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Revue Française de Comptabilité // N°438 Décembre 2010 // 63 Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références COMPTABILITé spécial doctrine comptable n° 3 Des directives comptables jusqu’aux “microsociétés“ européennes… Dans un objectif de coordination et d’har- monisation au niveau de l’Europe des dispositions nationales sur les comptes annuels, le Conseil des communautés avait publié pour la première fois en juillet 1978, on s’en souvient, une directive comptable sur les comptes individuels. Cette quatrième directive (78/660/CEE) réglementait la structure et le contenu des comptes annuels et du rapport de ges- tion, les modes d’évaluation, le contrôle ainsi que la publicité de ces documents. Elle avait été complétée en juin 1983 par une septième directive (83/349/CEE) rela- tive aux comptes consolidés. Toutefois, seules certaines formes sociales, les sociétés commerciales, étaient visées par ces textes comptables. Les dernières propositions de la Commission datent de février 2009. Elles ont fait l’objet d’un appel public à commentaires auquel le Conseil supé- rieur de l’Ordre des experts-comptables et la Compagnie nationale des commis- saires aux comptes ont répondu en avril suivant. Les prises de position des deux institutions françaises à l’endroit du com- missaire Mc Creevy peuvent se résumer ainsi : maintien de l’acquis communau- taire ; dénonciation de l’absence d’une réelle étude d’impact des mesures propo- sées sur certains pays ; remise en cause du fondement de l’objectif d’économie à réaliser ; nécessité de définir le concept d’entité micro dans le cadre d’une refonte de la 4 e directive. Car cette proposition d’introduction d’une catégorie d’entités dites micro permet- trait aux États membres qui le souhaitent de dispenser entièrement ces plus petites entreprises de l’obligation de fournir des informations financières, et notamment de tenue de comptabilité en partie double telle que nous la concevons selon le Code de commerce français. Les sociétés qui béné- ficieraient de l’option demeureraient néan- moins obligées de tenir des “registres“ relatifs à leurs transactions commerciales et à leur situation financière. Les “micro-entités“ visées seraient des sociétés commerciales qui, à la date de clôture, ne dépassent pas deux des trois critères suivants : • total du bilan de 500 000 euros ; • montant net du chiffre d’affaires d’un million d’euros ; • moyenne de 10 salariés au cours de l’exercice. Malgré le combat de la profession, le Parlement européen a approuvé le 10 mars dernier ce projet. Si l’actuelle présidence belge décidait de l’inscrire à l’ordre du jour des discussions du prochain Conseil européen, cette proposition de directive risquerait d’être entérinée. Or la profes- sion comptable française, tout en étant favorable à l’idée d’un allégement des contraintes administratives qui pèseraient inutilement sur les plus petites entités, s’y est opposée auprès des divers groupes politiques. La consultation de février 2009 avait pour objectif de déceler des mesures de simpli- fication auxquelles une majorité adhère- rait sur les quatrième et septième direc- tives comptables. Les questions portaient notamment sur les points suivants : • réduction des options comptables pour les Etats membres ; • réduction du nombre de catégories d’entité ; • adéquation des critères de taille définis- sant ces catégories (chiffre d’affaires, total bilan et nombre d’employés) ; • nécessité de définir dans la directive des formats pour le bilan et le compte de résultat ; • introduction du tableau des flux de tré- sorerie comme composante des comptes annuels ; • exemption du rapport de gestion pour les sociétés de taille moyenne (deux des trois critères : chiffre d’affaires ≤ 35 M€, bilan ≤ 17,5 M€, salariés ≤ 250) ; • exemption de publication des comptes pour les sociétés “petites“ (deux des trois critères : chiffre d’affaires ≤ 8,8 M€, bilan ≤ 4,4 M€, salariés ≤ 50) ; • et, plus généralement, utilité des direc- tives comptables. A la suite des résultats de la consultation de février 2009, une proposition législative devait être présentée par la Commission fin 2009. Cependant la publication de la norme IFRS pour les PME en juillet Des simplifications comptables controuvées Dans le contexte général du “mieux légiférer“, la Commission européenne a décidé de simplifier l’environnement réglementaire des entreprises, en liaison avec le Parlement européen. L’objectif affiché est de s’assurer que la législation communautaire dans le domaine du droit des sociétés, de la comptabilité et du contrôle des comptes corresponde aux besoins des entreprises et leur permette d’être plus compétitives dans un environnement concurrentiel. Ainsi depuis 2006, la Commission européenne consulte les Etats membres dans le cadre de son programme de réduction des charges administratives, en particulier sur les PME. Cet article fait le point sur ses propositions concernant la comptabilité et le contrôle des comptes. Résumé de l’article La Commission européenne a entrepris depuis 2006 de réduire les charges administratives des entre- prise et notamment leurs obligations comptables. En février 2009, elle a notamment proposé de supprimer ces obligations pour les micro-enti- tés définies très largement puisque comprenant les entreprises faisant jusqu’à 1 000 000 € de chiffre d’af- faires. Le Parlement européen a adopté ce projet en mars 2010 mais la France et l’Allemagne ont exprimé leur désaccord en septembre 2010. L’article examine les variations des seuils intervenus depuis plusieurs années pour l’application des diverses obligations comptables (comptabilité d’engagement, comp- tabilité simplifiée, annexe,…) Par Jérôme DUMONT, Président de la commission de droit comptable du Conseil supérieur

Des simplifications comptables controuvées directives comptables jusqu’aux “microsociétés“ européennes… Dans un objectif de coordination et d’har-monisation au niveau

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Revue Française de Comptabilité // N°438 Décembre 2010 //

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Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références

Comptabilité

spécialdoctrine

comptablen° 3

Des directives comptables jusqu’aux “microsociétés“ européennes…

Dans un objectif de coordination et d’har-monisation au niveau de l’Europe des dispositions nationales sur les comptes annuels, le Conseil des communautés avait publié pour la première fois en juillet 1978, on s’en souvient, une directive comptable sur les comptes individuels. Cette quatrième directive (78/660/CEE) réglementait la structure et le contenu des comptes annuels et du rapport de ges-tion, les modes d’évaluation, le contrôle ainsi que la publicité de ces documents. Elle avait été complétée en juin 1983 par une septième directive (83/349/CEE) rela-

tive aux comptes consolidés. Toutefois, seules certaines formes sociales, les sociétés commerciales, étaient visées par ces textes comptables. Les dernières proposit ions de la Commission datent de février 2009. Elles ont fait l’objet d’un appel public à commentaires auquel le Conseil supé-rieur de l’Ordre des experts-comptables et la Compagnie nationale des commis-saires aux comptes ont répondu en avril suivant. Les prises de position des deux institutions françaises à l’endroit du com-missaire Mc Creevy peuvent se résumer ainsi : maintien de l’acquis communau-taire ; dénonciation de l’absence d’une réelle étude d’impact des mesures propo-sées sur certains pays ; remise en cause du fondement de l’objectif d’économie à réaliser ; nécessité de définir le concept d’entité micro dans le cadre d’une refonte de la 4e directive. Car cette proposition d’introduction d’une catégorie d’entités dites micro permet-trait aux États membres qui le souhaitent de dispenser entièrement ces plus petites entreprises de l’obligation de fournir des informations financières, et notamment de tenue de comptabilité en partie double telle que nous la concevons selon le Code de commerce français. Les sociétés qui béné-ficieraient de l’option demeureraient néan-moins obligées de tenir des “registres“ relatifs à leurs transactions commerciales et à leur situation financière.Les “micro-entités“ visées seraient des sociétés commerciales qui, à la date de clôture, ne dépassent pas deux des trois critères suivants :• total du bilan de 500 000 euros ;• montant net du chiffre d’affaires d’un million d’euros ;• moyenne de 10 salariés au cours de l’exercice.Malgré le combat de la profession, le Parlement européen a approuvé le 10 mars

dernier ce projet. Si l’actuelle présidence belge décidait de l’inscrire à l’ordre du jour des discussions du prochain Conseil européen, cette proposition de directive risquerait d’être entérinée. Or la profes-sion comptable française, tout en étant favorable à l’idée d’un allégement des contraintes administratives qui pèseraient inutilement sur les plus petites entités, s’y est opposée auprès des divers groupes politiques.

La consultation de février 2009 avait pour objectif de déceler des mesures de simpli-fication auxquelles une majorité adhère-rait sur les quatrième et septième direc-tives comptables. Les questions portaient notamment sur les points suivants :• réduction des options comptables pour les Etats membres ;• réduction du nombre de catégories d’entité ;• adéquation des critères de taille définis-sant ces catégories (chiffre d’affaires, total bilan et nombre d’employés) ;• nécessité de définir dans la directive des formats pour le bilan et le compte de résultat ;• introduction du tableau des flux de tré-sorerie comme composante des comptes annuels ;• exemption du rapport de gestion pour les sociétés de taille moyenne (deux des trois critères : chiffre d’affaires ≤ 35 M€, bilan ≤ 17,5 M€, salariés ≤ 250) ;• exemption de publication des comptes pour les sociétés “petites“ (deux des trois critères : chiffre d’affaires ≤ 8,8 M€, bilan ≤ 4,4 M€, salariés ≤ 50) ;• et, plus généralement, utilité des direc-tives comptables.A la suite des résultats de la consultation de février 2009, une proposition législative devait être présentée par la Commission fin 2009. Cependant la publication de la norme IFRS pour les PME en juillet

Des simplifications comptables controuvées

Dans le contexte général du “mieux légiférer“, la Commission européenne a décidé de simplifier l’environnement réglementaire des entreprises, en liaison avec le Parlement européen. L’objectif affiché est de s’assurer que la législation communautaire dans le domaine du droit des sociétés, de la comptabilité et du contrôle des comptes corresponde aux besoins des entreprises et leur permette d’être plus compétitives dans un environnement concurrentiel.Ainsi depuis 2006, la Commission européenne consulte les Etats membres dans le cadre de son programme de réduction des charges administratives, en particulier sur les PME. Cet article fait le point sur ses propositions concernant la comptabilité et le contrôle des comptes.

Résumé de l’article

La Commission européenne a entrepris depuis 2006 de réduire les charges administratives des entre-prise et notamment leurs obligations comptables. En février 2009, elle a notamment proposé de supprimer ces obligations pour les micro-enti-tés définies très largement puisque comprenant les entreprises faisant jusqu’à 1 000 000 € de chiffre d’af-faires. Le Parlement européen a adopté ce projet en mars 2010 mais la France et l’Allemagne ont exprimé leur désaccord en septembre 2010. L’article examine les variations des seuils intervenus depuis plusieurs années pour l’application des diverses obligations comptables (comptabilité d’engagement, comp-tabilité simplifiée, annexe,…)

Par Jérôme DUMONT,Président de la commission de droit

comptable du Conseil supérieur

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2009 a lancé une nouvelle consultation en novembre 2009 sur cette norme, la Commission la croyant de nature à éclai-rer ses choix dans le cadre du projet de révision des quatrième et septième direc-tives.

… une même ambition française de restaurer la comptabilité en tant que “algèbre du droit“

Cette consultation d’il y a un an a pris fin en mars 2010. Les questions étaient regroupées autour de trois thèmes : adé-quation de la norme IFRS-PME à une utilisation généralisée en Europe, cadre juridique à mettre en place pour introduire cette norme dans l’environnement euro-péen et modifications subséquentes des directives comptables actuelles.En réponse à cette consultation, l’Ordre et la Compagnie nationale se sont opposés à l’introduction de ce référentiel dans le cadre juridique européen. Une synthèse de l’ensemble des réponses a d’ailleurs été publiée par la Commission fin mai 2010. Les principaux constats formulés à la lecture des quelque 200 réponses reçues ne permettent pas de conclure à l’opportunité d’introduire tel quel ce réfé-rentiel dans l’environnement européen. En effet, il apparaît que dans certains pays, la connexion entre la fiscalité et les règles relatives à la pérennité du capital rendent l’application d’IFRS pour PME plus lourde pour certaines sociétés, en dupliquant les prescriptions en matière d’information à fournir.Cependant, de nombreux avis favorables ont également été exprimés, en particulier

pour les entités qui détiennent des filiales dans différents Etats membres et pour les sociétés qui recherchent des sources de financement internationales ; sans oublier certaines économies émergentes qui trou-vent là une réglementation comptable clef en main. L’application d’IFRS pour PME aux comptes consolidés des sociétés non cotées est aussi considérée par certains comme un compromis possible, notam-ment dans les juridictions pour lesquelles la connexion entre comptabilité, fiscalité et règles du capital rendent cette mise en œuvre problématique dans les comptes individuels.Les opposants à l’application d’IFRS-PME en Europe soulignent la complexité de la norme, tout particulièrement pour les petites entreprises. Ils craignent que les coûts de mise en œuvre du référentiel excèdent les avantages qui en seraient retirés. Les utilisateurs sont habitués à leurs règles nationales et les préfèrent souvent aux normes internationales. Enfin, une majorité de commentateurs sont d’avis que les directives comptables ont un rôle crucial à jouer en matière d’évolution du cadre conceptuel comp-table européen.

Les propositions franco-allemandes

C’est dans ce contexte orageux que notre pays, par la voix du Président de l’Autorité des normes comptables, s’est rapproché de notre partenaire allemand pour éla-borer une contre-proposition, consistant d’une part, à ramener le seuil “micro“ de 1 million à 500 000 € pour le chiffre d’af-faires, avec diminution de moitié des deux autres critères, et d’autre part, à alléger les lignes de présentation du bilan, du compte de résultat et de l’annexe pour ces petites sociétés, tout en restaurant l’exigence d’une comptabilité d’engage-ment (aux antipodes du laxisme décla-ratif, à base de “registres“, qui était au cœur du vote du 10 mars dernier, sonnant le glas de la partie double dans les TPE).Sans attendre le sort de son initiative euro-

péenne, l’ANC avait examiné en octobre 2010 un projet de règlement rehaussant en France les seuils des comptabilités simplifiées, en cohérence avec son action internationale.Actuellement, une annexe simplifiée est ouverte aux sociétés en deçà de 7,3 M€ de chiffre d’affaires (avec total bilan de moitié ou 50 salariés), limite inchangée par ce prochain règlement (qui abroge-rait néanmoins l’art. R123-200 pour des raisons de compétence juridique du nor-malisateur comptable). C’est la limite des bilans et comptes de résultat simplifiés qui serait quadruplée, pour se fixer à 2 M€ en chiffre d’affaires (20 salariés ou bilan de moins de 1 M€), seuil qui n’est pas sans évoquer celui à partir duquel la SAS nomme un audi-teur légal. Avec le regret formulé aussi-tôt conjointement par la CNCC et notre institution, de n’avoir vu sanctuarisée la société anonyme afin qu’elle conserve, même pour une taille inférieure à ce seuil, la plénitude de ses comptes annuels, dès lors que ceux-ci bénéficient du regard du commissaire aux comptes. Mais cette exception par type de société com-merciale ne figurait pas dans les textes comptables et les services de Bercy en ont dissuadé le normalisateur comptable. Et comme on ne peut jurer en ce mois de novembre 2010 qu’un prochain décret en Conseil d’Etat prévu pour homologuer le règlement de l’ANC pourra paraître d’ici peu, son application sur les bilans 2010 dépendra d’une hypothétique publication avant la fin de l’année.Enfin, dernier signal d’inquiétude, la Commission européenne vient de publier le 27 octobre un livre bleu d’une cin-quantaine de propositions au Parlement européen, intitulé “Vers un Acte pour le Marché unique : Pour une économie sociale de marché hautement compéti-tive“, où on peut lire que « les règles de comptabilité actuelles sont dépassées et contiennent des exigences qui constituent une charge administrative inutile, parti-culièrement pour les PME et les micro-entreprises ». D’où une proposition n° 14 de « révision des directives sur les normes comptables afin de simplifier les obliga-tions d’information financière et de dimi-nuer les contraintes administratives, en particulier celles pesant sur les PME ». Et ce n’est pas sans un certain paradoxe qu’on y lira une proposition précédente relative à l’amélioration de l’accès des PME au marché des capitaux ; comme si la comptabilité n’était pas le premier élé-ment de confiance de la banque à l’égard de l’entreprise 1.

Comptabilité

Abstract

The European Commission looks since 2009 for a simplification of administrative burden for enter-prises, and among them, wants to lighten the accounting obligations. In February 2010, the EU made a pro-posal to levy all of these obligations for very small entities (micro-enter-prises) but not so small because will escape from accounting obliga-tions entities with a gross revenue up to 1 000 000 €. The European Parliament approved this project in March 2010. But in September 2010, Germany and France opposed the project. The article studies all variations in accounting obligations in France from several years for business entities (cash vs. accrual, notes,…)

Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références

Bibliographie

www.focusifrs.com.

1. C’est la perspective du projet européen qui aura été au cœur du colloque que devait organiser la commission de droit comptable du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables le 26 novembre, rue Cognacq-Jay, en partenariat avec l’INTEC, sur le thème “La comptabilité, une exception culturelle française ?“, avec la participation des présidents de l’ANC et du CNoCP, de la présidente du H3C, d’un représentant du président de l’AMF, avec les membres français de l’IASB, et diverses personnalités de la profession comptable, dont la vice-présidente du conseil supérieur. La RFC en rendra compte dans une prochaine livraison.

spécialdoctrine

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