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Rev Francoph Psycho-Oncologie (2004) Numéro 3 : 155-157 © Springer 2004 DOI 10.1007/s10332-004-0034-2 Des livres et des vidéos pour parler du cancer avec les enfants Books and videos on speaking with children about cancer M.-F. Bacqué Marie-Frédérique Bacqué () Rédactrice en chef de la Revue Francophone de Psycho-oncologie Professeur de psychopathologie et de psychologie clinique à l’Université Louis-Pasteur de Strasbourg e-mail : [email protected] 1 Association Sparadrap (Association pour les enfants malades ou hospitalisés), 48, rue de la Plaine, 75020 Paris, tél. : 01 43 48 11 80, www.sparadrap.org Les documents à la disposition des parents malades et de leurs enfants sont peu nombreux. Cepen- dant, on peut trouver dans le cata- logue 2004 de l’association Spara- drap des ouvrages permettant d’ex- pliquer le fonctionnement de l’hôpi- tal, les différents examens, la dou- leur et certains traitements 1 . Des films vidéo et des CD pour enfants ont également été sélectionnés pour leur humour, leur authenticité et le plaisir qu’ils peuvent faire partager malgré la gravité du thème abordé. Dans la série télévisée Hôpital Hilltop, les enfants (dès 3 ans) rencontrent des animaux hospitalisés : un lion cardiaque, un mille-pattes plâtré… Dans La Peur bleue de la vie, des enfants malades présentent l’hôpital et tentent de garder le contact avec leurs copains de classe. Manque pas d’air ! est un CD destiné aux enfants atteints de mala- dies respiratoires. Asthme, mucovis- cidose et toutes les difficultés du souffle sont abordés au travers d’un apprentissage de l’harmonica et per- mettent aux enfants de ne pas vivre seulement l’insuffisance respiratoire comme un handicap et un sentiment d’anxiété chronique, mais aussi comme une conscience supplémentaire de leur créativité. Les fiches sont d’importants outils, qui expliquent aux enfants malades, comme aux enfants dont un parent est malade, ce qu’est une radio (6 pages), une IRM (6 pages), une cystographie (8 pages), une suture (4 pages), une anesthésie au Méopa (mélange gazeux équimoléculaire oxygène-protoxyde d’azote), une pompe à morphine (4 pages), une prise de sang (6 pages) et même une transplanta- tion rénale (30 pages d’information et 30 pages de jeux). On ne compte plus, à ce niveau, les « certificats de bravoure » (« déjà vendus à un million d’exemplaires », précise l’association Spa- radrap) et également les cartes postales, éditées par Sparadrap et achetées par les services, afin que les enfants donnent de leurs nouvelles à leur classe, à leur famille, à leurs amis. Les livrets destinés aux enfants pour les préparer à subir un examen ou pour leur expliquer une opération sont de grande qualité et semblent fort appréciés des pédiatres et des équipes médicales qui y trouvent ainsi les mots justes pour aborder les petites opérations (« Je vais me faire opérer des amygdales ou des végétations »), les appréhensions (« Je vais chez le dentiste ») et les situations plus difficiles (« J’ai une maladie grave »). Des affiches permettent, au sein des ser- vices, d’aborder ces thèmes en famille et aussi de se distraire pendant les longues attentes. Enfin, les jeux comme le Lotopital permettent à six petits joueurs et à leur famille une certaine familiarisation avec les lieux investis par la douleur ou l’angoisse. Mais passons au thème du cancer qui est abordé d’une manière plus spécialisée par quelques auteurs. Anatole l’a dit ! (Katrine Leverve, 2004) a été conçu par Nicole Landry-Dattée et Marie-France Delaigue-Cosset et se présente comme « une histoire pour expliquer une LIVRES & VIDÉOS Dossier : « Parent malade : l’enfant et la vérité »

Des livres et des vidéos pour parler du cancer avec les enfants

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Rev Francoph Psycho-Oncologie (2004) Numéro 3 : 155-157© Springer 2004DOI 10.1007/s10332-004-0034-2

Des livres et des vidéos pour parler du cancer avec les enfants

Books and videos on speaking with children about cancer

M.-F. Bacqué

Marie-Frédérique Bacqué (�)Rédactrice en chef de la Revue Francophone de Psycho-oncologieProfesseur de psychopathologie et de psychologie clinique à l’Université Louis-Pasteur de Strasbourge-mail : [email protected]

1 Association Sparadrap (Association pour les enfants malades ou hospitalisés),48, rue de la Plaine, 75020 Paris, tél. : 01 43 48 11 80, www.sparadrap.org

Les documents à la dispositiondes parents malades et de leursenfants sont peu nombreux. Cepen-dant, on peut trouver dans le cata-logue 2004 de l’association Spara-drap des ouvrages permettant d’ex-pliquer le fonctionnement de l’hôpi-tal, les différents examens, la dou-leur et certains traitements1. Desfilms vidéo et des CD pour enfantsont également été sélectionnés pourleur humour, leur authenticité et le

plaisir qu’ils peuvent faire partager malgré la gravité duthème abordé. Dans la série télévisée Hôpital Hilltop, lesenfants (dès 3 ans) rencontrent des animaux hospitalisés : unlion cardiaque, un mille-pattes plâtré… Dans La Peur bleuede la vie, des enfants malades présentent l’hôpital et tententde garder le contact avec leurs copains de classe.

Manque pas d’air ! est un CDdestiné aux enfants atteints de mala-dies respiratoires. Asthme, mucovis-cidose et toutes les difficultés dusouffle sont abordés au travers d’unapprentissage de l’harmonica et per-mettent aux enfants de ne pas vivre

seulement l’insuffisance respiratoire comme un handicap etun sentiment d’anxiété chronique, mais aussi comme uneconscience supplémentaire de leur créativité.

Les fiches sont d’importants outils,qui expliquent aux enfants malades,comme aux enfants dont un parent estmalade, ce qu’est une radio (6 pages),une IRM (6 pages), une cystographie(8 pages), une suture (4 pages), uneanesthésie au Méopa (mélange gazeuxéquimoléculaire oxygène-protoxyded’azote), une pompe à morphine

(4 pages), une prise de sang (6 pages) et même une transplanta-tion rénale (30 pages d’information et 30 pages de jeux). On necompte plus, à ce niveau, les « certificats de bravoure » (« déjàvendus à un million d’exemplaires », précise l’association Spa-radrap) et également les cartes postales, éditées par Sparadrapet achetées par les services, afin que les enfants donnent deleurs nouvelles à leur classe, à leur famille, à leurs amis.

Les livrets destinés aux enfants pour les préparer à subirun examen ou pour leur expliquer une opération sont degrande qualité et semblent fort appréciés des pédiatres et deséquipes médicales qui y trouvent ainsi les mots justes pouraborder les petites opérations (« Je vais me faire opérer desamygdales ou des végétations »), les appréhensions (« Je vaischez le dentiste ») et les situations plus difficiles (« J’ai unemaladie grave »). Des affiches permettent, au sein des ser-vices, d’aborder ces thèmes en famille et aussi de se distrairependant les longues attentes.

Enfin, les jeux comme le Lotopital permettent à six petitsjoueurs et à leur famille une certaine familiarisation avec leslieux investis par la douleur ou l’angoisse.

Mais passons au thème du cancer quiest abordé d’une manière plus spécialiséepar quelques auteurs. Anatole l’a dit !(Katrine Leverve, 2004) a été conçu parNicole Landry-Dattée et Marie-FranceDelaigue-Cosset et se présente comme« une histoire pour expliquer une

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maladie »… aux enfants et à leurs parents. Il sera partagéentre eux en deux étapes : une lecture pour les enfants (àmon avis entre 7 et 8 ans pour commencer à comprendre) etune lecture pour les parents. Mais on se doute d’emblée queles enfants vont aussi lire ce qui est adressé aux grandscomme un appel au secours « Pourquoi parler ? Quand lefaire ? Comment leur dire ? ». La photo des auteurs (alorsqu’elles n’ont encore que 2 ans) est comme une attestation.Elles aussi ont été des bébés, elles aussi ont connu « l’inno-cence » de la santé et l’illusion du corps qu’on oublie parcequ’il va bien. L’enfant peut s’identifier aux auteurs et se direqu’il y a un après, un « plus tard », que ce ne sont pas despédagogues qui viennent parler de la façon dont les enfantsse comportent, mais qu’au contraire les auteurs confient leurphoto intime comme une preuve d’échange vrai et franc.L’histoire des jumeaux qui découvrent que leur maman a uncancer n’est pas seulement réaliste, au contraire, elle réintro-duit de l’enchantement, puisque les enfants sont unis par unsecret : leur chat, Anatole les comprend et leur parle. Grâce àce médiateur, à qui ils vont confier leur peur de la maladie etde la mort de leur mère, ils abordent en douceur les change-ments dans la vie de famille et dans la relation avec leursparents. Anatole reste constant quand leur monde s’écroule,c’est un interlocuteur « à leur hauteur », petit, comme eux,caressant, joueur, encore plein de bonne humeur… Le livrepeut être relié à la cassette qu’ont réalisée les auteurs : Il fautparler, savoir…, dans laquelle un groupe d’enfants discuteavec un homme qui raconte que, lui aussi, quand il avait8 ans, sa mère a eu un cancer… Il s’est retrouvé seul. « Plusde goûters à quatre heures… J’étais triste… Est-ce qu’elleétait malade à cause de moi ? Un jour, j’ai entendu mon pèreparler à mon oncle… La mort, je trouve pas ça génial… Moi,je me suis dit, c’est peut-être à cause de moi… J’ai apprisqu’un copain avait aussi une sorte de cancer… » Les enfantsécoutent attentivement cet homme très doux qui leur parleet, en même temps, ils dessinent activement. Ils posent desquestions et écoutent, sans en avoir l’air, la discussion quichemine comme une conversation autour du feu (dans tousles sens du terme). Deuxième plan du film, deux copainsvont visiter la « salle d’op », la caméra fait une longue pausedevant « Interdit d’entrer » et « Attention Rayons X ». Lesenfants sont reçus par l’équipe médicale : « Les rayons, est-ceque c’est comme le soleil ? », demande un enfant sans avoirl’air de vraiment croire à sa question… « Ma mère, c’est de lachimio qu’elle avait. On dit que ça fait tomber les cheveux,que ça fait beaucoup vomir… », « On croit que la mèremalade nous a abandonnés… Ce serait bien qu’on aille àl’hôpital ensemble… » La caméra zoome sur une enfantauprès de sa maman : « Ça fait pas trop mal les piqûres ? Est-ce que t’as un problème ? Est-ce que je peux l’embrasser ? »,dit la petite fille inquiète en regardant la caméra. Nos deuxgarçons vont ensuite au rayon des perruques, dans un maga-sin. Devant les rires qui fusent lorsque l’un des garçonsessaie une perruque de femme, l’autre murmure : « Heureu-

sement que je l’avais, mon copain Clément. Ne pas me sentirseul, ça m’a drôlement aidé… ».

Livre et cassette se complètent et sont visiblement trèsbien reçus par les enfants qui sont inhibés tant que lesadultes manifestent l’interdit par leur comportement incons-cient.

Saint Christopher’s Hospice (première institution pal-liative anglaise) avait innové en la matière quand, dès lesannées 80, elle proposait un petit manuel destiné à lever lestabous chez les enfants dont un parent était malade. Nousavions (avec l’association Vivre son deuil), en 1996, demandél’autorisation de traduire et d’éditer un livret s’inspirant decette expérience et nous l’avions distribué aux unités desoins palliatifs parisiennes, afin que les psychologues y tra-vaillant puissent disposer d’une médiation pour aborder lamaladie. L’institut mutualiste Montsouris, avec lequel nousorganisions par la suite des groupes d’enfants en deuil, nousa permis de constater l’intérêt de permettre préventivementà l’enfant de comprendre ou au moins de mettre ses mots surla maladie terminale de son parent, et, peut-être, de s’y préparer. Les études dans la littérature anglo-saxonne confirment combien la prévention des complications dudeuil chez l’enfant passe par l’information, mais aussi par lamise en question de ce qui se passe pour les parents. L’His-toire de Josée (Anne Plante, 1992) est un livre québécois des-tiné aux enfants dont le père ou la mère est mourant. Écritpar Anne Plante, infirmière responsable de l’unité de soinspalliatifs de Drummondville et enseignante à l’université deMontréal, ce livre aborde directement la mort de la mamand’une petite fille de 8 ans. Ici, la maman est consciente etparle elle-même de sa disparition. Le secret n’oblitère pas lacommunication comme dans la plupart des situations.Les échanges sont très tendres, poétiques… La maman s’exprime toujours par métaphores : « Mon bateau à mois’est fatigué bien vite. J’aurais bien voulu continuer à navi-guer avec tout votre amour à bord ; mais, dans la vie, Josée,les navires ne choisissent pas la durée de leur voyage. Malgrétoutes les tempêtes de la vie, j’ai eu un grand plaisir à navi-guer avec vous deux et j’espérais toujours faire un longvoyage rempli d’amour… » La fin du livre est également trèsvraie :

– Tu sais, papa, je suis soulagée que maman m’ait dit lavérité, mais je me sens encore bien désemparée…

– Moi aussi, Josée, je n’ai aucune idée de ce que nousallons devenir sans maman , ajoute papa…

– J’ai peur de ne pas savoir quoi faire à la maison, touteseule avec toi sans maman, avoue Josée.

– Moi aussi j’ai peur, mais nous sommes deux pour tra-verser la rivière de la vie et nous nous aiderons dans cetteépreuve. Je suis bien content de t’avoir auprès de moi Josée,dit papa.

Les dialogues sont réalistes mais jamais crus et désespé-rés. Le livre peut être travaillé entre parents et enfants quelque soit le sexe du parent malade ou de l’enfant.

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Pour terminer, ouvrons un charmant petit livre en qua-drichromie avec de jolis dessins d’enfants : Naître, grandir,vieillir, mourir en est le titre. Il a été dessiné par les enfantsde la classe CE1-CE2 de l’école Jules-Verne à Charleville-Mézières et est édité par Jalmalv Ardennes. Ces quatre étapesincontournables de la vie sont commentées par les enfants etémaillées de leurs magnifiques dessins : « Naître, c’est sortirdu cocon comme un papillon ! Grandir, c’est s’amuser etapprendre à marcher, c’est réfléchir pour savoir lire. Vieillir,c’est se courber pour embrasser ses enfants. Mourir, partirde la Terre, c’est effacer la vie, ne plus rien sentir, c’est faireun long voyage dans le noir, c’est la vie, c’est la vie ! Le livrese termine par un ciel éclatant où se mêlent un énorme soleilet des nuages bleu foncé barrés par des éclairs… La vie et la

mort se trouvent réunies, et le résultat est vibrant de cou-leurs et d’émotions. Même la mort est pleine de vie pour lesenfants et ne mérite pas l’asepsie que nous, les adultes,croyons lui donner pour la neutraliser et l’enfouir au fondd’un puits à secret. L’enfant finit toujours par la repêcher...

Références

Association Jalmav Ardennes (2004) Le Livre de la vie (jusqu’à la mortaccompagner la vie). Éditions du Signe, Strasbourg

Leverve K (2004) Anatole l’a dit ! Une histoire pour expliquer une maladie.Illustré par Jérôme Cloup. Éditions K’Noë, Le Kremlin-Bicêtre

Plante A, Gouin M (1992) Histoire de Josée. Pour expliquer à un enfant qui vaperdre un parent. Éditions Paulines, Montréal

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