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ancrages LEUR LAISSER LA FRANCE

Deuxième extrait du livre-album "Leur laisser la France", du collectif Ancrages

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Livre 130 pages, album-cd 11 titres. www.ancrage-s.com

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a n c r a g e s

leur laisser la france

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Syndrome de Stockholm.

Preneuse d’otages, « la France » parvient à faire s’identifier à elle ses captifs.

Elle gagne leur confiance, leur considération, leur amour.

Chacune de ses concessions devient un bienfait inestimable, chaque coup qu’elle s’abstient de porter devient la preuve de sa clémence.

Jusqu’à effacer chez ses captifs toute possibilité de rupture avec elle. Jusqu’à ce qu’ils deviennent ses plus grands défenseurs, en attente permanente de sa reconnaissance. Jusqu’à ce qu’ils haïssent ceux qui s’interposeraient entre elle et eux.

L’arbitraire violent de la réduction devient nécessaire, positif, vital. De concert, bourreau et victimes parlent alors d’unicité et d’indivisibilité, de faire-société et de vivre-ensemble.

Mais l’existence d’un seul uniforme, d’un seul maton, court-circuite toute illusion de vivre-ensemble. Le cocktail qui embrase le fourgon aussi.

L’uniforme, le maton, le fourgon : prolongements naturels de la preneuse d’otages ; prolongés et ramifiés par son captif : le citoyen français, et ses variantes.

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1/ Citoyen. S’affirme toujours plus comme un proto-flic, à mesure que s’opère la dilution du répressif dans l’air ambiant. A ses termes-boucliers : démocratie, république, laïcité – « nous sommes d’accord sur l’essentiel » –, procurant la satisfaction d’un nous qui ratonnera les autres. A ses valeurs, fichées jusqu’à la moelle de l’os : débat, respect, vote, mérite, représentation, légitimité, travail, tolérance, politesse. A « la France » dans la peau. Rassuré par le confort d’adhérer à ce que pensent tant d’identiques – même séparés en de prétendus camps –, la quiétude d’avoir le nombre et l’ordre à ses côtés, et la certitude de trimer en trouvant chaque fois, au bout, un nouveau ravitaillement républicain.

2/ Militant. Dénonce sincèrement les « dérives » d’un système, dans le but moins avoué de le sauver. De l’indignation devant des licenciements à l’appel au calme en cas d’émeutes, de la pétition contre les expulsions à la veille citoyenne, de l’insurrection électorale à la révolte moyennant déclaration en préfecture et à la presse. Acceptation des codes du centre, de son langage, de son terrain de jeu, des places qu’il propose. Amour pour ses formes. Syndrome de Stockholm.

3/ Révolutionnaire. Attaque les représentants et croit à la représentation. Critique radicalement le pouvoir et s’organise pour l’exercer. Parle au nom des « sans-voix » et invente « leurs » mots dont il les dépossède. Prétend sauver l’humanité dans le but de la guider. Souhaite refaire le monde afin de le contrôler. Est déjà du côté des preneurs d’otages.

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« Je suis l’enfant d’un combat qui n’a pas de fin et qui hait les fins que les combats s’assignent. »

Proto-flic, militant ou révolutionnaire, il a déjà ou aura demain avec soi la police – en uniforme, en civil ou en citoyen.

Une police dissimulée derrière tous ceux qui occupent les têtes et les mains : les agences d’intérim, les employeurs, les formations et l’horizon indépassable du travail ; les assistants sociaux, les éducateurs spécialisés, les profs, leurs conseils de discipline qui préparent la palpation du flic ; l’esprit civique, les partis politiques, les syndicats, les organisations révolutionnaires, leurs marches à suivre qui font croire qu’on est au contrôle.

Face à quoi il faudra porter partout nos amours et nos haines, nos affects et nos voix : dans les salles de cours devenues foutoirs, où l’on doit fermer sa gueule et chuchoter ; dans les tafs de merde faits par-dessus la jambe, où l’on doit produire et se réaliser ; dans les mairies envahies de you-you, où l’on se fait bénir par la république coloniale ; dans les débats transformés en champs d’insultes, où l’on doit écouter l’autre ; dans les rues quand les daronnes parlent fort, où l’on doit être discrète ; dans les bus où ça s’embrouille et écoute la musique fort, où l’on doit être poli. Dans le bruit, dans l’odeur, dans les taches.

Porter l’irréductible là où on ne l’attend plus. Sentir la tension dans les yeux du citoyen. Capter sa haine. Sans quoi on ne pourra plus aimer.

Sans quoi le citoyen ne pourra plus basculer, se déciviliser, se déprendre de « la France ».

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« C’est la négation du Bien social que j’analyse dans la grenade amorcée. Qu’est-ce que le Bien social sinon ce qu’aujourd’hui je définis comme étant le Mal, mon Mal, ce Mal qui me bâillonne, qui me soumet ?

Les gonds de la porte sautés, je rentre dans la Cité, des fleurs noires à la main et on me lynche. J’entre avec mon Bien qui devient leur supplice, leur Mal par moi donné. Je suis devenu le diable. »

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Tribunaux de France. Portiques. Lustres. Fresques. Robes. Fric. Gras. Flics. Blancs. Menottes. Silence.

Où « la France » met chaque jour en scène sa vengeance. Où l’on humilie par le verbe, l’habit, la posture. Où l’on fait ton bilan social : ton « éducation », ton « intégration », ton « esprit civique ». Où l’on palpe la force de ces lieux communs du citoyen, grossis par le grotesque du langage juridique. Où l’on parle de toi en latin. Où tu prends dans la gueule ces injonctions qui prennent tout leur sens quand elles servent à distribuer des peines de prison.

Et le re-dressage ciblé des ratés du syndrome de Stockholm : de la déscolarisation à la conduite sans permis, de la poubelle brûlée aux flammes post-électorales, du jet de canettes sur flic à l’outrage-insoumission, de l’illégalisme sans-papiers à l’occupation sauvage. Autant d’occasions de rappeler ce qu’il faudra : se faire suivre par un conseiller d’orientation ou un psychiatre, accepter un vote démocratique ou une balle républicaine, remercier l’uniforme, l’employeur et « la France ». Et autant d’arguments à déployer pour sa défense : faire preuve de sa citoyenneté, actuelle ou en devenir, et tenter de contredire ce sort que l’on dit mérité, que l’on explique par les gènes ou les pères ou l’école ou les fautes. Ce sort dont il faudrait s’excuser, avant de se laisser dresser par « la France », qui exigera en retour de la reconnaissance et de l’amour. Un amour qui nous monte à la bouche comme une grenade.

« Qu’il sache que je l’outrage, que je l’offense, que je l’insulte à magistrat. »

Mais tout est joué d’avance. Et dans un box sur deux, les cages des cellules prolongeront les cages d’escalier, les ampoules des gardes à vue refléteront celles des halls, les grillages qui ceinturent les villes ayant fondu pour forger les barreaux des taules.

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