoir gérer le temps et savoir gérer la réalité des choses. b> Le politique, enfin, commande les armées,

qui doivent rester en phase avec la popula- tion, être issues de la population, agir avec elle. Ainsi se forme une trinité bénigne, le meilleur des antidotes à des dérives malignes de chacun des trois éléments qui la composent.

c) Tout ceci favorise d’ailleurs une refondation du rôle des armées. Refondation, car il n’est pas question d’altérer quoi que ce soit : il s’agit de reprendre à la racine la mission des armées, qui est d’assurer la sécurité extérieure, mais en solidarité avec tous les autres acteurs qui le font égale- ment ; de concourir à la sécurité démocra- tique, c’est-à-dire à la réalité d’une vraie sécurité de proximité, comme le soulignait avec force Mme Bangoura, pour que chaque citoyen puisse librement exercer sa sou- veraineté personnelle ; enfin, de faire en sorte qu’elles puissent le cas échéant parti- ciper, soit par la projection de forces, soit par ce qui était suggéré ce matin par M. Caglioti, à aider, par les moyens dont elles disposent, tous ceux qui n’ont pas ces moyens. Entre ces trois familles de missions existe une vaste possibilité d’action pour les armées.

5. ConSance et sécurité

Un mot est revenu très souvent dans le cours de nos débats : c’est le mot confiance. Il est vital que les armées aient confiance en elles- mêmes, qu’elles aient confiance les unes dans les autres, et que les nations et les pouvoirs politiques soient eux aussi dignes de confiance.

Aucune notion n’est plus volatile que celle- là, ni plus difficile à concrétiser, car elle peut se former d’un coup, se désagréger aussi soudai- nement, de même qu’elle peut être très longue

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à établir, très difficile à rétablir lorsqu’elle a été rompue. Pourtant, de par la conjonction qu’elle comporte d’une affirmation de soi, d’une part, d’une relation équitable et ouverte, d’autre part, la confiance est véritablement le mode unique sur lequel peuvent s’épanouir les capacités de progrès de l’humanité et, notamment, la sécurité qui en est la condition liminaire.

La confiance crée la sécurité et celle-ci, en retour, crée la confiance. Elles ne s’établissent par cette dialectique favorable qu’au bénéfice de la longue durée, et avec le liant que savent seuls y apporter, par pensée, par action ou par omission, les États dignes de ce nom. Ceux d’entre eux qui se montrent capables d’une politique de défense raisonnable et respectée concourent utilement à la confiance autant qu’à la sécurité, et servent par là le développement général. En situant les préoccupations de défense au cœur de nos réflexions sur la sécu- rité et en y introduisant, par la qualité de nos échanges et le partage de nos idées, une contri- bution à la confiance mutuelle, nous avons servi ensemble le souci du développement et de la sécurité globale qui inspire les autorités que nous représentons.

6. En guise de conclusion

Au moment d’aborder non pas des conclusions, parce qu’il ne s’agit ici ni d’une synthèse ni d’un résumé mais, éventuellement, d’un point sur une situation, on serait tenté de rectifier une erreur de traduction très largement répan- due dans les textes sacrés. La chose est certes téméraire et même impudente, mais le texte biblique Pax in terris hominibus bonae uolun- tatis ne dit pas Paix sur la terre aux hommes de bonne volonté; il faut traduire, si l’on veut être correct : Paix SUT la terre par les hommes de bonne volonté. Soyons persuadés qu’il n’y a pas de paix sur la terre si on ne remplace pas le datif par un ablatif, et donc si on n’introduit pas une situation de responsabilité personnelle de chacun dans ce sens. Les hommes de bonne volonté ne sont pas les rentiers de la paix : on les cherche pour fabriquer de bd paix, entre- preneurs et ouvriers de la paix.

Pour symboliser, en conclusion, cette res- ponsabilité personnelle qui est celle de chacun, et la nôtre au premier chef, je voudrais vous faire lire un texte qui mérite d’être cité sans cesse parce qu’il n’y en a pas de meilleur pour expliquer comment s’y prendre. C’est un pas- sage des mémoires de Jean Monnet : « Le

commencement de l’Europe, c’était une vue politique, mais c’était plus encore une vue morale. 2) Quand on entreprend une grande chose, il y faut nécessairement un contenu éthique, un contenu moral. Les vues politique, technique, militaire et stratégique ne suffisent pas, il faut quelque chose d’autre, mais ce <c quelque chose 2’) personne n’en détient la clef. Quelques lignes plus loin, parlant des six pays fondateurs de l’Europe, Jean Monnet observe : «Quand je pense qu’ils suivront chacun des règles communes, et, ce faisant, envisageront le problème qui leur est commun sous le même jour, et que par conséquent leur comportement des uns à l’égard des autres sera fondamentale- ment changé, je me dis qu’un progrès définitif aura été fait dans les relations entre les pays et les hommes d’Europe. >) Le propos mérite d’être détaillé : <c .suivront des règles communes » ; il s’agit de les élaborer ensemble pour qu’elles soient communes. Pourquoi faut-il des règles communes ? Non pour le plaisir d’avoir des règles, mais pour apprendre à « envisager les problèmes communs d’une manière commune >’ : c’est cela qui est important, ce qui permet le troisième temps, d’<c avoir un comportement des uns à l’égard des autres fondamentalement changé )>.

Pour que le progrès que nous appelons dans les relations internationales, et qui passe par une capacité nouvelle des armées à jouer pleinement leur rôle, conjuguée à une culture de la paix (les deux vont ensemble, nous l’avons dit d’emblée), il convient que nous ayons ce genre de réunion.

Sans doute sommes-nous simplement assis en train de réfléchir, mais cette réflexion nous exerce à constituer cette manière de voir com- mune et à modifier les comportements qui, eux, détermineront l’action. Nous sommes tous, à un degré ou à un autre, des responsables soit de commandement, comme les officiers, soit d’instruction ou d’éducation. C’est là que se joue l’avenir, dans la manière d’orienter, de diri- ger, de suggérer la façon d’envisager les pro- blèmes, c’est là aussi que les solutions se trou- vent. Notre responsabilité personnelle et commune est très grande, car elle a le pouvoir d’orienter les esprits et, par eux, le cours des choses. Nous avons le devoir de penser juste et d’émettre des idées fertiles aux transformations favorables. L’histoire est pleine d’idées malé- fiques qui ont démontré, par les crimes massifs qu’elles inspirèrent, le pouvoir des idées. Il dépend de nous de démontrer la même chose dans l’ordre du bénéfique.

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On rapporte le propos du Président- à notre mesure. A présent, les participants vont, directeur général d’une très célèbre firme japo- dans le cadre des ateliers qui les réuniront cet naise : ‘<J’ai un métier très simple : je pose deux après-midi, chercher les réponses à ces ques- questions par an et j’attends les réponses. Mais tions. L’important commence maintenant ; c’est ce sont de bonnes questions. )> vous qui allez parler, mais, je l’espère, en profi-

Notre rôle, c’est aussi de poser des questions tant d’une capacité meilleure à aborder « les pro- pour piloter l’avenir. Nous venons de le faire, blèmes communs d’une manière commune >),

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VI. ATELIERS

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A. PREMIER ATELIER :

LES PERCEPTIONS DIFFÉRENCIÉES DE LA SÉCURITÉ ET DE L’INSÉCURITÉ

Présidente : Mme Anaisabel Prera Flores, conseillère primapale et spéciale du Directeur général de I’UNESCO

Selon le lieu, les circonstances et l’échelle à laquelle on les examine, les notions ‘de sécurité et d’insécurité comportent des acceptions très diverses. Par ailleurs, les cultures et

les expériences historiques différenciées portent les peuples à comprendre différemment ces termes, sous lesquels ils mettent des souvenirs, des conceptions et

des espérances variés. Il importe au premier chef, lorsque l’on nourrit l’ambition de passer des insécurités partielles à la sécurité globale, de bien identifier

des approches contrastées, tant pour en dégager, si possible, la trame commune que pour en respecter scrupuleusement les variations légitimes.

Engager un débat entre les instituts de défense et de sécurité des diverses régions du monde pour mettre en relief ces différences et ces points communs

est un préalable méthodologique à tout programme d’action dans ce domaine.

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PREMIER ATELIER

Les perceptions dZff&enciées de la sécurité et de 1 ‘insécurité

, .

Présidente : Mme Anaisabel Prera Flores Conseillère principale et sp&iale du Directeur général de I’UNESCO

Nous entrons maintenant dans la phase déci- sive de nos travaux. En effet, en prenant en compte les échanges de vues d’hier et de ce matin, il s’agit maintenant de travailler à esquis- ser des programmes d’intérêt commun qui constituent l’un des objectifs principaux de ce symposium. Dans le cadre de ces premiers ate- liers consacrés aux perceptions différenciées de la sécurité et de l’insécurité, il s’agira, pour l’essentiel, de bien identifier les approches contrastées les concernant. Mais aussi d’établir un cadre de référence commun, sur la base des identifications auxquelles vous allez procéder au sein de chacun des six groupes de travail, En effet, il ne faut pas céder à la tentation du relativisme culturel ou autre dans ce domaine, ni surtout accepter que l’insécurité vécue au quotidien dans de nombreuses sociétés, sous des formes très diverses, reste en dehors de l’action préventive en faveur de la construction de la paix. Il va de soi que ce cadre de réfé- rence commun nous est essentiel afin d’identi- fier ultérieurement les moyens d’agir efficace- ment contre l’insécurité. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons d’être aussi concrets que possible dans vos travaux, y compris en tentant d’identifier les domaines dans lesquels il sera utile de disposer d’indica- teurs, tant en matière de sécurité que d’insécurité.

Au cours de vos travaux, M. Larry Seaquist, coordonnateur des ateliers, et moi-même sui- vrons l’ensemble de vos travaux dans les diffé- rentes salles. Vous trouverez les détails sur les feuilles d’information qui vous ont été distribuées.

Je donne maintenant la parole à M. Tom Forstenzer, attaché au cabinet du Directeur général de l’UNE&O! qui vous fournira quelques orientations supplémentaires.

M. Thomas Forstenzer Attaché de cabinet d la Lhkection générale de I’UNESCO

Nous entrons maintenant dans la phase de la réunion où nous pouvons estimer en avoir fini avec la théorie. Il nous appartient dès lors de nous faire très pratiques et de rester dans le concret. Le premier Directeur général de I’UNESCO, Julian Huxley, a dit un jour qu’un des grands drames de la vie de l’esprit se jouait au moment où une hypothèse rencontre un fait. Je crois que nous abordons maintenant le temps des faits. Exemples - je n’en citerai qu’un car je n’ai que très peu de temps : nous parlions ici de la nécessaire séparation entre soldats et politiques, et les premiers noms qui me sont venus à l’esprit ont été ceux de deux soldats qui ont été des hommes politiques démocratiques d’une grande efficacité, le Général de Gaulle et le Général Eisenhower, et ceux de deux hommes politiques qui ont été d’excellents chefs de guerre, le Président Lincoln et le Premier Ministre Clémenceau. Ainsi rencontre-t-on d’extraordinaires contra- dictions dès que l’on prétend classer les choses en catégories trop tranchées.

Nous tous, ici, sommes d’abord des per- sonnes. Le fait que certains d’entre nous por- tent un uniforme, que certains soient profes- seurs d’université, que d’autres soient fonctionnaires de 1’UNESCO ne suffit pas à nous identifier entièrement. Nous appartenons tous à différentes cultures et à une culture plus

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vaste. Nous sommes tous des personnes et, en ce sens, vous qui êtes les experts des questions relatives à la sécurité, les personnes que nous sommes sont ici pour apprendre de vous.

Ces ateliers, qui doivent durer à peu près une heure et demie chacun, sont conçus de manière à vous donner la possibilité d’exprimer en termes très pratiques et concrets votre avis sur ce que vous croyez être la nature des pro- blèmes de sécurité. Quelles sont les insécurités auxquelles vous êtes, avez été, ou pensez que vous serez confrontés ? Pouvez-vous les classer en catégories relevant des critères intérieur, régional et international ? Pouvez-vous en don- ner des éléments de description dans la durée ? Y a-t-il des signes précurseurs, qu’il nous appartient de discerner, de certaines insécurités en voie de formation ? Certains sont-ils chro- niques, d’autres intenses ? A vous la parole ; vous êtes les personnes qui ont à traiter ces sortes de questions, et ce que nous voudrions, c’est que chaque groupe établisse une liste de, disons, dix ou douze insécurités présentant une importance particulière à ses yeux, étant entendu que chacun ici est un expert et que tout ce que chacun peut dire est de nature à nous éclairer, parce qu’il s’agit de la réalité vécue par lui et que nous souhaitons nous instruire à sa lumière. Il serait intéressant également que vous puissiez, dans cette liste, indiquer les vecteurs éventuels d’un passage du plan intérieur au plan global, du point de vue de la façon dont les insécurités peuvent se développer à l’intérieur d’un État politique puis s’étendre au niveau régional ou internatio- nal, et aussi les vecteurs d’un transfert de l’insécurité du niveau global à la situation inté- rieure.

Ceux d’entre nous qui ont travaillé avec le Directeur général de 1’UNESCO sont bien placés pour savoir qu’il s’intéresse de près, en tant que, scientifique, à ce qu’on appelle la théorie de l’instabilité. Contrairement à la mécanique new- tonienne, la théorie de l’instabilité soutient que dans tous les processus, y compris les proces- sus humains, on peut atteindre un point de non-retour, un point au-delà duquel on ne peut revenir en arrière, où la guerre est inévitable, qui débouchera sur le chaos, sur la violence. Or, ce qui, à I’UNESCO, nous intéresse tout particu- lièrement - je n’énonce ici qu’une manière de voir, mais qui me tient à cœur - est de savoir où se situe le point de non-retour où l’insécu- rité prend le dessus sur la sécurité, où la vio- lence prend le pas sur les processus civiques pacifiques au sein de la société. Voilà pourquoi

les signaux avertisseurs et les symptômes avant- coureurs nous paraissent si importants.

Je voudrais maintenant vous présenter la personne qui va se joindre à nous pour nous aider à travailler le plus efficacement possible, car nos ateliers ne disposent que de quatre- vingt-dix minutes. Voici donc Larry Seaquist, qui a commandé le cuirassé Iowa puis a été appelé à mettre son expérience de comman- dant d’un navire de ligne au service de l’état-major de planification stratégique du Pentagone, sous les ordres d’Andy Marshall ; il est devenu aujourd’hui ce que j’appellerai un Monsieur Paix. J’aimerais que Larry Seaquist nous dise quelques mots de la falon dont il lui semble que nous devrions procéder.

M.LarrySeaquist Conseilh- spécfal du Directeur général de SUNESCO

Voici quelques pensées dont je voudrais vous faire part : vos idées sont très importantes, et il y a entre vous plus d’idées que n’en peuvent contenir les quatre-vingt-dix minutes dont vous disposez pour la première séance ; vous avez beaucoup plus d’idées que de temps. Aussi, j’espère que vous n’aurez pas que des idées en tête, que vous penserez aussi aux gens qui sont avec vous aujourd’hui et avec qui vous aime- riez continuer à parler, au-delà d’aujourd’hui et demain, dans les circonstances futures où nous pourrons poursuivre ce genre de discussions. Vous apercevrez peut-être l’intérêt qu’il y a à se concentrer sur un petit nombre d’idées et, sans chercher nécessairement à se mettre d’accord sur une idée, à constater que, dans un contexte donné, il peut y avoir deux ou trois façons d’envisager cette idée. Cela est aussi utile que de savoir que vous êtes d’accord. Nous voulons du concret ; il s’agit de quitter le domaine de la théorie pour passer à la pratique. Vous pense- rez peut-être à des problèmes que la télévision ne montre pas en ce moment. Nous avons beaucoup de Bosnies, beaucoup de situations d’urgence ; nous suivons tous avec inquiétude, minute par minute, la situation au Burundi. Y a-t-il, dans les mois à venir, dans l’année ou les deux ans qui viennent, d’autres problèmes aux- quels nous nous devrions de consacrer notre réflexion, et savons-nous pourquoi ils devraient nous préoccuper, pourquoi ils risquent de générer de l’insécurité ? Pouvez-vous expliquer pourquoi nous devrions nous soucier un tant soit peu de ces choses-là ? Certes, nous

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sommes un groupe à caractère largement poli- tique, militaire ; il y a parmi nous de nombreux militaires et analystes de la chose militaire. Mais, nous l’avons dit dès le départ, nous vou- lons continuer à parler des sources proprement culturelles d’instabilité dans l’éducation, la culture, l’alphabétisation, de toutes ces autres choses dont nous entendons nous préoccuper.

J’aimerais, si vous le permettez, finir sur une note personnelle d’encouragement. Il nous est arrivé, dans le courant de cette journée et demie, d’entendre parler de divisions opposant le monde industrialisé au tiers monde, ou le Nord au Sud. Je ne crois pas du tout que ces notions soient à leur place dans l’enceinte de cette salle de conférence. Nous sommes tous des professionnels, soldats de métier et profes- sionnels des affaires militaires et des questions de sécurité, et je ne crois pas que ces termes puissent encore avoir la moindre pertinence à nos yeux. Ce sont des termes qui appartiennent à la guerre froide. Dans les problèmes mettant en jeu la sécurité et la stabilité, la richesse vient du professionnalisme, de l’esprit et du cœur, lesquels n’ont pas grand-chose à voir avec la part du budget national consacrée à la fonction militaire. Il y a parmi nous des professionnels extraordinairement compétents, attentifs, riches d’humanité, et nous sommes impatients de les entendre nous faire part de leurs idées.

Mme Anaisabel Prera Flores Conseill&e principale et spéciale du Directeur général de I’UNESCO

Je donne maintenant la parole à M. René Zapata, spécialiste principal en planification du programme à I’UNESCO, qui va vous fournir des informations sur l’organisation des travaux des ateliers.

M. René Zapata Spécialiste principal en plan@cation du programme d I’UNESCO

Nous allons commencer tout de suite le travail des ateliers. Le groupe 1 de la 10e session internationale africaine et malgache (SIAM) de I’IHEDN, qui a comme responsable le colonel Philippe Charrier, se réunira en salle V ; le groupe 2, le Comité 2 de la SIAM, dont le responsable est le colonel Guy Duplessis, se réunit en salle VI ; le Comité 3 de la SIAM, dont

le responsable est M. Joël Arnold, en salle VII ; le groupe 4 « Méditerranée », dont le respon- sable est l’amiral d’Oléon, en salle VIII ; le groupe 5 cc Amérique latine », dont je serai le responsable, en salle IX ; le groupe 6, « autres régions >), dont le responsable sera Mme Moufida Goucha, en collaboration avec M. Philippe Ratte, se réunira ici en salle X.

Avant que vous n’initiiez les discussions, il serait utile de désigner dans chaque groupe un rapporteur. A la fin de la première heure et demie de travail, chaque rapporteur présentera une liste commentée des facteurs d’insécurité, par ordre de priorité dans la mesure du possible, et une autre avec des facteurs de sécurité, par ordre de priorité également. Cette comparaison sera très importante pour les tra- vaux du deuxième atelier, qui portera sur les moyens traditionnels, ou non, d’agir contre les insécurités.

RAPPORTS

Rapporteur du groupe 1 (Afrique)

Le groupe 1 a commencé par se demander : qu’est-ce que l’insécurité ? Tout le monde croit savoir ce que c’est. A cet égard, des discussions se sont engagées sur les facteurs de division sur le plan interne, sur le plan externe, au niveau politique, au niveau socio-économique et au niveau militaire. Au niveau interne, nous avons les problèmes inhérents aux institutions poli- tiques, aux partis politiques, et à l’État. Il y a également les problèmes ethniques, qui ont acquis une grande importance ces derniers temps. Nous n’avons pas abordé la question des relations majorité/minorité, mais elle est posée de façon implicite.

Ensuite, il y a les problèmes externes, ques- tion des frontières, question des réfugiés, ques- tion de l’hégémonie, et les problèmes écono- miques et sociaux : répartition des ressources, démographie, chômage, etc.

Nous avons également voulu attirer l’atten- tion sur l’importance des effets des migrations économiques ainsi que de la dégradation de l’environnement, dans un contexte d’aggrava- tion de la pauvreté en Afrique

En ce qui concerne les relations entre civils et militaires, le besoin d’un dialogue permanent a été souligné dans la perspective d’une redéfi- nition du rôle des armées, appelées à contri- buer au développement et au renforcement de la démocratie.

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L’inefficacité des institutions existantes pour prévenir et gérer les conflits a été également soulignée. Une plus grande collaboration avec les Nations Unies s’impose à cet égard, sur la base de l’expérience acquise ces dernières années.

Les liens entre la stabilité politique, le res- pect des droits de l’homme et la sécurité des populations locales, des familles et des indivi- dus devraient faire l’objet d’une réflexion approfondie, ce, afin de dégager de nouvelles modalités d’action pour les consolider.

Rapporteur du groupe 2 (Afrique)

Le groupe 2 a mené la réflexion sur trois axes majeurs. Premièrement : les frontières ; deuxiè- mement : les populations ; troisièmement : l’État, en dégageant bien sûr les facteurs de sécurité et les facteurs d’insécurité.

Premier axe de réflexion : les frontières, Quels sont les facteurs de sécurité ? Premiè- rement, l’intangibilité des frontières telles que définies par la Charte de l’OUA, une nécessaire coopération transfrontalière et, enfin, une édu- cation des populations. En confrontation, nous avons comme facteurs d’insécurité les viola- tions des frontières, l’inexistence de tracés précis et, troisièmement, les mouvements de populations.

Dans un deuxième axe, nous avons les populations. Là aussi, nous avons mené la démarche intellectuelle suivante : dégager les facteurs de sécurité, c’est-à-dire l’implantation et la sédentarisation des populations. S’agissant de l’insécurité, nous avons les migrations non contrôlées au niveau des frontières, l’exclusion et, enfin, les couloirs de transhumance, qui ne sont pas respectés dans les États voisins en ce qui concerne les populations transhumantes.

Enfin, et dernier axe de réflexion, c’est bien sûr l’État qui maîtrise le développement écono- mique et socioculturel. Nous avons dégagé bien entendu la notion de légitimité nationale dans un contexte de droit, d’État de droit. En antithèse, nous avons bien sûr la non-maîtrise de la situation économique, parce que mal gérée, de la démographie, parce que mal contrôlée, et enfin nous avons, bien entendu, la non-légitimité du pouvoir politique.

Rapporteur du groupe 3 (Afv-ique)

Nous avons retenu cinq rubriques : politique, économie, facteurs sociaux, facteurs culturels et facteurs de l’environnement.

En ce qui concerne les facteurs politiques, nous avons discuté, tour à tour, de la lutte pour le pouvoir à l’intérieur des pays, de la politisa- tion de l’armée, du déficit démocratique. En ce qui concerne le déficit démocratique, nous avons remarqué que, dans certains pays où des élections ont lieu, après que le peuple a voté, on voit les vaincus venir remettre en question le verdict du peuple - c’est là un facteur d’insé- curité. Quant à la nostalgie des systèmes, cer- tains anciens grands du pouvoir n’acceptent pas que de nouvelles équipes viennent au pouvoir et, donc, causent des troubles dans le pays.

En ce qui concerne les facteurs écono- miques, en Afrique en particulier, il y a une absence de tissu industriel solide. En matière d’information, le rôle que peuvent jouer cer- tains médias pour attiser les conflits a égale- ment retenu notre attention.

Les facteurs sociaux : la misère matérielle comme réalité quotidienne, l’analphabétisme, le problème des réfugiés.

Autres facteurs de l’insécurité interne : les facteurs culturels, les extrémismes. Nous avons remarqué ces temps derniers une émergence d’intégrismes divers, dans le cadre d’une aggra- vation du désarroi culturel.

Quant aux facteurs environnementaux, la désertification des pays du Sahel est une pré- occupation assez grave. Il en va de même pour l’urbanisation accélérée, qui risque de s’intensi- fier dans les années à venir. Quant au problème des déchets, il a été constaté qu’actuellement bon nombre de pays du tiers monde se voient envahis par les déchets toxiques des usines des pays développés, étant donné que, dans ces derniers, les populations refusent le stockage de ces déchets et que leurs propriétaires vont de pays en pays dans le tiers monde pour essayer de les y déposer. C’est là un sujet de préoccupation important.

Passons aux facteurs d’insécurité externe, en particulier la division arbitraire des populations due au tracé des frontieres. On a vu des membres dune même ethnie être séparés par des frontières. Enfin, certaines interventions des grandes puissances, dans les pays en dévelop- pement, sont quelquefois apparues comme une ingérence, tant dans les affaires étrangères que dans les affaires intérieures de certains pays.

En ce qui concerne les problèmes écono- miques, vous savez certainement que la déva- luation, ii y a deux ans, du franc CFA a eu des conséquences importantes pour de nombreux pays, et parfois un impact négatif sur les popu- lations concernées.

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Nous sommes également touchés par la cri- minalité internationale, à savoir, la drogue, le terrorisme, le blanchiment de l’argent sale, ainsi que par les migrations massives. Les pays du Nord ne sont pas les seuls à connaître les migrations - nous les connaissons aussi -, des populations quittant leurs propres pays pour aller dans des pays où ils se sentent plus en sécurité et plus à l’aise sur le plan matériel.

Je termine avec les facteurs d’insécurité. Nous n’avons pas voulu reprendre point par point la liste des facteurs d’insécurité, mais nous remarquons que la démocratisation actuelle est une bonne chose pour nos pays, l’établissement de l’État de droit qui se fait pro- gressivement, l’intégration des populations et des économies. L’émergence d’une conscience nationale et d‘une conscience internationale est considérée comme un fdCteUr important de la sécurité. La conscience nationale signifie que chaque citoyen, à l’intérieur des frontières d’un pays déterminé, se sent citoyen de ce pays, se sent appartenir à ce pays. C’est donc un facteur positif qui encourage les gens à vivre ensemble. Quant à la conscience internationale sur le plan politique et linguistique, la réfé- rence à un héritage politique commun et un héritage linguistique commun, comme dans le cas des pays francophones, peut être elle aussi un facteur positif.

Rapporteur du groupe 4 (Mtfditerranée)

Dans le groupe 4, nous avons commencé par tenter de définir le concept de sécurité car, dans la région méditerranéenne, le concept de sécurité ne se réduit pas à sa dimension mili- taire : il faut tenir compte d’autres facteurs d’ordres politique, socio-économique et culturel.

En ce qui concerne les grands problèmes de sécurité et d’insécurité, qui sont des problèmes intimement liés, il y a eu unanimité pour faire du différencie1 de développement économique et social l’un des facteurs les plus importants de la sécurité et de l‘insécurité. Nous trouvons là le problème des inégalités économiques et sociales, le problème de la stagnation des éco- nomies, aussi bien dans le Nord que dans le Sud, le problème de l’endettement, le problème de l’insuffisance du soutien aux processus de transition vers l‘économie de marché et vers la démocratie.

Comme solutions, il est proposé un déve- loppement du regroupement régional à travers l’intégration économique, l’élévation du niveau

de vie des populations et du niveau de l’édu- cation, une croissance économique, un soutien aux processus de transition mais, surtout, l’éla- boration d’une nouvelle vision de la coopéra- tion dans la région mediterranéenne.

En ce qui concerne le deuxième point, qui a trait au déficit de communications, nous trou- vons que c’est un point important parce qu’il existe effectivement des malentendus, des incompréhensions sur les deux rives de la Méditerranée.

Un des aspects importants qui a été soulevé dans ce cadre est celui de la difficulté des gou- vernements à convaincre les peuples des béné- fices de la paix, en particulier dans le cadre du processus de paix au Moyen-Orient. comme l’a souligné un participant. Il y a aussi le refus du groupe 2 faire des conflits de civilisation un facteur d’insécurité en Méditerranée. Il s‘agit donc de lever les malentendus, et de travailler 3 la création et au développement du concept de la méditerranéité.

Le troisième point est celui de la tolérance. Il s’agit de lutter contre les extrémistes de tout bord, tant dans le Sud que dans le Nord. Il s’agit donc de développer le dialogue entre les civilisations, les religions et les cultures, notam- ment le dialogue Islam-occident.

Le quatrième point concerne la relation armement /désarmement. Hélas, nous avons constaté qu’en Méditerranée, malgré la fin de la guerre froide, le processus de désarmement n’était pas très avancé ; bien au contraire, c’est une région qui reste l’une des plus militarisées au monde. Il y a donc lieu de signer les conventions internationales en la matière, de développer les mesures de confiance et. sur- tout, de souligner l’absence de menaces en provenance du Sud. Il s’agit aussi de travailler à la Création de mécanismes de prévention des crises.

Le dernier point concerne les mouvements de populations. Il s’agit du contrôle de l’émi- gration clandestine, mais aussi de la nécessité de stabiliser les populations par des politiques de développement adéquates et d’assurer la libertk de circulation dans les différents pays de la Méditerranée.

Rapporteur du groupe 5 (Amérique latine)

Un certain nombre de points de facteurs criso- gènes ont été définis en retenant une analyse à plusieurs niveaux, en partant de la vision mondiale et en descendant au niveau local.

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Une grande partie de nos débats a été centrée sur le concept même de sécurité. Comment peut-on la définir ? Comment peut-on la perce- voir ? Nous nous sommes tous mis d’accord sur un point : les définitions et les perceptions étant plurielles en Amérique latine, il est extrê- mement difficile d’arriver à un résultat positif. Le représentant du Brésil nous a fait part de ses craintes vis-à-vis des atteintes intérieures à la sécurité de son pays, compte tenu des forces centrifuges qui travaillent ce pays. A l’inverse, d’autres États sud-américains, comme le Pérou, l’Équateur, ont une perception plus tradition- nelle des atteintes extérieures à leur sécurité d’État. Néanmoins, il faut souligner que, pour un certain nombre de participants, la définition classique de la sécurité s’appliquant à des inté- rêts politiques d’État est la plus communément retenue.

Néanmoins, à partir de ces constats de base, la première source de sentiment d’insécurité qui a été relevée est le travail - j’allais dire engagé par la globalisation économique mon- diale - qui mine les souverainetés des États- nations et entretient une crise identitaire des États concernés.

La deuxième grande source globale d’insé- curité est bien entendu la compétition pour les ressources issues de la mer, liée à l’inadaptation du droit international et de la compétition grandissante entre les nations maritimes, riches et dotées de capacités d’action, et les autres nations littorales.

A ces premiers facteurs crisogènes, au niveau global, s’ajoutent des facteurs plus spé- cifiquement régionaux. A ce titre, la définition des frontières et le respect de ces frontières en Amérique du Sud est un problème spécifique, ressenti comme tel. Bien évidemment, la com- pétition pour les sources d’énergie est égale- ment ressentie comme un facteur crisogène, et cela se traduit au niveau des États par le ren- forcement d’un certain nombre de cercles vicieux : la pauvreté a été soulignée par la quasi-totalité des participants comme étant le facteur essentiel d’instabilité intérieure, avec son cortège d’atteintes à l’environnement, engendrant ou renforçant les forces qui tra- vaillent contre la fragilité de certaines démocra- ties et œuvrant à l’instabilité gouvernementale.

Bien entendu, tous ces facteurs crisogènes au sein même des sociétés se conjuguent pour agrandir le fossé qui sépare les classes sociales et se creuse à une vitesse vertigineuse. Se pose de plus en plus, bien entendu, le problème de l’éducation, avec son cortège de violences sous

la forme du terrorisme, que l’un des représen- tants a mentionné, et, bien entendu, des trafics en tous genres, dont le trafic de drogue.

Comment tenter de porter un remède au mal ? Là aussi, une approche stratifiée a été tentée, en partant du niveau régional pour descendre au niveau interne des États. Nous sommes à peu près tous tombés d’accord sur une chose : la clef de la sécurité, c’est avant tout le sentiment de confiance. 11 faut donc mettre en œuvre une politique globale au niveau régional, d’un point de vue écono- mique. Tout d’abord, il faut éviter les pièges du protectionnisme, donc promouvoir, autant que faire se peut, les zones de libre échange. Le deuxième point régional pouvant être l’objet de résultats tangibles à court ou moyen terme réside dans les mesures de confiance de toutes natures, notamment militaires. Il est intéressant de noter qu’à une question précise posée sur l’intérêt que portaient les pays de la région au maintien, à l’entretien, au développement de zones dénucléarisées, la réponse a été que ce projet, qui est un intéressant exercice diploma- tique, n’est pas actuellement perçu comme une priorité absolue.

Au niveau des États, bien entendu, il faut essayer de travailler, sur une base bilatérale, à une meilleure compréhension des visions et des perceptions, et il est absolument impératif d’accepter le droit international pour faciliter les rapprochements bilatéraux et les dialogues entre États.

Enfin, naturellement, les programmes de développement et d’amélioration des condi- tions de vie des populations, notamment en termes d’éducation, de santé publique - j’allais dire tout simplement de survie.

Rapporteur du groupe 6 (autres régions)

Je pense qu’il serait trop ambitieux de tenter de faire la synthèse des voeux exprimés par les experts de niveau extrêmement élevé qui parti- cipaient au travail de l’atelier. Tout ce que je souhaite faire, c’est énumérer par ordre décroissant les facteurs de l’insécurité nommés par les membres de notre groupe.

Il est intéressant de noter que presque tous les experts, parlant des problèmes de sécurité et d’insécurité, ne se réfèrent ni à la guerre ni à la menace de la guerre. D’un autre côté, ils se sont plus référés à l’insécurité qu’à la sécurité. Enfin, ils ont davantage évoqué l’insécurité intérieure que l’insécurité extérieure.

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Page 107: Des insécurités partielles à la

L’économie a été mentionnée le plus sou- vent comme facteur de déstabilisation, comme facteur de l’insécurité. On a évoqué tous les aspects de la situation économique, de dégra- dation économique, de stagnation écono- mique, de dépendance économique des autres puissances. Dans une certaine mesure est lié à ce domaine le problème de la justice écono- mique entre les différents pays et les différentes régions. L’autre facteur, tout à fait diversifié et nommé lui aussi plusieurs fois, est le problème démographique, traité de manière très variée. On a parlé des flux migratoires comme de fac- teurs déstabilisateurs, on a parlé des réfugiés, mais, d’un autre côté, on a évoqué les pro- blèmes de la famille, de la dégradation du milieu familial, etc.

Puis on a désigné comme facteur d’insécu- rité le problème de la jeunesse. Très souvent aussi ont été abordés les problèmes de l’envi- ronnement. de la pollution et de la criminalité.

Tous les autres facteurs d’insécurité, parfois très importants. ont été parfois nommés une seule fois - par exemple, il y a une vision tout à fait intéressante et philosophique du pro- blème du manque d’espoir de la population. D’un autre côté, on a parlé des problèmes de dégradation de l’État comme facteur désta-

bilisateur. Le problème du terrorisme a été abordé une fois.

En ce qui concerne les facteurs de sécurité, on a évoqué le plus souvent les problèmes éco- nomiques. Aussi, en parlant de sécurité, a-t-on abordé les problèmes économiques - et vice versa -, les problèmes de l’éducation, de l’éducation de la jeunesse, mais aussi ceux de l’éducation de l’armée, de l’éducation civile, de l’éducation professionnelle.

Puis on a désigné, parmi les facteurs stabili- sateurs, le bon fonctionnement des organismes de l’État qui sont responsables de la sécurité. comme le ministère de l’intérieur et les services de sécurité. Certains facteurs ont été cependant désignés exclusivement par les experts de l’Europe centrale et orientale, comme, par exemple, la nécessité pour l’État d‘être intégré clans tel ou tel système de sécurité internatio- nale. Une fois seulement a été nommée comme facteur d’insécurité la présence clans les rela- tions internationales de facteurs tels que les armes nucléaires.

II me semble que le plus intéressant, peut- être, est qu’il existe une convergence de vues des représentants de régions tout à fait diffé- rentes, comme les experts d’Europe occidentale, d’Asie, d’Europe orientale et de Russie.

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B. DEUXIÈME ATELIER :

LES ACTIONS A ENTREPRENDRE CONTRE LES INSÉCURITÉS

Présidente : Mme Moufida Goucha, conseillère prz’nc@ale et spéciale du Directeur général de I’UNESCO

L’objet de la rencontre est de réfléchir ensemble aux moyens d’agir efficacement contre les insécurités de notre temps. Il est clair qu’aucune initiative

dans ce domaine ne peut faire l’économie d’une connaissance approfondie des réalités, non plus que d’une intelligence subtile des différences de sensibilité

des divers peuples à cet égard. Aussi le cceur des capacités permettant d’intervenir dans ce domaine s’avère-t-il d’essence culturelle : définir correctement les lignes

de conduite collectives en ces matières est une opération politique, certes, mais qui cherche ses fondements dans une vision d’ordre culturel ; conduire l’action partout

où elle est nécessaire suppose une sensibilité aiguë à l’environnement culturel ainsi qu’une éthique de l’action, elle aussi culturelle.

Les instituts ayant en charge la formation doctrinale, intellectuelle et morale des élites intéressées à ces questions ont donc un rôle propre

à jouer du point de vue de la capacité collective à bâtir la sécurité.

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DEUXIÈME ATELIER

Les actions à entreprendre contre les insécurités

présidente : Mme Mou&la Goucha ConseiWre principale et spéciale du Directeur gén&ral de lTJNESC0

Les résultats du premier atelier nous ont donc permis d’énumérer, voire d’identifier un ensemble de facteurs de sécurité et d’insé- curité. Pour ce deuxième atelier, nous allons suivre les mêmes modalités que celles utilisées pour le premier atelier. Les mêmes groupes continuent donc à travailler ensemble, mais ils vont surtout mettre en exergue les actions à entreprendre contre les insécurités qui viennent d’être exposées par les différents rapporteurs du premier atelier.

M. René Zapata spécialiste principal en plunijkation du programme d I’UNESCO

La matière première de ce deuxième atelier est évidemment le bilan des facteurs d’insécurité que vous avez établi lors du premier atelier. Nous disposons d’à peu près une heure pour définir, de la façon la plus imaginative et inno- vatrice possible, les modalités ou les actions que l’on pourrait envisager pour remédier à certains de ces facteurs d’insécurité.

Évidemment, il y en a certains qui peuvent être résolus à long terme, et d’autres de façon plus immédiate. Il y a donc des tâches et des actions immédiates, il y a des tâches et des actions à moyen et à long termes, mais, étant donné la richesse et la précision des définitions des facteurs d’insécurité, je crois que nous pou- vons arriver tout au moins à des paramètres

d’action très clairs. Ces paramètres d’action sont très importants pour nous pour la suite de ce symposium, en vue de faire certaines propo- sitions concrètes en termes de projets et d’actions communes avec vous.

RAPPORTS

Rapporteur du groupe 1

(Aft-t-1

Nous avons voulu définir des remèdes à court terme, à moyen terme et à long terme. Voici la liste indicative des propositions du groupe 1 par ordre de priorité.

1. consolider et harmoniser les institutions politiques ;

2. encourager le contrôle de la croissance démographique ;

3. promouvoir le renforcement des coopéra- tions militaires régionales ;

4. favoriser les échanges en matière de com- munication et de commerce ;

5. favoriser la production des biens et des services ;

6. promouvoir l’éducation pour la paix ; nos collègues insistent pour que 1’UNESCO poursuive ses efforts dans ce domaine ;

7. établir des systèmes de confiance entre États voisins, afin d’éviter l’agression et la marginalisation ;

8. favoriser la culture du développement. Comme 1’UNESCO l’a fait pour la culture de la paix, le temps est venu de favoriser la culture du développement ;

9. impliquer les armées dans le processus de développement, ce qui exige une réorien- tation de la formation militaire ;

10. soutenir les organismes régionaux ;

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11. cultiver l‘esprit de gestion publique ; 12. responsabiliser les élites ; 13. démocratiser les systèmes politiques ; 14. encourager le dialogue entre les États

africains ; 15. respecter l’autodétermination politique,

économique, fondée sur la coopération réelle et positive entre nos pays ;

16. encourager les ONG 5 se pencher à nou- veau sur la question des rapports entre sécurité et développement ;

17. limiter la fuite des cerveaux ; 18. lutter contre l’exode rural par des poli-

tiques de développement des zones rurales marginalisées.

Rapporteur du groupe 2

(Afrique)

Le groupe 2, restant fidèle à la ligne maîtresse de sa réflexion, a commencé ses discussions par le premier point, qui est le problème des frontières.

Le groupe 2 estime qu’il faut respecter les instruments juridiques internationaux et régionaux et, en second lieu, qu’il faudrait dynamiser la coopération régionale et sous- régionale.

Pour le deuxième axe de sa réflexion, le groupe 2 estime qu’il faut renforcer la coopéra- tion transfrontalière dans tous les secteurs d’ac- tivité et favoriser des politiques d’intégration et de justice sociale pour les populations.

Enfin, troisième axe de réflexion, le groupe 2 insiste sur le besoin d‘élaborer et de mettre en œuvre une politique de défense et de sécurité crédible et adaptée à la promotion de l’État de droit, lequel doit rester un souci majeur des gouvernants, ainsi qu’une politique cohérente et adaptée de développement éco- nomique, social et culturel dans le cadre de l’intégration économique régionale.

Rapporteur du groupe 3 Of~&w9

Devant la liste de tous les facteurs d’insécurité que nous avons vue tout à l’heure, le groupe 3, que je représente, a eu quelque peine à res- pecter la consigne de M. Zapata, représentant du Directeur général, à savoir que les recom- mandations que nous devons faire doivent per- mettre de mettre au point des orientations qui puissent être applicables - c’est-à-dire qu’on puisse faire des recommandations en dehors de cette enceinte, des recommandations qui puis-

sent être concrètes. Nous nous sommes rendu compte qu’en ce qui concerne les problèmes facteurs de sécurité, que nous avons énumérés tout à l’heure, des recommandations ont déjà été faites dans le passé, au cours de forums passés. Il n’y aurait qu’à parcourir toutes les conférences précédentes pour s‘en rendre compte. Aussi nous sommes-nous limités à trois mesures.

La première consisterait à promouvoir, à renforcer, à valoriser les organisations sous-régionales au sein de l’OUA. Ces organi- sations existent. Je pense tout particulièrement à I‘ANAD (Accord de non-agression et d’assis- tance en matière de défense). L’ANAD a dû résoudre, dans le passé, des problèmes de frontières et des conflits entre pays voisins en Afrique de l’ouest. En Afrique centrale est en train de se mettre en place actuellement un comité consultatif permanent pour les pays concernés. Il se met en place lentement, et il est soutenu moralement par L’ONU. Nous savons que des organismes identiques existent en Afrique orientale, en Afrique australe et en Afrique du Nord.

En ce qui concerne le deuxième point, pro- mouvoir la coopération décentralisée, le groupe entend par là une coopération qui s’appuierait davantage sur des relations bila- térales ou multilatérales à niveau régional, étant donné que, jusqu’à présent, la coopération s’est effectuée d’État à État, entre les États des pays développés et les États des pays en développe- ment. Et nous nous sommes rendu compte qu’au cours des quatre décennies qui viennent de s’écouler, cette coopération a été détournée dans la plupart des cas, alors qu’une coopéra- tion plus prometteuse s’est amorcée au niveau des collectivités locales comme, par exemple, dans le cas des villes et écoles jumelées qui a bénéficié réellement aux nécessiteux. Il est temps d‘amorcer une réflexion en ce sens, afin que soit promue la coopération de peuple à peuple.

Enfin, en ce qui concerne la mise au point d’un rôle défini pour l’armée, nous savons tous que, dans tous les États du monde, l’armée a déjà un rôle bien défini : défendre l’intégrité du territoire aux frontières et défendre également la sécurité intérieure. Nous nous sommes rendu compte que, peut-être du fait de l’apprentis- sage de la démocratie, l’armée se trouvait sou- vent seule devant les manifestants, et nous savons que les manifestants sont souvent dans leur droit. Elle s’est trouvé remplir des missions qui ne la regardent pas, qui n’ont rien à voir

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avec la défense nationale. Donc, nous pensons que les organismes internationaux tels que 1’ONLJ et l’UNESC0, au même titre qu’une réflexion entamée sur le problèmes des mines et autres dangers qu’encourt la population, incitent les États à redéfinir le rôle des armées dans le cadre de la démocratie.

Rapporteur du groupe 4 (Méditerranée)

En ce qui concerne le premier point, qui est le différencie1 de développement, il s’agit de développer le partenariat, particulièrement dans le domaine économique, dans la mesure où il faudrait mettre les économies du Sud à niveau. Il s’agit de faire aussi en sorte que les investissements étrangers soient présents dans la région, investissements privés et publics bien sûr, mais en particulier privés. Il s’agit de veiller également au contrôle des investisse- ments, pour éviter la corruption et, surtout, développer les complémentarités et les inter- dépendances multiples qui sont très nom- breuses dans la région méditerranéenne, pour aboutir à la création d’un lac de paix en Méditerranée.

En ce qui concerne le deuxième point, le déficit en communications, l’ensemble du groupe est d’accord pour développer des ren- contres à tous les niveaux : officiel , non offi- ciel, universitaire, étudiant : des rencontres de toutes sortes, pour éviter les malentendus. Pour cela, il s’agit de créer immédiatement quelque chose pour faciliter rapidement ces échanges : mettre en place une chaîne de télévision et une chaîne de radio méditer- ranéennes. Mais il faudrait veiller à l’éthique et à la qualité des échanges de la communi- cation, afin de lever toutes les suceptibilités et les incompréhensions pouvant exister en par- ticulier entre le Nord et le Sud.

Le troisième point a trait à la tolérance. Il s’agit de développer les valeurs communes aux pays de la région de la Méditerranée. Il s’agit aussi de lutter contre l’ensemble des extre- mismes, aussi bien au Nord qu’au Sud. Pour cela, il est proposé une charte de lutte contre le terrorisme. Mais, pour arriver à la tolérance, il faudrait surtout développer le dialogue entre les cultures, les civilisations et les religions ; le dialogue entre l’Islam et l’Occident peut jouer dans ce cadre un rôle important dans le rapprochement des deux rives de la Méditerranée.

Le quatrième point a trait aux problèmes d’armement et de désarmemement. Il y a lieu en effet d’amener les pays de la région médi- terranéenne à s’engager à signer les conven- tions internationales en matière d’armes nucléaires, d’armes de destruction massive, chimiques, biologiques et autres. Il s’agit aussi de développer des mesures de confiance et, également, de lever les malentendus et les incompréhensions, en particulier en ce qui concerne la création de certaines forces au niveau des pays du Nord, susceptibles d’être perçues comme étant des forces dirigées contre le Sud.

Enfin, en ce qui concerne le mouvement de populations, l’objectif est d’arriver, à long terme bien sûr, à une liberté de circulation totale dans la région méditerranéenne. Mais, dans l’immédiat, il y a une décision importante à prendre : celle de la liberté de circulation immédiate pour certaines catégories de popu- lations (universitaires, jeunes, étudiants, etc.). Il s’agit donc pour cela de développer les échanges en facilitant la liberté de circulation. Il y a lieu aussi de créer les conditions de stabilisation des populations du Sud, notam- ment en mettant en place les conditions de développement pour maintenir sur place ces populations.

Enfin, il s’agit de créer un mécanisme de protection civile pour lutter contre les catas- trophes naturelles pouvant provenir de la pol- lution, des tremblements de terre ou d’autres catastrophes naturelles.

Rapporteur du groupe 5 (Amérique latàfle)

Le groupe 5 avait, vous vous en souvenez, identifié un ensemble de facteurs d’insécurité, au premier rang desquels le trafic de stupé- fiants, le déficit d’éducation en Amérique latine et en Amérique centrale, et l’écart qui se creuse entre les riches et les pauvres. En ce qui concerne le trafic des stupéfiants, trois mesures ont été proposées : la répression du blanchiment de l’argent sale, la signature d’accords internationaux visant en particulier le renforcement des législations nationales en matière de stupéfiants et, chose qui intéresse beaucoup l’UNESC0, l’impératif d’orienter vers les jeunes les politiques d’éducation et d’information.

En ce qui concerne le déficit d’éducation, tous les participants ont souligné la nécessité non seulement de placer l’éducation en tête

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des priorités mais aussi de mettre à jour et de moderniser les systèmes éducatifs. Il s’agit notamment de modifier le contenu des manuels d’histoire en Amérique latine afin de changer la perception que chaque pays a de lui-même par rapport à ses voisins, perception qui entre pour une large part dans la création d’un sentiment d’hostilité à leur égard.

Pour ce qui est de l’écart entre les riches et les pauvres, il a été souligné que toutes les régions d’Amérique latine avaient besoin de politiques sociales axées sur la création de pos- sibilités de développement. Tous les partici- pants ont mis en relief les caractéristiques très différentes des sous-régions du continent américain - Caraïbes, Amérique centrale, Amérique du Nord et du Sud, région des Andes, cône Sud. Selon le lieu où l’on se place, d’un point de vue sous-régional, il y a des per- ceptions très différentes des problèmes du continent.

Sur la question de la fragilité de la démo- cratie et de l’instabilité des gouvernements, on a souligné la nécessité de renforcer la légi- timité gouvernementale mais aussi celle de lutter contre la corruption des fonctionnaires et des détenteurs du pouvoir, ainsi que la nécessité de créer des mécanismes destinés à garantir le rôle constitutionnel du droit pour que puisse être mis en place un dispositif per- mettant de résoudre les grands conflits poli- tiques suscités par les oppositions entre le législatif et l’exécutif et entre l’exécutif et le judiciaire.

En ce qui concerne la pauvreté, le problème à résoudre est, bien sûr, inséparable de la ques- tion de la réduction de l’écart entre les riches et les pauvres, et l’on a souligné à ce propos la nécessité de formuler des politiques de déve- loppement endogènes.

Le dernier point abordé par le groupe 5 est la question des frontières, qui a, vous le savez, une grande importance dans la région. Elle a donné lieu à une discussion très animée rela- tive aux modalités de résolution des litiges de frontières dans la région. Bien entendu, on a souligné une fois de plus la nécessité de renforcer les mécanismes bilatéraux et multila- téraux de règlement des différends frontaliers, les mécanismes bilatéraux étant jugés plus particulièrement indispensables dans la région. Cependant, la discussion s’est achevée sur un débat relativement long et détaillé sur la question de l’importance de la dissuasion pour chaque État, notion qui n’est guère optimiste.

Quant aux autres questions, celle de l’éner- gie, celle des ressources marines, on a souligné qu’il convenait de les traiter dans le cadre des politiques de développement et en liaison avec la protection de l’environnement,

Rapporteur du groupe 6 (autres rkgions)

Premièrement, notre groupe a structuré les défis pour la sécurité : ainsi, nous avons les défis généraux, puis les défis d’ordre régional -dégradation des structures de l’État, flux migratoires, sûreté limitée - puis les pro- blèmes à caractère local. Et pour répondre 2 ces défis, on a proposé certaines mesures d’ordres global et régional.

Premièrement, en ce qui concerne l’édu- cation, on a surtout souligné le besoin d’une éducation spécifique des militaires, à un moment où nous constatons que ce sont souvent les milieux politiques qui utilisent les clivages dans le milieu militaire pour commencer les conflits, voire pour entamer la guerre civile dans tel ou tel pays. Puis les organisations internationales envoient de nouveau les militaires, comme les forces de peace-keeping ou de peace-enforcement, pour mettre fin à ces conflits. Il est nécessaire d’avoir un système d’éducation destiné aux militaires afin d’éviter toutes sortes de conflits, afin qu’il y ait une culture qui affirme que l’armée est un garant de l’État, et pour éviter que l’armée soit utilisée comme instrument dans les conflits politiques.

Puis on s’est référé au problème de l’égalité dans le domaine de l’information. J’ai reçu une proposition intéressante de notre collègue iranien : il serait positif, du point de vue de la sécurité, que le réseau Internet soit utilisé dans tous les pays, dans toutes les régions, qu’il soit accessible dans les centres universitaires et dans la presse locale.

Enfin, on a abordé de la nécessité de dia logue entre les élites pour atteindre une transparence psychologique et culturelle dans les domaines clefs de la sécurité. On a beau- coup discuté dans notre groupe des problèmes des différences dans la compréhension des droits de l’homme. Il est nécessaire que les hommes de différentes régions comprennent les nuances et les spécificités des droits de l’homme dans leurs régions respectives, Puis on a insisté sur la nécessité d’intensifier le dia- logue parmi les organisations non gouverne- mentales dans le domaine de la sécurité.

Page 113: Des insécurités partielles à la

En ce qui concerne les conflits régionaux, tituts de défense travaillent en réseau dans les problèmes régionaux, on a insisté sur le toutes les régions où les efforts de compré- dialogue entre les différents groupes sociaux hension et de circulation des idées dans et, surtout, le dialogue entre les militaires et le domaine de la sécurité pourront être les civils. Enfin, il a été proposé que les ins- soutenus.

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c. SYNTHÈSE DES ATELIERS

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CONCLUSIONS GÉNÉRALES DES DEUX ATELIERS

par le général So$an Effendi, représentant de l’Indonésie

Monsieur le Président, Distingués participants,

J E suis tout à fait d’accord avec vous pour dire que cette réunion a un caractère des plus

stratégiques et qu’elle est très importante. Le moment est venu pour moi, en ma qualité de représentant de l’Indonésie mais aussi au nom de mes collègues des six groupes de travail, de présenter les conclusions des groupes de travail du Colloque international sur le thème <f Des insécurités partielles à la sécurité globale ». 1. La discussion d’hier après-midi s’est dérou-

lée en deux séances, très courtes mais très fructueuses. Les participants étaient répartis en six groupes de travail pour étudier les diverses façons dont nous percevons la sécurité et l’insécurité, puis identifier les lignes de conduite correspondantes. Ils ont fait un certain nombre d’observations communes, qui ont été complétées par des observations particulières avancées par l’un ou l’autre des groupes dont trois étaient essentiellement africains, les trois autres étant centrés respectivement sur la Méditerranée, les Amériques et le reste du monde (Europe, Asie centrale et du Sud). Mon rôle est de vous faire part de nos observations communes sur l’insécurité et la sécurité, et sur les mesures à prendre ou l’action à entreprendre pour passer de l’insécurité à la sécurité.

2. A propos de l’insécurité, voici l’essentiel de nos observations communes. La faiblesse d’une économie est perçue comme étant l’une des principales sources de l’insécurité. En revanche, le développement de l’écono- mie peut avoir pour effet d’absorber des facteurs d’insécurité, mais il n’est pas, en soi, une garantie de sécurité. L’iniquité

sociale est le produit d’injustices flagrantes, qui peuvent être facteurs d’insécurité du fait des réactions qu’elles provoquent. Que l’information soit restreinte ou abondante et, dans l’un ou l’autre cas, entachée de dés- information, l’inégalité des possibilités d’y accéder est un important facteur d’insécurité parce qu’elle est source d’incompréhension, d’appréhension et d’erreur. Les phéno- mènes démographiques, en particulier les grands déplacements de population, qu’il s’agisse de migrants ou de réfugiés, créent des situations complexes d’insécurité. La criminalité internationale sous toutes ses formes est considérée comme une source d’insécurité très générale. Enfin, la dété- rioration de la qualité de l’eau et la diminu- tion de sa présence dans l’environnement sont une des variables majeures de l’insécurité.

3. Passons aux observations communes sur la sécurité. La sécurité est avant tout liée au respect du droit international et à la signa- ture de conventions qui insèrent chaque nation dans la communauté des nations. Elle participe d’une culture du développe- ment. Elle va de pair avec un effort continu pour progresser vers une culture de la paix, ou du moins vers une façon équilibrée de combiner les forces militaires et les capaci- tés civiles en vue d’une résolution à long terme des conflits. La paix est une action, non un état.

4. En ce qui concerne l’action requise pour passer de l’insécurité à la sécurité, il faut développer, à tous les niveaux de la société, une gamme de partenariats aussi étendue et fournie que possible afin de renforcer un réseau de liaisons directes. Deuxièmement, il faut développer des liens de coopération

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spécifiques aux niveaux régional et sous- régional, consolider les structures com- munes et favoriser ce type de coopération. Il faut également accroître l’interdépen- dance et la complémentarité des relations, notamment entre les nations et entre les groupes et les citoyens au sein d’une même nation ; mettre en place des mesures favori- sant la confiance et la compréhension mutuelles ; appliquer des politiques de développement cohérentes, en particulier

dans les domaines de l’éducation et de l’information. Prendre, enfin, toutes les mesures possibles pour encadrer et faciliter les processus de transition. Cela, à partir du principe d’un État fondé sur la primauté du droit et la démocratie.

Nous en venons maintenant à l’autre volet des conclusions, constitué d’observations complé- mentaires et de quelques développements sup- plémentaires émanant des rapporteurs des six groupes de travail.

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OBSERVATIONS COMPLÉMENTAIRES

par les rapporteurs des groupes

Rapporteur du groupe 1 (Afrique)

Nous avons indiqué hier qu’il convenait de faire participer autant que possible les armées au processus de développement. Malheureuse- ment, on constate, quelle que soit l’analyse adoptée, que l’armée dans la société africaine a été par divers moyens tenue à l’écart du pro- cessus de développement. Nous tenons donc à dire que nos soldats ne doivent pas être exclus du processus de développement. Il ne peut y avoir de développement sans la participation de tous les membres de la société.

Le deuxième point est le maintien de la sécurité aux frontières. Ce que nous voulons dire ici, sur une question qui a été par ailleurs largement débattue, est très précisément ceci : les frontières qui ont été léguées à l’indépen- dance sont un facteur non négligeable de sécu- rité en Afrique. L’alternative est la suivante : ou nous conservons ces frontières, ou nous encou- rageons une coopération régionale plus vaste. Nous insistons sur ce point essentiel, et j’ose espérer que l’Organisation de l’unité africaine et les organisations régionales en tiendront compte.

Enfin, nous préconisons aussi, et c’est une revendication forte, que l’on s’attache à pro- mouvoir le dialogue entre la société civile et l’armée.

Le groupe juge qu’il est nécessaire que le public, les gens du peuple, les femmes qui tien- nent les marchés, le parlement lui-même et, donc, le gouvernement exercent en Afrique un contrôle démocratique sur l’armée. Cela ne signifie pas que l’armée ne doive pas être tenue informée. Cela ne signifie pas non plus que la société africaine ne veuille pas du développe- ment, mais il faut insister par principe, et le groupe y insiste, sur le fait qu’aux fins du déve-

loppement dont il s’agit ici et, donc, de ses pro- cessus, il doit exister un contrôle collectif, qui ne soit pas nécessairement limité au contrôle de l’armée dans le cadre du processus démo- cratique.

Rapporteur du groupe 2 (Afrique)

La première préoccupation du groupe 2 concerne le rôle des États dans la maîtrise de la situation économique et démocratique. Le groupe 2 s’accorde à dire que cette maîtrise suppose d’abord l’équilibre macroéconomique, c’est-à-dire des finances publiques, par l’élabo- ration d’un budget non déficitaire et orienté vers l’investissement. En somme, il s’agit d’une politique économique génératrice d’emplois et d’initiatives à l’investissement. Un encourage- ment à l’investissement privé. Toutefois, nous avons dit au cours de nos travaux qu’il était important qu’une gestion transparente puisse se faire au niveau’de nos économies, et qu’une lutte soit menée contre la corruption sous toutes ses formes. Je m’autorise, en ma qualité de gendarme, à parler de la corruption active et, surtout, de la corruption passive qui prend une grande dimension au niveau de nos économies.

Il est clair que la mauvaise maîtrise de la démographie, surtout par nos gouvernements, constitue une bombe à retardement qui n’épargne pas du tout notre continent, surtout lorsque les solutions ne sont pas apportées aux premières alertes.

La seconde préoccupation du groupe 2 concerne l’élaboration et la mise en œuvre d’une politique de défense et de sécurité, quand on sait que la défense est d’abord l’intelligence de la menace et qu’il importe de

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réaffirmer clairement ici, même si cela paraît aller de soi, que, dans nos pays surtout, l’im- pératif de défense demeure. Il n’est pas de devoir plus impérieux pour un État que de créer les conditions matérielles et politiques de sa sécurité. Aucune action de développement ne peut se faire dans un environnement d’in- stabilité et d’insécurité. C’est pourquoi le groupe 2 a perçu comme objectif majeur la pré- servation de l’intégrité de nos territoires natio- naux, ainsi que de nos identités et de notre indépendance, contre toutes les formes d’agression. Le deuxième objectif de nos poli- tiques de défense, avons-nous dit, est la consti- tution d’un espace de sécurité commun à nos sous-régions et pouvant s’étendre à tout le continent africain, étant entendu que ce groupe est à dominante africaine. Il importait donc pour nous de dissiper tout climat de suspicion et de crainte, en recherchant les voies et moyens pour créer un environnement de paix et de stabilité indispensable aux investisse- ments Le dialogue et la transparence apparais- sent plus que jamais nécessaires au maintien de la confiance et de la sécurité, car ce besoin de sécurité, que chacun éprouve de manière tout à fait légitime, ne doit pas se traduire par l’ap- parition de menaces déstabilisatrices pour les voisins. Enfin, le groupe 2, en approfondissant les discussions, a estimé que les forces armées, qui sont l’ultime rempart pour la survie de nos nations, dont elles émanent et qu’elles ont pour devoir de servir et de protéger, constituent une composante majeure de la défense et de la sécurité de nos pays. Je termine, monsieur le président, par le message global suivant, concernant nos forces armées : qu’elles restent, bien sûr, l’expression de la cohésion nationale et de la liberté d’action du gouvernement, et qu’elles s’efforcent de garantir à tout prix l’en- vironnement de sécurité et de paix indispen- sable au développement économique de nos États. Elles devront se réconcilier avec elles- mêmes et avec la nation.

Rapporteur du groupe 3 (Afrique)

Le premier point que le groupe 3 a voulu évo- quer concerne les insécurités liées au dévelop- pement anarchique des villes. En effet, nos villes sont actuellement des bombes à retarde- ment, compte tenu des problèmes qu’on y trouve. En particulier face à l’arrivée massive des populations rurales qui, sous l’effet de l’exode rural, arrivent dans la cité. Ces nou-

veaux arrivants s’installent en désordre autour des villes, ce qui fait que la cité est submergée. Il y a un déficit chronique en logements, en hôpitaux, en écoles, des problèmes d’assainis- sement, et le chômage est très élevé. Les conséquences des insuffisances des systèmes éducatifs sont évidemment la scolarisation bâclée de la jeunesse, l’aggravation de la crimi- nalité, l’usage de la drogue. Et le désarroi culturel des jeunes est récupéré par tous les extrémistes : religieux, politiques, etc. C’est ainsi que, chaque fois qu’une crise politique se crée, généralement, les meneurs recrutent les jeunes pour créer du désordre. Nous deman- dons donc que 1’UNESCO s’implique davantage dans les problèmes liés au domaine de l’urba- nisation, étant donné qu’ils concernent la jeu- nesse en particulier.

Le deuxième point sur lequel le groupe 3 voulait apporter des observations concerne le besoin de transparence dans la chaîne de coopération, la coopération Nord-Sud en parti- culier. Cette transparence s’impose. Il va falloir mettre en place, s’ils n’existent déjà, des instru- ments juridiques de cette transparence, dont le principe est tout simplement de s’assurer que les donateurs privés et les bailleurs de fonds, que ce soit des personnalités physiques ou morales, puissent s’ils le désirent constater sur le terrain, soit par eux-mêmes, soit par des intermédiaires, soit par des agents, la concréti- sation des projets auxquels les ressources financières et matérielles étaient destinées au départ. Cela est important, étant donné que l’assistance que les pays en voie de dévelop- pement ont reçue soit du privé, soit de l’État, soit des institutions internationales a été dans la plupart des cas détournée. Et si on se rend sur place, on se rend compte que les populations n’en ont pas bénéficié.

Le troisième point concerne les déchets toxiques. Je voudrais aborder ici le problème de l’environnement, et de la pollution en parti- culier. J’entends par déchets toxiques les rési- dus des usines des pays industrialisés, radio- actifs ou autres, les stocks alimentaires, en particulier la viande non utilisée en Europe, et les stocks de médicaments, non utilisés en Europe et dont la date de péremption est sou- vent dépassée. Et lorsque ces stocks de viande ou de médicaments arrivent dans l’arrière-pays, dans une zone où les gens ne savent pas lire ou écrire, introduits dans ces endroits par des hommes d’affaires soit Européens soit de pays considérés sans scrupules, cela présente un danger pour la santé des hommes. En ce qui

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concerne, en particulier, les déchets toxiques et radioactifs, l’opinion internationale a, ces der- nières années, parfois assisté. relatée par les médias, à la course de navires porteurs de déchets toxiques à travers les mers du globe, Ces navires, rejetés de port en port, ont fini par disparaître de l’attention du public. Eh bien, nous en avons quelquefois retrouvé quelques- uns sous nos cieux, appelés dans ces pays par des hommes d’affaires désireux de conclure des affaires lucratives avec les propriétaires de ces déchets. Nous ne voulons plus que nos pays deviennent la poubelle ou la décharge publique des déchets produits dans les pays industrialisés. Il n’y a à cela aucune justification morale. Et nous souhaiterions que, compte tenu du danger que cela présente pour l’envi- ronnement et la santé non seulement des res- sortissants des pays considérés mais aussi des pays européens - étant donné que ces déchets sont simplement coulés dans la mer, le poisson qu’on pêchera pourrait aussi nourrir les Européens -, I’UNESCO apporte une atten- tion particulière à ce problème.

Rapporteur du groupe 4 (Méditerranée)

Le premier point que voudrait souligner le groupe 4 concerne la nécessité de favoriser le dialogue des cultures, des religions et des civi- lisations. C’est une nécessité, parce qu’il s’agit de lever les incompréhensions, de lutter contre les extrémismes et, surtout, de réduire les dis- tanciations culturelles.

Le deuxième point a trait à la nécessité d’adopter une charte contre le terrorisme, et de l’appliquer. Je souhaitais que ce point figure dans les observations communes car le terro- risme a des ramifications internationales, il représente un danger pour toute la commu- nauté internationale. Ce danger s’explique, ou se justifie, ou naît des liens qui existent entre les groupes terroristes, les trafiquants de drogue, les marchands d’armes. Ces liens sont trop évidents pour ne pas susciter une coopé- ration internationale en la matière.

Le troisième point concerne la nécessité de développer les valeurs méditerranéennes. Développer les valeurs méditerranéennes pour créer, élaborer un concept de la méditerranéité et faire de la Méditerranée un lac de paix.

Le quatrième point concerne la nécessité d’apporter des solutions au problème de l’endettement, qui obère aujourd’hui toutes les politiques de développement. Certains pays,

dont le mien, ont payé en trois années l’équi- valent du montant de la dette en service de dette, sans pour autant que la dette ne baisse en quoi que ce soit. C’est vous dire qu’effecti- vement la question de l’endettement obère toute politique de développement.

Le cinquième point concerne la nécessité d’assurer la liberté de circulation dans notre région. Comment envisager effectivement une zone de libre-échange pour les biens et les ser- vices sans les capitaux, sans permettre aux hommes de circuler? Ce sont pourtant ces hommes qui assurent la liberté de circulation des biens, des services et des capitaux. Donc, la liberté de circulation est un fondement essentiel de la zone de libre-échange.

Le sixième point concerne la nécessité de créer des mécanismes de financement de déve- loppement dans nos régions.

Le septième concerne la nécessité d’élabo- rer une vision stratégique du partenariat euro- méditerranéen. Le conférencier de ce matin a très bien parlé de la politique américaine à l’égard de son environnement, et du Japon à l’égard de son environnement. Il serait souhai- table qu’une telle vision existe également en Méditerranée.

Le huitième point, et ce sera le dernier, a trait à la nécessité d’abandonner la conception du déplacement de la menace de l’Est vers le Sud.

Rapporteur du’groupe 5 (Amérique latine)

Le groupe a considéré que l’aggravation crois- sante de la pauvreté, accentuée par une aggra- vation parallèle de l’écart des revenus en Amérique centrale et en Amérique latine, constituait l’une des plus graves menaces com- munes pour la sécurité et la stabilité des pays de la région. En conséquence, le rôle des poli- tiques de développement et d’éducation créa- trices d’opportunités de développement pour l’ensemble de la population a été considéré comme un élément fondamental de la consoli- dation de la sécurité et de la stabilité. Le groupe 5 a également considéré que le renfor- cement de l’État de droit et de la stabilité des institutions démocratiques était une condition sine qua non de la stabilité régionale. A cela s’ajoute le besoin du renforcement des mesures de confiance, des dispositifs de coopération bilatérale et multilatkale au niveau des États afin de parvenir à une solution durable des problèmes frontaliers dans la région, dont

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certains sont chargés d’un lourd poids histo- rique, quelquefois plus que séculaire. A cet égard, le besoin d’une actualisation et d’une réélaboration des manuels d’histoire a été sou- ligné, afin d’éliminer les stéréotypes négatifs concernant 1’Autre.

Rapporteur du groupe 6 (autres régions)

Comme vous l’avez dit, monsieur le président, ce groupe n’était ni africain, ni méditerranéen, ni américain : c’était le reste du monde, ce qui est beaucoup. 11 ne faut donc pas s’étonner si, dans ce groupe, un point qui a été fortement souligné est la nécessité d’être scrupuleux dans la définition des droits de l’homme et de constater qu’elle n’est pas exactement la même dans tous les points du monde. Cependant, on notera que le terme d’cc homme » et celui de « droits », s’ils sont compris différemment ici ou là, restent fortement des ancrages de référence.

Le deuxième point important spécifié par le groupe 6 est la nécessité, pour qu’il y ait sécu- rité, que chaque pays, que chaque groupe veillent à se fortifier. Et je dis « fortifier )> non pas au sens de « fortification » de château-fort médiéval mais au sens où les pharmaciens par- lent d’un fortifiant, c’est-à-dire de quelques pro- duits de faible teneur mais qui stimulent la capacité de dynamisme de l’organisme ; le terme de ~1 résilience n, emprunté à un concept indonésien de défense, semblait refléter cela, il a donc été évoqué avec force. Il s’agit pour chaque individu, pour chaque groupe, pour chaque nation d’être plus fort, plus capable, davantage maître de lui-même, de manière à concourir à l’œuvre commune. Et, simultané-

ment, parallèlement à cet effort de fortification intérieure, il y a un souci de l’Autre, une sorte de préoccupation de la sécurité ambiante qui consiste à secourir ses voisins, à aider son envi- ronnement à mieux se porter. Et cette dialec- tique entre la fortification intérieure et l’empa- thie extérieure est considérée comme une source importante de sécurité, qu’il s’agisse, par exemple, de la Russie, qu’aurait aimé pré- senter davantage le rapporteur, ou des pays de I’ASEAN, pour prendre deux exemples où cela est entré en vigueur.

Enfin, le dernier point qui a paru fondamen- tal à tous les participants était de favoriser l’ac- cès égal à l’information. Et cela, sous quatre points de vue que je voudrais développer très brièvement. Le premier est de permettre physi- quement l’accès à l’information, ce qui suppose que les médias soient également répartis à tra- vers le monde, que l’accès à l’écriture, en parti- culier au texte, soit permis. Deuxièmement, diversifier ce que M. Xavier Emmanuelli appe- lait tout à l’heure des bulles d’information. Il faut diversifier le regard et ne pas absorber tou- jours les mêmes produits au même moment. Permettre l’émission d’informations depuis toutes les parties du monde - cela a été forte- ment souligné, il y a une extraordinaire asymé- trie à cet égard : certaines parties du monde sont surémetteuses et d’autres ne sont jamais entendues, il faut donc équilibrer cela. Enfin, peut-être convient-il de s’arrêter sur ce dernier point qui nous a caractérisés, il convient, en matière d’information, de développer l’esprit critique, à la fois par l’éducation et par l’exi- gence, par l’entraînement à la critique - ce qui suppose pour ce faire une liberté personnelle minimale.

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REMARQUES SUR LES TRAVAUX DES ATIELIERS

Par&t. Larry Seaquist, conseiller spécial du Directeur général de I’UNESCO,

coordonnateur des ateliers

J ?AI eu grand plaisir, hier après-midi, à écouter, en allant de l’un à l’autre, les déli-

bérations des six groupes. J’ai noté beaucoup d’opinions partagées et aussi quelques diffé- rences spécifiques. Le groupe méditerranéen, par exemple, était très conscient à la fois des tensions existant dans cette région et des rai- sons qui font qu’il est important d’y établir une certaine uniformité permettant de travailler ensemble. Chacun des groupes africains avait un jeu de perspectives distinct et les discussions y étaient riches et fort intéressantes. Le groupe des Amériques avait des allures de petite uni- versité où l’on débattait, de façon très intéres- sante et avisée, de la théorie de la sécurité à l’ère moderne, et le groupe 6 a eu à chaque séance une série de discussions passionnantes sur un large éventail de sujets. Je crois que si l’on donnait deux jetons à chacun de nous, nous mettrions tous un jeton dans la boîte cen- trale où se trouvent les idées communes sur les- quelles nous sommes tous d’accord en ce qui concerne l’insécurité, la sécurité et la façon de passer de l’insécurité à la sécurité et, par ailleurs, chacun aurait un jeton bien à lui qui se placerait quelque part ailleurs sur le graphique de nos positions personnelles. Et voici quelle sera pour vous ma conclusion : puisse chacun de nous apporter sur ces questions importantes un ensemble de points de vue personnels.

Naguère, nous avions l’habitude de mesurer la sécurité en comptant le matériel. Nous comptions les chars d’assaut de l’autre, ses avions, le nombre de ses bataillons, le nombre de ses armes, et ce compte donnait la mesure

de la sécurité. Je pense que, dans le monde futur, nous mesurerons la sécurité, nous déter- minerons les sentiments de sécurité ou d’insé- curité en nous comprenant mutuellement, et c’est précisément ce genre de réunions qui, en nous permettant de nous rencontrer et de comprendre nos façons de penser respectives, peut devenir l’activité la plus significative du point de vue stratégique.

Notre président a évoqué cette idée, que nous partageons tous, selon laquelle la pre- mière chose à faire était de développer un nou- veau jeu de rapports mutuels qui soient nos relations de travail, de nous comprendre les uns les autres. Je serais personnellement favo- rable à ce qu’à titre de mesure stratégiquement significative, à titre d’approche difficile, pra- tique, exigeante de la sécurité, nous nous atta- chions à trouver des moyens de nous com- prendre les uns les autres et de comprendre le point de vue de l’autre, ce que les Allemands appellent sa Weltanschauung. A cet égard, mon éminent voisin Leslie Atherley, qui dirige à 1’UNESCO le programme pour une Culture de la paix, a pour nous quelques programmes importants qui pourraient se révéler utiles. Tom Forstenzer, mon autre voisin à cette table, est l’architecte et l’inventeur du processus de Venise qui tend tout entier vers cet objectif, et je crois que nous avons tous une dette spéciale envers le Dr Moufida Goucha, qui a su voir que nous devions tous nous réunir dans une salle comme celle-ci pour y avoir ce genre de conversation et a mis toute son énergie et sa ténacité à concrétiser ce projet.

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PERSPECTIVES OUVERTES PAR LES TRAVAUX DES ATELIERS

par Mme Moufida Goucba, conseillère principale et spéciale du Directeur général de 1 ‘UNESCO,

présidente du deuxième atelier

E N ma qualité de présidente, j’enregistre que nos travaux ont atteint 80 % environ de

nos objectifs. Il est toujours bon de rappeler que parmi les objectifs généraux de ce sympo- sium il y avait le souci : l de jeter les bases d’une relation plus suivie

entre les instituts d’études de défense, dont le réseau constitue un ensemble privilégié d’interfaces entre problèmes de défense et questions de développement, de paix, de sécurité internationale et de dynamisme cul- turel et social ;

l d’envisager des projets concrets tels que l’institution de chaires nouvelles sur le pro- blème de la paix dans les académies de défense, des actions dans le domaine de la protection civile et du développement (notamment en milieu rural).

Alors, parmi les résultats qui sont intéressants et que je retiens, se trouve la proposition de demeurer unis, de jeter les bases d’une relation plus suivie, entre les institutions concernées, sous forme d’association. C’est une proposition qui peut être retenue, et l’Institut des hautes études de défense (IHEDN) pourrait se charger éventuellement de la constitution de cette asso- ciation.

Il est bien évident que toutes ces proposi- tions sont à votre disposition, et c’est à vous de juger de leur opportunité, intérêt ou impor- tance. Nous sommes là, je le redis, pour vous écouter, et nous sommes là également pour vous dire ce que nous faisons. C’est à vous, donc, de décider ce que vous allez faire avec nous. C’est justement le but essentiel de notre dialogue. Vos propositions sont nombreuses, très importantes et intéressantes, et c’est grâce à vous que nous pourrons donc aller au-delà et essayer de retenir un certain notnbre d’entre elles comme base d’une future collaboration.

Je retiens parmi elles la culture du développe- ment, qui revêt un intérêt certain pour I’UNESCO.

En ce qui concerne les orientations géné- rales - participer à la construction du futur, développer l’outil de connaissance et de réflexion, agir contre l’insécurité -, nous sommes tous d’accord. J’ai retenu particulière- ment une proposition faite ce matin : l’idée que les participants adhèrent à une déclara- tion commune. Pour avancer dans cette voie, nous avons rédigé un projet de déclaration que nous allons vous soumettre. Je vais demander immédiatement aux personnes chargées de la salle de distribuer ce projet de déclaration.Vous êtes donc invités à voir dans quelle mesure cette déclaration pourrait vous intéresser et, le cas échéant, dans quelle mesure vous pourriez y adhérerl.

En ce qui concerne l’apport de l’UNESC0, je voudrais me référer à la possibilité de créer des chaires UNESCO sur la base des travaux de ce symposium, notamment en matière d’une nou- velle approche de la sécurité. Ces chaires seront mises en place en étroite collaboration avec les instituts de défense, dans le cadre de leurs réseaux ou associations2.

Enfin, ce symposium a l’intérêt d’être pré- sent sur le réseau Internet ; c’est donc un sym- posium qui commence avec vous, mais qui se prolonge au-delà de cette enceinte.

1. Voir les pages 157 à 161 concernant les propositions pour la poursuite du dialogue.

2. Sur les chaires UNESCO (voir l’annexe 1, page 193).

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VUE D’ENSEMBLE SUR LES CONCLUSIONS DES ATELIERS

par ICI. Pb ilippe Ru tte, Directeur des études de I’IHEDN, rapporteurprinc@al

1. Si, par superposition des conclusions des deux ateliers, elles-mêmes issues du rappro- chement de points de vue assez divers, on cherchait à relever les zones de redondance et celles de vacuité, la carte qui en ressorti- rait ne laisserait pas de surprendre.

2. Le premier trait saillant, en effet, est que nulle part l’insécurité n’est imputée d’abord à des agressions, mais partout à des don- nées de base largement pérennes. Le second est que les remèdes ne consistent

nulle part à engager le fer pour détruire une source d’insécurité, mais partout a faire jouer des mécanismes subtils pour rétablir des condi- tions porteuses d’espoir.

Selon les régions et les approches, toutefois, les éléments mis en cause sont des plus divers et, souvent, difficiles à hiérarchiser, On en déduit donc qu’il n’y a pas de remède spéci- fique, ni générique, ni général, à l’insécurité, mais, probablement, autant de remèdes que de cas. Ce qui veut dire que le cœur du problème ne prend pas la forme de solutions, mais réside dans le renforcement de la capacité à en trouver,

Cette capacité s’appelle compétence des États, solidarité internationale dans le respect du droit, adhésion populaire et mobilisation de ressources ou de savoir-faire. Elle fait appel à la notion de pouvoir. Pour qu’elle s’exerce autre- ment qu’en intention, il faut pouvoir la déployer, ce qui comporte deux dimensions au moins : la volonté organisée de faire quelque chose, ce qui regarde la responsabilité poli- tique, et la force nécessaire pour l’accomplir. 3. D’un catalogue assez disparate d’exemples,

on en arrive ainsi tout droit à une évidence pour l’action : il faut travailler à donner aux nations une capacité d’action conjuguant trois caractères, 5 savoir :

l la légitimité issue du peuple, pour qu’un dialogue fertile s’accomplisse entre l’État et les individus ou les groupes ;

0 la légitimité reconnue par toutes les gentes (au sens de droit des gens), de manière à ce que la coopération internationale produise ses pleins effets de modération et de syner- gie dans l’action ;

0 la compétence réelle, et non pas seulement nominale, d’agir vraiment dans la durée.

4. Cette conclusion par anticipation ne serait que banale si elle ne prenait appui sur des perceptions mûrement exprimées par les représentants qualifiés de plus de quarante pays ayant l’expérience de l’insécurité sous des formes diverses. Elle tire son mérite de ce qu’elle n’est pas cantonnée à telle ou telle partie du monde, l’un des résultats des ateliers ayant été de montrer que si les formes présentes de l’insécurité prennent, certes, çà et là des aspects très différents, toutes procèdent cependant d’un déficit dans la prise en charge des problèmes fon- damentaux de kd société et non du jeu for- tuit de forces erratiques. On ne pourra sans doute jamais éradiquer complètement l’insé- curité qui, par exemple, règne quiètement sur les routes des pays les plus sûrs, de façon bien plus dangereuse que dans leurs banlieues les plus redoutées, mais on est sûr de la faire baisser considérablement d’échelle en corrigeant les maux endé- miques les plus graves, autrement dit en fai- sant évoluer les sociétés autour du respect de l’homme comme individu et en société. L’insécurité qui se dépeint à travers les remarques collectées au cours des ateliers n’est pas, au premier chef, de l’ordre de l’agression, mais de la corrosion ou de la crainte. La fragilité des frontières ne crée par

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elle-même guère de dommages, mais elle est toutefois vécue en Afrique, voire en Europe centrale, comme une source perma- nente d’inquiétude.

5. La leçon d’ensemble qui se dégage de cette approche, constatée et non pas sollicitée, est qu’en amont de toutes les politiques à envisager devrait s’engager un effort de base de longue durée tendant à privilégier les problèmes fondamentaux. Promouvoir cette attitude n’est possible qu’au bénéfice d’un patient effort d’éducation et de forma- tion par l’effet duquel puissent être réta- blies, dans l’esprit des hommes, les hiérar- chies de valeurs, ce qui passe par un progrès dans la connaissance partagée des réalités du monde. Une fois cette vision plus largement partagée, les enjeux se dessinent mieux et font l’objet d’un consensus plus large, les pouvoirs trouvent une meilleure assise à leur action, les moyens d’en assurer le succès peuvent s’employer, si nécessaire, avec le concours de la force requise pour établir une sécurité préliminaire.

6. Si les détresses économiques et sociales sont apparues comme un ferment majeur d’insécurité quotidienne, notamment dans le cas de l’extrême pauvreté et des asymé- tries entre pays et à l’intérieur des pays, il est intéressant de noter que plusieurs ate- liers leur ont raccordé le souci que donne une démographie immodérée. Tempérer la multiplication des hommes, ce qui suppose un investissement dans l’éducation des femmes et l’évolution de leur condition, est un remède tendanciel à l’insécurité. De même, il est assez neuf que les atteintes à l’environnement, d’où qu’elles viennent, soient consensuellement perçues comme des menaces graves pour tous. Ces deux registres de la démographie et de l’environ- nement laissent poindre un déplacement heureux du sens des responsabilités. Incriminer les conditions économiques et sociales revenait à s’en prendre à l’ordre des choses ou à des responsabilités loin- taines identifiées à des acteurs malins-le capitalisme, les métropoles, les multinatio- nales, etc. Au contraire, tant la démogra- phie que l’environnement ont le double effet de répartir entre tous le sentiment d’être parties à une même difficulté et d’en appeler à la responsabilité personnelle de chacun. C’est un progrès sensible dans la capacité à aborder en face les vrais problèmes.

7. Ce progrès mérite d’être souligné, pour sa discrétion et son efficacité, parce qu’en contrepoint les ateliers ont fait ressortir combien le déficit de conscience de la réa- lité des problèmes et de la responsabilité vis-à-vis d’eux était désastreux en termes de sécurité. Qu’il s’agisse de la sous-informa- tion, voire de la désinformation, de l’ab- sence de débat démocratique, du détourne- ment de pouvoir sur un mode ethniciste ou simplement prévaricateur, du développe- ment de trafics illicites, tout ce qui entrave la conscience d’un intérêt commun à défendre aboutit à diminuer la sécurité. En effet, dans ce cas, des forces s’emploient à mener leur propre jeu, ce qui non seule- ment contrarie la recherche du bien com- mun mais aussi introduit des facteurs de rivalité intrinsèquement destructeurs de sécurité. Au nombre de ces forces, qui jouent leur jeu particulier et sont identifiées comme des sources majeures d’insécurité, figurent les extrémismes de tout acabit.

8. Face aux nuisances que constituent les inté- rêts auxquels il est toléré de s’affranchir du cadre des normes du bien commun, l’appel à l’État, au droit et à la justice se fait pres- sant Qu’il s’agisse de réprimer le trafic international de déchets toxiques ou le pillage des fonds publics par les coteries dirigeantes, le remède est le même : pro- mouvoir un État de droit se conformant aux normes internationales et sachant les faire respecter, dans le ressort de sa souveraineté, dans le respect de l’équité. On a même observé que l’affaiblissement de souverai- neté effective des États dans un contexte de mondialisation pouvait être identifié comme une source d’insécurité. A contrario, la sécurité semblait pouvoir procéder de tout ce qui nourrirait le sentiment de confiance - internationale contre le repli identitaire et autarcique, nationale contre la guerre des intérêts en compétition, locale entre les acteurs de la vie courante.

9. Ces préoccupations ont tellement habité l’esprit des participants que l’un des ateliers a dû faire observer qu’on en oubliait la forme la plus grave trop souvent prise par l’insécurité, à savoir, la guerre ou la crimi- nalité. La pensée s’est alors portée vers deux pôles identifiés comme joints : le besoin de prévention et de contrôle des crises, pour contenir la dérive vers la violence, et le besoin d’application ferme de la force contre les fauteurs de troubles, sachant que

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le premier demeure vain sans le second et ce dernier inepte sans le premier. La force est perçue, par tous les participants, comme un adjuvant approprié de l’action lorsque cette dernière tend à établir des situations de paix, de prospérité et de liberté. Trop d’atouts sont parfois réunis contre ces valeurs positives pour que l’on puisse espé- rer leur établissement sans l’exercice de la supériorité militaire. Celle-ci s’avère alors un instrument déterminant de la paix, de la sécurité et de la prospérité. D’une manière générale, elle est perçue comme telle dès lors qu’elle s’exerce dans le cadre d’une coopération aussi large et pertinente que possible, et selon un mandat clair et légi- time. Aussi les participants recommandent- ils un développement de toutes les formes de coopération internationale et de valorisa- tion du droit ainsi que des mesures propres à ancrer la confiance, telles que la coopéra- tion décentralisée, la circulation des étu- diants et chercheurs, la coopération autour d’objectifs communs comme l’éradication de la drogue ou la lutte contre le terrorisme.

10. Au fond, ce qu’appellent les participants en réponse à l’insécurité, c’est une véritable culture du développement. Cette dernière aurait pour vertu de réunir le souci de coopération internationale, la volonté de développement endogène, l’exigence de légitimité et de respectabilité dans la gou- vernance, la fermeté dans la lutte contre les causes conjoncturelles d’insécurité, la mobi- lisation des hommes et des femmes par la culture, la motivation économique et l’es- poir civique, le tout dans le respect des externalités telles que l’environnement, le patrimoine, l’avenir..

11. Réunis pour débattre de la sécurité au sens le plus concret du terme, qui évoque spon- tanément, en creux, la violence physique à laquelle elle fait pièce, les participants ont été conduits très naturellement à atteindre d’emblée le registre des sources de l’insécu- rité et à ne considérer les formes de vio- lence que comme des épiphénomènes. Leur message est très clair et positif : il faut com- battre de telles formes avec les moyens d’en venir à bout sans détours. Pour épiphéno- ménales qu’elles soient, elles sont le mode le plus cruel d’expression de l’insécurité et

la font proliférer. La force la plus énergique et la plus organisée doit leur être opposée. Mais il faut, en même temps, consacrer encore bien plus d’efforts concertés pour annuler en sous-œuvre, même là où semble régner la sécurité, les raisons profondes de son érosion que sont le maldéveloppement, l’injustice, l’isolement, l’arriération.

12. C’est pourquoi les représentants des instituts de défense, parfaitement avertis des tenants et des aboutissants de l’emploi profession- nel de la force lorsque c’est nécessaire, et également ouverts aux raisons fondamen- tales de dysfonctionnement du monde, ont jugé pouvoir concourir au progrès vers la sécurité en décidant de demeurer unis, sous la forme d’une association à définir, pour partager leurs compétences et leurs inter- rogations dans ce domaine. Il leur a semblé que, dans cette configuration, ils étaient au surplus susceptibles de faire écho au mes- sage propre de I’UNESCO sur ces questions. La sécurité est globale. Cette expression canonique mérite d’être méditée : d’abord parce qu’elle écarte la notion d’agression, sauf pour s’y opposer, ensuite parce qu’elle implique la profonde connexion entre action civile et sérieux de la politique de défense, enfin parce qu’elle invite non pas simplement à la protection mais à l’action positive, une politique de sécurité et de défense étant d’abord une action pour faire la paix, servie par une capacité d’empêcher qu’on vous fasse la guerre.

13. Aujourd’hui, l’action pour faire la paix passe nécessairement par le concert des nations. Autant dire que la politique de sécurité et de défense doit s’y inscrire. Elle rejoint par là des intérêts plus généraux que ceux de chaque nation, pris isolément. Elle y perd un peu la capacité de servir des desseins funestes, et y gagne celle de concourir à des projets d’intérêt collectif pour l’humanité. Il est donc normal que des instituts qui ser- vent les politiques de sécurité et de défense, ou s’en préoccupent, s’unissent à l’échelle mondiale pour penser celles-ci dans leur vraie dimension contemporaine, qui est de concourir à la paix et de permettre qu’il soit porté remède aux vraies causes d’insécurité, qui sont toujours des données lourdes de l’histoire.

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VII. PROPOSITIONS POUR

LA POURSUITE DU DIALOGUE

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PROPOSITIONS POUR LA POURSUITE DU DIALOGUE

Les participants au symposium ont pris connaissance du projet suivant de déclaration (non adoptée)

Les participants au symposium inter- national fc Des insécurités partielles à la sécu- rité globale 11, organisé à I’UNESCO du 12 au 14 juin 19% à l’initiative conjointe du Directeur général de 1 ‘UNESCO, Federico MAYOR, du Directeur général de l’Institut des hautes études de défense nationale, le général d’armée aérienne Bernard NORLAIN, et avec le concoum‘ du Directeur de l’Institut d’études de sécurité de I’UEO, Guido LENZI, du Directeur du Centro Alti Studi per la Dzfesa, le général de CO?~S d’armée Carlo JEAN, et du Directeur du Centro Superior de Estudios de la Defensa National, le général de corps d’armée Javier Pardo de Santayana, 1. remercient les institutions initiatrices

de cette rencontre, dont l’organisation a de surcroît permis à de nombreux instituts qui ne pouvaient sly faire repré- senter de prendre part aux travaux par un dialogue direct à travers le réseau Internet, d’avoir ainsi suscité une vive inter- action entre les instituts de défense et de sécurité du monde entier, dans le cadre du programme fc Culture de la paix JJ engagé par I’UNESCO ;

2. constatent unanimement que les données présentes et futures de la sécurité revêtent désormais une dimension universelle, tous les facteurs en étant reliés à l’échelle du monde, de sorte que le besoin de les comprendre comme un problème d’en- semble est un pas culturel de plus en plus nécessaire à accomplir partout, à partir

d’une mise en comhun approfondie des contributions de tous ;

3. conscients de ce que les instituts de défense et de sécurité, de par leur double ouverture aux réalités de la déferlse et aux sociétés civiles ainsi que de par leur vocation de formation des esprits et d’analyse straté- gique, ont une responsabilité particulière à cet égard, s’engagent pour leur part à accentuer leur coopération pour un effort commun de recherche et de proposition dans le sens d’une meilleure contribution à la sécurité, à la paix, au développement et à l’application des principes démocratiques ;

4. soucieux de faire patiager leurs conclusions au plus grand nombre et d’appeler à les rejoindre toutes les capacités pertinentes sus- ceptibles de partager leur engagement, pro-

posent comme repère de leur projet la déclaration suivante :

A. La sécurité est mondiale et indivisible. Une dynamique générale de développement équi- table et équilibré en est la meilleure source. L’interaction croissante des sociétés à 1 ‘échelle mondiale en affirme toujours davantage la nécessité globale, sans suffire à éluder toutes

formes de violences ou d’antagonismes. L’avenir du monde passe par un besoin crois- sant de sécurité.

Déclaration des instituts de défense et de sécurité ainsi que des institutions stratégiques de toute nature réunis à Paris les 12-14 juin 1996.

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B. Les forces armées y prennent une part importante, en répondant de la sécurité exté- rieure des nations et en procurant à la com- munauté internationale la possibilité de faire cesser l’insécurité là où elle sévit, ainsi que par diverses contributions positives.

C. La prise de conscience du caractère global et universel de la sécurité nécessaire à toutes formes de progrès, et la prise en compte du rôle adéquat des forces armées à cet égard, appellent une importante évolution des esprits, laquelle suppose un profond changement culturel.

D. Les représentants des instituts de défense et de sécurité, ainsi que les institutions d’études stratégiques de toute nature, partagent une res- ponsabilité éminente à cet égard, de par la capacité qui est la leur de mettre en relation une analyse réaliste du monde tel qu’il est, une connaissance lucide des évolutions qui l’atten- dent, ainsi qu’une vision constructive des actions à entreprendre pour donner au progrès général les conditions de sa sécurité, c’est- à-dire de sa possibilité dans la durée.

E. En conséquence, les représentants des instituts de défense et de sécurité ainsi que les

institutions d’études stratégiques de toute nature ayant pris part au symposium cr Des insécurités partielles à la sécurité globale » l proposent de se constituer en association,

ajin de demeurer unis dans la perspective d’actions futures ;

0 accueillent avec faveur la proposition du Directeur général de I’UNESCO d’affecter au réseau qu’ils constituent ainsi une chaire itinérante de I’UNESCO, appelée (1 chaire de I’UNESCO pour une nouvelle approche de la sécurité Jl, destinée à faciliter des enseignements en leur sein dans le cadre de la culture de la paix et de la sécurité et dont la mise en ceuvre sera assurée au pro- jït de touspar UHEDN;

l seproposent de concourir à l’essor d’actions concrètes d’intérêt général, allant de la recherche en commun d’une définition d’indicateurs de sécurité à des opérations pratiques de développement, pour lesquelles ils pourraient mobiliser des capacités civiles et militaires, ainsi qu’à la promotion d’une culture de développement ;

0 invitent les institutions qui se reconnaî- traient dans ce projet à les rejoindre dans l’association qu’ils constituent et à joindre leurs forces aux leurs.

II.

Sur la base de la discussion qui s’est ensuivie, il a été décidé que 1’IHEDN se chargerait de mettre en œuvre la proposition concernant la création d’une association internationale des instituts de défense.

III.

La raison d’être de cette association serait de faciliter, pour chacun de ses membres, la cir- culation de l’information d’intérêt commun, de susciter les échanges, ainsi que des projets de coopération régionale susceptibles de bénéficier du concours, y compris financier, d’institutions internationales sur le thème de la sécurité.

Iv.

A la date du 12 novembre 1996, seize instituts avaient fait part à 1’IHEDN de leur intérêt à devenir membres, dont trois, sans compter l’IHEDN, se sont déclaré membres fondateurs potentiels : le CASD italien, le CESEDEN espagnol et 1’IDN portugais.

V.

Afin de donner officiellement corps à l’association et d’arrêter les statuts, une assemblée constitutive des membres fondateurs potentiels est prévue en 1997.

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Une fois cette association créée et unie par un forum de communication moderne, il lui sera plus facile de susciter en son sein, à des échelles régionales ou internationale, des actions concertées et des coopérations privilégiées. Comme telle, elle pourrait fonctionner comme un institut virtuel, prenant corps à travers ses divers membres.

VI.

Pour sa part, 1’UNESCO prépare parallèlement des propositions concernant la création d’une « chaire itinérante UNESCO sur la nouvelle approche de la sécurité a>, qui travaillerait en étroite collaboration avec l’Association internationale des instituts de défense une fois que celle-ci sera officiellement constituée.

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VIII. CLÔTURE DU SYMPOSIUM

Président : le général d’armée aérienne Bernard Norlain, Directeur de ITnstitut des hautes études de défense nationale (IHEDN),

puis M. Adnan Badv-an, Directeur général adjoint de I’UNESCO

L

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L’HUMANITAIRE DONNE-T-IL LA PAIX ?

par 111. Xavier Emmanuelli, Secrétaire d??tat auprès du Premier Ministre de la France,

chargé de l’action humanitaire d’urgence

La problématique humanitaire s’inscrit aujour- d’hui dans le cadre plus vaste d’une redéfini- tion des notions de sécurité nationale et inter- nationale.

On est passé d’une vision, celle de la guerre froide, qui réduisait le concept de sécurité à ses aspects militaires et stratégiques, à l’émergence de nouvelles notions de sécurité. Celles-ci se fondent sur la reconnaissance du fait que les États et leurs citoyens sont confrontés à un éventail de dangers beaucoup plus large qu’au- paravant, tels que la pollution de l’environne- ment, l‘épuisement des ressources naturelles, la croissance démographique, les drogues, la cri- minalité organisée, le terrorisme international, les violations des droits de l’homme, la prolifé- ration des armes portatives, les mouvements migratoires, la précarité économique et, enfin, les atteintes à la santé publique, dont l’actualité nous fournit des exemples frappants,

La question du retour à la paix de sociétés déchirées par des conflits internes, mise en lumière par la situation de la Bosnie, du Cambodge, de l’Angola, ne peut être abordée en dehors de ce cadre d’analyse global. C’est pourquoi je tiens particulièrement à remercier l’UNESC0 et I’IHEDN d’avoir pris l’initiative d’organiser ces trois jours de symposium sur le thème G( Des insécurités partielles à la sécurité globale >a.

En cette journée de clôture de vos débats, je souhaite vous livrer quelques réflexions per- sonnelles sur une question qui se situe au coeur de mon expérience au sein dune organisation humanitaire non gouvernementale puis, plus récemment, au service de l’État.

Pouvons-nous demander à l’humanitaire de donner la paix? Au cœur de la crise yougo- slave, on a pu entendre certains civils bos- niaques dire : e< Grâce à l‘humanitaire, nous

pourrons mourir le ventre plein. » Cruelle ana- lyse du rôle de l’aide humanitaire dans les crises, dont on pourrait dire également qu’elle permet de survivre, mais pas forcément de vivre, ni de vivre en paix.

Pourquoi ce constat ? La finalité de l’aide humanitaire, qui dicte son rapport à l’autre, c’est l’accès aux victimes. L’humanitaire s’inté- resse aux personnes en tant que victimes pla- cées dans la souffrance somatique, psychique, sociale. Les conventions de Genève, qui fixent l’orthodoxie humanitaire, assignent pour but à l’action humanitaire le libre accès aux victimes,

Quelles sont les conséquences de cette vocation ? Elles sont, à mon avis, d’une double nature : l l’humanitaire court en permanence le risque

d’entretenir la guerre ; l il ne peut, seul, assumer le rôle de construc-

tion de la paix. Que l’humanitaire aboutisse parfois à entretenir la guerre, c’est ce que l’expérience nous montre en Somalie, en Afghanistan, en Bosnie. La raison principale en est que les agences humanitaires s’insèrent soudainement, et sou- vent massivement, dans un contexte local qu’elles ne connaissent pas et qu’elles n’ont ni les moyens ni le temps de décrypter.

Dans des crises ethniques ou claniques, il est difficile, pour les organisations d’aide, de ne pas servir les intérêts d’une faction ou d’une autre. Pour accéder aux victimes, il faut franchir les lignes armées, qui prélèvent leur dîme sur l’aide internationale. C‘est une loi qui s’impose aux acteurs de l’humanitaire : pour espérer nourrir les victimes, il faut accepter de gaver les bourreaux.

L’accusation fréquemment adressée à l’assis- tance internationale est qu’elle renforce les logiques d’affrontement en fournissant, de par

La problématique humanitaire

s’inscrit aujourd’hui dans

le cadre plus vaste d’une

redé$nition des notions de

sécurité nationale et

internationale.

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La recherche de la paix est une recherche politique, qui se mène avec des mqyens diplomatiques et militaires, pas avec des moyens humanitaires.

. ..d’unepati. 1 ‘humanitaire ne peut se substituer au politique et, d’autrepati, . la répartition

des rôles entre làctiou humanitaire et 1 emploi de.s forces armées pour le maintien de la paix doit être d ‘une extrême précision.

sa seule présence, les moyens matériels et politiques de continuer les combats. Quand une équipe médicale s’occupe des blessés au combat, elle sait qu’une partie des hommes qu’elle a soignés va retourner se battre.

Les détournements de l’aide acheminée par convois en ex-Yougoslavie, l’aide objective apportée aux promoteurs de la purification eth- nique par l’évacuation de la population civile en Bosnie-Herzégovine, l’assistance apportée sans discrimination à des réfugiés qui ont commis des violations graves des droits de l’homme au Rwanda sont autant d’exemples de l’ambiguïté, ou de la prise en otage, de l’assis- tance internationale.

La question de la sécurité des missions humanitaires est un facteur supplémentaire de confusion, Elle se pose d’autant plus dans les conflits internes, qui représentent 90 % des conflits actuels et dans lesquels les agences d’aide sont une cible permanente, Le recours à des services de protection ou à des escortes militaires a favorisé localement la multiplication de milices tirant une large part de leurs reve- nus de la <’ protection ~2 accordée aux agents humanitaires.

On a pu ainsi soutenir que l’aide humani- taire contribuait activement à financer la pour- suite des combats, pour ne rien dire du para- doxe qui consiste à protéger les protecteurs, défendre les défenseurs des victimes, Cette <I méta-protection 2) ne peut que s’insérer dans les logiques locales de conflits et les pervertir.

J’ai voulu mettre en lumière, un peu bruta- lement, le fait que l’humanitaire courait tou- jours le risque de prolonger la guerre.

La seconde conviction que j’ai acquise face aux situations de crise est que l’huma- nitaire ne permet pas, à lui seul, de construire la paix.

L’action humanitaire s’inscrit dans un rap- port au temps qui lui dicte ses moyens d’action et fixe ses limites.

L’urgence est une action dans l’immédiat, elle répond à une situation exceptionnelle et la rapidité d’intervention est la condition de sa réussite. Cette temporalité spécifique est large- ment issue du développement de la télévision, qui, depuis la guerre du Viet Nam, a mis les détresses lointaines sous le regard de l’opinion publique. Les crises façonnent une opinion et une demande d’action immédiate.

Un mode d’action spécifique découle de cette relation au temps. Pour l’urgence, les deux domaines privilégiés sont l’aide médicale et l’aide alimentaire. De la qualité d’une logis-

tique généralement lourde dépend le résultat de l’intervention.

Les acteurs de l’aide humanitaire d’urgence ne recherchent qu’éventuellement l’accord des gouvernements ou le partenariat avec des orga- nisations locales, l’initiative humanitaire étant le moteur de l’action.

Dans tout programme d’aide d’urgence, il existe un équilibre entre la mise en ceuvre rapide de l’aide et ses implications de long terme. Plus l’emphase est mise sur la rapidité et la vision des activités en termes logistiques, moins on insiste, dans la préparation des pro- jets, sur les discussions et le débat avec les per- sonnes affectées par les conflits.

Ce mode d’action signifie qu’il n’est pas du ressort de l’aide humanitaire d’entrer dans le processus contractuel, d’essence politique, à partir duquel la paix peut se construire entre les différents acteurs.

La recherche de la paix est une recherche politique qui se mène avec des moyens diplo- matiques et militaires, et non avec des moyens humanitaires.

C’est toute la différence que marque le voca- bulaire militaire anglo-saxon entre les faiseurs de paix (peace-makers) et le maintien de la paix (peace-keepers>. Faire la paix relève d’une mission de force qui se mène avec des armes offensives, alors qu’une paix qui s’apparente à un statu quo est maintenue par des armes défensives.

Quand on fait la paix, l’humanitaire ne peut venir qu’en appoint, alors que, dans les opéra- tions de maintien de la paix, l’humanitaire fait partie intégrante des interventions.

Ces précisions ne sont pas seulement sémantiques : elles indiquent, d’une part, que l’humanitaire ne peut se substituer au politique et, d’autre part, que la répartition des rôles entre l’action humanitaire et l’emploi des forces armées pour le maintien de la paix doit être d’une extrême précision.

L’humanitaire ne peut se substituer au poli- tique. Lorsque cela est le cas, il s’agit d’un véri- table détournement de l’humanitaire, lequel consiste, pour des pays qui auraient les moyens de mettre fin à un conflit armé, à apaiser leur opinion publique en substituant une initiative humanitaire à une véritable opération de main- tien de la paix.

On peut intégrer une préoccupation huma- nitaire, dictée par l’intérêt de la population en danger, dans la prise de décisions politiques, mais l’humanitaire ne saurait être considéré comme une politique de rechange.

Bien entendu, la nature des crises contem-

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poraines, où la violence politique est le moteur principal des conflits, renforce la relation entre l’action humanitaire et l’emploi de la force, que celui-ci soit fondé sur un mandat d’interposi- tion ou de maintien de la paix. Il est utile de critiquer les confusions auxquelles ce rappro- chement a pu donner lieu, mais il serait naïf d’ignorer que c’est l’évolution même des crises qui rend cette confusion plus difficile à éviter.

Si la guerre a changé, la paix n’est plus la même. Rares sont les guerres civiles d’où un parti sort vainqueur. Presque toujours, la paix se construit sur la base d’un cessez-le-feu imposé par la communauté internationale,

Il revient au politique de fixer une mission claire aux forces armées qui imposent ce cessez-le-feu sur les terrains de crise, sans confondre les logiques à l’œuvre : 0 l’action militaire repose sur la force en vue

de la contrainte ; l l’assistance humanitaire est offerte aux vic-

times, sans conditions, Confondre les deux domaines revient à les neutraliser, au lieu d’en exploiter les complé- mentarités. Le rôle des décideurs internatio- naux, tel que je le comprends, est de donner aux militaires un cadre politique, un mandat clair, structuré, limité dans ses objectifs, dans le temps et dans l’espace, en s’assurant que les structures de commandement sont adaptées à ce mandat.

Cela a été, à mon sens, une grande qualité de l’opération Turquoise, dont la mission fixait clairement la durée, le lieu d’intervention et les objectifs, et qui faisait l’objet d’une garantie internationale à travers la résolution 927 du Conseil de sécurité de 1’ONU.

En l’absence de cette clarté de définition des objectifs vis-à-vis d’un pays en crise, l’humani- taire est un substitut impossible à la politique. Il peut accompagner une action politique menée par des voies diplomatiques ou mili- taires, mais il ne saurait avoir prise sur les pro- cessus de long terme à partir desquels la paix peut s’élaborer.

Plus exactement, l’aide humanitaire touche à ces processus, sociaux, politiques et écono- miques, mais sans avoir les moyens de com- prendre en finesse le contexte local dans lequel ils s’inscrivent.

Nous demandons à l’humanitaire plus qu’il ne peut tenir : le retour et la réintégration des réfugiés, la réhabilitation et la reconstruction des sociétés sortant de la crise, le désarmement des combattants et leur réintégration dans la

société civile, la réinsertion des victimes des conflits, le rétablissement des institutions, en particulier des systèmes judiciaires, le retour au respect des droits de l’homme. Autant de domaines où les solidarités familiales, villa- geoises et communautaires, les ressources locales épargnées par la crise, les traditions culturelles, accompagnées par une aide inter- nationale adaptée à ces mécanismes, sont pla- cées face à leurs responsabilités.

Nous demandons à l’humanitaire

plus qu ‘il nepeut tenir.

Parmi ces domaines, il en est un qui revêt pour moi une importance particulière : celui de la lutte contre les mines antipersonnel.

C’est là, je crois, l’une des rencontres capi- tales entre (1 l’humanitaire ‘> et le militaire, car, depuis longtemps, cette arme a échappé à sa finalité défensive pour devenir un fléau inter- national,

Ce fléau s’analyse autant comme un pro- blème humanitaire que comme un obstacle au développement. Lutter contre ces armes, ce n’est pas seulement dépolluer les zones atteintes : l’expérience cambodgienne suggère que les mines peuvent être replacées par les paysans eux-mêmes pour protéger leurs champs ou leur grenier à semences. Il est nécessaire de comprendre le contexte de leur utilisation et la nature du risque qu’elles engen- drent dans une société donnée.

Sur le plan international, la lutte contre leur prolifération et leur utilisation relève purement de la décision politique.

C’est tout le sens de la position du Président Jacques Chirac, dont je tiens à citer le discours de clôture, la semaine dernière, de la quarante- huitième session de I’IHEDN, au sujet de la nécessité d’une mobilisation urgente de la communauté internationale sur ce thème : <q La France ne ménage et ne ménagera aucun effort à cet effet. Elle a annoncé, en septembre der- nier, un moratoire sur la production de toutes les mines antipersonnel qui s’ajoute à celui, déjà en vigueur, sur les exportations. Elle a engagé la réduction, par destruction, des stocks existants. Nous devons encore progresser dans cette voie pour que, le moment venu, tous les pays puissent unir leurs efforts en vue de l’interdiction totale et générale des mines anti- personnel. )s

Dans la lutte contre les mines et, plus géné- ralement, dans le retour à la paix de sociétés en proie aux crises, l’aide humanitaire peut jouer un rôle de déclencheur, mais elle est incapable de se substituer à l’action politique, seule capable de donner la paix.

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LES VALEURS DE PAIX DANS LA CIVILISATION CONTEMPORAINE

par A4 Federico Rampini, rédacteur en chef du journal La Repubblica à Milan

Aujourd’hui, le binôme guerre-paix se joue, pour une grande partie de l’humanité, dans le domaine de l’économie. D’abord parce que dans le développement économique réside un espoir d’éviter la guerre mais aussi, par un étrange paradoxe, parce que le développement économique lui-même est considéré aujour- d’hui comme une nouvelle forme de guerre. Cela nous porte au cœur d’une question fon- damentale pour l’avenir même de la paix : le phénomène de la globalisation de l’économie mondiale.

La globalisation est-elle un facteur de déve- loppement et de réduction des inégalités, donc de pacification ? Pourquoi, dans les pays riches, la globalisation est-elle perçue comme un conflit, comme une menace ? Dans la civilisa- tion contemporaine, l’homme est de plus en plus un homo economicus (sujet économique). Il l’est dans sa propre conscience, car l’opinion publique est de plus en plus avertie des pro- blèmes économiques. Jamais, dans l’histoire de l’humanité, l’économie n’a autant dominé notre discours public, l’attention des citoyens et la vision des classes dirigeantes de nos pays.

Or, la vision prépondérante aujourd’hui est celle qui interprète les relations économiques internationales sous forme de compétition. Dans la compétition économique se trouve en fait, selon cette vision, la nouvelle guerre contemporaine. Et, dans cette guerre, les opi- nions publiques et les classes dirigeantes occi- dentales, surtout celles de l’Europe occidentale, se sentent agressées. Elles ont donc tendance à répondre par des stratégies défensives,

Selon la vision géo-économique qui inspire les gouvernements occidentaux, la concurrence entre les appareils technologiques et financiers des nations se substitue aux conflits militaires proprement dits. L’enjeu de cette concurrence

est la conquête, par chaque nation, de parts du marché international, de façon à accroître son produit national et à créer des emplois, si pos- sible des emplois plus qualifiés et à plus haut salaire. On assiste d’ailleurs à la reconversion des services secrets, qui se livrent désormais à l’espionnage ou au contre-espionnage indus- triel, souvent même entre pays amis, preuve que la compétition économique prend le pas sur la confrontation militaire. Mais, je le répète, dans l’ère de la globalisation, les peuples de l’Europe occidentale perçoivent celle-ci comme une menace pour leur civilisation, pour leur niveau de vie, leurs acquis sociaux, leurs droits syndicaux, bref, pour leur sécurité et même, quelquefois, pour leur identité. Cela est impor- tant, j’insiste sur cette perception en Europe occidentale, car n’oublions pas que l’Union européenne représente aujourd’hui le plus grand marché du monde. Cette vision est pro- fondément trompeuse et dangereuse. De cette insécurité peuvent naître des guerres commer- ciales susceptibles, à leur tour, de conduire à la guerre tout court.

Cette c< diabolisation 1’ de la mondialisation de l’économie provient d’une idée fausse et tendancieuse : c’est la perception selon laquelle le commerce international et les relations éco- nomiques internationales seraient un jeu à somme nulle : ce que je gagne, tu le perds ; ce que je perds, tu le gagnes. Face à la sup- pression graduelle des barrières douanières, face à la circulation de plus en plus rapide des technologies et des capitaux, les travailleurs européens craignent de ne pas pouvoir se mesurer à la main-d’œuvre à meilleur marché des pays en développement. Ils voient donc dans cette concurrence une cause importante du chômage qui frappe nos sociétés. Ainsi le décollage économique des pays en développe-

Cela nous porte au cœur

d’une question fondamentale pour l’avenir

même de la paix.

le phénomène de la

globalisation de l’économie

mondiale.

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L’économie internationale n ‘est pas la continuation de la guerre par d’autres moyens. La guerre économique, la tentation récurrente du protectionnisme commercial peuvent déstabiliser des continents entiers et f aire réapparaître le spectre de la guerre, la vraie.

ment est-il perçu quelquefois comme une véri- table catastrophe, par une singulière et inquié- tante subversion de la réalité.

Il est urgent, dans l’intérêt de la paix et de la prospérité mondiale, de rétablir la vérité dans nos consciences, dans nos opinions publiques, pour rétablir cette vérité dans nos politiques. Bien sûr, le progrès dans les trans- ports et dans les télécommunications ainsi que les nouvelles technologies légères de l’ère numérique et digitale ont permis aux pays les

moins riches, ou, en tout cas, à un grand nombre d’entre eux, de prendre part à l’écono- mie globale.

Bien sûr, le succès stupéfiant de certains pays asiatiques a donné lieu à des dépasse- ments spectaculaires. Ainsi, en 1995, le revenu par habitant de Singapour a dépassé celui de la France et de l’Italie, mais ni la France ni l’Italie n’en sont plus pauvres pour autant, En tout cas, nous voyons là l’un des symptômes les plus évidents du caractère révolutionnaire de cette globalisation. Il y a vingt ans, lorsque s’achevait la guerre du Viet Nam, l’ensemble du Sud- Est asiatique n’était que misère et sous- développement, contrairement à ce que nous connaissons aujourd’hui. La globalisation a donc réduit les frontières de la misère et de la marginalisation.

Lorsque le GA’M (General Agreement on Tariffs and Trade) est né dans l’après-guerre, seuls onze pays en voie de développement en faisaient partie. Aujourd’hui, ils sont quatre- vingt-dix à être membres de l’Organisation mondiale du commerce, qui a succédé au GATT, et une trentaine d’autres se préparent à y entrer, Les quinze pays les plus dynamiques au monde aujourd’hui, en ce qui concerne la croissance des exportations, sont des pays en développement, Leur part dans le commerce international est passée de 5 à 15 % du total. Elle a donc triplé.

La mondialisation est en train d’affranchir des peuples entiers de la pauvreté. Cela concerne une partie importante de la planète, dont le niveau de vie fait aujourd’hui des bonds prodigieux. Tout le tiers monde n’est pas concerné, hélas ! Le miracle du développe- ment, de ce développement à des taux rapides, concerne la plupart des pays d’Asie, en partie l’Amérique latine, mais, malheureusement, pas autant le continent africain. Il faut cependant souhaiter une prolifération et non pas une limi- tation des effets bénéfiques de la globalisation.

Le commerce international n’est pas une guerre. Ce que d’autres gagnent, nous ne le

perdons pas. L’ouverture de nos marchés, de nos marchés d’Europe occidentale, des États- Unis d’Amérique, a permis à une partie de l’humanité de sortir de la misère, mais, en même temps, ces pays sont devenus pour nous de nouveaux marchés, des débou- chés de plus en plus importants pour nos économies.

Quelques chiffres : entre 1992 et 1994, les exportations de l’Union européenne vers l’Asie ont augmenté de 22 %. Au cours des quatre dernières années, la croissance des importa- tions des pays asiatiques a été supérieure à celle de leurs exportations, Les nouveaux « tigres » asiatiques, ou « bébés-tigres », comme la Thaïlande, la Malaisie et l’Indonésie, ont cumulé un déficit du commerce extérieur de huit milliards de dollars, ce qui démontre que ces pays achètent à l’étranger plus qu’ils ne vendent. Ce sont de grands consommateurs, et la dernière récession économique importante qui a touché l’Europe a heureusement été atté- nuée par l’explosion de la demande des pays asiatiques. C’est la première fois que cela se produit depuis l’après-guerre.

Auparavant, le cycle économique des pays développés était tout à fait insensible à la situa- tion des pays en développement. Celui de la conjoncture économique se déroulait et se jouait entièrement dans les relations entre l’Europe et les États-Unis. Pour la première fois, l’Asie a joué un rôle très positif sur notre conjoncture économique. Le développement de cette partie du monde ne signifie donc pas seulement une prolifération de nouveaux concurrents, c’est le début d’un cercle vertueux pour la croissance mondiale, qu’il faut essayer d’amplifier en y faisant entrer de nouveaux pays et de nouveaux continents.

Les pays en développement ont besoin que nos marchés leur soient ouverts, et de plus en plus ouverts, Nous avons besoin à notre tour qu’ils s’enrichissent, car leur croissance est une garantie pour notre prospérité et pour notre emploi. Nous serions très fragilisés nous- mêmes si le développement, de l’Asie, par exemple, devait brusquement s’arrêter.

Certes, il y a chez nous des tensions sociales, des conflits sociaux qui sont liés à la thérapie amincissante de l’État providence que nos gouvernements sont en train d’appliquer. Est-ce la faute de la globalisation ? Non, ou en tout cas très partiellement. La crise de nos systèmes de sécurité sociale est surtout le fait de l’évolution démographique et des finances publiques. La réforme des retraites,

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des systèmes de santé, des indemnités de chô- En conclusion, l’économie internationale mage, qui concentre l’attention presque obses- n’est pas la continuation de la guerre par sionnelle des opinions publiques de l’Europe d’autres moyens. La guerre économique, la ten- occidentale, nous la devons à des choix qui tation récurrente du protectionnisme commer- doivent être faits pour nos enfants et les géné- cial peuvent déstabiliser des continents entiers rations futures, pour ne pas leur laisser un héri- et faire réapparaître le spectre de la guerre, la tage de dettes. vraie.

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INTERVENTION

par ICI. Adnan Badran, Directeur général adjoint de I’UNESCO,

président de la séance de clôture du symposium

Je dois dire que j’ai été très sensible à la conception que vous vous faites de la mondia- lisation de la sécurité. Je suis persuadé que la mondialisation est une notion que nous devons désormais aborder de front. Les forces du mar- ché sont très apparentes et ce sont elles qui vont déterminer, dans une large mesure, l’ave- nir de cette mondialisation. Plus vite nous abor- derons la mondialisation, mieux nous nous pré- parerons à entrer dans le prochain millénaire sur un terrain des plus fermes. Il s’agit d‘un concept nouveau, qui se trouve renforcé par la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et aussi par la chute de tant de murs et de barrières qui entravaient le com- merce ou les échanges.

Il y a une nouvelle culture, une culture de la mondialisation. Une mondialisation qui sera de plus en plus déterminée par des marchés mondiaux, où les multinationales et les forces économiques seront de dimension planétaire et qui nous rapprochera toujours davantage d’un vieux concept dont nous avons beaucoup parlé dans cette enceinte, celui de village planétaire. Le concept de village planétaire qui a désor- mais pris corps se caractérise, que cela nous plaise ou non, par l’interdépendance. Nous allons vers trop d’interdépendance. Tant de murs vont devenir perméables pour permettre 2 cette mondialisation de poursuivre toujours plus avant son cours ! Une nouvelle culture est là, avec laquelle nous devons traiter. Quand je pense à la mondialisation, c’est toujours dans des termes très divers. Quand nous traitons le problème de l’éducation, sommes-nous prêts à entrer dans l’ère de la mondialisation ? Avons- nous assez fait dans le domaine de l’éducation ? Sommes-nous prêts à étudier la culture, la mosaïque des cultures du monde, avec ses sept mille langues ? Que va-t-il en advenir? Car le

fait est que la mondialisation est porteuse d’une culture commune. Comment préserver ces identités, sur le problème desquelles se sont penchés vos ateliers ? Comment préserver la langue, les valeurs et les traditions qui sont saines ? Il ne s’agit pas de dire que toute tradi- tion est une tradition morte. Certaines sont des traditions vivantes qui transmettront leur vitalité à notre mondialisation. C’est la mosaïque que vous voyez en Europe qui est en train de constituer une unité, tout en préservant ses langues et la juxtaposition de ses particula- rismes. Il y a là, je le crois, quelque chose de très important parce que cela est en rapport étroit avec la sécurité, avec la sécurité au niveau planétaire.

A présent, le savoir se répand très vite, en quelques secondes, que ce soit sur Internet ou

à travers les réseaux des médias, CNN et autres. C’n réseau peut déclencher une guerre ou arrê- ter une guerre sur l’heure. Nous n’entendons plus parler de la Somalie, parce que le réseau l‘ignore. Pourtant, la Somalie existe encore. Ses problèmes existent encore. Nous n’en enten- dons rien. Mais nous entendons beaucoup par- ler de la Bosnie. Ainsi, donc, cette capacité des médias à faire commencer ou cesser une guerre est une réalité qu’il faut intégrer à ce concept de mondialisation. Lorsque l’information et le savoir atteindront sans délai le moindre recoin de la planète, l’opinion publique et les pres- sions qui s’exercent, à travers les procédures parlementaires, dans une société démocratique prendront un poids accru, et influenceront les gouvernements en les amenant à intervenir pour mettre fin aux conflits. Cela est très, très important.

Et puis, il y a l’ignorance. Avec l’information qui franchit toutes les frontières du monde, nous pouvons nous attendre à voir s’élever les

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Inclure les exclus, atteindre les isolés, voilà des nécessités ’ auxquelles nous allons être confrontés.

Car tel devrait être, du moins nous l’espérons, le fkuit de la mondialisation : la consécration de la dignité de l’être humain en tout lieu de notre planète.

taux d’alphabétisation et s’abaisser les taux de croissance démographique. Il y a un aspect positif à la mondialisation. L’information et le savoir lui-même sont appelés à se propager de lieu en lieu, et cela aura également une inci- dence sur l’exclusion. Il y a, nous le voyons, tant de problèmes ethniques dans le monde et tant de facteurs religieux en vase clos, du fait qu’il n’y a pas assez de dialogue entre les reli- gions, pas assez de dialogue entre les groupes ethniques. C’est toujours l’exclusion qui en résulte, et cela au moment où il nous faut atteindre les isolés. La mondialisation va y pourvoir. Mais il est extrêmement important de préserver l’identite des groupes qui ont connu l’exclusion pendant des milliers d’années et, cependant, il faut les ouvrir pour prévenir de nouveaux conflits.

Inclure les exclus, atteindre les isolés, voilà des nécessités auxquelles nous allons être confrontés. Davantage de démocratisation et de droits de l’homme, ce sont bien là des effets positifs à attendre du concept de mondialisa- tion. Mais, s’agissant de mondialisation, le plus important est bien l’effet qu’elle exercera sur les migrations, les changements démogra- phiques, sur les notions liées d’environnement et de développement durable qui ont fait l’objet de la Conférence de Rio en 1992. Les migrants sont à la recherche d’un travail, d’un emploi. Si la mondialisation s’accompagne de l’idée que les multinationales, en implantant leurs industries, vont générer davantage d’effi- cacité et, notamment, réduire les coûts de la main-d’œuvre, c’est l’ensemble du concept de migration qui doit être changé.

Mais quels sont les aspects négatifs de la mondialisation ? J’ai cité certains éléments ayant trait aux cultures, aux identités et aux valeurs qui risquent de se perdre, j’ai parlé des langues qui sont effacées par la langue com- mune d’Internet et la langue commune des réseaux qui, aujourd’hui, gouvernent le monde. La mondialisation aura pour effet l’apparition de certaines poches de pauvreté parce qu’elle est porteuse d’une dose d’injus- tice, d’injustice sociale, elle crée un certain chômage parce qu’elle va là où il y a de l’argent à gagner. Elle ne fait pas entrer en ligne de compte d’autres facteurs de la dimen-

sion humaine. La pauvreté est un problème très important auquel il faut s’attaquer, nous devons la réduire parce qu’elle engendre la violence. La pauvreté génère le trafic de stu- péfiants, la pauvreté crée l’insécurité sociale à l’intérieur des pays mêmes. Ainsi faut-il saisir, lorsque nous parlons du Nord et du Sud, c’est- à-dire des nantis et des démunis, qu’avec la mondialisation nous allons voir cette notion passer de la dimension planétaire à celle d’une réalité sensible à l’intérieur de chaque pays. Cela ne peut qu’y susciter un conflit entre nan- tis et démunis, et c’est un problème auquel il va falloir s’attaquer : trouver les moyens de prévenir ces conflits, les conflits de la pau- vreté. La mondialisation pourrait générer un regain massif d’activité du marché de l’arme- ment parce que, là encore, les marchés libres sont le lieu de la quête de profits éclairs. Or le commerce des armes et l’invention des machines de guerre ont toujours été des sources de profits éclairs.

L’espionnage - je parle de l’espionnage économique, le seul qui subsiste - sera lui aussi monnaie courante à l’avenir, parce que celui qui a accès à la technologie, aux savoirs nouveaux, à la nouvelle frontière de la connais- sance, celui-là est en avance sur les autres dans le jeu de la guerre économique que nous voyons surgir.

Ces quelques réflexions que m’inspire le concept de mondialisation ne sont pas à prendre à la légère. Nous pouvons lui trouver bien d’autres avantages et inconvénients, que je n’aborderai pas, ce serait beaucoup trop long, mais je crois que nous devons tous nous atta- cher à cerner de mieux en mieux le concept de mondialisation, qu’il s’agisse de la culture, de la pauvreté, des aspects économiques, ethniques, religieux et autres, en nous préoccupant des moyens de développer partout le dialogue, la compréhension et le respect de la dignité humaine, car tel devrait être, du moins nous l’espérons, le fruit de la mondialisation : la consécration de la dignité de l’être humain en tout lieu de notre planète.

Je vous remercie et donne maintenant la parole au général Norlain, à qui je laisse le soin de prononcer le discours; de cl&Üre de ce symposium.

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par le général d’armée aérienne Bernard Norlain, Directeur de l’Institut des hautes études de défense nationale

Monsieur le Directeur général, Mesdames, Messieurs,

Le programme appelait de ma part un discours de clôture, mais vous m’êtes témoins que la chose est impossible. Vous venez d’adopter une résolution qui nous appelle à travailler ensemble pour de longues années à venir. Vous avez formulé la proposition de vous former en association des instituts de défense et de sécu- rité pour assurer cette continuité. En décidant de doter ce réseau naissant d’une chaire UNESCO pour la sécurité, le Directeur général de I’UNESCO nous a confié une mission et une responsabilité. Je n’ai donc d’autre choix que de faire un discours d’ouverture. Ouverture, le mot me paraît au surplus sonner tout à fait juste au terme de ce symposium.

Il a en effet marqué l’ouverture réciproque du monde des forces armées et de ce que la société civile a de plus civilisé, je veux dire le monde de la culture, symbolisé par 1’UNESCO.

Il a par ailleurs mis un terme, que j’espère définitif, à une série de césures périmées : Est- Ouest, Nord-Sud, puissants et faibles, en mon- trant à la fois que l’insécurité affecte ou peut affecter chacun de nos pays, de sorte qu’il y a à la fois égalité de situation et communauté de destin à cet égard.

Il a, enfin et surtout, éclairé bien des voies qui demeuraient obscures, tant pour l’esprit que pour l’action. Mais avant d’en dégager quelques-unes, je voudrais revenir sur des évi- dences et des définitions qui me paraissent essentielles et qui, d’ailleurs, ont été évoquées ou soulignées lors de vos travaux.

Tout d’abord, le monde actuel est, à mon avis, caractérisé par le couple dialectique de son interdépendance et de sa fragmentation.

L’interdépendance mondiale, la globali- sation, accompagnant un affaiblissement de la nation et une déstabilisation économique et culturelle, provoquent en retour un repli identitaire et communautaire ainsi qu’une désagrégation de l’ordre social. C’est alors les relations intérieures qui sont soumises à la violence, ce qui est confirmé par le fait que, sur trente-quatre conflits dénombrés en 1995, presque tous ont été des conflits intra-États.

De plus, ce monde est un monde sans logique ni règles du jeu. Un monde planétaire où s’enchevêtrent des logiques différentes pour lesquelles nous n’avons plus de clefs globales, un monde de chaos et de volontés de puis- sance où l’espace-temps international apparaît comme un agencement de hiérarchies enche- vêtrées, de systèmes interactifs complexes. Un monde multipolaire, fragmenté, où la global animosity qui l’accompagne constitue le pro- blème géopolitique majeur.

Ce moment où notre monde s’universalise est celui où, simultanément, il se fragmente et devient chaotique.

Comme l’ont dit M. Federico Rampini et le Directeur général adjoint de l‘UNESC0, la mon- dialisation a des effets bénéfiques car elle favo- rise le développement et l’universalisme des principes démocratiques, mais, en retour, elle pose la question de la violence issue de la frag- mentation.

Que cette violence se situe au niveau de la nature humaine, des régimes politiques ou de la structure anarchique du milieu international, elle est présente, et toute la question est de savoir si elle va se généraliser ou si notre monde va diffuser la paix. Or, la paix se construit. C’est la raison pour laquelle nous sommes là.

Ouverture, le mot me paraît au

surplus sonner tout à fait juste au terme de ce

symposium.

Il a en effet marqué

1 ‘ouverture réciproque

du monde des f orces armées

et de ce que la société civile

a de plus civilisé,

je veux dire le monde

de la culture, symbolisé par

I’UNESCO.

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Qui veut s’en prendre à 1 ‘insécurité doit s’attaquer à ces maux fondamentaux, ce qui appelle des moc))ens tout différents de ceux de la coercition : il s’agit de faire appel au courage, aux aspirations, à la motivation des peuples, et non pas seulement d’intervenir brutalement contre telle ou telle manifestation d’insécurité induite par des phénomènes plus profonds.

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Il n’est pas habituel de voir se réunir des militaires ou des spécialistes des questions de défense sous le toit protecteur de 1’UNESCO. Je salue là une initiative hardie et originale de l’Organisation et de son Directeur général, qui a bien compris que la sécurité était indispen- sable au développement économique et à celui des principes démocratiques et que, dans le cadre de la sécurité, les forces armées avaient un rôle essentiel à jouer.

A ce stade, comme l’a d’ailleurs souligné un participant à ce colloque, il convient de bien préciser les termes de sécurité et de défense. En France, la notion de sécurité est très souvent assimilée à celle de sécurité intérieure. par opposition à celle de défense, dont le champ d’action est extérieur.

Sans nier cette dimension essentielle de la sécurité intérieure, dont nous avons vu qu’elle était maintenant étroitement liée à la sécurité extérieure, je crois que la sécurité est partout comprise au sens anglo-saxon du terme, que l’on pourrait définir comme un « ordre politico- stratégique ‘2 établi entre les éléments d’un sys- tème, de telle sorte que chacun est assuré du maintien de la paix.

Or, si l’on s’en tient aux seuls concepts, il existe une opposition entre sécurité et défense. Dans un système de sécurité, l’objectif que s’as- signent les acteurs du système est la stabilité ; le dialogue constructif est institué comme prin- cipe des relations inter-États.

A l’inverse, tandis que la sécurité repose sur la notion de la coopération, la défense se fonde sur la considération d’un ou de plusieurs anta- gonismes.

Là où la sécurité signifie transparence et désarmement, la défense implique une capacité d’action importante qui suppose des moyens et une certaine opacité.

Je vous rassure, cette opposition ne s’exerce en fait que dans le champ théorique. Dans la réalité, l’instabilité dans l’univers politico-straté- gique n’est jamais à écarter. Il peut toujours apparaître un acteur perturbateur, qui n’accepte pas, ou plus, les règles du jeu instaurées dans le cadre de la sécurité collective.

En fait, ces deux concepts sont complémen- taires, ils sont étroitement liés. La défense étant vraiment le domaine des armées, cette complé- mentarité, qui n’est pas nouvelle, a trouvé depuis la fin du monde bipolaire un champ d’action considérable.

Depuis la chute du mur de Berlin, jamais les forces armées n’ont été engagées dans autant d’opérations de sécurité collective de toutes

natures. Il faut maintenant réfléchir à une contribution plus avancée à la construction de la paix. C’est ce que nous avons fait.

Mais, avant de revenir sur vos travaux, il m’apparaît nécessaire de préciser un point essentiel. En effet, il ne faut pas oublier que la spécificité de l’institution militaire est le combat ou, si vous préférez, l’usage légitime de la force. Ce qui veut dire que l’on peut faire faire bien des choses aux forces armées, mais que l’on ne doit jamais perdre de vue cette caracté- ristique.

D’où l’importance du cadre d’action et du respect de certaines règles. Le cadre, ce sont les principes démocratiques et la relation claire politique-militaire, c’est l’État de droit cedant arma togae. Les règles, particulièrement celles d’engagement, doivent être adaptées à la situa- tion ; c’est ce que l’on a vu en ex-Yougoslavie, où la paix n’a été acquise que par 1’IFOR et non par la FORPRONU, faute de règles d’engage- ment appropriées.

A partir de là, la contribution des forces armées à la sécurité et à la paix est immense : depuis la mission classique d’intervention dans le cadre d’une résolution internationale comme la guerre du Golfe - je ne porte pas de juge- ment de valeur, il s’agit seulement d’une typo- logie du type de contribution - en passant par les missions de mise en œuvre ou encore de sécurité collective - peace-keeping, peace- building, peace-making, etc. - jusqu’aux mis- sions humanitaires pures, en mettant à profit les capacités logistiques et techniques des forces armées.

Mais je voudrais, arrivé à ce stade, relever quelques lignes de force dégagées des tables rondes et de vos discussions animées.

Vous êtes tout d’abord unanimes à souligner que l’insécurité n’est pas une réalité kn soi, mais la résultante, en tant que symptôme le plus tangible, d’autres maux plus profonds.

Le sous-développement économique, la dégradation de l’environnement, les inégalités sociales, les mouvements démographiques, l’ignorance vous ont paru constituer les princi- pales sources de l’insécurité. Ce constat est très fort, et il s’en dégage aisément des priorités pour l’action.

Qui veut s’en prendre à l’insécurité doit s’at- taquer à ces maux fondamentaux, ce qui appelle des moyens tout différents de ceux de la coercition : il s’agit de faire appel au cou- rage, aux aspirations, à la motivation des peuples, et non pas seulement d’intervenir brutalement contre telle ou telle manifestation

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d’insécurité induite par des phénomènes plus profonds. Il faut savoir que les moyens néces- saires pour agir à ce niveau sont sans com- mune mesure avec ce qui est nécessaire, même pour une très grosse opération de rétablisse- ment de la sécurité.

Vous avez par ailleurs unanimement approuvé l’idée selon laquelle la sécurité consistait d’abord en une adhésion sincère et effective au droit inter- national et, plus généralement, a l’État de droit. Cette affirmation me paraît aussi riche de consé- quences que la précédente : elle atteste que, parmi nous, l’idée de fonder la sécurité sur le fait d’imposer la puissance et les démonstrations de force est révolue. Nous considérons tous qu’il n’y a pas de sécurité durable et réelle en dehors du respect des règles que la communauté internatio- nale s’est librement données.

Vous avez enfin associé la sécurité au pro- grès d‘une culture du développement, c’est-à- dire d’une ambition commune positive. Je vois dans cette proposition deux dimensions majeures.

La première est la conscience que l’insécu- rité est souvent créée, et toujours aggravée, par l’inquiétude du lendemain, de l’autre, du futur. A contrario, la sécurité a besoin pour s’établir d‘un projet positif, d’une vision de l’avenir dans laquelle tous puissent se reconnaître, d’une ambition noble et prometteuse.

Il faut croire au futur, pour travailler sans peur à son avènement. Le rétrécissement de nos horizons mentaux, encouragé par l’habi- tude de vivre dans l’immédiateté où se canton- nent, par nature, les médias qui forment aujourd’hui - exagérément sans doute - notre perception du monde, est de ce point de vue une mutilation et une source pernicieuse d’insécurité.

La seconde notion fondamentale .que je vois dans cette idée de culture du développement est le terme de culture. Il vient à point nommé dans le temple de la culture qu’est 1’UNESCO. Encore faut-il bien le comprendre. Je ne le vois pas, quant à moi, dans l’acception qui nous importe, comme un héritage à perpétuer mais comme une synergie à créer.

Le développement n’est pas une science que des experts pourraient appliquer à des sys- tèmes. C’est une résultante de la vie, avec toute sa complexité, toute sa richesse, tous ses conflits et ses désillusions aussi. C’est pourquoi il fait appel à l’action de tous. Selon que cette action sera concordante ou désordonnée, il y aura des formes plus ou moins heureuses de développement.

Coordonner, rendre synergiques les atti- tudes, les comportements. les engagements de tous les acteurs de la vie des sociétés, sans rien perdre de la richesse que procurent leur diver- sité et leur liberté créative, c’est le grand ressort du développement, et cela s’appelle une culture - presque au sens de culture biolo- gique telle que la pratiquent, dans les labora- toires de recherche, les généticiens et autres biochimistes chers à M. Mayor, qui puise dans leur exemple sa conception dynamique de la culture.

L’insécurité, en un sens, est un déficit de cette culture-là, qui devrait orienter toutes les énergies dans le sens du progrès, principal réducteur de l’insécurité à très long terme. Travaillons donc à la faire naître, à l‘enrichir, à la faire partager. Je pense, avec le maréchal Lyautey, que l’immensité de cette tâche sans limites, ni d‘espace, ni de temps, ni d’épaisseur dans le tissu social, loin de nous décourager, doit nous induire à la commencer tout de suite, chacun à son échelle, pourvu que ce soit ensemble.

Certes, ce n’est ni spectaculaire ni émouvant mais, comme nous y invitait ce matin M. le Ministre Xavier Etnmdnue11i, il faut savoir s’ar- racher aux fascinations du monde virtuel de l’instant pour prendre a bras-le-corps le monde réel, celui du quotidien et de la longue durée.

Dans cette vaste perspective, notre travail commun a débouché, me semble-t-il, sur une dynamique à !a fois très satisfaisante et très opportune. Le moment est en effet venu, dix ans après la fin de la guerre froide et à l’approche du prochain siècle, d’agir selon d’autres modes et dans un sentiment d’extrême urgence des questions communes de sécurité. 11 me semble que notre rencontre a fait un pas utile dans ce sens. Elle a clarifié notre pensée et amené des propositions concrètes.

Il ne suffit pas de proclamer que l’on aime la paix pour que celle-ci soit préservée. La paix est le résultat d’un combat quotidien et d‘une vigilance sans cesse renouvelée.

Permettez au Directeur de 1’IHEDN d’insis- ter sur, la responsabilité qui est celle des insti- tuts de défense et de sécurité. La défense, demain. sera de plus en plus tributaire du savoir, d’une appréciation correcte des réalités du ‘monde. Les écoles en sont une des fonc- tions principales, et c’est pour cela que fut fon- dée l’École militaire.

Je suis donc sensibilisé à l’importance du renouveau de la pensée et de sa généralisation

La conscience que 1 ‘insécurité

est souvent créée, et toujours aggravée,

par l’inquiétude du lendemain,

de l’autre, du futur.

A contrario, la sécurité

a besoin pour s’établir d’un

projet positiJ d’une vision

de l’avenir dans laquelle tous puissent

se reconnaître, d’une ambition

noble et prometteuse.

Le développement n ‘est pas

une scierzce que des experts

pourraient appliquer

à des ystèmes. C’est une

résultante de la vie,

avec toute sa complexité,

toute sa richesse, tous ses conjlits

et ses désillusions aussi.

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dans la conduite des affaires publiques : Napoléon ne fut-il pas élève de l’École militaire et auteur du Code civil ?

Je voudrais, pour conclure, remercier tous ceux et toutes celles qui ont permis ce succès. Tout d’abord M. Mayor, qui a vraiment permis cette rencontre. Puis le Comité d’organisa- tion : M. Guido Lenzi ; le général Carlo Jean ; le général Javier Pardo de Santayana, repré- senté par le contre-amiral Artal. Le Comité a été assisté de : Millc Moufida Goucha, conseillère principale et spéciale du Directeur général, et sa collaboratrice M*ne Isabelle de Billy ; M. René Zapata, de la Division de pro- grammation de I’UNESCO ; M. Philippe Ratte, Directeur des études de l’IHEDN, et sa colla- boratrice Mtte &mnanuelle Maréchal. Mes remerciements vont aussi aux conférenciers, aux présidents de séance, et à tous ceux qui ont contribué à la bonne marche des ateliers, ainsi qu’à l‘équipe d’Internet et au personnel d’accueil et de soutien logistique.

Je voudrais également vous remercier tous pour votre présence chaleureuse et studieuse. Vous avez permis qu’advienne cet accomplisse- ment suprême de I’ceuvre civilisatrice tel que Marguerite Yourcenar le place dans la bouche de l’empereur Hadrien : *Je voulais qu’en rechargeant leurs caravanes pour partir au loin, tous ces hommes emportent les propos échan- gés à la lueur des feux de cuisine, et qui mène- raient jusqu’aux confins du monde des idées bien à nous, plus puissantes que les légions en marche. >) Il faut des légions pour garantir l’ordre consenti par tous. Mais, en dernière ana- lyse, je crois, avec le plus grand des empereurs romains, que cet ordre procède de l’alchimie des échanges ordinaires, des actes individuels, et, par dessus tout, des idées fécondes, dès lors qu’elles circulent.

Pour avoir contribué à tout cela d’une manière qui a fait honneur à 1’UNESCO et à nous tous ici présents, mesdames et messieurs, je vous remercie.

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IX. AGENDA

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AGENDA 1994-1997

1774

12-14 mai Séminaire sur le maintien de la paix et la construction de la paix à l’Institut des sciences, des lettres et des arts de Venise, Italie.

1775

25-27 janvier

3-4 avril

10 juin

13 juin

Colloque international sur le droit à l’assistance humanitaire, organisé par 1’UNESCO (Paris, Siège de l’UNESCO)l.

Symposium interaméricain (< La sécurité pour la paix : construction de la paix et maintien de la paix >a, organisé par l’UNESC0, l’Organisation des États américains et le Collège interaméricain de défense (Washington D.C., États-Unis d’Amérique)l.

Le Directeur général prononce l’allocution de clôture de la 47e session natio- nale de 1995 de 1’IHEDN (Paris, France) sur le thème : G< Une nouvelle approche de la sécurité ‘1.

Accueil à 1’UNESCO de la session africaine et malgache de 1’IHEDN (Paris, Siège de 1’UNESCO).

25-29 septembre Séminaire régional pour les pays d’Asie centrale sur le droit international huma- nitaire et le droit de la protection des biens culturels, organisé en coopération avec le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) à Tachkent (Ouzbékistan).

7 octobre

Octobre

Accueil à KJNESCO de la session européenne de 1’IHEDN.

Constitution à I’UNESCO d’un groupe informel de réflexion sur la nouvelle approche de la sécurité, dont les travaux, achevés en mai 1996, seront publiés en 1997.

18-19 décembre Colloque « Guerres et paix au XXI~ siècle », organisé par la Fondation pour les études de défense (France) dans le cadre du 50e anniversaire de 1’UNESCO. L’allocation d’ouverture du Directeur général de I’UNESCO a été publiée en avril 1996 dans la revue Défense nationale (Paris, Siège de 1’UNESCO).

1. kir l’annexe 7 : autres publications d’intérêt

181

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1776

10 janvier Le Directeur général de I’UNESCO prononce une conférence au CASD sur « L’UNESCO et la Culture de la paix >!. Signature d’un protocole d’intention avec le CASD concernant la collaboration entre les forces armées du nord et du sud de la Méditerranée dans les domaines de la télémédecine, de la protection civile, de la sauvegarde de l’environnement et du patrimoine culturel (Rome, Italie).

Mai Participation de 1’UNESCO à trois séminaires nationaux organisés par le CICR sur le droit international humanitaire et le droit de la protection des biens culturels, en Azerbaïdjan (6-7 mai), Arménie (g-10 mai) et Géorgie (13-14mai 1996).

12-14 juin Symposium international sur le thème <c Des insécurités partielles 5 la sécurité globale )a, organisé conjointement par I‘UNESCO et I’IHEDN, en coopération avec le CASD, le CESEDEN et l’Institut d’études de sécurité de 1’UEO (Paris, Siège de 1’CNESCOJ.

26-27 juin Forum militaire centraméricain (San Salvador, El Salvador). Adoption d’une Déclaration signée par les Ministres de la défense nationale et les commandants en chef des forces armées d‘E1 Salvador, du Guatemala, du Honduras et du Nicaragua (San Salvador, El Salvador). (Les Actes du Forum sont en cours de publication.)

16-27 septembre Participation de 1’LJNESCO au séminaire organisé par l’Institut d’études de sécu- rité de 1’UEO et le CASD sur le thème : « L’Europe et ses voisins : réflexions sur une politique de sécurité commune » (Rome, Italie).

28 oct.-leT nov. Participation de 1’UNESCO à la première Conférence ibéroaméricaine sur la paix et la gestion des conflits (Santa Fé de Bogota, Colombie).

1777 :réunions prévues

4-6 février

3-6 juillet

Fin août-sept.

Septembre

Participation du Directeur général à la deuxième Conférence sur les droits de l’homme, CO-organisée par le U.S. Southern Command et l’Institut inter- américain des droits de l’homme (IIHR) (Miami, États-Unis d’Amérique), sur le thème : 1’ Les forces armées, la démocratie et les droits de l’homme au seuil du XXIe siècle >).

Réunion latino-américaine sur la gouvernabilité et les principes démocratiques (Gg Une nouvelle culture politique pour le nouveau si&le ,a). L’un des thèmes sera : « Gouvernante, paix et sécurité » (Brasilia, Brésil).

Symposium régional UNESCO-ASEAN sur « La paix, la sécurité et le développe- ment en Asie du Sud-Est 11 (Djakarta, Indonésie).

Séminaire organisé par l’Académie nationale de défense de la Pologne avec l’aide de 1’UNESCO sur le thème : « Les forces armées des pays de l’Europe cen- trale et orientale en tant que participants actifs dans le processus de démocra- tisation, dans la protection des droits de l’homme et dans le système de sécu- rité internationale 11 (Varsovie, Pologne).

182

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x. ANNEXES

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1. LISTE DES PARTICIPANTS

M. David Adams Spécialiste principal du programme de 1’UNESCO pour une Culture de la paix, France

M. Tahar Adouani Conseiller auprès de la Ligue des États arabes, France

M. Umar N. Ahmed Délégué permanent adjoint du Nigéria auprès de l’UNESC0, France

M. Pierre Aka Conseiller de la délégation permanente de Côte d’ivoire auprès de l’UNESC0, IhnCe

S. Ext. M. Najeeb Al-Rawas Ambassadeur, chef de la mission du Cooperation Council for the Arab States of the Gulf, Belgique

M. Agha Murtaza Am-Pooya Président de 1’Institute of Strategic Studies, Pakistan

Général de brigade Roberto Arancibia Clavel

Directeur de 1‘Academia National de Estudios Politicos y Estratégicos, Chili

M. Joël Arnold Adjoint au chef de la section des affaires scientifiques et techniques de l’IHEDN, France

Contre-amiral Alejandro ~rtal Directeur adjoint du Centro Superior de Estudios de la Defensa National (CESEDEN), Espagne

Colonel Jean-Marie Ast Section des affaires militaires de l’IHEDN, France

M. Leslie Atherley Directeur du programme de 1’UNESCO pour une Culture de la paix, France

Général de corps d’armée Audren Directeur de l’enseignement militaire supérieur de l’armée de terre (DEMSAT), France

M. Adnan Badran Directeur général adjoint de ~‘uNESCO, France

M*e Dominique Bangoura Présidente de l’Observatoire politique et stratégique de l’Afrique, France

M*e Khadija Baroudi Premier secrétaire de la délégation permanente du Maroc auprès de l’UNESC0. France

Brigadier Gustavo Basse Professeur, Academia National de Estudios Politicos y Estratégicos, Chili

Mme Anne Battistini Société CRED-M, France

M. Maxime Baudoua-Yao Directeur du cabinet civil et militaire du Ministre de la défense, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Côte d’ivoire

Mue Karima Bekri Chargée de recherche adjoint à la Division des actions d’urgence, UNESCO, France

M. André Belombe Directeur de la justice militaire, Ministère de la défense, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Cameroun

185

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M. Mohamed Benfaida Conseiller de la délégation permanente du Maroc auprès de I’UNESCO, France

M. Mohamed Bensabri Conseiller à l’ambassade d’Algérie en France

Colonel Barak Ben-Zur Chef instructeur, National Defence College (NDC - IDF), Israël

Mme Isabelle de Billy Spécialiste du programme au cabinet du Directeur général, UNESCO, France

M. Claude Blanchemaison Directeur de la direction d’Asie et d’Océanie, Ministère des affaires étrangères, France

Mme Martine Blatin Chef de département, Ministère de la coopération, auditrice de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), France

M. Alain Boinet Directeur de l’Association humanitaire solidarités, auditeur de la 48e session nationale de I’IHEDN, France

Mme Stéphanie Bouaziz Service de l’action humanitaire, Secrétariat d’État à l’action humanitaire, France

Mue Faouzia Boumaïza Délégué permanent adjoint de l’Algérie auprès de l’UNESC0, France

M. Lounès Bourenane Directeur général de l’Institut national d’études de stratégie globale (INESG), Algérie

Mme Ingeborg Breines Directeur/femmes et Culture de la paix, UNESCO, France

Mme Graziella Brianzoni Chef du bureau de Paris du Conseil de l’Europe, chargée de liaison avec I’UNESCO, France

M. Olexander Burdiyan Attaché de défense adjoint à l’ambassade d’Ukraine en France

M. Luciano Caglioti Directeur des projets stratégiques au Centre national de la recherche scientifique, Italie

Colonel Christian Camenen Chargé de mission auprès du major-général de l’armée de l’air, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de YIHEDN (SIAM), France

M. Pierre-Michel Candau Commandant de bord, auditeur de la 48e session nationale de I’IHEDN. France

M. Frédérik Canoy Avocat à la cour d’appel de Paris, auditeur de la 48e session nationale de I’IHEDN, France

Mme Gabriela Castillo Ministre conseiller de la Délégation du Costa Rica auprès de I’UNESCO, France

Général de brigade Carlos Celis Noguera Doyen de la faculté à l’Institut0 de Altos Estudios de la Defensa National (IAEDEN), Venezuela

Contre-amiral Roberto Cesaretti Centro Alti Studi per la Difesa (CASD), Italie

Colonel Philippe Charrier Chef de la section des affaires militaires de I’IHEDN. France

Lieutenant-colonel Abdel-kerim Cherif Yahya

Inspecteur et contrôleur des armées, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Tchad

M. G. Chevallard Chef de l’Unité questions de sécurité (DGIA), Commission européenne, Belgique

Lieutenant-colonel Dr Andrzej Ciupinski Académie de défense nationale, Pologne

Général de brigade Maurizio Coccia Centro Alti Studi per la Difesa (CASD), Italie

Mme Anna-Maria Corrazza Attachée auprès de l’envoyé spécial de la Commission des Communautés européennes à Sarajevo, Bosnie-Herzégovine

M. J.-B. Cramer Journaliste à Radio France Internationale, France

186

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M. Ahmed Danfulani Spécialiste principal de l’Unité des pays les moins avancés, UNESCO, France

M. Franck Debié Professeur à l’École normale supérieure, rapporteur de la société CRED-M, France

M. le Préfet Christian Decharrière Directeur adjoint de l’IHEDN, France

M. Claude Dehouck Président-directeur général de Conseil international et développement, France

Mme Milagros Del Corral Directeur de la Division de la créativité, des industries culturelles et du droit d’auteur, Directeur de l’Office des Éditions de l’UNESC0, France

Capitaine de vaisseau Alain Delcroix Professeur au Collège interarmées de défense (CID), état-major de la Marine, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), France

M. Ahmed Derradji Représentant de l’Association internationale des juristes démocrates (AIJD), France

Mme Isabelle Desjeux CERACHERA, France

Mme Lil Despradel Ambassadeur, représentant permanent de l’Union latine auprès de l’UNESC0, France

Colonel Mountaga Diallo Chef d’état-major de l’armée de terre, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Sénégal

Colonel Pierre Do10 Chef du Groupement d’enseignement études-recherches au Collège interarmées de défense (CID), France

Colonel Félicien Dos Santos Chef d’état-major de l’armée de terre, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Bénin

M. Jean-Michel Duc Directeur adjoint pour la prospective à la Délégation générale pour l’armement, Ministère de la défense, France

Colonel Jean-Louis Dufour (CR) Consultant militaire, professeur à I’INALCO et chargé de cours au Collège interarmées de défense, France

M. Patrice Dufour Conseiller principal aux relations extérieures au Bureau européen de la Banque mondiale, France

Contre-amiral Jean-Luc Duval Commandant du Centre d’enseignement supérieur de la marine (CESM), France

Général Sofian Effendi Directeur du National Resilience Institute, Lemhanas, Indonésie

Mme Élisabeth Érulin Chef du Centre de documentation à l’IHEDN, France

Commissaire général François Estrangin

M.

Directeur administratif de la revue Défense nationale, France

Ahmed Oussein Fathi Chef d’état-major général des armées, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Djibouti

M. Lamine Fofana Conseiller juridique du chef d’état-major général des armées, auditeur de la ioe session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Sénégal

M. Thomas Forstenzer Attaché de cabinet du Secrétariat du Directeur général, UNESCO, France

M. Hassine Fraj Chef du bureau recherche, Ministère de la défense nationale, Tunisie

M. Jack S. Gaffar Chargé d’affaires à l’ambassade d’Indonésie en France

Colonel Cristobal Gil Centro Superior de Estudios de la Defensa National, Espagne

Mme Nathalie Goupy-Robert Chargée des affaires juridiques à l’Office français d’exportation du matériel aéronautique (OFEMA), auditrice de la 48e session nationale de l’IHEDN, France

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Général Hector Alejandro Gramajo Morales Professeur, directeur-fondateur du Centro de Estudios Estratégicos Nationales, Guatemala

Général de brigade Gjeseth Gullow Commandant du Norwegian National Defence College, Norvège

Mme Moufida Goucha Conseillère principale et spéciale du Directeur général, UNESCO, France

Mue Burcu Gültekin Étudiante, Institut d’études politiques, France

Mme Rochelle Roca Hachem Assistante de l’attaché de cabinet du Secrétariat du Directeur général. UNESCO, France

M. Jacques Hallak Sous-directeur général de I’UNESCO, Institut international pour la planification de l’éducation (IIPE). France

S. Ext. M. Claude Harel Ambassadeur et délégué permanent de la France auprès de I’UNESCO, France

Mme Nathalie Hassman Professeur à 1’Institute for Eurasian Studies du George C. Marshall Center. Allemagne

Colonel Henri Heliot Cadre professeur au Groupement d’enseignement études-recherches au Collège interarmées de défense (CID), France

Mme Ulla Holm Chercheur au Centre for Peace and Conflict Research. Danemark

Mme Ysquierdo Hombrecher Ministère de la défense, France

S. Ext. M. Khwaja Shahid Hosain Ambassadeur et délégué permanent du Pakistan auprès de l’UNESC0, France

M. T. Huq Conseiller principal et spécial du Directeur général, UNESCO, France

Colonel Yves-Marcel Ibala Chef de section des sommets France, Afrique et francophonie à la Direction des organisations internationales, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de I’IHEDN (SIAM). Congo

Général Syed Muhammad Ibrahim Directeur général du Bangladesh Institute of International and Strategic Studies (BIISS). Bangladesh

M. Jacques Isnard Journaliste, Le Monde, France

M. Daniel Janicot Sous-directeur général auprès de la Direction générale, UNESCO, France

Général Carlo Jean Directeur du Centro Alti Studi per la Difesa (CASD), Italie

M. Vasile Jirjea Directeur adjoint du Collège de défense nationale, Roumanie

M. Juneau James

M.

M.

M.

Directeur du HRI, France

Michel Joli Directeur de Conseil international et développement (CIDEL’), France

Rudolf Joo Professeur au George C. Marshall Center, Hongrie

Peter Karikas Délégué permanent adjoint de la Hongrie auprès de I’UNESCO, France

Mme Norah Lema Katabarwa Délégué permanent adjoint de l’Ouganda auprès de l‘UNESC0, France

Mme Athena Katsoulos Assistante de programme de la mission permanente d’observation des États-Unis d’Amérique auprès de I‘UNESCO, France

M. Thomas Keller Sous-directeur général de l’UNESC0, Bureau des relations avec les sources de financement extrabudgétaires, France

Colonel Ramdane Khellafi Consultant à l’Institut national d’études de stratégie globale (INESG), Algérie

M. Klaa Directeur de l’Institut des hautes études méditerranéennes (IHESM), France

M. Evgueni Kojokine Directeur de l’Institut des études stratégiques de Russie

188

---

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M. Victor Kolybine Directeur de la Section de l’éducation préventive, CNESCO, France

M. Albert Khouth Représentant de l’organisation internationale pour les migrations (OIM), France

Lieutenant-colonel M.A. Kraft van Ermel Instituut Defensie Leergangen. Pays-Bas

Mme Wai Lee Kui Chargée de mission à International Alert, Royaume-Uni

Olivier de La Baume Chef du Service de l‘action humanitaire, Ministère des affaires étrangères, France

M. Philippe de Lagune Conseiller technique au cabinet du Ministre de l’intérieur, France

Dr Michel Lavollay Consultant du Bureau du coordinateur spécial pour l‘Afrique de l’ONU, États-Unis d’Amérique

M. le Préfet Marcel Leclerc Directeur de l‘Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI), France

M. Hervé Lemaire Sous-directeur du personnel militaire de la marine, Ministère de la défense, auditeur de la 48’ session nationale de 1’IHEDS. France

Colonel Gérard Lendrin Commandant de la Division internationale au Collège interarmkes de d6fense (CID). France

Commandant Valy Leno Directeur de l‘École militaire interarmées. auditeur de la 10’ session internationale africaine et malgache de I’IHEDN (SIAM), Guinée

M. Guido Lenzi Ambassadeur et Directeur de l‘Institut d’études de sécurité de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), France

Mme Chantal Lobato Consultant auprès des Nations Unies et de la Commission européenne, France

M. Henri Lopes Directeur général adjoint pour l’Afrique, UNESCO, France

Lieutenant-colonel Pierre Lucchini Chef du bureau formation, stages à la mission militaire de coopération, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), France

Lieutenant-colonel Oumara Mai Manga Secrétaire général du Ministre de la défense, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Niger

Mme Maya Makhlouf Consultant à l’Unité des opérations d’urgence, UNESCO, France

M. Georges Malempré Directeur de cabinet par intérim du Directeur g&kal, UNESCO, France

M. Daniel Malgras Conseiller fédéral de la Fédération de l’éducation nationale, auditeur de la 48e session nationale de l’IHEDN, France

MUe Mischa Manderson Mills Spécialiste du programme Culture de la paix, UNESCO, France

M. Issa Maraut Chargé de mission auprès du Directeur de la section Afrique du Nord et Moyen-Orient, Ministère des affaires étrangères, France

Mme Emmanuelle Maréchal Chargée de mission i la section des affaires économiques de I‘IHEDN, France

Mme Andrée Martin-Pannetier Présidente de la Commission des rendez-vous d’actualité des anciens auditeurs de 1’IHEDN. France

M. William Mc Ilhenny Obsewateur permanent des États-Unis d‘Amérique auprès de l’UNESC0, France

M. Mohand Ouahmed Melbouci Directeur d’études et de recherche à l’Institut national d’études de stratégie globale (INESG), Algérie

M. Rafael Monsalve Centro Superior de Estudios de la Defensa National (CESEDEN), Espagne

M. Isidore Monsi Conseiller de la délégation permanente du Bénin auprès de I’CNESCO, France

189

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M. José Oscar Monteiro Ancien Ministre du Mozambique, conférencier à l’université de Witwatersrand, Afrique du Sud

M. Benjamin Moreau Service de l’action humanitaire, Secrétariat d’État à l’action humanitaire, France

Lieutenant-colonel Sava Mathias Mounange-Badimi

Directeur des relations internationales, Ministère de la défense, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de I’IHEDN (SIAM), Gabon

Général de brigade Ismaël Mounibou Adjoint du chef d’état-major général des armées, auditeur de la 1Oe session internationale africaine et malgache de I’IHEDN (SIAM), Madagascar

Capitaine Bertrand Muselet Chargé d’études à l’Institut des hautes études de la sécurité intérieure (IHESI), France

Commandant Aboubacar Mze Cheikh Chef du cabinet militaire, délégation d’État à la défense, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Comores

Colonel Poutoyi Nabede Chef du cabinet du Ministre de la défense, auditeur de la 10e session internationale

.africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Togo

M. Jean-Luc Nahël Vice-président de Médecins sans Frontières, professeur d’université à l’IHEDN, auditeur de la 48e session nationale de I‘IHEDN, France

Général André Ngoma Commandant en chef en second de la Garde républicaine, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Gabon

Colonel Moneboulou Victor Nnengue Chef du secrétariat militaire du Ministre de la défense, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de I’IHEDN (SIAM), Cameroun

Général d’armée aérienne Bernard Norlain

Directeur de I‘IHEDN, France

Lieutenant-colonel Juvénal Nzosaba Commandant de la 3e région militaire, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Burundi

Vice-amiral Michel dOléon Chargé de recherche, Institut d’études de sécurité de l’Union de l’Europe occidentale (UEO), France

Lieutenant-colonel Kassoum Ouedraogo Chef d’état-major général adjoint des armées, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Burkina Faso

S. Ext. M. Mohamed-Said Ould Hamody Ambassadeur, conseiller du Ministre des affaires étrangères, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Mauritanie

M. Leonid Oussov Assistant du Sous-directeur général auprès de la Direction générale, UNESCO, France

Colonel Bambang Pangestoe Attaché de défense à l’ambassade d’Indonésie en France

M. Kria Fahmi Pasaribu Chargé d’affaires à la délégation permanente de l’Indonésie auprès de I’UNESCO, France

M. Jean-Jacques Patry Délégation à la recherche à I’IHEDN. France

Général Gérard Paveau (CR) Directeur des activités régionales et des relations avec les associations à I’IHEDN, France

M. Jean-François Pernot Chef de la mission pour l’enseignement et les études de défense à I’IHEDN, France

M. Tchalouw Pilouzoue Attaché de cabinet à la Présidence de la République, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Togo .

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S. Ext. M. Manuel Antonio de Pimente1 Brandao

Ambassadeur, Centro Brasileiro de Estudos Estratégicos (CEBRES), Brésil

Colonel Guy du Plessis Chef de la section des relations avec les associations de l’IHEDN, France

Mme Srinoi Povatong Délégué permanent adjoint de la Thaïlande auprès de I’UNESCO, France

Mme Anaisabel Prera Flores Conseillère principale et spéciale du Directeur général, UNESCO, France

Mme Yasmin Quiauzon Directeur exécutif, The Strategy Group, États-Unis d’Amérique

M. Federico Rampini Rédacteur en chef de La Repubblica, Italie

Mme Robertine Raonimahary Délégué permanent adjoint de Madagascar auprès de l’UNESC0, France

Mme Ravaomalala Randriamamonjy

M.

M.

Conseiller à la délégation permanente de Madagascar auprès de l’UNESC0, France

Philippe Ratte Directeur des études de l’IHEDN, France

Pio Rodriguez Rodrigue2 Ancien secrétaire de la Conférence générale et du Conseil exécutif de l’UNESC0, France

Général Maurice Rozier de Linage (CR) Directeur de l’AFOCA, France

M. Jean-Christophe Rufin Directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques, France

M. Jan Ruyssenaars Envoyé spécial du Secrétaire général d’International Alert, Royaume-Uni

S. Ext. M. Mohamed Sahnoun Ambassadeur, conseiller spécial du Directeur général de I’UNESCO, France

S. Ext. M. Nureldin Satti Ambassadeur du Soudan en France et délégué permanent auprès de l’UNESC0, France

M. Ahmed Sayyad Sous-directeur général des relations extérieures de l’UNESC0, France

M. Larry Seaquist Président, The Strategy Group, conseiller spécial du Directeur général de l’UNESC0, États-Unis d’Amérique

Général Ats Siagian Expert au National Resilience Institute, Indonésie

M. Domenico Siniscalco Professeur aux Universités de Louvain et de Turin, Directeur exécutif de la Fondation Mattei, Italie

M. Abdelaziz Skik Directeur de l’Institut de défense nationale, Tunisie

M. Pandji Soesilo Département des relations internationales du National Resilience Institute, Indonésie

Colonel Adrien-Justin Soglo Directeur adjoint du cabinet du Ministre de la défense nationale, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Bénin

Mme Colette Spire Chef de département, Ministère de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, auditrice de la 48e session nationale de l’IHEDN, France

Général Soubirou Directeur adjoint de l’enseignement militaire supérieur de l’armée de terre (DEMSAT), France

Mme Anne-Marie Steib Attachée de presse à l’IHEDN, France

M. Janusz Symonides Directeur de la Division des droits de l’homme, de la démocratie et de la paix, UNESCO, France

Dr Piotr Switalski Chef du Département for Chairman-in- Office Support, Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE), Autriche

Dr ~aszlo Szabo Institute for Strategic and Defence Studies, Hongrie

191

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Mme Réka Szemerkenyi Chercheur à l’International Institute for Strategic Studies (II%$, Royaume-Uni

Général Dominique de Tanoüarn (CR) Responsable des actions de sensibilisation à 1’IHEDN. France

Lieutenant-colonel Bernard Tardif Commandant du Groupement de la gendarmerie départementale de l’Ardèche, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de I’IHEDN (SIAM), France

S. Ext. M. Mohsen Tawfik Ambassadeur et délégué permanent de l’Égypte auprès de l’UNESC0, France

M. Férid Tebourbi Chargé de mission au cabinet du Ministre de la défense nationale, Tunisie

Colonel Philippe Tracqui Chef de la section conduite du centre opérationnel de l’armée de terre, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de I’IHEDN (SIAM), état-major de l’armée de terre, IHEDN, France

M. Bakary Traoré Chargé de mission auprès du Ministre des forces armées et des anciens combattants, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de 1’IHEDN (SIAM), Mali

Colonel Br&ima-Siré Traoré Inspecteur général des armées et services, auditeur de la 10e session internationale africaine et malgache de I’IHEDN (SIAM), Mali

M. Patrice Van Ackere Adjoint au chef de la Section (< gestions des crises 1, de l’OTAN, Belgique

Colonel Wilfried Van Hoeck Directeur adjoint du Centre d’études de défense, Belgique

Dr Piyasiri Vijaya-sekere Conseiller de la délégation permanente du Sri Lanka auprès de l’UNESC0, France

S. Ext. M. Justus J. de Visser Ambassadeur et délégué permanent des Pays-Bas auprès de l’UNESC0, France

Général d’armée aérienne Philippe Vougny

Président du comité d’études de défense nationale et directeur de la revue Défense nationale, France

Mue Christine Vu Thien Étudiante, IHEDN, France

M. Olivier de Vulpillières Chargé de mission au Centre d’analyse et de prévision, Ministère des affaires étrangères, France

Colonel Hari Dwiyono Widodo Attaché air à l’ambassade de l’Indonésie en France

Mme Sue Williams Journaliste à la revue de 1’UNESCO Sources, France

M. Denis Winckler Conseiller technique du programme SIGMA de l’OCDE, France

M. Daniel Woker Ministre plénipotentiaire de l’ambassade de Suisse en France, Directeur du Geneva Center for Security Policy, Suisse

M. Christophe Wondji Directeur de la section d’histoires générales et régionales, UNESCO, France

M. Moumouni Yacouba Directeur des affaires juridiques, Accord de non-agression et d’assistance en matière de défense (ANAD), Côte d’ivoire

M. René Zapata Spécialiste principal en planification du programme, UNESCO, France

Mme Soad Zerrouki Assistante de direction à l’Institut des hautes études méditerranéennes (IHESM), France

le comité éditorial vous prie de bien vouloir excuser toute erreur ou omission ayant échappé à sa vigilance.

192

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2. LE PROGRAMME UNITWINKHAIRES UNESCO

L’un des objectifs assignés au présent colloque international est d’envisager des projets concrets, tels que l’institution de chaires nou- velles sur les questions de la paix dans les académies de défense. A cet effet, les par- ticipants jugeront peut-être utile de prendre connaissance de l’expérience acquise par 1’UNESCO dans le cadre de son programme UNlTYVIN/chaires UNESCO.

Le programme UNITWIN/chaires UNESCO est un plan d’action international visant à renforcer la coopération interuniversitaire, en mettant en particulier l’accent sur l’appui à l’enseignement supérieur dans les pays en développement. Lancé à la fin de 1991, il a été favorablement accueilli par les États membres de I’UNESCO, les organisations non gouverne- mentales s’occupant de l’enseignement supé- rieur et les institutions d’enseignement supé- rieur elles-mêmes. Il est vite apparu comme une initiative majeure de I’UNESCO et est devenu l’axe majeur de son action dans le domaine de l’enseignement supérieur, conçu comme un mécanisme propre à promouvoir la libre circulation des personnes et des idées et le transfert rapide des connaissances entre éta- blissements d’enseignement supérieur et centres de recherche, dans un esprit de véri- table solidarité académique.

Un large éventail de projets a déjà été mis sur pied à l’intérieur de ce cadre. Tout aussi variées sont les activités auxquelles ils donnent lieu : élaboration et organisation de pro- grammes d’études internationaux conjoints dans les universités associées à un même pro- jet, production de matériels d’enseignement et d’apprentissage, utilisation des techniques et des méthodes d’enseignement à distance, liai- son par courrier électronique des institutions participant à un même projet, etc. L’un des

principaux objectifs est d’encourager la mobi- lité du personnel et des étudiants à travers la création de chaires confiées à des professeurs invités, les échanges d’enseignants et de cher- cheurs, l’octroi de bourses à des étudiants des pays en développement, etc.

Le mécanisme institutionnel qui est privilé- gié dans la mise en ceuvre de ces activités est la chaire UNESCO, à savoir, une unité d’ensei- gnement, de formation et de recherche, créée de préférence dans une université d‘un pays en développement. Le personnel et les étudiants associés aux activités d’une chaire (en particu- lier le titulaire de la chaire, ou les professeurs invités à qui elle est confiée - tous chercheurs réputés dans leur domaine de spécialité) vien- nent de différents pays, ce qui confère une dimension internationale à son programme. Certaines chaires sont itinérantes, en ce sens que le titulaire ou le professeur invité se rend tour à tour dans plusieurs universités à l’inté- rieur d’une même région (ou sous-région).

D’autres projets revêtent la forme de réseaux interuniversitaires complexes regrou- pant de trois à cinquante institutions. Certaines d’entre elles remplissent la fonction de pôles de coordination chargés de lancer les activités et d’assurer une large participation à la mise en œuvre des réseaux. Ces pôles de coordination ont vocation à devenir des centres d’excellence internationalement reconnus, où des pro- grammes d’études et de recherche de haut niveau sont menés à bien par le biais de la coopération interuniversitaire.

Au 8 janvier 1997, cent quatre-vingts chaires UNESCO et trente-six réseaux avaient été créés dans le cadre du programme UNITWIN. Les titulaires de ces chaires et les coordon- nateurs des projets sont assistés par six cent dix enseignants, chercheurs et techniciens

193

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l

auxiliaires. De 1992 à 1995, les chaires UNESCO ont organisé, dans diverses parties du monde, quelque cent vingt cours (pour la plu- part du niveau du deuxième ou du troisième cycle), auxquels ont assisté plus de trois mille étudiants. Au cours de cette même période, cent cinquante séminaires. ateliers de forma- tion, symposiums et colloques ont réuni plus de huit mille participants. Environ cinq cent quatre-vingts universitaires de pays en déve- loppement sont allés parfaire leur formation dans des universités partenaires de pays déve- loppés, et trois cent cinquante-cinq bourses ont été accordées à des étudiants et à de jeunes universitaires. Des recherches ont été menées dans le cadre de plus de deux cent cinquante projets conjoints, dont les résultats ont donné lieu à la publication de quelque cinquante-cinq volumes, de plus d’une centaine d’articles et d’un nombre aussi élevé de monographies et de rapports provisoires.

La sécurité, telle qu’elle a été définie aux fins du présent colloque. est un concept très vaste,

dont certains aspects touchent à des domaines comme la démocratie et la paix, la résolution des conflits et la communication. le développe- ment, la protection de l’environnement, etc. Nombre des projets lancés dans le cadre du programme UNITWIN portent également sur ces domaines. La plupart semblent. par consé- quent. répondre à des degrés divers aux préoc- cupations des instituts de défense et des éta- blissements universitaires réunis à l’occasion de ce colloque. En voici quelques exemples, qui nous paraissent de nature à intéresser plus directement les participants.

Le programme UNITWIN/chaires UNESCO a relancé l’intérêt des universités pour les activi- tés d’enseignement et de recherche consacrées à la paix, aux droits de l’homme, aux relations internationales et au droit international. Plus de trente chaires UNESCO sont aujourd’hui spé- cialisées dans ces domaines dans diverses par- ties du monde : Afrique du Sud, Venezuela, Pologne, Maroc, Fédération de Russie, Namibie, Espagne, Inde, etc. On s’efforce à présent de regrouper ces chaires au sein d’un réseau com- portant des pôles de coordination dans diffé- rentes régions. De nouvelles chaires viendront probablement s’ajouter à celles qui existent déjà. pour répondre en particulier aux besoins du programme pour une Culture de la paix, qui compte parmi les priorités de l’organisation.

D’autres chaires UNESCO sont consacrées aux études régionales (dont deux chaires sur l’Afrique, l’une à l’Université d’Utrecht, aux

Pays-Bas, et l’autre à l’Université de Louvain, en Belgique, une chaire d’études sur l’Europe selon une optique internationale à l’Université de Trier, en Allemagne, etc.> ou encore aux études prospectives, à la démographie et aux relations interculturelles. Il convient de noter que I’UNESCO publie un Répertoire mondial des institutions de recherche et de formation sur la paix et un Répertoire mondial des insti- tutions de recherche et de formation sur les droits de l’homme, et qu’elle organise périodi- quement des réunions avec les directeurs de ces institutions. Leur compétence est extrême- ment précieuse dès lors que l’on s’efforce d’ap- profondir la réflexion sur les problèmes com- plexes que soulèvent la paix et la sécurité dans le monde d’aujourd’hui. L’UNESCO est à même de faciliter les contacts avec eux.

Un programme particulièrement pertinent. avec lequel 1’UNESCO s’emploie à établir d’étroites relations de travail, porte sur la maî- trise des armements et la résolution des conflits. Il est mis en œuvre par une commis- sion mixte Association internationale des rec- teurs d’universités (IAUP)/Nations Unies. La commission compte aujourd’hui plus de deux cents membres, parmi lesquels des spécialistes du monde entier faisant autorité dans le domaine des études sur la paix et la sécurité. Elle a mis au point des modules ou des cours, qui sont aujourd’hui utilisés par les enseignants de quelque trente-quatre institutions parte- naires dans toutes les régions.

Un réseau UNITWIN pour les études sur les migrations forcées vient d’être lancé cette année. Coordonné par le programme d’études sur les réfugiés de l’cniversité d’Oxford, il regroupe à présent seize institutions dans huit pays situés dans certaines des régions les plus sensibles du globe : Moyen-Orient, Afrique et Maghreb.

Dans le domaine des communications, des activités ont été entreprises par l’intermédiaire d’une chaire UNESCO créée à l’Université du Québec de Montréal (UQAM), laquelle a aidé à la mise en place d’études sur la communication dans diverses universités de pays en dévelop- pement. Une douzaine de chaires ont été ulté- rieurement créées au sein de ces institutions, puis regroupées en un réseau (ORBICOM) qui s’emploie de façon particulièrement active à promouvoir des activités telles que l’attribution de bourses d’études, les échanges d’univer- sitaires, l’organisation de séminaires et de conférences, la production de matériels d’enseignement, la liaison par courrier élec-

194

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tronique de toutes les institutions partici- pantes, etc.

Dans le domaine du développement durable, plusieurs projets ont été mis sur pied, en particulier en Amérique latine, à la suite du Sommet de Rio. L’expérience ainsi acquise est intéressante, en raison de l’approche inter- disciplinaire novatrice qui a été adoptée dans l’étude du problème complexe de l’environnement et de ses relations avec le dévelop’pement.

S’agissant de l’environnement et de l’écolo- gie, le programme UNI’AVIN/chaires UNESCO s’est également révélé fort utile à travers, par exemple, le projet UNAMAZ (réseau reliant les universités de huit pays de l’Amazonie, auquel se sont associées d’autres institutions d’Amérique du Nord et d’autres régions) ou le système récemment institué de chaires conjointes UNESCO/Cousteau dans le domaine de l’écotechnie.

C’est dans le domaine des sciences exactes et naturelles, des disciplines de l’ingénieur, de l’agriculture, de la santé, etc., que chaires et réseaux sont les plus nombreux. Les recherches et les cours organisés dans ce cadre pourraient également présenter une certaine pertinence pour les études se rapportant à la défense. Il suffit, à titre d’exemple, de citer la chaire UNESCO sur l’abus des stupéfiants créée à l’Université Chulalongkorn, en Thaïlande, la chaire UNESCO sur les ressources en eau créée à l’Université de Nice et les recherches qu’elle mène en Mauritanie, ainsi que les très nom- breuses chaires créées avec l’appui de la com- munauté internationale dans divers pays d’Amérique latine.

Le réseau UNITWIN pour les études sur les migrations forcées

Les tensions internationales ont entraîné un accroissement considérable du nombre de réfu- giés. Des personnes sont contraintes de quitter leur foyer, chassées par les persécutions de caractère politique, ethnique ou religieux, la guerre, les troubles civils, la famine, la séche- resse ou des catastrophes écologiques. En 1970, on recensait deux millions et demi de réfugiés dans le monde. En 1980, ce nombre atteignait huit millions. Aujourd’hui, quarante- trois millions de personnes ont été obligées de s’expatrier ou ont été déplacées sur le territoire de leur propre pays. Cette situation est encore

compliquée par le fait que la plupart des pays d’accueil des populations déplacées comptent parmi les plus pauvres de la planète.

Le problème des migrations forcées revêt une importance cruciale pour la communauté inter- nationale. Le réseau UNITWIN pour les études sur les migrations forcées a été lancé en 1996 pour répondre à la détresse des personnes déplacées et à la nécessité de permettre aux décideurs d’arrêter leurs options en meilleure connaissance de cause. La coordination de ce réseau interrégional, qui comprend à ce jour huit pays et seize établissements de formation supé- rieure, est assurée par le Refugees Studies Programme (RSP), créé à l’Université d’Oxford en 1982. Le RSP est devenu un centre dynamique de recherche multidisciplinaire, d’enseignement et d’information du public, associant à son action non seulement des praticiens, des décideurs et des universitaires, mais aussi les réfugiés eux- mêmes. Il s’efforce de définir des stratégies effi- caces à long terme à travers un programme de recherches, de cours et de séminaires.

Objectifs

Le réseau UNlTWlN pour les études sur les migrations forcées s’est fixé les principaux objectifs suivants :

mettre en place des accords de jumelages et autres mécanismes de liaison (programmes de coopération) entre les institutions parti- cipantes ; promouvoir le progrès scientifique dans l‘ensemble du réseau, par la mise en œuvre d’un plan d’action définissant les besoins des différents partenaires en matière d’in- formation, de recherche, de publication, d’enseignement et de formation ; mettre sur pied des réseaux de coopération aux niveaux sous-régional, régional et inter- régional entre les institutions participantes ; faciliter, par le renforcement des capacités institutionnelles, l’émergence de centres d’excellence pour les études spécialisées de niveau post-universitaire et la recherche de pointe, par le biais d’accords entre les insti- tutions participantes et avec l’appui concerté de la communauté internationale. Ces centres aideraient à combler l’écart entre les besoins et le potentiel en matière de formation et de recherche à l’échelon national et international ; lancer des activités sur le terrain qui soient parfaitement adaptées à la problématique spécifique des migrations forcées ;

195

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créer des chaires UNESCO sous-régionales dans le cadre du réseau UNlTWlN, selon la procédure établie par I’UNESCO. Ces chaires constitueront le pivot des centres d’excellence ; promouvoir le progrès scientifique par le truchement de ces chaires UNESCO, en encourageant la recherche dans des disci- plines pertinentes et complémentaires et en faisant bénéficier les institutions partici- pantes du concours d‘un plus grand nombre de spécialistes éminents qu’actuellement ; procéder, à intervalles réguliers, à l’évalua- tion des progrès accomplis au niveau de l’ensemble du réseau comme au niveau sous-régional et national ; entreprendre toute autre activité compatible avec les buts et les objectifs du réseau.

Activités

Instaurer un échange régulier d’information et de documentation sur toutes sortes de sup- ports ; améliorer les compétences en matière d’information électronique en rééquipant le personnel universitaire et les bibliothécaires ; transcrire sur CD-ROM le fonds du centre de documentation du RSP et la documentation connexe de ses partenaires.

Renforcer l’infrastructure des universités par le développement des services de biblio- thèque et des services de maintenance tech- nique, l’achat de matériel de bureau, etc.

Renforcer les capacités nationales, sous- régionales et régionales par des activités de recherche, de publication, d’enseignement et de formation.

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3. EXTRAIT DE L’ACTE CONSTITUTIF DE L’UNESCO

Convention créant une Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture

Adoptée à Londres le 16 novembre 1945 et modifiée par la Conférence générale lors de ses deuxième, troisième, quatrième, cinquième, sixième, septième,

huitième, neuvième, dixième, douzième, quinzième, dix-septième, dix-neuvième, vingtième, vingt et unième, vingt-quattièm,e, vingt-cinquième,

vingt-sixième, vingt-septième et vingt-huitième sessions

Les gouvernements des États parties à la pré- sente Convention, au nom de leurs peuples, déclarent : Que, les guerres prenant naissance dans l’esprit

des hommes, c’est dans l’esprit des hommes que doivent être élevées les défenses de la paix ;

Que l’incompréhension mutuelle des peuples a toujours été, au cours de l’histoire, à l’ori- gine de la suspicion et de la méfiance entre nations, par où leurs désaccords ont trop souvent dégénéré en guerre ;

Que la grande et terrible guerre qui vient de finir a été rendue possible par le reniement de l’idéal démocratique de dignité, d’égalité et de respect de la personne humaine et par la volonté de lui substituer, en exploitant l’ignorance et le préjugé, le dogme de l’in- égalité des races et des hommes ;

Que, la dignité de l’homme exigeant la diffu- sion de la culture et l’éducation de tous en vue de la justice, de la liberté et de la paix, il y a là, pour toutes les nations, des devoirs sacrés à remplir dans un esprit de mutuelle assistance ;

Qu’une paix fondée sur les seuls accords éco- nomiques et politiques des gouvernements ne saurait entraîner l’adhésion unanime, durable et sincère des peuples et que, par conséquent, cette paix doit être établie sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité.

Pour ces motifs, les États signataires de cette Convention, résolus à assurer à tous le plein et égal accès à l’éducation, la libre poursuite de la vérité objective et le libre échange des idées et des connaissances, décident de développer et de multiplier les relations entre leurs peuples en vue de se mieux comprendre et d’acquérir une connaissance

plus précise et plus vraie de leurs coutumes respectives.

En conséquence, ils créent par les présentes l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture afin d’atteindre graduellement, par la coopéra- tion des nations du monde dans les domaines de l’éducation, de la science et de la culture, les buts de paix internationale et de prospérité commune de l’humanité en vue desquels l’Organisation des Nations Unies a été constituée, et que sa Charte proclame.

ARTICLE PREMIER Buts et fonctions

1. L’Organisation se propose de contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en res- serrant, par l’éducation, la science et la cul- ture, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des liber- tés fondamentales pour tous, sans distinc- tion de race, de sexe, de langue ou de reli- gion, que la Charte des Nations Unies reconnaît à tous les peuples.

2. A ces fins, l’Organisation : a> favorise la connaissance et la compré-

hension mutuelle des nations en prêtant son concours aux organes d’information des masses ; elle recommande, à cet effet, tels accords internationaux qu’elle juge utiles pour faciliter la libre cir- culation des idées, par le mot et par l’image ;

b) imprime une impulsion vigoureuse à l’éducation populaire et à la diffusion de la culture :

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en collaborant avec les États membres qui le désirent pour les aider à dévelop- per leur action éducatrice ; en instituant la collaboration des nations afin de réaliser graduellement l’idéal d’une chance égale d’éducation pour tous, sans distinction de race, de sexe ni d’au- cune condition économique ou sociale ; en suggérant des méthodes d’éducation convenables pour préparer les enfants du monde entier aux responsabilités de l’homme libre ;

c) aide au maintien, à l’avancement et à la diffusion du savoir : en veillant à la conservation et protection du patrimoine universel de livres, d’ceuvres d’art et d’autres monuments d’intérêt historique ou scientifique, et en recommandant aux peuples intéressés des conventions internationales à cet effet ;

3.

en encourageant la coopération entre nations dans toutes les branches de I’acti- vité intellectuelle, l’échange international de représentants de l’éducation, de la science et de la culture ainsi que celui de publications, d’œuvres d’art, de matériel de laboratoire et de toute documentation utile ; en facilitant par des méthodes de coopé- ration internationale appropriées l’accès de tous les peuples à ce que chacun d’eux publie.

Soucieuse d’assurer aux États membres de la présente Organisation l’indé- pendance, l’intégrité et la féconde diver- sité de leurs cultures et de leurs systèmes d’éducation, l’Organisation s’interdit d’intervenir en aucune matière relevant essentiellement de leur juridiction intérieure.

178

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4. EXTRAIT DE LA STRATÉGIE A MOYEN TERME DE L’UNESCO POUR 1996-2001

Contribuer à la prévention des conjlits et à la consolidation de la paix à l’issue des conjlits

187 A côté de l’action à long terme qu’elle mène en faveur de la paix, 1’UNESCO est de plus en plus souvent sollicitée pour contribuer, conjointement avec les organi- sations, fonds et programmes du système des Nations Unies, à la recherche de solu- tions dans les trois domaines d’action évoqués par le Secrétaire général de l’Organisation des Nations Unies dans son Agenda pour la paix: la prévention des conflits, l’assistance d’urgence, et la consolidation de la paix à l’issue des conflits.

188 Il s’agit là de domaines d’action nouveaux pour I’UNESCO qui est ainsi appelée à explorer, avec toute la prudence qui s’im- pose, de nouveaux rôles pour s’acquitter de sa mission constitutionnelle spécifique - bâtir la paix dans l’esprit des hommes - en aidant à construire les bases, intellectuelles et morales, de la réconciliation entre des parties en conflit. Il va de soi que l’Organisation n’agit, en pareil cas, que dans le strict cadre de ses domaines de compétence et à la requête des États membres concernés ou au titre des initiatives prises sous l’égide de l’Organisation des Nations Unies.

189 Dans le domaine de la prévention des conflits, 1’UNESCO renforcera sa fonction de centre d’échange d’information sur les recherches et expériences en cours concernant les moyens d’assurer la détec- tion précoce et le règlement pacifique des conflits. Elle coopèrera à cet effet avec des centres de recherche, instituts, organisa- tions et programmes travaillant sur le thème de la paix. L’accent sera mis sur

l’étude des nouvelles conditions de la sécurité et sur la promotion de méthodes novatrices de gestion des conflits, s’ap- puyant notamment sur le riche fonds d’ex- périences que recèlent les cultures tradi- tionnelles à cet égard. L’UNESCO aidera également les États membres qui le sou- haitent à organiser le transfert et le par- tage d’expériences en la matière, par le biais notamment de forums nationaux ou régionaux de culture de la paix, ou encore par l’établissement de Maisons de culture de la paix destinées à offrir un espace de dialogue aux diverses communautés dans des pays marqués par des tensions inter- ethniques.

190 S’agissant de l’assistance d’urgence, 1’UNESCO s’est fait l’ardent défenseur, auprès de la communauté internationale, de l’idée que l’assistance humanitaire ne saurait se réduire à la fourniture de nour- riture, de médicaments et de couvertures ; qu’il fallait associer étroitement la notion de « secours » à celles de « réhabilitation » et de 6~ développement à long terme », et que les interventions d’urgence devaient comporter, dès l’origine, un élément de formation des capacités locales. Cette idée a fait son chemin : le principe commence à être reconnu que les victimes des conflits conservent un droit inaliénable à l’éducation, au même titre que tout autre être humain. Aussi la stratégie de 1’UNESCO consiste-t-elle à s’efforcer d’éta- blir, dans les situations d’urgence, des structures éducatives intérimaires à l’intention notamment des personnes déplacées ou réfugiées. Là encore, le rôle de l’Organisation ne peut être que

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catalytique : il est moins de construire des écoles ou d’imprimer des manuels sco- laires que de procéder à l’évaluation des besoins éducatifs prioritaires, d’élaborer les stratégies pour y répondre, en coopé- ration avec le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), 1’UNICEF et le Programme alimentaire mondial (PAM), et de contribuer à la pré- paration des appels consolidés à l’aide humanitaire internationale, que coor- donne le Département des affaires huma- nitaires des Nations Unies (UNDHA).

191 Si, dans les situations d’urgence, l’éduca- tion est l’une des hautes priorités, l’assis- tance aux médias indépendants peut se révéler fondamentale pour le processus de réconciliation, On ne connaît que trop le rôle que jouent la propagande belliciste et l’incitation à la haine dans le déclen- chement et l’aggravation des conflits. Aussi 1’UNESCO continuera-t-elle, comme elle l’a fait en Bosnie ou ailleurs, à soute- nir, en liaison avec I’ONU et en collabora- tion avec les organisations profes- sionnelles, les médias locaux dont l’indépendance vis-à-vis des parties au conflit est internationalement reconnue, qui diffusent une information non parti- sane et qui défendent les valeurs de la coexistence pacifique et de la compré- hension mutuelle.

192 Mais c’est surtout dans la période de reconstruction qui suit la conclusion des accords de paix que de vastes champs d’action s’offrent à I’UNESCO : la consoli- dation de la paix, surtout de la paix civile, ne peut reposer que sur un authentique consensus national, c’est-à-dire une volonté générale de penser et de cons- truire la paix ensemble. Cela implique un énorme effort de sensibilisation et de for- mation des principaux acteurs de la société civile, dans lequel l’éducation, la science, la culture et la communication ont toutes leur rôle à jouer. Il ne s’agit pas seulement de reconstruire les institutions détruites à l’occasion du conflit, même si c’est là un objectif prioritaire ; il s’agit, ce faisant, de jeter les bases d’une société démocratique, pluraliste et participative.

193 Là encore, l’éducation - conçue dans le sens le plus large - a un rôle capital à

jouer, non seulement pour construire les bases d’une citoyenneté démocratique ; non seulement pour atténuer chez les jeunes générations les séquelles psycholo- giques du conflit ; mais aussi pour que tous les groupes de la population qui, en raison de leur âge ou de leur sexe, de leur appartenance ethnique ou religieuse, de leur situation politique ou économique ou encore de l’éloignement géographique, se sont trouvés au nombre des exclus, puis- sent trouver une réelle possibilité de réinsertion sociale et professionnelle. C’est dans ce contexte que le concept d’cl Apprendre sans frontières )> trouve son champ d’application le plus novateur : il s’agit, en effet, de mettre en place des sys- tèmes de formation intensive et diversi- fiée, adaptée aux besoins de chaque apprenant et qui permette à tous - et tout particulièrement à ceux qui, du fait même du conflit, ont G< raté 11 le train de l’éducation - de bénéficier d’une seconde chance pour développer toutes leurs potentialités intellectuelles et humaines.

194 La communication est également un outil essentiel pour la reconstruction de socié- tés civiles déchirées par un conflit : la liberté de la presse, le pluralisme et l’in- dépendance des médias, le développe- ment de journaux et radios communau- taires sont des facteurs indispensables au rétablissement du lien social et au proces- sus de réconciliation.

195 Les programmes nationaux que ~WNESCO a lancés, au cours de ces dernières années, dans les pays qui sortent d’une situation de conflit (El Salvador, Mozambique) et les programmes qui sont en cours d’élaboration (Burundi, Guatemala, Haïti, Rwanda) ou qu’elle pourrait initier durant la période couverte par la Stratégie à moyen terme, visent à soutenir les efforts de reconstruction nationale dans les domaines de compé- tence de l’Organisation. Mais leur origina- lité est qu’ils cherchent à créer le cadre nécessaire pour que s’établisse une véri- table interaction entre toutes les parties concernées. Ils associent des protago- nistes de tous bords, tant gouvernemen- taux que non gouvernementaux, à la conception puis à la mise en œuvre de

200

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projets de développement faisant appel, valeurs des droits de l’homme et de la souvent simultanément, aux différents démocratie. Comme tels, ces programmes domaines de compétence de l’organisa- nationaux de culture de la paix visent à tion. Ces projets comportent tous une illustrer et à concrétiser, sur le terrain même composante de formation aux méthodes de l’action, les relations d’interdépendance de gestion des conflits ainsi qu’une entre paix, développement, droits de dimension éducative visant à diffuser les l’homme et démocratie.

201

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5. EXTRAITS DE LA RÉSOLUTION 012 ADOPTÉE PAR LA VINGT-HUITIÈME SESSION

DE LA CONFÉRENCE GÉNÉRALE DE L’UNESCO SUR LA STRATÉGIE A MOYEN TERME

POUR 1996-2001

La Conférence générale.

Réitérant l’engagement inscrit dans la Charte des Nations Unies de <’ préserver les généra- tions futures du fléau de la guerre »,

Rappelant que 1’UNESCO a été créée c< afin d’at- teindre graduellement, par la coopération des nations du monde dans les domaines de l’éducation, de la science et de la culture, les buts de paix internationale et de pros- périté commune de l’humanité en vue des- quels l’Organisation des Nations Unies a été constituee >),

Reconnaissant le caractère spécifique de la mission de l’UNESC0, qui est d’élever les défenses de la paix sur le fondement de la solidarité intellectuelle et morale de l’humanité,

Considérant - que la préparation de l’avenir exige plus

que jamais la construction de la paix, - que la défense résolue de l’idéal démo-

cratique de dignité, d’égalité et de res- pect de la personne humaine est la voie la plus sûre pour lutter contre l’exclu- sion, la discrimination, l’intolérance et la violence, dont les formes extrêmes - se nourrissant de l’ignorance et des préju- gés - menacent la cohésion des sociétés et conduisent les peuples à des conflits meurtriers,

- que de nouvelles menaces pèsent aujourd’hui sur la sécurité internationale, qui ont pour noms inégalités insoute- nables entre les nations comme au sein des sociétés, conflits ethniques, pau- vreté, chômage, injustice sociale, déclin rural et misère urbaine, migrations

massives, dégradation de l’environne- ment, nouvelles pandémies, ou encore trafic d’armes et de drogues,

- que la paix et la sécurité internationales passent aujourd’hui par un développe- ment conçu à l’échelle mondiale, où la prospérité des sociétés serait fondée sur la mise en valeur des ressources humaines et servirait à faciliter l’épa- nouissement des capacités de chacun, sans distinction d’aucune sorte,

- qu’en conséquence, la dignité de l’homme exige, aujourd’hui encore plus qu’hier, l’éducation pour tous, la connaissance et la compréhension mu- tuelle des peuples, la libre circulation des idées et l’accès de chacun aux fruits du savoir, et en particulier au progrès des sciences et des techniques - tant il est vrai que l’éducation, la science, la culture et la communication constituent aujourd’hui les voies les plus sûres pour promouvoir le développement, prévenir les conflits, consolider la démocratie et établir ainsi progressivement une authentique culture de la paix,

Yonuaincue que le défi majeur, en cette fin de XX~ siècle, est d’amorcer la transition d’une culture de la guerre vers cette culture de la paix : - une culture de la convivialité et du par-

tage, fondée sur les principes de liberté, de justice et de démocratie, de tolérance et de solidarité,

- une culture qui rejette la violence, s’at- tache à prévenir les conflits à leurs sources et à résoudre les problèmes par la voie du dialogue et de la négociation,

- une culture qui assure à tous le plein exercice de tous les droits et les moyens

203

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de participer pleinement au développe- ment endogène de leur société,

II

Renouvelle solennellement son adhésion aux idéaux qui fondent I’UNESCO et aux buts qui l’animent, tels qu’énoncés dans son Acte constitutif ;

Réaffirme l’importance et l’actualité du mandat de I‘UNESCO, qui est de (< contribuer au maintien de la paix et de la sécurité en res- serrant, par l’éducation, la science et la culture, la collaboration entre nations, afin d’assurer le respect universel de la justice, de la loi, des droits de l’homme et des liber- tés fondamentales pour tous, sans distinc- tion de race, de sexe, de langue ou de religion » ;

Considère que 1’UNESCO peut se prévaloir de la contribution qu’elle a apportée au cours de ses cinquante premières années d’existence à l’édification de la paix, et ce, en dépit des nombreux obstacles qu’elle a rencontrés dans l’accomplissement de sa mission ;

Réafjrme que l’être humain est au cceur des processus qui conduisent au développe- ment et à la paix ;

Estime indispensable que 1’UNESCO continue d’exercer sa vocation proprement éthique, dans un monde en quête de nouveaux repères et à la recherche de valeurs com- munes, alors même qu’une vigilance accrue s’impose au vu des graves atteintes qui sont portées aux droits les plus fondamentaux dans les domaines relevant de sa compé- tence ;

Réaffirme, à cet égard, l’urgence de renforcer la solidarité morale de l’humanité pour assurer la sauvegarde du patrimoine qui lui est commun, naturel et culturel, matériel et immatériel, intellectuel et génétique ;

Se déclare convaincue de la nécessité de déve- lopper la coopération intellectuelle interna- tionale et souligne le rôle clé que I’UNESCO doit continuer à jouer à cet égard : - en tant que forum intellectuel, en stimu-

lant les efforts de la communauté inter- nationale pour mieux comprendre, dans toute leur complexité, les mutations du monde contemporain et pour élaborer des stratégies novatrices qui permettent de faire face aux nouveaux défis qui se font jour dans les domaines de compé- tence de l’Organisation,

- en tant que force mobilisatrice, en inci- tant les décideurs, notamment les res- ponsables politiques, à prendre des engagements fermes en ce qui concerne l’adoption et la mise en œuvre de ces stratégies, tant a l’échelon national qu’à l’échelon international,

- en tant qu’organe normatif, en favorisant l’adoption et l’application de normes et instruments internationaux dans ses domaines de compétence, et en aidant les États membres à moderniser leurs législations dans ces domaines,

- en tant que centre d’échange d’infor- mation, en facilitant la diffusion, au niveau mondial, de l’information spé- cialisée sur l’état des lieux et les ten- dances dans les domaines de compé- tence de l’Organisation,

- en tant que catalyseur, en encourageant les activités de recherche, de formation et d’enseignement qui concourent à l’avancement, au transfert et au partage des connaissances,

- en tant que conseil, en soutenant les efforts de développement des États membres, par l’apport d’une expertise technique dans ses domaines de compétence.

204

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6. EXTRAITS DES PROGRAMME ET BUDGET APPROUVÉS POUR 1996-1997 DE L’UNESCO

Projet tramdisciplinaire cr Vers une culture de la paix J>

05203 Les activités proposées au titre de ce projet transdisciplinaire ont pour objec- tif d’apporter une contribution directe à l’édification d’une culture de la paix, fondée sur le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, le rejet de la violence et de toute forme de discrimination, et l’attachement aux principes de justice et de solidarité, de tolérance et de compréhension tant entre nations qu’entre groupes et entre individus.

05204 La création d’un système complet d’édu- cation à la paix, aux droits de l’homme et à la démocratie, à la tolérance, à la non-vioJence et à la compréhension internationale ; la protection et la pro- motion des droits de l’homme et des libertés fondamentales ; l’élimination de toutes les formes de discrimination, en particulier celles qui frappent les femmes et les groupes désavantagés,

c _ celles aussi qui affectent les personnes appartenant à des minorités et les popu- lations autochtones ; la consolidation, partout dans le monde, des processus démocratiques ; le renforcement du plu- ralisme culturel et du dialogue intercul- turel - tels sont les principaux c< points de passage )l vers l’édification d’une cul- ture de la paix.

05205 L’UNESCO encouragera ses États

membres à progresser dans cette voie par le biais d’activités d’éducation et de formation, de réflexion et de recherche, de sensibilisation et de mobilisation. Elle s’efforcera également de contribuer, en étroite collaboration avec les institu-

tions du système des Nations Unies, à la recherche de solutions dans les trois domaines évoqués par l’hgenda pour la paix du Secrétaire général de l’organi- sation des Nations Unies : la prévention des conflits, les situations d’urgence et la consolidation de la paix après les conflits, dans le cadre notamment de programmes nationaux de culture de la paix.

05206 Ainsi que le souligne la résolution pro- posée au titre de ce projet, l’action de l’Organisation, dans ce domaine, est nécessairement limitée à une fonction de catalyseur : elle vise à soutenir les efforts déployés par ses États

membres pour ‘< bâtir la paix dans l’esprit des hommes », conformément aux engagements qu’ils ont pris en I%i- fiant la Convention portant création de I’UNESCO.

05207 La mise en œuvre de ce projet transdis- . ciplinaire fait appel à l’ensemble des

domaines de compétence et, partant, des, secteurs de l’Organisation, notam- ment ceux de l’éducation, des sciences sociales et humaines et de la culture. Elle appellera également une coopéra- tion renforcée avec les États membres, les institutions et organes du système

des Nations Unies - en particulier le Haut Commissaire pour les droits de l’homme et le Centre des Nations Unies pour les droits de l’homme -, les organisations intergouvernementales régionales, les organisations non gou- vernementales compétentes et la cou- munauté intellectuelle.

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Unité 4 : Prévention des conflits et consolidation de la paix à l’issue des conflits

1. Promouvoir la recherche de méthodes efficaces de prévention des conflits

05247 Dans le cadre des initiatives prises par l’Organisation des Nations Unies et en étroite coopération avec les organisations intergouvernementales et non gouverne- mentales concernées, les institutions de recherche sur la paix, les centres d’études stratégiques et l’ensemble de la commu- nauté scientifique, ~‘UNESC~ contribuera aux discussions en cours concernant un nouvel agenda des recherches sur la paix, une nouvelle conception de la sécurité et le rôle du système des Nations Unies à cet égard. L’analyse des sources sociales et culturelles des conflits et de la violence sera poursuivie. L’accent sera mis sur la création. d’un Chat de confiance et la recherche de méthodes efficaces de pré- vention et de solutions non violentes des conflits. Une réunion d’experts sur les menaces qui pèsent sur la paix et la sta- bilité et les moyens de les éliminer sera organisée en 1996, et ses conclusions seront publiées en 1997 dans UNESCO Peace and Conjlict Issues. La contribution du droit international à l‘édification d’une culture de la paix sera mise en relief. Afin d’accroître l‘apport des principales institu- tions de formation et de recherche sur la paix à ce projet transdisciplinaire, une réunion des directeurs de ces institutions sera organisée en 1997. Un appui sera apporté aux activités de recherche sur la paix menées dans le cadre de la Fondation Houphouët-Boigny, notam- ment par l’organisation d’un colloque sur <c La paix dans l’esprit des hommes » qui se tiendra à Yamoussoukro en Côte d’ivoire.

05248 Des activités visant à l’instauration d’un climat de confiance et à la prévention à long terme des conflits, telles que l’or- ganisation de cours de formation sur les techniques de résolution des conflits, la création de maisons de L’UNESCO pour une culture de la paix ou la tenue de réunions sur la culture de la paix, seront entreprises, sur la demande des États

membres, au niveau national ou sous- régional. Comme suite aux recom- mandations du Conseil exécutif à sa 145e session et de la première réunion consultative du Programme pour une culture de la paix, ces activités seront menées en étroite coordination avec d’autres organisations du système des Nations Unies, en vue de parvenir à une approche globale de la consolidation de la paix et de la prévention des conflits à long terme applicable dans les zones où les accords de paix ont mis fin à des conflits ouverts ou dans celles où de tels conflits menacent d‘éclater. Il sera procédé à une évaluation de ces activités.

05249 L‘UNESCO poursuivra ses efforts en vue de mobiliser divers paqenaires et acteurs en faveur de la culture de la paix. Un système d’information et de liaison sera mis en place pour relier les organisa- tions intergouvernementales, gouverne- mentales et non gouvernementales ainsi que les diverses unités de 1’UNESCO engagées dans les activités de promo- tion de la culture de la paix. Ce système comportera la création d’une base de données et la publication et la diffusion régulières d’un bulletin d’information sur la culture de’la paix et d’autres maté- riels imprimés et audiovisuels. Des matériels spéciaux seront élaborés pour illustrer. l’expérience des programmes nationaux pour une culture de la paix. Le Manifeste de Séville sur la tiolence et la Déclaration sur le rôle de la religion dans la promotion de la culture de la paix seront largement diffusés.

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Page 168: Des insécurités partielles à la

. La Nouvelle Page, par Federico Mayor. 1995. CO-édité par les Éditions du Rocher et les Éditions UNESCO. 180 p.

. Non-military aspects of international security. 1995. Éditions UNESCO. 260 p.

. Peace !, par les lauréats du Prix Nobel de la paix. 1995. Éditions UNESCO. 570 p.

l Peace and ular: social and cultural aspects, par Hakan Wiberg. 1995. Éditions Bel Corp, Varsovie. 125 p.

. Proceedings of the international roLl?zd table ‘Military conversion and science’ (Venise, 27-29 novembre 1994). UNESCO- ROSTE. 215 p.

l UNESCO and a culture of peace. Promoting a global movement. 1996. CAB-%/WS/l. UNESCO. 206 p.

. 78, Vetlice Deliberatiorzs - Trurzsfor1~zatiotls irl the meui&ig of ‘.seciwi<y’: practical steps tozllard a rlew secllti<j! clhrre. The Venice Papers. 1996. CAB-96/WS/l. UNESCO. 125 p.

. SecllritQ for peace - a sJxop.si.s of the i?ztet*-Americutl .sjwposiu m oti peuce- huildirlg arld peace-keepiizg (organisé conjointement par l’Organisation des États

américains et 1’UNESCO). 1996. CAB- 96/WS,:2. UNESCO. 32 p.

l Actes du colloqzre internutiovzul sw le droit à l’assistance hlitnarzitaire (Paris, 25-27 jan- vier 1995). SHS-76/WS/9. 1996. UNESCO. 218 p.

. From a cxltzlre of r’iolence to a cziltllre of peace. 1996. UNESCO Publishing. 276 p.

l UVESCO : ~1~1 id&1 en action. Actualité d’un texte visionnaire, par Federico Mayor. 1996. Éditions UNESCO. 131 p.

207

Page 169: Des insécurités partielles à la

Issu du Collège des hautes études de défense nationale, créé en 1936 par l’amiral Castex, I’Institut des hautes études de défense nationale a été fondé après la seconde guerre mondiale.

Il est placé sous l’autorité du Premier Ministre qui, chaque année, approuve l’orienta- tion générale de l’enseignement ainsi que les thèmes d’études.

L’Institut a pour mission de donner à des hauts fonctionnaires, officiers supérieurs, cadres privés (appartenant aux secteurs de l’économie, de la recherche, du droit, de la culture, des affaires sociales, de la presse audiovisuelle et écrite.. .>, une information approfondie sur la défense nationale comprise au sens large du terme.

L’Institut organise trois types de sessions composées chacune d’auditeurs et auditrices âgés de trente-cinq à cinquante ans : l une session nationale est organisée chaque

année à Paris. Elle permet aux auditeurs de recevoir une information sur les grands thèmes retenus et de conduire, en comités, des discussions et des réflexions ;

l des sessions régionales (quatre par an dont une à Paris et une outre-mer, en alternance), destinées aux auditeurs des régions, suivent les mêmes procédures de recrutement que la session nationale et appliquent la même méthodologie, mais pendant une période de plus courte durée. Depuis 1994, I’IHEDN accueille des auditeurs étrangers lors des sessions se déroulant à proximité des frontières ;

l des sessions internationales : - la session afmcaine et malgache, qui réunit tous les ans, à Paris, des officiers et des fonctionnaires civils africains et français

afin de les informer de la politique actuelle de la France vis-à-vis des pays concernés ; - des sessions européennes. En 1993 et 1994, une session européenne a rassemblé, à Paris, des ressortissants des pays d’Europe centrale, orientale et balte. En 1995, elle a réuni les vingt-sept pays membres, associés et associés partenaires de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) ; - des sessions ‘< IHEDN/jeunes >a, depuis 1996, en Ile-de France et en province, pour un public composé d’étudiants ou de personnes actives âgés de dix-huit à vingt- cinq ans.

L’Institut organise également : l des stages destinés aux étudiants de

diplômes d’études supérieures spécialisées (DESS) et de diplômes d’études approfon- dies (DEA) de défense ;

l des journées d’information à l’intention des préfets, des parlementaires, des chefs d’en- treprise, des journalistes, etc.

En dehors des sessions, I’Institut soutient l’ac- tion des six mille deux cents anciens auditeurs, réunis au sein des vingt-neuf associations membres de l’Union, qui apportent chaque année leurs nouvelles réflexions, Il conduit ou suggère des études concernant la défense, apporte son concours à l’enseignement et reçoit les collèges et instituts étrangers,

Les réflexions des auditeurs, recueillies dans des rapports, font l’objet de synthèses trans- mises au Premier Ministre puis aux Ministres intéressés, qui peuvent y trouver des sugges- tions et des vues originales complétant utile- ment leurs propres réflexions. Certains de ces travaux sont publiés dans la revue Athénu, dont le second numéro vient de paraître à la Documentation française.

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Constitué par décret ministériel du 16 août 1949 en tant que Centre des hautes études militaires pour la préparation des officiers supérieurs des trois armées dans le domaine de questions mili- taires et l’organisation de la défense de la nation, il est devenu le Centre des hautes études de la défense par décret ministériel du 17 décembre 1979, en raison de l’élargissement de ses buts et tâches à tous les aspects de la défense nationale.

Le Centre est dirigé par un président, un général de corps d’armée ou grade correspon- dant ; la haute direction du Centre est, depuis sa constitution, confiée au chef d’état-major des armées. La mission du Centre est la suivante : * actualiser et compléter la préparation d’offi- ciers et de fonctionnaires des administrations de l’État d’un grade et titre élevés dans le domaine de l’organisation de la défense natio- nale, en encourageant l’étude et l’approfondis- sement des problèmes complexes s’y rappor- tant sous ses multiples aspects et dans un cadre unitaire et global ‘2.

Le Centre constitue l’organisme de culture italien de plus haut niveau à vocation interar- mées et interministérielle, et se place au som- met des instituts de formation professionnelle des cadres militaires.

Après de nombreuses transformations, depuis 1994, le Centre se compose actuelle- ment de trois instituts :

l l’Institut des hautes études de défense (IASD), qui organise une session acadé- mique annuelle d’études pour les généraux, les colonels et les fonctionnaires de niveau équivalent. La participation d’officiers étran- gers est également prévue. Les réflexions des auditeurs, recueillies dans des rapports, sont transmises aux états-majors et aux Ministères intéressés ;

l le Centre militaire d’études stratégiques (CeMiSS), constitué depuis 1987 à des fins essentiellement d’étude et de recherche sur des problèmes d’intérêt à caractère politico- stratégico-militaire relevant, du Ministre de la défense, des chefs d’états-majors et du Secrétariat général du Ministère des affaires étrangères. Il publie des travaux qui sont transmis aux états-majors. aux instituts pari- taires, et sont également mis en vente. Il uti- lise, pour ces activités, du personnel issu des effectifs de l’armée, des collaborateurs externes et des auditeurs de 1’IASD ;

l l’Institut supérieur d’état-major interarmées (ISSMI), créé depuis 1994. Sa mission est d’améliorer la formation professionnelle et culturelle des officiers du grade de capitaine à celui de lieutenant-colonel, pour les pré- parer à exercer des fonctions dans l’état- major de leur propre armée, dans les com- mandements interarmées et dans les organismes internationaux.

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10. LE CENTRE SUPÉRIEUR DE~ ÉTUDES DE DÉFENSE NATIONALE

(CESEDEN, ESPAGNE) Paseo de la Castellana, 61 - 28046 Madrid

Le CESEDEN, placé sous le commandement d’un officier général et sous les ordres directs du chef d’état-major de la défense, constitue la plus importante institution d’enseigne- ment militaire supérieur. Ce centre agit en fonction des directives de la politique militaire en vigueur ; c’est pourquoi il maintient d’étroites relations avec les états-majors des trois armées et, au sein du Ministère de la défense, avec la Direction générale de la poli- tique de défense.

Il a été créé en 1964 afin de répondre aux besoins de coordination entre la défense natio- nale et le service des relations extérieures des forces armées. Il joue un rôle essentiel dans la diffusion d’informations sur la défense natio- nale, et favorise ainsi la communication entre les forces armées et la société. 11 entretient donc des relations privilégiées avec les univer- sités et le monde de l’entreprise.

Il coordonne la collaboration d’éminents spécialistes des secteurs civils et militaires en matière d’études stratégiques et est ouvert à toutes les organisations et institutions d’étude, d’enseignement et de recherche spécialisées dans les questions de défense nationale. Une attention toute particulière est accordée à l’histoire militaire.

Le Centre est l’interlocuteur officiel de forums, d’entités nationales et internationales, une instance d’appui aux organismes chargés des questions de défense au sens le plus large du terme, notamment la sécurité collective, les missions de maintien de la paix, la protection du patrimoine, etc.

En bref, le CESEDEN peut se définir comme un lieu de rencontres. Il favorise les relations entre les forces armées et la société, en parti- culier dans les domaines de réflexion, d’analyse et de diffusion des idées sur les thèmes men- tionnés ci-dessus.

Le CESEDEN s’organise autour de trois centres : l’École des états-majors conjoints (EMACON), l’École des hautes études militaires (ALEMI) et l’Institut espagnol d’études straté- giques (IEEE).

Parmi ses activités les plus importantes figurent :

la formation d’officiers nationaux et étran- gers pour les états-majors conjoints ; le cours de défense nationale, auquel partici- pent des officiers supérieurs, des hauts fonc- tionnaires et des cadres du secteur privé ; une formation à la gestion des ressources humaines et à la logistique ; une formation au diplôme de maîtrise de sécurité et défense du programme de l’Université Complutense de Madrid ; l’étude et la publication de thèmes d’actua- lité nationale et internationale, travail pour lequel existe une collaboration entre les forces armées et le secteur civil ; la collaboration avec différentes universités espagnoles : Salamanque, Saint-Jacques-de- Compostelle, Madrid, Ibiza, La Laguna, Pontevedra, Santander, Soria, Grenade, Barcelone, Navarre, etc. ; les journées annuelles d’histoire militaire ; les réunions annuelles avec le CHEM (France), le CASD.(Italie) et 1’IDN (Portugal).

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Page 172: Des insécurités partielles à la

11. L’INSTITUT D’ÉTUDES DE SÉCURITÉ DE L’UNION DE L’EUROPE OCCIDENTALE

(UEO) 43, avenue du Président-Wilson, 75016 IParis

Le 13 novembre 1989, le Conseil ministériel (Ministres des affaires étrangères et de la défense) de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) décidait la création d’un Institut d’études de sécurité, chargé de contribuer au dévelop- pement d’une identité de sécurité européenne. Cet institut a ouvert ses portes le Pr juillet 1990.

Cette initiative avait pour but de contribuer à la mise en œuvre de la plate-forme de La Haye du 27 octobre 1987 sur les intérêts euro- péens en matière de sécurité, où les pays membres indiquaient leur volonté à la fois de renforcer le pilier européen de I’OTAN et de construire une Europe intégrée comprenant une dimension de défense et de sécurité, sans laquelle elle serait incomplète. Objectif réaf- firmé dans la déclaration annexée par les États

membres au Traité sur l’Union européenne de Maastricht en 1991, la première à placer la rela- tion entre l’Union européenne et 1’UEO dans un cadre contractuel. Le renforcement du rôle de I’UEO a été évoqué à plusieurs reprises par 1’OTAN - avec la Déclaration de Rome du Conseil de l’Atlantique Nord en 1991, lors du sommet de Bruxelles en janvier 1994 et à Berlin en juin 1996.

L’Institut d’études de sécurité a vu le jour alors que s’opérait une profonde mutation de l’environnement stratégique : démocratisation en Europe centrale et orientale, effondrement de l’Union soviétique, unification allemande, engagement de l’Union européenne dans l’ob- jectif d’une union politique avec une dimension de sécurité commune, et renforcement de la coopération entre Européens au sein de la CSCE (Conférence pour la sécurité et la coopé- ration en Europe). Les crises du Golfe et de l’ex-Yougoslavie ont illustré les défis de sécu- rité auxquels l’Europe est sans cesse confron- tée. Ces événements constituent la toile de

fond de l’environnement de sécurité dans lequel l’Institut a pris sa place en tant qu’acteur du débat stratégique européen.

Missions

L’Institut d’études de sécurité de I’UEO diffère des autres organisations de recherche euro- péennes en ce qu’il relève d’une instance inter- gouvernementale, le Conseil de l’UE0, tout en jouissant d’une grande indépendance dans les recherches qu’il entreprend en vue de contri- buer à l’instauration d’une communauté de sécurité européenne.

Dans la décision du 13 novembre 1989, trois missions étroitement liées lui ont été confiées : l entreprendre des études et des recherches,

notamment à l’intention des gouvernements des États membres de 1’UEO. L’indépen- dance et l’objectivité des travaux de l’Institut sont inscrites au nombre des principes fon- dateurs de la décision ministérielle. Ces tra- vaux, qui ont tous une vocation politique, sont effectués à la demande du Conseil aussi bien qu’à l’initiative propre de l’Institut. Ils sont, le cas échéant, publiés par ce dernier ;

l contribuer au débat européen sur la sécu- rité. L’Institut tient différents types de réunions - séminaires, groupes de réflexion et journées d’étude - avec des personnali- tés ou des instituts des vingt-huit pays liés à l’UE0, mais aussi avec les pays d’Amérique du Nord, d’Europe orientale et de la Méditerranée. Il a également contribué au débat stratégique par ses publications ;

l promouvoir des liens plus fructueux entre les instituts. L’Institut a coopéré avec d’autres instituts et centres de recherche des pays de l’UE0, et tient à jour une

215

Page 173: Des insécurités partielles à la

banque de données sur les spécialistes européens des questions de sécurité. Plus généralement, il a créé un réseau d’échanges impliquant la communauté stra- tégique européenne, c’est-à-dire les organi- sations internationales, les parlements (notamment les membres de l’Assemblée de I’UEO), les administrations nationales, les forces armées, les universités, les médias et les milieux industriels.

Programme de travail

La principale mission que le Conseil de 1’UEO a confiée à l’Institut d’études de sécurité a été de contribuer au développement de l’identité européenne de défense et de sécurité. Le pro- gramme de travail de l’Institut porte sur les volets conceptuel, politique, économique et de défense, étroitement liés, ainsi que sur celui de la sécurité, et concerne donc sept domaines, à savoir : l la dimension de la sécurité de l’Union euro-

péenne et son futur élargissement ; 0 la sécurité européenne et la relation trans-

atlantique ; l la création de plus vastes structures de sécu-

rité européennes ; l l’élaboration d’une politique européenne de

défense commune ; l les aspects économiques et industriels de la

sécurité européenne ; l la dimension méditerranéenne de la sécurité

européenne ; l la sécurité régionale dans les pays baltes, en

Europe centrale, dans le sud-est de l’Europe et dans la mer Noire.

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Méthodes de travail de l’Institut

Les différents projets de recherche de l’Institut sont entrepris soit directement, par son équipe, soit en collaboration avec tout un éventail de partenaires extérieurs. Ses méthodes de tra- vail, qui concernent tous les pays liés à l’UE0, comprennent l’ensemble des approches sui- vantes : l octroi de bourses de recherche à de jeunes

chercheurs des pays de 1’UEO étudiant cer- taines questions spécifiques pendant deux ou trois mois. L’Institut offre également des bourses d’études, dans d’autres instituts des pays de l’Union, à des chercheurs de pays associés partenaires de I’UEO ;

l création de groupes de réflexion et d’étude permanents sur des sujets spécifiques, aux- quels participent des spécialistes de prove- nance gouvernementale ou non gouverne- mentale ;

l tenue de plus vastes séminaires s’adressant aux participants venant d’horizons les plus divers ;

l contributions et rapports au Conseil et à ses groupes de travail ;

0 participation active et contribution à certaines réunions internationales ;

l assistance dans l’organisation de cours et participation à l’enseignement ;

l information des visiteurs de l’Institut ; l publication d’études et de comptes rendus

de séminaires sous différentes formes, notamment avec les Cahiers de Chaillot (série de monographies traitant de ques- tions d’actualité dans le domaine de la sécu- rité), un Bulletin et des livres.

Page 174: Des insécurités partielles à la

BON DE COMMANDE

A retourner au bureau de Mme Goucha/CAB-SA UNESCO, 7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07SP

désire recevoir exemplaire(s) des Actes du symposium c< Des insécurités partielles à la

sécurité globale » en français m en anglais u.

BON DE COMMANDE

A retourner au bureau de Mme Goucha/CAB-SA UNESCO, 7, place de Fontenoy, 75352 Paris 07SP

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désire recevoir .., .., exemplaire(s) des Actes du symposium ‘< Des insécurités partielles à la

sécurité globale 2) en français Q en anglais a.

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Page 175: Des insécurités partielles à la

Ainsi la paix, le développement et la démocratie sont-ils les trois sommets d’un triangle interact!L qui est aussi un cercle uertueux; les ymergie.s qui s[y.forment seront irrkistibles et invulnérab1e.s. Encore faut-il, pozhr les amorcer, réunir la masse critique nécessaire à l’échelle de la planète. Aucun pa.ys ne tirera plus, seul, son épingle du jeu. Aucun modèle ne s’imposera plus à des peuples souverains. Aucune catégorie sociale ne sera plus ni prizjilégiée ni sacrifiée. Toutes les sociétés, et toutes les composantes de chaque société, doivent unir leurs forces dans la prkseruation de leur avenir commun. Gouvernements, organisations intergouuernementales, mouvements as.sociat$s, autorités municipale.s, groupements de particuliers, autoritks ecclésiastiques, breJ tous les niveaux, tous les ordres, tous les modes di>rganisation et d’existence sociales doivent 2tre mobi1isé.s.

Bans cette fC mobilisation générale 1) pour assurer la .sécurité globale, 1e.s forces armées jouent, à l’évidence, un rôle déterminant. Protagonistes des scénarios de guerre, elles sont également unepièce maîtresse du rétablissement, du maintien et de la construction de la paix, un moteur d’une logique de paix mettant à pro@ les interactions entre la Gcurité, le développement et la démocratie. Elles exercent et peuvent exercer, dans ce triangle interactax une action directe et un effet de levier dont la pui.ssance reste encore largement insoupçonnée.

(Extraits dti message de Federico Mayor, Directeur général de 1’UNESCO)

Réjléchir à la part qui revient aux forces armées dans le rétablissement, le maintien et la construction de la Paix et mieux comprendre l’interaction entre sécurité et développement sont aujourd%hui des enjeux mqjeurs dans la conduite des affaires du monde.

Les Instituts de défense et de sécurité, rkunis pour la premikre fois en -ymposium de libre discussion à ce propos, ont un rôle déterminant à jouer de ce point de vue : en précisant la pensée de tous en ces matière.s, et en lui donnant une expression plus nette, ils concourront à rendre l’action plus juste, plus efficace et plus sbire.

(Extraits du -message de Bernard Norlain, Général d’armée aérienne et Directeur de 1’IHEDN)

En vue de relever ces défis, l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) et l’Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) ont co-organisé, avec le concours du Centre des hautes études pour la défense (CASD, Italie>, de l’Institut d’ktudes de sécurité de 1’UEO et du Centre supérieur d’études de la défense nationale (CESEDEN, Espagne), le symposium international « Des insécurités partielles à la sécurité globale », qui s’est tenu à Paris, à la Maison de I’UNESCO, du 12 au 14 juin 1996. Il a réuni plus de cent participants militaires et civils de plus de quarante pays (représentants d’instituts d’études de défense et d’études stratégiques, officiers généraux et officiers supérieurs des forces armées, chercheurs>, ainsi que des observateurs d’États membres et d’organisations internationales gouvernementales et non gouvernementales. Ils ont entamé une r&flexion, ainsi qu’un débat sur les divers aspects de la nouvelle approche de kd skcurité, dont la présente publication est le compte rendu.

CULTURE DE PAIX