DEYON, Pierre - Le Mercantilisme (1969)

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  • 7/22/2019 DEYON, Pierre - Le Mercantilisme (1969)

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    Sur la couverrure :De Bry: Emblemata, Le Marchand *, 1953, British Museum. Clich J. R. Freeman. Weidenfeld and Nicolson.

    pierre deyonmatre de confrences la facilit des lettreset sciences humainesde Lille

    lemercantilisme

    questions d'histoirecollectiondirigeparmarc ferroflammarion

    lIBRARY

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    FLAMMARION, 1969. 1558

    CHRONOLOGIEQUELQUES FAITS ESSENTIELS

    OU SIGNIFICATIFS

    Christophe Colomb dcouvre les Antilles. Christophe Colomb dbarque au Honduras. Organisation du commerce hispano-amricain (Casa de contratacion Sville). Les Portugais au Mozambique. Les Portugais Malacca et aux Moluques. Cortez au Mexique. Dpart de Magel-lan. N. Copernic : Discours sur la frappe des monnaies.Pizarre au Prou. Prise de Cuzco. Almagro au Chili. Ouverture des mines du Potosi. Rdaction du Campendious or brief examinations of certain ordinary cam-plaints .. Invention de l'amalgame pour extraire l'argent du minerai. Banqueroutes et crise financire inter-nationale. Ortiz adresse au roi d'Espagne son

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    LE MERCANTILISMEmmoire Pour que les monnaies nesortent pas du royaume.Response de Jean Bodin au Paradoxede M. de Malestroit sur le fait desmonnaies.Rvolte des gueux aux Pays Bas. Drake attaque la Carrera d;S I n ~ e s . Edit royal en France pour genrahser le systme des jurandes. Drake bloque Cadix. Davanzati : Lezione delle Monete. Botero : Cause della grandezza e magni- ficenza della citta. Dfaite et dispersion dans la Manche et la Mer du Nord de l'Armada espagnole. Cration de la Compagnie anglaise des Indes orientales. Olivier de Serres :Thtre d'agriculture.Rdaction et dition des principauxMmoires et traits de B. de Laffemas. Compagnie nerlandaise des Indes orientales. Cration de la Banque d'Amsterdam, et trve de 12 ans entre l'Espagne et les Provinces-Unies. Serra : Breve trattato delle cause que fan abondare i regni d'oro e d'argento. A. de Montchrtien : Trait de l'Eco- nomie politique. Dbuts de la guerre de Trente Ans. Fondation de Batavia. Les plerins du Mayflower en Amrique. Compagnie nerla!1daise des I n ~ e s occidentales et repnse de la guerre hlS-pano-hollandaise. Th. Mun: A Discourse of trade to the east Indies. Misselden : Free trade. Les Hollandais chassent les Anglais d'Amboine.

    CHRONOLOGIE

    163516371638164016441646

    16601661

    1662

    Edit de Louis XIII permettant aux nobles le commerce de mer et l'armement maritime sans risque de drogeance. La Gomberdire : Nouveau rglement gnral sur toutes sortes de marchan-dises. Fondation d'une compagnie franaise des les d'Amrique. Cration en Sude du Collge des Mines. Fermeture du Japon aux trangers. Dbut de la Rvolution d'Angleterre. Tarif protecteur franais concernant les textiles. Eon (en religion le pre Mathias de Saint Jean) : Le Commerce hono-rable. La Fronde. Les traits de Westphalie.Premier acte de navigation en Angleterre. Cration en Sude du Collgedu Commerce.Premire guerre ang1o-hollandaise.Les Nerlandais enlvent Le Cap auxPortugais. Ruine de l'Empire hollandais du Brsil.Fin de la Fronde.Les Anglais la Jamaque.Trait des Pyrnes. Taxe franaisede 50 sous par tonneau sur les vaisseaux trangers.Deuxime acte de navigation anglais.Trait d'Oliva et de Copenhague.Cration du Board of trade and plantations. La Banque de Palmstruchmet en Sude et pour la premirefois en Europe une monnaie depapier.Rforme montaire anglaise. Pierre deLa Court: Van Interest van Holland.Nouveau tarif franais. Cration desCompagnies franaises des Indes

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    8 LE MERCANTILISME CHRONOLOGIE 9occidentales et orientales. Les Anglais 173 Trait commercial anglo-portugais detennent La Nouvelle Amsterdam. Methuen.

    1665-166716651667-166816671668

    166916701672 16741673

    h. Mu n : England' s treasure byforeign trade. .Deuxime guerre anglo-hoilandaise.Les Franais Saint-Domingue.Guerre de Dvolution.Nouveau tarif franais. ..J. Child : Brief observations concermngtrade and interest of money. J. Becher:Discours des causes des progrs ou de ladcadence des empires, des villes, desrpubliques.Rglement de Colbert concernant ladraperie.Compagnie franaise du Levant. .Troisime guerre anglo-hollandaIse;1672-1678 guerre de Hollande. .Edit pour le commerce des ngOCIantsen gros et en dtail. Edit renouvelantles dcisions de 1581 et 1587 sur la

    1707171017IZ1713

    17161717172017221724

    Vauban: La Dme royale.Boisguilbert : Le Factum de la France.Compagnie anglaise de la mer du Sud.Boisguilbert: Trait des grains et Dis-sertation sur la nature des richesses.Traits d'Utrecht. L'Espagne accorde l'Angleterre le vaisseau de permission et le privilge de l'asiento concernant l'importation des esclaves noirsdans les colonies espagnoles.Cration de la banque de Law.Saint-Ptersbourg, capitale de Pierrele Grand.Cration de la Compagnie franaised'Occident.Faillite et fuite de Law.Fondation aux Pays-Bas de la Compagnie d'Ostende.La Bourse de Paris.

    167516811682gnralisation des jurandes.J. Savary: Le parfait ngociant.Ouverture du canal du Midi.Pierre le Grand est proclam T s ~ r .Cavelier de La Salle descend le Mis-

    1725172917321736

    Possochkov : Le Livre sur la pauvretet la richesse.Colonies anglaises des Carolines.Fondation de la Georgie.Cration de la Banque de Copen1685168816901691169416951695 170416991700172-1714

    sissipi.Rvocation de l'Edit de Nantes.Seconde rvolution d'Angleterre.Dbuts de la guerre de la Ligued'Augsbourg.J. Child : A Discourse about trade.W. Petty L'Arithmtique politique.D. North: Discourse upon trade.Cration de la Banque d'Angleterre.Boisguilbert : Le Dtail de la Fra.nce.Publications de plusieurs essaIS deC. Davenant.Trait commercial franco-hollandais.Acceptation Kar Louis XIV du testament de C arles II.Guerre de succession d'Espagne.

    t17421744174817521754175517581763

    bague.Dupleix gouverneur gnral de l'Indefranaise.Dbuts de la guerre franco-anglaise.Trait d'Aix-Ia-Chapelle.D. Hume: Discours politiques.Rappel de Dupleix et trait de Godeheu, recul franais en Inde.Nouvelle guerre franco - anglaise.R. Cantillon : Essai sur la nature ducommerce en gnral.Quesnay : Tableau conomique. Vronde Forbonnais : Recherches et consi-drations sur les finances de la France.Trait de Paris. Libert d'exportadons des crales franaises.

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    LE MERCANTILISME i10Frdric II cre la Banque de Berlin.1765 Tentatives rformatrices de Turgot.1774-1776 Dclaration d'indpendance des ~ a t s -1776 Unis d'Amrique du nord. A. Smith:La Richesse des nations.

    INTRODUCTIONA LA RECHERCHE D'UN MYTHE

    Le mercantilisme a t dfini et baptis par ses adver-saires. Comment s'tonner . qu'ils l 'aient mal nomm?Pour mieux le discrditer, ils ont feint de ne retenir queson aspect commercial, et ils ont russi donner l'ad-jectif mercantile une nuance pjorative et odieuse.Dnonant dans le mercantilisme le triomphe des int-rts gostes des marchands, ils ont ignor qu'il tait aussiun systme manufacturier, agricole, et toute une concep-tion de la puissance tatique. Leur choix parait d'autantplus discutable que les marchands se sont presque tou-Jours mfis de l'intervention de l'Etat dans le ngoce, etque bien des mercantilistes ont dnonc leur gosmeou leur troitesse d'esprit. A. Smith et le marquis deMirabeau ne parlaient en vrit que de systme mer-cantile . Les historiens conomistes allemands de laseconde moiti du XlXe sicle crurent donner ce sys-tme II une plus grande dignit philosophique en sub-stantivantet idalisant l'adjectif. Ils clbrrentleMerkan-tilismus, lui rendant ainsi un bien mauvais service. Desgrands mots en isme ll , on attend en effet une certainecohrence, un certain niveau d'abstraction philoso-phique; or le mercantilisme ne constitue pas, n'a jamaisconstitu une doctrine sociale organise avec sa Bible,son Eglise et ses prophtes. Du XVIe au xvme sicle, per-sonne ne s'es t dclar mercantiliste, e t il n'existe aucuneprofession de foi permettant de classer par comparaison

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    13E MERCANTIUSMB12les crits et les pratiques conomiq,ues du teIll;ps. Cettesituation a introduit une certame confUSIon dansl'histoire des thories conomiques. n n'existe pas dedfinition commune du mercantilisme et de ses caractres fondamentaux. Ceux-ci retiennent le nationalismeautarcique, ceux-l l'interventionnis1I!-e de ~ t a t , d ' a u ~ e sencore attachent une importance prlffiordlale au .bulhonisme, c'est--dire la croyance que l ' a c c ~ u l a t l o n desmtaux prcieux est la seule forme de la nchesse. Sel?nles auteurs, tels conomistes de l'poque l a s ~ q u e , C.hildou Cantillon par exemple, ~ o n t c1as,ses tantot p a r ~ l 1 lesmercantilistes, tantt parml les precurseurs. l ; ~ r a -lisme. Selon les critres que chacun a ChOISIS, 1ecoles'enrichit de nouvelles recrues, ou voit dsertet ses rangs.L o certains clbrent sa fconde diversit, d'autressignalent avec complaisance les oppositions et les r s ~ v e ssuscites par son ftichisme de l'or. Le grand livred'E. F. Heckscher Le Mercantilisme, paru en 1931en su.dois, traduit en 1932 en allemand, et ds.1935 en angll!ls,n'a pas dissip toutes les incertitudes, bIen au contrarre.Heckscher considre le mercantilisme comme un systme d'ides, comme le programme d'une politique, maisil lui dnie toute aptitude rendre c01I!-pte des m ~ -nismes conomiques du t ~ p S , et n , ~ g h g e .tout faItl'influence des faits conomlques sur 1evolunon de cettepolitique. En dpit de son immense rudition historiqueet de sa science de l'conomie politique, le livre d'Heckscher n'est donc p ~ e n u t ~ b l i r une s y ~ ! h s e ,atisfaisante entre l'histOIre, les thones et les polinques conomiques. Certains ses c r i t i q u ~ s O ~ l t conclu que le mercantilisme tatt un s y s t ~ m ~ ~ ~ a r r e et une notion inutile ou dangereuse et qu'Il etaIt vam de rechercher l'unit de penses fort diverses ou de politiques disparates et circonstancielles *. La parution mme de notre livre prouve que nous n'avons pas cd cette tentation de l'hypercritique. Nous accueillerons donc, titre d'hypothse, une notion sanctionne par un long usage. Nous considrerons pro

    * T. H. MARSHALL, Economicjournal, 1935; A. V. JUDGl!S, Trans- actions of the royal mstoncal society, 1939 et D. C. COLl!lIlAN, Scan- dinavian economic history Rll'lliew, 1957

    INTRODUCTIONvisoirement le mercantilisme comme l'ensemble desthories et des pratiques d'intervention conomique quise sont dveloppes dans l'Europe moderne depuis leInilieu du xve sicle. Recherchant une ventuelle unitd'inspiration et de mthodes, nous tudierons, avec l'empirisme qui caractrise souvent l'historien, les doctrineset les politiques des Etats europens de la Renaissancejusqu'au dbut de la Rvolution industrielle. Sur lesruines des particularismes urbains et fodaux, nousrechercherons si les monarchies nationales ont su promouvoir de nouvelles formes d'activit conomique. Surles ruines des idaux mdivaux d'universalit et depauvret vanglique, nous rechercherons si les hommesont trouv dans le service du Prince, et en attendant letriomphe de l'individualisme libral, des justificationsnouvelles leur soif de richesse. Si l'histoire confirme lalgitimit de l' hypothse mercantiliste , il nous resteradeux problmes rsoudre, celui des rapports du systme avec les faits, la conjoncture conomique les ralits sociales, et celui de son influence sur l'avnementdu capitalisme moderne.

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    PREMIRE PARTIE: Les

    CHAPITRE PREMIERPOLITIQUES ET PRATIQUES DU MERCANTILISME

    1. - LES ANTCDENTS MDIVAUXLa commune. mdivale a lgu l'Etat moderneune solide tradition d'intervention dans la vie conomi9ue et sociale. Elle ne restait indiffrente aucune desactIvits professionnelles et commerciales de ses bourgeois, et elle exerait sur les trangers une surveillancesans indulgence.Les Etats monarchiques des )(Vil et XVIe sicles ontdonc trouv dans ce trsor d'expriences et de rglements, les premiers lments de leur politique conomique; dans une certaine mesure le mercantilisme quicommence s'affirmer en France et en Angleterre dansla seconde moiti du xve sicle a tendu aux limites desjeunes monarchies nationales les proccupations et lespratiques des cits du Moyen Age *.La rglementation de ces conomies urbaines obissait certains impratifs que nous retrouvons dans la politique conomique des monarchies europennes. Leschevins et les magistrats municipaux veillaient au ravitaillement de la ville en produits alimentaires et enmatires premires, base de toute son activit cono

    mique. Ils cherchaient lui rserver un certain nombrede fabrications et de ngoces en combattant les concur" H. PIRl!NNl!, Histoire conomique de l'Occidmt mdival, Bruges,1951, p. 356.

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    176 LE MERCANTILISMErences du plat pays et des autres cits. Enfin ils contraignaient les trangers, venus en ville, passer par les intermdiaires indignes. Nous allons retrouver dans lecadre d'une politique intressant cette fois l'ensembled'un Etat les mmes soucis et les mmes attitudes.La similitude est particulirement nette dans le cas desprincipauts italiennes, nes aux XIVe et xve sicles autour

    d'une ville. Les Sforza Milan, les Mdicis Florence,les Bentivoglio Bologne protgent les communautsprofessionnelles urbaines, encouragent et subventionnent les inventeurs, les entrepreneurs d'avant-garde,citadins ou trangers. Ils s'intressent avec la mmesollicitude aux armuriers, aux bronziers, aux verriers,aux drapiers et aux artistes. L'amour de l'art, le gotdu prestige, les soucis militaires ou financiers expliquentau mme tit re cet interventionnisme tatique. Les prmcesaux origines bourgeoises, parfois mme obscures, connaissent bien la solidarit du pouvoir et de la richesse, ilssoignent la prosprit des citoyens qu'ils asservissent.Mais les linutes d'une ville et de son contado, celles d'uneprincipaut mme sont bien troites et les principats souvent trop phmres. Les grandes monarchies occidentales bnficint d'autres avantages et d'autres possibilits. Ds le milieu du XIIIe sicle, le Parlement et laCouronne d'Angleterre prennent des mesures favorables l'industrie lainire britannique. En 1258 le Parlementd'Oxford prohibe temporairement les exportations delaine brute. Au sicle suivant les exportations sont autorises, mais les droits de sortie pour la laine sont considrablement augments. Sans doute des proccupationsdiplomatiques, fiscales justifient aussi ces dispositions;le souci protectionniste est cependant dterminant dansles dciSions de 1455, 1463 et 1464, qui prohibent leslainages et les soieries trangres.Autre anticipation mercantiliste: le souci d'viter lessorties de numraire et les exportations d'or et d'argent.Ds 1381 le Parlement sollicite l'avis des experts cesujet, sur leur recommandation, on oblige les marchandstrangers remployer en acllats sur le march anglaisla moiti puis la totalit de leurs ventes. En 1419, pourviter la fuite des espces prcieuses, le Parlement dcideque les fournitures et le ravitaillement de l'arme en

    I-ITlQVES ET PRATlQVl!S DU Ml!ItCANTlLlSMB! France p r o ~ i e n d r a i e n t d ' A n g l e t e r ~ e , et que la s o ~ d e des. soldats serait paye sur le prodwt des exportations delaine vers la Normandie. Mesures temporaires sans doute,mais combien significatives. Les marchands trangers sontles vicitimes toutes dsignes de ce nationalisme cono-mique en gestation et, en 1439 puis 1455, les Londonienspillent les demeures et les comptoirs des Italiens.

    La monarchie Tudor a repris, systmatis toutes cesinitiatives, elle a substitu des vellits dsordonnesune vritable politique nationale. D'un mme lan, ellea dfini le programme de l'absolutisme monarchique etcelui du mercantilisme. Mais alors que le premier suscitait des difficults entre le Parlement et la Couronne,le programme conomique, lui, bnficiait dans une largemesure des suggestions et de l'appui des Communes,au sein desquelles parvenaient s'exprimer les intrtsdes grandes villes et des marchands. En France aussi, lesprogrs du Pouvoir central au lendemain de la guerrede Cent Ans, et les ncessits financires incitent le souverain intervenir plus rgulirement dans la vie conomique. A plusieurs reprises, Louis XI a exprim soninquitude propos des sorties d'or et d'argent, d'opeut s'ensuivre la totale ruine et destruction du royaume)).Pour viter cette hmorragie, il accorde des privilgesnouveaux aux foires de Lyon, il essaie de contrler lestransferts destins la cour de Rome. Pour diminuer leprix des importations du Levant, il accorde son aide laCompagnie des Gales de France, lui donne t e m ~ o r a i -rement un monopole d'importation des droguerIes etpices du Levant. Il encourage la production minireen France, et favorise les manufactures de draperielgre ou sayetterie. En introduisant le travail et le tis-sage de la soie, il cherche diminuer les achats de produits de luxe l'tranger, et tablir une meilleurebalance commerciale. Cet interventionnisme rpond la fois aux intrts de quelques grands marchands etaux besoins financiers du souverain, conscient de l'troitesolidarit entre la :euissance monarchique et la prospritnationale. En habile politique, Louis XI a pris soin des'assurer des conseils et de l'approbation de plusieursassembles de notables. Il a ainsi cr une tradition, ettout au long du sicle suivant, des Etats gnraux de

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    LE MERCANTILISME8 r O L I T I QUE S ET PRATIQUES DU MERCANTILISME 191484 ceux de 1614, en passant par les assembles deBlois, d'Orlans, etc., la monarchie pourra trouver, dansles cahiers du Tiers et souvent dans les cahiers communsdes trois Ordres, les mmes propositions concernant lecommerce, les manufactures, le mouvement des espces,les encouragements ncessaires la marine, c'est--diretoutes les justifications et les principaux articles d'unegrande politique mercantiliste.II. - DANS LA FASCINATION DES TRSORS AMRICAINS.L'BAUCHE AU XVIe SICLE D'UN PREMIER MERCANTILISME

    La conscience d'une communaut d'intrt, le projetd'une politique conomique supposaient naturellementun progrs du sentiment national et un renforcement del'Etat. Toutes les grandes monarchies europennes duXVI'! sicle, avec plus ou moins de bonheur, plus ou moinsde continuit, se sont engages dans cette voie de l'interventionnisme conomique. Parmi leurs conseillers,leurs officiers de finance, les proccupations relatives labalance commerciale, au dveloppement des manufactures, et aux mouvements internationaux des espcesdevenaient de plus en plus obsdantes. Ainsi peu peuse constituait, travers bien des ttonnements et descontradictions, une premire science des richesses quiexprime sa faon le volontarisme humaniste de laRenaissance. L'auteur a n ~ l a i s des dialogues, rdigs aumilieu du sicle, et pubhs en IS8I, sous le titre ACompendious or brie! examination of certain ordinary com-plaints *, met dans la bouche de l'un de ses personnagesdes recommandations bien significatives : Par l'arrtde l'importation des marchandises fabriques l'tranger, et qui pourraient l'tre chez nous, par la restrictionde l'exportation l'tat brut de nos laines, peaux etautres produits, par la venue sous le contrle des citsd'artisans habitant au-dehors, fabriquant des marchandises susceptibles d'tre eXl?ortes par l'examen de cesmarchandises, et par l'appOSition sur elles, avant qu'ellespuissent tre vendues, du sceau de la ville, je pense que

    * J.-Y. LB BRANCHU. Ecrits notables sur la monnaie, Paris. 1934.t. II , p. 188.

    nos cits pourraient bientt retrouver leur ancienner richesse. ))i Dans La grande monarchie de France, Claude de Seyssel dclare en ISIS que la puissance du pays rside dansses r ~ e r v e s d'or et d ' a r g ~ n t . L,e royaume, pense-t-il, doitp r o ~ b ~ r toutes les sortIes d espces, sans crainte derepresailles, car .seul en Europe, grce ses richessesnaturelles, il peut se passer de ses voisins. Quelques moisplus tard, devant le Parlement de Paris, le chancelierDuprat p.rsente les mmes. propositions. En Espagne,LUlS OrtlZ dans son mmOIre Pour que la monnaie nesorte ./Ja! du royaume veut remettre au travail son pays,

    m u l ~ ~ p h e r les !llanufact';U'es, interdire l'exportation desmatlc:res premtres tendes. Nous tudierons plus loinla naissance de la thorie conomique, qui a inspir etsoutenu les efforts des monarques, soucieux de l'tat deleurs f i n a n c ~ e! des besoins armes et des diplomates.On pourraIt cIter de multIples tmoignages de cettec o ~ v e r g e n c e des penses et des plans des hommes d'Etat,malS !1?US n'avons pas l'intention d'tudier par le dtailla poltuque conOmIque de chaque souverain du XVIe siclee u r o p ~ n , nous allons surtout tenter d'en dgager lescaracteres communs.C'est aux mouvements montaires que les gouvernements attachrent peut-tre le plus d'attention. Partouton veut mettre fin aux sorties de numraire. En France,des dclarations royales renouvellent en 1s06 1S4015,48, IS74 cette prohibition. En Angleterre, on p l u ~lorn et pour m,ettre en chec les fraudeurs, et tous lestrafics c 1 ~ d e s t r n s sur les lettres de change, on essaie deux repnses, en 1546 et en 1576, de soumettre tout cengoce des changes au contrle d'agents gouvernemen

    t ~ u x , c'est un chec. Echec aussi de toutes les dispositIons concernant le transport l'tranger du numraire.Comment s u r v e i l l e ~ les ~ r o n t i r ~ , les ports, alors quele gouvernement dISpOSait de SI peu d'agents et de silents moyens de transmission; comment ne pas admettreenfin les ! " r ~ e n t s d ~ marc:hru:ds, invoquant la ncessitcertames lmportatIons mdispensables aux fabricatIons franaises ou pralables certaines rexportations.Le caractre lmentaire de la thorie de la bafance commerciale condamnait l'impuissance les vellits gou

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    210 LE MERCANTILISMEvernementales. Pour se convaincre de l'inefficacit totalede tous ces rglements, i l suffit d'voquer le cas de l'Es-pagne d'o l'or et l'argent ne pouvaient pas thoriquement sortir, et dont cependant les pistoles d'or et les rauxd'argent circulaient dans toute l'Europe occidentale*.Il tait plus facile de susciter de nouvelles productionset de leur accorder des privilges contre les concurrentstrangers. En n ~ l e t e r r e , en France, la Couronne accordeainsi des subventlons aux manufacturiers qui inaugurentdes fabrications. La reine Elizabeth distribue gnreusement des monopoles temporaires tous ceux qui introduisent dans l'le de nouvelles activits : les industriesde l'alun, du salptre, du savon, des glaces et de lafaence, la fabrication des canons ou le raffinage du sucrede canne. C'est peut-tre en France que cette intervention directe du pouvoir monarchique s'est faite la plusmultiforme et la plus systmatique, annonant dj lapratique des manufactures royales de l'poque d'Henri IVou de Louis XIV. Franois 1er cre Fontainebleau unemanufacture royale de tapisserie. Henri I I confie unBolonnais, avec un monopole de 10 ans, la fabricationdes glaces la vnitienne, et Catherine de Mdicis continue protger la soierie d'Orlans et de Tours. Ce sontl bien entendu des crations fragiles souvent phmres,car elles d ent trop de l'appui d'un trsor royal souvent vide. ais ct des subventions en numraire, lessouverains disposent maintenant de tout un arsenal demesures prohibitionnistes et de taxations pour mettreles fabrications nationales l'abri de la comptition trangre. Charles Quint dfend svrement l'exportation dulin, du chanvre et soumet les lainages trangers desrglements et des contrles tatillons. Cosme deMdicis interdit l'entre Florence des draps trangerset l'exportation des soies brutes. En France, les restrictions imposes la libre importation concernrent toutd'abord les produits de luxe, draps d'or et d'argent, satins

    .. Ds le dbut du XVI" sicle, les rois catholiques ont cependanttabli tout un systme de prohibitions et de monopoles : interdictiond'exporter l'or et l'argent sous peine de mort, obligation pour les mar-chands trangers de faire leurs retours en marchandises espagnolescontrle des importations de mtaux prcieux et droit de quinto pourle roi, monopole de pavillon entre Sville et l'Amrique, etc.

    ~ I T I Q U E S ET PRATIQUES DU MERCANTILISME! ~ ~ a m a s . Puis en 1538, la demande des Etats de Lan-guedoc, Franois 1er interdit l'entre des draps de Catalogne et de Castille. Aux Etats gnraux de 1576, leTiers demande l'exclusion de tous les manufacturstrangers. En 1581, pour la premire fois un tarif gnrald'entre fut impos toutes les frontires, et l'assembledes Notables de 1583 ritra les demandes de l'assemble de 1576. Il est un dernier earactre de l'interventiontatique dans l'conorilie du XVIe sicle qui mrite dereterur l'attention. E. Heckscher a insist dans son livreclassique sur ce caractre uni1lcateur du mercantilisme(ein emheitsbildendes System). C'est vrai pour l'Espagnede Philippe II, pour la France d'Henri III, o l'ditde 1581 tente d'imppser une organisation uniforme descommunauts de mtier. C'est vrai pour l'Angleterre,o le statut des artisans rglemente en 1563 l'apprentissage et la procdure de fixation des salaires, tandis queles Poor Laws tablissent un systme uniforme d'assistance. Dans toute l'Europe occidentale, les princes s'efforcent, avec un succs mgal, de faciliter les relations l'intrieur de leurs Etats, de rduire les pages et lestonlieux, d'organiser les postes.I l ne faudrait cependant pas pcher par anachronisme,et exagrer le caractre moderne de l'administrationroyale au XVIe sicle. Les entraves la libre circulationdes hommes et des marchandises demeurent innombrablesdans chaque Etat. Les taxes leves aux frontires sur lesmarchandises trangres conserVent encore souvent lecaractre de simples droits fiscaux, et i l n'es t pas toujoursfacile de savoir si la fixation des tarifs correspond desconsidrations financires ou protectionnistes. Pour denombreuses marchandises, y compris des manufacturs,le tarif franais demeure au dbut du XVIIe sicle pluslev la sortie qu' l'entre, la crainte de la famine, del'interruption de l'approvisionnement, ou de la chertjustifient sans doute ce paradoxe. Pour les mmes motifs,le roi d'Espagne interdit de 1552 15591'exportation destissus espagnols, esprant ainsi freiner la hausse des prixcastillans!Nulle part les ides et les recettes ne constituentencore une doctrine cohrente. Les plus p:ands esprits dusicle hsitent en tre la thorie quantitatlviste de la mon

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    LE MERCANTILISME2naie et celle de la balance commerciale. En priode dehausse europenne des prix, le protectionnisme manufacturier et le bullionisme ne risquent-ils pas d'acclrerl'inflation, nul n'est capable de percevoir clairement leproblme et de rsoudre l'apparente contradiction. L'ir-rgularit des rcoltes, l'inscurit, la lenteur des relations maritimes et terrestres entretiennent l'obsessionmdivale de la pnurie. Les thoriciens de l'intrtnational, les apologistes du profit colonial et maritimedemeurent embarrasss par les arguments des thologiens sur l'usure , le juste prix et le droit des gens, et partoutles querelles religieuses obscurcissent le sens de la RealPolitik. Nulle part l'Etat n'est assez puissant, l'appareilde gouvernement assez bien organis la base comme ausommet, les finances assez saines pour donner l'intervention princire l'indispensable continuit. Ce ne sontencore que mesures de circonstances, entreprises temporaires, mais leur convergence, leur inspiration dominante cre peu peu une tradition, dgage progressivementles lments d'un plan d'ensemble et annonce les grandsprojets conomiques de l'Europe classique.

    III. - LE MERCANTILISME AU XVIIe SICLE. L'EXEMPLE FRANAIS En vrit, seules de tous les tats europens, la Franceet l'Angleterre furent capables de mener au XVIIe sicle

    une politique conomique cohrente et d'une relativeefficacit; sans doute l'Espagne tait trop affaiblie politiquement, trop embarrasse par son empire et ses possessions europennes, l'Italie et le Saint Empire tropdiviss et trop dvasts par la guerre, la Sude trop lie l'conomie des Provinces-Unies, qui suivaient au mmemoment avec bonheur une voie originale.Plusieurs circonstances ont contribu l'panouissement du mercantilisme dans la France des Bourbons etl'Angleterre d'Elizabeth Guillaume II 1.L'pret des comptitions internationales dans lesquelles se trouvrent engags les deux pays excitrent leurjeune nationalisme conomique. L'enjeu tait d'abordl'exploitation des richesses de l'Empire espagnol, que le

    O L I T I Q U E S ET PRATIQUES DU MERCANTILISME 23pouvoir dbile du souverain de Madrid et l'apathie de~ es sujets ne parvenaient plus animer; c'tait encore lemonopole des rexportations des drogueries et des picesorientales, le march des manufacturs textiles, le bnfice de la navigation de la Baltique la Mditerrane.L'Angleterre, avec mthode, aprs avoir dirig ses coupscontre la Carrera des Indes )) et ses comptoirs amricains, se tourna successivement contre la Rpubliquenerlandaise, laquelle l'opposrent trois guerres maritimes, puis contre la France louis-quatorzienne. LaFrance elle aussi s'tait inquite du trafic et de la prosprit des Hollandais. Le rle que jouaient dans nos portset dans nos rgions atlantiques les marchands des Provinces-Unies paraissait Colbert scandaleux, et la guerrede 1672 ne fut ses yeux que le couronnement de touteune persvrante contre-offensive industrielle et commerciale. L'pisode dcisif de ces rivalits se droula de171 1713, quand1es deux puissances maritimes coalisesse dressrent contre les prtentions franaises recueillir, d'un coup et par succession dynastique, l'hritage deCharles II d'Espagne. Toutes ces luttes prsentrent ct de leurs aspects militaires, des aspects tarifaires,et commerciaux. Les efforts financiers imposs aux deuxEtats franais et anglais justifirent davantage l'intervention du gouvernement dans le domaine des activits conomiques, et le service de l'gosme national.La modernisation de l'appareil d'Etat a galementcontribu aux progrs de la pratique mercantiliste. EnAngleterre le dveloppement du service des douanes apermis d'tablir une comptabilit plus exacte deschanges internationaux, tandis que le contrle parlementaire fournissait aux intrts du ngoce les moyensde se faire plus clairement entendre. De la mme faonen France, la rforme tarifaire de 1664, aux frontiresdu territoire des cinq grosses fermes autorise une visionplus nette de la balance commerciale, et les bureaux quise constituent peu peu sous l'autorit du Contrleurgnral peuvent suivre mieux les fluctuations de noschanges. Les progrs de la rflexion thorique guidentaussi plus srement les administrateurs et les ministres.Les uvres de Mun, Child, Davenant et Petty jalonnentles premiers pas de l'conomie politique; en France, Laffe

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    25E MERCANTILISME4mas, Montchrtien, Richelieu lui-mme, inspirent directement Colbert. Une certaine lacisation de la pensepolitique sous l'influence du machiavlisme et desprincipes de la raison d'Etat justifie la science et la pratique des richesses. Aux yeux de Colbert, les moinessont presque des oisifs suspects, et les scrupules des thologiens en ce qui concerne le prt intrt entraventinutilement le commerce.Les circonstances conjoncturelles constituent undernier lment favorable, elles apportent une justification supplmentaire aux thses mercantilistes. La baisseprolonge des prix or et argent, surtout au-del de 1630,entretient une sorte d'angoisse montaire. Partout, enEurope occidentale, manquent les espces d'or et d'argent. Les changes en sont gns, les crises priodiquesen deviennent plus redoutables, et les trsoreries publiques en souffrent, au moment mme o les besoinsdes armes et des flottes exigent en quantits accruesl'or et l'argent, nerfs de la guerre. Le ralentissement de laproduction des mines amricaines, la thsaurisation uni-verselle sous forme de joyaux et de vaisselle, le dsquilibre des balances avec le Levant et l'Extrme-Orientexpliquent sans doute cette pnurie. Mais l'Angleterreet la France ne peuvent s'en accommoder. Elles souponnent les Provinces-Unies d'accaparer une part croissante du stock eurofen. Les financiers et les ministressont contraints de s intresser l'quilibre des changescommerciaux, qui conditionne la prosprit et la circulation des espces, intermdiaire indispensable du prlvement fiscal. Ils ne peuvent ignorer non plus la longuercession qui affecte beaucoup de ngoces et de manufactures au milieu du sicle. Le chmage et la misreentretiennent et multiplient les risques de sditions populaires. Hier comme aujourd'hui, la crise conomique pourdes raisons politiques et sociales provoque l'interventionde l'Etat, et l'effort de Colbert est un plan de reconstruction, de relvement national, tout autant qu'un servicedu Roi.Colbert a mis dans l'expos de ses ides une clart, uneforce de conviction et dans la ralisation de ses projetsune nergie qui auraient mrit souvent un meilleursuccs. Mais i l a peu innov. C'est Barthlemy de Laffe-

    POLITIQUES ET PRATIQUES DU MERCANTILISMEmas qui, le premier, au lendemain du dsastre nationalque ~ u r e n t les guerres de Religion, se fit l'apologiste du

    t r ~ v a t l c r ~ t e u r et ~ ' a d v e r s a i r e de cette lthargie conoInlque qUI menaaIt la France. Dans une douzaine depamphlets, il expos les ides que la commission du o m m ~ r c e , . c r ~ e en 1601 par Henri IV, adopta en partie. Il lDSpIra egalement les mesures prises par le souverain et son Conseil en faveur des manufactures detapisseries, de soieries, et la tentative avorte de crer en1604 une grande Compagnie franaise des Indes orientales.Pa,r l'intermdiair.e de son fils Isaac, auteur d'une His-tmre du commerce de France, et par les crits de Montchrtien, La Gomberdire, et d'autres, ses ides achevrent d'entrer dans le domaine public o l'assembledes Notables de 1627, Richelieu lui-mme, puis Colbertn'eurent qu' les relever.On retrouve souvent dans les crits de Richelieu l'idebru:mIe que l'argent e s ( ~ e nerfde la guerre; obsd par lapUIssance d'Espagne, Il convoite les mtaux prcieuxq ~ e . l e s flottes d'Amrique apportent chaque anne Sevdle. Pour dtourner vers le royaume une partie dece pactole, il imagine avec ses Conseillers le plan d'unevaste entreprise commerciale et coloniale. Grand matrede l'amiraut, gouverneur de Bretagne, i l consacre larenaissa?-ce de la marine et p o ~ t s de persvrantsefforts, 11 encourage les tentatIVes faItes pour constitueren France de grandes compagnies de navigation: Compagnie du Morbihan, Compagnie de la nouvelle FranceCompagnie de la nacelle de Saint-Pierre fleurdelise, etc.*:.La diplomatie, la guerre, les rvoltes intrieures, lamaladIe et la mort l'empchrent de poursuivre l'excution de ses projets, mais l'importance qu'il accorde cesquestions conomiques dans son Testament politique,et les papiers divers qui constituent ses Mmoires disentassez ses intentions et le sens de la mission qu'il laissait ses successeurs. Colbert n'eut donc pas le mrite del'invention, mais personne ne lui conteste celui de lacontinuit et de la persvrance dans l'excution, au longdes 22 annes d son ministre; las, i l n'tait matre ni* H. HAUSER, La pense et l'action conomiques du Cardinal deRichelieu, Paris, 1944.

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    27E MERCANTILISME6de la conjoncture, ni de la bourse de son roi. Colbert aformul dans sa correspondance et plusieurs reprisesles principes du plus strict mercantilisme. On demeurera facilement d'accord, crit-il en 1664, qu'il n'y a quel'abondance d'argent dans un Etat qui fasse la diffrencede sa grandeur et de sa puissance ; il prcise quelquesannes plus tard: Il n'y a qu'une mme quantIt d'argent qui roule dans toute l'Europe... on ne peut augmenter l'argent dans le royaume, qu'en mme tempsl'on en te la mme quantit dans les Etats voisins. On peut l ire encore dans son mmoire de 1670 sur lesfinances : Il faut augmenter l'argent dans le commercepublic en l'attirant des pays d'o i l vient, en le conservant au-dedans du royaume, empchant qu'il n'en sorteet en donnant des moyens aux hommes d'en tirer profit ... il n'y a que le commerce seul et tout ce qui en dpendqui puisse produire ce grand effet *. l) Ainsi la prospritd'un Etat ne pouvait tre btie qu'aux dpens de sesvoisins; cette guerre d'argent)) Colbert conviait laFrance et incitait son souverain. C'est peut-tre l'aspectle plus curieux du colbertisme que ce pessimisme conomique, qui refuse de croire la possibilit d'un progrsd'ensemble, et cette conception statique du commercemondial **. On retrouve ce mme pessimisme dans lamfiance mticuleuse de bien des textes rglementaireset dans les propos du ministre qui attribuent la fraudeet la mauvaise qualit de nos fabrications nos dboirescommerciaux l'tranger. Pour mener bien cette guerred'argent, Colbert a procd un nouvel amnagementdes tarifs douaniers, i l faut, dit-il, dcharger les entresdes marchandises, qui servent aux manufactures dudedans du royaume, charger celles qui demeurent manufactures, dcharger entirement les marchandises dudehors, qui ayant pay l'entre, sortent pour le dehors,et soulager les droits de sortie des marchandises manu* P. CLMENT, Lettres et Mmoires de Colbert, Paris, 1861-186:2,t. VII, p. :239 et 55.** Mme argumentation dans une lettre de 1669 (P. CLMENT,

    Lettres, Introduction et Mmoires de Colbert, VI, p. :260 et 55.). Le com-merce mondial est assur par :20 000 bateaux et ce nombre ne peuttre augment, car la population dans chaque Etat demeure stableet la consommation de mme!

    POLITIQUES ET PRATIQUES DU MERCANTILISMEfactures au-dedans du royaume . Mais l'arme essentiellede cette cO!flptition n ~ e r ! l a t ~ o n a l e , c'est le dveloppementde la marIne, la multiplIcation des manufactures et descO!flpagnies. de c o m m e ~ c e , auxquelles Colbert voue des

    S ~ I n S attentifs. Il o u r ~ w t cette matire l'uvre esquissee par Laffemas, RichelIeu et Fouquet. Il veille laleve de la taxe de 50 sous par tonneau Sur les vaisseauxtrangers frquentant nos ports. Ds 1664 il accorde desp r ~ m e s la construction maritime et ces rpliques franaISes des Actes de navigation britanniques lui per-mettent de porter la fin de sa vie les marines de guerreet de commerce un niveau ingal jusque-I. Il n'estun s e ~ e ~ r de !a production m a ~ u f a c t u r i r e , pas unnegoce lOIntaIn qUI chappe son Intervention. Arsenaux, fonderies de canons, manufactures de dentelle de

    b o n n e t . e r i ~ , de bas de l a i n ~ et de soie, draperie de l u x ~ oud r ~ p e r l e legre, C0I!lpagnte des Indes orientales, Compagnte .des Indes occldentales, Compagnie du Nord, Compagme ?U Levant ! l f i c i e n t ~ o u r tour de son exigeanteprotectlOn. Il SollICIte ou exIge les concours, organise,subventionne, ~ u r v e i l l e et s'inquit!!. Plus de 15 0 rglep.ents. de fabnque c h ~ r c h e n t faue de la productionIranatse une productlon de qualit sans pareille enEurope. Ils prcisent la proportion des teintures, la largeur des toffes, le nombre de fils dans la chane lesoutils et les faons de tous les corps de mtier. S o ~ s lecontrle des intendants, un corps nouveau d'inspecteursdes manufactures est charg de surveiller les fabrications et de constater les contraventions.Faute d'informations statistiques il est souvent diffic.ile d'apprc:ier l'efficacit de ces entreprises et l'incertItude entretIent encore les dbats entre historiens. Biendes manufactures, bien des compagnies disparurent avantmme la mort du ministre, et 1cart est grand entre lesambitions et les rsultats. L'amertume marque souventla correspondance de Colbert dans les dernires annesde sa vie. Trop d'obstacles se sont opposs ses entre

    p r i s e ~ : la rticence des marchands participer des compagnIes semi-publiques, leur got excessif pour les placements dans les affaires de finance, les offices ou laterre, l'insuffisance du systme de crdit en France l'indigence de la paysannerie et l'absence d'un vaste ~ r c h

    LE MERCANTILISME

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    .28intrieur la dflation internationale des activits et desprix. Le' tragique dans l'existence Colbert nat ~ o u tautant des caprices coteux de LoUls XIV que duneconjoncture dfavorable et de l ' a b s t e n ~ i o n partielle labourgeoisie franaise. Et pourtant le bdan n'est certalJ?ement pas totalement ngatif. Il reste sa une ~ r m ereconstitue, une lgislation commerClale moms archruque,une draperie nouveau prospre et une manufacturedes toiles de lin et de chanvre qui est devenue la premired'Europe. Les Compagnies coloniales ont bien priclit,mais les Antilles et le Canada ont reu de nouveauxcolons, et tous les ports de l'Atlantique ont retrouv uneactivit nouvelle. ,La personnalit et l'uvre de C o ~ b e r t ont S U S C 1 ~ ~ deson vivant, puis aprs mort d,e VIOlentes Opposltlonset d'pres polmiques. Cible de b ien des pamphlets clandestins il fut ds le lendemain de sa mort publiquement C::itiqu, puis dnonc par l,es physiocrates et parles conomistes libraux, Il lUl fallut attendre prsde deux sicles sa rhabilitation. List dans son Systmed'conomie nati07Ue le clbre comme un prcurseur,E, Lavisse vante son esprit philosophique et ,:oit dans ~ 0 ! luvre la premire m:inifestation despotlsme ~ c l ! u r e ,P Boissonnade identifie le colbertlsme et le soclahsmed;Etat et R. Gonnard dans son Histoire des doctrinescono";'iques proclame le {( gnie de Colbert, ~ c u s a n t , l algende d o r ~ tout a!ltant que la lgende, O l r e ~ les his-toriens d'aUJourd'huI cherchent surtout a expliquer lescaractres et les limites de son uvre, en fonctIOn desinstitutions et des ides de son temps. Boisguilbert etles conomistes franais du XVIIIe ont reproch ~ o l b e r td'avoir nglig l'agriculture, source de toute rIchesse,voire de l'avoir sacrifie au profit des manufactures, Colbert aurait soutenu une politique de pain bon ~ a r c h ,pour abaisser nos prix de revient. Rien n'est plus mexact,la baisse exceptionnelle d,es prix agricoles F r a n ~ de1662 1687 correspond a un ~ o u v e m e n t IJ?ternauonal,sensible sur tous les marchs d Europe OCCidentale. Cequi est vrai, c'est que Colbert n'a ?as su, ou pas pU,sedgager des traditions r g l e m e ~ t a l [ e s en m a ~ l e r e deculation et de ngoce des gralDS, alors qu la memepoque, en Angleterre les {( corn laws )) permettaient tour

    POLITIQUES ET PRATIQUES DU MERCANTILISME 29 tour d'approvisionner le march national, puis d'couler avantageusement les. surplus de la production. Colbert a pens que le dveloppement des manufacturesrurales remdierait au pauprisme des campagnes. Endehors de quelques mesures circonstancielles en faveur despaysans, abaissement temporaire des tailles, protection dubtail, la Francede Louis XIV n'a pas de politique agricole.Non moins fondes que les critiques formules par lesreprsentants des intrts agrariens, nous paraissent lesrticences de certains ngociants l'gard du colbertisme.A ct des marchands xnophobes qui rclament etapprouvent le protectionnisme douanier, i l existe incontestablement dans la France du XVIIe sicle, des hommesd'affaires qui connaissent la solidarit complexe deschanges internationaux et craignent les reprsaillestrangres. Dj, les Six grands corps des marchands deParis avaient plaid pour la libert du commerce et l'abaissement des tarifs institus en 1654. Plus fortement encoreun pamphlet anonyme de 1668 dclare: Monsieur Colbert ne prend pas garde qu'en voulant mettre les Fran-~ s en tat de se pouvoir passer de tous les autres peuples,11 les conduit faire la mme chose de leur ct. Lemme attachement la libert du commerce suscite lamfiance l'gard des compagnies de navigation et decolonisation caractre serni-public, ou l'gard de larglementation minutieuse des fabrications. On areproch Colbert cette manie rglementaire )). Utilel o elle prsidait l'introduction d'une technique nouvelle, elle a souvent effectivement gn l'adaptation denos manufactures textiles aux fluctuations de la modeet de la demande trangre. Il n'a pas bien compris lecaractre multilatral des changes, i l n'a pas cru nonplus aux lois du march, sa pense demeure celle d'unadministrateur minutieux, non celle d'un conomiste.Son attachement aux systmes des jurandes, dont ilessaie en 1673 de gnraliser l'institution, rvle bien lecaractre traditionnaliste de sa pense. Il multiplie lescontrles de fabrication, renforce le petit atelier routinier au moment o l'Angleterre post-rvolutionnaire sedbarrasse pour l'essentiel des vestiges du systme mdival d'organisation du travail. Pour lui comme pour lesjuristes qui l'entourent et l'assistent, l'organisation cor

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    LE MERCANTILISMEporative apparait un peu comme d'institution naturelleou divine. Les manufactures privilgies ne sont dansson esprit que des expdients temporaires. Le rgimenormal d'organisation du travail doit tre celui desjurandes et l'dit de mars 1673 tente d'en gnraliserl'institution dans tout le royaume.En matire de politique montaire, le mme traditionnalisme lui inspire le 7 dcembre 1665 une rvaluationpeu heureuse de la livre tournois, qui constitue une vritable dflation en pleine crise conomique, et qu'il fautrapporter l'anne suivante devant les protestations desmarchands et des banquiers. Plus grave son incomprhension, et i l faut bien le dire celle de beaucoup de sescompatriotes, devant les rformes montaires anglaisesde 1662, qui introduisent, comme aux Provinces-Unies,une libert plus grande de la circulation des espces etdes lingots. A la lumire de ces comparaisons, les limitesdu colbertisme refltent avec vidence le retard de lapense conomique et des institutions sociales en Francepar rapport au voisin anglo-saxon. Colbert : un gnie ouun mdiocre malfaisant? ni l'un ni l'autre, mais unhomme de son temps et de son pays, un ministre decette puissante monarchie administrative, dont la grandeur ne pouvait s'accommoder de la dcadence commerciale et industrielle. Dans un moment et dans un pays otout conspirait dtourner les fils de la bourgeOIsie desactivits conomiques : les prjugs nobiliaires ou paranobiliaires, le snobisme de l'oisivet, la suspicion de laRforme catholique l'gard des formes modernes ducrdit et des techniques commerciales, le prestige de lacarrire des offices, enfin la conjoncture dfavorable,contre une telle coalition d'intrts, d'habitudes et dedifficults conomiques, i l a essay de donner au pays lesens du labeur, de l'efficacit et de l'entreprise. Ce n'estpas sa faute si certaines de ses propositions n'ont past retenues, si l'opposition de la Facult de thologieet de la Sorbonne ont empch d'tablir dans les principales villes du royaume ces t( ngociants de prt quiauraient distribu le crdit commercial. Ce n'est passa faute, si le roi a finalement sacrifi la vocation maritime du royaume, et choisi la gloire , la guerre continentale et l'intransigeance romaine.

    POLITIQUES ET PRATIQUES DU MERCANTILISME 31IV. - LE tt SYSTME MERCANTILE )) EN ANGLETERRE

    En Angleterre plus encore qu'en France, le mercantilisme est une cration continue empirique et nationale.Nous avons dj voqu certaines dcisions du XIIIe sicle,conCernant la protection de l'industrie lainire. De lamme faon au XIVe et au xve sicle, esquissant dj lesystme des Actes de navigation, la Couronne a mis obstacle la libre circulation et au libre trafic des navirestrangers dans les ports britanniques. Comme en France,c'est entre 1580 et la. fin du XVIIe sicle que le mercantilisme s'est impos avec le plus de force et de cohrence.Les menaces extrieures ont contribu son succs, et deux reprises, il est apparu comme un lment essentielde la dfense nationale. La lutte que les marins et lescorsaires d'Elizabeth menaient contre les flottes et les

    c o l ~ ~ e s de Ph!-lippe II tait t o u ~ la fois une entreprisereligieuse, nationale et mercarude, et un sicle plus tardl'offensive commerciale contre la France de Louis XIVs'inscrivait galement dans un plan plus gnral de dfenseprotestante. Cette concidence a donn au programmemercantiliste l'appui d'une grande partie de l'opinionbritannique. Le caractre systmatique de l'interventiontatique au x.VIIe sicle s'explique aussi par la ncessitde faire face la grande dpression conomique, dont lespremiers signes se manifestent en Angleterre en 1620.Inquiet de la gravit de cette crise, le conseil priv s'adjoignit en 1622 une commission d'experts, de marchandset de banquiers pour discuter des causes de la mventetextile. Leurs conclusions et leurs propositions constituent un rsum de toutes les pratiques mercantilistes *.Les grandes compagnies commerciales, de leur ct, ontprpar et favoris l'adoption des Actes de navigation **.C'est peut-tre l le caractre le plus original de la politique conomique anglaise, grce l'existence du Parlement, elle est le plus souvent concerte et ratifie. Pasplus sous les Stuarts que sous le Protectorat, l'Etat n'estaux ordres des marchands, mais il consulte, s'inspire* Le texte est dans G. D. RAMsAY, The wiltshire woollen industry,London, 1964.** M. P. AsHLEY, Finances andcommercialpolicyunder t h e P r o t e c t o ~rate, London, 1934.

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    LE MERCANTILISMEavant de dcider ou d'arbitrer. En matire conomique,comme en matire politique, la situation de l'Angleterreparat intermdiaire entre celle des Provinces-Unies etcelle de la France: Les Provinces-Unies o l'impuissancedu pouvoir fdral laisse souvent libre cours aux intrtsparticuliers voire antinationaux, et la France o le zled'un ministre supplant mal l'effacement des corpsintermdiaires, l'intervention de l'Etat prend un caractre autoritaire ou rpressif. Le mercantilisme anglaisbnficie de la prcocit des institutions politiques etsociales, de la qualit de l'information et de la rllexionthorique dans le pays, il volue, s'adapte, se perfectionne, et aide l'Angleterre s'emparer en Europe d'unevritable suprmatie maritime et commerciale et peuttre dj de la suprmatie industrielle.Comme dans tous les autres pays d'Europe le mercantilisme a revtu en Angleterre trois formes essentielles :protection de la monnaie et des stocks de mtaux prcieux, protection de la production, encouragements etfaveurs la marine et au commerce national.L'exportation des espces avait t au Moyen Age, enAngleterre comme presque partout ailleurs, trs rgulirement prohibe. A plusieurs reprises le gouvernementd'Elizabth, puis celui de Jacques 1er envisagrent deremettre en vigueur ces anciennes dispositions, mais cesprojets furent vite abandonns, et un systme delicences permit de tourner les stipulations trop rigoureuses de certains textes. Marchands, conomistes etpolitiques prirent progressivement conscience tout aulong du sicle du caractre illusoire ou nfaste de cesrglementations. Ils savaient que la poursuite du commerce en Baltique et aux Indes orientales exigeait dessorties d'argent, et que le solde global des mouvementsen mtaux prcieux dpendait de l'activit conomiquegnrale du royaume et de l'quilibre de son commerce.L'chec des tentatives faites pour contrler et stabiliserarbitrairement le march des changes acheva de prouverque les mouvements commerciaux dterminaient lafois les fluctuations des cours et le mouvement desespces. Th. Mun tira le bilan de ces expriences dans sonlivre England 's Treasure by foreign Trade, publi en 1664,o il donnait une formulation classique de la thorie de

    POLITIQUES ET PRATIQUES DU MERCANTILISME 33la balance du commerce, et prenait en considration lesexportations et les importations invisibles : Le moyenordinaire d'accrotre notre richesse et nos espces, c'estle commerce extrieur, pour lequel i l nous faut toujoursobserver cette rgle, vendre plus aux trangers que nousleur achetons pour notre consommation. A cette dated'ailleurs, l'Angleterre s'tait dj dbarrasse de l'essentiel des vieilles rglementations bullionistes S'inspirant des exemples donns par Venise et la H ~ l l a n d eun acte de 1663 autorisa l'exportation des m o n n a i e ~trangre.s et des matires d'or et d'argent. Rforme importante, qUI devait contribuer la stabilit de la livre ster

    l i n ~ , permettre certaines adaptations automatiques despriX et des changes, elle tmoignait dj de la prospritd.u commerce britannique et prparait ses progrs ultrieurs. La tche du gouvernement n'tait plus de rglementer le mouvement des espces, mais d'orienter et dediriger les courants du commerce pour en assurer lesolde positif.Cette thorie de la balance commerciale dictait lesautres aspects de la politique mercantiliste. Pour assurerdans la mesure du possible sa propre subsistance, leroyaume d e v ~ i t dvelopper certaines productions, rserver sa marme et ses marchands le contrle de seschanges extrieurs, encourager certains trafics par desallgements douaniers, en dcourager d'autres par destarifs prohibitionnistes.Le protectionnisme anglais au XVIIe est la fois indus

    triel et agricole. Les deux premiers Stuarts ont une trshaute ide des responsabilits conomiques et socialesde la monarchie, ils distribuent les privilges et les monopoles, multiplient les rglements et confient une nued'officiers le contrle des fabrications. L'industrie textile, la plus importante des activits exportatrices dupays, bnficie de l'attention particulire de la Couronneet du Parlement. A la fin du rgne de Jacques 1er, lesexportations de laine SOnt dfinitivement interdites,ce qui, rse.rve faite de la c o n t r e b a n ~ e , donne .aux tisserands anglaiS le monopole d'une matire premire excellente et bon march. Cela ne suffit pas, pour faire faceaux difficults nes de la crise du milieu du sicle, onlve les douanes frappant les tissus franais et hollan-LE MERCANTILISME 2

    LB MERCANTILISME34 POLITIQUES ET PRATIQUES DU MERCANTILISME 35

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    dais, on s'efforce mme d'imposer le port des toffes delaine de fabrication nationale. Pour les vtements de deuil,pour les linceuls, des actes du Parlement stipulent l'usageobligatoire de draps de laine. Puis comme les cotonnadesindiennes concurrencent les draperies lgres, le gouvernement interdit en 1700 les soieries et les calicots orientaux, il va mme plus loin en 1721 et proscrit l'usage desindiennes importes crues et teintes en Angleterre. Unpeu plus tt, le gouvernement franais avait pris desmesures identiques, prolongeant lui aussi d'un siclel'activit des petites draperies-sayeteries.Identique en matire industrielle, la politique desdeux royaumes diffre radit:alement en matire agricole.Sa situation maritime aida l'Angleterre se librer unsicle plus tt que la France de la crainte obsidionale dela pnurie et de la famine. En osant favoriser l'exportation des grains, et en limitant les importations, elle sutencourager son agriculture et entretenir ses progrs.Ds les xve et XVIe sicles, le principe avait t pos de lalibert d'exportation quand les pn x intrieurs des blsn'excdaient pas un certain niveau: Au lendemain dela Restauration, un acte de 1670 supprima toutes conditions et toutes restrictions. Mieux en 1674, des primesfurent accordes aux exportateurs pour viter en prioded'abondance l'effondrement des cours. A la mme poque,le Parlement en 1663 et 1670 institua une chelle mobiledes droits l'importation : douanes leves quand lesprix des bls demeuraient bas, et tarifs moins s.vresquand ces prix s'levaient. Grce ce systme, les pro-ducteurs anglais bnficirent pendant prs d'un sicled'une protection presque complte. Moms accabls parle systme fist:al que les paysans franais, ils furent encoremieux protgs contre la grande dpression des prixcraliers. Ils conservrent un niveau de vie plus dcent, et lacapacit d'absorption du march intrieur, source detout dveloppement ultrieur, fut ainsi sauvegarde.Le troisime lment essentiel du systme mercantiliste anglais au XVIIe est constitu par les Actes de navigation. Comme l'agriculture et les manufactures, lamarine nationale bnficie d'un rgime hautement protecteur. En ce domaine aussi l'Etat mercantiliste tented'assurer seul sa subsistance et ses services. C'est la

    marine et le commerce hollandais, redoutables concurrents qui sont viss par les Actes de navigation. Les dcisions de 1651 et 1660 codifient et systmatisent une politique maritime, que des mesures partielles sous Elizabeth et les deux premiers Stuarts avaient dj esquisse.D'aprs le texte de 1651, les marchandises europennesne pouvaient tre transportes en Angleterre que sur lesbateaux anglais ou sur les navires du pays d'origine; dela mme faon les produits d'Asie, d'Amrique oud'Mrique ne pouvaient tre imports que par la marinebritannique ou coloniale. En 1660, pour viter certainesfraudes i l fut prcis que l'quipage d'un navire britannique devait tre command par un capitaine anglais,et compos pour les trois quarts de sujets britanniques.Pendant les premires annes de la Restauration, d'autresdispositions achevrent la constitution du systme,en rservant la mtropole l'essentiel du commercecolonial. Le rgime de l'exclusif contribua lui aussi la prosprit de la marine britannique.Ce protectionnisme rigoureux suscita naturellementl'host ilit des pays voisins. Les Actes de navigation contriburent au dclenchement des trois guerres maritimesanglo-hollandaises, et le conflit tarifaire avec la Franceaboutit progressivement un rgime de quasi-prohibition.Au cours des ngociations, qui aboutirent la paixd'Utrecht, une tentative fut faite pour mettre fin cettesituation, et un trait commercial fut ngoci entre lesdeux pays.Ce projet provoqua en Angleterre une intressantepolmique, on commenait en effet dans ce pays, commeen France, s'interroger sur la lgitimit des tarifs prohibitionnistes. Des conoInistes, Coke, Child, Davenants'taient efforcs d'en montrer les dangers: risques dereprsailles et de guerre, disparition de la comptitionstImulatrice, rupture des quilibres multilatraux ducommerce international. Leurs arguments repris en 1713par les tories et De Foe ne furent cependant pas entendus.La pense thorique anticipait sur les murs voire surles faits, et le trait ne fut pas ratifi par les Communes.Sans doute les bnfices que l'Angleterre avait su tirerde l'organisation goste de son conomie nationale taienttrop vidents, pour autoriser ds le dbut du XVIIIe sicle

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    une quelconque modification du systme mercantile.Dbarrass, pour l'essentiel des anciennes rglementa*tions corporatives, de l'interdiction du prt intrt et desparticularismes urbains et rgionaux, l'conomie anglaiseaf.Iirn;tait dans une conjoncture europenne pourtant biendiffiClle son dynamisme. Des manufactures bien protgesmais libres de toute rglementation autoritaire des f a b r i ~c a t ~ o n s et des techniques, une marine puissante, uneagrIculture prospre et rentable, des institutions parle*mentaires et politiques favorisant la consultation et laconfrontation des intrts, l'Angleterre tait prte pour lagrande aventure industrielle. Les deux rvolutions poli*tiques qu'elle avait traverses au XVIIe sicle avaientliquid ayec les confrries, les guildes, les privilges, biendes vestIges, des obstacles et des prjugs hrits dupass, elles contriburent faire du mercantilisme unmoyen trs efficace de puissance et de progrs national.L'exemple de la Sude, comme celUI de la France etde l'Angleterre pourrait illustrer les histoires paralllesdu mercantilisme et de l'absolutisme. Monarchie natio*nale et un moment ~ r a n d e puissance europenne, laSude de la reine ChrIstine et de Charles XI a cherch dvelopper ses exportations et sa marine. Elle a mmetent,. elle aussi, sur les rives de la Delaware, l'entreprisecoloruale. Ses sc;>uyerains accordrent des privilges aux

    m a n u f a c t ~ r e s lalrures de Stockholm et Norrkoping, auxcompagrues du goudron et du sel. Pour intensifier lap r o d u ~ i o n et les changes,.ils crrent en 1637 le Collgedes mmes et en 1651 celw du commerce. ns tablirentaux frontires des droits de douane protecteurs, tandisque la f l ~ t t e sudoise j o ~ a i t un rle commercial importanten Ba}.tlque et comptait en 1690 plus de 750 navires.

    L ' e x c ~ ~ e n t de la ~ a l a n c e commerciale, que clbraientle; mtrustr.es, c a c ~ a 1 t c e p e ~ d a n t !me faiblesse. Beaucoupexportations.taIc:nt d e s t m ~ a rembourser les capita*lIstes hollandaiS qw contrlaient en partie la mtallurgiedu fer et du cuivre, les fabrications d'armes, et voulaienten redistribuer les produits sur le march d'Amsterdam.Pour s ~ u r e r l'autonomie de son dveloppement, la Sudedut retirer aux socits participation hollandaise lesmonopoles qu'elles s'taient assurs dans certains secteursde la production et du commerce, elle dut surtout renon*

    cer dfinitivement, aprs les entreprises chimriques deCharles XII, aux ambitions europennes et la guerre.Au moment o ce pays commence mettre en valeur laS ~ n i : e , rtablit son quilibre agraire. en limitant les proprItes nobles par la grande Rduction Il , repousse l'aidemtresse des financiers d'Amsterdam, abandonne ses

    p r t e n t i ~ ~ s i ~ p r i a l e s dans la mer :Saltique, l'effortmercantIliste illustre sa faon une prIse de consciencenationale et la naissance de la Sude moderne.

    V. - LES AUTRES TATS EUROPENSNulle part en Europe, on ne trouve au XVIIe sicled'interventionnisme aussi cohrent aussi systmatiquequ'en France, en Angleterre ou dans une moindre mesureen Sude. Pourtant les projets mercantilistes sont universels et on retrouve partout, dans les dlibrations des

    Conseils de gouvernement, les mmes dcisions, les mmespropositions et tous les arguments que la littrature conom i q ~ e de l'poque popularisait. Le Danemark comme la

    ~ a v . I e r ~ , les Etats des H:tbsbourgs comme les principautes ttahennes ou germanIques connaissent les compagnies m o n o p o l e ~ . I e s . m ~ u f a c t u r e s priyilgies, les tarifs protecteurs et 1 mStItution des ConSeils ou Collges du commerce. Ce ne sont il est vrai souvent que vellits, projetssans suite, mesures temporaires ou dcisions vames. Iln'y a de politique mercantiliste efficace aux XVIIe etX V I I I ~ sicles, que l o un pouvoir central est capable dedommer les particularismes et les gosmes, d'imposer unarbitrage aux intrts opposs, de concilier les revendications des ngociants et des producteurs. Il n'y a de politique mercantiliste efficace que l o des entrepreneurssont capables de rpondre aux propositions du gouvernement, l o existe un embryon de bourgeoisie nationalel'esquisse au moins pour certains produits d'un marchnational, et les bases gographiques d'une relative autarcie. C'est ce que dmontre un rapide examen de la politique conomique de quelques Etats europens.. Il ~ o n v i e n t ~ ' v o q ~ e r . ~ o u t d'abord, parce que leurSItuatIOn est tres parucullere le cas des Provinces-Unieset surtout de la Hollande. n n'y a pas dans ce pays

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    l'ge classique d'cole ni de thoricien mercantiliste,c'est dj rvlateur. Mais la Rpublique se singulariseencore par la libert qu'elle accorde, presque ds sa constitution, aux mouvements internationaux des espces etdes monnaies. Jamais la Hollande, au temps de son apogecommerciale n'a hsit exporter du numraire. Ellefrappait mme des monnaies de ngoce pour entretenir sestrafics, monnaies de grande rputation, qui avaient coursdans les pays trangers : les rixdales en Baltique, les cusau lion au Levant, les ducatons d'arq;ent aux Indes eten Chine. Le rle d'intermdiaires mantimes que jouaientles Hollandais, la fonction d'entrept internationald'Amsterdam supposaient aussi une grande libert commerciale. Les Provinces-Unies rpugnaient aux prohibitions, et contre les Anglais elles dfendirent le principede la libert des mers. En pleine guerre, la Hollande atrs souvent maintenu la libert pour ses sujets de commercer avec les pays ennemis. Pendant la ~ e r r e d'Indpendance, des ngociants d'Amsterdam n hsitent pas fournir aux Espagnols des navires et des munitions. Lapratique est la mme pendant les guerres contre la France.En 1674, les hostilits n'empchent p'as la reprise dungoce franco-hollandais sous des pavIllons de complaisance. Durant toute la guerre de Succession d'Espagne,sauf du 1er juin 1703 au 1er juin 1704, la libert du traficdemeure, et le march d'Amsterdam, par l'intermdiairede Samuel Bernard et de ses correspondants, reste ouvertaux oprations du Trsor franais. Les banquiers hollandais fournissent crdit la solde des armes de Louis XIV!Ces marchands, ces banquiers, ces directeurs de la Compagnie des Indes orientales s'intressaient souvent davantageauxtrafics n t e r n a t i o ~ a u x , a ~ transits, et aux e ~ r -tations qu' la productIon natIonale. Dans les conflitsqui les opposrent aux agriculteurs zlandais et auxmanufacturiers de Leyde ou Harlem, partisans de hautstarifs, ils l'emportrent maintes fois, car par l'intermdiaire des rgents des villes, ils dominaient la Hollandeet influenaient les Etats gnraux. Ils ne rcusaient cependant pas tous les moyens et tous les principes du mercantilisme. Aux tarifs anglais et franais, la Hollande rpondit par des prohibitions et des droits de douane aussi rigoureux. La production n'y tait pas libre, les manufactures

    rurales se heurtaient l'hostilit des villes, et les fabrications urbaines taient soumises des rq;iements etd ~ contrles. Tous les artisans la drapene de Leydetalent regroups dans des nermgen . Chaque neringcorrespondait un type de tissus, mais tait dirig enfait par les marchands exportateurs de ces tissus. Lescapitalistes hollandais participaient aussi aux entreprisesdes Compagnies des Indes orientales et occidentales,compagnies privilges et vritables puissances publiques.Pour mieux contrler les marchs et russir sans tropde risques leurs spculations, ils ralisaient sans cesseaccaparements et monopoles. Ce mercantilisme volu,modr et incomplet s'exprime dans l'uvre de Pierre deLa Court, marchand de Leyde, L'Intrt de la Hollande.Dans ce livre exceptionnel, traduit en franais sous letitre trompeur de Mttwires de Jean de Witte, on dcouvredj certains thmes de l'cole librale. L'auteur dfendla libert de fabrication et de commerce. Il propose untarif douanier d'inspiration mercantiliste, mais dont lamodration devait mnager les intrts du ngoce: Onpourrait encore charger un peu plus que les ntres, lesmarchandises trangres que l'on peut faire et avoir dansle pays ... , de mme quand ces marchandises sortent dupays pour tre menes par nos rivires, mais non pasd'une manire qu'elles puissent tre menes meilleurmarch par une autre route... Les manufactures faitesdans le pays ne doivent pas tre charges du tout en sortant, mais les trangres en entrant et en sortant, autantqu'elles pourront porter, sans courir risque d'en perdrele COmmerce *. Cette modration des tarifs hollandais,que les fraudes sur le transit permettaient mme souventd'esquiver, tout autant que les prts et les investissements l'tranger ont certainement nui la longue auxmanufactures des Provinces-Unies, mais cette politiques'explique fort bien par la prpondrance des intrtscommerciaux et financiers. Si les Provinces-Unies constituent dans une certaine mesure une exception dansl'Europe du XVIIe sicle, c'est aussi parce qu'elles yexercent longtemps une sorte d'hgmonie maritimeet commerciale. Leur puissance financire, leur systme

    '" Mmoires de Jean de Witte, Ratisbonne, 1709, p. 58.

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    de crdit et le faible intrt de l'argent, la comptitivitde leur marine leur permettaient de contrler bien desmarchs, de dfier bien des concurrents. Le libralismeconvient bien aux conomies dominantes, et leurs plaidoieries en faveur de la libert des changes et de lalibert des mers ne surprennent qu' demi. La richessede la Rpublique lui donnait force politique et militaire.Le mercantilisme perdait donc en partie sa ncessit,n'existait-il pas en outre un accord naturel entre lesinstitutions rpublicaines, bourgeoises et le rgime semi.,libral des changes ?Le caractre confdral des institutions centrales seserait mal accommod d'un interventipnnisme autoritaire et bureaucratique. Les Etats gnraux, domins enpartie par les bourgeoisies urbaines et de ngoce, limits dans leurs pouvoirs par l'autonomie des provincesn'taient pas en mesure d'imposer un arbitrage au nomde l'intrt gnral. Ce fut une situation sans danger tantque dura la supriorit de la marine et du commercehollandais, mais ce fut une situation de plus en plusexpose ds lors que la France et l'Angleterre se donnrentune marine, des colonies, tendirent leur ngoce tranger sans sacrifier leurs productions nationales.Toute l'histoire de l'Europe aux XVIIe et XVIIIe siclesillustre cette incapacit d'un tat faible, dpendant outrop petit mener une politique efficace d'intervention etde dveloppement conomique. L'empire germaniquedemeure un conglomrat disparate de souverainets etd'conomies juxtaposes. En 1685 un chargement debois, achemin sur l'Elbe, de Dresde Hambourg, paieen taxes et pages les neuf diximes de sa valeur d'achat,tandis que la dure du voyage est quadruple par les formalits douanires. La cration par l'empereur L0l'0ldd'un Collge ou Conseil du commerce et l'octroi de dIversprivilges de manufactures en Autriche n'avaient pasgrande signification et efficacit dans une telle situationde morcellement politique.L'autre Empire chrtien, l'Empire espagnol manifestela mme faiblesse conomique. Face aux entreprisesdes Etats nationaux, mieux unifis les grands empireshrits du Moyen Age ou de la dcouverte du XVIe siclersistent mal. Pour l'Espagne, la politique mercantiliste

    d'autosubsistance parat dnue de signification. L'Espagne o svissent les prjugs aristocratiques, o lesprofessions commerciales et manufacturires jouissentd'une pitre considration, a besoin de ses voisins poursubvenir aux ncessits de son empire. Le rgime officielde l'exclusif, le monopole de Sville et Cadix sont tourns de mille faons; les draps, les toiles d'Angleterre, deHollande et de France chargent les vaisseaux de la Carrera des Indes. Rduit aux abois par le mauvais tat deses finances, le gouvernement n'hsite pas surchargerde taxes le commerce intrieur, et impose lourdement sespropres exportations. Aprs la disgrce d'Olivars, lepouvoir royal est trop faible pour rpondre aux sollicitations des crivains qui l'invitent imiter la France etl'Angleterre *. Chacune des grandes ngociations duXVIIe sicle est mme l'occasion pour Madrid de nouvelles capitulations conomiques devant ses concurrentsde l'Europe du Nord et de l'Ouest. Le trait des Pyrnes accorde au commerce franais d'importants avantages dans la pninsule, les traits d'Utrecht livrent enpartie aux Anglais l'exploitation de l'empire. Malheurdans ces tractations aux provinces priphriques encoreplus allgrement sacrifies. Milan et Naples entrent endcadence conomique. Le morcellement territorial voue l'impuissance les efforts que les princes italiens et lesvice-rois espagnols tentent travers le pays pour protgerles manufactures. Les Italies de la seconde Renaissanceont dans une certaine mesure anticip sur l'uvre colbertiste, mais dans des limites si troites, que l'chec finaltait invitable. Ds la fin du XVIe sicle, les prix de revienttrop levs et le carcan corporatiste disqualifient l'industrie italienne. Le dsordre fiscal et montaire qui caractrise l'administration espagnole achve de ruiner lesmanufactures. L'inflation, la mauvaise rpartition desimpts dcouragent l'entreprise, et les douanes intrieuresparalysent au sud tout le commerce. Pour lutter contre lahausse des prix, que provoquent les dvaluations et les* Les plus lucides d'entre eux mesurent les effets nfastes du mono-pole de Sville et de l'impor tation d sordonne des trsors amricains.L'cole de Salamanque leur a enseign ds la fin du XVIe la thoriequantitative de la monnaie et des prix. M. GRICE HUTCHINSON, Theschoolof Salamanca, Oxford, 1952.

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    frappes de m o n n a i ~ de cuivre,_ le vice-roi de ~ a p l e sprohibe les exportauons, c'est bIen pour cette rgl0l!- del'Italie l'heure du repliement et le dbut de la stagnatlonlL'exemple belge est plus loquent encore. D a n ~ .lesPays-Bas mridionaux, demeurs e s p a g n o ~ s , la tradltionmanufacturire tait particulirement anClenne et prestigieuse. Au lendemain de la reconqute ~ p a g n o l e , eten dpit de la fermetll;re de ' E ~ c a u t , ces provmces reconstiturent leur prosprlt mat[lelle. Bruges, Gand, Anverset Bruxelles, souvent grce la sollicitude de leurs chevinage, des archiducs, voire des gouverneurs ~ p a g n o l s ,se donnrent de nouvelles manufactures; rep[lrent leursventes l'tranger. Leurs progrs s'affirmrent j u s q u ~ a umilieu du sicle. Mais lorsque au-del de 1650, la dflauondes :p'rix, la crise europenne, l'pret de la ?Oncurrencetextile suscitrent un peu partout et particullr7mel!-t enFrance et en Angleterre des mesures protectlonrustes,l'conomie de la Flandre et du Brabant se trouva e n a c ~ .Les provinces ~ g e s se t ~ u r n r e ~ t vetS Mad[ld, sollicitrent son appw, et n'obtmrent [len. Le gouvernementespagnol tait trop affaibli, trop e m ~ a r r a s s dans lesintrigues diplomatiques pour compliguer encore sesdossiers. De 1660 1711, les exportations de dentellesdes Pays-Bas destination des Iles Britanniques c e s s r ~ tprogressivement, celles de toiles passrent ?e trente Inille deux mille pices, alors que selon le tarIf de 1680, lestoffes anglaises ne devaient leur entre aux Pays-Basque 4 6 'Ii de leur valeur. Rien n'y fit, ni les remontrances des Etats de Flandre, n i les protestations dt;Smarchands, les provinces prirent c o n s c i e n ~ d'avolrabandonn avec leur indpendance une parue de leurspossibilits con?In;igues. A deux reprises, le gouvernement de Max1mihen Emmanuel de Bavlere, en 1698,1699, puis sous l'occupation franaise, le pays tenta desauvegarder ses chances. Le comte de Bergeyck adopter de nouveaux tarifs, prohiber mme en ~ 6 9 9 , l ' l m ~ r -tation des draps trangers. Les protestauons ~ n g l a l ~ e set hollandaises, les particularismes locaux, les JalOUSIesentre Brabanons et Flamands, l'gosme d'Anvers lecontraignirent dmissionnet et firent abandonner toutesses rformes. En 1713 et 1714, les traits d'Utrecht et deRastadt confirent la Belgique l'Empereur, non sans

    lui avoir interdit toute libert tarifaire et donc toutegrande vocation commerciale et manufacturire. Dansle monde difficile des annes 1650-1750, alors que lastagnation de la demande et des prix exaspre la concurrence, la prosprit des manufaCtures suppose un rigoureux protectionnisme douanier, et donc un pouvoir poli-tique capable de rsister aux pressions des. diplomates etdes marchands trangers.VI. - L'ACTUALIT DU MERCANTILISME POUR LES DESPOTESCLAIRS DU XVIIIe SICLE

    De cette liaison troite entre politique et conomie,l'histoire du despotisme clair nous fournit une dernire illustration. Lorsque au XVIIIe sicle, les Etatssocialement arrirs par rapport l'Europe nord occi-dentale, tentrent de combler une partie de leur handicap, ils empruntrent tous au mercantilisme ses recettesde puissance conomique. Partout de l'Europe mditerranenne l'Europe centrale et orientale, oh vit en quelque sorte se renouveler l'en treprise colbertiste et se multlplier au mme rythme les rformes administratives etles initiatives mercantilistes. A l'effort entrepris pourmoderniser l'administration, supprimer les particularismes, les coutumes locales, correspondirent les entreprises de dfrichement, de colonisation intrieure, dedvelo)'pement manufacturier et d'unification douanire.L'histoire de la Russie de Pierre le Grand Catherine II illustre bien, par-del les diversits gographiqueset conjoncturelles, cette relation entre la politique, l'conomie et la nation. Les premiers thoriciens mercantilistesrusses apparaissent dans la seconde moiti du XVIIe sicle,alors que s'affermit la dynastie des Romanoff et que sedessinent ses ambitions. Le chancelier Ordine Natchokine propose la cration de grandes compagnies privilgies, pour contrler le commerce international et lesmanufactures. Pour combattre l'emprise des grands ngociants trangers, Krijanitch prne lui aussi l'industrialisation du pays. Le tsar Alexis essaya de multiplier lesfabriques sur son domaine et Moscou, mais c'est Pierrele Grand qui vraiment sortit la Russie de sa torpeur. n

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    avait autour de lui des conseillers et quelques hommesd'affaires, imbus des principes mercantilistes, ~ a l t y k o , : "le chevalier de Luberas, Possochkov et Menchikov lw-mme, mais bien plus que les conceptions idologiques,les circonstances exigeaient cette politique de dveloppement conomique *. La constitution d'une p u i s s ~ n t earme, l'quilibre de la balance c o ~ e r c i a l e s u p p o s a I ~ n tla naissance d'un secteur commerCIal et manufactUrIermoderne. Pour suppler le manque de capitaux et decadres, l'Etat du t engager des techniciens trangers, crerlui-mme des usines, subventionner les manufacturestextiles et les fonderies de canons, protger cette production par le tarif douanier 1724, faire cre';lser !escanaux reliant la Volga et la Neva, le centre de 1empIreet la Baltique. Le mercantilisme russe apparat biencomme un lment de la formation d'un Etat centraliset unifi, une tape de l'histoire de l'conomie nationale.Pierre le Grand, est dj, sa faon barbare, un despoteclair, Frdric II en est le modle parfait. De tous lessouverains de l'Europe centrale et orientale de la secondepartie du XVIIIe sicle, il est probablement celui d0!lt.l'administration conomique rappelle le plus le mmlstrede Colbert. Il crit dans son Essai sur les formes de gou-vernement que pour prosprer un pays doit avant toutpossder une balance commerciale favorable, et il ajoutequ'il lui faut utiliser ses propres matires premires dansdes manufactures nationales, fonder d'autres industriesspcialises pour travailler les matires premires del'tranger, et pro?uire bon mru:ch pour ~ o n t r l e r .lesmarchs internatIonaux. TI prohibe donc 1exportatIondes laines, et l'importation des objets de luxe, favorisepar des subventions et des monopoles l'installation dansses Etats de nouvelles manufactures de velours, de por-celaine, de draps, fait asscher des marais, creuser descanaux, et amnage l'conomie de la Silsie conquise : son nouveau Prou .Ainsi alors que la France et l'Angleterre, dans de nou

    .. L'article de H. CHAMBRB, PossochkO'U et le mercantilisme, Cahiersdu monde russe et sovitique, I963, voque l'influence possible desconomistes polonais du XVI', N. COPERNIC et FRYCZ-MODRZl!WSKIet signale l'existence en Russie de traductio ns d'ouvrages occidentaux.Mais il insiste sur l'originalit de Possochkov.

    velles conditions conomiques, commencent s'interroger sur l'opportunit de prolonger ou d'interrompre lespratiques mercantilistes, et envisagent une nouvelle lgislation du commerce et de nouvelles mthodes pour stimuler la production et les changes, l'Europe au sud desmontagnes alpines et l'est de l'Elbe reprend son comptele mercantilisme. Le despotisme clair emprunte l'Europe occidentale les ides et les mthodes qui yavaient triomph un sicle plus tt; cette inspirationancienne, ce prolongement absolutiste ou mercantilistedans les conseils des princes philosophes contribuent l'ambigut de leurs personnages et de leur uvre *.Au terme de ce trop rapide survol de l'histoire conomique des Etats europens, est-il possible de dgagercertains caractres communs des politiques mercantilistesque nous avons voques? Reprenant une formulationclbre d'E. F. Heckscher, nous constatons tout d'abord,au cur du systme, une volont d'unification et depuissance : unification territoriale et administrative queles souverains des XVIIe et XVIIIe sicles ne purent qu'baucher, et qu'achevrent la rvolution bourgeoise et lelibralisme; mais aussi entreprise de puissance monarchique et par voie de consquence nationale. Le mercantilisme est d'abord un service de la politique, uneadministration du trsor royal, un instrument de grandeur politique et militaire. Le dirigisme conomique del'Etat classique correspond des motivations financires,c'est un systme de production, de richesse et non dedistribution. Des proccupations profanes, une philosophie laque de l'Etat l'inspirent. Le machiavlisme achass pour une large part tout scrupule paternaliste,religieux ou moral, et la politique sociale n'apparat,au XVIIe sicle tout au moins, que sous la forme d'unepolice intrieure, d'une scurit contre l'insurrection.La monarchie scelle son alliance temporaire et intresseavec les classes possdantes. Ce service exclusif et abstrait de l'Etat explique certaines consquences internationales du mercantilisme. S'il est souvent l'origine,

    .. Pas plus dans la Russie de Pierre Ce Grand que dans la Prusse deFrdric II , il n'est commode de concilier l'existence du servage dansles campagnes et les besoins de main-d'uvre des manufactures.

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    rponse un dfi .de l'tranger ou de la c o n j o n ~ u r e , ~contribue trs rapIdement exasprer les confhts politiques, suscite les guerres commerciales et coloniales, lesannexions arbitraires. Mais le droulement des rivalitsconolniques prouve, qu'avec leur indpendance ~ l i -tique, les jeunes nations jouent leur prosprit matrIelleetleur avenir.

    CHAPITRE IlLES THORIES MERCANTILISTES

    Nous retrouvons ds l'abord les problmes que nousvoquions dans l'introduction. Aucun ministre ne s'estproclam mercantiliste, mais aucun conolniste nonplus n'a eu le sentiment d'appartenir une cole, d'adhrer une doctrine cohrente, dfinie par des matreset codifie dans une bible. Le mercantilisme en tant quesystme de pense et d'intervention a t dfini par leslibraux de la fin du XVIIIe sicle, pour dsigner et disqualifier ceux dont ils rpudiaient les arguments et lespratiques. Cette particularit cre une certaine confusiondans la polmique et l'historiographie. Tel auteur ancienest class tantt parmi les mercantilistes, tantt parmiles isols ou les prcurseurs du libralisme. Il n'existed'accord universel ni sur la nature de la thorie ni sur lescaractristiques de l'interventionnisme qu'elle justifie.Pour les uns sont mercantilistes ceux qUI identifient larichesse nationale et le volume des espces en circulation,pour d'autres sont mercantilistes ceux qui proclament lancessit de l'autosubsistance nationale et entretiennentla xnophobie contre les marchands et les produitstrangers. Pour d'autres encore, sans doute les lnieux ins-pirs, la doctrine repose sur cette ide que l'interventionde l'Etat doit assurer l'quilibre indispensable de labalance commerciale. Selon les choix plus ou moinsarbitraires, selon les critres retenus, l'importance historique, la lgitilnit scientifique du systme varient bien

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    entendu. Pour sortir de cette ambigut, nous allons examiner, en refusant tout classement priori, l'volutionde la pense conomique, des grandes dcouvertes aumilieu du XVIIIe sicle, et dgager, s'il yen a, les lmentsd'unit, les thmes communs. Alors seulement nousserons en mesure de rpondre la question pose. Nouspourrons dire si la notion mme est utile et ncessairedans l'histoire de la pense conomique, si les crivainset les experts se sont inspirs plus ou moins consciemment de cette thorie, nulle part formule comme telle,mais prsente partout dans les esprits.Le Moyen Age a peu crit sur les questions d ' ~ o n o -mie et de finances. Son apport semble se rdwre quelques commentaires de t h o ~ o g i e morale et ~ e l q ~ e scrits anonymes sur les monnaies. Les docteurs d Eghseont certes comment abondamment les passages de laSomme Thologique, o saint Thomas traite du vol, dela fraude commerciale et du prt intrt, mais sansvraiment rien lui ajouter. Les conseillers des princesont discut des monnaies et des mutations, mais sansrien expliquer des mcanismes des changes et des prix.Seul le livre de Nicolas Oresme, son Trait de la premireinvention des monnaies semble avoir conserv une vieposthume, et inspir quelques thoriciens de l ' p ~ q u emoderne. C'est seulement avec les transformationsconomiques du XVIe sicle, q?e. nat une. rflexi0X:fconde. Les phnomnes monetalres et SOCiaux, qwaffectent alors l'Europe, sont sitonnants,qu'iIsinquitentles contemporains, entretiennent leur imagination spculative. C'est d'abord l'largissement prodigieux deslimites du monde habit, puis l'ouverture de ces nouveaux marchs aux entreprises de l'conomie europenne,c'est la croissance sur le vieux continent de nouvellesmtropoles financires, et bientt pour certaines populations une modification brutale de leurs conditions devie. Les nouveauts du XVIe sicle, ce sont encore cesmonarchies puissantes, fastueuses, mais toujours courtd'argent, ces Etats et ces Empires engags dans desguerres plus coteuses, ces princes sollicitant les banquiers. Comment ne pas s'interroger sur ces fabuleusescargaisons, que l'on dbarque Sville, sur la g r a n d e u ~ etla fragilit de l'empire de Philippe II, sur les chemms

    secrets qu'empruntent l'or et l'argent qui chappent l'Espagne? Comment ne pas se proccuper d'apaiserl'insatiable soif du Lviathan, et ngliger les profits que! r s ~ r royal et le Fisc pourraient tirer de la prospnte nationale.La crise conomique, la baisse, des prix qui atteignentl'Europe dans le courant du xvue sicle n'ont pas interrompu ce mouvement intellectuel, bien au contraire.L'exaspration des concurrences commerciales, la baissede beaucoup de revenus, la misre entretiennent l'inquitude, sollicitent les conseillers des princes, justifient lesmmoires des marchands, les dolances des compagnies.Ainsi se constitue un immense corpus de traits et derflexions, une premire bibliothque d'Economie Politique. L'Europe moderne en politique et en conomiecommence croire en l'efficacit de la pense rationnelle,elle commence plus ou moins consciemment professer que la richesse est une valeur suprme.

    1. PUBLICISTES, THORICIENS, ADMINISTRATEURS ETHOMMES D'AFFAIRESEn France, des magistrats, des officiers des monnaieset des finances, des hommes politiques ont participplus nombreux que les ngociants et les manufacturiers ce premier effort de rflexion thorique. C'est d'aborden 1566-1568 la polmique fameuse propos de la haussedes prix entre De Malestroit, conseiller du roi, matreordinaire de ses comptes et le grand Jean Bodin, puis lesmmoires et. les livres de Barthlemy de Laffemas,conseiller d'Henri IV, et dfenseur infatigable des manufactures du royaume. Les crits ds la plume ou l'inspiration de Richelieu ont en partie leur place danscette littrature, au demeurant peu originale et souventaussi monotone que bavarde. Citons encore le Trait desMonnaies d'Henri Poullain, paru en 1621, le Rglementgnral sur toutes sortes de manufactures qui sont utiles etncessaires dans le royaume du marquis de La Gomber

    dire, dat de 1634, et Le Commerce honorable de JeanEon, religieux de Nantes, publi dans ette ville en 1646.Au milieu de cette galerie de serviteurs de l'Etat, An-

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    toine de Montchrtien fait exception. Homme d'pe ethomme de lettres, il fut aussi manufacturier et d i ~ i g e ades fabriques de quincaillerie q u s 0 r u : ' ~ et C h a ~ i l l o nsur Loire. Son Trait de l'Bconom,e polmque, ddi en1615 Louis XIII et Marie de. ~ i c i s , p ~ o p o s e dtun systme cohrent d'intervention economtque. MalSl'crivain mercantiliste le plus prolixe, le plus loquent,c'est certainement Colbert lui-mme, dont les longsmmoires sont de vritables ouvrages de vulgarisation, l'intention de ses collaborateurs, intendants et magistrats.C'est en fonction de son administration et de ses crits,que s'expriment les conomistes francrais jus9u' 13; findu rgne de Louis XV. Il a ses adversalres, malS aussI sesdisciples fidles. Tandis que le Contrleur gnral Orry(1730 - 1745) reprend sa politique, renforce la rglementation industrielle, orchestre le progrs du commerce,dans une conjoncture soudain plus favorable, J. F. MelIon et Dutot rptent les arguments de l'cole. Plus tardencore, au moment o les grands physiocrate:> attirentl'attention du public, Vron de Forbonnais contmue dansses Principes et Observations conomi