Dessins d'anatomie artistique inédits du Maître A. Decaris*

par le Dr Jacques FOSSARD**

A la demande du Pr H. Mondor, A. Decaris fait des schémas de dissec­

tions, mais les analyses anatomiques sont interrompues par la mort du

chirurgien. Deux gravures représentent deux cadavres ; deux autres sont dans

un magnifique décor; la dernière, une femme, montre son thorax et son

abdomen ouverts, avec les organes.

J'ai connu l 'existence de ces dessins par u n e phrase du très beau livre du

Pr Jacques-Louis Binet , le dermatologue, Dessins et Traités d'Anatomìe :

"En 1964, u n grand chirurgien qui était en m ê m e t emps u n érudit renoue

le dialogue avec la gravure. Henr i M o n d o r d e m a n d e à Decaris*** de dessiner

des écorchés, mais il meu r t avant d'avoir p u publ ier son livre sur l 'anatomie."

* Communication présentée à la séance du 25 octobre 1986 de la Société française d'histoire de la médecine.

** Chemin de la Baume, 06140 Tourettes-sur-Loup. *** Né à Sotteville-lès-Rouen en 1901, il est élève à l'École Estienne puis des Beaux-Arts. Il

reste à la Villa Médicis de 1919 à 1926. Il travaille en Espagne, Provence, Tunisie, Grèce... Auteur de paysages, portraits, compositions inspirées de la mythologie et de la civilisation méditerranéenne, il illustre plus de 200 livres, d'Eschyle et Euripide à Giono, Claudel, Monther­lant... Graveur de timbres depuis 1933 (France, Monaco, Andorre, républiques africaines). Il réalise aussi de grandes fresques ou toiles : Palais de Bois, exposition de 1937, exposition de New York (1938), Fédération du Bâtiment à Paris, mairie de Vesoul, chapelles, halls...

Il est encore peintre titulaire de la Marine nationale, sociétaire des Artistes français, de la Société des Beaux-Arts, des Peintres-Graveurs, du Salon d'Automne, officier de la Légion d'honneur et d'Arts et Lettres.

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O n ne présente plus Alber t Decaris. J e rappellerai seulement qu'il est Grand Prix de R o m e en 1919 et il est fortement imprégné par la Ville Éternel le . Il illustre de n o m b r e u x livres, des t imbres-poste. Ses peintures sont, elles aussi, remarquables . Il est m e m b r e de nombreuses sociétés, surtout de l 'Institut, appar tenant à l 'Académie des Beaux-arts depuis 1943.

A u début , pour b ien préciser le style de l'artiste, j ' a i choisi une illustration de Vaincre à Olympie de Maur ice Genevoix . La scène représente le vieux Menes thée conseillant le j e u n e Sostratos avant les joutes . Mais on pourrait très b ien l ' interpréter c o m m e u n élève prêtant le serment d 'Hippocrate envers son maître.. . Il est intéressant de noter la finesse et l'agilité des doigts, les saillies du coude, les muscles plus suggérés que bru ta lement représentés.

Les cinq dessins que je vais mont re r sont donc le fruit de la rencontre de deux grands h o m m e s , de deux grands érudits, et m ê m e de deux grands dessinateurs, car le chirurgien pratiquait, c o m m e tant d 'autres, cet art avec brio. O n a évoqué ces dons lors du centenaire de sa naissance, mais j ' eusse a imé que l 'on insistât plus sur cet aspect de ses qualités. J e crois pouvoir annoncer que le Pr Jean-Paul Binet, le chirurgien et frère de celui que l'ai évoqué au débu t de cette communica t ion , envisage, malgré ses lourdes tâches, une Vie de Mondor, son maître , très complète. J ' ignore personnel lement si l 'on connaît de ses dessins anatomiques car, malgré ses n o m b r e u x titres, il n ' a jamais été prosecteur.

Alber t Decaris a fait ses dessins sur place, dans les pavillons d 'anatomie de la Facul té de la rue des Saints-Pères.

Sur ce premier écorché, on note, à l ' exemple de la plupart des dessinateurs de cette science, l 'absence de table de travail, par crainte d 'amoindrir le relief du sujet. C'est aussi le cas de l 'Écorché de Bayonne (*). O n remarque surtout que l'artiste dessine les cadavres tels qu'il les voit. Les reproductions dans les livres d 'anatomie rétablissent, à partir du corps observé, l 'aspect du vivant et non celui du corps macéré . Il y en a de n o m b r e u x exemples , c o m m e notam­m e n t cet écorché debout de Charles Est ienne.

O n peut faire u n e autre constatation : l 'inégalité des bords de la peau. Elle se présente parfois ainsi. Lorsqu'el le a été incisée, mais seu lement décollée partiellement. L'artiste a peut-être u n peu exagéré cet aspect. Celui-ci se retrouve pour tant dans u n autre dessin de Charles Es t ienne représentant u n h o m m e assis sur u n siège de pierre et découvrant son thorax ouvert. Mais ici il est artificiel, conséquence de quelques points mis sur la peau de l ' abdomen.

É tud ions les détails de ce cadavre. A l'étage supérieur on reconnaît u n deltoïde, l 'ébauche d' intercostaux, u n vague biceps. L ' a b d o m e n est largement

* Attribué à Géricault, en réalité de Gamelin.

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ouvert, mais on ne distingue pas les organes. Il s'agit b ien d 'une anatomie artistique, n o n d 'enseignement .

Le deux ième dessin est à peu près ident ique, mais représenté de profil. O n note la position inversée, tête en bas, que l 'on retrouve chez d'autres auteurs, c o m m e Gamel in . Ici, on aperçoit plutôt le grand pectoral. D a n s ces deux dessins on est frappé par l 'aspect affreux du visage, en général embell i chez les autres artistes. Pour tant l 'anatomie photographique de D o y e n mont re le m ê m e genre de face hirsute. Il s'agit là encore d 'une reproduct ion d'après nature.

Les deux gravures suivantes sont agrémentées d 'un décor précieux abondan t et luxuriant. Ce n 'es t pas une nouveauté . Il suffit de se rappeler, entre autres, Alb inus et son rocher ou son rhinocéros, ou encore les squelettes animés , parfois ailés de Gamel in .

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Le p remie r est é tendu sur une draperie, devant u n palais, à proximité de bijoux, la richesse peut-être. E n bas, de l 'autre côté, des livres, une mappe ­m o n d e ; la science ?

O n devine à peine dans le thorax décharné u n grand pectoral. Les deux cuisses sont légèrement ouvertes, mais on distingue mal le quadriceps.

L 'é tude du détail du décor mont re la minut ie employée pour les draperies et les o rnements qui semblent véri tablement scintiller. Les livres mont ren t u n e reliure, u n texte, des dessins. Il y a encore u n globe terrestre, des "volumen".

L 'autre dessin est part icul ièrement curieux ; le thorax et l ' abdomen sont largement découpés, mais là encore, on apprécie mal les organes. Le crâne a été scié et la calotte repose à proximité. Cela rappelle u n dessin de Charles

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Est ienne où elle est à distance, suspendue à u n arbre. Le détail de la cuisse mon t r e u n quadriceps, sous lequel on devine le fémur.

Le décor est très beau, peut-être symbolique. E n bas des plantes.. . la terre ; en haut, des étoiles, des soleils... le ciel ? Le t h è m e de l 'astre se retrouve f réquemment chez Decaris.

Le dernier dessin est to ta lement différent. Il n 'est d'ailleurs pas tout à fait inédit puisqu' i l a illustré le p rogramme d 'un "Entre t ien de Bichat". Il repré­sente u n e très belle f emme pensive, drapée, devant u n palais, le thorax et le ventre largement ouverts. La tête est très fine, au profil grec, les cheveux ondulés main tenus par u n e barrette de perles.

Surtout, fait nouveau, les organes sont représentés avec minut ie et préci­sion : le c œ u r et ses vaisseaux, le diaphragme, le foie, l 'intestin, l 'estomac... Ils

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sont aussi beaux que les dessins célèbres de l 'ouvrage de Bidloo ou que les cires du musée de la Specola à Florence.

L 'œuvre , étant inachevée, on ne peu t dire ce qu'aurai t été la représentat ion précise des régions, des organes. Il faut considérer les premiers dessins, c o m m e des visions de cadavres plus ou moins disséqués, tels que les a vus l'artiste. Plus tard, il aurait vra isemblablement retrouvé l 'exactitude scienti­fique, évoquée avec toute la qualité de son art.

Le détail du sein gauche est intéressant, car il rappelle la fameuse étoile.

Tels sont ces dessins d 'Albert Decaris qui méri teraient un meil leur sort que l 'oubli.

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Je veux terminer sur une gravure du maître qui illustre le catalogue de son exposition, en mai dernier à la mairie du VI e a r rondissement et qui mon t re b ien que le t hème solaire ou astral le hante . D'ail leurs le titre de cette mani­festation était évocateur : "Le soleil et la terre".

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Interventions

Dr André PECKER :

Il faut féliciter notre collègue J. Fossard d'avoir attiré l 'at tention de la Société sur le maître A . Decaris qui fut, après la guerre de 1914-1918, le plus j eune Grand Prix de R o m e et n 'a cessé depuis d'enrichir livres et cimaises de ses gravures et aquarelles.

Ayan t depuis longtemps admiré sa virtuosité à manier le bur in , j 'avais caressé l 'espoir de lui faire graver u n e série de planches d 'anatomie. J e souhai­tais que ces planches fussent présentées paral lèlement à des planches du XVII e siècle, n o t a m m e n t celles de Bidloo, de façon à mont re r que notre X X e siècle disposait également d 'éminents artistes.

J e m'étais ouvert de ce projet à notre collègue, éditeur, D a Costa et ensemble nous avions rendu visite à Decaris. Par ailleurs, j 'avais d e m a n d é au Pr Mondor , s'il accepterait de commente r ces planches anatomiques . C o m m e à cette époque, c'est-à-dire il y a u n e vingtaine d 'années , Decaris était déjà m e m b r e de l 'Académie des Beaux-arts , le Pr M o n d o r devait lui en parler à l 'Institut. Malheureusement , ce qui était j e crois u n beau projet n 'a p u être réalisé, le tirage à l 'unité d 'une vingtaine de gravures s'avérant délicat.

Les gravures présentées par notre collègue sont des épreuves destinées à discuter avec l 'éditeur.

J e voudrais profiter de cette intervention pour signaler que dans le n u m é r o spécial d'Histoire de la médecine publ ié en 1961, nous avions pour illustrer u n e communica t ion d'Yvan Verd, reproduit u n e très belle gravure de Decaris représentant Asclépios. D 'au t re part, la Société française de gynécologie lui a d e m a n d é de graver son diplôme ; Hippocrate et son arbre figurant sur ce diplôme, j ' a i p u en remet t re une épreuve au XVIII e congrès international d'histoire de la médec ine à Varsovie en 1962 et au Pr Spyridion Oeconomos .

Le DrANGOT

Vieil ami d 'Albert Decaris, nous "conduit" dans l'atelier de l'artiste. Il nous expl ique c o m m e n t il travaille et son habileté à manier le bur in sur les plaques de cuivre, souvent de grandes surfaces lourdes, difficiles à manoeuvrer, éclai­rées d 'une lumière reflétée par u n miroir. Lorsqu' i l s'agit de t imbres-poste, u n e minut ieuse précision est encore plus nécessaire.

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SUMMARY

At H. Mondor request, H. Decaris laid five drawings of dissections but the

expected anatomy has been interrupted by the Surgeon's death. Two points

represent two isolated corpses, another two ones are in a magnificent scenery;

the last one, a woman, shows precise thoracic-abdominal organs.

BIBLIOGRAPHIE

ALBINUS. - "Bernardi Siegfried Albini Tabulae...". Leyde. 1747. Les gravures sont de Wande­laar.

BIDLOO G. - "Anatomia humani corporis". 1685. Réédité en 1972 par Da Costa. Les dessins sont de Gérard de Lairesse.

BINET J.L. et DESCARGUES P. - "Dessins et traités d'anatomie". Chêne. Paris. 1980.

BINET J.P. - "H. Mondor, chirurgien, homme de lettres et homme d'esprit". Nov. 1985. Exposé à la mairie du VII e.

BUCCI M. - "Anatomia come arte". Edizioni d'Arte il Fiorino. Firenze. 1969.

Catalogue de l'Exposition Decaris à la mairie du VI e arrondissement (13 au 31 mai 1986).

DOYEN D.E., BOUCHON J.P., DOYEN R. - "Atlas d'anatomie topographique". Maloine. Paris. 1911.

GAMELIN J. - "Nouveau recueil d'osteologie et de myologie...". Toulouse. 1779.

ESTIENNE Ch. - "La dissection des parties du corps humain...". Paris. 1546. Réédité à Stras­bourg en 1970 (W. Fischer).

GENEVOIX M. - "Vaincre à Olympie". G. Roissard. Grenoble. 1968.

Histoire des sciences médicales. Tomes XIX. № 3-1985 (consacré à H. Mondor). FOSSARD J. - "Faut-il rendre à Gamelin l'Écorché de Bayonne attribué à Géricault ?". Histoire

des sciences médicales. Tome XVIII. № 2-1984.

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