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1 | 31 Des sondages des cent jours au quinquennat présidentiel Luc BENTZ (26 août 2017) 1 Cent jours après le début de mandat, les sondages continuent à la baisse. Les couacs sont loin de tout expliquer. Gouverner, c’est choisir, disait Mendès-France ; c’est surtout sortir des rêves de lendemains harmonieux qui sont ceux des campagnes électorales. Il faut rappeler ici, hors les sondages volatiles, que le capital politique présidentiel de départ se calcule essentiel- lement au premier tour de l’élection. Le défi du pouvoir, dans la durée du quinquennat, c’est sa capacité à recréer, par son approche, son action et ses résultats, de la créance en politique. C’est sans doute aller à rebours des « jeux de com » auxquels pousse l’implication croissante président de la République. Au-delà du cas « Macron », c’est le modèle du quinquennat prési- dentiel qu’il faut interroger en revenant sur le temps long de la Ve République et même l’histoire constitutionnelle. D’après Wikimedia Commons/Copyleft (licence CC-BY) 1 Version accessible sur le blog Étudiant sur le tard : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/des_sondages_au_quinquennat_1/.

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Des sondages des cent jours

au quinquennat présidentiel Luc BENTZ (26 août 2017)1

Cent jours après le début de mandat, les sondages continuent à la baisse. Les couacs sont

loin de tout expliquer. Gouverner, c’est choisir, disait Mendès-France ; c’est surtout sortir des

rêves de lendemains harmonieux qui sont ceux des campagnes électorales. Il faut rappeler ici,

hors les sondages volatiles, que le capital politique présidentiel de départ se calcule essentiel-

lement au premier tour de l’élection. Le défi du pouvoir, dans la durée du quinquennat, c’est sa

capacité à recréer, par son approche, son action et ses résultats, de la créance en politique.

C’est sans doute aller à rebours des « jeux de com » auxquels pousse l’implication croissante

président de la République. Au-delà du cas « Macron », c’est le modèle du quinquennat prési-

dentiel qu’il faut interroger en revenant sur le temps long de la Ve République et même l’histoire

constitutionnelle.

D’après Wikimedia Commons/Copyleft (licence CC-BY)

1 Version accessible sur le blog Étudiant sur le tard : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/des_sondages_au_quinquennat_1/.

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SOMMAIRE

I. Baisse de popularité pour le président Macron : mais encore ? ................................................................ 2

II. Poids institutionnel et capital politique réel : l’équation Macron .............................................................. 9

III. Répartition des rôles au sein de l’Exécutif : ce que révèlent les changements d’annonces de juillet ... 18

IV. Le quinquennat en question ................................................................................................................. 25

V. Que conclure ? ...................................................................................................................................... 30

I. Baisse de popularité pour le président Macron : mais encore ?

« La roche tarpéienne (d’où l’on précipitait dans le vide les condamnés à mort) est proche du Capitole

(où se trouvait le temple du Jupiter romain ». C’est aujourd’hui le Jupiter élyséen qui se voit (symbolique-

ment, heureusement pour lui) précipité depuis la roche tarpéienne des sondages.

A) Sondages : une hollandisation accélérée d’Emmanuel Macron ?

Ainsi le Journal du Dimanche du 27 août affichait-il une nouvelle baisse de popularité d’Emmanuel

Macron2 et le commentait en ces termes :

Selon notre baromètre Ifop-JDD, le chef de l’Etat perd 14 points en un mois : seuls 40%

des Français se déclarent satisfaits de son action, et 57% se déclarent mécontents (dont 20%

"très mécontents"). Cette chute très abrupte prolonge celle du mois dernier (—10 points en

juillet) pour aboutir à un effondrement de 24 points sans précédent : Jacques Chirac avait cédé

20 points entre mai et août 19953.

Un graphique, publié dans l’article de rappeler que, entre le mois de mai de l’élection et le mois

d’août suivant, soulignait que si la cote de popularité d’Emmanuel Macron se situait initialement (mai)

légèrement au-dessus de celle de François Hollande (62% vs 61%), le président actuel n’en recueillait plus

fin août que 40% contre 54% à son prédécesseur, Emmanuel Macron recueillant, comme on l’a vu, une

majorité d’opinions défavorables.

Vendredi 11 août 2017, un sondage précédent (Ifop/Le Figaro) annonçait une baisse redoutable de

la confiance exprimée par les Français4 :

«Il n'y a plus de trêve estivale et il n'y a pas d'état de grâce.» À la lecture des résultats de

son enquête, Jérôme Fourquet, le directeur du pôle opinion de l'IfOP, tire un bilan plutôt

alarmant des cent jours d'Emmanuel Macron, qui ne semble plus bénéficier de «la magie de sa

campagne». Si l'on compare sa cote de confiance à celle de ses prédécesseurs, les sujets de

préoccupation sont perceptibles. Un tiers seulement des Français (36 %) se disent

satisfaits de son action quand, à la même époque en 2012, 46 % l'étaient à l'égard

de celle de François Hollande5. Les perspectives sont également moins bonnes quand c'est

l'évolution de la situation qui est mesurée. 23 % des personnes interrogées estiment que le

pays évolue aujourd'hui plutôt dans le bon sens. Elles étaient 45 % en août 2007, trois mois

après l'élection de Nicolas Sarkozy.

2 Hervé Gattegno : « Exclusif. La popularité de Macron s’effondre encore : — 14 points » (baromètre Ifop/JDD), le Journal du dimanche, 27 août 2017. Voir en ligne [URL consultée le 27/8/2017] : http://www.lejdd.fr/politique/exclusif-la-popularite-de-macron-seffondre-encore-14-points-3419795.

3 Effet sans doute du hiatus entre une campagne présidentielle conduite sur le thème de la lutte contre la « fracture sociale » et la politique mise en œuvre ensuite par le gouvernement Juppé.

4 « Cent jour après, Emmanuel Macron confronté au scepticisme des Français », Jean-Baptiste Garat in le Figaro, 11/8/2017 : http://www.lefigaro.fr/politique/2017/08/11/01002-20170811ARTFIG00190-cent-jours-apres-macron-confronte-au-scepticisme-des-francais.php [URL consultée le 12/8/17]/

5 C’est nous qui soulignons.

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Après l’éreintement de François Hollande (en abominable franglais d’arrière cuisine : Hollande’s

bashing), l’éreintement continu d’Emmanuel Macron ? En tout état de cause, ce sondage là n’est pas le

premier (ni sans doute le dernier). Il s’inscrit dans une série d’enquêtes d’opinion. C’est par un précédent

sondage Ifop, réalisé celui-ci pour le Journal du dimanche et rendu public fin juillet, qu’a commencé le

bourdonnement (en franglais : faire le buzz).

Copie d’écran.

Quelques jours plus tard, la même information se retrouvait confortée par plusieurs sondages simi-

laires. Le 4 août 2017, le site du Journal du dimanche annonçait ainsi :

Popularité : Macron baisse dans tous les sondages.

INFOGRAPHIE - Les sondages se suivent et tous le confirment : la popularité d'Emmanuel

Macron est en nette baisse cet été. La tendance est même plus accentuée que lors du

quinquennat Hollande.

Source : http://www.lejdd.fr/politique/popularite-macron-dans-tous-les-sondages-3403931.

Pour preuve, le site affichait cette infographie :

Ce qui frappe, c’est l’aspect visuel : quasiment toutes les courbes sont toutes descendantes. En re-

vanche, il y a des variations selon les sondages. Dans les médias et chez ceux qui les utilisent (journalistes,

sondologues, politiques), on ne revient jamais sur ce qui peut expliciter les différences d’intensité dans la

variation ou les différences de niveau. Or cela représente jusqu’à une vingtaine de points tout de même !

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Le sondage est comme la note chiffrée sur une copie de philosophie : il présente une apparence de ratio-

nalité mathématisée, alors même que sa réalité est plus subjective, voire construite. On n’interroge donc

ni la pertinence et la cohérence de l’agrégat, ni la pertinence et la cohérence de chaque sondage particu-

lier6. On cède donc ainsi aisément à ce que le professeur Alain Garrigou nomme l’Ivresse des sondages7.

Interroger les sondages, c’est — comme il le faudrait pour toute donnée quantitative ou plutôt quan-

tifiée s’interroger sur leurs modalités de collecte, le volume et la qualité de leurs échantillons, les traite-

ments — et en particulier « rectifications » — apportés aux données brutes. Mais comment le faire dans

un sujet radio ou télé de trente secondes ou d’une minute ? On passe donc des résultats d’une enquête

dite « d’opinion » à ce que l’Opinion avec un grand O est censée penser. Au passage, on glisse sur le fait

qu’on impose aux sondés de se prononcer sur des questions qu’ils ne se posaient pas forcément, que, d’un

sondé à l’autre, le poids personnel de la question est très variable et, enfin, que les refus de réponse ne

sont pas pris en considération.

Dans l’agrégation de sondages reprise ci-dessus, les questions posées ne sont pas de même nature

selon les instituts.

Dans le cas du baromètre Ifop/JDD, le sondage est censé répondre à la question suivante :

Êtes-vous satisfait ou mécontent d’Emmanuel Macron comme Président de la République ?

Si l’on considère le baromètre TNS-Sofres/Le Figaro Magazine, la question est différente :

Faites-vous tout à fait confiance, plutôt confiance, plutôt pas confiance ou pas du tout

confiance à Emmanuel Macron pour résoudre les problèmes qui se posent en France

actuellement ?

Dans le premier cas (Ifop), c’est un sentiment au doigt mouillé qui peut découler aussi bien de la

manière dont le président de la République mène les affaires de l’État que de sa communication, de son

allure, voire d’échos people. Dans le second cas (TNS-Sofres), c’est sa capacité à résoudre les problèmes

« qui se posent en France » que l’on questionne. Autrement dit, c’est l’action publique, dont le président

de la République est le premier responsable, qui est mise en avant.

Le second questionnement n’est pas nécessairement plus fondé que le premier et réciproquement.

On pourrait imaginer qu’un électeur de Nicolas Sarkzoy, après son célèbre « Casse-toi, pauv’ con ! » aurait

pu s’estimer relativement mécontent auprès de l’Ifop (l’image présidentielle) mais relativement satisfait

auprès de TNS-Sofres par affinité sur le discours politique. Mais, en faisant cette remarque, nous mettons

surtout l’accent sur le fait que les agrégations de sondage, hors même les problèmes qu’ils posent « en

soi », constituent parfois des mélanges de torchons et de serviettes. Quand tous les sondages sont baissiers

ou haussiers, ce constat semble suffire. S’il y avait des contradictions (tenant à la fois à chaque question-

nement et à ses conditions matérielles de passation qui diffèrent d’un institut à l’autre), on n’en pourrait

pas tirer d’analyse.

Au demeurant, dans le cadre d’un même sondage, on peut répondre oui ou non pour des raisons

extrêmement diverses. Pour faire court, cela peut aller d’une réflexion personnelle approfondie sur le sujet

avant même le sondage jusqu’à un réponse par inadvertance sans omettre les fausses réponses volon-

taires. Peu importe : tout résultat « pèse » de la même manière. La véracité d’un sondage (c’est-à-dire sa

capacité à rendre compte du réel) est donc toute relative.

6 Il existe bien une Commission (officielle) des sondages et des mentions obligatoires, mais on glisse dessus comme un économiste néo-classique glisse rapidement sur les limites épistémologiques des éléments qui fondent ses jolies courbes mathématiques.

7 Alain Garrigou, Ivresse des sondages (l’), La Découverte, coll. « sur le vif », Paris, 2006. Alain Garrigou tient un blog, consacré notamment à ces questions sur le site du Monde diplomatique : « Régime d’opinion », https://blog.mondediplo.net/-Regime-d-opinion-. Il a fondé l’Observatoire des sondages : http://www.observatoire-des-sondages.org/ [URL consultées le 14/8/17].

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L’usage des sondages ne diminue pourtant pas, tant s’en faut. Chacun les critique mais, dans le

champ politique, chacun sait aussi les mobiliser quand ils sont défavorables à ses concurrents ou adver-

saires et, a fortiori, quand ils sont favorables à sa cause. Cela vaut pour les professionnels de la politique

(au sens non péjoratif du terme : c’est objectivement le cas des élus vivant de leurs indemnités, les nou-

veaux députés par exemple, quelle qu’ait été leur activité antérieure), mais aussi pour les militants : le

militant, étymologiquement miles d’où nous vient militaire, doit être un bon soldat. Quant aux médias, ils

sont eux même grands clients de sondeurs : le sondage est devenu — on l’a vu — une matière d’actualité.

Baisse de popularité, baisse de confiance : tous les résultats concernant Emmanuel Macron n’ont pas

eu l’amleur du sondage Ifop/JDD. La baisse des avis favorables dans le sondage TNS-Sofrès n’est que de

trois points (« confiance » : 57% en juin 2017, 54% en juillet) et la hausse de ceux qui n’ont pas « con-

fiance » n’est que d’un point (de 38% à 39%). C’est le signe « photographique » — même si la photo est

floue et son cadrage contestable — d’une dégradation de la position symbolique d’Emmanuel Macron

comme « homme de la Nation » selon la formule du général de Gaulle8.

Plus sans doute que la première annonce (la baisse spectaculaire de 10% dans le sondage Ifop/JDD),

c’est la concordance des sondages (voir l’article précité du Journal du dimanche, le 4 août dernier) qui

apparaît frappante. Mais les baisses ou les hausses de popularité « chez les Français », en tout cas dans

la présentation « synthétique » qui en fait généralement l’objet, concernent des Français atomisés : l’homo

sondagicus est aussi irréel que l’homo œconomicus de la théorie libérale qui lui a servi de modèle. Ces

Français virtuels sont désincarnés, considérés en dehors de toutes leurs relations et positions sociales. On

notera cependant que, dans les analyses par quotas, des distinctions moins grossières s’opèrent selon

l’âge, le genre ou la catégorie socio-professionnelle même si cela reste relativement imprécis.

Le miracle sondagier a pris quelques coups ces dernières années, et plus récemment en 2016 avec

l’élection de Donald J. Trump ou le Brexit. Les dernières élections françaises, lors du moment fatidique du

20 heures, ont pourtant permis, même avec des marges, d’anticiper le résultat final. Encore ne s’agit-il

pas sur une « opinion » de « popularité » mais sur le choix de personnes chargées d’incarner au sens

propre (de donner chair) à une fonction élective abstraite.

De ces mêmes sondages, nous même avons pourtant fait usage9 : la continuité d’une enquête dans le

temps nous a permis d’illustrer cette malédiction du quinquennat10 qui semble frapper, on le voit encore

aujourd’hui, les présidents de la République élus depuis 2002. Encore le sondage, reprenant en principe

la même méthodologie, a moins d’intérêt dans les valeurs « en soi » — discutables comme on l’a vu — que

dans ce que montrait leur utilisation comparées à trois présidents élus sous le régime du quinquennat

depuis 200211.

Sur une très courte période (juin-juillet), des comparaisons ont été effectuées entre la « popularité »

d’Emmanuel Macron et les présidents précédents élus sous le régime du quinquennat (Jacques Chirac en

8 «Le Président, qui, suivant notre Constitution, est l'homme de la nation, mis en place par elle […]est évidemment seul à détenir et à déléguer l'autorité de l'État » (Charles de Gaulle, conférence de presse du 31 janvier 1964).Voir la Digithèque de l’université de Perpignan [URL consultée le 8/8/17] : http://mjp.univ-perp.fr/textes/degaulle31011964.htm.

9 TNS-Sofres : cotes de popularité des présidents de la République et Premiers ministres depuis 1978 (actuel Baromètre TNS-Sofres/Figaro Magazine) : http://www.tns-sofres.com/cotes-de-popularites.

10 « La malédiction du quinquennat ou la descente sondagière des présidents », blog Étudiant sur le tard, 28 mars 2016 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/la-malediction-du-quinquennat/.

11 Antérieurement à 2002, le président était élu pour sept ans. Appliquée pour la première fois en 2002, la révision constitutionnelle de 2000 (passage au quinquennat présidentiel) s’est accompagnée d’une inversion de calendrier : les élections législatives ont été décalées postérieurement à l’élection présidentielle. La révision constitutionnelle du 2 octobre 2000 a été approuvée par référendum (c’est le seul cas de révision dans le cadre de l’article 89 où le vote des assemblées parlementaires a été suivi d’un référendum et non d’un vote final au Congrès statuant à la majorité des trois cinquièmes). Le quinquennat présidentiel renouvelable une seule fois a, quant à lui, été adopté lors de la révision constitutionnelle de 2008. L’inversion du calendrier a été opérée par la loi organique du 15 mai 2001 contenant cette simple phrase modifiant l’article LO 121 du Code électoral : « Les pouvoirs de l'Assemblée nationale expirent le troisième mardi de juin de la cinquième année qui suit son élection. »

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2002, Nicolas Sarkozy en 2007, François Hollande en 2012). On a fait apparaître que seul Jacques Chirac

avait connu une décrue plus importante (la rançon de la « fracture sociale », sans doute).

Observer et surtout commenter l’évolution d’un sondage (ou d’un agrégat sondagier) sur un ou deux

mois est sans doute « osé ». Pour qui a l’œil continûment rivé sur les sondages (d’où qu’il regarde : pouvoir,

partis, médias), c’est peut-être une alerte. C’est surtout une dérive propice à privilégier, à quelque empla-

cement qu’on se situe dans les champs politique et médiatique, les « coups de com », bref, à privilégier

l’écume du jour le jour sur le travail de fond.

Aucune comparaison ne tient si elle n’est pas au moins étayée dans la durée. Le cours des évènements

peut conduire à une poursuite de la baisse, une accélération de celle-ci ou, au contraire, à des évolutions

en dents de scie voire une remontée. Si Emmanuel Macron, au-delà de l’immédiat médiatique, regarde

vers 2022, rien n’empêche que, le moment venu, il soit en position de conquérir un second mandat en

fonction de ses adversaires et de leur programme. D’ici là, autant de sondages seront tombés que

d’averses pendant la mauvaise saison.

Plus aléatoires encore qu’un examen de l’évolution d’une courbe de popularité du premier au deu-

xième mois d’exercice présidentiel, les interprétations des résultats des sondages doivent être pesées avec

circonspection.

B) Les limites de l’analyse par les couacs

Les explications immédiates sont les plus tentantes. La baisse de popularité d’Emmanuel Macron

dans l’opinion a été imputée aux couacs intervenus depuis les élections législatives. Nous sommes désor-

mais bien loin de sa démarche au Louvre au soir du 7 mai 2017 (le discours de la victoire) et de son

discours jupitérien devant le Congrès12, la veille de la déclaration de politique générale du Premier mi-

nistre, le 3 juillet dernier.

Ces couacs sont d’intensité et d’importance variables. Ils ont touché l’Exécutif comme la nouvelle

majorité parlementaire. Départs imprévus du gouvernement en raison de révélations de presse (Richard

Ferrand, François Bayrou), erreurs (de débutants ?) commises par la nouvelle majorité parlementaire :

remous et polémiques autour de la constitution du Bureau de l’Assemblée nationale ; conduite parfois

cahotique des débats ; attitude crispée des députés La République en marche… À cela s’est ajouté, avant

et après le 14 juillet, le psychodrame entre le pouvoir exécutif et l’institution militaire et les accusations

de confusion entre autorité et autoritarisme après le limogeage du général de Villiers, chef d’état-major

des armées13 fort désarmé par des coupes budgétaires tout soudain décidées.

On saurait faire abstraction, dans cette période, des deux projets de loi qui ont retenu l’attention :

celui sur la moralisation de la vie politique et, surtout, le projet de loi habilitant le Gouvernement à modi-

fier par ordonnances le Code du travail. Sur ces deux sujets, il y a eu sans doute des couacs parlementaires

ou gouvernementaux, mais on peut difficilement faire abstraction de la perception du fond. Or, telle qu’elle

est résumée, ramassée dans des formules sommaires, l’« analyse par les couacs » les amalgame, comme

elle amalgame et réduit tout à la fois les thématiques et des sondés atomisés.

Il faut donc, dans l’analyse, introduire ou ré introduire le « social », c’est-à-dire le fait que les acteurs

ne sont justement pas interchangeables, qu’ils ont des propriétés sociales différentes (catégorie socio-

professionnelle, secteur d’emploi, âge, situation familiale, zone géographique de vie et d’activité, etc.)

mais aussi qu’ils s’inscrivent dans des réseaux (familiaux, personnels, professionnels) de connaissance et

d’influence, qu’ils manifestent (ou pas) des sympathies politiques différenciées, liées à leurs propriétés

sociales sans doute, mais sans détermination mécanique.

Les sondages TNS-Sofres sur l’appréciation de la capacité du chef de l’État à agir ne donnent pas,

dans leurs pages publiques, d’éléments sur ces questions. En revanche, les sondages réalisés par l’Ifop

12 Voir sur le blog Étudiant sur le tard(http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/) : « Macron à Versailles ou l’acte de décès de la fiction parlementaire » (27/6/2017) et « Le Premier ministre, Édouard Philippe: un moderne vice-président du Conseil ? » (8/7/2017).

13 Un article est en préparation sur ce point.

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pour le Journal du dimanche fournissent des indications, même s’il s’agit encore de regroupements. Dans

l’analyse que l’Ifop tirait de son sondage de juillet, on voyait que les « premières victimes » des décisions

gouvernementales avaient « sanctionné » le chef de l’État, mais que son attitude jupitérienne face au

général de Villiers avait compté. Les sondologues ne se sont donc pas arrêtés aux couacs.

Une analyse plus fine montre que la baisse est particulièrement prononcée parmi les salariés du

public (—18 points). C’est peu étonnant tant cette catégorie — qui concerne quand même cinq millions de

salariés et leurs familles — peut avoir le sentiment d’être une cible, mal aimée d’un nouveau pouvoir qui,

en même temps qu’il sacralise les start-up, semble lui réserver un traitement punitif systématique : gel du

point d’indice des fonctionnaires, coupes dans les budgets ministériels, retour du jour de carence. On note

également un recul de 14 points parmi les 50-64 ans et de 11 points parmi les 65 ans et plus, en invoquant

la hausse de la CSG.

Si l’on observe les sympathies politiques affichées (elles relèvent du déclaratif), on constate que les

réponses à la question « Êtes-vous satisfait ou mécontent d’Emmanuel Macron comme président de la

République ? » connaissent des écarts bien plus importants qu’une moyenne qui les étouffe, mais aussi

des variations qui peuvent augurer d’évolutions à venir. Ces données sont présentées par transposition

d’un axe électoral traditionnel gauche/droite (de La France insoumise au Front national). Nous en avons

repris les éléments dans le tableau qui suit par ordre décroissant à partir des opinions les plus favorables

au président de la République14.

Sondage popularité Ifop, juillet 2017 : résultats par sympathies politiques déclarées

Satisfaits et plutôt satisfaits Mécontents et plutôt mécontents

07/17 06/17 Écart 07/17 06/17 Écart

LREM 95 96 -01 03 03 00

UDI 70 77 -07 27 21 06

PS 66 78 -12 30 20 10

Modem 64 89 -25 31 10 21

EELV 62 65 -03 33 27 06

LR 52 63 -11 45 34 11

LFI 31 37 -06 67 55 12

FN 27 28 -01 71 70 01

Ensemble des sondés*

54 64 -10 43 35 08

* L’« ensemble » correspond à la totalité des sondés (qu'ils aient exprimé ou non une sympathie politique). Il ne cor-respond donc pas à une moyenne pondérée des expressions liées à une sympathie politique déclarée.

LECTURE : En juillet 1997, 95 % des personnnes ayant déclaré une sympathie pour LREM étaient satisfaits ou plutôt satisfaits de l'action d'Emmanuel Macron comme président de la République, contre 96 % en juin 2017, soit une baisse de 1 % en un mois.

SOURCE : sontage Ifop/JDD (juillet 2017). Résultats accessibles à l'URL [consultée le 8/8/17] : http://www.Ifop.com/?option=com_publication&type=poll&id=3821.

Toujours selon ce même sondage, les deux grands blocs d’opinion n’ont pas changé. Les avis (selon

les opinions, et non les appartenances, déclarées) restent majoritairement « satisfaits ou plutôt satisfaits »

chez les sondés LREM (le noyau dur, qui ne subit qu’un effritement léger) et ceux des partis de gouverne-

ment traditionnels auxquels s’ajoutent les sympathisants Europe-Écologie-Les Verts. Il y a un décrochage

14 Par souci de simplification, nous avons également écarté les « sans opinion » dont les variations peuvent exprimer soit un glissement d’une opinion favorable à l’abstention ou d’une abstention à une opinion défavorables (les deux phénomènes pouvant se cumuler). On notera que les sympathies communistes ne sont plus exprimées, soit qu’elles soient statistiquement jugées non significatives, soit que LFI leur ait été substitué dans ce segment.

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chez les sympathisants Modem — alors que c’est l’autre composante officielle de la majorité présidentielle

et parlementaire — qui peut être conjoncturel et lié à l’éviction du gouvernement de François Bayrou et

Sylvie Goulard. On ne voit pas ce qui peut en effet, sociologiquement ou politiquement, les différencier

par exemple des sympathisants UDI.

À l’opposé des avis « satisfaits ou plutôt satisfaits », le bloc des « majoritairement mécontents ou

plutôt mécontents » regroupe les deux formations qui, à tort ou à raison, sont apparues comme « antisys-

tème » : la France insoumise et le Front national dont l’opposition apparaît un peu plus marquée. Il se

trouve encore près d’un quart des sympathisants FN et près d’un tiers des sympathisants LFI pour expri-

mer une appréciation plutôt positive sur Emmanuel Macron. Si pour le FN, l’opposition est constante,

dans le cas de La France insoumise, le nombre des plutôt mécontents s’est accru, par changement à peu

près à égalité des « sans opinion » et des « satisfaits ou plutôt satisfaits ».

Les évolutions des sympathisants déclarés Les Républicains et des sympathisants déclarés PS sont

comparables : baisse des avis « satisfaits ou plutôt satisfaits » de 11 et 12 points ; hausse des avis « mé-

contents ou plutôt mécontents » de 10 et 9 points. Mais on notera, d’une part, que les niveaux étaient

différents (en juillet : 52% d’opinions plutôt « satisfaites » chez les sympathisants déclarés LR contre 66%

pour les sympathisants déclarés PS). Mais, tant s’en faut, les raisons peuvent en être très différentes15.

L’élément le plus « significatif » qu’on puisse tirer de ces données (les guillemets à significatif ne

sont pas superflus) est que le noyau dur des sympathisants autodéclarés d’Emmanuel Macron, un mois

après les élections législatives, lui reste massivement fidèle. Une telle absence de variation ne se constate

qu’au Front national, où, s’agissant d’Emmanuel Macron, l’adhésion est la plus faible et l’opposition la

plus manifeste. Autrement dit, à ce stade (c’est une courte période, ne l’oublions pas), les inconditionnels

« pour » ou « contre » le président de la République restent campés sur leurs positions respectives. Ail-

leurs, sans que la majorité ait — déjà — basculé, les positions de soutien s’effritent à proportion de la

montée des mécontentements ou, simplement, de la fin d’un climat plus favorable, mais si fragile, qui suit

l’élection. On pouvait sans doute tenir ce raisonnement sans sondage(s).

Si l’on reprend le graphique du sondage TNS-Sofres (baromètre Figaro Magazine) pour les deux

premières années de mandat des présidents « quinquennaux », le premier moment où les expressions « ne

font (plutôt) pas confiance » l’emportent sur « font (plutôt) confiance » s’est progressivement accéléré :

15 mois pour Jacques Chirac (élection en mai 2002, bascule en septembre 2003), 8 mois pour Nicolas

Sarkozy (élection en mai 2007, bascule en février 2008), 4 mois pour François Hollande (élection en mai

2012, bascule en octobre 201216. Il y a sans doute une dimension « équation personnelle » (y compris la

perception de l’écart entre les promesses et les mesures prises), mais cela peut traduire aussi un effet

« emballement du système » (la décrédibilisation progressive de la toute puissance institutionnelle des

présidents de la République).

15 Pour prendre un exemple particulier, l’électorat LR, plus âgé, est sans doute plus sensible à la hausse annoncée de la CSG.

16 Voir « La malédiction du quinquennat », blog Étudiant sur le tard, mars 2016. Le graphique comparatif est tiré de cette page : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/la-malediction-du-quinquennat/.

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À la question « Faites-vous tout à fait confiance, plutôt confiance, plutôt pas confiance ou pas du tout

confiance à Emmanuel Macron pour résoudre les problèmes qui se posent en France actuellement ? », le

même baromètre donne encore 54% de « confiance » contre 39% de « pas confiance » (juillet 2017). Pour

le même mois de la première année de mandat (les élections étant placées relativement dans la même

période), Nicolas Sarkozy bénéficiait encore de 65% (contre 31%) et François Hollande de 55% (contre

39%). Les deux précédents présidents avaient un résultat identique ou quasi identique à leur premier

résultat après élection17.

Toute la question est donc celle des dynamiques possibles. On ne peut l’évoquer sérieusement qu’en

écartant les projections sondagières. Ce qu’il faut prendre en considération le capital politique dont dis-

posent effectivement le président de la République et par voie de conséquence son gouvernement et sa

majorité, avant même d’aborder la question de leur action.

II. Poids institutionnel et capital politique réel : l’équation Macron

L’irruption brutale de La France en marche dans le champ politique a fait de l’année 2017 celle d’une

rupture violente avec le système bipolaire ancien et les formations politiques qui l’incarnaient (singuliè-

rement le Parti socialiste et Les Républicains)18.

Si les élections de 2017 ont été marquées par une abstention record, singulièrement lors des élec-

tions législatives, celle-ci a frappé plus fortement les organisations « exclusives » que sont La France

insoumise et le Front national et l’abstention asymétrique a d’autant plus bénéficié à La République en

marche19 que les règles de maintien au second tour en ont souvent exclu les autres candidats de partis de

gouvernement, notamment les socialistes20.

Emmanuel Macron s’appuie donc sur une majorité parlementaire large. Le seul groupe LREM dispose

à lui seul de la majorité absolue au sein de l’Assemblée nationale21, sans compter le groupe Modem qui

appartient à la majorité présidentielle et les Constructifs issus de l’UDI et des marges de LR. Le gouver-

17 Le même sondage donne, pour Emmanuel Macron, 3 points d’avis « confiants » en moins et un point d’avis « non confiants » en plus. Au point de départ (mai-juin), Emmanuel Macron était légèrement au-dessus de François Hollande à la même époque, mais nettement en dessous de Nicolas Sarkozy.

18 Voir « 2017, l’année de la disruption politique ? », blog Étudiant sur le tard, 14 juin 2017 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/2017-lannee-de-la-disruption-politique/.

19 Par « organisations exclusives », nous entendons par là celles qui manifestaient à la fois l’opposition la plus forte à Emmanuel Macron (le FN parce qu’il était présent au second tour de la présidentielle, LFI avec un mot d’ordre ambigu n’appelant pas à voter pour le candidat « non FN ») et qui ne s’inscrivaient pas dans un processus d’alliance avec d’autres forces politiques, sinon dans un cadre asymétrique ne remettant pas en cause leur volonté hégémonique de représenter « le peuple ». Voir « Les leçons contradictoires de l’abstention », blog Étudiant sur le tard, 19 juin 2017 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/les-lecons-contradictoires-de-labsention/.

20 Pour éviter la démultiplication des candidatures, et au passage renforcer la légitimité des élus, le Code électorat impose d’avoir obtenu les suffrages de 15% des inscrits (et pas seulement des votants ou des exprimés) pour pouvoir se maintenir au second tour, étant entendu qu’un minimum de deux candidatures sont présentes au second tour, sauf désistement d’un candidat éligible. Avec une forte abstention, l’exercice devient difficile : on aura noté d’ailleurs que les triangulaires ont été rarissimes lors des élections législatives de juin 2017.

21 Au 24 juillet 2017, le groupe LREM à l’Assemblée nationale comptait 310 membres et 4 « apparentés » (sur les 577 députés que compte l’Assemblée nationale) ; le groupe Modem, 43 membre et 4 « apparentés » ; le groupe « les Constructifs », 34 membres et un apparenté. Les groupes d’opposition sont par ordre décroissant le groupe LR (95 membres et 5 « apparentés »), le groupe Nouvelle Gauche (28 membres , notamment PS, et 3 « apparentés »), le groupe la France insoumise (17 membres) et le groupe Gauche démocratique et républicaine (16 membres, notamment PC ou élus de l’outre-mer). S’y ajoutent 17 députés « non inscrits » (dont les députés FN, insuffisamment nombreux pour constituer un groupe parlementaire). Source : site de l’Assemblée nationale [URL consultée le 12/8/17) : http://www2.assemblee-nationale.fr/instances/liste/groupes_politiques/effectif.

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nement est « à la main » du chef de l’État, a fortiori parce que son chef nominal, Édouard Philippe, trans-

fuge de LR, n’a pas de base politique propre. est dépendant de lui22. Au Sénat, un groupe LREM s’est

même spontanément ou opportunément créé puisque le Sénat doit être renouvelé pour moitié en sep-

tembre prochain23. Le président de la République dispose donc des moyens de gouverner. Si le Sénat a

une majorité officiellement d’opposition, il ne se montre guère vindicatif pour l’instant et, s’agissant des

lois ordinaires, ne dispose pas d’un pouvoir de blocage, l’Assemblée nationale pouvant avoir sur décision

du gouvernement, le dernier mot en 3e lecture24.

Nous avons suffisamment insisté sur les effets démultiplicateurs du scrutin législatif uninominal à

deux tours pour ne pas le retenir comme base de calcul. LREM a obtenu 308 sièges à l’Assemblée nationale

en ayant obtenu 6,4 millions de voix au premier tour (28% des exprimés mais 13,5% seulement des ins-

crits)25. Au second tour, en bénéficiant de désistements (notamment face au FN), LREM a obtenu La Ré-

publique en marche a obtenu un nombre légèrement supérieur de voix (7,8 millions), soit 43% des expri-

més mais 16,55% des inscrits. Ce succès découle de la logique institutionnelle de la Ve République26. En

effet, dans le régime présidentialiste que connaît la Ve République — phénomène accentué après la révi-

sion constitutionnelle de 2000 (quinquennat présidentiel) —, c’est du président de la République que pro-

cèdent le gouvernement et, de facto, une majorité parlementaire élue sur son nom. Majeure depuis 1965,

l’élection présidentielle est devenue l’élection mère depuis 2002.

A) Les seconds tours présidentiels depuis 1965

Revenons d’abord sur les résultats officiels du deuxième tour de l’élection présidentielle

depuis l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel en 196227. Il est utile, même

si nous nous intéressons essentiellement au quinquennat, d’avoir une vue d’ensemble sur une période

longue.

22 Voir : « Le Premier ministre, Édouard Philippe : un moderne vice-président du Conseil ? », blog Étudiant sur le tard, 8/7/2017 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/le-premier-ministre-vice-president-du-conseil/.

23 Le renouvellement partiel du Sénat interviendra fin septembre 2017 : les sénateurs sont depuis 2011 élus pour six ans (au lieu de neuf antérieurement) et renouvelés par moitié (le tiers antérieurement) tous les trois ans. Les membres du nouveau groupe LREM ont été pour l’essentiel initialement élus (parfois depuis longtemps) sous des étiquettes « gauche de gouvernement » ou centristes. Son président, François Patriat, a notamment été président (PS) de la région Bourgogne. LREM n’existait pas lors du précédent renouvellement sénatorial ni lors des élections locales intervenues depuis : or c’est des élus locaux que sont issus les grands électeurs sénatoriaux, mais, dans les départements ruraux, les élus « sans étiquette » sont nombreux et, ici ou là, le basculement d’un « baron local » vers LREM entraîne à sa suite celui de ses réseaux.

24 Le Sénat ne dispose d’un pouvoir de blocage que pour les lois organiques le concernant exclusivement.

25 Sources [URL consultée le 9/8/17] : 1) résultats des élections sur le site du ministère de l’Intérieur : https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats ; 2) La Documentation française, « Les élections présidentielles sous la Ve République » : http://www.ladocumentationfrancaise.fr/dossiers/d000069-les-elections-presidentielles-sous-la-ve-republique.

26 Voir « Quelle majorité parlementaire pour un président nouvellement élu ? » — et notamment la note jointe téléchargeable au format PDF —, blog Étudiant sur le tard, 29/5/17 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/quelle-majorite-pour-macron/.

27 En 1958, Charles de Gaulle avait été élu par un collège de 81 764 « grands électeurs ».

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Second tour des dix élections présidentielles depuis 1965 régime Année Candidat élu (R : réélu) % exprimés % inscrits rang

(inscrits) Candidat battu

septennat 1965 de GAULLE (R) 55 % 45,3 % 2e F. Mitterrand septennat 1969 POMPIDOU28 58 % 37,5 % 10e Alain Poher septennat 1974 GISCARD D’ESTAING 51 % 43,8 % 3e F. Mitterrand septennat 1981 MITTERRAND29 52 % 43,2 % 6e V. Giscard d’E. septennat 1988 MITTERRAND (R) 54 % 43,8 % 4e J. Chirac septennat 1995 CHIRAC 53 % 39,4 % 8e L. Jospin

quinquennat 2002 CHIRAC (R) 82 % 62,0 % 1er J.-M. Le Pen quinquennat 2007 SARKOZY 53 % 42,7 % 7e S. Royal quinquennat 2012 HOLLANDE 52 % 39,1 % 9e N. Sarkozy quinquennat 2017 MACRON 66 % 43,6 % 5e M. Le Pen Résultats arrondis à l’unité pour les exprimés, à une décimale pour les inscrits. Le rang de chaque président relativement au pourcentage par rapport aux inscrits est indiqué par ordre décroissant (1 : meilleure pourcentage). Sources : ministère de l’Inté-

rieur ; la Documentation française30. Après les pourcentages, nous indiquons le rang par ordre décroissant (en tenant compte des décimales. LECTURE : En 1965, le général de Gaulle a été élu président au second tour avec 55% des suffrages exprimés représentant 45,3% des inscrits. Sur l’ensemble des présidents de la République élus au suffrage universel direct sous la Ve République, il se place au deuxième rang si l’on tient compte de ses résultats par rapport aux électeurs inscrits. Son opposant battu au 2e tour était François Mitterrand.

Dix présidents de la République ont été élus au suffrage universel direct depuis qu’il a été instauré

en 1962 et appliqué en 1965. Six d’entre eux ont été élus pour sept ans, quatre pour cinq ans (depuis

2002). Parmi les six présidents élus pour un septennat, deux mandats ont été interrompus avant terme :

celui de Charles de Gaulle en 1969 (démission) et celui de Georges Pompidou en 1974 (décès).

Dans un scrutin qui, constitutionnellement, ne peut opposer que deux candidats au second tour, les

résultats en exprimés tiennent à l’histoire particulière de chaque scrutin, aux rapports de force politiques

et sociaux, à la manière aussi dont la compétition s’est déroulée au premier tour et dont les différents

candidats se sont positionnés. Cela a pu influer, bien entendu, sur la participation, et donc le pourcentage

de voix obtenues par rapport aux inscrits. Un seul président de la République a obtenu la majorité

absolue des inscrits, mais dans un contexte très particulier : l’élection de 2002 qui a opposé

Jacques Chirac à Jean-Marie Le Pen. Si l’on considère le résultat du premier tour, la qualification de

Jacques Chirac s’est jouée à peu en termes d’exprimés au premier tour : 19,9 % contre 16, 9 % à Jean-

Marie Le Pen. Le Premier ministre de cohabitation sortant, Lionel Jospin (PS) avait été éliminé avec 16,2%

en raison — en dehors des éléments liés à sa personnalité, son action et sa propre campagne — d’une forte

dispersion des voix à gauche31

Il y a bien eu un effet « barrage au FN » que l’on constate dans le score du vainqueur au second tour

par rapport aux exprimés (les deux meilleurs résultats sont ceux de Jacques Chirac et d’Emmanuel Ma-

cron), moins par rapport aux inscrits. Le meilleur résultat est celui de Jacques Chirac en 2002 (62% des

inscrits, ce qui est exceptionnel dans l’ensemble), mais cette configuration particulière explique sans nul

doute, outre le bon résultat « net » (exprimés) d’Emmanuel Macron en 2017, son niveau global (5e rang)

alors que la participation est régulièrement en baisse.

28 Élu après la démission de Charles de Gaulle (échec du référendum de 27 avril 1969), le président Pompidou est décédé en avril 1974, avant le terme de son mandat (théoriquement 1976) des suites d’une longue maladie.

29 C’est la première élection présidentielle qui suit l’abaissement de la majorité de 21 à 18 ans, votée par le Parlement sur l’initiative de Valéry Giscard d’Estaing après son élection.

30 Voir la page des résultats électoraux sur le site du ministère de l’Intérieur |URL consultée le 9/8/17] : https://www.interieur.gouv.fr/Elections/Les-resultats.

31 Jean-Pierre Chevènement (Mouvement des citoyens), Noël Mamère (Les Verts), Robert Hue (PCF) et Christiane Taubira (Radicaux de gauche) obtenaient respectivement 5,3%, 5,2%, 3,4% et 2,3%. Un duel Chirac / Jospin eût été incertain, un duel Jospin/Le Pen aurait été gagné par le socialiste. La ventilation à gauche aurait permis à Lionel Jospin d’opérer un rassemblement au second tour : encore fallait-il être qualifié. En 1995, Lionel Jospin avait obtenu 23,3% des exprimés au premier tour, ce qui l’avait qualifié face à Jacques Chirac.

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Cet effet « barrage » a moins joué en 2017 qu’en 2002. En 2002, il y avait (hors FN) unanimisme ; en

2017, il y a eu pour le moins des ambiguïtés32. Après l’élection de 2002, face au Front national ou pas, les

présidents de la République ont été élus à moins de la moitié des électeurs inscrits. Dans les duels oppo-

sant des candidats issus de ce qu’on nomme ou nommait les « partis de gouvernement » (UMP/LR, PS),

les résultats étaient relativement serrés même si la victoire était suffisamment nette33.

Le second tour de la présidentielle a des effets démultiplicateurs. Cela tient d’abord au fait que, quels

que soient le nombre des voix obtenus par les différents candidats et leurs écarts, deux candidatures et

deux seulement sont retenues pour la phase finale de la compétition34. Le souci du constituant de 1958

était bien d’éviter les procès en légitimité. On peut avoir été battu d’une encolure comme disent les tur-

fistes ou d’une courte tête en athlétisme, c’est ainsi. On connaît la formule prêtée jadis au socialiste SFIO

Bracke-Desrousseaux pour justifier le désistement républicain : « au premier tour, on choisit ; au second,

on élimine ». Par définition, le vote de second tour va au-delà des choix positifs.

B) La participation

La participation à l’élection présidentielle peut s’analyser de plusieurs manières. Il y a des inscrits

mais aussi des non-inscrits (radiations, par exemple, à la suite d’un déménagement sans que l’intéressé

se soit réinscrit dans sa nouvelle commune). Dans certains cas, ces non-inscriptions sont un choix et pas

seulement un renoncement passif. Il y a des inscrits qui viennent voter et ceux qui ne se déplacent pas.

La pression sociale peut jouer, notamment sur les élections jugées importantes : c’est le cas d’élection

présidentielle mais aussi des municipales (effet de proximité). Parmi ceux qui votent, il y a ceux qui choi-

sissent un candidat et ceux qui votent blanc ou nul, parfois dès le premier tour même s’il y a pléthore de

candidatures (parfois à cause d’elle).

Pour mesurer la participation sans alourdir l’étude, nous avons repris, de 1965 à 2017, le rapport

entre les suffrages exprimés (les votes sur un candidat, déduction faite des nuls et blancs) et le nombre

d’électeurs inscrits. Le choix se discute (on aurait pu comparer les votants aux inscrits). Inversement,

pourquoi inclure les abstentionnistes « actifs » (ceux qui votent sans choisir un candidat parmi ceux pro-

posés) par rapport aux abstentionnistes « passifs » (qui ne se déplacent pas, quelle qu’en soit la raison) ?

Les « non-inscrits » constituant une « zone grise », nous avons préféré ne pas y faire référence par com-

modité.

32 La France insoumise avait appelé à ne pas voter Marine Le Pen, sans exclure l’abstention ou le vote blanc. Les Républicains avaient été également divisés, certains appelant explicitement à voter Macron au 2e tour, d’autres à ne pas voter Le Pen comme le député des Alpes-Maritimes Éric Ciotti qui a publiquement revendiqué son vote blanc. Sur les débats au sein de LR, voir cette archive du Lab politique Europe 1 : « Présidentielle : sitôt adoptée (sans vote), la position de LR pour le 2nd tour fracture le parti », Étienne Baldit, 24/4/17 [URL consultée le 16/8/18] ! http://lelab.europe1.fr/presidentielle-sitot-adoptee-sans-vote-la-position-de-lr-pour-le-2nd-tour-divise-le-parti-3310514.

33 Le 10 mai 1981, François Mitterrand a été élu face à Valéry Giscard d’Estaing avec 51,8 % des suffrages contre 48,2 % à son adversaire. Il n’avait obtenu que 43,2 % des suffrages des inscrits dans une élection très clivante alors. On rappellera que de Gaulle en 1965 avait recueilli des inscrits face à François Mitterrand (en 1958, le Général avait été élu par un collège de grands électeurs). En 1969, Georges Pompidou avait recueilli des inscrits face au président du Sénat Alain Poher (mais il y avait le mot d’ordre du PC appelant à l’abstention : « blanc bonnet et bonnet blanc »). En 1974, opposé pour la première

34 Par parallélisme de formes ou par analogie, ce fut le cas aussi en 2017 pour les primaires EELV, LR et Belle Alliance populaire. C’était le principe retenu en 1995, 2007 et 2012 pour les primaires socialistes (en 2007, Ségolène Royal remporta la primaire de son camp au premier tour).

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Les données sont les suivantes :

Taux de participation à l’élection présidentielle (1965-2017)

% des exprimés (votants — nuls et blancs) par rapport aux inscrits

1965 1969 1974 1981 1988 1995 2002 2007 2012 2017

1er

tour 83,9 76,6 83,5 79,8 79,7 76,2 69,2 82,6 78,0 75,8

2e

tour 82,0 64,4 86,1 83,4 84,0 74,9 75,4 80,4 75,7 66,0

LECTURE : En 1965, les votes réellement exprimés représentaient respectivement 83,0% et 82% des inscrits au premier et au

second tour de l’élection présidentielle. Sources : voir tableau p. 11.

L’élection de 1969 a longtemps été considérée comme un cas particulier. Au second tour, les candi-

dats de gauche avaient été éliminés et le scrutin opposait Georges Pompidou et le centriste Alain Poher,

président du Sénat qui avait assumé l’intérim présidentiel du général de Gaulle, démissionnaire. On con-

naît la fameuse formule du candidat communiste Jacques Duclos (arrivé 3e) : « Pompidou et Poher, c’est

blanc bonnet et bonnet blanc ». L’abstention comme les votes blancs ou nuls furent particulièrement nom-

breux. Mais c’est à peu de choses près ce que l’on trouve en 2017. Une visualisation graphique du

tableau précédent permet de mesurer l’évolution du phénomène.

Naturellement, toute vue est subjective. Celle-ci, du fait d’une échelle réduite (de 60 à 90% de parti-

cipation au sens de pourcentage des exprimés par rapport aux inscrits), accentue les phénomènes de

différenciation. Les enjeux de la lutte politique du moment expliquent des pics au 1er tour (2002, 2007)

ou au second (à la baisse en 1969, à la hausse en 2007). Il n’en demeure pas moins que ce gros plan

semble traduire une tendance plutôt baissière.

Considérons maintenant ces évolutions en respectant l’échelle (au gros plan, nous préférons ici un

plan arrière).

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Ce graphique permet sans doute de mieux visualiser la tendance baissière, mais en indique aussi les

limites35. Il montre que les décrochages au second tour (1969, 2017), au-delà des effets classiques mais

limités de « démobilisation/remobilisation » (voir la période 1974-1995), sont liés à un sentiment de non

concordance de l’offre : en 1969 comme en 2017, les gauches ont été éliminées au premier tour36.

Pour autant, quelles que soient les motivations de ceux qui ne votent pas ou n’émettent pas un vote

« exprimé », ce sont bel et bien les élections qui formulent un choix positif qui font l’élection, d’abord en

permettant (ou pas) à leur candidat de participer à la finale, puis de l’emporter au second tour avec la

garantie constitutionnelle d’être élu avec une majorité de suffrages exprimés : c’est d’ailleurs le chiffre

qui s’affiche au « 20 heures », le chiffre qui compte.

C) Choisir un président sous le quinquennat

Nous définissons le « choix positif d’un électeur » comme le fait d’aller voter, de ne pas voter nul ou

blanc, et donc de s’exprimer sur une candidature précise parmi celles qui sont légalement recevables. Ce

choix-là s’exprime essentiellement au premier tour, lorsque l’offre politique est la plus nombreuse, la plus

diverse, la plus variée à des degrés divers. C’est bien le premier tour qu’il faut considérer parce que là est

le véritable socle électoral de la personne élue à la présidence de la République qui, en cette qualité, va

de jure ou de facto disposer des leviers du pouvoir.

C’est d’autant plus significatif avec l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 : novice transgresseur

dans le champ politique, il n’était pas le candidat d’un parti organisé, structuré, avec des implantations

locales et un réseau préexistant d’élus et de militants. De fait l’élection du président de la République a

entraîné celle d’une Assemblée nationale à la composition inédite.

Au premier tour de l’élection présidentielle, le 23 avril 2017, les candidats ayant obtenu au moins 5%

des exprimés avaient les résultats suivants :

Voix % Exprimés % Inscrits

Emmanuel MACRON 8 656 346 24,01 18,19

Marine LE PEN 7 678 491 21,30 16,14

François FILLON 7 212 995 20,01 15,16

Jean-Luc MÉLENCHON 7 059 951 19,58 14,84

Benoît HAMON 2 291 288 6,36 4,82

Le socle électoral d’Emmanuel Macron représente 8,6 millions d’électeurs, soit un peu moins d’un

quart des exprimés et moins du cinquième des inscrits. On peut comparer ses « performances » avec celles

de ses prédécesseurs élus comme lui pour un mandat de cinq ans37.

35 Nous avons réalisé ce graphique, comme le précédent, à partir du tableau de données « Taux de participation à l’élection présidentielle (1965-2017) » (voir p. 11) que nous avons construit.

36 On ne manquera pas d’inciter le lecteur à être prudent, réservé et même méfiant face aux chiffres qu’on assène. C’est encore plus vrai pour les graphiques et infographie dont l’angle, l’infographie, l’orientation parfois (dans un « camembert ») endort la vigilance. Ce n’est pas toujours par malice : expliquer visuellement impose de faire des choix de présentation, de même qu’un réalisateur de cinéma ou de télévision comme un photographe ne choisissent par leurs cadrages au hasard. Il ne s’agit pas, dans la furie complotiste ambiante de dire « tout est trucage », il s’agit simplement d’être un lecteur, spectateur, auditeur conscient autant qu’il est possible.

37 Nous utilisons toujours la même source. Voir la note ; la Documentation française3030, p. 10.

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Élec-

tion 1er tour

Inscrits

(mil-

lions)

Voix

(millions) % Exprimés

« Rang »

exprimés % Ins-

crits

« Rang »

inscrits

2017 Emmanuel MACRON 47,6 m. 8,7 m. 24,0 % 3e 18,2 % 3e

2012 François HOLLANDE 46,0 m. 10,3 m. 28,6 % 2e 22,3 % 2e

2007 Nicolas SARKOZY 44,5 m. 11,4 m. 31,2 % 1er 25,7 % 1er

2002 Jacques CHIRAC 41,2 m. 5,7 m. 19,9 % 4e 11,7 % 4e

LECTURE : en 2017, avec 8,7 millions de voix, Emmanuel Macron a obtenu 24% des suffrages exprimé (3e meilleur résultat depuis

l’instauration du quinquennat présidentiel), soit 18,2% des inscrits (3e meilleur résultat également depuis 2002).

En partant d’une base électorale (« choix positif au premier tour ») plus forte qu’Emmanuel Macron,

ses deux prédécesseurs immédiats (F. Hollande, N. Sarkozy) ont connu des difficultés qui se sont traduites

par leurs échecs aux élections locales, une contestation progressive de leur autorité dans leur propre

camp (cela avait été aussi le cas pour Jacques Chirac), puis une défaite dans un cas (Nicolas Sarkozy,

2012) et un renoncement contraint à se représenter dans l’autre (François Hollande, 2017)38.

Les voix de second tour ne sont pas des voix « pérennes ». Elles correspondent, d’une part, à un

électorat qui se reporte au mieux ou au « moins mauvais » quand il ne s’abstient pas, et, d’autre part, à

un électorat flottant qui se prononce en fonction des candidatures effectivement présentes et des théma-

tiques qui font l’objet de débat avant un scrutin proprement dit. Si l’on considère les résultats du premier

tour, l’accès à la deuxième place qualificative s’est jouée entre trois candidats (Marine Le Pen, François

Fillon, Jean-Luc Mélenchon) dans une fourchette de moins de 620 000 voix (1,3% des exprimés). Malgré

les « affaires », l’écart entre François Fillon et Marine Le Pen était inférieur à 1% des exprimés et nul ne

peut dire ce qui eût résulté dans changement de candidature chez Les Républicains.

Pour autant que la comparaison ait du sens, si l’on veut revenir aux sondages, on constatera que,

même avec la baisse de confiance à 36% du sondage Ifop/Le Figaro du 12 août, Emmanuel Macron se

situe au-dessus de son socle électoral par rapport aux inscrits. Mais on notera en retour que, de manière

durable, Nicolas Sarkozy puis François Hollande sont descendus en deçà de ce socle dans les sondages.

Nous comparerons avec les données accessibles dans la continuité avec le sondage TNS-Sofrès/Fi-

garo Magazine (ce sont pas des exemples, mais des illustrations qu’il convient de relativiser considérable-

ment : elles illustrent simplement le caractère très « liquide » du capital politique). Rappelons que la

question est : « Faites-vous confiance à N*** pour résoudre les problèmes qui se posent en France actuel-

lement ? »39.

Présidents socle électoral

de 1er tour (% des inscrits)

Baromètre TNS Sofrès / Figaro Magazine

juin, an I de la présidence

« Bascule » au plus près

du chiffre du socle de premier tour

« Confiance » en fin de mandat

N. SARKOZY 2007 26 % 63 % 2 ans 3 mois

(juillet 2010 : 26 %) 37 %40

F. HOLLANDE 2012 22 % 55,0 % 1 an 7 mois

(nov. 2013 : 21%) 14 %

E. MACRON 2017 18 % 57 % — —

38 En 2002, Jacques Chirac était dans son deuxième mandat et avait annoncé que c’était le dernier, même si aucune limitation ne lui était alors opposable (c’est chose faite depuis 2008, avec deux mandats consécutifs au maximum). Un troisième théoriquement ne serait possible qu’après une interruption.

39 La « comparaison » (qui n’est pas raison) est faite avec les inscrits dans la mesure où les sondés peuvent avoir voté comme s’être abstenu de diverse manière (sans compter ceux qui ne sont pas inscrits sur les listes électorales, parfois volontairement). Nous utilisons à l’unité (point) la plus proche (même arrondi que les sondages accessibles).

40 À partir de juillet 2010, la cote de Nicolas Sarkozy a connu des hauts et des bas avec une chute à 24% jusqu’en novembre 2011 et une remontée ensuite, liée sans doute à sa participations à l’élection de 2012… où il a recueilli 21% des voix des inscrits au 1er tour (27% des exprimés) ce qui en dit long sur l’écart entre les « cotes » et les votes !

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On ne peut plaquer les résultats du dernier sondage Ifop sur ceux du Baromètre TNS Sofres en raison

des écarts de mesure. On se gardera de toute interprétation (cf. note 3040) Il y a bien des écarts entre les

données issues de sondages et celles qui résultent des votes effectifs (et des choix de non-vote) en situation

réelle. L’électeur choisit (ou pas) une personne réelle pour un poste à pourvoir ou une liste avec sa tête

de liste (comme aux municipales ou au régionales) ; le sondé répond « en l’air » à des questions qui lui

sont imposées plus qu’il ne se les est posées. On voudra bien retenir seulement qu’il peut y avoir des

correspondances en donnant à ce mot le sens légèrement vaporeux que lui confère la poésie baudelai-

rienne plutôt que celui d’une relation de nature mathématique. Comme nous ne disposons pas de scrutins

présidentiels intermédiaires entre deux élections du chef de l’État, nous essayons d’utiliser d’autres res-

sources pour nous faire une idée. Rien de plus, rien de moins — sinon l’incertitude.

Mais on peut craindre ou se réjouir (c’est selon) qu’Emmanuel Macron soit à nouveau victime de la

malédiction du quinquennat41. Il est parti moins bien que Nicolas Sarkozy (les résultats du 2e tour 2017

ne peuvent faire obstacle au fait que sa chalengeuse avait Le Pen pour patronyme). Son niveau de « con-

fiance » était plus proche de celui de François Hollande et il semble que la courbe de la pente soit pour

l’instant plus raide pour l’hôte actuel de l’Élysée que pour l’ancien Premier secrétaire du Parti socialiste.

Encore faudra-t-il le vérifier dans la durée.

Est-ce le contrecoup de la stratégie qui a permis à Emmanuel Macron de barrer en tête au premier

tour de la régate présidentielle avant de l’emporter au second ? En mettant de côté l’affaiblissement, pour

des raisons multiples, de ses adversaires, le projet de campagne reposait sur l’affirmation déterminée d’un

projet « et de droite, et de gauche » supposé prendre en compte les contraintes de l’économie (pragma-

tisme), mais aussi sur des mesures sociales (équilibre). S’y ajoutait l’expression d’une vision européenne

ambitieuse— thème important de la campagne dans le contexte du débat politique d’alors.

Si le capital politique de départ d’Emmanuel Macron est réduit, il a réussi à creuser l’écart avec ses

adversaires au premier tour et, finalement, l’a emporté largement face à une candidature de repli natio-

naliste. Le plus dur est devant lui : mettre fin à la malédiction du quinquennat, c’est d’abord pouvoir

redonner de la créance à la politique (et à ceux qui l’incarnent, qu’il s’agisse de l’action politique ou de

l’action publique). Cela ne va pas de soi.

D) De la créance (en) politique

Si l’on considère les présidences antérieures, Emmanuel Macron est-il implacablement condamné à

une dégringolade continue dans l’opinion, synonyme d’affaiblissement voire d’impuissance politique, mais

aussi de défaite ou de renoncement en 2022 ?

La question centrale à traiter est celle de la créance en politique : à la fois la croyance dans l’efficacité

de celle-ci et la dette symbolique dont les détenteurs du pouvoir doivent s’acquitter vis-à-vis de leurs

mandants. On a très (trop ?) souvent repris ce propos de Charles Pasqua selon lequel « les promesses

n’engagent que ceux qui les écoutent », mais le coût politique du cynisme est inversement proportionnel

à la démonétisation des promesses.

Entre la communication de campagne et la pratique du pouvoir dès les premiers mois, l’écart (ou du

moins l’écart « excessif », dont chacun apprécie différemment l’amplitude) pèse négativement. Or il existe

une contradiction majeure autant qu’ancienne du champ politique en démocratie : dans les moments où,

hors de l’entre-soi intra- ou inter-partisan, les luttes pour les chances de conquête du pouvoir sont arbi-

trées par les électeurs, il n’y a pourtant pas de victoire possible sans une emphase mobilisatrice qui trans-

forme le candidat à une fonction en chef charismatique.

Il y a chez les professionnels de la politique, deux versants différents : celui du chef de campagne

(rapidement suspecté de démagogie ou d’illusionnisme) ; celui de l’homme de pouvoir (non moins rapide-

ment suspecté de reniement). Même celui qui a des qualités d’homme d’État (dans l’hypothèse d’école où

cette notion ait un sens et, surtout, un sens partagé) n’est rien s’il n’a pas été chef de campagne victorieux,

41 Voir la note 16, p. 8.

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a fortiori dans la Ve République où la présidence est tout. La terne campagne de Gaston Defferre en 1969

explique aussi le cuisant échec du candidat du Parti socialiste SFIO (5 % au premier tour) ; celle de Lionel

Jospin en 1995 a semblé manqué de souffle face à celle d’un Jacques Chirac mué en pourfendeur de la

« fracture sociale »… qu’on lui a reproché de ne pas avoir pourfendue une fois au pouvoir. Le « mon

ennemi, c’est la finance » a été reproché à François Hollande tout au long de son quinquennat, du pacte

de responsabilité à la loi El Khomri42.

L’épuisement successif des partis dits « de gouvernement » a permis la disruption macronienne de

2017. Sa réussite dans la durée de la disruption de 2017 ne sera possible que une majorité relative, mais

déterminante, de l’électorat est suffisamment convaincue qu’il est pertinent de laisser se poursuivre une

expérience qui lui a été présentée comme « modernisatrice » tout en étant soucieuse d’un certain équilibre

dont attestent, d’une part, la formule clé et de droite, et de gauche et, d’autre part, le balancement rhéto-

rique et en même temps.

La politique, si elle est d’abord l’art de conquérir ou de conserver le pouvoir, est d’abord, dans la

Grèce antique, celui du gouvernement de la Cité : πολιϛ [polis], ce qui renvoie au fond de l’action gouver-

nementale quand la campagne électorale n’est que la promesse d’espérances futures. Or plus d’un obser-

vateur a noté que, outre Matignon, les ministères économiques sont dans les mains d’anciens LR qui,

comme Gérald Darmanin et, surtout, Bruno Le Maire, ne se sont pas fait remarquer par leur gauchisme

impénitent. La formulation retenue d’un « ministère de l’Action publique et des Comptes publics » renvoie

explicitement à ce qu’était le département ministériel d’Éric Woerth sous Nicolas Sarkozy.

De fait, les quelque cinq millions de fonctionnaires et agents publics se sont sentis lésés par des

mesures « punitives »43. Depuis, le rabot budgétaire a frappé les APL : le coût politique en est déjà supé-

rieur aux quelques millions dégagés par leur réduction de 5 euros mensuels. On a d’ailleurs remarqué que

le président du Medef, ce syndicat du (grand) patronat — après avoir multiplié les déclarations victimaires,

revendicatrices et enflammées pendant la présidence de François Hollande nonobstant le pacte de com-

pétitivité (dont le crédit d’impôt dit « CICE ») et le crédit impôt recherche (CIR) — a été frappé de mutité

depuis le mois de mai, du moins en public. Certains silences sont des signes.

Cité par Le Figaro à l’occasion du sondage publié le 12 août (36% des Français satisfaits de l’action

d’Emmanuel Macron), Jérôme Fourquet, directeur du département « opinions » de l’Ifop analysait ainsi la

différence entre l’avant et l’après élection :

Le discours de politique générale d'Édouard Philippe constitue un virage dans la

perception du travail de l'exécutif. Les Français ont compris que les efforts, c'était pour tout de

suite et que les récompenses, ce serait éventuellement pour plus tard.

Le fil rouge de [la] campagne [d’Emmanuel Macron], c'était la transformation du pays à

travers un ensemble d'avantages et d'inconvénients. Or, en trois mois, on ne change pas

structurellement le pays. Ce que retiennent les Français, c'est qu'ils auront moins d'APL, que le

tabac passe à 10 euros, que la CSG va augmenter. Aujourd'hui et maintenant. Pas que le

système du logement va être réformé ou que les cotisations baisseront demain.

Le défi pour le gouvernement actuel est de tenir la promesse initiale d’équilibre qui avait fait son

relatif succès — relatif mais suffisamment pour assurer les victoires électorales. Ces promesses incluaient

également, ce qui a marqué son opposition par rapport à la gauche radicale ou l’extrême droite, un enga-

gement de campagne fort sur l’Union européenne. Loin d’en revendiquer la sortie, quels que fussent les

artifices de langage des uns et des autres, il s’agissait d’assumer les critères européens en matière de

42 Sur la loi El Khomri (loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, voir fr.Wikipedia [ULR consultée le 26/8/17] : https://fr.wikipedia.org/wiki/Loi_relative_au_travail,_%C3%A0_la_modernisation_du_dialogue_social_et_%C3%A0_la_s%C3%A9curisation_des_parcours_professionnels.

43 Voir « Fonctionnaires: vision “dépensière” et inconscient “courtelinesque” », blog Étudiant sur le tard, 7/7/17 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/fonctionnaires-vision-depensiere-etinconscientcourtelinesque/.

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déficit des dépenses publiques et de dette publique pour conformer la crédibilité française et en même

temps de prendre des initiatives (nécessairement « fortes » : on ne connaît ni candidat ni gouvernement

qui en revendique de « faibles ») pour redonner sens à la construction européenne44. Ce souci a été affirmé

pour asseoir la crédibilité des autorités françaises afin de faciliter leurs initiatives en matière européenne.

Il n’y a pas eu tromperie sur la marchandise : le contrat entre Emmanuel Macron et les électeurs était

clair45. Mais c’est une contrainte importante qui rend, on le voit aujourd’hui, les équilibres « et de droite

et de gauche » difficiles à tenir.

Le projet politique macronien reposait sur la critique, encore mobilisée, de la « vieille politique ». Ce

n’est pas nouveau. En 1958, le général de Gaulle combattait « le système des partis » (comme quoi le

gaullisme a aussi prospéré sur une vague antisystème). Il s’est voulu au-dessus des partis en 1958 et, dès

janvier 1959, le gouvernement constitué par Michel Debré était orienté à droite. C’est un phénomène

récurrent qui nécessite moins de résignation que de lucidité : dans les gouvernements « au-dessus des

partis » avec leurs variantes (société civile, « gouvernement de techniciens »), l’expérience non politique,

la « technique » sont réputées « neutres ». D’où la boutade utilisée par les adversaires d’Emmanuel Mac

ron lorsqu’il employait plutôt le « ni- ni » : ni de gauche, ni de gauche. Pour reprendre la formulation la

plus récente d’Emmanuel Macron, « et de droite, et de gauche » n’a pas de correspondance générale,

universelle, permanente. Autrement dit, cela reste un slogan qui renvoie à des interprétations variables,

mais aussi diverses qu’évolutives, chez son auteur, ses soutiens, les politiques professionnels de La Répu-

blique en marche (professionnels reconvertis comme néophytes passés du statut de profanes appartenant

à la société civile à celui de novices au Parlement), ses électeurs, sans oublier les différentes forces ou

institutions sociales.

En revanche, la manière dont ont été effectuées certaines annonces en matière de baisses fiscales

interroge sur la manière dont se prennent les décisions au sein de l’Exécutif. Le schéma idyllique annoncé

par le président de la République le 3 juillet 2017 au Congrès de Versailles n’a en effet pas tenu dans les

faits.

III. Répartition des rôles au sein de l’Exécutif : ce que révèlent les changements d’annonces de juillet

La question de la définition (agenda) et de la mise en œuvre de l’action publique renvoie à la manière

dont les rôles sont répartis, au sein de l’Exécutif, entre le chef de l’État et le Premier ministre. Or les

« changements de pied » postérieurs à la déclaration de politique générale d’Emmanuel Philippe ont remis

en cause la scénarisation bien huilée qui avait été élaborée.

44 La question du déficit et de la dette ne concerne pas seulement l’entité « État» au sens de ministères, agences et administrations nationales qui en relève. Il s’agit du regroupement des entités que la comptabilité nationale désigne par le vocable d’« administrations publiques » : l’État, certes, mais aussi les collectivités territoriales et la Sécurité sociale. Concernant celle-ci, il s’agit des régimes obligatoires de Sécurité sociale : assurance maladie (hors « complémentaires »), assurance vieillesse (la « retraite de la Sécu » des salariés hors régimes complémentaires paritaires de type Arrco-Agir), prestations sociales relevant de la CNAF (Caisse nationale d’allocation familiale, dont les CAF sont les relais). L’ordre de grandeur n’est pas le même. Selon l’INSEE, les dépenses des administrations publiques centrales (essentiellement l’État) représentaient 500,9 mds € ; celles des administrations publiques locales, 249,2 mds € ; celles des administrations de Sécurité sociale, 578,5 mds € (ces dernières, comme on l’a vu, ne se limitent pas à l’assurance maladie). On notera que le budget de la Sécurité sociale, sur lequel le gouvernement à la haute main, est supérieur à celui de l’État. Source : INSEE, Tableaux de l’économie française 2017 [URL consultée le 15/8/17] : https://insee.fr/fr/statistiques/2569418?sommaire=2587886&q=D%C3%A9pense+publique. Le besoin de financement des administrations publiques (au sens de la comptabilité nationale) était en 2015 de 77,5 milliards d’euros (dont 71,3 mds € pour l’État. Cf. Insee première nº 1598 (mai 2016) [URL consultée le 15/8/17] : https://insee.fr/fr/statistiques/2121561#titre-bloc-2.

45 On constatera que l’effort de réduction du déficit public a été fortement engagé sous le quinquennat précédent : cf. INSEE Première, nº 1598, mai 2016, tableau 2 (lien dans la note 44).

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A) Du discours de Versailles au rétropédalage fiscal

La partition avait été initialement bien jouée entre le président de la République intervenant devant

le Congrès le 3 juillet dernier et le Premier ministre engageant (sans risque) sa responsabilité devant

l’Assemblée nationale le 446. Devant le Congrès, Emmanuel Macron, après avoir rappelé le caractère in-

tangible des engagements de campagne, avait fixé le cadre théorique de la répartition des tâches :

Le Premier ministre, Édouard Philippe, que j’ai nommé afin qu’il soit le dépositaire à la tête

du gouvernement de ces engagements en présentera la mise en œuvre dans son discours de

politique générale.

Le Président de la République doit fixer le sens du quinquennat et c’est ce que je suis

venu faire devant vous. Il revient au Premier ministre qui dirige l’action du Gouvernement de lui

donner corps. C’est à lui qu’incombe la lourde tâche d’assurer la cohérence des actions, de

conduire les transformations, de rendre les arbitrages

Ce cadrage n’a pas été respecté alors qu’on peut légitimement penser que les termes de la déclara-

tion de politique générale du Premier ministre étaient connus de lui. Ce dernier avait mentionné les enga-

gements présidentiels mais en avait adapté le calendrier, parfois jusqu’à la fin de la législature. Les pre-

miers commentaires sur le thème de l’abandon des promesses de baisses d’impôt n’ont pas tardé. Le

rétropédalage décidé par la présidence a été assumé et mise en œuvre par le gouvernement. L’Exécutif,

depuis son installation, avait dénoncé l’« héritage » (un grand classique) et insisté sur le respect des

engagements européen (niveau de déficits et d’endettement publics) : la contrainte budgétaire et finan-

cière a été d’autant plus forte, et l’équilibre subtil entre mesures « pragmatiques » et mesures « sociales »

est apparu rompu47.

Les coups de rabot budgétaires supplémentaires, rapidement mais successivement annoncés, ont

rythmé les couacs s’ajoutant à ceux des débuts chaotiques de la législature, comme s’ils n’avaient pas

suffi. Cela a commencé par la polémique sur le budget de la Défense conclue par la démission du général

de Villiers, informé par la presse, avant de se poursuivre par la baisse des aides personnalisées au loge-

ment (APL). On pourrait y voir une capacité à la réactivité de l’Exécutif. Les effets négatifs des annonces

« rectifiées » montrent qu’il s’agit plutôt d’impréparation ou, pire encore, d’une excessive prise en consi-

dération de ce que l’on pense être l’opinion via ceux qui prétendent l’exprimer. L’Exécutif aurait pu justi-

fier ses choix initiaux en arguant du fait que les engagements valent sauf exception pour la mandature,

que l’« héritage », la conjoncture économique, la nécessité d’éviter les effets de rupture nécessitaient une

application garantie (discours de Versailles) mais progressive et équilibrée (discours de politique géné-

rale). En cas de besoin, on aurait même pu mobiliser la vitesse du vent et la pression atmosphérique en

laissant tout polémique s’éteindre jusqu’à la rentrée où les ordonnances sur la réforme du Code du tra-

vail48 viendrait occuper l’espace médiatique et politique.

Le fond de l’affaire (hors même les appréciations de fond) est plus préoccupant sur la méthode. Des

décisions, étalées dans le cadre d’une planification programmée sur la législature au plus haut niveau, ont

été remises de manière inopinée sous pression médiatique ou celle des entourages. À l’évidence, l’exercice

du pouvoir ne peut se borner au déroulement mécanique d’un plan qui s’appliquerait hors du temps, de

l’espace et des autres acteurs (ou alors on s’appelle Gamelin). Nul ne doute davantage que le président

46 Voir la note 8, p. 5.

47 Voir la note 45, p. 18 aini que l’article « Rétropédalages et com jupitérienne », blog Étudiant sur le tard, 11/7/17 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/retropedalages-et-com-jupiterienne/.

48 Le projet est pudiquement dénommé « Projet de loi d’habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social ». Voir le site de l’Assemblée nationale [ULR consultée le 12/8/17] : http://www.assemblee-nationale.fr/15/dossiers/habilitation_ordonnances_dialogue_social.asp.

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de la République soit amené à « évoquer » directement certaines affaires courantes49. Mais, dans le rétro-

pédalage des annonces de la première quinzaine de juillet, il n’y a pas de circonstances extérieures aux

cercles du pouvoir. C’est sans doute l’indice le plus préoccupant pour celui-ci. L’obsession de la

« com », la dictature de l’immédiat ont primé sur l’action de moyen et long terme.

C’est là une erreur. L’avantage du double quinquennat simultané (présidentielle et législa-

tives) est justement de dégager une capacité à agir non seulement dans mais sur le durée. Cela

n’exclut ni les inflexions que peuvent imposer les circonstances (les circonstances externes, de l’environ-

nement international aux aléas, positifs ou négatifs, de la conjoncture économique entre autres exemples),

ni le fait de pouvoir dégager de nouvelles perspectives correspondant à l’évolution des problématiques50.

Or tout se passe pourtant comme si, loin de profiter d’un espace politique national totalement dégagé

pour cinq ans, les présidents de la République « quinquennaux » restaient rivés sur l’actualité immédiate

et son écume médiatique et sondagière. Nul n’ignore que certains évènements peuvent nécessiter une

réaction rapide, comme ce fut le cas, pendant la présidence de Nicolas Sarkozy (répercussions en 2008

de la crise financière provoquées par celle des « subprimes ») ou, durant celle de François Hollande, après

les attentats de 2015. Mais, dans un schéma « ordinaire », des orientations de moyen terme peuvent être

programmées puis déroulées de façon construite avec une certaine souplesse de mise en oeuvre. Cela

n’exclut donc pas les ajustements en fonction de la conjoncture51, mais peut-on parler d’ajustements

lorsqu’il s’agit de la remise en cause du calendrier dégagé, explicitement ou « en creux », par une décla-

ration de politique générale qu’on n’imagine pas préparée autrement qu’en osmose avec l’Élysée ? Le

candidat est porteur d’options : il peut privilégier celles qu’il estime urgentes pour ne pas en retarder les

effets (c’est la logique des ordonnances), mais il dispose d’un peu de temps (même trois ou six mois) pour

transformer des annonces de campagne électorale en mesures programmées ou programmables dans un

délai donné.

Le fait est que le « schéma de Versailles » (J’ai conçu et le Premier ministre que j’ai choisi met en

œuvre des engagements dont je reste le garant) n’a pas tenu. Pourquoi ? Tout simplement parce que le

président de la République en a décidé autrement. Peu importe ici le rôle de son ou ses entourages (ély-

séen, personnel). Aucune force juridique ou politique ne pouvait contraindre Emmanuel Macron

à rester dans les limites qu’il s’était fixées. Montesquieu lui-même devrait constater qu’aucune « dis-

position des choses » ne permet que « le pouvoir arrête le pouvoir »52. La présidentialisation du régime

n’est pas le fait d’Emmanuel Macron. On critiquait déjà, dans les années soixante, le régime de pouvoir

personnel du général de Gaulle. Pour tout dire, la Ve République a été vendue à une classe politique

consciente de la crise comme un régime parlementaire « rénové », permettant au gouvernement de gou-

verner. Cette vision à laquelle Michel Debré crut peut-être n’était pas celle de Charles de Gaulle qui im-

posa son point de vue. C’est le péché originel de la Ve République.

49 Encore une fois, la notion limitative de « domaine partagé » ne s’applique pas quand s’applique le fait majoritaire… et l’on en revient à la conférence de presse du 31 janvier 1964. Voir la note 8, p. 5.

50 Trop souvent, hélas ! on emploie problématique comme équivalent de problème(s), alors qu’il s’agit de l’approche retenue pour le définir et le traiter.

51 Une bonne situation économique donne plus de souplesse aux finances publiques. Les impôts rentrent davantage, les dépenses de solidarité peuvent être moindres ou plus facilement équilibrées (voir la polémique sur la « cagnotte » provoquée par le président Chirac pendant le gouvernement Jospin). Inversement, une contraction du PIB ou une faible croissance complique la situation.

52 « C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser. […] Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir », Montesquieu, De l’Esprit des lois, XI, IV.

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B) Le péché originel de la Ve République

La Constitution de la Ve République a été, dès sa préparation, présentée comme parlementaire. On

a écarté évidemment le régime d’assemblée (régime dit « conventionnel » à l’aune de la Convention na-

tionale de 1792-1795 qui avait tous les pouvoirs). Cette condamnation emportait celle d’une IVe Répu-

blique dont les gouvernements fragiles et impuissants (six mois en moyenne) étaient en butte à la pression

constante de l’Assemblée nationale.

On avait exclu surtout le régime présidentiel. La chose peut rétrospectivement sembler curieuse si

l’on songe d’abord au fait que la première présidence de la Ve République fut assumée par le général de

Gaulle, et ensuite à ce qu’il en fit. Mais si, en régime présidentiel justement, la présidence est force (le

président concentre tout le pouvoir exécutif), la branche législative ne l’est pas moins. Le président ne

peut être « censuré » par le Parlement, ni le Parlement dissous par le président. Il existe bien des contrôles

et contrepoids53, mais un conflit sérieux est insoluble. Au reste, en 1958 comme plus tard le fit encore de

Gaulle en 1964, on considéra que le régime présidentiel était peut-être adapté aux États-Unis, mais qu’il

s’agit d’un État fédéral dans lequel le pouvoir judiciaire comme les autorités locales jouissent de larges

possibilités d’action.

À dire vrai, dans le régime présidentiel, c’est surtout l’indépendance du Parlement vis-à-vis de l’Exé-

cutif qui posait problème. Aux yeux de de Gaulle comme de son garde des Sceaux Michel Debré, l’essentiel

était de rétablir l’autorité de l’État ce qui signifie bien souvent, pour les gouvernants, de conforter la leur

avec le moins de gêne, voire d’opposition possible. On resta donc en théorie en régime parlementaire,

mais dans un cadre « rationalisé », comme disent les constitutionnalistes, le président de la République

étant essentiellement — hors situation de crise — un arbitre assurant « le fonctionnement régulier des

pouvoirs publics » avec notamment le pouvoir de dissolution ou celui d’utiliser le référendum sur propo-

sition du Parlement ou du gouvernement. La Constitution de 1958 distingue d’ailleurs bien le titre II,

consacré au président de la République, du titre III, consacré au gouvernement54. Ce dernier dispose que

le gouvernement « détermine et conduit la politique de la Nation » (article 20) et que le Premier ministre

« dirige l’action du gouvernement ».

Si le président de la Ve République désigne le Premier ministre, il n’y avait rien de fondamentalement

différent avec la pratique qui fut celle des IIIe et IVe Républiques55 : il dispose d’une certaine latitude

pourvu que la personnalité désignée soit en mesure de constituer une majorité. Le jeu parlementaire

s’opère en théorie comme il s’opérait avant, entre le Parlement et le gouvernement, même si les règles

étaient plus strictement définies.

Ce fut un schéma de régime parlementaire « rénové » — entendez par là un régime dans lequel la

domination de l’Exécutif sur le Parlement était assurée — que le garde des Sceaux, Michel Debré, présenta

53 Contrôles et contrepoids ou « checks and balances ». Ainsi le président des États-Unis peut-il opposer son veto à une loi votée par le Congrès (qui peut être surmonté à la majorité qualifiée des deux tiers) ; ainsi le Sénat (les USA sont un État fédéral) doit-il « confirmer » les ministres et principaux fonctionnaires nommés par le président des États-Unis. Mais la procédure d’impeachment, procédure lourde liée à une faute personnelle (« trahison, corruption ou autres crimes et délits majeurs. », dit l’article 2, IV de la Constitution américaine) qui requiert, après mises en accusation par la Chambre des représentants, un vote à la majorité des deux tiers du Sénat des États-Unis.

54 Signe de la considération dans laquelle la Constitution introduit les institutions, après les généralités (titre I), le titres suivants sont consacrés au président de la République, puis au gouvernement, puis enfin au Parlement.

55 En 1879, Jules Grévy, premier président « républicain » de la IIIe République, avait usé de sa latitude de choix pour écarter Léon Gambetta, leader naturel du parti républicain qu’il n’aimait pas, au profit de William Henry Waddington. Évoquant la IVe République, François Mitterrand manifeste son dépit d’avoir fait l’objet d’un barrage du président Coty alors qu’il pensait avoir l’expérience et la position politique qui lui eussent permis d’accéder à la présidence du Conseil.

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au Conseil d’État le 27 août 195856. D’ailleurs, interrogé le 8 août 1958 par le Comité consultatif consti-

tutionnel, Charles de Gaulle — dernier président du Conseil de IVe République et chef d’un gouvernement

chargé d’élaborer un projet de Constitution soumis à référendum — s’exprima sans équivoque :

Le Premier ministre est responsable devant le Parlement et non pas devant le chef de

l'État en ce qui concerne la conjoncture politique. […] Le président de la République, j'y insiste,

est essentiellement un arbitre qui a pour mission d'assurer, quoi qu'il arrive, le fonctionnement

des pouvoirs publics.

Les modalités d’élections retenues confortaient ce principe. Jusqu’en 1962, l’Assemblée nationale

était le seul organe constitutionnel élu au suffrage universel direct. Le président de la République restait

donc élu au suffrage indirect57. Le régime, n’eussent été les circonstances, aurait pu fonctionner dans un

cadre parlementaire classique : un conflit entre le gouvernement et par le Parlement aurait pu être tran-

ché de façon non moins classique, soit par la constitution d’un nouveau gouvernement conforme à la

nouvelle orientation majoritaire de l’Assemblée, soit par une dissolution que seul le président de la Ré-

publique peut décider pour faire trancher le débat par le pays58. Rien n’empêchait donc la nouvelle

Constitution de rester parlementaire, même avec un Parlement corseté… rien, sinon le contexte et la

personnalité du général de Gaulle que ce même contexte avait porté au pouvoir.

La Constitution est, comme la loi, un texte général, abstrait et impersonnel. Elle est mise en œuvre,

détournée, ignorée parfois, par ceux dans lesquels les institutions s’incarnent, autrement dit grâce aux-

quels (ou malgré lesquels) elles prennent chair. Comme pour toute institution, au sens sociologique du

terme, la Constitution est une règle avec et à côté de laquelle fonctionnent des croyances, des usages, des

coutumes, des pratiques. Bien loin de s’en tenir au rôle d’« arbitre des institutions » ou, pour reprendre

une formulation de Michel Debré, de « juge supérieur de l'intérêt national », de Gaulle assuma donc un

rôle moteur, direct, dans la gestion des affaires publiques. Cet écart entre la lettre de la Constitution et la

pratique fut théorisée en novembre 1959 par Jacques Chaban-Delmas, président de l’Assemblée nationale

et a donné lieu à la formule « domaine réservé » (du président de la République) qui a fait florès59.

Dès le début du nouveau régime, la pratique institutionnelle fut donc toute différente de la

présentation idyllique de la nouvelle Constitution. De fait, le général de Gaulle, investi comme pre-

mier président de la Ve République en janvier 1959 nomma bien un gouvernement dirigé nominalement

par Michel Debré, mais assuma la direction effective de l’Exécutif. Comment s’en étonner d’ailleurs ? Dans

56 Michel Debré, garde des Sceaux du gouvernement constitué par de Gaulle en juin 1958, présenta l’avant-projet de texte au Conseil d’État avant son adoption définitive par le gouvernement le 27 août 1958. L’intervention de Michel Debré est accessible sur le site de la Digithèque de l’université de Perpignan : http://mjp.univ-perp.fr/textes/debre1958.htm.

57 En revanche, contrairement aux présidents des IIIe et IVe République, celui de la Ve République n’était pas seulement élu par les députés et les sénateurs, mais par des grands électeurs incluant, à l’image du corps électoral du Sénat. Dans les travaux préparatoires de la Constitution, on évoquait environ cinquante mille grands électeurs, ils furent environ 80 000. Ce nombre visait à ne pas rendre l’élection présidentielle dépendante des seuls parlementaires.

58 Ce sont, dans un texte qui n’a pas changé depuis 1958, les termes de l’article 12 de la Constitution : le président de la République exerce le droit de dissolution sans autre obligation que des consultations (Premier ministre et présidents des deux assemblées). La nouvelle Assemblée nationale ne peut être dissoute avant une année. On sait que la dissolution fut abandonnée sous la IIIe République après Mac Mahon et que, sous la IVe, elle était conditionnelle mais ne put être pratiquée qu’une seule fois en novembre 1955. Sur l’article 12 de la Constitution de 1958, voir Légifrance [URL consultée le 20/8/17] : https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000006071194#LEGIARTI000006527474.

59 Jacques Chaban-Delmas avait distingué un « secteur présidentiel fermé » (relevant de sa seule autorité) qui comprenant les Affaires étrangères, la Défense et l’Algérie et un « secteur présidentiel ouvert ». C’est ce que l’on a traduit par « domaine réservé », jugé trop restrictif par le Général. Considérant la lettre de la Constitution (qui fait du président le chef des armées mais du Premier ministre le responsable de la Défense nationale), les constitutionnalistes parlent plus de « domaine partagé » ou de « compétences partagées ». Mais le débat ne faisait sens qu’en période de cohabitation.

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le contexte de 1958, seul de Gaulle pouvait amener l’Armée à réintégrer ses casernes (l’OAS fut une ten-

tative désespérée de jusqu’auboutistes) et à solder la question algérienne (ce qui prit près de quatre ans

tout de même). Debré n’avait pas d’autre légitimité politique, pas d’autre capital politique que son soutien

à de Gaulle.

Le 14 avril 1962, le départ de Michel Debré de Matignon, alors qu’il n’avait pas été mis en minorité

à l’Assemblée nationale, reposait sur deux désaccords : la politique algérienne (mais le dossier était réglé

par le référendum du 8 avril approuvant les accords d’Évian) ; la présidentialisation croissante du régime,

alors même que, Premier ministre, Debré lui-même entendait jouer le rôle théoriquement défini par le

compromis de 1958. Démission spontanée ou démission forcée ? Peu importe : c’est en raison d’un désac-

cord politique avec le chef de l’État que le Premier ministre cessait ses fonctions sans avoir été mis en

minorité et sans que le rituel républicain (élection d’un nouveau président de la République ou d’une

nouvelle Assemblée nationale) la rendît normale. Autrement dit, le Premier ministre, de facto, admettait

sa responsabilité politique devant le président sans y être contraint par les textes et sans chercher de

légitimation chez les parlementaires. Cette pratique est devenue une convention de la constitu-

tion60 : nul Premier ministre issu de la majorité présidentielle ne s’y est soustrait61. Il est signifi-

catif que le successeur de Michel Debré ne fût alors pas parlementaire ou ancien parlementaire62 : Georges

Pompidou, « homme de confiance » du général de Gaulle avait été son directeur de cabinet à la présidence

du Conseil entre juin 1958 et janvier 1959.

Restait le problème de la légitimité : de Gaulle avait été élu président de la République, mais au

suffrage indirect. En revanche, il usa de l’arme du référendum en mettant à chaque fois en balance sa

propre position. Voter non, c’était voter contre de Gaulle et savoir qu’il démissionnerait63. Chaque réfé-

rendum adopté devenait un référendum légitimant ou relégitimant personnellement de Gaulle. Entre 1958

et 1962, quatre référendums eurent lieu. Ils portèrent successivement sur : 1º l’adoption de la Constitution

(28/9/1958) ; le principe de l’autodétermination de Algérie (8/1/1961) ; l’approbation des accords d’Évian

sur l’indépendance de l’Algérie (8/4/1962)64. Le quatrième porta sur l’élection du président de la Répu-

blique au suffrage universel (28/10/62).

Nous avons détaillé ailleurs les évènements qui avaient conduit de Gaulle à provoquer ce référen-

dum65. Pour synthétiser, de Gaulle se savait en danger : la question algérienne était réglée par les accords

60 Par cette expression, on désigne un droit coutumier entré dans les faits dont le régime politique britannique s’est fait une spécialité. Ainsi en est-il du fait que la Reine désigne systématiquement comme Premier ministre le leader du parti majoritaire à la Chambre des communes — ou la personne appelée à le remplacer — alors qu’aucune disposition écrite ne le lui impose, ou encore qu’elle « sanctionne » (approuve) systématiquement les bills votés par les Communes.

61 Michel Rocard ne contestait pas le droit à François Mitterrand de lui demander sa démission. On sait pourtant que les deux hommes ne s’appréciaient guère.

62 Si Michel Debré n’avait pas été député, il avait été sous la IVe République membre du Parlement puisqu’il siégeait au Conseil de la République, deuxième assemblée parlementaire prévue par la Constitution de 1946, avatar pouvoir réel du Sénat.

63 À gauche, on dénonçait les référendums plébiscites dans lesquels l’enjeu n’était pas la question posée (approuvez-vous tel projet ?) mais, comme dans un émission de radio célèbre jadis : « de Gaulle : stop ou encore ? ». Après 1962, de Gaulle envisagea cette solution en mai 1968 avant d’opter pour une dissolution de l’Assemblée nationale. Il revint au référendum en 1969. Les électeurs ne votèrent pas sur le Sénat et la régionalisation : ils dirent « non » à de Gaulle qui en tira les conséquences en démissionnant. Après de Gaulle, tous les présidents de la République à l’initiative de référendums en sont restés à la lettre des textes en précisant que le référendum ne portait que sur son objet et que son rejet n’entraînerait pas leur démission. Le premier fut Georges Pompidou en 1972 (référendum sur l’élargissement de l’« Europe des Six »).

64 Le président de Gaulle prit acte le 3 juillet 1962 des résultats du référendum algérien du 1er juillet en faveur de l’indépendance. À cette même date du (3/7/1962), il fut mis un terme au mandat des 66 députés d’Algérie.

65 Voir la note 26, p. 10 (les éléments figurent dans le document téléchargeable depuis l’URL indiquée).

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d’Évian ; en revanche sa position parlementaire s’était affaiblie66. Profitant de l’émotion suscitée (on ne

disait pas encore surfant) fin août 1962 par l’attentat du Petit-Clamart67, il concrétisa le projet de sou-

mettre à référendum — en passant outre la procédure de révision constitutionnelle68 — l’élection du pré-

sident de la République au suffrage universel direct. Le référendum fut gagné et, en cohérence, les Fran-

çais donnèrent une majorité parlementaire aux gaullistes (UNR-UDT) et à leurs nouveaux alliés de centre

droit69.

La révision constitutionnelle n’est pas seulement un changement du mode de scrutin présidentiel.

Elle a validé la pratique antérieure (le primat du président) ; par son caractère asymétrique, elle a désé-

quilibré davantage encore les institutions et, hormis dans les trois périodes de cohabitations que le régime

a connues (1986-1988 ; 1993-1995 ; 1997-2002, soit 8 ans sur quelque 48 ans de Ve République) a subs-

titué la notion de « fait majoritaire » (présidentiel) à celle de « majorité parlementaire ». L’asymétrie

résulte du fait que le président, élu au suffrage universel comme l’Assemblée, peut dissoudre celle-ci sans

lui-même être jamais victime d’une motion de censure. Au reste, les contraintes pour celle-ci sont si

strictes qu’une seule censure a été adoptée, en 1962, dans le contexte particulier de l’annonce d’un réfé-

rendum constitutionnel particulièrement controversé.

Lors de sa célèbre conférence de presse du 31 janvier 1964, le président de Gaulle consacra une

large part (la première d’ailleurs) de son exposé aux institutions70 en s’y affirmant :

« l’homme de la Nation, mis en place par elle-même pour répondre de son destin ».

Écartant une nouvelle fois tout glissement vers le régime présidentiel, il évoquait en ces termes son

rôle et celui du Premier ministre :

« Le Président est évidemment seul à détenir et à déléguer l'autorité de l'État. Mais,

précisément, la nature, l'étendue, la durée de sa tâche, impliquent qu'il ne soit pas absorbé,

sans relâche et sans limite, par la conjoncture politique, parlementaire, économique et

administrative. Au contraire, c'est là le lot, aussi complexe et méritoire qu'essentiel, du Premier

ministre français. ».

Pour éclairer la pensée de de Gaulle, deux précisions s’imposent. En premier lieu, il existe une diffé-

renciation d’« angle », de cadre (au sens de « cadre cinématographique ») entre le président et le Premier

ministre. Le président de la République, élu pour sept ans, est censé voir loin et voir grand. Le Premier

ministre, dont le mandat est moindre met en œuvre dans les détails une politique dont les grands axes

sont définis par le chef de l’État. Cela n’exclut pas que ce dernier soit amené à trancher sur un sujet précis

et même une mesure d’application s’il la juge importante : mais ce pouvoir d’« évocation »’il s’empare

d’un sujet71.

66 Le 15 mai 1962, les ministres MRP (centristes), en désaccord avec une formulation de de Gaulle hostile à l’Europe, démissionnèrent.

67 On peut, pour une approche rapide, se reporter à cet article de Jean-Marie Pottier : « Quarante secondes qui changèrent le destin de la Ve République », Slate.fr, 4/10/2016 [URL consultée le 20 août 2017] ! https://www.slate.fr/story/123901/attentat-rate-petit-clamart.

68 À l’époque, le président du Sénat, Gaston Monnerville, utilisa le mot « forfaiture ». Dans le débat sur la licéité d’utiliser l’article 11 de la Constitution et non l’article 89 (qui prévoit un vote préalable de l’Assemblée nationale et du Sénat : un tel vote n’aurait pu être acquis), le Conseil constitutionnel se déclara incompétent. Le débat continue chez les constitutionnalistes et les politiques. Il n’est pas utile d’y revenir dans le cadre de ce billet.

69 Emmenés par Valéry Giscard d’Estaing, des dissidents des Indépendants et Paysans, rompant avec Antoine Pinay leader du « cartel des non », appelèrent à voter « oui » au référendum de 1962 et bénéficièrent d’investitures de la majorité aux législatives. C’est l’origine des Républicains indépendants, mouvement « giscardien » et future composante de l’UDF puis de l’UMP.

70 Voir la Digithèque de l’univ. Perpignan [URL consultée le 10/8/17] : http://mjp.univ-perp.fr/textes/degaulle31011964.htm.

71 Sémantiquement parlant, notons-le, la formulation de l’article 21 de la Constitution française, « le Premier ministre dirige l’action du gouvernement » n’est pas identique à « Le Premier ministre dirige le gouvernement »

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Le président est irresponsable, sinon devant le peuple lors de l’élection ou de la réélection, ou s’il en

décide ainsi comme de Gaulle le faisait lors des référendums. De Gaulle n’excluait pas la possibilité de

conflits entre l’Exécutif et le Parlement. Il constatait simplement qu’il y avait des moyens de le résoudre

par le changement de gouvernement, la dissolution (comme en 1962) ou le référendum : « il y a toujours

une issue démocratique », affirma-t-il en 1964. Il n’est resté depuis que l’élection et les tentatives de

réélection. La Ve République a connu jusqu’à ce jour huit présidents de la République, trois ont été réélus

(de Gaulle, 1965 ; Mitterrand, 1988 ; Chirac, 2002), le dernier il y a quinze ans.

Le présidentialisme du régime a été accru par le passage au double quinquennat concomitant (quin-

quennat présidentiel ; quinquennat parlementaire). Décidé au profit de ceux qui souhaitaient sécuriser

leur position de pouvoir (comme candidats à la présidence ou aspirants ministres), il a eu de tout autres

effets que ceux visés à l’origine.

IV. Le quinquennat en question

Quinze ans après sa mise en application, la réforme du double quinquennat concomitant (élection

présidentielle suivie des élections législatives pour un mandat de même durée) a accentué très nettement

la dérive présidentialiste de la Ve République. Depuis 2002, les députés sont élus après le président de la

République : la majorité parlementaire n’est plus qu’un dérivé de la majorité parlementaire72.

A) La cohabitation : voilà l’ennemi !

On s’inquiète aujourd’hui du rôle du Parlement73, mais on ne saurait reprocher à Emmanuel Macron

d’avoir assumé effectivement la fin du mythe parlementaire de la Ve République. Dès l’origine, les capa-

cités d’action propre du Parlement ont été particulièrement contraintes par la Constitution74. Quant à la

réduction de la durée du mandat présidentiel du septennat au quinquennat, elle a été voulue ou acceptée

par les deux têtes cohabitantes de l’Exécutif (Lionel Jospin et Jacques Chirac). Il s’agissait de rendre poli-

tiquement impossible le risque de cohabitation jugé paralysant. Les expériences de cohabitation anté-

rieures (1986, 1993, 1997) avaient été perçues comme des anomalies, des empêchements de gouverner

— ou plutôt de présider en rond — alors qu’au fond elles ont permis des respirations démocratiques. Une

présidence septennale permettait une alternance politique en cours de route, non sans que le nouveau

72 Ainsi comprend-on mieux comment, malgré des différenciations politiques historiques, Jacques Chirac, réélu en 2002, a pu imposer, au moins pendant son mandat, la fusion du RPR et de l’UDF au sein d’un mouvement politique dénommé justement « Union pour la majorité présidentielle » (UMP), aujourd’hui Les Républicains, même si, ulérieurement, une nébuleuse ex-UDF s’est reconstituée, notamment avec l’UDI (Union des démocrates et indépendants)… bien que certains ex-UDF fussent restés à l’UMP (LR), comme Jean-Pierre Raffarin.

73 « Quel rôle pour le Parlement à l’ère Macron ? », Jean-Baptiste de Montvalon, Le Monde, 9/8/2017 [URL consultée le 10/8/17] : http://abonnes.lemonde.fr/politique/article/2017/08/09/quel-role-pour-le-parlement-a-l-ere-macron_5170465_823448.html.

74 Sous la Ve République, le « parlementarisme rationnalisé », c’est, depuis l’origine : la maîtrise de l’ordre du jour parlementaire (et notamment les priorités d’examen législatif) par le Gouvernement, ce qui se traduit par le fait que la grande majorité des lois votées, notamment les plus importantes, sont d’initiative gouvernementale ; la possibilité pour le gouvernement de bloquer un texte avec les seuls amendements qu’il accepte ; la possibilité pour lui de décréter la procédure « accélérée » (nom donné depuis 2008 à l’ancienne procédure d’urgence) ; la recréation d’un Sénat pour « équilibrer » l’Assemblée » nationale (la 3e lecture où l’Assemblée tranche n’est possible que par décision du gouvernement) ; les contraintes mises au vote du motion de censure (la majorité des députés, et non des exprimés, devant voter en sa faveur, ce qui réduit les abstentions au vote non). Ces procédures se sont assouplies depuis la révision de 2008. Ainsi le projet soumis en première lecture est désormais le projet issu de la commission (avec ses modifications) et non plus le projet gouvernemental… sauf pour les projets de loi constitutionnelles ou les projets de lois financières (notamment le projet de loi de finances initiale, dit communément « projet de budget » et le projet de loi de financement de la Sécurité sociale. Dans les deux cas d’ailleurs, si le Parlement ne s’est pas prononcé dans le délai requis (hors retard d’origine gouvernementale), le projet initial peut être publié par ordonnance. Cette pensée de Pierre Dac conserve toute sa valeur : « le Parlement comprend l’Assemblée nationale et le Sénat qui, de leur côté, font de de leur mieux pour comprendre ce qu’on leur dit ».

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gouvernement soit placé sous le regard critique d’un président en exercice appartenant à un autre bord

politique.

Les cohabitations n’avaient d’ailleurs pas changé la hiérarchie institutionnelle, à l’exception des rap-

ports entre le président de la République et le Premier ministre. Le Parlement restait soumis au pouvoir

exécutif, en l’occurrence au Premier ministre, leader d’une majorité parlementaire contrainte d’être dis-

ciplinée75. Mais, en cas de cohabitation, le Premier ministre, redevenu chef effectif du gouvernement, est

entravé par la nécessité de « faire avec » un président de la République doté d’un réel pouvoir de nuisance

du fait de ses attributions constitutionnelles. Mais, contre toute attente, les cohabitations de 1986, 1993

et 1997 n’ont pas été marquées par un blocage des institutions76, même si elles ont pu être rugueuses77.

L’issue démocratique fut simplement différée : en 1988, par la réélection de François Mitterrand, suivie

d’une dissolution de l’Assemblée nationale de droite de 1986 ; en 1995, par l’élection de Jacques Chirac

qui conserva naturellement l’Assemblée nationale de droite élue en 1993.

Mais il fallait permettre à toute force au président de la République de jouer un rôle plein et entier

tout au long de son mandat… ce qui impliquait de le raccourcir pour qu’il corresponde au mandat des

députés. Le choix d’inverser le calendrier en élisant le président d’abord fait bien de l’élection présiden-

tielle l’élection mère qui détermine la suivante. On l’a vérifié depuis la mise en œuvre de la révision de

2000 en 2002, 2007, 2012 et, tout récemment, en 2017. On ne s’expliquerait pas, sinon, la déferlante de

députés LREM en juin dernier.

B) Les clés du pouvoir sont à l’Élysée, mais…

Cette situation appartient au passé. Le nouveau schéma « quinquennal » a été vérifié en 2002, 2007,

2012, 2017) : les Françaises et les Français, après avoir élu un nouveau président de la République, lui

confient presque toutes les clés du pouvoir78 en désignant une Assemblée nationale qui lui soit favorable79.

Parfois, c’est une majorité de coalition correspondant à la majorité présidentielle, mais, même dans ce

cas, le parti du Président connaît une indiscutable primauté en frôlant la majorité absolue quand il ne

l’obtient pas à lui seul sans même ses alliés. Les choses ne pourraient changer qu’en changeant le mode

de scrutin, mais la IVe République a laissé de mauvais souvenir et le retour temporaire à la proportionnelle

en 1986 ne fut qu’un coup tactique destiné à limiter les pertes socialistes avant une cohabitation annoncée.

75 Les présidents soumis à la cohabitation ont su se placer en embuscade : François Mitterrand face à Jacques Chirac entre 1986 et 1988 ; Jacques Chirac face à Lionel Jospin entre 1997 et 2002. Dans les deux cas, le président de la République sortant a été réélu contre le Premier ministre chalengeur (comme le recommande l’Académie).

76 Le refus de François Mitterrand de signer des ordonnances sur les privatisations — faute d’instance apte à juger de l’obligation ou pas de signer celles-ci — s’est simplement traduit par un retour à la procédure législative ordinaire.

77 On rappellera toutefois que les rapports entre les présidents de la République et les Premiers ministres appartenant au même camp ont pu être rugueuse : de Gaulle et Pompidou en 1968 (d’où son remplacement par le discipliné Couve de Murville), Pompidou et Chaban-Delmas (désaccord sur la « nouvelle société » entre un président louis-philippard et un chef du gouvernement moderniste), Valéry Giscard d’Estaing et Chirac (d’où sa démission fracassante en 1976 et un successeur, Raymond Barre, qui gouverna à coups de 49,3), Mitterrand et Rocard après 1988.

78 De fait, il apparaît que le seul obstacle réel à des dispositions législatives contestées est le Conseil constitutionnel. Les partis minoritaires y ont obtenu plus de victoires par leurs saisines devenues quasi systématiques sur les grands projets (notamment le budget) qu’en convainquant leurs adversaires à leurs arguments dans l’hémicycle, hormis sur des amendements secondaires. Sous la présidence Hollande, les « frondeurs » ont pu « pourrir » le quinquennat, ils n’ont pas réussi à entraver ses projets et n’ont pu réussir cette transgression suprême qu’est le dépôt d’une motion de censure lors de l’utilisation de l’article 49,3 pendant la discussion sur la loi El Khomry.

79 Voir la note 26, p. 10.

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En confiant pour cinq ans les clés du pouvoir au président de la République, soit par adhé-

sion, soit par abstention, les Français le rendent d’autant plus responsable de ce qui va et, sur-

tout, de ce qui continue, à leurs yeux, à ne pas aller. C’est la contradiction majeure du système,

l’étau dans lequel le système présidentialiste de la Ve République « quinquennalisée » est pris.

Le chef de l’État est devenu le véritable président du gouvernement. Le Premier ministre

n’en est au mieux que le vice-président (sans être un vice-président de la République).

La présidence de la République étant le pouvoir, y accéder suppose d’être cru, au moins un peu plus

que ses concurrents au premier tour, dans la capacité affirmée à tout changer positivement. Cela conduit

candidates et candidats à s’exprimer partout et sur tout. Les questions de sécurité nationale ou de poli-

tique européenne dont on sait la dimension « stratégique » sont mises presque sur le même plan que le

maintien ou le rétablissement de telle option de langue au collège ou les péages sur autoroute : il n’y

manque que le sentiment de l'aspirant à la présidence sur la prolifération des photos de chats dans les

réseaux sociaux (Selon vous, les chats sur Twitter, qui sont-ils, quels sont leurs réseaux ?).

On a ainsi vu en janvier 2017, lors d’un débat pour la primaire de la Belle Alliance populaire, un

questionnement sur la question des urgences dans les hôpitaux en raison de l’épidémie de grippe qui

sévissait alors80 ! Cela conduit le chef de l’État à s’emparer de tous les sujets dès lors qu’ils semblent

médiatiquement « délicats » ; le gouvernement en général et les ministres en particulier sont privés de la

moindre once d’autonomie dès lors que le président de la République avait pris des « engagements de

campagne » sur quelque sujet que ce soit indépendamment de toute réflexion d’ensemble. Le fait n’est

pas nouveau (la campagne de François Mitterrand, en 1981, s’était appuyée sur ses « 110 propositions »),

mais il s’est accentué et pèse davantage aujourd’hui sur les comportements présidentiels post-électoraux.

Le président du Conseil, sous les IIIe et IVe Républiques était le commandant du navire. Le Premier

ministre, sous la Ve République, est selon les cas un second, un maître d’équipage ou un timonier qui

manœuvre la barre, mais conformément aux instructions et aux décisions du président de la République.

Après le référendum de 1962, le constitutionnaliste gaulliste René Capitant en parlait comme d’un « chef

d’état-major civil ».

Si les clés du pouvoir sont à l’Élysée, il arrive pourtant — même en quinquennat — que l’autorité du

président soit discutée, voire contestée lorsque son capital politique diminue suffisamment pour rendre

les compétiteurs internes plus déterminés. Voir Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy avant 2007 : du Je

décide, il exécute (Jacques Chirac, 14 juillet 2004) à Sarkozy président de l’UMP et ministre d’État, mi-

nistre de l’Intérieur avant la fin du quinquennat. Voir encore François Hollande et les frondeurs, tentative

de mutinerie inaboutie (suivie au passage d’une revanche sur le chef des mutins par quelques officiers de

pont rancuniers). Institutionnellement fort, le président de la République peut être politiquement affaibli.

Il n’en demeure pas moins que l’asymétrie des relations Président – Premier ministre et gouverne-

ment – Parlement fait de la Ve République un régime présidentialiste. Tout part de la présidence de la

République et tout y remonte81. On a donc parfois envisager de changer de logique en évoquant le passage

à une VIe République.

80 Voir : « Présidentielle : une question qui fait question », blog Étudiant sur le tard, 15/1/17 : http://blogs.lexpress.fr/etudiant-sur-le-tard/presidentielle-une-question-qui-fait-question/.

81 Cas emblématique, la loi de 2006 instituant le « contrat Première embauche » (CPE) donna lieu à une telle mobilisation, étudiante notamment, que le président Chirac annonça avant sa promulgation (en raison des délais constitutionnels) un nouveau projet de loi qui revint sur le CPE. Voir sur fr.Wikipedia [URL consultée le 15/8/17] : https://fr.wikipedia.org/wiki/Contrat_premi%C3%A8re_embauche.

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C) Une VIe République aux contours incertains

Depuis l’instauration du quinquennat présidentiel, les références à une VIe République se sont déve-

loppées au sein des gauches (notamment à partir de 2001 chez Arnaud Montebourg82). La reprise de la

référence à ce numéro d’ordre peut cacher des projets différents ou une absence de projet précis83. Plus

récemment, à droite, c’est Guillaume Larrivé, soutien de Nicolas Sarkozy, qui évoquait une VIe République

en réaffirmant le rôle qui devrait être premier… du Premier ministre et en remettant en cause l’inversion

du calendrier de 2002 comme le passage au quinquennat84. Avec le quinquennat présidentiel, il n’y a plus

d’alternance en cours de mandat (cohabitation ou démission présidentielle), mais une alternance systé-

matique par élimination des sortants. En 2007, Nicolas Sarkozy s’est posé comme un anti-Chirac (l’acti-

visme contre l’inertie). En 2012 et 2017, le sortant n’a pu être réélu ou même se représenter. C’est le

dégagisme sur lequel ont cru prospérer Jean-Luc Mélenchon comme Marine Le Pen et dont a bénéficié

Emmanuel Macron en 2017. Le dégagisme, c’est la remise en cause du « sauveur » élu cinq ans avant

parce qu’il s’engageait à tout régler, ne l’a pas pu et a fini par dégringoler dans l’opinion comme nous

l’avons vu dans la première partie de cette note85.

Les débats sur la VIe République ont un point commun : il s’agit de remettre en cause la monarchie

présidentielle. Chez Jean-Luc Mélenchon, bien qu’il renvoie à la convocation d’une Assemblée consti-

tuante, cela pourrait peut-être signifier le retour à un régime conventionnel (un régime d’Assemblée dont

le gouvernement même ne serait que la commission exécutive). Ailleurs, il s’agit sans doute davantage de

rétablir l’équilibre vers un régime parlementaire, avec un chef de l’État ramené plutôt que réduit à un

rôle d’arbitre des institutions86.

Le problème n’est pas nouveau. Le 24 avril 1964, dans une intervention portant — au-delà de la force

aérienne stratégique : le prétexte — sur les rapports au sein du couple exécutif et ses conséquences sur

le Parlement, François Mitterrand déclarait87 :

Ou bien il convient de fonder un régime présidentiel honnéte et authentique qui donnera

autorité et stabilité au chef de l'exécutif tout en valorisant le rôle du Parlement, ou bien il

convient de revenir aux sources d'un régime parlementaire adapté aux besoins modernes . Il

faut en revenir à un régime de liberté et d'équilibre et en finir avec celui que vous nous faites et

qui n'est qu'un régime d'autorité et d'irresponsabilité.

La situation française a fortement changé depuis 1958. Cela ne tient pas seulement aux modifications

institutionnelles touchant la présidence et, par contrecoup, le gouvernement (1962, 2000). Cela tient aussi

à une pratique personnelle des présidents qui, après de Gaulle, n’a plus été la même et s’est, d’une cer-

taine manière, protégée derrière la lettre des institutions et notamment leur « irresponsabilité politique ».

82 Voir : https://fr.wikipedia.org/wiki/Arnaud_Montebourg#La_VIe_R.C3.A9publique [ULR consultée le 11/8/17] ;

83 Cette absence peut être salutaire en évitant un plébiscite bonapartiste pour mieux retrouver, en la matière, le souci d’une délibération qu’on peut souhaiter non exclusivement parlementaire (on rappellera combien, au début du Coup d’État permanent, François Mitterrand était sévère pour la IVe République.

84 Voir « Guillaume Larrivé (LR) en appelle à une VIe République », in Le Figaro, 4/8/17 : http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/2017/08/04/25001-20170804ARTFIG00176-guillaume-larrive-lr-en-appelle-a-une-vie-republique.php.

85 Voir « la malédiction du quinquennat ». Cf. note 16, p. 8.

86 On observera cependant que dans les démocraties parlementaires européennes comme au Royaume-Uni ou en Allemagne, les élections générales sont aujourd’hui davantage une compétition pour le choix d’un chef de gouvernement. Encore celui-ci peut-il être mis en cause, en sa qualité de leader politique, par son propre mouvement (ainsi Margaret Thatcher a-t-elle gagné puis perdu le 10 Downing Street), ce qui n’est pas possible dans la France présidentialiste.

87 Journal officiel de la République française. Débats parlementaires : Assemblée nationale, nº 25 AN, séance du 24 avril 1964 : http://archives.assemblee-nationale.fr/2/cri/1963-1964-ordinaire2/012.pdf [URL consultée le 14/8/17].

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C’est Valéry Giscard d’Estaing, en 1978, qui annonça le premier qu’il pourrait y avoir cohabitation (sans

prononcer le mot) en cas de victoire de la gauche aux élections législatives.

Aujourd’hui, la concordance des mandats (quinquennats) rend la dissolution sinon impossible du

moins peu vraisemblable88, d’autant plus que les deux mandats coïncident et qu’il est plus avantageux

pour un président souhaitant être réélu de disposer également d’une assemblée favorable tout au long de

son deuxième mandat89. Parallèlement, Plus de dissolution (l’objet de la réforme du quinquennat prési-

dentiel était d’y mettre un terme), plus de référendum où le chef de l’État engage sa responsabilité : entre

le début et la fin du mandat présidentiel et législatif, il n’y a plus aucune perspective démocratique natio-

nale90. Seules les élections locales peuvent servir d’exutoire, comme ce fut le cas lors des élections régio-

nales de 2004, marquées par un raz-de-marée socialiste ou, inversement, les élections municipales de

201491. Pourtant, elles n’ont aucune incidence sur les pouvoirs publics nationaux92.

Avec le quinquennat présidentiel déterminant un quinquennat parlementaire, on élit un « sauveur

suprême » pour cinq ans, ni plus ni moins. Or cinq ans, c’est long quand les inflexions ne peuvent être

décidées que d’en haut. Cinq ans, c’est long quand pèse l’exercice des responsabilités d’État, l’obligation

dans laquelle on devrait être de penser aux effets de long terme dont les bénéfices n’apparaîtront parfois

que bien après l’exercice du pouvoir. Cinq ans, surtout, c’est long quand le capital politique de départ est

réduit. Or, depuis 2007, le capital politique personnel acquis par un président de la République au premier

tour de son élection ne cesse de s’affaiblir93 en même temps que l’abstention ne cesse de croître.

Le pointillisme des sondages, leurs rationalisations conjoncturelles a posteriori masquent les causes

systémiques. Or la rigidité quinquennale concourt à la dégradation de la confiance dans les institutions et

ceux qui les incarnent. L’homme providentiel — puisque c’est la logique du système présidentialiste — est

successivement léché, lâché, lynché. Et l’on espère dans une autre solution miracle, même du côté des

extrêmes. C’est la logique de la campagne de Jean-Luc Mélenchon, tribun du peuple à la mode des

Gracques ; c’était aussi celle de Marine Le Pen, en moderne Jeanne ne souhaitant pas bouter l’Anglois

hors de France mais la France hors d’Europe.

88 Élu en 1995 avec une majorité parlementaire favorable élue en 1993, Jacques Chirac décréta en 1997 la dissolution de l’Assemblée en espérant retrouver une majorité parlementaire stable jusqu’à la fin de son premier mandat en 2002. Il souhaitait éviter d’être victime d’une cohabitation après les élections législatives prévues normalement en 1998. La pratique est courante dans les régimes parlementaires (elle est aujourd’hui bridée pour le Parlement britannique), mais la dissolution de 1997 conduisit à une cohabitation de 1997 à 2002, Lionel Jospin étant Premier ministre.

89 Depuis 2002, le fait n’est pas arrivé : Jacques Chirac, alors à son deuxième mandat, avait fait savoir qu’il n’en solliciterait pas un troisième ; Nicolas Sarkozy fut battu ; François Hollande renonça. Inversement on remarquera que ni Jacques Chirac ni Nicolas Sarkozy n’ont eu de réels problèmes avec leur majorité et que, sous François Hollande, les « frondeurs » n’ont pu empêcher le gouvernement d’agir, y compris par l’usage de l’article 49,3.

90 Reste évidemment le décès ou l’empêchement pour cause de maladie. Georges Pompidou décéda en 1974, mais l’élection de son successeur intervint dans un cadre où les mandats présidentiel et parlementaires restaient disjoints (Pompidou avait été élu en 1969 après la démission du général de Gaulle, l’Assemblée nationale avait été renouvelée en 1973). Quant à François Mitterrand, on le sait, quelles que fussent ses souffrances à la fin de son deuxième mandat, il assuma entièrement son deuxième septennat alors que le seul autre président de la République réélu pour sept ans, Albert Lebrun, cessa ses fonctions en raison de la défaite de 1940.

91 Voir fr.wikipedia [URL consultées le 10/8/17] : — https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_r%C3%A9gionales_fran%C3%A7aises_de_2004 (régionales 2004) ; — https://fr.wikipedia.org/wiki/%C3%89lections_municipales_fran%C3%A7aises_de_2014 (municipales 2014).

92 Sinon, très indirectement, en modifiant le collège électorale du Sénat, assemblée de fait mineure.

93 Voir p. 14. On mettra de côté la candidature Chirac de 2002 qui correspondait d’ailleurs à un deuxième mandat après un premier mandat largement « amputé » par cinq ans de cohabitation. Depuis 2002, les candidats sont des candidats « de quinquennat ».

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V. Que conclure ?

La bulle sondagière qui éclate témoigne de phénomènes plus profonds dont elle ne rend pas compte.

Le président élu est haut dans les sondages, bien plus haut que le capital politique dont il bénéficie vrai-

ment, celui du premier tour. Il est légitime et cette légitimité s’exprime dans cette confiance élargie mais

par définition temporaire, sinon volatile.

Quand elle se dissipe, l’illusion laisse place à une désillusion parfois aggravée. Elle ne touche pas

seulement le personnage public qui en est victime, mais les politiques en eux-mêmes comme en elles-

mêmes, autrement dit les personnes de pouvoir quelles qu’elles soient comme l’action publique en soi.

Outre le fond des mesures prises et la réussite ou l’échec des politiques conduites, la manière dont la

gouvernance s’exerce joue un rôle. En dépit des astuces de communication, de plus en plus vite éventées,

la responsabilité personnelle suprême qu’assume le président de la République finit par l’écraser de son

poids plus qu’à ne lui donner les moyens de conduire ce en quoi il croit — qui n’est pas nécessairement ce

sur quoi on a cru l’élire. Mais comme, pendant la campagne, il s’est exprimé sur à peu près temps, on

l’attend sur tout ou presque.

On sait pourtant que l’histoire n’est pas écrite à l’avance. Emmanuel Macron peut-il faire mentir —

et à quelles conditions — les oracles, sondagiers ou politiques, qui lui prédisent une descente aux enfers

plus pénible encore que celle dont a été victime François Hollande en son temps ? La seule manière de

démentir les modernes Cassandre serait de le voir réélu et de nouveau conforté par une majorité parle-

mentaire cette fois aguerrie même si elle se renouvelle. Il n’y a pas de prédétermination absolue à ce que

ce quinquennat doivent être unique (au sens de « non renouvelé ») comme ceux de Nicolas Sarkozy et

François Hollande. Il faut se méfier des idées préconçues. On a longtemps cru que le régime ne survivrait

pas à une cohabitation et le pays en a connu trois dont aucune ne s’est traduite par une démission prési-

dentielle forcée ; de même aucune loi « naturelle » n’empêche une réélection théorique.

Ajoutons que chacun ignore ce que sera le contexte international en 2022, comment il pourrait peser,

ni dans quel sens. Considérons seulement le fait qu’une majorité relative des Françaises et des Français

ont confié les clés du pouvoir pour cinq ans à Emmanuel Macron, majorité parlementaire comprise94. Il

n’y avait sans doute pas d’illusion, sinon chez les fans (en d’autre temps, on aurait parlé d’« incondition-

nels »)95. Mais la situation s’annonce plus difficile dans cinq ans, usure du pouvoir oblige.

L’un des enjeux majeurs, pour Emmanuel Macron et son gouvernement, consiste donc à rétablir la

crédibilité dans l’efficacité politique nationale, largement remise en cause depuis une vingtaine d’années

mais aussi (puisque c’était un de ses axes identificateurs), dans le projet européen. Le pouvoir actuel a

laminé le Parti socialiste96 et victorieusement concurrencé, dans un registre moderniste, l’espace de Les

Républicains. Mais les désenchantements politiques et économiques (France, Europe) sont à la source des

colères sur lesquelles ont notamment prospéré Marine Le Pen comme Jean-Luc Mélenchon.

Au plan intérieur, les actuels gouvernants sont confrontés à un défi : faire percevoir, tout au long du

quinquennat, le caractère cohérent de leur action et sa continuité. Que la conjoncture impose des adapta-

tions est prévisible, mais ces adaptations peuvent être elles-mêmes délibérées avant d’être ajustées. La

délibération, en la matière, ne saurait être simplement formelle en ne reposer que sur une légitimité juri-

dique incontestable mais à l’évidence insuffisante. C’est la construction dans la durée, sans l’arrogance à

laquelle cèdent trop volontiers les nouveaux pouvoirs, qui peut permettre seule le travail de fond… sans

oublier que le fond des mesures peut donner lieu à de fortes controverses voire, parfois, des conflits ma-

jeurs au niveau social ou sociétal. Mais c’est tout autre chose que l’annonce à fin médiatique de mesures

94 66 % des exprimés au second tour, représentant 43,6 % des inscrits (voir le tableau « Second tour des dix élections présidentielles depuis 1965 », p. 11).

95 Voir les éléments d’« adhésion » évoqués p. 14.

96 Mais deux ans après la défaite historique (5%) de Gaston Defferre à l’élection présidentielle de 1969, c’était le congrès d’Épinay, suivi du programme commun de la gauche et de la marche victorieuse de François Mitterrand vers l’Élysée.

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dont les effets ne sont pas maîtrisables quand elles ne nuisent pas, par leur caractère répétitif, à la crédi-

bilité de l’Exécutif.

Cinq ans, c’est peu ; mais c’est une durée qui permet — ou pas — d’imprimer sa marque et sa capacité

à engager et développer une démarche positivement perçue. Compte tenu des engagements présidentiels

de campagne, du positionnement même mis en avant par Emmanuel Macron, c’est respecter la « promesse

d’équilibre » du et de droite, et de gauche.

Cela imposerait au président de la République de se consacrer aux enjeux stratégiques, même s’il

use, modérément donc et à bon escient, de ce pouvoir présidentiel d’évocation que décrivait le général de

Gaulle en 1964. Dans ce cadre, le discours annuel au Congrès permettrait à la fois de faire un bilan d’étape

et de dessiner les perspectives d’un projet en dynamique sans s’interdire cette respiration qui résulte d’un

remaniement gouvernemental voire du Premier ministre en cours de route.

Quos vult perdere Jupiter dementat : « Jupiter rend fou ceux qu’il veut perdre », y compris lui-même

s’il ne fait pas le choix raisonné de se contenir dans certaines limites. Or si Emmanuel Macron échoue

(soit qu’il soit battu, soit qu’il ne soit pas en état de se représenter), alors il faudra bien considérer que la

priorité sera moins de changer d’équipe exécutive, quelle qu’elle soit, que de dépasser la crise de régime

en retrouvant un changement institutionnel plus équilibré, avec plus de collégialités97 et donc des cadres

de fonctionnement plus délibératifs. S’il réussit, à la lumière du fonctionnement plus retenu que nous

appelons de nos vœux, alors ce sera peut-être l’occasion, dans la sérénité plus que dans la crise, d’engager

une telle évolution. Pour notre part, nous avouerons un pessimisme raisonné.

97 C’est à dessein que nous utilisons le pluriel.