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Désordres ioniques avant une anesthésie : que faut-il faire?

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Page 1: Désordres ioniques avant une anesthésie : que faut-il faire?

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Le praticien en anesthésie réanimation© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

rubrique pratique

Désordres ioniques avant une anesthésie : que faut-il faire ?

Jean-Mathieu Pujalte (photo), Laurent Jacob

Correspondance :

Jean-Mathieu Pujalte, Département d’Anesthésie Réanimation, Hôpital Saint Louis, 1 Avenue Claude Vellefaux, 75010 [email protected]

Points essentiels

•Aucune étude, sur de larges cohortes de patients, n’a validé la pertinence d’explorations biologiques périopératoires systématiques.

•C’est l’analyse des antécédents du patient, de l’anamnèse et des traitements qu’il observe qui pourront faire effectuer un bilan biologique préopératoire.

•Les troubles de l’hydratation (dysnatrémies) sont les anomalies les plus fréquentes.

•Lorsqu’ils ont été diagnostiqués, on recommande vivement la correction des désordres ioniques avant de débuter l’anesthésie.

•Il faut éviter les traitements peropératoires contre-indiqués en cas de trouble(s) ionique(s) ou susceptibles de l’ (les) aggraver.

u cours de la période périopératoire, des perturbations ioni-ques en rapport avec les pathologies préexistantes ou lestraitements suivis par les patients sont susceptibles

d’induire des effets indésirables graves. Les apports hydroélectro-lytiques nécessaires au cours de cette période peuvent majorer cesperturbations et doivent être adaptés aux anomalies ioniques ren-contrées. L’activation des différents systèmes hormonaux au coursde l’anesthésie et de la chirurgie peut enfin compromettre lesmécanismes d’homéostasie du milieu intérieur et aggraver lesdésordres préexistants. Ces risques soulignent l’importance dedépister ces anomalies biologiques dans les populations de mala-des exposés et d’anticiper les effets de la période opératoire, afind’en prévenir les conséquences.Dans un premier temps, nous verrons quelles sont les principalesindications du ionogramme sanguin que l’on peut recommanderen consultation d’anesthésie. Ensuite, nous rappellerons les ano-malies les plus répandues et leur traitement symptomatique.

Chez quels patients faut-il prescrire un ionogramme sanguin préopératoire ?

La Société Française d’Anesthésie-Réanimation a publié en 1998des recommandations (1) concernant la prescription des examenspréopératoires systématiques, en particulier des examens biochi-miques sanguins préalables à une anesthésie. Ces recommandationsstipulent : « 

pour les examens biochimiques suivants : l’iono-gramme sanguin, la créatininémie (de préférence à l’urée), et laglycémie, aucune étude contrôlée n’a mis en évidence l’intérêt deces examens avant une anesthésie. Les anomalies sont rares et neconduisent qu’exceptionnellement à une modification. Ils ne sau-raient donc être recommandés chez les sujets ASA 1 et 2 sans signed’appel 

».Aucune étude n’a validé, sur de larges cohortes de patients, la per-tinence d’explorations biologiques préopératoires systématiques.La connaissance des effets indésirables potentiels de certains trai-tements et du retentissement métabolique de nombreuses patho-logies permet de proposer une liste non exhaustive de situationsoù le bilan biologique peut se justifier

(tableau 1).

A

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Jean-Mathieu Pujalte, Laurent Jacob

Savoir reconnaître l’anomalie et son mécanisme

Les troubles de l’hydratation : dysnatrémies

Les anomalies le plus souvent rencontrées sont liées à une anoma-lie de la répartition de l’eau et du sodium. Elles sont extrêmementliées en pathologie et on ne peut séparer les troubles de la répar-tition de l’eau de ceux de la répartition du sodium. Rappelons quel’équilibre hydrique est régulé par trois mécanismes principaux :la soif, l’hormone antidiurétique (ADH) et l’aldostérone (2). Lors-que le trouble de l’hydratation ne concerne que le seul secteur

extra- ou intracellulaire, il est qualifié de trouble élémentaire :déshydratation extracellulaire ou intracellulaire, hyperhydrata-tion extracellulaire ou intracellulaire. Lorsqu’une perturbationidentique touche les deux secteurs extra- et intracellulaire, lestroubles sont qualifiés de globaux. Des perturbations dissociéesentre les deux secteurs caractérisent les troubles complexes (3).

Aucune étude n’a validé, sur de larges cohortes de patients,

la pertinence d’explorations biologiques préopératoires

systématiques

Chez le sujet sain, la natrémie est maintenue à 140 

±

 2 mmol/l.Elle reflète le pouvoir osmotique du liquide extracellulaire etpermet ainsi d’évaluer l’état d’hydratation intracellulaire. Saufexceptions (pseudohyponatrémies, fausses hyponatrémies), lesvariations d’osmolarité plasmatique sont étroitement corrélées àcelles de la natrémie qui est donc le marqueur biologique del’hydratation intracellulaire (3). Rappelons que l’hydratationextracellulaire est régulée par le pool sodé (osmotique) qui n’estpas reflété par la natrémie (2).

Les hyponatrémies

Elles sont définies par une concentration plasmatique en sodium

 infé-rieure à 130 mmol/l. En général, l’hyponatrémie témoigne d’unehypo-osmolarité plasmatique et l’on parle d’hyponatrémie vraie. Ilexiste cependant des situations où des substances osmotiquesactives contenues dans le plasma font que l’hyponatrémie n’estplus corrélée à la baisse de l’osmolarité plasmatique. Ce sont lespseudo- et les fausses hyponatrémies (3). Les pseudohyponatré-mies ou hyponatrémies isotoniques sont caractérisées par unenatrémie basse alors que la tonicité plasmatique est normale. Elless’observent au cours des hyperlipidémies ou des hyperprotidé-mies. Les fausses hyponatrémies ou hyponatrémies hyperosmolai-res sont caractérisées par la présence dans le plasma de quantitésanormalement élevées d’osmoles autres que le sodium (glucose,mannitol, alcool) qui induisent une baisse de la natrémie. Leshyponatrémies hypotoniques sont donc les vraies hyponatrémies.Elles sont classées en hyponatrémies à volume extracellulaire nor-mal, augmenté ou diminué

(tableau 2)

. La symptomatologie del’encéphalopathie hyponatrémique (syndrome confusionnel, nau-sées, vomissements) est aspécifique, quel que soit le type d’hypo-natrémie. Sa gravité est plus corrélée à la rapidité d’installation del’hyponatrémie et à sa durée, qu’à sa profondeur (3).

Tableau 1Situations cliniques les plus fréquentes au cours desquelles un ionogramme sanguin est justifié en consultation d’anesthésie.Pathologies cardiovasculaires :

– hypertension artérielle ;– cardiopathie ischémique ou rythmique

Signes généraux :– déshydratation, dénutrition, altération de l’état général– troubles digestifs (vomissements, diarrhée, arrêt du transit)

Pathologies endocriniennes :– diabète, adénome de Conn, dysthyroïdie, hyperparathyroïdie– insuffisance rénale aiguë ou chronique

Affection néoplasique avec un risque de :– hypokaliémie lors des diarrhées des tumeurs endocrines pancréatico-digestives :– insulinome, gastrinome, vipome, glucagonome, somatostatinome– hypercalcémie (métastases osseuses ou syndrome paranéoplasique)– hyponatrémie (SIADH)– acidose lactique– syndrome de lyse tumorale

Contexte chirurgical :– avant une chirurgie à risque de résorption (TURP syndrome), avant une levée d’obstacle– urgence chirurgicale (en particulier occlusion intestinale aiguë)

Sujet âgéÉthylisme chroniqueSymptomatologie neurologique (confusion, coma, anomalie de perception de la soif)Anorexie mentaleTroubles urinaires (polyurie, polyuropolydipsie)SepsisMédicaments : digitaliques, diurétiques de l’anse, diurétiques antagonistes de l’aldostérone, antidépresseurs inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, lithium, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, acide valproïque, oméprazole, laxatifs, chimiothérapies antinéoplasiques.

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Désordres ioniques avant une anesthésie : que faut-il faire ?

Les hypernatrémies

Les hypernatrémies sont secondaires à un déficit hydrique ou àune inflation sodée. Les hypernatrémies par déficit hydrique sesubdivisent en hypernatrémie hypovolémique ou isovolémique.Dans l’hypernatrémie hypovolémique, il y a perte concomitanted’eau et de sodium mais la perte d’eau dépasse celle de sodium

(tableau 3)

. Dans l’hypernatrémie isovolémique, les pertes d’eaus’accompagnent de pertes sodées minimes. Ces pertes hydro-sodées peuvent être d’origine rénale ou extrarénale

(tableau 3)

.Les hypernatrémies par inflation sodée sont plus rares que les pré-cédentes. Le plus souvent, elles sont secondaires à un apportexcessif de sodium. Elles sont principalement iatrogènes.

Dans tous les cas, les mécanismes physiologiques extrêmementpuissants concourrant à la régulation fine de l’osmolalité extra-

cellulaire sont dépassés et participent à l’installation de ces ano-malies : coma, impotence fonctionnelle, inaccessibilité à l’eau,diabète insipide, etc. En périopératoire, certains de ces facteursfavorisants peuvent s’associer.

Les dyskaliémies

Les perturbations de la kaliémie sont susceptibles d’être majoréesen période périopératoire. En effet, de nombreux agents anesthé-siques sont hypokaliémiants (thiopental, halogénés, kétamine)(3) ou hyperkaliémiants (curares dépolarisants). La succinylcho-line entraîne une hyperkaliémie de transfert (4, 5). À la dose de1 mg/kg, elle augmente la kaliémie d’environ 0,7 mmol/l (6). Enévitant les réinjections et sous réserve d’avoir contrôlé la kaliémiepréopératoire, la succinylcholine peut être utilisée chez l’insuffisant

Tableau 2Étiologies et traitement des hyponatrémies hypotoniques ou « vraies » hyponatrémies (3).

Avec VEC normal (capital sodique

normal)

Avec VEC augmenté (capital sodique augmenté)

Avec VEC diminué (capital sodique diminué)

Rétention d’eau pure Rétention d’eau et de Na+ prédominant sur l’eau

Pertes d’eau et de Na+ prédominant sur le Na+

Natriurèse > 20 mmol/l Natriurèse > 20 mmol/l

SIADH Insuffisance rénale aiguë oligogurique

= Pertes urinaires :

Hypothyroïdie Iatrogène : perfusions trop abondantes

Tubulopathies avec pertes de sel

Dérèglement du reset osmostat, potomanie

Natriurèse < 20 mmol/l Insuffisance surrénale

Salidiurétiques

Douleur, stress États démateux : insuffisance cardiaque congestive, cirrhose

Natriurèse < 20 mmol/l

hépatique, syndrome néphrotique, dèmes généralisés du sepsis, SIRS

Pertes gastrointestinales :

vomissements, diarrhées, fistules, aspirations digestives.

Dénutrition Pertes cutanées : brûlures

Restriction hydrique ± apport sodé

Restriction hydrique Apport hydrique

Salidiurétiques ± apport sodé

Restriction sodée Apport sodé = solutés salés hypertoniquesDiurétiques

Traitement étiologique Épuration extrarénale Macromolécules si hypovolémie efficace

Traitement étiologique Traitement étiologique

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rénal (6). Chez certains patients présentant un syndrome de désaf-férentation, l’augmentation de la kaliémie induite par les curaresdépolarisants peut être nettement plus importante et mettre en jeule pronostic vital. Ces pathologies à type de grands brûlés, de défi-cits neurologiques moteurs (paraplégiques, tétraplégiques) peu-vent aussi concerner les patients de réanimation longtemps immo-bilisés, curarisés ou présentant une polyneuropathie deréanimation. Un contrôle de la kaliémie préopératoire est particu-lièrement indiqué dans ce contexte.

Il paraît donc indispensable de prendre en compte les dyskalié-mies préopératoires, puisque l’on risque d’induire des troublesdu rythme cardiaque ou de la repolarisation en approfondissantune hypokaliémie ; à l’inverse, l’aggravation d’une hyperkalié-mie expose à des troubles de conduction. La kaliémie n’est enréalité qu’un indice très indirect du pool potassique total, puisquela répartition du potassium est très largement à prédominance

intracellulaire (90 %). Le rapport de concentration du potassiumintracellulaire sur sa concentration extracellulaire (rapport Ki/Ke)détermine la polarisation membranaire. La concentration potassiqueextracellulaire dépend pour beaucoup des échanges de potas-sium entre les milieux extra- et intracellulaire induits par lesanomalies acidobasiques ou certains agents pharmacologiques.Ainsi, par exemple, les agonistes 

β

-adrénergiques (catéchola-mines, salbutamol), l’insuline, les bicarbonates, les diurétiquesde l’anse sont hypokaliémiants et, à l’inverse, les diurétiquesinhibiteurs de l’aldostérone sont hyperkaliémiants. Rappelonsque l’électrocardiogramme doit être systématique devant toutedyskaliémie (3).

Les hypokaliémies

Par définition, il s’agit d’une kaliémie < 3,5 mmol/l. La sympto-matologie clinique induite par l’hypokaliémie est secondaire à

Tableau 3Étiologie et traitements des hypernatrémies (3).

Hypernatrémie par déficit hydrique prédominant Hypernatrémie par inflation sodée

prédominanteHypernatrémie hypovolémique

Hypernatrémie isovolémique

Hypernatrémie hypervolémique

Pertes d’eau > pertes de Na+ Pertes « d’eau pure » Apports excessifs de NaCl par :

Osmolarité urinaire basse = pertes rénales :polyuries osmotiques (hyperglycé-mie, hyperazotémie), polyuries iatrogènes (diurétiques, mannitol), insuffisance rénale aiguë à diurèse conservée,syndrome de levée d’obstacle.

Osmolarité urinaire élevée = pertes gastro-intestinales (diarrhée),pertes cutanées (sudation),pertes pulmonaires

Osmolarité urinaire basse = pertes rénales : * diabète insipide central, diabète insipide néphrogénique.

Osmolarité urinaire élevée = pertes extrarénales :adipsie ou hypodipsie primaire ; causes iatrogènes, pertes d’eau non compensées (comateux, ventilation artificielle, hyperthermie, brûlures, sujets âgés, enfants…).

γ-hydroxybutyrate de sodium, Fosfomycine, pénicilline sodée.

Solutés hypertoniques

Alcalinisation massive

Chirurgie du kyste hydatique

Noyade en eau de mer

Élimination insuffisante de sodium :syndrome de Cushing,corticothérapie.

Réexpansion volémique par macromolécules.

Correction du déficit hydrique intracellulaire (par solutés hypotoniques).

Traitement étiologique

Apport hydrique de solutés hypotoniquesTraitement étiologique

Toujours restriction sodéeApports solutés hypotoniques (prudent)SalidiurétiquesHémofiltration ou hémodialyseTraitement étiologique

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Désordres ioniques avant une anesthésie : que faut-il faire ?

l’augmentation de la polarisation membranaire secondaire à labaisse du rapport Ki/Ke

(fig. 1)

.

Les manifestations cardiaques observées lors d’une hypokaliémiesont principalement des troubles du rythme (extrasystoles ventri-culaires, tachycardie ventriculaire, fibrillation ventriculaire,torsades de pointes secondaires à l’allongement du QT) et desanomalies de la repolarisation (sous-décalage de ST, inversion oudisparition de l’onde T, apparition de l’onde U). Ces symptômessont favorisés par la digitalisation, l’imprégnation par les anti-arythmiques ou l’existence d’une cardiopathie ischémique sous-jacente, mais ils peuvent aussi s’observer sur cœur sain. Les mani-festations neuromusculaires concernent la musculature striée(crampes, paresthésies, paralysies) ou lisse (iléus paralytique,vomissements, rétention urinaire). Le

tableau 4

distingue leshypokaliémies à pool potassique normal de celles à pool potassi-que diminué, dont la prise en charge thérapeutique est différente.

Les hyperkaliémies

Par définition, il s’agit d’une kaliémie > 5,0 mmol/l. Il faut avanttout éliminer une fausse kyperkaliémie liée à une hémolyse, à lapose excessivement prolongée d’un garrot, à une hyperleucocy-tose (globules blancs > 100 000/mm

3

) ou à une thrombocytose(plaquettes > 700 000/mm

3

). Contrairement aux hypokaliémies,les hyperkaliémies induisent une dépolarisation membranaire etune diminution de l’électronégativité du potentiel de membranecellulaire

(fig. 2).

Les ondes T amples, pointues et symétriques (surtout dans lesdérivations précordiales) sont le signe électrocardiographique le

plus fréquent d’hyperkaliémie. Les manifestations cardiaques del’hyperkaliémie, à type de troubles de conduction (onde P allongéeet effacée, allongement de PR, élargissement de QRS et sus- ou

Figure 1. L’hypokaliémie, par diminution du rapport Ki/Ke, induit une hyperpolarisation du potentiel de repos à l’origine d’une hypoexcitabilité cellulaire.

Potentiel de repos

Ki/Ke Potentiel d’action

Seuil de dépolarisation

Hypokaliémie excitabilité

Tableau 4Étiologie des hypokaliémies (3).Hypokaliémies à pool potassique normal (= par transfert)

Alcaloses respiratoires ou métaboliques ; apports insuliniques, minéralocorticoïdes ; agents sympathicomimétiques ; paralysie périodique familiale hypokaliémique ;Pseudohypokaliémie ; delirium tremens ; hypothermie ; vitamino-thérapie B12 ; intoxication au baryum

Hypokaliémie à pool potassique diminué (= par déplétion)Kaliurèse > 20 mmol/l = fuites rénales excessives en potassiumMédicaments : salidiurétiques, antibiotiques (pénicilline, amphotéri-cine B, tétracycline, gentamycine, polymyxine, rifampicine), cispla-tinium, L-Dopa, lithiumHyperaldostéronismes : primaires, syndrome de Cushing, cortico-thérapie, tumeurs sécrétantes de rénine, secondaires, hyperplasie congénitale surrénalienneMaladies rénales : acidose tubulaire rénale, syndrome de BartterSyndrome de levée d’obstacle, polyuries osmotiquesHypomagnésémie, hypercalcémie

Kaliurèse < 20 mmol/lFuites digestives de potassium : diarrhées infectieuses, tumeurs vil-leuses, syndrome de Zollinger-Ellison, abus de laxatifs et lavements, syndromes de malabsorption, fistules biliaires et digestives basses, vomissements, aspiration gastriqueFuites cutanées de potassium : brûlures, sueursDéfaut d’apport de potassium : régime hyperglucidique, alcoolisme, géophagie

Figure 2. L’hyperkaliémie, par augmentation du rapport Ki/Ke, induit une dépolarisation du potentiel de repos à l’origine d’une hyperexcitabilité cellulaire.

Potentiel de reposHyperkaliémie

excitabilité

Seuil de dépolarisation

Potentiel d’actionKi/Ke

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sous-décalage de ST) ou de troubles du rythme, peuvent mettre en jeule pronostic vital. Le monitorage électrocardiographique continuest donc indispensable dans ce contexte. La symptomatologieneuromusculaire, totalement aspécifique, concerne également lesfibres musculaires lisses et striées. Le

tableau 5

résume les diffé-rentes causes d’hyperkaliémie.

Les autres anomalies : dysphophorémie, dyscalcémie, dysmagnésémie

Elles sont rares, et souvent de découverte fortuite. Par ailleurs, leionogramme sanguin habituel ne comporte pas de dosage de laphosphorémie, de la calcémie ni de la magnésémie. De plus, lessignes cliniques sont aspécifiques (troubles digestifs, vertiges,fatigabilité musculaire, signes neurologiques).

Les hypocalcémies profondes peuvent être à l’origine d’unehypoexcitabilité myocardique par élévation du seuil de dépolarisa-tion. Inversement, les hypercalcémies peuvent entraîner unehyperexcitabilité myocardique par abaissement de ce seuil.

L’hypercalcémie secondaire à une hyperparathyroïdie doit êtrecorrigée avant une anesthésie, puisqu’elle expose à des troublesdu rythme cardiaque (7). On dispose de plusieurs possibilités thé-

rapeutiques : réhydratation, biphosphonates, calcitonine, hémo-dialyse, diurétiques de l’anse (8).

Il faudra traiter une hypercalcémie d’origine néoplasique (myé-lome multiple, métastases osseuses de tumeurs solides, syndromesparanéoplasiques) avant toute anesthésie (9).

Les modifications hydroélectrolytiques induites par les apportshydrosodés peropératoires peuvent démasquer une hypomagnésé-mie infraclinique préexistante, provoquant une symptomatologieclinique aspécifique (signes neuromusculaires et digestifs) enpostopératoire. Il est donc recommandé de corriger une hypoma-gnésémie avant toute anesthésie (3).

Correction préopératoire des anomalies graves

Les dysnatrémies

Hyponatrémie

Lorsque l’hyponatrémie est < 120 mmol/l et/ou qu’elle s’est ins-tallée en moins de 48 heures ou s’accompagne de signes neurolo-giques, le traitement consiste à administrer du NaCl hypertoniqueassocié à une restriction hydrique. Lorsque l’hyponatrémie est> 120 mmol/l et qu’elle s’installe en plus de 48 heures, enl’absence de signe neurologique, une restriction hydrique est suf-fisante. Rappelons qu’une correction trop rapide d’une hyponatré-mie peut être responsable de lésions neurologiques (myélinolysecentro-pontine) (10). Ainsi, il semble prudent de ne pas corrigerune hyponatrémie sévère ou aiguë à une vitesse supérieure à2 mmol/l/h ou 15 mmol les 24 premières heures. Pour l’hypona-trémie chronique, on peut se limiter à une vitesse de correction de0,5 mmol/l/h. Dès l’obtention d’une natrémie > 128 mmol/l, letraitement peut être interrompu (11, 12). En dehors de l’urgence,il faut corriger toute hyponatrémie sévère avant une anesthésie(3). Le traitement des hyponatrémies est résumé dans le

tableau 2

.

Hypernatrémie

Le traitement des hypernatrémies hypovolémiques est résumédans le

tableau 3

. La réhydratation par un soluté hypotoniquedoit corriger progressivement l’osmolarité, alors que l’hypovolé-mie doit être normalisée rapidement. Le traitement des hyper-natrémies isovolémiques consiste en un apport hypotoniqueentéral ou parentéral (soluté glucosé hypotonique à 2,5 %).Chez l’insuffisant cardiaque, l’administration de solutés hypo-toniques fait courir un risque d’œdème aigu du poumon chez unpatient en surcharge sodée. Ils doivent donc être utilisés avec

Tableau 5Étiologie des hyperkaliémies (3).Fausses hyperkaliémiesErreurs de prélèvements ; thrombocytose ; leucocytose

Apports excessifs de potassiumOraux (sels de substitution) ; intraveineux

Transferts transcellulaires de potassiumAcidoses métaboliques (surtout hyperchlorémiques) ou respiratoires ; insulinopénie et hyperglycémie ; hypercatabolisme, efforts musculaires intenses ; rhabdomyolyse,Hyperthermie maligne ; hémolyses massives ; hyperosmolarités ; circulation extracorporelle ;Iatrogènes : β-bloquants, digitaliques, succinylcholine, chlorure d’arginine ;Constitutionnels : forme hyperkaliémique de la paralysie périodique

Diminution de l’excrétion rénale de potassiumInsuffisance rénale aiguë ou chroniqueHyperaldostéronismes : par diminution de l’activité du SRAA (hypoaldostéronisme, hyporéninisme, AINS, inhibiteurs de l’enzyme de conversion, dialyse chronique) ;par défaut de sécrétion surrénalienne (insuffisance surrénale primaire, déficit enzymatique, héparine) ; par résistance à l’aldostérone (diurétiques épargneurs de K, pseudohypoaldostéronisme) ; par défaut de sécrétion du K : lupus érythémateux disséminé, après transplantation rénale, amylose rénale.

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Désordres ioniques avant une anesthésie : que faut-il faire ?

prudence, après la négativation de la balance sodée par l’arrêtdes apports exogènes en NaCl et l’utilisation de diurétiques del’anse (13, 14).

Les dyskaliémies

Hypokaliémie

Les modalités de la recharge potassique dépendent de l’impor-tance du déficit et de la symptomatologie (3). Ainsi, une hypo-kaliémie sévère (< 2,5 mmol/l) doit être traitée rapidement,pour ramener la kaliémie au-dessus du seuil de 3 mmol/l (15).L’administration rapide de potassium pouvant entraîner destroubles du rythme cardiaque, un monitorage par scope est obli-gatoire. On peut administrer jusqu’à 4 à 6 g de potassium élé-ment sur un minimum de 3 heures, ce qui correspond à unevitesse d’administration d’environ 1 à 1,5 g/h. Cette rechargepotassique nécessite l’utilisation d’un cathéter veineux centralafin de prévenir les lésions vasculaires endothéliales et les ris-ques de nécrose tissulaire. Une hypokaliémie modérée (supé-rieure à 3 mmol/l) peut être corrigée plus lentement (3, 15).L’administration orale de potassium à libération prolongée estmieux tolérée au niveau digestif. Si l’hypokaliémie s’accompa-gne d’une déplétion magnésique, ces deux troubles doivent êtrecorrigés dans le même temps (3). Rappelons enfin qu’au cours detoute hypokaliémie, les digitaliques, les quinidiniques, le bépri-dil et l’apport de calcium sont proscrits. Les digitaliques, eninhibant la pompe Na/K ATPase augmentent la concentration depotassium extracellulaire et engendrent un effondrement dupotassium intracellulaire. Le bépridil (Unicordium

®

), par ses pro-priétés électrophysiologiques (allongement de la repolarisation)peut induire des troubles du rythme ventriculaire, en particulierdes torsades de pointes.

Hyperkaliémie

En premier lieu, il faut interrompre les apports potassiques et,s’il existe des anomalies électrocardiographiques, antagoniserles effets du potassium sur le potentiel de membrane par ducalcium. Le calcium antagonise directement les effets membra-naires cardiaques de l’hyperkaliémie en augmentant la diffé-rence entre le potentiel membranaire de repos et le potentielseuil, ce qui diminue l’hyperexcitabilité (15). Le calcium estformellement contre-indiqué au cours d’un traitement digitali-que. En pratique, l’administration d’une ampoule (10 ml) degluconate de calcium à 10 %, sous monitorage ECG, agit en 1 à3 minutes (raccourcissement de l’espace PR et diminution del’excitabilité) et son effet persiste 30 à 60 minutes (16).

Ensuite, le traitement d’une hyperkaliémie consiste à agir surles transferts du potassium extracellulaire dans les cellules et/ou à soustraire l’excès de potassium de l’organisme. Le traite-ment par l’administration de glucose et d’insuline stimule lacaptation cellulaire du potassium. L’effet de l’administrationen 1 heure de 500 ml de sérum glucosé à 10 % associés à 10 UId’insuline est rapide (en 30 minutes) mais transitoire (4 à6 heures) (3, 16, 17). Le bicarbonate de sodium permet égale-ment de transférer le potassium vers le compartiment intracel-lulaire. Il est administré à la posologie de 1 mEq/kg, soitenviron 50 à 100 ml de bicarbonate de sodium à 8,4 %. Sondélai d’action est bref (5 à 10 minutes) mais sa durée d’action estlimitée à 2 heures (3, 16, 17). Il fait courir un risque de sur-charge volémique et d’œdème aigu du poumon chez le patientinsuffisant cardiaque. Les autres techniques permettant de cor-riger une hyperkaliémie consistent en l’élimination de l’excèsdu potassium de l’organisme par l’utilisation de résines échangeu-ses de cations, de diurétiques et, bien entendu, lorsque cela estindispensable, par l’hémodialyse ou l’hémofiltration. Les rési-nes échangeuses de sodium (Kayexalate

®

), utilisables par voiedigestive, n’agissent qu’en 1 à 2 heures, pour une durée de 4 à6 heures environ. On administre de 50 à 100 g de résine parjour (3, 15). Les diurétiques de l’anse ne peuvent être employésqu’après vérification de l’absence d’obstacle sur les voiesexcrétrices urinaires. L’hémodialyse reste le traitement de réfé-rence de toute hyperkaliémie menaçante (3, 15-17) mais c’estun geste long et fastidieux qui nécessite la pose d’un cathéterveineux central et la préparation du dialyseur. Envisager uneépuration extrarénale ne dispense donc pas de débuter lesautres mesures thérapeutiques. Enfin, chez un insuffisant rénalchronique dialysé, l’épuration extrarénale est recommandée laveille d’une intervention programmée.

Conclusion

Il n’existe pas de recommandation fondée sur des études prospec-tives concernant la réalisation systématique d’un ionogrammesanguin, du dosage de la créatininémie et de la glycémie. En effet,aucune étude contrôlée n’a mis en évidence l’intérêt de ces exa-mens biochimiques avant une anesthésie. C’est l’analyse des anté-cédents du patient, de l’anamnèse et des traitements suivis quipourront faire entreprendre ce bilan biologique préopératoire.Enfin, il faudra éviter les traitements peropératoires contre-indi-qués en cas de trouble(s) ionique(s) ou susceptibles de l’(les)aggraver.

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Jean-Mathieu Pujalte, Laurent Jacob

Références

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