16
Lettres d’Aquitaine est une publication d’Écla Aquitaine, agence régionale née de la fusion de l’Arpel et d’AIC, chargée de mettre en place l’action en faveur de l’écrit, du cinéma, du livre et de l’audiovisuel. JANVIER FÉVRIER MARS 2010 Écla Aquitaine reçoit le soutien du Conseil régional d’Aquitaine et de la Direction régionale des Affaires culturelles (Drac Aquitaine). Retrouvez Écla Aquitaine -Livre et Écrit- sur www.arpel.aquitaine.fr Écla Aquitaine © Marc Wattrelot 2009 N° SPÉCIAL RÉSIDENCES D’ÉCRIVAINS 86 BIS Des résidences d’écrivains, pour quoi faire ?

Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

Lettres d’Aquitaine est une publication d’Écla Aquitaine, agence régionale née de la fusion de

l’Arpel et d’AIC, chargée de mettre en place l’action enfaveur de l’écrit, du cinéma, du livre et de l’audiovisuel.

JAN

VIE

RFÉ

VR

IER

MA

RS

2010

Écla Aquitaine reçoit le soutien du Conseil régional d’Aquitaine et de la Direction régionale des Affaires culturelles (Drac Aquitaine).

Retrouvez Écla Aquitaine -Livre et Écrit- sur

www.arpel.aquitaine.fr

Écl

a A

quit

aine

© M

arc

Wat

trel

ot 2

009

N° SPÉCIAL RÉSIDENCES D’ÉCRIVAINS

N° 86 BIS

Des résidences d’écrivains,pourquoifaire?

Page 2: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

SOMMAIREINTRO

02

P. 2 Sommaire et intro

P. 3 Quelles résidences ?

P. 6 Une approche thématique

P. 9 Les résidences, un tremplin ?

P. 10 Des résidences à la première personne

P. 12 Les résidences, mode d’emploi

P. 14 Des résidences en Aquitaine

P. 15 Pour aller plus loin...Adresses utiles et contacts

P. 16 Entretiens...

Lettres d’Aquitaine est une publication d’Écla – Livre et Écrit –, association loi 1901Bâtiment 36-37, rue des Terres Neuves 33130 Bègles – Tél. +33 (0)5 47 50 10 10Courriel : [email protected]://ecla.aquitaine.fr

Olivier Bleys, écrivain, a assuré la rédaction enchef de ce numéro spécial résidences de Lettresd’Aquitaine.Sauf mention contraire, Olivier Bleys est l’auteurde l’essentiel des textes de ce cahier en s’appuyantsur ses nombreuses expériences de résidence enFrance et à l’étranger.

Bordelais d’adoption, Olivier Bleys a publié plusde quinze livres : romans chez Gallimard, essais et récits de voyage chez divers éditeurs. Descléede Brouwer vient d'imprimer son récit-témoignagesur les inégalités sociales : Le Plafond de verre.L’ensemble de son œuvre est traduit dans une dizaine de langues, et lui a valu de nombreuses récompenses dont le prix François Mauriac de l’Académie française.Son parcours révèle de nombreuses facettes :conférencier, journaliste, il bénéficie d'une solideexpérience dans le domaine des nouvelles techno-logies et du multimédia. Il est aussi passionné devoyages, d’échanges culturels et de francophonie. Biographie : http://biobleys.canalblog.com/Bibliographie : http://bibliobleys.canalblog.com/Blog : http://monvolubilis.canalblog.com

Directeur de la publication : Claude VillersRédacteur en chef : Olivier BleysRédaction et suivi de fabrication :Catherine Lefort & Claude ChambardOnt collaboré à ce numéro :Corinne Chiaradia, Catherine Lefort.Nous remercions le Centre François Mauriac de Malagar de nous avoir permis quelques clichésde la maison de François Mauriac.Diffusion : Catherine LefortCorrections : Jean Bernard-MaugironBP 56-33031 Bordeaux cedexDesign graphique : kubik/www.kubik.frImprimeur : Imprimerie BM (IMPRIM’VERT), ZI de Canéjan – 14, rue Pierre Paul de Riquet33610 CanéjanLettres d’Aquitaine est imprimée avec des encresvégétales sur un papier recyclé : Cyclus Offset.ISSN : 1621-5397 – Dépôt légal : 01-2010

Des résidences d’écrivains,pour quoi faire ?

Olivier Bleys ©

1Je recommande à ce propos la lecture de l’ouvrage : La France, nation littéraire, de Priscilla Parkhurst Ferguson :Bruxelles, éditions Labor, 1991.

Réputée pourtant pays de tradition littéraire1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’estun phénomène bien connu de quiconque manie la plume et s’est, une fois au moins, risqué à évoquer sa carrière de littéra-teur sans s’abriter derrière le paravent commode du second métier (enseignant, journaliste) ou l’euphémisme d’« auteur » –

mot que personnellement je réprouve, sans cesser d’en faire usage : les réactions vont de l’éloge au sarcasme mais se situent, le plus sou-vent, dans le registre intermédiaire de la perplexité. Un écrivain, personne ne sait au juste ce que c’est… L’écrivain lui-même l’ignore, cequi fournit ordinairement à son talent matière à des spéculations sans fin et à l’étude toujours poursuivie, jamais achevée, du goût qu’il se sentpour l’ornement du papier.

Or, ce qui est vrai des écrivains l’est plus encore des résidences d’écrivains, résidences d’auteurs, résidences d’artistes – selon lenom attribué à ces maisons conçues pour accueillir, pour des périodes variables, dans des conditions inégales, selon des modalités elles aussitrès diverses, les littérateurs et apparentés. Comme une majorité de mes confrères, j’ai séjourné régulièrement en résidence d’écrivain.Cinq lieux différents m’ont reçu, quatre en France et un à l’étranger, pour des séjours allant d’une semaine à quatre mois dont le cumul faitune année pleine. Parmi ces résidences, il en était de confortables, et même luxueuses, où les pensionnaires occupaient une chambre àl’élégant mobilier, percevaient une allocation généreuse et savouraient chaque soir les plats mitonnés par une cuisinière à mi-temps ; maisd’autres, à l’opposé, consistaient dans un studio loué au dernier étage d’un immeuble social, dont les fenêtres s’ouvraient sur un parkingdésert et le fumet discutable d’un restaurant bon marché.

Cette « disparité de l’offre », pour employer un terme marchand, ne facilite pas la tâche de qui voudrait situer en quelques mots lesrésidences d’écrivains. Si la plupart des gens méconnaissent la réalité du travail d’écriture – et qui les en blâmerait ? –, ils n’ont pas unemeilleure idée de ce que peuvent être ces lieux discrets qui lui sont voués. Le plus souvent, ils en ignorent même l’existence et, certes, l’onsurprendrait plus d’un lecteur en lui révélant la présence, un peu partout en France et dans le monde, de belles demeures dont l’accès et lajouissance sont réservés aux littérateurs.

Un écrivain est en soi une figure insolite et parfois dérangeante ; mais un écri vain en résidence, c’est une énigme plus dense encore,un mystère supérieur. Cet homme ou cette femme venu(e) d’on ne sait où, pour faire on ne sait quoi, vivant le plus souvent aux dépens dela collectivité éveille des interrogations et parfois, il faut bien l’avouer, une certaine méfiance… Il fera, au minimum, l’expérience d’unecuriosité opiniâtre, celle des notables du lieu qui lui demanderont l’objet de son séjour ou même – ça m’est arrivé – quelle contrepartie ilenvisage pour cette invitation. On s’en doute, son éventuelle hésitation à répondre, son em barras pour dire au juste le sens de sa présencene plaideront pas en sa faveur. Si soupçons il y a (soupçon de gaspiller l’argent public, d’entretenir un inutile, etc.), ils seront renforcés.

S’il n’avait fallu qu’une raison d’étudier les résidences d’écrivains, celle-ci aurait suffi : tirer d’affaire l’auteur qui doit répondre deson séjour d’écriture et en offrir l’image la plus fidèle aux questionneurs de tous bords. Il s’agit pour moi d’un devoir fraternel. Mais au-delà, je crois utile d’introduire les professionnels du livre, et avec eux tous les amoureux de la chose imprimée, à cette entité méconnue,néan moins cardinale dès lors qu’on prétend faire de l’écriture son métier, qu’est la résidence d’écrivain.

Qu’est-ce donc qu’une résidence ? Les pages qui vont suivre soulèvent d’emblée la question, et s’efforcent d’y répondre en dressantl’inventaire des types de résidences le plus souvent rencontrés. Ils sont, comme nous le verrons, nom breux et divers, selon qu’ils compor-tent ou non un projet d’animation, selon qu’ils constituent une offre ponctuelle ou s’inscrivent dans un programme régulier, selon aussi qu’ilss’adressent aux seuls littérateurs ou mêlent les disciplines. Faute d’un cadre réglementaire – sans parler d’un statut –, les résidences sontpolymorphes. On pourrait écrire, sans beaucoup forcer le trait, qu’on dénombre autant de types de résidences que de résidences elles-mêmes… Le peu d’expérience acquise dans leur mise en place mais surtout, l’apparente difficulté à transmettre et à partager cette expé-rience font qu’à chaque nouveau projet, dirait-on, c’est un nouveau départ. Ce phénomène est encore accentué par la relative dispersiongéographique des résidences, qui dépendent chacune de magistratures différentes. Les fréquentes consultations dont Écla est l’objet en témoignent : il n’existe à ce jour aucune méthode éprouvée, aucun modèle établi qui puisse aider la collectivité désireuse d’ouvrir une résidence à réaliser son projet sans accompagnement.

Cette relative désorganisation n’empêche pas que de nouvelles résidences voient régulièrement le jour, et que le maillage de ces lieuxd’accueil, en France comme à l’étranger, soit toujours plus resserré. La progression constante du nombre de résidences donne à penserqu’elles sont, soit pour l’auteur invité, soit pour la structure invitante, ou mieux encore pour les deux, à la fois utiles et pertinentes. À y regarderde plus près, c’est une affirmation à nuancer. Toutes les résidences ne sont pas bien conçues, ni tous les écrivains d’affables pensionnaires.Dans la deuxième partie de ce hors-série, nous tâcherons d’établir ce que la résidence peut apporter à l’auteur, mais aussi ce qu’elle peutattendre de lui.

De plus en plus, en effet, une certaine réciprocité est demandée à l’écrivain en résidence. L’ancienne figure du mécène, ce princemunificent qui pensionne l’artiste sans rien exiger en retour – sinon, de temps à autre, quelques éloges rimés –, cette figure donc n’a plusqu’un lointain rapport avec les structures accueillant aujourd’hui des écrivains. De même que l’écrivain est devenu auteur, le prince a prisles traits d’un ingénieur culturel, attentif à la qualité du projet artistique qu’il met en œuvre, certes, mais non moins soucieux de justifierdu bon emploi des deniers publics par un projet intelligent, maîtrisé, dont les résultats sont chiffrables ou du moins apparents. Il y a, de partet d’autre, comme une réduction d’échelle, voire un rapetissement. La résidence ne procède plus que rarement de la rencontre sensible, éclairée,du « grand homme avec l’homme à talent » ; c’est désormais un dispositif, parmi d’autres, de la politique culturelle d’une collectivité. Est-ce à dire que les résidences sont entrées dans leur âge de raison ? La troisième partie de ce hors-série se fonde sur des exemples et destémoignages pour en examiner l’hypothèse.

En complément de cette réflexion, un cahier pratique fournira quelques outils aux porteurs d’un projet de résidence. Il s’agira defaire le point sur les aides logistiques ou financières dont ils peuvent bénéficier, sur les aspects administratifs et juridiques, trop souventnégligés, enfin sur l’accompagnement qu’ils sont en droit d’attendre des partenaires du livre. Trop d’initiatives, en effet, n’aboutissent pasfaute d’un conseil adapté ; et parmi les résidences en activité, un certain nombre cessent de fonctionner après quelques mois ou quelquesannées, faute d’un projet assez mûr… ou d’un effectif suffisant de pensionnaires.

Bienvenue dans le plaisant dédale des résidences d’écrivains.Olivier Bleys, é[email protected]

Page 3: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

Introduction

QUELLES RÉSIDENCES ?

03

Quelles résidences ?> Les résidences, une vieille histoire

On le sait, la figure de l’artiste n’a émergé que tardivement dans l’histoire des expressions culturelles. C’est plus tard encoreque l’artiste s’est approprié son œuvre (la signature au bas du tableau, le nom de l’auteur au frontispice du livre) et qu’il ena acquis les droits : les auteurs dramatiques, par exemple, n’ont commencé à percevoir des revenus qu’à la fin du XVIIIe siècle.

Cette donnée explique, en grande partie, qu’à la fois le statut de l’écrivain et ses ressources matérielles soient demeurés jusqu’à nos joursincertains, fluctuants, toujours insuffisants. Sans secours extérieur, sans soutien de la collectivité ou de protecteurs généreux, la majoritédes écrivains ne pourraient subvenir à leurs besoins.

Rien d’étonnant donc si de nombreux auteurs, au cours des siècles, ont dépendu de riches mécènes pour le gîte et le couvert. Dèsla Renaissance, en France comme en Italie, des princes éclairés recevaient sous leur toit des intellectuels, des peintres et des sculpteurs. Ils’agissait pour l’hôte de s’attacher un talent mais aussi, dans bien des cas, d’offrir une protection politique à un penseur victime de l’in-transigeance des autorités religieuses ou de l’inimitié d’autres seigneurs. À une époque où des brocards bien tournés pouvaient défaire uneréputation, l’hospitalité du prince recouvrait parfois d’autres pensées : tenir en respect un pamphlétaire dangereux, qu’il valait mieux avoirchez soi, à son service, plutôt que de laisser un rival s’en emparer. Pierre l’Arétin, surnommé le fléau des princes, fut ainsi l’objet des at-tentions conjointes de François Ier et de l’empereur Charles Quint, qui le pensionnèrent au même moment. D’autres noms ont marqué l’his-toire : Laurent de Médicis à Florence, Hercule Ier d’Este à Ferrare, le banquier Agostino Chigi à Sienne ont été les bienfaiteurs de nombreuxécrivains et philosophes.

Au cours des siècles suivants, la tradition du mécénat s’est maintenue, comme perdurait aussi le goût des princes pour les scienceset les arts. Les séjours prolongés de Jean-Jacques Rousseau chez la baronne de Warens ou chez le marquis de Girardin, le voyage de DenisDiderot à la rencontre de l’impératrice Catherine II, après des années d’une correspondance assidue, s’apparentent à des résidences littéraires. Jusqu’au XXe siècle, ce sont surtout des aristocrates ou de riches particuliers qui soutiennent les écrivains. Le phénomène connaîtune certaine ampleur aux États-Unis, où la culture protestante encourage celui qui fait fortune à partager les fruits de sa réussite : dans cepays où l’État n’appuie guère les créateurs, de nombreuses fondations privées lui prêtent main-forte. L’Europe n’est pas en reste. À lamême époque, des personnalités comme Charles et Marie-Laure de Noailles, Francine Weisweiller ou divers membres de la famille Roth-schild ouvrent leurs portes aux gens de lettres.

Si, aujourd’hui, cette pratique est en déclin, elle n’a pas complètement disparu : en témoignent la villa Dora Maar2 en Provence, pro-priété d’une maîtresse de Picasso, devenue résidence d’artistes depuis son rachat par le musée des Beaux-Arts de Houston (Texas) ou encorele château de la Napoule3 près de Grasse, que sa défunte propriétaire, Marie Clews, a souhaité ouvrir aux créateurs de toutes les disciplines.Parmi les résidences d’artistes fondées en France après-guerre, plusieurs sont l’œuvre de riches particuliers venus des États-Unis : souventcollectionneurs, rassemblant autour d’eux des peintres, des sculpteurs, des écrivains dont ils apprécient le travail ou la compagnie, ils créentplus tard des fondations chargées d’administrer un lieu converti en résidence, prolongeant ainsi leur action dans la durée.

De ce côté de l’Atlantique, cependant, les mécènes privés sont trop rares pour se substituer totalement à l’initiative publique, qu’ilsne font en somme que relayer. Voilà pourquoi, dès avant la Révolution, l’État qui n’était pas encore républicain s’est préoccupé d’assureraux artistes, du moins à ceux qu’il estimait les meilleurs, un soutien élargi. La création du prix de Rome en 1663, sous le règne de LouisXIV, marque la volonté officielle de distinguer les meilleurs peintres, sculpteurs et architectes issus des Académies en leur offrant la pos-sibilité de compléter leur formation plastique en Italie. Les lauréats se voient offrir un séjour de quatre ans au palais Mancini, à Rome, oudès 1803 à la Villa Médicis. En 1968, André Malraux abolit le concours mais maintient la résidence, qui s’ouvre dès lors à d’autres disci-plines comme l’histoire de l’art, l’archéologie, la photographie ou la littérature. La sélection des pensionnaires se fait sur dossier, elle estvalidée par l’entretien avec un jury. Suspendue plusieurs fois, au gré des turbulences historiques, la résidence associée au prix de Rome n’enconstitue pas moins la première mise en place par un État au bénéfice des créateurs. D’autres s’inspirent du même modèle, comme la Casade Velázquez4 fondée en 1920 à Madrid (Espagne) ou la Villa Kujoyama5 inaugurée en 1992 à Kyoto (Japon).

Dans l’histoire déjà longue des résidences d’artistes, les dernières décennies marquent à l’évidence un renouveau. Rares sont au-jourd’hui les régions de France qui ne revendiquent une ou plusieurs résidences d’auteurs. Dans certains lieux favorables à leur implantation(la côte méditerranéenne et son arrière-pays), le risque de saturation est réel. Le Guide des aides destinées aux auteurs édité par le Centrenational du livre fait état de treize résidences en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, contre deux seulement en Rhône-Alpes. Or, personnene gagnerait à ce que des résidences trop nombreuses entrent en rivalité quand, déjà, certaines peinent à recruter chaque année suffisammentd’écrivains.

La prolifération des résidences est donc un fait avéré. Pour autant, dater ce phénomène avec précision n’est pas une tâche aisée. D’unepart, toutes les résidences n’ont pas fait l’objet d’une déclaration aux instances culturelles – autorités qui, de leur côté, ont tardé à en dresserl’inventaire. D’autre part, les recensements en ignorent un certain nombre dont l’activité irrégulière, le format original ou le statut ambigu(résidence mais aussi centre culturel, site touristique, musée littéraire, etc.) ne satisfait pas tous les critères.

Écrire l’histoire des résidences d’écrivains, c’est donc affronter une double difficulté : la relative discrétion du séjour des auteurschez leurs mécènes, au cours des siècles passés – il s’agissait souvent d’arrangements privés, ponctuels, reflétant l’estime personnelle duprince pour l’artiste ; et de nos jours, une grande hétérogénéité et une certaine dispersion des offres de résidence.

Dresser une carte fiable et exhaustive des résidences d’écrivains en France relève donc de la gageure. Cela ne rend que plus nécessairel’établissement d’une typologie, pour nous aider à distinguer ce qui mérite d’être baptisé « résidence » de ce qu’il faut peut-être appelerd’un autre nom.

> Les résidences : essai de typologieLes résidences se signalent donc par leur grande variété. Un deux-pièces loué sous les toits, dont le gérant vous confie les clefs le

premier jour et vous les reprend le dernier, avec pour tout mobilier une table, deux chaises, un lit et une bibliothèque à garnir de vos propresouvrages – ça peut s’appeler résidence d’écrivain. Une villa princière dominant la baie de Cannes, entourée d’un parc à cèdres et d’une splen-dide orangeraie, où vous occupez un grand appartement décoré de fresques d’époque – ça peut s’appeler une résidence aussi. La résidencese niche dans les endroits les plus inattendus : un observatoire astronomique, une ancienne épicerie (la maison d’Emma au nord de Mont-pellier6), un pressoir à huile, un couvent désaffecté (le monastère de Saorge près de Menton7 ou l’abbaye de Fontevraud aux environs dePoitiers8)… Elle se perche au sommet des montagnes ou campe sur une île, à l’image de celle inaugurée l’automne dernier sur l’île d’Oues-sant9, dont l’accès est statutairement restreint aux écrivains « nés, vivant ou travaillant sur une île ».

Une résidence, c’est donc d’abord un lieu. Maison à la campagne, appartement en ville, château au bord d’un lac, chalet à l’ombredes cimes… Par définition, ce lieu n’est pas le vôtre. Par principe, il se situe à quelque distance de votre domicile – bien qu’aucun auteur,à ma connaissance, n’ait postulé près de chez lui ; bien qu’aucun jury n’ait retenu l’éloignement géographique parmi les critères explicitesd’évaluation des candidats.

Cette distance n’est pas à négliger. Serait-elle seulement de quelques kilomètres, il faudrait encore en tenir compte. En effet, l’at-tachement de nombreux écrivains à leur espace de travail, souvent confondu à l’espace domestique (la chambre, le salon, le bureau), l’in-clination de beaucoup aux rituels, aux gestes répétés qui mettent en condition d’écrire (le café matinal, la revue de presse, le pain achetéchez le boulanger) ; tous ces indices d’un tempérament casanier et d’une vie sédentaire interrogent le principe même du séjour en résidence.

Pourquoi, au juste, attirer l’écrivain hors de chez lui ? Pourquoi l’envoyer à l’autre bout du pays ou à l’autre extrémité du monde –mais d’abord, l’arracher à son fauteuil, l’extraire d’un décor composé au fil des ans avec, chargeant les étagères en noyer, sa chère collec-tion d’éditions originales et son alignement de diction naires ? Pourquoi enfin rompre un équilibre si patiemment réglé, un équilibre d’ob-jets, de mots et d’habitudes ?

2 http://www.mfah.org/doramaar/3 http://www.chateau-lanapoule.com/4 http://www.casadevelazquez.org/accueil/5 http://villa-kujoyama.com/6 http://vendemiaires.blogspot.com/2007/12/les-vendmiaires-organisent-tous-les.html7 http://www.saorge.monuments-nationaux.fr/8 http://www.abbaye-fontevraud.com/v3/home/residences.php9 http://www.livre-insulaire.fr/24.html

Sans secoursextérieur, sans

soutien de lacollectivité oude protecteurs

généreux, lamajorité desécrivains ne

pourraient subvenir à

leurs besoins.

Écl

a ©

Mar

c W

attr

elot

Page 4: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

QUELLES RÉSIDENCES ?

04

RésidencesQuitter son logis pour plusieurs mois n’est indifférent à personne. Mais dans le cas de l’écrivain, ce départ vers l’inconnu constitue

parfois une épreuve, ou induit du moins une perturbation : des jours s’écouleront, peut-être des semaines avant que l’auteur apprivoise lenouvel environnement qui lui est proposé et avant surtout que l’écriture puisse s’y déployer.

Rien d’étonnant, donc, si l’auteur considère toujours avec attention le lieu de sa résidence. S’il hésite entre plusieurs, son choix nesera jamais neutre, mais favorisera par exemple le site le plus éloigné, ou celui localisé dans une région qu’il ne connaît pas et pourra ainsidécouvrir. Je me rappelle comment, avant même de constituer mon dossier de candidature, je m’informais sur l’endroit où la résidence étaitsituée – il m’importait moins, je crois, d’être logé confortablement (car l’écrivain tire parfois son inspiration d’une certaine incommodité)que d’apprendre l’existence, au voisinage de mon nouveau logement, d’une fonderie de cloches, d’une fruitière à fromage, d’un musée decire ou d’un atelier de taxidermiste… Allais-je réellement visiter ces attractions touristiques ? Sans doute pas, mais il me plai sait de les sa-voir là, et de sentir à travers elles un peu de l’âme du pays qui m’accueillait. Quitte à sortir de chez moi, je voulais qu’on m’étonne, et sti-mulais ma curiosité d’un lieu en m’en formant l’image, souvent peu ressemblante, d’une terre à mystères et à frissons : le Jura et ses noiressapinières, la Charente et ses marais dédaléens…

Ce critère subjectif et personnel prévalait, je crois, sur tous ceux que j’aurais dû normalement retenir, et que j’examinais dans undeuxième temps. C’est seulement après m’être assuré que le lieu de résidence sollicitait assez mon imagination que j’étudiais ses spécifi-cités et considérais de plus près les « modalités de séjour », ou conditions d’accueil du résident. Un nouveau tri en résultait, fondé cette foissur des particularités tangibles. La liste ci-après peut nous aider à définir une typologie des résidences :

• résidence fixe ou itinérante : malgré son étymologie statique et même sédentaire (résidence vient du latin residen-tia qui suggère la permanence et l’immobi lité), le mot « résidence » peut aujourd’hui s’appliquer à des dispositifs ambulants, entraînantl’écrivain dans un voyage, guidé ou non, à travers la région qui l’accueille. L’enjeu est moins la création itinérante, pour laquelle tous lesauteurs n’ont pas des dispositions égales, que le « feuilletage » géographique et humain, la collecte accélérée d’impressions et d’expé-riences sur un territoire étendu. Cette forme de résidence, qui reste marginale, ravive une tradition ancienne, celle des lettrés nomades etdes moines errants – les unsui japonais – qui voyageaient à pied pour élargir leur connaissance du monde et de l’humanité. En cela, elleéveille un intérêt certain.

• résidence pérenne ou ponctuelle : toutes les résidences n’ont pas vocation à s’installer dans la durée, en ac-cueillant régulièrement des auteurs. Certaines, répondant à un besoin défini, s’organisent autour d’un séjour unique : une mission préciseest confiée à l’écrivain, qui quittera les lieux dès sa tâche accomplie. C’est ainsi que la future maison des enfants de l’Assistance publiqueet des nourrices, bientôt inaugurée à Alligny-en-Morvan (Nièvre), a reçu l’écrivain Anne-Marie Abitan pendant trois mois, de janvier à mars2007, pour animer des ateliers d’écriture dans les bibliothèques et les établissements scolaires. L’objectif était de collecter « paroles et in-formations » sur la prospère industrie nourricière du Morvan, au XIXe siècle, quand des enfants abandonnés de Paris étaient confiés aux familles bourgui gnonnes. Le travail de l’auteur a permis la publication d’un ouvrage, La Neige du coucou, aux éditions de l’Armançon.Autre exemple, la résidence organisée à Kigali en 1998 par Nocky Djedanoum, directeur artistique du festival Fest’Africa : ce projet,« Rwanda : écrire par devoir de mémoire », qui deux ans durant a réuni dix écrivains, deux cinéastes et un sculpteur, s’est traduit par lacréation d’une dizaine de livres et d’une pièce de théâtre, Corps et voix, paroles rhizome.

• résidence en France ou à l’étranger : la France n’est pas le seul pays où des résidences d’écrivains soient implantées, mais c’est l’un des plus favorables à ce dispositif. Non seulement notre pays anime des résidences sur son sol, mais il admi-nistre des résidences à l’étranger, notamment en Italie, en Espagne, aux États-Unis et au Japon, par l’intermédiaire de « l’opérateur délé-gué des ministères des Affaires étrangères et de la Culture et de la Communication pour les échanges culturels internationaux »,Cultures-France11, ou du réseau de ses centres et ses instituts culturels. Ces résidences françaises « hors les murs » sont réputées les plusdifficiles d’accès, mais aussi les plus confortables et les mieux dotées. La plupart, il est vrai, ne s’adressent pas aux auteurs débutants maisaux écrivains confirmés ou en voie de l’être – d’où, par exemple, le report constant de la limite d’âge s’appliquant aux candidats à la VillaMédicis (30 ans jusqu’en 1970, 33 ans jusqu’en 1979, 35 ans jusqu’en 1986, 45 ans depuis 2006). Les écrivains français peuvent égale-ment postuler, hors de nos frontières, à des résidences étrangères comme il en existe dans une trentaine de pays. Premier du genre, le recensement effectué par le site Resartis12 décrit un réseau étendu à l’ensemble de la planète, d’Argentine en Inde, du Canada à la Nouvelle-Zélande. Cependant, les conditions offertes aux écrivains varient beaucoup, d’un pays à l’autre, et sont parfois moins favorables aux au-teurs. C’est ainsi qu’aux États-Unis, il est courant de demander une participation financière à l’écrivain, basée sur le nombre de nuitées, cequi assimile les résidences à des pensions bon marché.

Les « résidences

itinérantes » organisées

en région

Nord-Pas-de-Calais

par le centre littéraire

Escales des lettres10

« Une résidence itinérante a,comme son nom l’indique, une double

nature non contradictoire : stationet mouvement. L’écrivain réside,

s’installe, observe, réfléchit. L’auteur bouge aussi, circule,

rencontre, écoute, parle, lit, et enfin de compte écrit. C’est finalement un

joli paradoxe. Les auteurs viennent s’ins-taller dans la région Nord-Pas-de-Calais,

ils s’assoient à leur table de travail et écri-vent sur ce qui les entoure, sur ce qu’ils

voient, ce qu’ils ressentent. Mais ils voya-gent aussi, vont à la rencontre d’une

région, non seulement de ses paysages, mais aussi de sa

population, de son histoire et de seshistoires. Se succéderont pour eux des mo-ments de lecture et d’écriture, des instants

de voyage et des rencontres en établisse-ments scolaires, lors de cafés littéraires ou

d’ateliers d’écriture, ou encore en établissements pénitentiaires et en

bibliothèques. »

« Suite de sites »À Besançon (Doubs), les éditions

Virgile ont initié une collection, « Suite desites », nourrie exclusivement par les

contributions d’auteurs séjournant dans larégion. Développée en collaboration avec

le Centre régional du livre de Franche-Comté et les musées des Techniques et

Cultures comtoises, cette série originalecompte aujourd’hui une dizaine de titres,

sous la plume d’écrivains comme PhilippeClaudel, Sylvie Doizelet ou Jean-Claude

Pirotte. Chaque texte se rapporte à un sitefranc-comtois remarquable, telles les

usines Japy à Beaucourt ou la forge-muséed’Etueffont. Daniel Legrand, directeur des

éditions Virgile, évoque ainsi son projet :« Les textes de la collection « Suite

de sites » ont été réalisés par des auteursinvités en résidence en Franche-Comté. In-

trinsèquement lié au récit, le lieu seconcentre, est tout entier contenu dans l’in-fime, dans un détail, une fabrique, un fruit,

un objet, une forêt. Chaque ouvrage estcomme une maille dans le quadrillage duterritoire, et participe à sa définition pour

réconcilier, secrètement, l’écriture et l’en-droit de l’écriture. Il s’agit d’une approche

littéraire transversale, unissant mémoired’un lieu, mémoire sociale, et expérience

individuelle. »

© P

. Cha

uvel

ot

la France n’est pas le seul paysoù des résidences d’écrivains soientimplantées, mais c’est l’un des plus

favorables à ce dispositif.

Page 5: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

QUELLES RÉSIDENCES ?

05

10 http://www.escalesdeslettres.com/11 http://www.culturesfrance.com/12 http://www.resartis.org/13 http://www.centrenationaldulivre.fr/?CREDITS-DE-RESIDENCE-AUX-AUTEURS

• résidence avec ou sans allocation : parmi les résidences ouvertes aux auteurs, une minorité sont proposées sansindemnités. L’écrivain ne paye pas de loyer, mais il n’est pas non plus rétribué : il s’agit donc de mettre gratuitement un lieu à sa disposition.En règle générale, cependant, une allocation est prévue, destinée à couvrir les dépenses quotidiennes de l’auteur. De nature diverse (sub-vention municipale, don d’une association, etc.), elle peut varier aussi quant au montant : de 1300 euros par mois environ à plus de 2600euros pour les résidences à l’étranger déjà mentionnées. Le Centre national du livre alloue quant à lui des crédits de résidence13, d’un montantde 2000 euros mensuels, attribués à des projets « élaboré[s] conjointement par l’auteur et la structure », qui doivent permettre à l’écrivain« de consacrer 50 % minimum du temps à son projet d’écriture et 30 % minimum aux animations », pour une durée « de 2 mois minimumet de 6 mois maximum ». À noter que les sommes perçues par l’auteur, au contraire des prix littéraires, sont assimilées à des revenus etsont donc soumises à l’impôt.

• résidence assortie ou non d’une commande d’écriture : l’objectif généralement assigné aux résidenceslittéraires est de garantir à l’auteur les meilleures con ditions d’exercice de son art. En contrepartie, l’auteur prend l’engagement d’avancer,sinon de faire aboutir le projet d’écriture objet de sa candidature. Le plus souvent, cet engagement est tacite : nulle part dans la conventionou dans la « lettre-accord » établie entre l’écrivain et la structure, il n’est fait mention d’un texte que l’auteur devrait livrer, à une quelconqueéchéance. Dans certains cas, toutefois, le projet de résidence s’accompagne d’une commande d’écriture. Un éditeur signe avec l’auteur uncontrat d’édition, qui prévoit la création d’un texte en lien étroit avec son séjour. La rémunération souvent forfaitaire de ce travail constituel’indemnité versée à l’écrivain pour couvrir ses frais de résidence.

• Les résidences de médiationUne typologie des résidences d’écrivains ne saurait ignorer cette variante assez répandue, d’ailleurs en progression régulière qu’est

la « résidence de médiation ». À la différence de la « résidence libre », où l’auteur peut se consacrer entièrement à son travail sans rempliraucun engagement, la « résidence de médiation » enrôle l’écrivain dans des animations régulières (conférences, débats, ateliers d’écriture,etc.) qu’il est tenu d’assurer. Une convention passée avec la structure hôte définit le rythme et la finalité de ces interventions, en précisantquel pourcentage de son temps l’auteur en résidence devra leur affecter. On parle quelquefois de « résidence d’animation » ou de « rési-dence de projet », par opposition avec la « résidence de création » où l’auteur, donc, dispose librement de son temps.

Il est courant qu’un écrivain résidant donne plusieurs conférences pendant son séjour, au sein par exemple d’une bibliothèque oud’un établissement scolaire. Ce qui distingue les résidences de médiation c’est, d’une part, la répétition et la périodicité de ces interven-tions et, d’autre part, le contrat signé par l’auteur qui l’assimile, ipso facto, à une sorte de médiateur culturel. C’est l’une des critiques régulièrement formulées envers ce mode de résidence : conçu initialement pour mieux encadrer le séjour de l’écrivain, il reviendrait seloncertains à le solliciter pour un travail qui n’est pas sa vocation voire, plus grave, à le distraire de son premier devoir qu’est l’écriture. Lorsd’un débat diffusé sur une radio locale, l’écrivain François Salvaing, auteur du roman Misayre, Misayre (éd. Balland, 1987, prix 1990 dulivre Inter) fait part de ses réserves à ce sujet :

« L’écrivain est considéré comme un travailleur social, comme quelqu’un qui, avec sa pratique et son savoir-faire, va aider des gensà mieux se situer dans la cité et dans leurs rapports avec les autres. […] j’ai beaucoup de réserve sur cette demande de la société. On lavoit parfois explicitée de façon nette : les écrivains seraient là pour aider à reconstituer le ciment social, le lien social. Je doute que là soitla fonction de la littérature et des écrivains. »

Les détracteurs des résidences de médiation soulignent également la difficulté de quantifier le temps de l’écrivain, par essence élastique et mobile, et dès lors l’impossibilité d’en réserver une part définie pour des activités extérieures. Lors d’une journée d’étude surles résidences, l’écrivain François Bon s’interrogeait à bon droit sur le partage « 30 % du temps dédié au projet de résidence, 70 % du tempsdédié à son écriture personnelle » qu’un règlement lui dictait :

« Mais 30 % de quoi, 70 % de quoi ? de mes 24 heures, soit 6 heures par jour à la bibliothèque ? de 35 heures hebdomadaires ?En moyenne par semaine, j’en passe plutôt le double à l’ordinateur, mais ce n’est pas toujours “travailler” – et, pour qui écrit, les heuresde sommeil sont les plus vitales14. »

Dernier commentaire, d’ordre sociologique, inspiré par les résidences de médiation : celui de démystifier l’écrivain, de reléguer l’au-teur au rang de simple prestataire intellectuel, titulaire d’un contrat et fournisseur d’un service. Autrement dit, plus fréquentes seraient lesinterventions publiques de l’écrivain, moins forte serait son aura d’homme de lettres, comme s’il perdait dans un contact trop nourri avecses lec teurs un peu du mystère qui l’entourait. Le risque existerait dès lors de vider la résidence elle-même de toute substance littéraire, pourn’en faire qu’un engagement monnayé, analogue à celui du musicien venu égayer une soirée de lectures ou du conteur chargé d’animer ungoûter d’enfants.

Cependant, c’est la question de la contrepartie que soulèvent d’abord les résidences de médiation. Malgré son apparente modernité,cette question n’est pas nouvelle : elle se posait sans doute aux pensionnaires des princes de la Renaissance comme aux favoris des monarques, de sorte qu’à aucun moment de l’histoire, peut-être, on n’a accueilli d’écrivain sans attendre quelque chose en retour. De quois’agissait-il alors ? Non encore de prononcer des conférences, mais d’offrir à un puissant protecteur poèmes, épigraphes, œuvres drama-tiques à sa gloire exclusive ; non d’animer des ateliers d’écriture, mais de prêter sa plume à des travaux sans lustre – rédaction de lettres,de mémoires ou de menus gastronomiques.

De nos jours, la résidence de médiation ne différerait foncièrement des autres formes de résidence qu’en tant qu’elle manifeste cettecontrepartie rarement explicite. Son originalité – et son tort, aux yeux de certains – serait d’exiger de l’écrivain ce qu’ailleurs il donneraitvolontiers sans qu’on lui demande, ou du moins à la première sollicitation : une participation accrue à la vie de la société. Le contrat passéavec l’auteur, la mesure précise du temps dédié aux animations traduisent, selon ces mêmes personnes, une perte de confiance. C’est aussil’opinion de l’écrivain que je suis. Il me semble que l’établissement d’un contrat, donc de mesures contraignantes (que se passe-t-il, à pro-pos, si l’auteur ne remplit pas ses engagements ? est-il traîné devant les tribunaux ?), nous conduit sur une pente dangereuse. Et si, demain,l’auteur venait escorté d’un agent – voire de ses avocats – pour négocier âprement les conditions de sa résidence, face aux représentantsd’une structure déterminée, elle aussi, à tirer de la présence de l’écrivain tout le profit possible ? Vision de cauchemar, mais qu’une « juri-dicisation » excessive des résidences d’écrivain, louées jusqu’ici pour leur souplesse et leur diversité, pourrait inscrire dans l’avenir.

• Les résidences pluridisciplinairesToutes les résidences d’artistes ne sont pas des résidences d’écrivains. Non seulement les créateurs d’autres disciplines (musique,

photographie, cinéma, etc.) disposent de lieux dédiés, mais les littérateurs, selon toute vraisemblance, ne sont pas les premiers à avoir tentéles mécènes : les peintres et les sculpteurs les ont sans doute précédés, tant il est vrai qu’un tableau, qu’une statue sont pour le prince deshommages plus substantiels qu’un simple exergue dans un livre imprimé.

Si donc il existe des résidences de plasticiens, de scénaristes, de traducteurs et même des résidences non artistiques d’universitaireset de chercheurs – métiers requérant eux aussi calme et concentration, quelques rares lieux mêlent les disciplines et font cohabiter des créateursd’horizons différents. Privilégiant d’abord la peinture, la sculpture et l’architecture, la Villa Médicis s’est progressivement ouverte à la musique,au cinéma, à la littérature, à la photographie, au design, à l’histoire de l’art, à la scénographie et même aux arts culinaires.

Quelle résidence ?Extrait de l’étude

Approche typologique des résidences d’auteurs en France (2003)

Geneviève Charpentier« À travers la croissance

exponentielle des dispositifs mis en œuvre,la résidence a pris au cours de ces

dernières années des formes multiples. Autrefois pensionné, l’artiste a par la suite

été invité, associé, en villégiature de création, en compagnonnage. L’auteur est

en résidence de commande, de création, enséjour libre, en résidence d’intervention

sur des lieux historiques, sur les tracesd’un homme illustre, en promenade litté-

raire, en résidence individuelle, collective.Aujourd’hui, tout est résidence. Les

chorégraphes, les compagnies de théâtre,les plasticiens, les réalisateurs, les cher-

cheurs vont en résidence. Cette profusionde séjours a généré une confusion telle

que, tout en conservant son caractère fragilelié aux productions de création difficile à

mettre en œuvre, la notion de résidences’est éloignée de son sens premier.Pour les uns, la résidence d’auteur

tente d’offrir un espace de travail permettantla création par des contacts avec

d’autres artistes ou un environnementparticulier, avec un lieu d’accueil, des

moyens financiers, une durée de séjour limitée dans la structure culturelle ou dans

ses proches environs. Elle renferme en général un projet de création artistiquepropre aux ambitions de l’artiste et un projet d’action culturelle en faveur de

publics de proximité, plus rarement unepublication ou une création scénique, les

moyens économiques déployés permettantsouvent au mieux une lecture publique ou

une mise en espace.Pour d’autres, il y a résidence du

moment que sont mis en relation un artiste,des partenaires, un espace, un projet. Pour

les uns, il y a résidence d’écrivains encréation ; pour d’autres, résidence d’écriture

quand l’auteur dirige des ateliers. »

Un exemple de

résidence de médiationExtrait du document de présenta-

tion d’une résidence d’écrivain en Brenne

« Le choix de l’écrivain se fait,bien entendu, sur la qualité de son œuvre

mais aussi sur ses capacités et son désir derencontrer, dans le cadre d’ateliers d’écri-

ture et de lectures, un lectorat. La rési-dence doit aussi être une rencontre entre

un créateur et un territoire. Nous nous en-gageons à offrir à l’écrivain les meilleures

conditions pour son projet d’écriture. En échange de quoi, nous attendons de

l’écrivain une disponibilité de 30 % de sontemps de résidence pour des

rencontres/lectures dans les bibliothèqueset l’animation d’ateliers d’écritures (un aulycée du Blanc, un niveau primaire CM1-CM2). Un cahier des charges est établi et

transmis à l’écrivain ainsi qu’à tous lespartenaires. »

Cependant, c’est la question de la contrepartieque soulèvent d’abord les résidences de médiation.

Page 6: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

UNE APPROCHE THÉMATIQUE

06

RésidencesAu Japon, la Villa Kujoyama reçoit les écrivains mais aussi les créateurs des arts visuels et des arts de la scène, les cinéastes ou vi-

déastes, les chercheurs en sciences sociales et humaines, enfin les critiques et les théoriciens dans chacune de ces disciplines.On le voit, la pluridisciplinarité est surtout le fait des résidences françaises à l’étranger. Cela se conçoit aisément. Seules ces résidences

« de prestige » disposent de locaux et de moyens suffisants pour, d’une part, accueillir des pensionnaires en large effectif et, d’autre part, au-toriser le voisinage sous un même toit d’un studio de photographie, d’un atelier de peintre et d’une cuisine équipée. Le rattachement de cesrésidences à une administration centrale, qu’il s’agisse du ministère des Affaires étrangères ou du ministère de la Culture, est un autre atout,gage d’une relative sécurité budgétaire et donc de pérennité.

Aucune étude, jusqu’à présent, n’a cherché à établir les avantages et les inconvénients des résidences pluridisciplinaires, relative-ment à celles qui privilégient une seule forme artistique. Il n’est sans doute pas indifférent, pour un écrivain, d’être l’hôte unique d’un lieudédié au livre ou de cohabiter avec des créateurs dont les pratiques et les modes de travail peuvent s’écarter radicalement des siens. Com-ment rapprocher, par exemple, l’auteur qui écrit en silence du musicien qui joue d’un instrument ? L’écrivain noctambule du photographediurne ? Au-delà des frictions possibles, la compagnie d’autres artistes offre des opportunités aux auteurs : opportunité de rencontres fruc-tueuses, et par la suite de collaborations pluridisciplinaires autour de projets communs ; opportunité d’élargissement du lectorat et d’ex-tension d’un réseau trop souvent limité aux professionnels du livre. L’écrivain nouera d’autant plus de relations que la résidence sera plusouverte à l’extérieur. Voilà pourquoi une maison comme la Villa Médicis, qui reçoit la visite d’artistes importants, de diplomates, de hautsfonctionnaires et autres cadres de l’État venus y rencontrer les pensionnaires, crée des circonstances éminemment favorables à la promo-tion d’un auteur.

C’est sans doute le principal mérite des résidences où les arts sont mêlés : elles mettent l’écrivain, volontiers solitaire, en contact eten correspondance avec d’autres acteurs du milieu culturel. Le bénéfice sur le travail d’écriture lui-même prête davantage à discussion, tantles sources de distraction, voire de parasitage sont nombreuses et dommageables. Les résidences pluridisciplinaires apparaissent ainsicomme des « résidences sociales » plutôt que réellement des « résidences de création ». Elles n’en sont pas moins convoitées.

Une approche thématique> L’auteur, un être isolé

Parmi les idées reçues sur l’écrivain, l’une des plus répandues concerne son goût pour la solitude, et la vie retirée qui seraitconséquemment son lot. Parce qu’une majorité d’auteurs ne peuvent écrire en compagnie, et qu’il leur faut plutôt le silence,le retrait et l’éloignement de leurs semblables – une minorité, cependant, se plaisent à travailler dans la foule des cafés –, on

a postulé un peu vite qu’il n’était d’écriture possible sans renoncement complet au monde. Aussi donne-t-on parfois de l’homme de lettresl’image de l’ermite ou de l’anachorète, occupant sa chambre comme le mystique niche dans sa grotte ou perche sur sa colonne. Ce mytheusé n’est pas sans fondement. Certains auteurs, il est vrai, voient dans l’écriture un sacerdoce auquel on doit tout sacrifier, et inversementdans la société des hommes, voire dans la simple existence matérielle et les obligations du quotidien une distraction insupportable à celaseul qui vaut, à leurs yeux : accomplir leur œuvre, si pressante et si nécessaire. Telle semble par exemple la position du Lyonnais CharlesJuliet. Mais à trop écouter ces pénitents de l’écriture, on oublie les rieurs et les bons vivants que nos lettres, certes chichement, ont donnésà travers les âges : Rabelais, Alexandre Dumas, Alfred Jarry sont du nombre.

Quoi qu’il en soit, l’assimilation de l’écrivain au solitaire est si nette qu’un auteur accompagné, et plus encore entouré d’une famille,dérange et parfois contrarie. Seul le célibat, dirait-on, sied à ce travailleur de l’ombre ; seule la chasteté préserve les forces dont l’écrivain,dans l’exercice pourtant mesuré du maniement de crayon, fait une dépense insoupçonnée. Cette croyance est si populaire qu’elle contaminejusqu’aux éditeurs et aux bibliothécaires, supposés pourtant les mieux informés sur les coulisses du métier. Ceux qui gèrent les résidencesn’échappent pas à la règle : beaucoup d’entre eux ont sur leurs pensionnaires les idées du grand public, et croient qu’en accueillant l’hommeou la femme de lettres, ils recevront un genre de misanthrope, farouche et taciturne, pressé de s’enfermer dans son bureau pour y pisser deslignes. Pourquoi, autrement, si peu de résidences seraient-elles adaptées au séjour des familles ou même des couples ? Pourquoi, sinon, trou-verait-on des lits simples dans certains lieux ouverts aux auteurs ? Plusieurs chambres où j’ai dormi, aménagées exprès pour l’écrivain,m’évoquaient des chambres d’enfant, des dortoirs prépubères ; à moins que la sobriété du mobilier, réputée de bon goût, ne désignât plutôtla cellule de moine, m’assignant dès lors la tâche d’écrire sans penser à rien d’autre – et surtout pas aux filles.

La solitude de l’écrivain, mythe romantique ou vraie nécessité, n’en est pas moins au cœur du dispositif des résidences. Il s’agit,pour nombre d’entre elles, d’un argument publicitaire : la tranquillité dont l’auteur sera abondamment pourvu dans telle maison retirée, àdeux kilomètres de la ferme la plus proche, à douze kilomètres du premier village ; sinon, dans tel appartement sans vis-à-vis d’une ruecalme, en périphérie de la ville. Alors qu’on propose volontiers au plasticien ou au photographe d’habiter le centre urbain trépidant, on relègue souvent l’écrivain dans les quartiers extérieurs.

> Un soutien matériel bienvenuJusqu’à la parution de La Condition littéraire de Bernard Lahire (éditions La Découverte, 2006), une étude docte et très complète sur les« conditions d’existence sociale et économique » des gens de lettres, on n’avait de ces conditions qu’une idée approximative, nourrie à partégale par des opinions et par les discours, souvent peu fiables, des écrivains sur leur vie matérielle. Les rares travaux consacrés à ce sujetmal-aimé étaient trop fragmentaires ou trop dispersés pour donner une vue d’ensemble. Nous la possédons désormais, grâce à l’enduranceet à la ténacité de M. Lahire.

Que révèle cet ouvrage ? Rien, en réalité, que le public ne perçoive intuitivement :

« La littérature n’est pas une activité comme les autres. Nombreux sont ceux qui s’y adonnent, souvent avec passion, mais très peuparviennent à en vivre ou même à trouver le temps nécessaire pour s’y consacrer15. »

Écrire paie peu, écrire paie mal. Pour la grande majorité des auteurs, qui ne vivent pas de l’exploitation de leurs œuvres ou en tirentdes revenus trop aléatoires (ce que Jules Verne nommait « l’insuffisant et incertain apport des opérations littéraires »), les résidences d’écrivainsconstituent donc une ressource non négligeable, le moyen de se soustraire quelques mois aux nécessités matérielles et, ainsi, de libérer l’espritpour l’écriture. La perspective de ne plus payer de loyer, voire d’être rétribué est séduisante pour l’auteur.

Cet élément financier, à n’en pas douter, participe de l’attrait des résidences et dans certains cas le résume : s’il est difficile d’estimerla proportion de candidatures qu’il suffit à générer, toutes, à peu près, s’en trouvent encouragées. J’ai connu des écrivains qui avaient faitdu séjour en résidence, ou plutôt de séjours successifs, un véritable mode de vie. Ils savaient identifier les résidences « de meilleur rapport »,celles qui payaient le mieux, et tâchaient d’y être admis quand leur résidence en cours venait à échéance. On parle aussi d’auteurs peu scru-puleux qui, accueillis en résidence quelque part, font seulement acte de présence, c’est-à-dire s’y montrent le premier jour et le dernier afind’empocher le chèque, mais dans l’intervalle continuent d’habiter chez eux. S’il faut dénoncer ces abus, ils n’en révèlent pas moins l’ex-trême précarité dans laquelle vivent les écrivains qui n’ont pas d’autre métier. Pour les plus exposés d’entre eux, les résidences jouent unrôle social, bien qu’il ne soit jamais revendiqué : elles offrent un toit provisoire et un cadre de vie stabilisé aux « littérateurs sans domicilefixe », plus nombreux qu’on ne croit.

Il convient cependant de distinguer les résidences rétribuées des résidences bénévoles et des résidences payantes. Dans la typologiedéjà présentée, j’ai évoqué ces trois catégories, entre lesquelles la relation à l’argent établit une nette différence. Dans un cas, en effet, l’auteurne perçoit aucune indemnité mais ne verse pas non plus de loyer ; dans un autre, tout en étant logé à titre gratuit, il est indemnisé ; dans letroisième, fréquent aux États-Unis, l’auteur paye pour son gîte et pour son couvert : ce que propose alors la résidence, c’est une offre hôtelière adaptée.

14 http://www.tierslivre.net/spip/spip.php?article177115 Extrait de l’article paru sous la plume de Bernard Lahire, au sujet de son ouvrage, dans la revue Livre & Lire d’avril 2004, reproduit p. 551 de La Condition littéraire.

La solitude del’écrivain, mythe

romantique ouvraie nécessité,

n’en est pas moins au cœur

du dispositif desrésidences.

Oli

vier

Ble

ys ©

Page 7: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

UNE APPROCHE THÉMATIQUE

07

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

Débourser de l’argent pour séjourner en résidence n’est pas dans la tradition européenne. Il est probable qu’une résidence adoptantce fonctionnement, et renonçant dès lors à l’attrait financier décrit plus haut, verrait l’effectif de ses pensionnaires rapidement décliner.

> Une offre de temps et de libertéL’auteur assez chanceux ou assez téméraire pour dédier toutes ses journées à l’écriture vit, relativement au temps, dans un curieux

paradoxe : à la fois, il donne l’apparence d’en être largement pourvu puisqu’il choisit ses heures et ses activités, fait ce qu’il veut quandbon lui semble ; et cependant, il partage le sentiment commun de manquer de temps, de ne pouvoir achever ce qu’il entreprend – d’autantmoins, peut-être, qu’il est des phrases et parfois des mots dont l’ajustage lui coûte une heure pleine. De même, si l’écrivain paraît choisirlibrement ses occupations, et n’est pas astreint comme l’employé à s’asseoir chaque matin derrière un bureau, cette disponibilité n’estqu’illusoire. Chez nombre d’auteurs, l’écriture requiert un calme parfait : une visite, un coup de téléphone, une sortie imposée, accidentsréguliers d’une journée de travail, lui infligent d’intolérables dérangements. Voilà pourquoi, admis en résidence, l’auteur accueille avec sa-tisfaction le temps et la liberté qui lui sont accordés, même s’il n’en semblait pas manquer le reste de l’année.

Quant à l’usage qu’il fera de ce temps et de cette liberté tout neufs, cela dépend des écrivains. Certains, à qui la résidence permetla suspension de leurs obligations professionnelles, savoureront chaque instant de cette durée offerte à l’écriture, et à l’écriture seule. D’autres– j’en suis –, dont l’écriture remplit déjà le quotidien, n’en tireront que peu de bénéfice, voire connaîtront aux premiers moments de leursolitude studieuse, dans une maison qui n’est pas la leur, au milieu d’objets qu’ils n’ont ni choisis ni disposés, une forme d’embarras : ilest rare qu’un décor étranger renouvelle l’inspiration ; il la gênera plutôt, aussi longtemps du moins que l’auteur n’aura pas introduit danscet univers anonyme quelque chose qui lui appartienne, un stylo, un transistor, une photo encadrée. Jusqu’à ce moment d’appro priation né-cessaire, l’écrivain probablement sera sec, impuissant à écrire ou écrivant mal, ne sachant comment employer ce temps, cette liberté qu’onlui prodigue.

> Un lieuTous les écrivains n’ont pas vocation à voyager, même si certains montrent des dispositions pour une déambulation choisie, jusqu’à

lui dédier parfois leur œuvre. Tous, non plus, ne ressentent pas comme Montaigne le besoin de « frotter et limer [leur] cervelle contre celled’autrui », et préfèrent au mouvement extérieur l’explo ration intime, non moins féconde ni aventureuse. Ceux-là, les sédentaires, les casaniers,les hommes d’un seul bureau et d’une seule chaise patinée, vivent en résidence comme en exil, et ne témoignent pour ce nouveau décor,au mieux, qu’une curiosité polie.

Cependant d’autres auteurs, qu’il faut espérer plus nombreux, se préoccupent du lieu où ils séjournent en résidence. Que ce lieu leurait été affecté – qu’il n’ait rien, donc, d’une destination choisie comme celle des vacances, est en soi intéressant. À peine posée la valisedans le couloir d’entrée et effectué, à grand pas, le tour de l’habitation (généralement fonctionnelle et sans grand caractère), le pensionnaireressort : il veut explorer les abords de son nouveau logis, afin prétend-il de situer les commerces et les commodités, en réalité pour prendrela mesure du territoire qui s’ouvre à lui.

Cette marche du premier jour, chez moi presque rituelle, s’apparente à la con versation badine, mais attentive, par laquelle deux individuslient prudemment connaissance. En résidence près de Belfort, en Franche-Comté, dans un vieux moulin qui par chance s’adossait à la forêt,je m’étais plié un jour sur deux, quel que fût le temps, à de longues randonnées vers la frontière suisse. De retour dans mon moulin solitaire,je dégustais des spécialités charcutières dont cette région n’est pas avare, tout en feuilletant doctement des brochures touristiques. C’est ainsi,peu à peu, que je m’acclimatais à ce nouveau pays. J’y prenais lentement des habitudes, j’y faisais des rencontres et tâchais d’inscrire dansma mémoire les itinéraires automobiles ou pédestres, les horaires de la piscine, du supermarché ou des messes, plus quelques singularitésdomestiques – le pot sous lequel enfouir la clef, l’emplacement saugrenu des interrupteurs, le maniement correct du poêle à bois, etc.

Le moment venu de donner mes premières conférences ou d’animer mon premier atelier d’écriture, je n’étais déjà plus étranger àce pays. J’avais même acquis, par la fréquentation assidue de quelques musées et la lecture des ouvrages d’histoire locale qui traînent souventdans les bibliothèques des résidences, des rudiments de science sur des lieux dont, quelques semaines auparavant, je peinais à retenir lesnoms.

L’usage veut qu’au début d’une résidence, l’écrivain soit peu sollicité. C’est donc par l’organisation de son quotidien et l’aména-gement progressif d’un milieu ou d’un décor propice à l’écriture – il « bâtit son nid » – que l’auteur s’approprie le territoire : il devient unpeu mieux qu’un touriste, un peu mieux qu’un voyageur attardé, presque l’égal d’un résidant secondaire – étranger et familier à la fois. Lesinterventions publiques, programmées le plus souvent dans la seconde moitié du séjour, sinon vers la fin, ouvrent un deuxième temps del’expérience résidentielle. Dès ce moment, l’auteur entre dans une relation différente avec le nouveau pays, qui n’est plus celle du quidamdéplacé (le fonctionnaire muté loin de chez lui) mais celle de l’écrivain à qui sa sensibilité et son talent promettent un meilleur ajustementà la réalité locale.

Un troisième temps advient parfois, si l’auteur choisit de témoigner par ses écrits des lieux qu’il explore, en y situant par exemplel’action d’un roman. Dans l’accord qui lie le pensionnaire à son hôte figure, parfois en toutes lettres, la consigne d’écrire sur la région vi-sitée. J’avoue, pour ma part, n’avoir jamais pu me confor mer à ce genre d’instructions, dans le moment du moins où elles m’étaient don-nées. Je ne crois pas être le seul dans ce cas : il semble difficile à beaucoup d’auteurs d’écrire sur l’endroit qu’ils occupent, tant qu’ils ysont. Une distance est nécessaire, un certain recul dans l’espace et le temps. D’où l’effet de parallaxe, parfois désagréable, qu’éprouventles écrivains voyageant d’un lieu à l’autre : ce n’est pas sur le pays où ils vont mais sur celui d’où ils viennent que les auteurs préfèrentécrire. Parvenus en ville, ils raconteront la campagne qu’ils ont quittée ; revenus à la campagne, ils parleront de la ville… À quoi bon, dèslors, vouloir ajuster le temps de la résidence et les écrits qui s’y produisent ? Pourquoi exiger, à toute force, que l’auteur séjournant dansun lieu en discoure aussitôt, sans lui laisser le temps du mûrissement, de la décantation ? Et si même la résidence n’était qu’une phase decollectage, de réunion des matériaux incorporés plus tard à l’écriture, où serait le mal ? Il m’est arrivé, trois mois durant, de ne rien écrire,parce que la résidence réclamait autrement mon attention puis, retour chez moi, de me mettre au travail et de ne plus lâcher le stylo avantl’achèvement du gros livre que j’avais mûri tout ce temps sans même le sentir.

> Écrivain des villes, écrivain des champsLes résidences, nous l’avons dit, se caractérisent par leur extrême diversité. Il est exceptionnel qu’une résidence résulte d’un plan

concerté, élaboré très en amont, impliquant la construction d’un bâtiment ad hoc. Le plus souvent, les résidences investissent des lieux appartenant déjà à la collectivité et qui se trouvent, à un moment de leur histoire, sans affectation précise : on choisit d’y établir une résidenced’écrivain, après avoir examiné d’autres possibilités. Voilà pourquoi les résidences, considérées dans leur ensemble, présentent une grandedisparité. Si la volonté d’un maire ou d’un président d’association est essentielle à l’aboutissement du projet, le hasard seul décide de lavacance d’un site donné, au moment favorable. Le hasard est donc responsable que certaines résidences se situent en pleine ville, dans unquartier animé, et d’autres en rase campagne, loin de toute agglomération, parfois même sans voisinage.

Si l’inscription de la résidence en milieu urbain ou en milieu rural n’a que peu d’incidence sur son administration – les problèmesqui se posent à l’équipe de gestion sont à peu près les mêmes –, il en va autrement de l’auteur pensionnaire : son expérience du lieu seratrès différente, selon l’endroit où la résidence est établie.

Une résidence en ville favorisera spontanément les échanges, la circulation et la socialisation de l’auteur. En première analyse, cetype de résidence paraît plus indiqué, soit pour les écrivains dont le travail implique des recherches importantes – la proximité des biblio-thèques et des musées sera alors un atout –, soit pour les auteurs dont le projet de résidence comporte de nombreuses interventions dansdes établissements scolaires ou dans des lieux dédiés aux livres – lesquels, souvent, sont situés en ville. Enfin, la singularité d’une œuvre,le genre dans lequel éventuellement elle s’inscrit donnent des indications. Il est probable qu’un auteur de polars, par exemple, qui situe l’action de ses romans dans un univers urbain, trouvera plus d’inspiration en ville qu’à la campagne.

Il semble difficileà beaucoup

d’auteurs d’écriresur l’endroit qu’ils

occupent, tant qu’ils y sont.

Oli

vier

Ble

ys ©

Page 8: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

UNE APPROCHE THÉMATIQUE

08

RésidencesD’un autre côté, une résidence urbaine expose l’auteur à certains désagréments dans la pratique quotidienne de l’écriture : le bruit,

la réclusion, parfois l’exiguïté, dont en général les écrivains s’accommodent difficilement.Une résidence à la campagne, si réellement elle se situe en plein champ (cas qui devient rare, tant les villages contadins prennent

aujourd’hui tournure de banlieue verte, avec stations-service et centres commerciaux), implique toujours un certain isolement. Les avan-tages et les inconvénients sont inverses de ceux des résidences urbaines. Un tissu social moins dense, un quotidien apaisé ménageant delongues plages d’écriture, l’inspiration qu’apportent les marches silencieuses en pleine nature… Mais, au revers, peu de visites, peu de sorties,une distance parfois inconfortable entre le lieu qu’on habite et les lieux où se dérouleront les interventions – distance, il faut le préciser,que peinent aussi à franchir les personnes chargées d’accompagner l’auteur durant son séjour. Encore une fois, le tempérament de l’écrivain,la nature de son travail peuvent l’orienter ou non vers ce type de résidence.

Elle paraît mieux convenir aux auteurs solitaires et laborieux, dont le séjour, dédié principalement à l’écriture, comporte peu d’in-terventions publiques. Si ses écrits sont liés au milieu rural (cas de l’auteur régionaliste exploitant la veine des « romans de terroir »), unerésidence à la campagne paraît alors tout indiquée.

Il est à noter qu’au contraire des résidences urbaines, le plus souvent « neu tres », les résidences rurales s’assortissent parfois d’unedemande spécifique de la collectivité qui l’organise : perçue comme un milieu difficile (exode rural, faible population, environnement dégradé, problèmes des paysans…), et donc un espace à valoriser, la campagne bénéficie d’un soutien appuyé des instances territoriales ;une résidence d’écrivain peut alors s’inscrire dans un dispositif d’aide publique, destiné à « dynamiser » ou à « revitaliser » une région agricole. Ce cadre influe naturellement sur les conditions d’accueil de l’écrivain, et même sur sa production littéraire.

> Une résidence, et après ?Peu d’études existent sur l’impact des résidences. Par nature, le travail de l’écrivain est peu quantifiable, non moins que la satis-

faction d’une population sur le territoire où il a été accueilli. Plus l’objectif assigné aux résidences est large, moins il sera aisé d’établir si,oui ou non, il a été atteint. Qu’on juge par exemple du programme fixé aux résidences par Mme Dominique Baillon-Lalande, conseillère pourle livre et la lecture de la Drac Picardie :

« Ces résidences d’auteurs sur une ville ou une communauté de commune initiées par les médiathèques ont pour but, outre le sou-tien littéraire, de permettre le déclenchement chez le plus grand nombre de l’envie de lire, d’écrire, la familiarisation avec le verbe, le goûtdu mot, en s’appuyant sur l’oralité et les ateliers d’écriture16. »

Difficile, donc, d’estimer si l’auteur a rempli ses engagements et si le projet de résidence a abouti. Ceci qui est vrai pendant le séjourde l’écrivain l’est plus encore, naturellement, une fois l’écrivain reparti. Quand l’auteur s’en va, les liens éventuellement noués avec lespartenaires de la résidence (élus, libraires, bibliothécaires, éditeurs, employés du centre régional du livre…) tendent à se relâcher. Sauf casexceptionnel, la correspondance d’abord nourrie que l’auteur entretient avec les personnes côtoyées lors de la résidence va peu à peu se raréfier, pour cesser tout à fait après une ou deux années. Si l’écrivain est réinvité pour une tournée de conférences, autour par exemple d’unlivre dont la publication a suivi sa résidence, l’occasion ne s’en présente qu’une fois.

La majorité des résidences, en effet, n’ont pas vocation à installer une relation suivie avec tel ou tel écrivain admis à y demeurermais à établir, dans un temps qui n’excède guère la durée du séjour lui-même (quelques mois avant, quelques mois après), une collaborationnourrie. Ainsi, l’organisateur de la résidence pensera avoir rempli son contrat si l’auteur, pendant son séjour, a donné quelques conférencesou animé un atelier d’écriture et si, au terme de celui-ci, est publié un texte qu’il a inspiré. Il n’entre ni dans ses attributions, ni toujoursdans sa volonté de maintenir le lien, une fois l’écrivain descendu dans la liste des auteurs accueillis en résidence. Autrement dit, « l’après-résidence » n’est pas géré, n’est pas organisé.

La situation de l’auteur est comparable. Si la plupart des écrivains sont prêts à s’investir, à donner de leur temps et de leur talentpendant la durée du séjour, il ne faut plus trop compter sur eux quand la résidence s’achève. Peut-on d’ailleurs les en blâmer ? J’ai montrécomment les objectifs parfois assignés à la résidence – celui, en particulier, d’écrire sur un thème imposé – ignoraient ou négligeaient latemporalité propre de l’écriture, la plus capricieuse qui soit, et les aléas certains de l’inspi ration. On aura beau encadrer du mieux possiblele travail de l’écrivain et sa production littéraire, passer avec lui les conventions les plus prudentes – s’il n’est pas en condition d’écrire, iln’écrira simplement pas… Il ne faut donc rien attendre de l’auteur, ni pendant son séjour, ni surtout après, une fois bien sûr qu’il a remplises obligations premières (conférences, animations, etc.).

Est-ce à dire qu’un auteur, dès sa résidence achevée, s’en croit quitte et ne veut plus en entendre parler ? Bien sûr que non. Beaucoup d’écrivains, au contraire, regrettent un lieu qu’il leur a été si long d’apprivoiser. Beaucoup gardent contact, et se montrent curieux des autres pensionnaires (ceux qui les précèdent, ceux qui viendront après eux), généralement disposés à fournir conseils et orientationà leurs successeurs, afin d’aplanir les difficultés de l’installation. À ce titre, on peut regretter que si peu de résidences aient pris l’initiative defonder des « associations d’anciens », regroupant les auteurs ayant bénéficié d’un séjour. Dans le milieu littéraire où les relations formentune composante essentielle d’une carrière, de telles associations seraient utiles et bienvenues. Elles permettraient aux auteurs d’échan gersur leurs expériences et, pourquoi pas ? de bâtir des projets d’écriture communs, plus ambitieux que les traditionnelles annales17, simples com-pilations d’écrits.

Ces associations contribueraient, en outre, à améliorer l’offre de résidence : au-delà du rapport qu’on leur demande généralement,et que bien peu rédigent, les écrivains pourraient soumettre des propositions afin de rendre la résidence plus accueillante, plus fonctionnelle,en un mot meilleure. On éviterait ainsi qu’aux nouveaux pensionnaires se posent les mêmes questions et les mêmes difficultés qu’à leursdevanciers. Ce serait l’invention d’une résidence d’un nouveau genre, non plus privée mais sociale, non plus individuelle mais collaborative.

En résumé, l’expérience de la résidence demeure, pour la plupart des auteurs, circonscrite dans le temps comme elle l’est dans l’espace.Elle peut être enrichissante à beaucoup d’égards, mais n’infléchit que rarement la trajectoire littéraire et professionnelle de l’écrivain. Certaines résidences échappent toutefois à ceconstat. Il s’agit des résidences dites « de pres-tige », au premier rang desquelles la Villa Médicis, en Italie, susceptibles d’accélérer ef-ficacement la carrière de l’auteur. L’indice leplus net est la mention qu’en font les journa-listes lorsqu’ils veulent, en quelques mots, ré-sumer la trajectoire d’un écrivain : « Lauréatdu prix Renaudot, ancien pensionnaire à laVilla Médicis… »

16 Déclaration faite lors des journées de formation sur l’illettrisme organisées par Picasco, une agence régionalede coopération des métiers du livre et de la lecture en Picardie. Voir :http://www.picasco.fr/picasco/web/pub/illettrisme/jour1/6.htm17 Voir les annales de la Villa Mont-Noir, devenue VillaMarguerite-Yourcenar, regroupant chaque année destextes d’écrivains résidants.

Par nature, le travail de

l’écrivain est peuquantifiable,

non moins que lasatisfaction

d’une populationsur le territoire

où il a été accueilli.

© C

athe

rine

Lef

ort

Page 9: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

UNE APPROCHE THÉMATIQUE

09

Les résidences, un tremplin ?Arno Bertina« Lorsque mon premier roman est paru, en septembre 2001, je me suis dit : “Je peux désormais candidater”. Non pas tant pour

la Villa et son histoire, que pour vivre un an à Rome. Amoureux de cette ville, j’avais déjà tenté d’y trouver du travail, mais sans succès.La Villa Médicis offrait cette possibilité (de vivre à Rome). Sans doute la plus belle, évidemment.

J’ai candidaté une première fois, mais n’ai pas été sélectionné. C’est lors du concours suivant que mon dossier a été retenu. J’aiété invité à passer l’oral et il faut croire que tout s’est bien passé puisque je suis ensuite parti pour Rome en avril 2004, où je suis restéjusqu’au mois d’avril suivant.

Je suis arrivé à Rome avec un projet de roman, qui était en chantier dans ma tête depuis un an – j’étais donc tendu comme unefronde vers ce mois d’avril au cours duquel je pourrais enfin me consacrer pleinement à ce livre, mais tout en étant désireux, par ail-leurs, de rencontrer les autres pensionnaires. N’ayant plus ou moins fréquenté, jusque-là, que des littéraires, ou des gens n’ayant aucunepratique artistique, je percevais la vie de la Villa comme une chance assez extraordinaire. Cette année allait être l’occasion de discuterlonguement avec des compositeurs, des architectes, des plasticiens, etc. Pour cette raison je m’énerve souvent contre le cliché affirmantque la Villa est une prison dorée : personne ne nous y tient enfermé – les pensionnaires qui ont cette impression sont tout aussi sourdsà la rumeur du monde quand ils vivent à Paris ou ailleurs –, et les échanges artistiques explosent chaque jour le cadre de cette supposéeprison (je me souviens par exemple d’un concert sublime où les pièces de musique contemporaine alternaient en dialoguant avec desmorceaux de musique japonaise traditionnelle).

Très vite je me suis mis à travailler d’arrache-pied sur mon roman (Anima motrix, paru en septembre 2006), et très vite je suisallé à la rencontre des autres pensionnaires. L’ambiance était assez bonne, tout le monde travaillait dans la journée et tous les soirs nousnous retrouvions – constituant des petits groupes à géométries variables – pour faire la fête ou pour dîner ensemble. Si bien que le travaildu lendemain était nourri par les discussions de la veille. À ce titre, et quand l’ambiance entre les pensionnaires est bonne, la Villa estun accélérateur de projets. Tout ce qu’on y entreprend y arrive plus vite à maturation qu’ailleurs car on trouve toujours une oreille at-tentive et curieuse à qui expliquer où on en est, quels problèmes on rencontre, etc. À Rome, j’ai mis six mois à écrire ce qui m’auraitpris un an, peut-être un an et demi, à Paris, où l’on se disperse plus facilement, où il faut aussi gagner sa vie, et où tout le monde étantabsorbé par les mêmes problèmes, on ne trouve pas toujours – même parmi les amis – cette oreille attentive dont je parlais plus haut.

Si je me suis arrêté de travailler sur ce roman au bout de six mois ce n’était pas que j’en étais venu à bout. En aucune façon. Maisdevenu l’ami d’autres pensionnaires, il m’est apparu que nous pouvions tous mener à terme nos projets individuels hors de Rome, alorsque cette configuration (quinze artistes dans la même enceinte, tous disponibles) nous ne la retrouverions peut-être jamais. Il y avaitquelque chose à faire vivre de ce lieu, dans ce temps. Une opportunité à côté de laquelle nous ne voulions pas passer. Avec un graphiste(Yoan De Roeck), un photographe (Ludovic Michaux) et un philosophe également écrivain (Bastien Gallet), nous avons initié un travailcollectif autour d’un quartier de Rome (le champ de Mars) et d’un de ses monuments (l’Ara Pacis) – dont nous avons voulu raconterl’histoire à travers tous les discours qui ont pu être tenus sur lui bien plus qu’à travers les siècles. Dans ce livre intitulé Anastylose, nousavons croisé nos trois approches, nos quatre voix, car ce projet nous le rêvions collectif au sens fort du terme : chacun se serait mêlé dutravail des autres, quelles que soient ses compétences, l’enrichissant ou le perturbant de son regard néophyte. Pendant les six mois quinous restaient, nous avons donc travaillé, très excités, à ce projet. Avec ferveur. Et au terme de notre séjour romain, Anastylose avaitpresque sa forme définitive – mais nous avons encore dû y travailler pendant un an tant la matière que nous utilisions et les différentssavoirs que nous convoquions supposaient que nous soyons précis.

La participation financière de la Villa Médicis a été décisive au sens où elle a permis qu’un éditeur de livres d’art (Fage éditions,basé à Lyon) s’autorise à publier ce livre difficile à vendre car il propose une expérience de lecture assez dingue et riche, je crois : l’enchaînement des textes, le rapport qu’ils entretiennent aux images, et leur façon d’occuper l’espace de la page, ou d’être commandéspar les images, tout cela constitue une somme de problèmes et de miracles. C’est un livre dont je reste excessivement fier, parce qu’ilest beau je crois, excitant, et parce qu’il est assez rare aussi, que des pensionnaires se lient pour un projet de ce type.

À la Villa j’ai donc découvert des artistes, des individus. Certains sont devenus des amis. J’ai découvert, par rebond, les œuvresqui les émeuvent ou les nourrissent (les compositeurs Morton Feldman et Karlheinz Stockhausen par exemple ; les photographes JeffWall et Patrick Faigenbaum ; Carlo Emilio Gadda, que je n’avais pas lu jusque-là, et Stefano D’Arrigo). Je me suis fait des amis, aveclesquels j’ai continué à travailler, depuis quatre ans que nous sommes rentrés. Je n’y ai créé aucun réseau, ça n’a pas rendu mes livresplus visibles – pas même, et c’est un problème, Anastylose.

On touche là une difficulté : la plupart des pensionnaires de la Villa travaillent mais personne ne le sait, et il se trouve même desgens pour feindre de croire que l’on n’y fait rien. Mon expérience n’est pas celle-là. On y travaille, et très joyeusement, avec une énergiequi m’a, personnellement, enivré, qui tenait à la présence de Rome comme à celle des pensionnaires. Mais le ministère de la Culture, etparfois même la direction de la Villa, ne font pas tout pour le faire savoir.

Arno Bertinawww.anastylose.com

Oli

vier

Ble

ys ©

Page 10: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

DES RÉSIDENCES À LA PREMIÈRE PERSONNE

10

Résidences

Des résidences à la première personne

Les résidences n’auraient pas lieu d’être si celles et ceux qui en bénéficiaient trouvaient à domicile les meilleures conditions d’exercicede leur activité : temps, disponibilité, confort, quiétude, ressources matérielles et intellectuelles, etc. Du point de vue de l’artiste, leur intérêtréside peut-être moins dans le déplacement géographique et le dépaysement qu’il promet, que dans la solution apportée à ces problèmesdomestiques. Tel peintre a besoin d’espace, mais habite un appartement parisien : un atelier en résidence peut lui offrir les volumes de sesrêves. Tel musicien ne dispose pas des instruments pour travailler ses compositions, tel photographe manque d’un studio équipé, etc. : larésidence peut être une solution.

Dans le cas de l’écrivain, ou du chercheur qui lui ressemble, le bénéfice est moins net. La pratique de l’écriture exige peu de ma-tériel et s’accommode, l’histoire nous l’apprend, d’une chambre mal aérée où fume une vieille lampe. Quelques feuilles de papier, un stylo :il n’en faut pas plus pour bâtir des chefs-d’œuvre. Quant à l’environnement, au milieu physique et culturel dans lequel évolue l’écrivain,son importance ne doit pas être exagérée. Certaines des plus belles pages de la littérature ont été composées dans les pires conditions – alorsque l’auteur, reclus dans un cachot ou agonisant sur un lit, tremblait de fièvre et de faim. De même que le livre est entre tous les supportsde connaissance le plus souple et le moins cher, l’écriture est de tous les moyens d’expression le plus frugal et le plus simple. Mais alors,que peut offrir la résidence à l’auteur, qui n’a besoin de rien pour pratiquer son art ?

Nous l’avons dit plus haut, le bénéfice le plus évident d’un séjour en résidence, du point de vue de l’écrivain, n’est pas d’ordre artistique. À la différence du peintre, du photographe ou du sculpteur, qui en tirent un profit immédiat, l’auteur de littérature attend peu dece dispositif pour son travail d’écriture. En revanche, l’écrivain en tant qu’individu, l’écrivain comme professionnel du langage, l’écrivaincomme travailleur rémunéré et comme contribuable a beaucoup à gagner de son séjour en résidence. L’une des grandes vertus des résidencesest en effet d’offrir un cadre où la figure de l’auteur, d’ordinaire floue et indécise, peut s’affirmer. Dans la société républicaine, l’écrivainest méconnu, sinon ignoré : il ne bénéficie d’aucun statut, n’est enregistré nulle part, ne remplit aucune case de l’administration ; faute demieux, ses revenus sont assimilés à des « traitements et salaires » sans qu’il jouisse pourtant d’aucun droit social (chômage, congés payés).Or, d’une certaine façon, la résidence corrige cette négligence de la société. Elle pourvoit l’auteur d’un lieu et d’un temps à sa mesure, luiaccorde la visibilité qui souvent lui manquait. Voilà enfin qu’il existe aux yeux du monde ! Voilà qu’on s’intéresse à lui, autrement que parlivres interposés ! Cette reconnaissance, même éphémère, est importante pour l’écrivain. Elle suffit à justifier l’existence de lieux dont lasignification et la portée, on le voit, excèdent largement ceux définis dans leur cahier des charges : ce sont, ni plus ni moins, les laboratoiresd’une relation nouvelle de l’écrivain au reste de la société – nous pourrions hasarder le mot d’« utopie artistique », au sens où chaque résidence représente potentiellement pour l’auteur un univers ad hoc dont il occupe le foyer et axe l’organisation.

Ce chapitre réunit des témoignages où transparaît, de façon plus ou moins explicite, la satisfaction de l’auteur en résidence à « s’étoffersocialement », mais où se révèlent aussi ses doutes, ses errances. La résidence accorde à l’écrivain une légitimité nouvelle, l’aide à se situer dans une communauté qui, d’ordinaire, lui fournit peu de repères ; mais elle l’expose aussi à la rencontre de lecteurs qui n’ont pasaimé ses livres, à leur jugement dont l’écrivain habituellement se préserve. C’est ce risque dont témoigne le commentaire d’un site de lecteurssur le roman Je suis un écrivain de Laurent Herro u, paru chez publie.net18, éditeur en ligne ou plutôt, selon leurs propres mots, « coopératived’auteurs pour la diffusion de textes numériques contem porains » :

« On lui propose une résidence d’écrivain. Tout d’un coup, dans un lieu précis, pour un temps précis, la confrontation personnelleet secrète à l’écriture devient geste public. D’une part on le revisite pour soi, d’autre part il interroge les autres, ceux qui ne pratiquentpas, ou pratiquent autrement, ou simplement ont affaire à vous avec ce qu’ils imaginent de la tâche de l’artiste. Il a écrit et publié un livre,bien sûr, sinon il n’y aurait pas la résidence, mais qui l’a lu, ici ? Parce que l’écrivain, devenu tel par la résidence, est sous le regard public, avec obligation de résultat, c’est le lien même de l’écriture à la communauté qui s’exhibe, se distord. Et l’image de soi-même, pourles autres, pour soi. »

Journal d’une résidence, extraits « Une expérience éducative et culturelle originale au lycée Jean-Aicard d’Hyères : pour la première fois dans l’académie de Nice,

un écrivain est reçu pendant deux semaines complètes au lycée pour rencontrer élèves et professeurs et travailler avec eux. »Auteur : Raphaël Monticelli, écrivain et critique d’art19, intervenant au lycée Jean-Aicart d’Hyères, dans l’Académie de Nice.

« Lundi 30 mars 2009Accueil. Installation. La meilleure façon de prendre le pouls d’une situation, d’une attente. Je suis à peu près incapable d’analyse(s).

Il me faut de la plongée, de l’immersion, du ressenti immédiat. Le “poète résidant” était attendu. À la loge, on m’ouvre, place réservée pourla voiture… L’un de mes amis prétendait reconnaître l’esprit d’un lieu de travail à la façon dont le téléphone sonnait. Curieux. Mais vrai.Installation dans le centre de documentation et d’information. Un espace pour la durée de la résidence. M’y voici. Des étagères. Un ordi-nateur. Une table de travail. Le froufroutement des livres feuilletés. […] Installation dans le gîte, près du lycée. »

« Jeudi 2 avril 2009Aujourd’hui, je ne rencontre pas de classes. Les deux premières journées m’ont semblé très déstabilisantes. En sortant du lycée, hier

à midi, j’étais troublé et perplexe. Naturellement, il est bon que des élèves rencontrent des écrivains, des artistes, et, plus généralement, desprofessionnels, et que l’école facilite ces rencontres. Cela peut permettre de donner du sens à des apprentissages et du recul par rapport auxréalisations effectuées dans le cadre scolaire. À vrai dire, l’étude d’objets réalisés par les professionnels (techniques, scientifiques, litté-raires ou artistiques) devrait suffire à donner sens et recul aux apprentissages. Le statut de ces objets dans le milieu scolaire est clair. En re-vanche, celui des producteurs d’objets continue à me poser problème. Moins leur présence que la gestion de leur présence. Je suis gênélorsque les élèves s’adressent au professionnel (en l’occurrence à moi), en tant que personne et non en tant que praticien. »

Rares sont les auteurs en résidence qui n’aient pas l’occasion d’intervenir dans une classe de lycée ou de collège. Pour les établis-sements scolaires, il est souvent avantageux d’amener un artiste devant les élèves. Du côté des écrivains, les avis sont partagés. Certainsapprécient l’échange, direct et spontané, avec les adolescents, et se plaisent à cultiver cette « mise à nu ». D’autres éprouvent face à ce public pas comme les autres une sorte d’embarras, doublé parfois d’une blessure d’amour-propre lorsqu’ils mesurent l’intérêt faiblissantde certains jeunes gens pour les livres et la lecture, partant leur moindre considération pour l’écrivain.

Parole et résidence d’auteurs – résidence au Québec Auteur : Luc Tartar20, dramaturge, écrivain et comédien, en résidence au Centre national des écritures du spectacle de la Char-

treuse (Villeneuve-lès-Avignon), puis au Québec.« Cette résidence tient une place très importante dans nos parcours respectifs. Il y a un avant et un après, bien que cela ne se soit pas faittout seul ! Je parle de douleurs de résidence. Une résidence c’est un espace-temps à apprivoiser. L’espace, Marie-Line en a déjà parlé : laChartreuse et ses murs du XIVe siècle vous tombent dessus. J’ai passé mon temps à changer les meubles de place pour recréer ma maison.Quant au temps, trois mois, c’est bien pour écrire un texte. […] Je garde le souvenir de longues plages d’écriture et surtout d’une rencontreparticulière. L’objectif était bien celui-ci, le compagnonnage. […] Mais une résidence, c’est aussi un groupe et au-delà du parrain, il y a laproximité avec tous les autres auteurs. Ce qui parfois m’a semblé difficile. La confrontation des univers, des écritures, des êtres, des tem-péraments n’a pas été très simple à gérer pour moi à l’époque. Dans le même temps, je repense fréquemment à tous ces dialogues, le soir,chez Coco, l’hôtesse cuisinière chez qui tout le monde se retrouve. L’image de l’auteur isolé dans sa tour d’ivoire date désormais.

L’une des grandesvertus des

résidences est eneffet d’offrir un

cadre où la figurede l’auteur,

d’ordinaire floue et indécise, peut

s’affirmer.

Écl

a ©

Mar

c W

attr

elot

Page 11: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

DES RÉSIDENCES À LA PREMIÈRE PERSONNE

11

18 http://www.publie.net/19 Son site : http://www.bribes-en-ligne.fr20 Son site : http://www.luc-tartar.net/

On n’écrit pas dans le désert, je me sens traversé par le monde qui nous entoure, je me sens aussi traversé par le travail de mes contempo-rains. […] Être ailleurs en a rendu la création possible. Je ne suis pas certain que j’aurais pu aller au bout de ce travail si j’étais resté chezmoi, d’où l’intérêt d’une résidence. L’immersion dans un ailleurs. Philippe Dorin disait, hier, résider c’est quitter sa maison. Quitter sa maisonet la reconstruire ailleurs. Se reconstruire un domaine traversé par les existences et les travaux des uns et des autres. Là aussi, s’est retrouvé un groupe d’auteurs, de diverses nationalités. Il s’est passé quelque chose de formidable, nous nous sommes beaucoup amusés.Nous avons travaillé aussi. Mais il y a eu une entente extraordinaire, due au hasard, aux personnalités des uns et des autres. Le facteur chancea joué. Il s’est trouvé que ces six auteurs-là, à ce moment-là, à cet endroit-là, ont communiqué de belle façon. J’avais l’impression de vivreun moment intense, ne serait-ce qu’au niveau des contacts humains. J’avais l’impression que cela ne se reproduirait pas de sitôt, qu’il fallait vivre ce moment et profiter de l’instant présent. Il y avait une intensité rare dans les rapports, dans les discussions, dans la découvertedes textes et des univers. »

Le dramaturge Luc Tartar expérimente ici, successivement, deux formes de résidences assez peu répandues, preuve de la grande variété des dispositifs : la première est une « résidence de compagnonnage », rapprochant un auteur aguerri (ici, l’écrivain Michel Azama)d’un jeune auteur qu’il parraine tout au long du séjour ; la deuxième est une résidence collective, associant plusieurs auteurs qui peuvent,dans cette situation de voisinage, choisir d’élaborer des projets communs ou de travailler seuls. Luc Tartar évoque à plusieurs reprises sarelation à la maison qu’il a laissée, et dont il tente d’imiter l’aménagement, sur les lieux mêmes de son séjour, en changeant les meublesde place… Ce détail est révélateur : la résidence dérange passagèrement l’équilibre instauré entre le lieu et l’œuvre, équilibre qu’il faut doncrétablir aussitôt que possible.

Une résidence de formation à l’écriture documentaire à Lussas, en Ardèche21

Auteur : Chantal Steinberg, metteur en scène« On imagine une retraite solitaire, le silence, une maison. Or, les “résidants” embarquent ensemble, sur un radeau fragile mais jour

après jour, plus résistant, d’être à la fois porteur du film de chacun et de celui des autres. Quant à l’écriture… elle s’apparente à ce travailde transcription par lequel le dormeur s’efforce, au sortir de la nuit, de retenir l’éblouissement de son rêve. Dans un premier temps, l’exercices’avère toujours décevant, impuissant à rendre compte de la perfection d’une forme qui résiste à l’énoncé comme au rêveur lui-même.Mais peu à peu, du rêve rendu au langage, quelque chose apparaît que l’on reconnaît pour sien et que l’on ne savait pas. Le travail de la résidence s’efforce d’aider à ce que le film-rêve trouve dans le langage (cinématographique) la forme juste qui le relie aux autres. Cetteforme apparaît peu à peu. Elle se construit dans le regard des autres « passagers », dans les films que l’on voit chaque jour pour tenter dedéchiffrer comment d’autres ont fait pour donner forme. Elle se construit à partir de l’écoute vigilante de passeurs-réalisateurs […]. Après,tout reste à faire. »

« Si “l’écriture” se fait dans la solitude, le cinéma se fait toujours à plusieurs » : cette phrase, placée en exergue de la présentationdu stage, résume bien les enjeux des formes artistiques (théâtre, audiovisuel, spectacle vivant…) qui juxtaposent un temps d’écriture singulière et un temps de réalisation collective. Rien de plus éloigné qu’un romancier ou qu’un essayiste, dont le travail s’accomplit toutentier dans le secret d’un bureau, et qu’un dramaturge ou qu’un scénariste, amené à franchir régulièrement la distance du cabinet d’écritureà la scène ou au plateau de tournage.

Témoignage d’Éli Commins, auteur et metteur en scène, résident à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon.1. Les souvenirs de mes séjours à la Chartreuse sont d’abord ceux des œuvres qui y sont nées, lors de résidences solitaires ou

collectivesa. Chacune de ces aventures fut une exploration des interstices, une manière d’échec où j’ai pu approcher ce que je ne cherchais pasb.2. Ces travaux, créés ou poursuivis dans le monastère, ont pour point commun de questionner la matérialité du texte de théâtre,

traditionnellement indexée sur les codes du livre et de la page : je n’écris pas pour que mes textes soient inscrits sur du papier, ni pour unquelconque objet imprimé, mais pour des supports digitaux.

3. Cette forme, qu’on qualifiera de non linéaire, je l’ai pour partie découverte et explorée entre les murs de l’ancien monastère deVilleneuve-lès-Avignon, et je veux croire qu’il n’y a là rien de paradoxal. Car l’écriture scénique déréglée et indisciplinée que je m’efforced’explorer suppose de réinventer les lieux où elle pourra être mise en scène, et la Chartreuse, qui fut bâtie pour un projet monastique drastiquement ordonné, m’a souvent aidé à approcher les accidents et les discontinuités que génère l’acte de création. Elle m’a permis deme perdrec.

4. Peut-être parce qu’il fallait écrire dans un lieu profondément différent d’un théâtre, un lieu qui, de par son architecture et son origine, appelle d’autres métaphores que celle du livred.

a. Rien n’est plus faux. Je me souviens avant toute chose de plus d’une rencontre marquante, de rires, de disputes, d’amitiés nouées.Et je la revois ouvrir la porte qui donne sur le jardin de la cellule X, comme si j’y étais.

b. La Chartreuse est souvent un lieu où l’on se perd. Dans ma cellule, je m’égarai, et tu t’égares parfois, toi aussi. J’ai cherché à retrouver mon chemin, comme on retrouve la ligne où on a interrompu sa lecture avant de s’endormir, puis j’ai renoncé. J’ai cessé de penserau nombre des acteurs, à la taille de la scène, et au silence du spectateur4.

c. À la fin d’une journée difficile, je me mis en tête de dessiner une carte, qui est un objet « par où la vie s’écoule en un sens ou unautre », à en croire le poète Miroslav Holub3.

d. J’ai trouvé une telle carte à la Chartreuse, une carte des Pyrénées qui me servit à retrouver mon chemin alors que j’étais perdudans les Alpes. Car le lecteur va de droite à gauche et de haut en bas. Le promeneur, lui, regarde le paysage2.

1- Mur de pierres-cellulePhoto : © Beatrix Von Conta, étude en noir et blanc pour le projet « Pièces, le lieu à l’heure », commande de la Chartreuse, 2001.2- La Chartreuse-cloître St.-JeanPhoto : © Pierre Marron3- Sonde Avril 2009 - photo : © Alex Nollet - Chartreuse

1

2

3

Page 12: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

LES RÉSIDENCES, MODE D’EMPLOI

12

Résidences

21 http://www.journaldesformations-lussas.org/article-29089709.html

Les résidences, mode d’emploiL’hétérogénéité des résidences est un indice de la diversité de leurs origines : d’initiative locale, nationale ou internationale ; créée

et développée par une association, par une municipalité ou une communauté de communes, par un Centre régional du livre, par une Di-rection régionale des affaires culturelles ou telle autre institution ; conçue en hommage à un grand écrivain ou à un grand artiste dont elleoccupe la maison (maison Jules-Roy à Vézelay24, villa Marguerite-Yourcenar à Saint-Jans-Cappel25), en mémoire d’une industrie disparueou d’un savoir-faire remarquable (projet « Mémoires d’usine » autour de l’usine Riz Lacroix26), en souvenir d’une figure du pays (la mai-son d’Emma à Saint-Mathieu-de-Tréviers27, une ancienne épicerie)… Il est, à peu de choses près, autant de profils de résidences que de ré-sidences elles-mêmes.

S’il atteste le succès du dispositif et une certaine bienveillance de la société envers ses artistes, ce foisonnement de résidences nefacilite la tâche, ni de l’employé chargé d’en dresser l’inventaire, ni de son collègue à qui échoit la mission, plus complexe encore, d’éta-blir une « méthodologie » pour la création d’un nouveau lieu. Le besoin pourtant s’en fait sentir : les centres régionaux du livre sont régu-lièrement approchés par des associations, des mairies ou des conseils généraux désireux d’ouvrir une résidence d’écrivain, et qui s’interrogentsur la meilleure façon de faire aboutir leur projet. Quel budget réunir, quels partenaires solliciter ? Peut-on prétendre à des aides et à dessubventions, selon quels critères ? Est-il des aspects administratifs et juridiques à considérer ?

Ce cahier pratique apporte des éléments de réponse aux questions soulevées par l’ouverture d’une nouvelle résidence. La grandediversité des cas en limite toutefois la portée : rien de commun, par exemple, entre une résidence ponctuelle engageant un seul auteur à unseul endroit, et un programme de résidences pluriannuel enrôlant des dizaines d’écrivains sur plusieurs sites… Il semble que ces extrêmescohabiteront longtemps encore. L’évolution des résidences, telle qu’on peut la déduire d’initiatives récentes, semble en effet emprunter cesdeux voies divergentes : d’une part, l’invention de structures souples, éphémères, pour satisfaire un besoin précis (collecter des témoi-gnages à travers un atelier d’écriture, accompagner l’installation d’un nouvel équipement culturel…) et, d’autre part, la mise en œuvre deprojets pérennes, d’une certaine ampleur, à l’échelle supérieure d’une région ou d’un grand territoire.

Il faut le souligner, cette seconde catégorie est nouvelle. Avant ces dernières années, en effet, il existait peu de résidences « globales »sur le modèle du programme « résidences d’écrivains » initié par le service Livre du Conseil régional d’Île-de-France, programme qui apermis, depuis deux ans, l’accueil de 57 écrivains sur autant de sites, pour un budget global estimé à 740 000 euros par an28. Si de tellesinitiatives se développaient, elles favoriseraient sans doute une rationalisation progressive des résidences d’auteurs, soumises aux mêmesrègles de contrôle et d’évaluation que n’importe quel projet culturel bénéficiant des aides publiques. Cette rationalisation présente unrisque : celle, à terme, d’une normalisation accélérée, quand les résidences se caractérisent aujourd’hui, nous l’avons vu, par une intéres-sante dissemblance. Est-ce à dire que l’avenir des résidences est monochrome ? Ce n’est pas, selon moi, à redouter. Mais une « mise enordre » est probable. Reste à savoir si les écrivains, par nature rebelles aux consignes et aux cadres établis, sauront s’en accommoder…

O.B.

> Vade-mecum de la création d’une résidence d’écrivainToutes les formes, ou presque, de résidences ayant une légitimité, ce vade-mecum n’a pas prétention à imposer une méthodologie pour l’ouverture d’une résidence « modèle » ; il viseseulement à cerner les questions essentielles à la définition, par chacun, de son projet.

Pourquoi une résidence ?Savoir quel objectif – immense, modeste, local ou international, pragmatique ou artistique, pérenne ou ponctuel… – est poursuivi, quellesambitions sont assignées au projet. S’agit-il de l’inscrire dans une démarche d’aide à la création – soutien et accompagnement d’un projetpropre à un créateur – ou du volet culturel d’une politique dont les enjeux se situent sur le plan social, d’éducation, d’urbanisme, d’amé-nagement du territoire, de tourisme ?… Défricher ce terrain pour savoir où placer le curseur entre la résidence de création « sans contre-partie » et celle de médiation « dirigiste » où prime la fonction d’animation socioculturelle. Un objectif clairement énoncé aide à choisirentre les différentes modalités de résidences, au stade du projet comme à celui de l’appel à candidature ou de la convention signée avec lelauréat, en bref évite malentendus et déconvenues de part et d’autre (les auteurs et leurs interlocuteurs) avant, pendant et après la résidence.Rechercher la jonction entre l’intérêt de l’écrivain et celui du porteur de projet.

Connaître l’existantLa plupart des structures régionales du livre tiennent des calendriers des manifestations et recensent les résidences sur leur territoire. LeCNL, associé à la Fill et à la MEL, propose un Guide des aides aux auteurs qui liste bourses d’écritures et résidences en France et à l’étranger.La MEL met régulièrement à jour un annuaire sur http://www.m-e-l.fr/rechercher-residences.php (tri par pays, région, département, genrelittéraire et durée du séjour). La question est de savoir si l’on veut explorer un territoire vierge, un domaine géographique ou artistique nonencore sollicité (par exemple la monographie sur le cinéma) ou s’inscrire dans une politique régionale, une ligne éditoriale ou autre : proposerun lieu de résidence éligible aux bourses du CNL par exemple ou en lien à un salon du livre.

S’entourerAu besoin constituer un « comité de pilotage » et penser dès l’amont à :• la recherche de partenaires : bibliothèques, librairies, établissements scolaires, médiateurs culturels, associations d’écrivains peuvent êtredes interlocuteurs pour la préparation, le choix, l’accueil des résidents.• une personne référente : que la résidence soit portée par une association ou une collectivité, désigner (ou recruter si nécessaire) une personne référente, qui assurera sa mise en œuvre et sera l’interlocuteur de l’écrivain accueilli.

Définir son projet : questions à se poser• Nature de la résidence : écriture, création, médiation, transartistique…• Genres littéraires et/ou autres disciplines artistiques concernées.• Durée d’un séjour (semaines, mois, fractionnables ou non), nombre et périodes des sessions annuelles. Nombre de bénéficiaires simultanés.• Conditions d’hébergement : où sera logé l’auteur, où travaillera-t-il, centre-ville ou milieu rural, confort et capacité d’accueil du logement,proximité des lieux de restauration, d’information, capacité à se déplacer seul ? Le logement permet-il que s’établissent des liens de proximitéentre l’écrivain et le territoire (à moins que l’isolement ne soit le thème de la résidence…) ?• Rémunération de l’auteur : type et montant mensuel (bourses, salariat, droits d’auteur…) Voir encadré.• Participation financière du résident aux frais d’hébergement, restauration, déplacement ? Préciser s’il doit se munir d’équipements (ordinateur, voiture).• Production littéraire pendant le séjour : liberté totale de l’écrivain ou résidence donnant lieu à commande et publication d’écrit ? Y a-t-ilune thématique, un sujet de réflexion, un centre d’intérêt imposés ?

Oli

vier

Ble

ys ©

par Corinne Chiaradia

Page 13: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

LES RÉSIDENCES, MODE D’EMPLOI

13

• Contreparties attendues de la part de l’auteur : doit-il participer à des débats, ateliers, signatures ? Nombre ou fréquence (une journée parsemaine, une semaine sur quatre ou une lecture en fin de résidence…). Pour une résidence de création, deux jours par semaine consacrésà la médiation est un grand maximum. En direction du grand public, du public scolaire, du public professionnel ? Contenu et calendrier desrencontres à co-élaborer avec l’auteur accueilli.

Les réponses à l’ensemble de ces questions serviront de base à l’établissement de la charte ou cahier des charges qui présente les condi-tions de la résidence et synthétise les obligations des partenaires (structure accueillante et écrivain) et leur engagement financier. Le cahierdes charges est repris dans l’appel à candidature et pourra être traduit dans une « convention » signée avec l’écrivain lauréat.

Budget prévisionnelÉvaluer le coût de préparation et de mise en place la première année (travaux sur l’immobilier, achats matériels, ouvertures de lignes, fraiscomité de pilotage et chargé de mission) puis le coût de fonctionnement annuel : hébergement, rémunération des auteurs (écriture et/ou in-terventions), voyages domicile/résidence et déplacements liés aux interventions, communication, interprétariat pour auteur étranger, édi-tion (si commande donnant lieu à publication), achat documentation et livres de l’auteur (indispensable pour préparer un programme derencontres), salaire chargé(e) de mission.

CalendrierLe planning dépend du type de résidence envisagé. Pour une résidence « pérenne » compter au moins un an de préparation pour le comitéde pilotage, la recherche de financements (attention aux dates de dépôt des demandes de subvention et dates de session des comités d’attribution des bourses du CNL) et la mise en place des partenariats. Ensuite, chaque session s’organise à l’idéal un an à l’avance, unefois définies les dates de la résidence. 12 mois entre l’appel à candidature et la résidence est un délai correct : nombre d’auteurs ont une activité salariée et besoin d’anticiper des congés pour séjourner en résidence. Penser aux délais de visa si le résident est étranger.

Sélection des résidents• Conditions d’accès ou critères d’éligibilité : nombre de publications à compte d’éditeur/critère géographique/critère de genre litté-raire/maîtrise de la langue et publications traduites pour les auteurs étrangers…• Calendrier : délai pour postuler, date limite de dépôt des dossiers, nombre et dates des sessions d’examen des dossiers…• Dossier de candidatures : pièces à fournir (CV, lettre de motivation, projet littéraire, contrat d’édition, exemplaires des dernières publications…)• Mode de sélection : appel à candidature à dates fixes/candidatures spontanées/pas de candidatures mais recherche par la structure d’unauteur pertinent et disponible pour s’engager dans le projet qu’elle lui soumet.• Jury et critères de choix : qui choisit et sur quels critères ?

Rémunérer l’auteur résidentLes montants habituellement constatés s’échelonnent entre 1200 € et 3 000 € mensuels versés à l’auteur, avec une moyenne autour de1500-1800 €. Cette rémunération peut prendre différentes formes :• Bourse d’écriture : pour une résidence où l’auteur occupe la majeure partie de son séjour à l’écriture, sans commande de texte. Le montantde la bourse n’est pas soumis à cotisation sociale ; son paiement s’effectue en net. La somme, soumise à l’impôt, est indiquée par l’auteurdans sa déclaration de revenus en bénéfices non commerciaux, BNC (cas des bourses attribuées par le CNL).• Droits d’auteur : pour le cas où la résidence est motivée par une commande de texte, avec publication et/ou lecture publique ; la bourseétant conditionnée par l’écriture dudit texte, la rémunération est assimilée à des droits d’auteur.• Salariat : dans le cas d’une résidence de médiation, où les interventions (série d’ateliers d’écriture par ex.) sont prépondérantes. Selonl’Agessa et en l’état actuel de la législation, ce type d’interventions récurrentes ne relève pas du régime de Sécurité sociale des auteurs, maisdoit se traduire par la signature d’un contrat à durée déterminée et l’envoi d’une DUE (déclaration unique d’embauche, document délivrépar l’Urssaf). Il est possible de faire coexister deux rémunérations : la bourse (résidence d’écriture) ou le droit d’auteur (commande de texte)ET le salariat (pour les interventions connexes).Plus de précisions sur le site de l’ARL Paca avec son guide Comment rémunérer les auteurs téléchargeable sur http://www.livre-paca.org/index.php?show=publication&m=6 et sur celui de l’Agessa (Association pour la gestion de la Sécurité sociale des auteurs)http://www.agessa.org/

Financement et structures partenaires• Autofinancement : estimer l’investissement de l’association ou de la structure porteuse du projet. Apport en numéraire, en matériel, enpersonnel…• Financements privés : mécénat, parrainage. Entreprises ou particuliers peuvent par le biais d’un don soutenir une association porteuse d’unprogramme de résidences artistiques. Pour plus de renseignements sur les critères d’éligibilité et les avantages fiscaux liés au mécénat :www.mecenat.gouv.fr, documentation et conseils sur http://www.admical.org/• Financements publics : municipalités et collectivités territoriales n’ont pas forcément de lignes de crédit spécifiques aux résidences maispeuvent apporter un soutien sous différentes formes : aide à de la structure d’accueil (subventions de fonctionnement aux associations culturelles ou aide aux manifestations si la résidence est partie intégrante d’un salon), appui logistique ou rémunération offerte à l’auteur.À noter : le programme de soutien à la création littéraire du Conseil régional d’Île-de-France s’applique dans le cadre d’une association entreun auteur et une structure d’accueil pour la réalisation d’un projet d’action littéraire sur une période de 2 à 10 mois. Les bénéficiaires peu-vent être à la fois la structure accueillante (aide au fonctionnement à taux modulable, plafonnée à 10 000 €) et les auteurs (bourse d’aide àla création : 2 000 € par mois de résidence).• Centre national du livre : le CNL dispense des bourses d’écriture aux auteurs et aux traducteurs et plus spécifiquement des « crédits derésidence » (2 000 € par mois de résidence) : cette rémunération s’adresse aux écrivains en résidence pour au moins deux mois, ayant unprojet d’écriture ainsi qu’un projet d’animation littéraire élaboré avec la structure d’accueil. Dates limites de dépôt des dossiers : 10 janvierpour la commission d’attribution de mars-avril ; 10 avril pour la session de juin ; 25 août pour la session d’octobre-novembre ; et 20 novembre.• Drac : la vie littéraire et les résidences d’auteurs sont des domaines d’intervention des Directions régionales des affaires culturelles. Serapprocher des conseillers livre et lecture, notamment pour la mise en place d’une résidence pouvant donner lieu à crédit de résidence duCNL (une copie du dossier de candidature doit être adressée par la structure accueillante à la Drac de sa région qui transmettra son avis surle projet au CNL).Les financements institutionnels sont sensiblement les mêmes que pour les manifestations littéraires, cf. sur le site d’Écla le document àtélécharger « Boîte à outils à l’usage des organisateurs de manifestations littéraires » http://arpel.aquitaine.fr/spip.php?article100002333

Ce cahier pratiqueapporte des éléments de réponse aux

questions soulevéespar l’ouverture d’une

nouvelle résidence.La grande diversité

des cas en limitetoutefois la portée...

© C

athe

rine

Lef

ort

Page 14: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

RÉSIDENCES EN AQUITAINE

14

Résidences en Aquitaine

PROPOS RECUEILLIS par Catherine Lefort

Installée à Coutras, l’association Permanences de la littératureorganise plusieurs événements publics, dont le festival Ri-tournelles qui se tient en novembre à Bordeaux, des soiréeslittérature et musique en jardin en Gironde, ainsi que des pro-grammes éducatifs. L’association accueille chaque année plu-sieurs écrivains en résidence créant ainsi des passerelles entreses différentes activités.Questions à Marie-Laure Picot, directrice de Permanencesde la littérature, association fondée en 2000 dont la vocationest de faire découvrir et de valoriser la littérature contempo-raine en Aquitaine.

L.A. - Quel est l’esprit des résidences que vous organisez et quels en sont les par-tenariats (typologie, lien avec le festival, avec les actions pédagogiques, rencontresavec le public sur un territoire…) ?Marie-Laure Picot - Nous réalisons deux types de résidences d’écrivains chaque année, desrésidences de médiation et de création. Ces deux activités n’ont pas les mêmes finalités. Lapremière consiste dans la rencontre entre l’auteur et ses publics, jeunes et adultes. Ce typede résidence est aussi lié à un territoire, en l’occurrence une communauté de communespartenaire. L’auteur reçu sur le territoire pendant une durée d’un mois accomplit un pro-gramme d’une douzaine de rendez-vous (atelier d’écriture, lecture-rencontre, performance)planifié à l’avance avec les écoles, bibliothèques et centres culturels partenaires. Nous don-nons la priorité aux rencontres avec les jeunes et à l’éducation artistique. Nous produisons,pour faciliter les échanges, un journal de douze pages comprenant la présentation de l’au-teur, son parcours, son esthétique et des extraits de ses œuvres. Support de communicationqui a aussi une visée pédagogique. Nous attachons autant d’importance à la personnalité del’auteur que nous accueillons qu’à son œuvre. Ces résidences sont conçues pour éveiller lacuriosité et le désir, nous veillons à rassembler toutes ces conditions dans nos projets.

L.A. - L’interdisciplinarité est votre leitmotiv. C’est pourquoi vous associez réguliè-rement d’autres artistes à ces résidences. Comment se construisent les projets ?M-L.P. - Si nous nous efforçons, à l’occasion des résidences de médiation, d’associer uneautre pratique artistique à l’échange, les résidences de créations sont, de manière systéma-tique, interdisciplinaires. Elles sont pensées et conçues pour nourrir les problématiques dé-veloppées dans les programmations du festival Ritournelles et révéler un état de la créationdans le domaine de l’écrit contemporain. La durée de la résidence de création et le lieu d’ac-cueil des écrivains et artistes varient en fonction des projets et des enjeux esthétiques.Chaque projet de résidence croisée est unique et évolutif. À travers ces productions, nousnous donnons pour mission d’explorer et de valoriser l’inventivité de la création littérairecontemporaine.

L.A. - Comment s’organise l’accueil, d’un point de vue pratique ? Quelles sont lesconditions proposées aux écrivains (logement, ville, partenariats collectivités,bourses…) ?M-L.P. - Chaque écrivain ou artiste invité dans le cadre de nos résidences est hébergé, dé-frayé et rémunéré pour son travail. Dans le cadre des résidences de médiation, nous avonstrois partenaires importants qui sont la CDC du pays de Coutras, l’Iddac et Écla Aquitaine.Dans le cadre des résidences de créations, nous travaillons avec différents partenaires, dont l’Oara.

L.A. - Quels sont les auteurs invités en 2010 ?M-L.P. - Nous accueillons en résidence de mé-diation la poétesse et psychanalyste SylvieNève sur le territoire de la CDC du pays deCoutras, et également à Bordeaux à l’occasiondu Printemps des poètes. Cette résidence por-tera essentiellement sur le travail de réécritureque Sylvie Nève a entrepris depuis quelquesannées à partir des contes de Perrault, Le PetitPoucet, Peau d’âne (éditions Trouvères etCompagnie) et Barbe bleue. Il s’agit de contesreformulés dans une langue poétique, ou« poèmes expansés », selon les termes de l’au-teur. À cette résidence, nous associons l’adap-tation au théâtre du Poème du Petit Poucet parla compagnie bordelaise Les Enfants du Paradis.Le programme des résidences de création n’estpas encore arrêté pour 2010.

Le festival Bulles enHauts de Garonneet les résidences BDOrganisé par l’association Passage à l’art, le festival Bulles en Hauts de Garonne a lieuchaque année au printemps et se déroule cette année les 27 et 28 mars 2010 à Bassens (voirLA 87 p.14). Avec le festival des Hauts de Garonne ou Souffles, Bulles en Hauts de Garonne s’inscrit dans la politique culturelle intercommunale du Grand Projet de Ville quiréunit les communes de la rive droite de l’agglomération bordelaise : Bassens, Cenon, Floiracet Lormont.L’idée-force est multiple : proposer une offre culturelle diverse, sensibiliser, impliquer lespublics dans des pratiques artistiques diverses et ancrées dans la durée, valoriser le territoirede ces communes. Les résidences d’auteurs de bande dessinée font partie la programmation de Bulles en Hautsde Garonne. Elles se déroulent trois mois en amont du festival, de janvier à mars, et don-nent lieu à un certain nombre de rencontres avec les habitants des communes, jeunes oumoins jeunes, dans les médiathèques, les centres culturels et les établissements scolaires.L’auteur invité peut consacrer une partie de son temps à la réalisation de projets personnels.Les travaux créés pendant son séjour sont exposés pendant le festival. En 2010, Bulles en Hauts de Garonne invite Lucile Gomez – auteur de BD ados/adultes pu-bliée chez Le Cycliste et Drugstore – à Bassens, ville où le festival fait escale.Contact : Passage à l’art / 05 57 54 33 25 / [email protected]

Château Brignon/Fabrique d’auteurs :Un futur pôle autour de la bande dessinéeLe château Brignon, à Carbon-Blanc dans la périphérie de Bordeaux, fait l’objet d’unprojet ambitieux autour de la création, de la diffusion et de la médiation de la bande des-sinée. Il sera aussi le lieu où seront expérimentées de nouvelles formes de production deBD, en lien avec la montée en puissance des lectures sur écrans nomades.À la rentrée 2011, après des travaux de réhabilitation et d’équipement, le château Brignon/Fabrique d’auteurs deviendra une pépinière d’artistes BD – émergents ou confir-més – en offrant un lieu d’accueil et des espaces de travail autour d’ateliers relais, de résidences de création et d’ateliers résidences, d’ateliers de création numérique.Les ateliers relais permettront à des auteurs pour une durée déterminée – sans hébergementsur place – de disposer d’un espace de travail professionnel équipé et doté de services (administratif, juridique…). Les résidences de création et ateliers résidences sont destinés à encourager la recherche,l’expérimentation, la création en permettant à un candidat de développer un projet lié àla bande dessinée (auteurs, créateurs de jeux vidéo, réalisateur de films d’animation, éditeurs,graphistes, metteurs en scène de bande dessinée, chercheurs…). L’auteur en résidenceaccepte de participer à des rencontres dont les modalités sont définies avec lui et dont lenombre ne devra pas dépasser quatre séances par mois.Le château Brignon mettra à la disposition des auteurs deux studios et prendra en charge lesfrais d’hébergement. L’auteur sera rémunéré pour les animations selon le statut de l’auteur.La résidence est ouverte aux candidats français ou étrangers parlant le français, ayantpublié au moins un album à compte d’éditeur, après acceptation du dossier de candida-ture par un comité de pilotage. La durée de la résidence ne peut excéder 6 mois. Les ateliers de création numérique – destinés à susciter des créations spécifiques pour lesécrans mobiles – accueillent prioritairement des auteurs de l’atelier relais ou en résidence.Entouré d’un parc à l’écart de la ville, le château disposera d’un atout supplémentaire :un espace d’exposition et de rencontres qui ouvre de nombreuses perspectives en termesde médiation et de manifestations ouvertes aux différents publics.Le projet, mené sous l’égide de la municipalité de Carbon-Blanc, est soutenu par les col-lectivités territoriales : Communauté urbaine de Bordeaux, Conseil régional d’Aquitaine,Conseil général de la Gironde, par l’État et un dossier au Fonds Feder a été constitué.

Contact : Caroline Jurado 05 57 77 68 68 poste [email protected]

Regards sur la poésiecontemporainePermanences de la littérature

Élec

tuai

re d

u di

scou

nt, r

ésid

ence

de

créa

tion

200

9, R

itou

rnel

les

n°10

/Jér

ôme

Mau

che

& É

lodi

e C

ham

aret

© G

onza

gue

Con

te

© C

hâte

au B

rign

on

Page 15: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

POUR ALLER PLUS LOIN...

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

RÉSIDENCES EN AQUITAINE

15

Adresses utiles

CNL/Centre national du livrehttp://www.centrenationaldulivre.fr/Voir notamment les pages sur les crédits de rési-dence aux auteurs et les bourses de séjours aux tra-ducteurs étrangers, formulaires téléchargeables enligne.http://www.centrenationaldulivre.fr/?CREDITS-DE-RESIDENCE-AUX-AUTEURSBureau des auteursHôtel d’Avejan, 53 rue de Verneuil 75343 Paris cedex 07Tél. 01 49 54 68 68 – fax : 01 45 49 10 21Chef du bureau : Florabelle Rouyer, Tél. 01 49 54 68 [email protected]érature étrangère & résidences : Valérie Ichou,Tél. 01 49 54 68 12 [email protected]

MEL/Maison des écrivains et de la littératurehttp://www.m-e-l.fr/rechercher-residences.php.Base de données des résidences et bourses d’écritureaccessibles aux auteurs et traducteurs, en France età l’étranger.http://www.m-e-l.fr/http://www.m-e-l.fr/bourses-residencesecrivain.phpContacts pour figurer dans l’annuaire des résidences :Résidences en France : Nathalie Lurton, Tél. 01 55 74 60 [email protected]/Résidences à l’étranger : Robert Martin,Tél. 01 55 74 60 [email protected]

MEET / Maison des écrivains étrangers et traducteursde Saint-Nazaire – http://www.meet.asso.fr

FILL/Fédération interrégionale du livre et de la lecturehttp://www.fill.fr/fr/accueilGuides des aides aux auteurs accessible en ligne, et liens vers les sites Internet de tous les Centresrégionaux du livre adhérents de la Fill.

Cultures-Francehttp://www.culturesfrance.com/

SGDL/Société des gens de lettreshttp://www.sgdl.org/

Conseil régional d’Île-de-Francehttp://www.iledefrance.fr/aides-regionales/dossier-importation/residences-decrivains/Unité société – Service livre – 115, rue du Bac 75007 [email protected]

Écla, écrit, cinéma, livre et audiovisuel en Aquitaine :accueil d’écrivains étrangers et de traducteursBâtiment 36-37, rue des Terres-Neuves 33130 Bordeaux – Tél. +33 (0)5 47 50 10 10Courriel : [email protected]://ecla.aquitaine.fr

Résidences mentionnées

• La Villa Kujoyama à Kyotohttp://www.villa-kujoyama.com

• La Villa Dora Maarhttp://www.mfah.org/doramaar/

• La Villa Médicis à Rome (Italie)http://www.villamedici.it/fr/home/

• La Casa de Velázquez à Madrid (Espagne)http://www.casadevelazquez.org/accueil/

• La Villa Marguerite-Yourcenar, près de Saint-Jans-Cappel (Nord) :

Jouanet, ou le chalet Mauriac à Saint-Symphorien« Cette terre et ce ciel sont en moi à jamais,et donc dans les livres sortis de moi. »

François Mauriac, Nouveaux mémoires intérieurs.

Le Conseil régional d’Aquitaine a acquis à lafin des années 90 la propriété de la familleMauriac de Saint-Symphorien, petite communedans le sud de la Gironde faisant partie duParc national des Landes de Gascogne. Cetteacquisition vient élargir le patrimoine de la Région Aquitaine, qui gère par ailleurs le Domainede Malagar, la demeure girondine de François Mauriac à Saint-Maixant.

Cette belle bâtisse bourgeoise de style arcachonnais de brique et de pierre – toute en hauteurd’où son appellation de « chalet » – a été construite à la demande de Claire Mauriac, mèrede François.Lovée dans son écrin de verdure de 10 hectares peuplé de chênes, de pins, de rhododendronset parcouru par un ruisseau, la Hure, Jouanet était la résidence d’été où la famille Mauriacaimait se retrouver. D’une grande qualité architecturale et paysagère, ce lieu était pour l’auteur des Mystèresde Frontenac bien plus qu’une maison de vacances. Il a été le lieu du bonheur, de l’enchan-tement, un théâtre d’initiation où l’enfant Mauriac a découvert la nature. Jouanet a été à lasource son œuvre poétique, théâtrale et romanesque.Imprégnés des souvenirs de ses occupants d’antan, le chalet et son parc sont particulièrementémouvants et propices à la rêverie.La Région Aquitaine a décidé de consacrer ce lieu de mémoire en un lieu de travail et derésidence d’artistes tourné vers l’art et la création contemporaine. Il a été fait appel à uneéquipe d’architectes pour réaliser les études d’aménagement. L’idée-force du projet est deredonner vie au lieu tout en préservant sa mémoire. Actuellement, l’avant-projet détailléest en cours de définition et les travaux devraient démarrer en 2010.

Le département du Lot-et-Garonne a pour colonne vertébrale un fleuve : la Garonne et soncanal latéral. De nombreuses rivières, voies de communication, voies navigables, voiescommerciales, des espaces touristiques ou des milieux naturels maillent son territoire et

en forgent l’identité. De cette géographie est né le désir de conduire un projet de lecture-écriture,Des rives et des voix, inspiré d’une initiative girondine intitulée Paroles d’estuaire1.Des rives et des voix s’appuie sur un partenariat entre l’Éducation nationale – Rectorat de Bor-deaux, direction académique de l’action culturelle – et l’Inspection académique du Lot-et-Garonne, ainsi que certains services du Conseil général dont la bibliothèque départementale, avecle soutien de la Drac Aquitaine.Côté Éducation nationale, le dispositif est double : projet d’intérêt départemental pour le Lot-et-Garonne, inscrit dans le programme académique culturel, comme son homologue girondin.Côté bibliothèque départementale, il s’agit d’un projet culturel ambitieux dont l’accueil d’au-teurs en résidence constitue le socle. La présence d’un réseau dense de bibliothèques profes-sionnelles permet de lui donner un ancrage solide sur la quasi-totalité du territoire.Des rives et des voix est mené et financé par le Conseil général de Lot-et-Garonne et soutenu parla Drac Aquitaine notamment pour le volet éducatif.

Le principeIl a été décidé, dans un premier temps, d’élaborer le projet en s’appuyant sur deux bibliothèquesmunicipales professionnelles de communes situées en bordure de la Garonne (Tonneins) et de laGaronne et du canal (Boé). La prochaine édition pourrait concerner la vallée du Lot, la suivantele Dropt puis la Baïse, etc.Les écrivains invités doivent répondre à plusieurs impératifs : avoir écrit un ou plusieurs livresaccessibles au jeune public et dont le thème a trait au fleuve, à la rivière ou au canal. Ils doiventavoir une bonne expérience des rencontres avec le public et de l’animation d’ateliers scolaires.Ils se déplacent trois fois : un premier séjour de deux semaines (une semaine à Boé, une semaineà Tonneins) en novembre ; un deuxième de deux semaines en mars ; une troisième visite d’uneou deux journées à l’occasion du Salon du livre jeunesse d’Agen en mai. Sont organisées des ren-contres scolaires dans les établissements ou les bibliothèques, des animations et rencontres toutpublic dans les bibliothèques.

La première édition 2009-2010Les auteurs invités sont Claire Ubac – pour sa biographie Jacques Cartier à l’École des loisirsautour de la découverte du fleuve Saint-Laurent – et Nadine Brun-Cosme – pour Entre fleuve etcanal aux éditions Points de suspension. Les classes impliquées ont bénéficié d’un atelier de lecture du paysage par le CEDP2 en octobredernier ; les auteurs ont été accueillis deux semaines en novembre. Le programme se poursuit enjanvier 2010 avec une rencontre avec un éditeur ; en mars, avec l’accueil des auteurs pendant deuxsemaines ; en mai, au Salon du livre d’Agen.Chaque classe est libre de décliner le projet comme elle le souhaite avec des actions complé-mentaires relevant du patrimoine, de l’environnement, de la culture scientifique, etc.

Ghislain FaucherDirecteur de la bibliothèque départementale de Lot-et-Garonne / 05 53 40 14 40

1 Paroles d’estuaires est une action menée par l’Iddac (Institut départemental de développement artistique et culturel, orga-nisme partenaire du Conseil général de la Gironde).2 Centre d’étude et de découverte du paysage et du patrimoine.

http://www.cg59.fr/FrontOffice/UserFiles/File/Villa_Yourcenar/index.html

• Le château de la Napoulehttp://www.chateau-lanapoule.com/index_f.html

• La maison d’Emma à Saint-Mathieu-de-Tréviers,près de Montpellier (Hérault) :http://vendemiaires.blogspot.com/2007/12/les-vendmiaires-organisent-tous-les.html

• Le monastère de Saorge, près de Menton (Alpes-Maritimes) :http://www.saorge.monuments-nationaux.fr/• L’abbaye de Fontevraud, près d’Angers (Maine-et-Loire) :http://www.abbaye-fontevraud.com/v3/home/residences.php

• La résidence de la maison Jules-Roy, à Vézelay (Yonne) :http://www.m-e-l.fr/fiche-residence.php?id=12

• La résidence de l’île d’Ouessant, en Bretagne (Finistère) :http://www.livre-insulaire.fr/24.html

• Le programme de résidences initié par leConseil régional d’Île-de-France (voir ci-contre) :http://www.iledefrance.fr/aides-regionales/dossier-importation/residences-decrivains/

• La résidence pour documentaristes de Lussas, en Ardèche :http://www.journaldesformations-lussas.org/article-29089709.html

• La résidence « Mémoires d’usine »en Comminges :http://autresens.free.fr/spip/spip.php?article28

Sites annuaires

• Resartis, une base de données internationale surles résidences, tous pays et toutes disciplinesconfondus : http://www.resartis.org/

• Residart, une base de données sur les résidencesen France dans le domaine du spectacle vivanthttp://www.art4eu.net/residart/

Éditeurs et auteurs cités

• L’éditeur en ligne Publie. net :http://www.publie.net/

• Le site de François Bon, écrivain :http://www.tierslivre.net/spip/

• Le site de Luc Tartar, dramaturge et écrivain :http://www.luc-tartar.net/

• Le site de Raphaël Monticelli, écrivain et critiqued’art : http://www.bribes-en-ligne.fr

Bibliographie

• La France, nation littéraire, de Priscilla ParkhurstFerguson : Bruxelles, éditions Labor, 1991

• La Condition littéraire, de Bernard Lahire : Paris,éditions La Découverte, 2006

• Guide des aides destinées aux auteurs (boursesd’écriture, résidences en France et à l’étranger) :Paris, Centre national du Livre, 2009

• Guide des aides aux écrivains (bourses et résidences) : Paris, éditions Climat, 2000

Les Résidences au Salon du livre de Paris

La Fill, Fédération interrégionale pour le livre et la lecture, organise plusieurstemps forts autour du thème des résidences dans le cadre du 30e Salon du livrede Paris du 26 au 31 mars :> 29 mars de 13 h à 14 h : table ronde tout public sur les résidences d'auteur jeunesse. Lieu : Club jeunesse.> 29 mars de 14 h à 16 h : table ronde professionnelle sur les résidences d'auteur. Lieu : forum du CNL.> 31 mars de 17 h à 18 h : table ronde tout public sur les résidences d'auteur. Lieu : la Place des livres.Contact : Fill / 01 43 57 85 02 / www.fill.fr

Des rives et des voix Un projet lecture-écriture en lien avec

un milieu géographique

Cha

let M

auri

ac ©

CF

MM

Page 16: Des résidences d’écrivains, pourquoiéputée pourtant pays de tradition littéraire 1, la France porte sur ses écrivains un regard moins tendre qu’on ne le croit. C’est un

Appel à candidature Résidence d'écriture en DordogneLe Conseil général de la Dordogne met en œuvre un programme de résidences d’auteur consacré à l’écriture de fiction pour les adolescents. En 2010, l’auteur lauréat sera accueilli sur la communauté de communes Dordogne-Eyraud-Lidoire (10 communes et 11000 habitants, un collègeet quatre bibliothèques en réseau).Résidence de 4 mois, entre le 15 août et le 15 décembre 2010Dotée d’une bourse d’écriture de 2000 € par mois de résidence ; prise en charge des frais de déplacements de l’auteur (aller-retour domicile/résidence) et déplacements de la résidencevers les lieux de médiation ; un programme de rencontres sera défini avec l’auteur, leur nombre ne dépassera pas 18 séances.L’auteur consacre son séjour en Dordogne à l’avancement du travail de création sur la base duquel il aura été choisi et il accepte d’en faire une restitution publique en fin de résidence.L’auteur accueilli ne doit pas, au moment de sa demande, résider en Dordogne et doit maîtriser la langue française. Il doit avoir publié au moins une œuvre accessible au public ado-lescent (collégiens), hors éditions à compte d’auteur et assimilées.Un logement est mis gracieusement à sa disposition pour la durée de la résidence. L’attention des candidats est attiréesur le fait que ce logement est situé en territoire rural et que s’agissant d’une résidence au sein d’une communauté de communes, les séances de médiation peuvent s’organiser sur l’ensemblece territoire. Date limite de dépôt des candidatures : vendredi 19 février 2010.Contact et renseignements : Sandrine Pantaleo /Directrice-adjointe de la BDP de la Dordogne/Tél. 05 53 53 01 36 / [email protected]

Entretiens...

86

LETTRES D’AQUITAINE N°86 SPÉCIAL RÉSIDENCES

ENTRETIENS

16

Entretien avec Yoko TawadaPropos recueillis par Olivier Bleys

Olivier Bleys – Combien de temps avez-vous séjourné à Bordeaux ? Était-ce votrepremière expérience de résidence à l’étranger ?Yoko Tawada – Je suis restée deux mois à Bordeaux. J’ai effectué de nombreuses rési-dences aux États-Unis, par exemple deux mois et demi à New York, trois mois au MIT(Massachusetts Institute of Technology), un mois à l’université de Stanford et trois semainesà l’université Cornell. En France, j’ai séjourné un mois à Tours et suis actuellement à Saint-Nazaire.

O.B. – Qu’est-ce qu’une résidence peut offrir, que vous ne trouveriez pas chez vous ?Y.T. – La solitude, le mystère, et une langue étrangère qui m’inspire. J’aurais beaucoup à diresur le sujet ! J’en parle dans mon livre Le Voyage à Bordeaux1.

O.B. – Très souvent, les résidences s’accompagnent de conférences, d’ateliersd’écriture… Quel est votre regard sur ces activités ? Sont-elles une contrainte, oufont-elles partie de l’expérience ?Y.T. – J’ai apprécié d’enseigner et de discuter littérature avec les étudiants de Cornell, cetteannée, et aussi ailleurs dans le passé. Quand je n’ai pas à dispenser des cours, j’écris da-vantage. Une résidence peut se concevoir avec ou sans animations.

O.B. – De façon générale, les résidences d’auteurs vous inspirent-elles ? Jugez-vous commode d’écrire en résidence ?Y.T. – J’aime mon appartement à Berlin et c’est assurément le meilleur endroit pour écriremais, quelquefois, je travaille mieux en résidence parce que ce n’est pas confortable.

O.B. – Pensez-vous que tous les écrivains devraient séjourner en résidence ? Oules résidences conviennent-elles seulement à une certaine catégorie d’auteurs ?Y.T. – Les résidences ne conviennent pas à tous les écrivains. Je connais des auteurs qui lesdétestent mais qui postulent pour l’argent. Quant à moi, c’est devenu une partie de ma vie.

O.B. – Quelque chose à ajouter ?Y.T. – Je remercie tous mes hôtes qui ont pris soin de moi et m’ont fait connaître leurs villes !

1. Éditions Verdier, 2009

Alejandrina Falcón, traductrice« Du temps pour écrire,du temps pour traduire… »

« Le Chemin de Bordeaux »

« Bien que les traducteurs soient des “maillons essentiels de la chaîne entre l’écri-vain et son public” ou, plus précisément, des maillons essentiels de la chaîne du livre dansle marché de l’édition, leur statut n’est pas pour autant moins précaire : « Le statut “d’ou-vrier à domicile” qui a été et reste attaché à l’exercice de la traduction répond précisémentaux critères de flexibilité qui sont considérés aujourd’hui comme les plus caractéristiquesde la gestion rationalisée : non-salariat, paiement à la tâche et emploi à la demande, priseen charge par le traducteur de l’achat de ses outils de production et des frais locatifs, absencede droits sociaux (congé maladie, chômage, retraite).

Il faut le dire : la traduction n’est pas que vocation littéraire, et dans ce sens je tiensà souligner que la dimension du conflit n’est point absente des liens qui attachent le traduc-teur, en tant que « maillon » d’une chaîne, aux autres « maillons » de cette chaîne, à savoir, lachaîne de production de livres. Donc, dans ce cadre, qui n’est nullement celui d’une réalitépacifique, idyllique, où se manifesterait un traducteur imaginaire qui ne vit que de vocationau travail, la résidence proposée par la Casa del Traductor de Tarazona et l’Arpel Aquitaineest indispensable car, en permettant au traducteur littéraire de proposer un projet de traduc-tion personnel, elle valorise sa tâche dans ce qu’elle a de travail intellectuel et de création.

Comment la valorise-t-elle ? D’une part, parce que la résidence change la perceptiondu temps dans le travail du traducteur. D’autre part, parce que dans ce temps élargi, vécu pluslibrement, peut se manifester le désir, parfois fléchissant, de traduire, qui selon Antoine Ber-man sous-tend le projet de tout traducteur, comme une vraie pulsion. En effet, libre des dé-lais imposés, liés au temps du commerce, c’est-à-dire, au temps des maisons d’édition, letraducteur peut se consacrer à son texte et avoir une expérience plus réfléchie de son œuvre.Son travail lui appartient, comme son temps. Car nul n’ignore que les délais imposés nesont pas forcément en rapport avec le temps dont le traducteur a besoin, ou croit avoir be-soin, pour mener à bien sa traduction.

Ainsi, au cours de ma résidence, je me suis retrouvée libre de faire mon travail sanscontraintes, mais aussi de faire une seule chose à la fois, je veux dire : un seul travail à lafois. Une seule chose a la fois, c’était vraiment extraordinaire. Presque tout mon temps pourlire, écrire, traduire. Ce rapport au temps est donc un des facteurs les plus importants que jevoudrais signaler par rapport à l’intérêt des résidences pour traducteurs : l’expérience d’uneliberté temporelle qui sans aucun doute permet d’affermir ce désir de traduire dont je parlaistout à l’heure, et sans lequel cette tâche ne tiendrait pas le coup des innombrables obstaclesd’une profession précarisée bien que fondamentale, d’une pratique dévaluée malgré sa po-sition centrale dans la constitution des littératures nationales et des échanges internationauxdans tous les domaines de culture.

À part la question du temps, du temps nécessaire pour lire, écrire, pour avoir desdoutes, se poser des questions en sachant que ce temps est à nous, c’est-à-dire, à la traduc-tion, la résidence à Bordeaux m’a permis d’enrichir mon travail dans un autre sens. En effet,traduction veut dire aussi recherche. Donc, besoin de bibliothèques, de rapport direct auxœuvres de l’auteur, aux livres de référence, aux dictionnaires spécialisés, aux livres d’his-toire, entre autres. Évidemment, pour un traducteur de langue étrangère provenant d’un payspériphérique, l’existence de bonnes bibliothèques, de médiathèques disposant d’un fonds rai-sonnablement important n’est rien moins qu’évident. Et ce point est essentiel. Grâce à labourse de résidence, j’ai pu fréquenter tous les matériaux dont j’avais besoin, à la bibliothèquede Bordeaux, mais aussi à Paris, lors de ma petite escale avant mon retour en Argentine. »

Alejandrina Falcón et Yoko Tawada ont été reçues à la résidence de la Prévôté à Bordeaux par l'Arpel – devenue Écla Aquitaine – respectivement du 1er février au 31 mars 2007 et du 18 avril au 18 juin 2006.

Yok

o Ta

wad

a –

Sop

hie

Bas

soul

s-V

erdi

er ©

Ale

jand

rina

Fal

cón-

DR