7
Médecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2011) 10, 318—324 SOINS PALLIATIFS ET PSYCHOLOGIE Des patients sans plainte Suffering in silence Pascale Gabsi 1,Unité de soins palliatifs « résonance », hôpital Casselardit, 170, avenue de Casselardit, TSA 40031, 31059 Toulouse cedex, France Rec ¸u le 2 juillet 2010 ; accepté le 24 f´ evrier 2011 Disponible sur Internet le 31 mars 2011 MOTS CLÉS Douleur ; Plainte ; Soins palliatifs ; Jouissance ; Martyr Résumé Les équipes en soins palliatifs œuvrent souvent sous la pression d’une demande des familles d’éradiquer la douleur de leur proche en fin de vie. Cette demande émerge dans le social comme un « droit » à pouvoir mourir sereinement. Si la médecine tente aujourd’hui hum- blement d’apaiser le patient, notre expérience clinique démontre combien le vœu d’une mort douce et rapide peut demeurer illusoire. La voie du martyre semble en effet empruntée, à leur insu, par certains patients pour lesquels la mise au supplice de leur corps vient défier la médecine, puisant dans la douleur extrême la force de leur métamorphose. Leur épreuve décèle alors non pas un simple courage, mais l’accès à une jouissance supérieure, dont il s’agit d’interroger le mystère dans la culture contemporaine où dominent un discours algophobique et une préoccupation axée sur le mal organique. Parce que cette négation actuelle de la dou- leur, s’opposant à une ancienne glorification de la souffrance, fait resurgir la question de son éventuelle « valeur », nous tentons de cerner ce recours mortifiant au corps, sous l’éclairage de la psychanalyse et notamment des concepts de jouissance et « d’objet a » apportés par Lacan. En effet, la clinique de ces patients sacrificiels, révèle combien leur parcours dans la maladie terminale est semblable à celui de la sanctification des martyrs et met en lumière le paradoxe d’un corps en déréliction mais redevenu victorieux. Leur fin cruelle, mais sans plainte, peut susciter une réflexion au sein des équipes quant à la limite de toute prise en charge de la douleur. © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] 1 Psychologue. 1636-6522/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.medpal.2011.03.001

Des patients sans plainte

  • Upload
    pascale

  • View
    222

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Des patients sans plainte

M

S

D

S

1d

édecine palliative — Soins de support — Accompagnement — Éthique (2011) 10, 318—324

OINS PALLIATIFS ET PSYCHOLOGIE

es patients sans plainte

uffering in silence

Pascale Gabsi1,∗

Unité de soins palliatifs « résonance », hôpital Casselardit, 170, avenue de Casselardit,TSA 40031, 31059 Toulouse cedex, France

Recu le 2 juillet 2010 ; accepté le 24 fevrier 2011Disponible sur Internet le 31 mars 2011

MOTS CLÉSDouleur ;Plainte ;Soins palliatifs ;Jouissance ;Martyr

Résumé Les équipes en soins palliatifs œuvrent souvent sous la pression d’une demande desfamilles d’éradiquer la douleur de leur proche en fin de vie. Cette demande émerge dans lesocial comme un « droit » à pouvoir mourir sereinement. Si la médecine tente aujourd’hui hum-blement d’apaiser le patient, notre expérience clinique démontre combien le vœu d’une mortdouce et rapide peut demeurer illusoire. La voie du martyre semble en effet empruntée, àleur insu, par certains patients pour lesquels la mise au supplice de leur corps vient défierla médecine, puisant dans la douleur extrême la force de leur métamorphose. Leur épreuvedécèle alors non pas un simple courage, mais l’accès à une jouissance supérieure, dont il s’agitd’interroger le mystère dans la culture contemporaine où dominent un discours algophobiqueet une préoccupation axée sur le mal organique. Parce que cette négation actuelle de la dou-leur, s’opposant à une ancienne glorification de la souffrance, fait resurgir la question de sonéventuelle « valeur », nous tentons de cerner ce recours mortifiant au corps, sous l’éclairage dela psychanalyse et notamment des concepts de jouissance et « d’objet a » apportés par Lacan.En effet, la clinique de ces patients sacrificiels, révèle combien leur parcours dans la maladieterminale est semblable à celui de la sanctification des martyrs et met en lumière le paradoxed’un corps en déréliction mais redevenu victorieux. Leur fin cruelle, mais sans plainte, peut

susciter une réflexion au sein des équipes quant à la limite de toute prise en charge de ladouleur.

. Tous droits réservés.

© 2011 Elsevier Masson SAS

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

1 Psychologue.

636-6522/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.medpal.2011.03.001

Page 2: Des patients sans plainte

Des patients sans plainte 319

KEYWORDSPain;Complaint;Palliative care;‘‘Jouissance’’;Martyr

Summary Palliative care teams often work under the pressure of demand from families toeliminate their loved one’s pain at the end of life. In social work, this demand is seen asthe ‘right’ to a peaceful death. Although current medical practice humbly attempts to relievepatients’ suffering, our clinical experience shows to what extent the desire for a quick, painlessdeath often proves elusive. In fact, some patients appear to unwittingly choose a martyr’s death;they derive the strength to face this change from the extreme pain resulting from medicine’sinability to palliate their physical suffering. In these cases, their suffering elicits, not merecourage, but a transcendent form of enjoyment/jouissance, which merits an analysis of themystical in contemporary culture with its emphasis on algophobia and organic suffering. Since,in contrast with the glorification of suffering of past eras, the contemporary denial of pain raisesthe question of pain’s potential ‘worth’, we here attempt to examine this mortification of thebody from a psychoanalytical standpoint, particularly in the light of the Lacanian concepts ofjouissance and objet a. A clinical study of these martyrish patients reveals the extent to whichtheir experience of terminal illness resembles that of religious martyrs. It also highlights theparadox between the dereliction yet ultimate victory of their bodies. The cruel yet acquiescentdeath of these patients is apt to incite discussion among medical teams about the limits of anyform of pain management.© 2011 Elsevier Masson SAS. All rights reserved.

psndsfcre

uec

dpdcq«tdpmssd

« L’essentiel, c’est qu’il (elle) ne souffre pas ». Telle est,en quelques mots, la demande la plus fréquente formulée,secrètement ou ouvertement, par les familles lorsqu’un deleurs proches est accueilli sur un lit identifié soins pallia-tifs. Le médecin est alors convoqué avec son « arsenal »thérapeutique pour annihiler, autant que possible, toutsigne de douleur apparent du patient moribond et rendrel’agonie acceptable pour ceux qui l’entourent, en répa-rant instantanément par une « formule » (médicale cettefois) l’horreur de la souffrance. Quelques temps plus tard,lorsque le malade a rendu son dernier souffle, le praticienest peut-être à même d’énoncer « Tout s’est bien passé » etl’équipe soignante de confirmer à la famille, torturée parl’inquiétude, mais enfin soudain soulagée par cette bonneparole, mots presqu’évangéliques. . . « Il (elle) est parti enpaix, son visage était serein ».

L’équipe accomplirait ainsi parfaitement sa tâche lorsquele patient traverserait l’épreuve de la mort confortable-ment, silencieusement, peut être oserions-nous suggérer« sans qu’il s’en rende compte », en lui extirpant quasi chi-rurgicalement « comme on enlève une écharde qui gêne etqui fait mal » [1] la douleur parfois rebelle, les gémisse-ments lancinants des derniers moments tout en absolvantpar là même tout sentiment de culpabilité, conscient ouinconscient, de l’entourage ou du patient, mais aussi, peut-être, toute chance d’en prendre acte. Elle échouerait, acontrario, lorsque cette souffrance, hôte indésirable du soinpalliatif, demeurerait tragiquement audible ou visible pourl’autre, dans des râles continuels plusieurs jours durantou l’aspect affreusement insoutenable d’un corps autrefoischéri. La souffrance vient alors se heurter puis retomber surle « coupable » tout désigné, la science, accusée d’être inca-pable de permettre aux sujets de mourir « dans la dignité ».

Mais que recouvre cette demande, a priori fort légi-time lorsqu’elle s’adresse au médecin et à ses compétences

scientifiques, de ne pas laisser un parent, comme cela étaitparfois malheureusement le cas il y a quelques décen-nies à peine, avant le développement à l’hôpital des soins

lsp

alliatifs et de leur philosophie, « mourir dans d’atrocesouffrances » ? Demande cruciale, qu’il importe de ne paségliger, puisqu’elle est au cœur de l’alibi des défenseurs’un « droit d’aide au mourir », ces derniers arguant d’uneouffrance insupportable en fin de vie qu’il conviendrait deaire cesser. Plus insidieusement, force est de constater queette pression peut induire une dérive de banalisation duecours à la sédation en phase terminale. La douleur serait-lle devenue une figure de l’indignité ?

Il est des cas, pourtant, qui semblent démontrercombien la douleur peut être l’ultime moyend’expression d’un sujet.

Que penser en effet de ces malades, qui loin de réclamerne fin rapide et sans souffrance, semblent résister de faconxceptionnelle à la douleur et persistent dans une lutteruelle et silencieuse d’où ils puisent un étrange renouveau ?

Dans un premier temps, nous témoignons de l’histoiree Maria. Ce récit est celui d’une douleur endurée par laatiente qui fait voler en éclat le « seuil d’acceptation »es proches et virevolter diagnostics et décisions médi-ales. Une ligne de franchissement semble être dépasséeui brouille celle du combat contre la maladie et ses affres,désarmant » les uns et les autres. Chacun tente alors derouver une explication rationnelle et d’organiser un plane bataille face à un ennemi qui se rie des efforts déployésour le vaincre. L’équipe assiste à une « stratégie » du corpsartyrisé face à la douleur d’où elle a, en fin de comptes, le

entiment d’être exclue. Visiblement, il ne s’agit plus d’unimple « courage » du patient face à son épreuve, car jaillite cette douleur une étrange métamorphose.

Dans un second temps, nous nous interrogeons sur’histoire d’Eléonore. Loin de se plaindre, cette patienteemble combattre son mal avec patience et ténacité, serêtant docilement aux traitements et interventions les

Page 3: Des patients sans plainte

3

pesa

iefrItlrlrtls

L

LtddcsvdUcsprnclmfibdo

dnpddddoel«

ccsoq

dl

llàed(àqiCd«vsdraculmsmdapddLip

Ptla[«pmsadabsolu [4], le malade atteindrait non pas le néant mais unelumière nouvelle.

Revenons pour tenter d’en approcher le mystère, surl’expérience légendaire du martyr, où culmine une mise à

20

lus douloureuses, se soumettant jusqu’au dernier soufflet avec passivité au corps médical, comme si elle utili-ait les « sévices » qui lui sont « infligés » aux fins de sonccomplissement. . .

Parce que la dimension sacrificielle de ces fins de vientroduit un questionnement éthique en soins palliatifs, nousssayons de cerner l’extrême résistance de certains patientsace à la douleur comme l’absence de plainte de ces sujetséduits à leurs organes mais en quelque sorte « victorieux ».l est à noter que leur parcours dans la maladie dépasseoute position « héroïque » telle que notre société tente dea promouvoir dans des « plans de lutte », dont ceux qui neéchapperaient pas seraient les « perdants ». Un détour par’épreuve du martyre permet de mesurer l’opération qui seévèle, en sa dimension inconsciente, être la marque struc-urale d’un irréductible chez le martyr glorieux comme cheze malade, dont le point commun est cette rencontre duujet avec une « jouissance » au caractère obscur.

es nouveaux martyrs

a médicalisation de la douleur à l’hôpital, dans sa tenta-ive de mettre fin à une fatalité millénaire, se doit tout’abord d’être éclairée sous un jour historique. En Occi-ent, le christianisme, faut-il le constater, a suscité ce qu’ilonvient d’appeler une dérive sacrificielle : le culte de laouffrance. À l’encontre de la conception d’un Dieu d’amourenu libérer le monde de la souffrance et de la mort, l’idée’en faire un moyen de salut s’est étrangement imposée.n voile opaque a recouvert les esprits et fait basculer lesonsciences : si l’homme doit souffrir, c’est ainsi à cause dees péchés, pour se racheter ou pour racheter le monde,our s’élever hors de sa condition ou peut-être pour desaisons plus obscures. . . se livrant à un bien féroce tortion-aire. L’image du martyr, se livrant à des sévices d’uneruauté exceptionnelle, en est certainement l’illustrationa plus frappante : ce dernier ne recherche t-il volontaire-ent pas une souffrance qui avait pourtant été imposée auls de Dieu ? De nos jours, il est certes rare d’entendre attri-uer un sens divin à la souffrance, de considérer l’épreuvee la maladie comme une possibilité d’élévation de l’âme,n observe plutôt en Occident un rejet du sens.

Ce déni provoque en retour une véritable phobie de laouleur (algophobie), phénomène nouveau qui, pourtant,’a pas fait disparaître l’ancienne férocité : il coexisteraitlutôt avec le dolorisme d’antan. Une forme de sacralisatione la douleur chez certains malades semble bien persisterans le monde occidental actuel où un appel à la libertée chacun de mourir « dignement » émerge, exhortant àélaisser les dogmes anciens. Glorification de la douleuru algophobie semblent fonctionner en miroir, se répondren écho sans pouvoir mettre fin à la malédiction divine de’homme déchu du paradis et « condamné à souffrir », voiresouffrir le martyre » sur cette terre.

« Comment ne pas voir que la déréliction extrême duorps dans les ‘‘fins de vie’’ répète le trajet de sanctifi-

ation (malgré soi), le sujet étant réduit à l’extrémité dea résistance organique, jusqu’à se réduire à son proprergane ? » remarque le psychanalyste PL Assoun [2]. Ceu’il repère comme tentation du martyre dans le « malaise

st

P. Gabsi

e la culture »1 nous apparaît éminemment présent dans’expérience du travail en soins palliatifs.

Les soignants y sont, sans le savoir, confrontés lors dea phase ultime de certains malades, dans les instantses plus pénibles de la fin de vie. Assistant, d’une part,

la dégradation dramatique des corps et leur maigreurxtrême, d’autre part, à une résistance à vivre bien au-elà de toute attente, ils se heurtent à une incompréhensioncomment la vie peut-elle encore habiter ces corps ?) et

un dilemme : donner des soins dits de « confort » alorsu’ils ont le sentiment très paradoxal qu’ils prolongent unnconfort majeur du patient, dans une interminable agonie.’est là un « supplice » de fin de vie, que certains vou-raient voir disparaître dans la mise en scène d’une mortpropre » et indolore, plus « humaine » (suicide assisté),oire de facon masquée par l’administration légale d’uneédation, considérant que l’accompagnement tout au longe cette épreuve serait indigne du sujet, vestige du tempsévolu de la glorification religieuse de la douleur. Pour lescteurs des soins palliatifs, ce temps serait peut-être auontraire engagement dans une position respectueuse face àne part énigmatique du sujet, demeurant inéliminable pare progrès scientifique de la médecine. Ce « quelque chose »ériterait alors d’être considéré dignement au lieu d’être

upprimé. L’analogie du vécu du malade torturé et celui duartyr nous permet précisément d’éclairer cette épreuvee mortification du corps. En effet, si le contexte historiquefavorisé l’émergence de « martyrs » et de saints, il faut,

ar delà ce constat, pointer ce qui revient, de facon irrémé-iable, au sujet. Ces martyrs ne surgissent-ils pas d’ailleursans d’autres cultures du monde et d’autres religions. . . ?e vécu à l’hôpital de ces patients au parcours interminablenterroge le psychologue quant à la responsabilité que l’êtrearlant entretient avec la douleur d’exister.

En quel point mystérieux le malade s’arrime t-il detoutes ses forces pour accomplir son sacrifice et quelest ce « paradis » qu’il semble rejoindre au terme desouffrances inouïes ?

La douleur morale, nous dit Freud, ne se refoule pas.our y échapper, (éludant ainsi tout « travail » de confron-ation) l’être humain peut user de plusieurs stratégies :’action influente par un toxique (le médicament ou toututre produit), la diversion psychique (distractions diverses)3]. Une troisième voie pourrait bien être celle du toxiquespirituel », entrainant le sujet aux confins de ce qui est sup-ortable humainement pour atteindre une sphère où le corpsédical ne peut pénétrer. . . Cette issue sacrificielle pourrait

’offrir comme une voie noble pour le patient. Dans cettespiration vers une douleur sans fond, telle une « fascinationu gouffre, inhumaine et parente de la mort », vertige d’un

1 Le « malaise de la culture » : ce douloureux renoncement à laexualité et à l’agressivité imposé par la civilisation à l’hommeoujours en quête d’absolue satisfaction.

Page 4: Des patients sans plainte

bdpos«caepuvpcoNdsfih

endtdceJmtlddtlMvenglME«ssdmSpsLadeqp

Des patients sans plainte

l’épreuve du corps, et ce, afin d’accéder à une sanctifica-tion, sur le modèle d’imitation du Calvaire. Si la douleur ducorps torturé est littéralement niée, il faut voir que c’estprécisément à travers cette épreuve inhumaine de néga-tion de soi et de destruction physique que le candidat aumartyre atteint un niveau supérieur d’existence. Il franchitune limite, de par son exploit qui se révèle paradoxal : eneffet, faisant de sa chair déchet immonde, il parvient àun sommet spirituel. Dans ce renoncement extrême, il sedétache en quelque sorte de son corps et prend un caractèred’immortalité. Loin de s’inscrire dans le registre de la perte,ce que nous laisse entrevoir l’approche psychanalytique estun gain prodigieux pour le sujet, à savoir le surgissementd’un corps de la jouissance. Quel est l’apport de ce conceptforgé par J. Lacan ? Dans ce terme de jouissance, il fautentendre un plaisir nocif [5], qui viserait la satisfactioncomplète des pulsions érotiques et de destruction : l’êtrehumain est en effet traversé par une aspiration constante,mais jamais réalisée, à atteindre un but impossible, celuidu bonheur absolu. Mais, la satisfaction recherchée par lesujet est en fait toujours partielle car la réalisation accom-plie du désir signifierait la fin de la tension psychique interneet l’extinction du désir, soit la mort. Nostalgique d’un objetréel qui aurait été source de satisfaction idéale, le sujetsouffre en réalité d’un manque structural lié à la prima-rité du signifiant. La « jouissance » ne peut alors être concuecomme satisfaction d’un besoin apportée par un objet quile comblerait, mais en appelle à la fois au retour de l’objetdésiré et à sa perte, inaugurant l’émergence du sujet, etimpliquant ainsi à la fois le plaisir et la douleur. Cette quêtede sens serait à la fois porteuse de lumière mais aussi ten-tation diabolique. . .

Si la jouissance demeure « inter-dite » à l’être humain,et si tout objet est par conséquent nécessairement tou-jours en défaut pour lui, comment concevoir une vie quine soit pas anéantie par la douleur ? Ce qui cause le désir dusujet est un « objet » infiniment plus précieux que l’objet dubesoin : non représentable comme tel, cet objet mystérieuxet mythique ne peut être saisi par le sujet que de facon ima-ginaire. J. Lacan a nommé « objet a » cette partie à la foisprécieuse de soi-même, condition absolue de son existence(« cause inconsciente du désir ») et destinée, comme déjec-tion, à être perdue, en cela comparable au placenta dontle bébé se délivre au moment de la naissance. Soulignonscombien cette perte pour le sujet est un préalable à son avè-nement et combien la position d’un sujet face à ce défautde complétude est cruciale. Elle est en jeu dans le désir,pris dans les mailles du réseau langagier. Une dangereusesolution peut, en effet, apparaître dans la faillite du désir :s’offrir soi-même comme « objet a », se faire l’instrumentd’une volonté de jouissance de l’Autre. On assiste alors àune aspiration quasi religieuse où le dépouillement absolus’impose et nous amène sur le chemin du martyre, en tantque cette épreuve ne serait pas sans bénéfice : « La foliedu saint serait précisément de vouloir incarner cet objet du‘‘rien’’, en se faisant déchet du monde » [6].

Le sacrifice de Maria

Dans la culture occidentale actuelle, souffrir, tant morale-ment que physiquement, tend à perdre tout sens et peut

dfab

321

asculer dans l’absurde. Face à la demande de la famille’annihiler toute douleur, le parcours médical peut mêmerendre un détour inattendu. Il arrive alors que la « maladierganique » devienne la « cause » exclusive du mal dontouffre le patient, sans autre égard pour un quelconquemal » moral qui affecterait sa santé. La douleur, ainsi disso-iée des affects, peut être visualisée, mesurée. Elle se metinsi à exister véritablement. Devenue crédible, ne peut-lle être réduite chimiquement ? Il suffirait alors d’imaginerouvoir de surcroit dissoudre la douleur « morale » commen cachet effervescent dans l’eau claire pour ne plus laoir, ne plus l’entendre, ne plus la percevoir. . . Notre pro-os s’insurge contre une telle vision réductrice de l’humain,ar c’est oublier que le « corps » humain n’est pas un corpsrganique, mais un corps physique, habité par le langage.ous soutenons à l’instar du psychanalyste que « l’histoiree la maladie n’est pas sans affinité avec l’histoire duaint, à cela près qu’elle est autographique » [2]. Lan de vie tragique de Maria nous inspire une semblableypothèse.

Nous recevons Mme P., fille d’une patiente de 63 ansn phase terminale, qui vient d’être admise sur un deos lits identifiés soins palliatifs. Cette personne a besoine nous confier l’histoire terrible qu’elle vient de vivre,rès choquée après l’annonce, faite la veille, du diagnostice la maladie de sa mère, suite à des examens médi-aux complémentaires. Le médecin vient de lui apprendren effet qu’est suspectée une maladie de Creutzfeldtacob, cette hypothèse ne pouvant toutefois être confir-ée qu’après autopsie. Mme P. se dit révoltée par les

raitements qu’a subis Maria, par les soins « cruels » quiui ont été prodigués jusqu’alors. Elle s’insurge contre laouleur vécue par sa mère mais aussi par son entourageurant une année entière, accusant avec virulence cer-aines équipes médicales d’incompétence, qui n’ont pas sua soulager immédiatement. Mais qu’est-il donc arrivé àaria, la mère de Mme P. ? Maria est divorcée depuis uneingtaine d’années, elle ne s’est, rapporte Mme P., jamaisntendu avec son époux, les disputes à la maison étant conti-uelles. Le couple attend toutefois que leurs deux enfantsrandissent pour se séparer. Maria entretient à ce momentà une liaison avec un homme marié. Les années passent.aria devient une grand-mère attentionnée et présente.lle vient de prendre sa retraite, durant l’été (la voici donclibre ». . .), lorsqu’un drame se produit dans sa vie quelquesix mois plus tard, en période de Noël. L’homme qui eston amant depuis plus de 20 ans la quitte et part vivreans une autre ville. C’est manifestement un choc insur-ontable pour Maria, qui glisse vers une pente mortifère.

on malaise apparaît à travers des phénomènes de typehobique (vertiges) et hystériques (notamment une paraly-ie des jambes). Elle est soignée en service de psychiatrie.es mois s’écoulent, elle apprend un jour d’été que son exmant entretient une nouvelle liaison. C’est alors que l’étate santé de Maria s’aggrave. Une nuit de septembre, ellest trouvée, hagarde et nue, dans la rue, par des voisinsui l’amènent aux urgences psychiatriques. Commence uneériode particulièrement difficile pour l’entourage, l’étate Maria devenant plus critique chaque jour, avec un vécu

ort pénible de séances de sismothérapie, qui ne peuventméliorer la profonde dépression ni le désordre psychiqueruyant auxquels est livrée Maria.
Page 5: Des patients sans plainte

3

rlndmrDectamsd2epet«palre

qpàcdrcd«tprarrfpd

aéfqqqlr

éadMren

elpngcdfsfcr

L

Lea

staitddiléCocnss

sbpmtqssdu

fip

22

Son amant tente alors de revenir à elle, mais Maria leefuse obstinément. Les rancœurs déchainent les uns etes autres. Admise dans un service gériatrique d’orientationeurologique, pour dégradation rapide de son état de santé,es examens concluent à une pathologie organique. Leédecin propose à la famille, eu égard au caractère incu-

able et fatal de ce mal, une admission en soins palliatifs.ébute enfin une période de grâce. Maria est plus calme,lle a retrouvé une certaine dignité. Sa famille, présentehaque jour, lui prodigue douceur et attention. Nous assis-ons même, un après-midi, à une scène inattendue : sonmant est assis auprès d’elle, elle gémit, les yeux constam-ent rivés vers lui. Son visage est métamorphosé. Il nous

alue et s’exclame, comme pour justifier l’émouvant élane tendresse dont il fait l’objet : « Vous savez, j’ai passé3 ans auprès d’elle ! » La famille, enfin réunie dans la paixt l’innocence (toute « faute » étant à présent gommée)eut assister Maria dans ses derniers moments. L’autopsiest fermement refusée après le décès, survenu quelquesemps plus tard. L’histoire est close. Le signifiant-maîtremaladie », dont s’est saisi l’entourage, a pu effacer leassé. Le calvaire de Maria a pris fin. Son corps martyriséfait d’elle une femme nouvelle, icône d’un amour pur et

ibéré des chaines terrestres. Dans la vie, elle n’était plusien, elle était même devenue la dernière des femmes, nuet hagarde dans les rues.

Dans la mort, elle accède enfin à une existence : ellen’est plus, mais n’existe-t-elle pas enfin pour l’êtreaimé, devenue à ses yeux la première des femmes,pleine de grâce ?

Selon une approche médicale biologique, considérantue la pensée relève de fonctions cérébrales et que touteerturbation de l’intellect ou du comportement serait dueune lésion du cerveau, tout rapport entre la maladie et

e qui a été vécu, éprouvé sur le plan affectif, est perdue vue. « La souffrance est ainsi clivée, désafférentée (poureprendre un terme d’anesthésiologie) de son substrat psy-hique » [7]. Il semblerait pourtant intéressant dans le case Maria, de se souvenir d’un passage de S. Freud concernantl’absence d’esprit », car la douleur, comme la maladie, estoujours précisément à l’intersection de l’organique et dusychique. En prenant en compte le vécu, il s’agit ainsi deestituer au sujet une part de sa dignité, en tant que la pertemoureuse s’imposerait comme une souffrance tout aussiecevable que le résultat de la ponction lombaire. Mysté-ieusement, et contrairement au credo de la famille, cetteemme n’aurait pas alors entièrement souffert « pour rien »,ar le caprice absurde d’un prion venu s’immiscer dans leédale de sa vie. . .

Que nous dit Freud [8] ? « La pathologie peut nouspprendre de quelle facon l’épreuve de réalité peut êtretablie ou mise hors d’activité, et cela nous le verrons d’uneacon plus indubitable dans la psychose du désir, l’amentia,ue dans le rêve : l’amentia est la réaction à une perte

ue la réalité affirme mais que le moi doit dénier, parceu’insupportable. Le moi rompt alors la relation à la réa-ité . . . ». Si l’on peut supposer un tel détournement de laéalité chez Maria à l’origine de son égarement, il convient

meqq

P. Gabsi

galement de remarquer un déni du côté de la famille, quipréféré ignorer la véritable douleur de la patiente. Cetteouleur pourtant, nous tenterons de la réhabiliter. Chezaria, il existe un mal profond qui ne peut être ignoré et

envoyé simplement à la biologie. Il est celui de l’abandont plus précisément du refus d’être abandonnée, la blessurearcissique conduisant au sacrifice suprême.

L’égarement de Maria ne dévoile t-il pas en effet la hainet la destruction qui, mêlées à l’amour, se déchainent dansa passion ? Car, faut-il le préciser, la demande d’amoureut être terrifiante et sans merci. « La visée de l’amour’est pas de satisfaction comme le désir, mais d’être : exi-ence absolue d’être le complément de l’autre » [9]. Dansette destruction d’elle-même pour faire exister l’objetu manque, la cause du désir, elle deviendrait ainsi « La »emme pleine de grâce. On pourrait dire que la fonction duacrifice serait à situer du côté d’un passage au réel de ceorcage de l’amour, dans une tentative de capturer à jamaise qui lui assurerait consistance, de « piéger l’Autre dans leéseau du désir » [9].

e supplice d’Eléonore

a douleur semble être mise au devant de la scène, presquexhibée, par certains patients qui tentent d’atteindre unutre niveau d’existence par leur long calvaire.

Eléonore est une femme de 48 ans. Elle est traitée depuisix ans pour un carcinome du col utérin. Après une hystérec-omie élargie puis une cure de radiothérapie, elle présenteujourd’hui des douleurs associées à un œdème du membrenférieur droit qui a révélé l’existence d’une lésion infil-rante du psoas avec compression veineuse. Ce membre,evenu très volumineux, et que les chirurgiens avaient tentée soulager par un pontage artérioveineux, a été largementncisé. La plaie est encore ouverte, exposée au regard de’autre. Le tableau qui apparaît en filigrane est celui d’unecorchée vive, rappelant les récits de tortures de Saint-hristine dans la légende des saints. Une ischémie aiguë parcclusion du pontage a en effet compliqué la situation ete membre offre au soignant un aspect difficilement soute-able. D’après le corps médical, elle ne marchera plus, leséquelles neurologiques sont importantes et, par ailleurs,on cancer continue d’évoluer.

Ce qui frappe d’emblée lorsque nous la rencontrons eston beau sourire calme, ses yeux pétillants, elle exprimerièvement avoir pleuré mais ne s’épanche pas. Aucunelainte n’émane d’elle. Des portraits de chats ornent lesurs de sa chambre, elle exprime son adoration pour ses

rois animaux et précise que c’est son mari actuellementui s’en occupe. La déchéance de la partie inférieure deon corps, antre de sa féminité, offre un contraste sai-issant avec son apparent détachement. Quelque chose’insaisissable plane dans l’atmosphère et provoque en nousn imperceptible malaise. . .

Les soignants du service pour leur part expriment leur dif-culté à entrer en contact avec elle. Eléonore ne se confieas à eux, elle recoit beaucoup d’amis mais demeure énig-

atique dans le service. Toutefois, cette patiente modèle

st aimée de tous pour son attitude « combative » et parceu’elle conserve obstinément le même optimisme envers ceui lui arrive : loin de désespérer de sa triste condition, elle

Page 6: Des patients sans plainte

scsrAà

L

Lp«ptilhtbudvsdmpbfbmp

vclmsdldvm

cdlrpLesssrq

b

Des patients sans plainte

exprime sa volonté d’aller dans un centre de rééducation.Sans y avoir été invitée explicitement, elle dévoile alors unehistoire, la sienne, avec le même sourire placide, comme s’ils’agissait de la vie d’une autre femme, une femme qui nela concernait pas.

Elle n’a pas eu d’enfants. Son mari s’est opposé à toutepaternité. Par ailleurs, il a rencontré, durant la maladied’Eléonore, une autre compagne sur internet. « Il faisaitca à la maison, je ne m’en étais pas rendu compte ».Aujourd’hui, il demande le divorce. Elle a déménagé sesaffaires chez sa mère. Elle est en contact fréquent avec sonavocat qui lui assure qu’en raison de sa maladie, le rendez-vous pour la procédure de divorce est retardé. C’est ellequi a l’avantage, affirme t- elle. Une satisfaction tranquillese dégage de son sourire, contrastant avec cette débâclephysiologique qui est devenue visible à tous et qu’ellecontemple avec indifférence. Interrogée par le médecin surun éventuel soutien psychologique, elle décline toute pro-position, son secret demeurant ainsi précieusement caché.Paradoxalement, ce corps est livré sans plainte à la méde-cine, dépecé, mutilé, exposé. N’est-il pas quelque partvictorieux aussi ? Au cours de séances avec l’infirmière artthérapeute de l’équipe, nous apprenons quelques semainesplus tard que la procédure de divorce est en effet retardée.Eléonore parvient même à faire quelques pas dans le couloiret se projette dans l’avenir, exprimant des désirs de voyageet du futur appartement qu’elle dessine. Elle exprime avecgaité se sentir « libre » à présent, libérée de son rapport desoumission à son époux. Selon l’infirmière, cette personnesemble avoir eu « une révélation ». Les mois passent, elle esttoujours dans le même service : son état s’aggrave. Quelleest donc cette libération évoquée par Eléonore ? Commentpeut-elle se sentir si libre alors que son corps est plus quejamais une entrave à toute avancée dans sa vie concrète etmatérielle, que la maladie envahit chaque jour un peu plusses organes ? On voit toutefois qu’il s’agit d’une tentative de« libération » spirituelle qui implique un sacrifice et pas desmoindres : un sacrifice ultime qui la conduit vers la mort.

Loin de se plaindre, Eléonore semble utiliser lesmultiples interventions médicales comme autant desévices infligés aux fins de son accomplissement.

À la cruauté de l’évolution de la maladie et sescomplications, suit l’escalade de sa joie, paradoxe suspectqui dévoile bien autre chose qu’un trait de masochisme.C’est bien la rencontre du sujet avec une jouissance inef-fable, par son advenue à une position d’objet, qui permetd’admettre le visage rayonnant de cette patiente « écorchéevive » mais demeurée étrangement intacte. Détaché ducorps par l’action de grâce d’un tel martyre, l’organe nerévèle t-il pas sa puissance ? Sa jambe, qui ne lui sert plus àavancer, est ainsi exposée à tous, forcant la compassion desjuges et propulsant la femme trahie bien au-delà des loisdes hommes, dans une sphère où nul ne peut l’atteindre.Eléonore semble mener le jeu, incarnant l’actrice sublime

d’une histoire sordide, le médecin comme l’équipe soi-gnante devenant ainsi l’outil de sa glorification. L’acte finalde cette pièce, par la victoire remportée sur la douleur, voitdonc la libération d’un autre corps, un corps de la jouis-

dc

f

323

ance « phallicisé » (objet de l’Autre) ainsi déconnecté duorps malade (objet pour la science médicale). Eléonore’est éjectée de la scène d’une impossible rencontre pourejoindre le lieu d’un paradis perdu, d’un amour absolu.insi, son corps supplicié ne demeure t-il pas quelque partjamais intouchable ?

a fin de la malédiction ?

a question de la malédiction est éminemment dévelop-ée dans la littérature psychanalytique. De quel funestedestin » s’agit-il ? Si l’amour aspire à la fusion idéale desartenaires, Freud affirme a contrario un malaise pourous, une dysharmonie irréductible entre les sexes. Lacanra même jusqu’à parler d’a-mur, car entre l’homme eta femme existe bel et bien un mur, non pas celui de laonte, mais celui du langage. La haine est à n’en pas dou-er au programme. Ce qu’il ne faut pas perdre de vue, c’estien un ratage structurel de la rencontre entre les sexes,ne impasse certaine qui va susciter des « fictions » n’ayant’autre but que de rationnaliser l’impossible dont elle pro-ient. Dans le champ de la fin de vie, ces éternelles fictionsont le plus souvent ignorées [10], elles prennent l’allure deébats houleux, de revendications passionnelles. Le corpsartyrisé est ainsi mis au devant de la scène médiatiqueour dénoncer un non-sens de la douleur, son absurdité, saarbarie. Pour émouvoir l’opinion, le cas doit absolumentaire sensation. Il s’agit de préférence d’une personne horri-lement défigurée par la maladie, subissant les plus atrocesaux et ayant mis en échec toutes les thérapeutiques pro-osées.

Faut-il alors questionner ou mesurer « une hypothétiquealeur de la douleur, négative ou positive ? » [11] Le déni duorps torturé n’est pas, nous avons tenté de le démontrer,e témoin du courage du sujet à supporter pareille épreuve,ais traduit plutôt les coups et la rage d’accéder à une jouis-

ance supérieure, tragique décharge narcissique qui ruineonc toute idée d’une hypothétique « valeur » de la dou-eur. La position du clinicien orienté par la psychanalyse est’ailleurs claire et sans appel : « la souffrance n’est pas unealeur, elle n’a pas de valeur. Aucune : ni pour sauver leonde, ni pour se racheter soi-même » [12].Il y aurait bien une sorte de folie à la réclamer. Mais

omment imaginer promouvoir une loi destinée à la faireisparaitre ? Le choix d’accompagner la fin de vie n’est pase retour à une glorification de la douleur, il est seulement laeconnaissance de cette part d’intraitable chez le sujet, quieut le conduire à l’extrémité de sa résistance organique.e malade accède alors à un statut quelque peu surhumaint convertit l’abomination de sa fin de vie en jouissanceupérieure. Les proches, horrifiés devant tant de souffrance,e voient mortifiés par un tel calvaire et invoquent le plusouvent le précieux antalgique qui pourrait en fin de compteedonner au supplicié le « visage paisible et serein » de celuiui est mort en paix.

Ne pourrait-on envisager que vivre sa fin de vie jusqu’auout, même dans la souffrance, est une dimension de la

ignité ? L’histoire de Maria comme celle d’Eléonore sus-itent réflexion.

Ne nous méprenons pas. Une fin rapide aurait voué cesemmes au néant, alors que le supplice est pour elles une

Page 7: Des patients sans plainte

3

icdmpcvfsdj

C

Lllql«scjdlqvMntdlfdmNfelees

arm

sllrljmp«letmtdpiv

D

Lr

R

[

[

24

ssue plus qu’« honorable » à l’échec de la rencontre. Leorps « sanctifié » du malade martyr accède à une forme’éternité et contient en germe, faut-il le rappeler, la pro-esse d’une « guérison ». Maria comme Eléonore n’ont-ellesas ainsi tenté de s’offrir en sacrifice pour conjurer uneertaine malédiction sur le sexe ? Loin d’être une simpleengeance envers l’infidèle, acte de désespoir meurtrier,allait-il en effet que leur supplice ouvre accès à une dimen-ion salvatrice. Cette part de folie ne leur a-t-elle pas permise vivre leur martyre jusqu’au bout, d’en boire le caliceusqu’à la lie. . . un sourire aux lèvres ?

onclusion

a prière finale des familles pourrait s’énoncer ainsi : puissea médecine ôter demain au patient « le trouble de penser eta peine de mourir ». Cette demande se voit en réalité mas-uer un déni profond du corps et de la condition humaine,orsque apparaît en filigrane le souhait illusoire que l’autreparte sans se rendre compte », entendons, « qu’il meureans se voir mourir ». Tel est le discours algophobe moderneonfortant les sujets dans leur refus d’accepter d’être àamais des êtres manquants, demeurant face à l’absencee réponse de l’Autre, ce défaut de garantie qui est notreot commun. Le psychologue s’interpose alors pour rappelerue nul ne peut faire l’économie de la peine de penser s’ileut alléger sa peine de mourir, comme son chagrin du deuil.ais, en revanche, cette « peine », qui signifie pour le sujetécessité de reprendre la vie à son compte, de se mettre auravail psychique, n’est pas synonyme de souffrance. Cetteernière n’a pas de valeur, ni de sens extérieur, figé. C’est’homme qui, seul, peut donner un sens au fait de souf-rir, voire jouir de sa douleur. Viser la souffrance ne rendonc pas meilleur. La soulager et la reconnaître, parce lesots la rendent plus humaine, sont des actes de dignité.ous n’avons donc pas cherché à redonner un sens à la souf-rance, à la justifier ainsi. Ce serait une erreur. Mais à l’autrextrême, il convient de ne pas redouter le mal de la dou-eur, ni de douter du sens de la vie pour le surmonter [13],n abdiquant dans une démarche de suicide assisté, voiren fermant les yeux sur la dérive d’une banalisation desédations.

L’homme douloureux, faut-il le souligner, reste digne :sa souffrance n’est pas à glorifier ni à annihiler. Elle està entendre.

Il ne s’agit pas, en clair, dans un rejet de l’algophobiembiante, d’éprouver une certaine nostalgie pour le dolo-isme d’antan, sous couvert duquel d’archaïques pratiquesédicales frôlant la barbarie ont prospéré, ni de prôner une

[

[

P. Gabsi

upposée capacité bienfaitrice des hommes à savoir endurera douleur. À l’inverse, la croisade nihiliste moderne contrea douleur affichant une ferveur du droit à l’aide à mou-ir aboutit au déni du sujet, car elle prétend éliminer — auieu de traiter — le rapport de l’homme à la jouissance,ouissance dont nous avons soulevé le caractère mortifèreais inéliminable. Reconnaître la souffrance de l’autre n’estas, faut-il préciser, accuser réception d’un quelconquesens » de sa douleur. Les acteurs des soins palliatifs, dont

’approche globale tendrait à véhiculer l’idée d’une prisen charge « totale » du patient, ne doivent pas, en effet,omber dans le « sens à tout prix ». Ce serait là un leurre deaîtrise du temps du mourir et tout autant une interpréta-

ion erronée de la psychanalyse, dont le but n’est pas tante « comprendre » chez le patient ce qui demeure pour uneart insaisissable à jamais, que de redonner une place à cetnsu (le réel), dont Maria et Eléonore, sont, au prix de leurie, les tragiques témoins.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

éférences

[1] Caugant F. Équipe mobile équipes soignantes : le corps du sujetau cœur de la relation. Med Pal 2004;3:27—33.

[2] Assoun PL. Le corps saint, du déni à la jouissance. In: Déni ducorps. Médecine psychanalyse anthropologie. Paris: L’esprit dutemps; 2004. p. 25.

[3] Assoun PL. Corps et symptôme Tome 2. Paris: Éditions Anthro-pos; 1997. p. 23.

[4] Soler C. Ce que Lacan disait des femmes. Paris: Éditions duchamp lacanien; 2003. p. 25.

[5] Lapeyre M, Sauret MJ. Lacan le retour à Freud. Toulouse: Leséditions Milan; 2000. p. 61.

[6] Assoun PL. Le corps saint, du déni à la jouissance. In: Déni ducorps. Médecine psychanalyse anthropologie. Paris: L’esprit dutemps; 2004. p. 22.

[7] Cadec B. Approche psychologique et démarche médicale : deuxlogiques complémentaires ? J Psychol 2008;256.

[8] Freud S. (1915) Métapsychologie. Paris: Gallimard; 1978. p.141.

[9] Bousseyroux N. Sur Henry James : « l’innocent sacrifié àl’ignorance comme passion » in : Pas tant no 17, Toulouse, 1987,p.18.

10] Allanic P. Amour et haine en fin de vie. Med Pal 2008;7:25—32.

11] Fondras JC. Métamorphoses de la douleur. Du dolorisme à

l’algophobie. Med Pal 2008;7:195—8.

12] Lapeyre M. Clinique et thérapeutique. Toulouse université Tou-louse Le Mirail; 1998.

13] Vergely B. La souffrance. Paris: Gallimard; 1997. p. 169.