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Immuno-analyse et biologie spécialisée (2007) 22, 384—390 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com journal homepage: http://france.elsevier.com/direct/IMMBIO/ STRATÉGIE D’EXPLORATION FONCTIONNELLE ET DE SUIVI THÉRAPEUTIQUE Diagnostic rare : le corticosurrénalome A rare diagnostic: The adrenocortical carcinoma M. Perrin a , A. Szymanowicz b,, M.-J. Neyron b a Service d’endocrinologie, centre hospitalier de Roanne, 28, rue de Charlieu, 42328 Roanne cedex, France b Laboratoire de biochimie, centre hospitalier de Roanne, 28, rue de Charlieu, 42328 Roanne cedex, France Rec ¸u le 27 juillet 2007 ; accept´ e le 30 septembre 2007 Disponible sur Internet le 26 novembre 2007 MOTS CLÉS Corticosurrénalome ; Androgènes ; Virilisme ; Big IGF2 ; Hypoglycémie ; Mitotane Résumé Le corticosurrénalome est une tumeur endocrine rare qui se développe à partir de la corticosurrénale. Son incidence chez l’adulte est d’environ un à deux nouveaux cas par million d’habitants, par an. Le plus fréquemment, le diagnostic est posé devant des signes cliniques d’hypersécrétion hormonale : un syndrome de Cushing ou syndrome de Conn ou de virilisation chez la femme et de féminisation chez l’homme. Une patiente de 36 ans, admise aux urgences pour coma hypoglycémique, sans antécédent diabétique suite à un malaise au lit le matin : la glycémie est à 2,36 mmol/L avec une hypokaliémie à 2,3 mmol/L. La radiographie thoracique montre de multiples images nodulaires en « lâcher de ballons » de 10 à 15 mm. La tomodensi- tométrie montre une volumineuse masse surrénalienne droite. La patiente est mutée dans le service d’endocrinologie. L’hirsutisme majeur avec masculinisation de la voix et l’hypertension artérielle (HTA) sont apparus en moins d’un semestre. Il s’agit du premier épisode de coma hypoglycémique. Le bilan est poursuivi avec dosage des hormones surrénaliennes, des IGF et de la « Big IGF2 » scintigraphie osseuse et scanner cérébral. Le diagnostic de corticosurrénalome est évoqué dans les premières 24 heures de l’hospitalisation sur des critères cliniques : virilisation majeure, amaigrissement, HTA, biologiques et radiologique. Le coma hypoglycémique dû à la sécrétion de « Big IGF2 » est un motif d’hospitalisation inhabituel dans ce cas. Cette dérégulation glycémique va poser de grandes difficultés thérapeutiques au quotidien, s’ajoutant à celle du traitement antitumoral. La nécessité d’orienter ces patients vers des centres spécialisés est pri- mordiale afin de leur faire bénéficier des derniers développements thérapeutiques. Cette atti- tude contribue ainsi à faire progresser la recherche de chimiothérapies de plus en plus efficaces. © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. KEYWORDS Adrenocortical carcinoma; Androgen; Virilization; Summary Adrencortical carcinoma is an aggressive form of cancer originating in the cortex of the adrenal gland with incidence of 1—2 per million inhabitants per year. Many hormonal syndromes can occur to patients with steroid hormones-producing tumors, including Cushing’s syndrome, Conn syndrome, virilization and feminization. A 36-year-old female is admitted to emergency department for hypoglycemic coma without diabetic antecedents. Plasmatic gly- cemia is 2,36 mmol/L and kalemia 2,3 mmol/L. Radiography of the chest shows multiple small Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (A. Szymanowicz). 0923-2532/$ — see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.immbio.2007.09.008

Diagnostic rare : le corticosurrénalome

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mmuno-analyse et biologie spécialisée (2007) 22, 384—390

Disponib le en l igne sur www.sc iencedi rec t .com

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TRATÉGIE D’EXPLORATION FONCTIONNELLE ET DE SUIVI THÉRAPEUTIQUE

iagnostic rare : le corticosurrénalomerare diagnostic: The adrenocortical carcinoma

. Perrina, A. Szymanowiczb,∗, M.-J. Neyronb

Service d’endocrinologie, centre hospitalier de Roanne, 28, rue de Charlieu, 42328 Roanne cedex, FranceLaboratoire de biochimie, centre hospitalier de Roanne, 28, rue de Charlieu, 42328 Roanne cedex, France

ecu le 27 juillet 2007 ; accepte le 30 septembre 2007isponible sur Internet le 26 novembre 2007

MOTS CLÉSCorticosurrénalome ;Androgènes ;Virilisme ;Big IGF2 ;Hypoglycémie ;Mitotane

Résumé Le corticosurrénalome est une tumeur endocrine rare qui se développe à partir de lacorticosurrénale. Son incidence chez l’adulte est d’environ un à deux nouveaux cas par milliond’habitants, par an. Le plus fréquemment, le diagnostic est posé devant des signes cliniquesd’hypersécrétion hormonale : un syndrome de Cushing ou syndrome de Conn ou de virilisationchez la femme et de féminisation chez l’homme. Une patiente de 36 ans, admise aux urgencespour coma hypoglycémique, sans antécédent diabétique suite à un malaise au lit le matin : laglycémie est à 2,36 mmol/L avec une hypokaliémie à 2,3 mmol/L. La radiographie thoraciquemontre de multiples images nodulaires en « lâcher de ballons » de 10 à 15 mm. La tomodensi-tométrie montre une volumineuse masse surrénalienne droite. La patiente est mutée dans leservice d’endocrinologie. L’hirsutisme majeur avec masculinisation de la voix et l’hypertensionartérielle (HTA) sont apparus en moins d’un semestre. Il s’agit du premier épisode de comahypoglycémique. Le bilan est poursuivi avec dosage des hormones surrénaliennes, des IGF et dela « Big IGF2 » scintigraphie osseuse et scanner cérébral. Le diagnostic de corticosurrénalome estévoqué dans les premières 24 heures de l’hospitalisation sur des critères cliniques : virilisationmajeure, amaigrissement, HTA, biologiques et radiologique. Le coma hypoglycémique dû à lasécrétion de « Big IGF2 » est un motif d’hospitalisation inhabituel dans ce cas. Cette dérégulationglycémique va poser de grandes difficultés thérapeutiques au quotidien, s’ajoutant à celle dutraitement antitumoral. La nécessité d’orienter ces patients vers des centres spécialisés est pri-mordiale afin de leur faire bénéficier des derniers développements thérapeutiques. Cette atti-tude contribue ainsi à faire progresser la recherche de chimiothérapies de plus en plus efficaces.© 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.

Summary Adrencortical carcinoma is an aggressive form of cancer originating in the cortex

KEYWORDSAdrenocorticalcarcinoma;Androgen;Virilization;

of the adrenal gland with incidence of 1—2 per million inhabitants per year. Many hormonalsyndromes can occur to patients with steroid hormones-producing tumors, including Cushing’ssyndrome, Conn syndrome, virilization and feminization. A 36-year-old female is admitted toemergency department for hypoglycemic coma without diabetic antecedents. Plasmatic gly-cemia is 2,36 mmol/L and kalemia 2,3 mmol/L. Radiography of the chest shows multiple small

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected] (A. Szymanowicz).

923-2532/$ — see front matter © 2007 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.immbio.2007.09.008

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Diagnostic rare: le corticosurrénalome 385

lung nodules (10—15 mm) indicating metastases to the lungs. Scans of the abdomen permitsidentifying the large (100 × 120 mm2) adrenocortical tumor on the right side. The patient istransferred to the Endocrinology Department. Hirsutism, change in the voice and high bloodpressure, appeared during the last six months. This is the first hypoglycemic coma incident.Investigations are conducted with adrenocortical hormones, IGF family, ‘‘Big IGF2’’, determi-nations, bone and cerebral CT scans. Adrenocortical carcinoma is evoked into the first 24 hoursafter hospitalization on the signs and symptoms of virilism, exces facial and body hair, acne,deepening of the voice, Conn syndrome marked by high blood pressure, hypokalemia and radio-logical pictures. Hypoglycemic coma due to secretion of ‘‘Big IGF2’’ is unusual as main firstcause of hospitalisation in this case. This induced recurrent hypoglycemia combined to chemo-therapy was a great difficulty for the treatment of the patient. It is necessary for patients withthis rare disease to join multicentric trials in order to benefit of the most promising therapeutic

Big IGF2;Hypoglycemia;Mitotane

. Tou

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dleg(màtscLdécouverte de la tumeur.

À l’arrivée dans le service d’endocrinologie, elle est apy-rexique, pression artérielle (PA) à 160/100 mm Hg, rythmecardiaque régulier à 80 par minute ; perte de poids de 7 kgen deux à trois mois (56 kg pour 1,64 m) ; score de Karnof-sky à 100 % ; absence de signe de phlébite, d’insuffisancecardiaque, de souffle cardiovasculaire ; auscultation pul-

options.© 2007 Elsevier Masson SAS

Introduction

Le corticosurrénalome est une tumeur endocrine rare qui sedéveloppe à partir de la corticosurrénale. Son incidence estd’environ un à deux nouveaux cas par million d’habitants,par an [5,13]. Le plus fréquemment, le diagnostic estposé devant des signes cliniques d’hypersécrétion hormo-nale dont la symptomatologie est sensiblement variable,dépendant de la voie de synthèse hormonale développéepar le tissu endocrinien tumoral : un syndrome de Cushingen cas d’hypersécrétion de cortisol ou bien un tableaud’hypertension artérielle (HTA) associé à une hypersécré-tion de minéralocorticoïdes, et surtout chez la femme, unhirsutisme et une virilisation accompagnant une hypersécré-tion d’androgènes [5,10,13]. D’autres tableaux sont parfoismoins prononcés, rendant le diagnostic difficile et parfoisle retardant considérablement [2]. Il peut atteindre tousles âges de la vie mais cependant avec périodes de plusgrandes fréquences, l’enfant avant cinq ans et l’adulte entre30 et 50 ans. Nous rapportons le cas d’une patiente dontla symptomatologie initiale qui a motivé l’hospitalisationcorrespond à un coma hypoglycémique. Ce diagnostic aimpliqué une étroite collaboration clinicobiologique, à larecherche de la meilleure prise en charge possible dont ilnous paraît utile de faire part, compte tenu de la rareté decette maladie.

Le diagnostic de la maladie

Une patiente de 36 ans est admise fin mars 2005 aux urgencespour coma hypoglycémique, sans antécédent diabétique.Ses antécédents consistent en les critères suivants :

• une hypertension artérielle traitée par Nebilox®

5 mg 1 cp/j ;• des migraines ;• une thyroïdectomie totale en février 2004 (lésions de

goitre adénomateux bénignes, présence d’une parathy-roïde) avec hypoparathyroïdie séquellaire, traitées parLevothyrox® 175 �g 1 cp/j plus Orocal D3® 2 cps/j plus un

®

Alfa 1 �g/j.

Elle ne consomme ni alcool ni tabac. La grand-mèrematernelle et trois tantes de Mme D. ont été opérées dela thyroïde. Une sœur, dont le fils a eu une leucémie à l’âge

Fd

s droits réservés.

e cinq ans, a développé une leucémie à l’âge de 34 ans.me D. est mariée, a une fille de neuf ans et poursuit uneontraception par Cerazette® (date des premières règles à2 ans ; cycles réguliers jusqu’en juillet 2004 ; aménorrhéeepuis).

Mme D. présente un malaise au lit le matin du 31 mars,’où appel des pompiers qui relèvent une glycémie capil-aire à 1,05 mmol/L. Aux urgences, la glycémie veineusest à 2,36 mmol/L. La patiente est perfusée avec du sérumlucosé isotonique (SGI). La kaliémie est à 2,3 mmol/LTableau 1). La radiographie thoracique (Fig. 1) montre deultiples images nodulaires en « lâcher de ballons » de 1015 mm, une centaine dans chaque champ ; la tomodensi-

ométrie (TDM) corps entier révèle une volumineuse masseurrénalienne droite de 15 cm et une thrombose de la veineave inférieure, confirmées par l’échographie et le doppler.e foie est a priori indemne. La patiente est informée de la

igure 1 Radiographie pulmonaire initiale : image en « lâchere ballons ».

Page 3: Diagnostic rare : le corticosurrénalome

386 M. Perrin et al.

Tableau 1 Résultats de la biologie réalisée au laboratoire du centre hospitalier.

Analyses Unité Valeurs de référence 30/03/05 31/03/05 24/05/05 25/06/05 03/06/06 10/06/06

Leucocytes G/L 4,0—10 11,2 8,4 11,1 12,9 18,9 13,6Hématies T/L 4,0—5,5 6,21 5,7 5,85 4,8 3,72 3,79Hémoglobine g/100 mL 12—17 17,7 16,2 16,6 13,6 9,6 9,6Plaquettes G/L 150—500 183 193 286 276 149 155Sodium mmol/L 135—145 143 145 140 137 136 136Potassium mmol/L 3,5—4,8 2,3 3,0 2,3 2,9 4,9 2,1Calcium mmol/L 2,40—2,60 2,16 1,91 1,97 1,72 2,01 1,77Glycémie mmol/L 4,0—5,5 2,36 1,7 2,4 2,5 4,7 3,9Protéines g/L 60—76 77 69 75 64 60 64Albumine g/L 35—50 28,6 23 21,9 25,4Préalbumine g/L 0,2—0,4 0,24 0,15 0,09CRP mg/L 0—10 121 14 147 89 156TSH mU/L 0,2—4,5 5,91 7,17 22,05 0,68T4L pmol/L 10,6—21,0 14,4 17,8 14,6 10,9LDH UI/L 230—460 2000 2054GammaGT UI/L 11—50 37 198 368 153PAL UI/L 25—83 106 140 335 233

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onaire normale ; aires ganglionnaires libres ; abdomenon palpé en raison de la thrombose de la veine cavenférieure ; hirsutisme majeur ; acné hyperséborrhéique ;asculinisation de la voix jusque là attribuée à une séquellee la thyroïdectomie. L’anamnèse permet de préciser que’altération de l’état général dure depuis deux mois et quee virilisme et l’HTA sont apparus en moins d’un semestre.l s’agit du premier épisode de coma hypoglycémique.me D. est en perfusion de SGI et de SG 10 % en déri-ation et a une alimentation fractionnée. Elle est miseous anticoagulant. Les glycémies capillaires fluctuent entre,92 et 7,42 mmol/L. La kaliémie se stabilise aux envi-ons de 3,6 mmol/L avec 8 g de potassium en intraveineuxi.v.), six comprimés (cps) de diffuK et deux ampoules deCl per os par jour. La calcémie se maintient autour demmol/L avec phosphorémie normale sous Rocaltrol® 1 �gt Calcidia® 2 sachets/j. La fonction rénale est normalee même que le bilan hépatique en dehors de �GT auriple de la normale. L’albumine est à 30 g/L et la préal-umine à 0,39 g/L. Le taux de LDH est à 2000 UI/L (n < 460).’HTA est traitée par Tenormine® 100 mg/j plus Aldactone5® 2 cps/j.

Le bilan est poursuivi par le dosage des dérivés desifférents axes surrénaliens (Tableau 2) avant mise sousysodren®, le dosage de l’IGF2, la scintigraphie osseuseontre l’absence d’hyperfixation et le scanner cérébral est

ormal.À l’issue de cet ensemble d’investigations convergentes,

e diagnostic retenu est celui de corticosurrénalome (stadeV) métastasé au poumon, envahissant les vaisseaux duile hépatique et de la veine cave inférieure, hyperse-rétant tous les dérivés, essentiellement les androgènes

esponsables du virilisme majeur, mais aussi la « Big IGF2 »esponsable de l’hypoglycémie. Devant ce diagnostic de gra-ité et après concertation pluridisciplinaire, le 8 avril 2005,a patiente est mutée en service d’endocrinologie au CHU àyon.

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a prise en charge et le traitement

e diagnostic de corticosurrénalome est établi formelle-ent par la cytoponction et la microbiopsie. Compte tenuu volume de la tumeur, de son caractère sécrétant ete l’état général conservé de Mme D., est envisagé unraitement chirurgical avec surrénalectomie, probablementccompagnée d’une néphrectomie et vraisemblablementhrombectomie cave inférieure. Finalement, le gestehirurgical est récusé après discussion extensive. Il estroposé à la patiente un traitement médical qui associelassiquement Lysodren® et chimiothérapie. La patientest incluse dans un protocole international « Impact »e phase III randomisé, en collaboration avec l’institutustave-Roussy-de-Villejuif qui compare l’associationysodren®—streptozotocine versus l’associationysodren®—adriamycine—Vepeside®—Cisplatyl® [2].

La patiente recoit l’association Lysodren®—strep-ozotocine, avec adaptation de la posologie rapidementroissante du Lysodren® à 12 cps/j (plus Hydrocortisone®

0 mg le matin et 20 mg le soir) en fonction de la mito-anémie. Elle bénéficie d’un traitement par Proglicem®

00 mg/j et de perfusions nocturnes d’Osmotan® G10, cares hypoglycémies se produisent surtout la nuit ou le matinu réveil. Chaque cure a lieu en hôpital de jour (HDJ) touteses trois semaines et une évaluation est prévue à deux moise traitement. En cas de progression tumorale, la triplessociation sera proposée.

La première cure en avril est bien tolérée. Dans lesuites de la deuxième cure, la patiente est réhospitaliséen urgence pour intolérance alimentaire aiguë et hypogly-émie sévère dès l’arrêt de la perfusion nocturne. Le poids

este de 56 kg. La kaliémie est à 2,3 mmol/L. La Somatosta-ine IM® est débutée le 22 juin, rapidement arrêtée, car malolérée.

Fin juin 2005, Mme D. revient dans le service poure même motif : coma hypoglycémique matinal ; absence

Page 4: Diagnostic rare : le corticosurrénalome

Diagnostic rare: le corticosurrénalome 387

Tableau 2 Résultats des dosages hormonaux.

Paramètre Résultat (R) Unités Valeurs de référence (n) Ratio R/n

Cortisol libre urinaire 290 le 04/04 mmol/D 40—240 1,2467 le 05/04 1,9310 le 06/05 1,3

17 Cétostéroïdes 1456 le 04/04 �mol/L 17,3—45 323043 le 05/04 681378 le 06/04 31

17 Hydroxycorticostéroïdes 44 le 04/04 �mol/L 12—22 247 le 05/04 2,137 le 06/04 1,7

Noradrénaline 374 mmol/D 160—485 0,8Adrénaline < 27 nmol/D 27—165 0,2Dopamine 2948 nmol/D 1300—3000 1Normétadrénaline 1457 nmol/D 750—2000 0,7Métadrénaline 451 nmol/D 250—1200 0,43 Ortho-méthyldopamine 1001 nmol/D 600—1300 0,8Sérotonine 0,41 �mol/L 0,28—1,70 0,2Calcitonine 2 ng/mL < 10 0,2Chromogranine A 37 �g/L 20—100 0,4Delta-4-androsténedione 736 nmol/L 2—10 74DHA 76 nmol/L 4,1—28 2,711 Désoxycortisol 340 nmol/L < 13 2617 Alpha hydroxyprogestérone 91 nmol/L 0—3,6 25Progestérone 46 nmol/L 0,5—4,5 10Aldostérone 235 pmol/L < 440 0,5Testostérone 66 nmol/L 0,35—2,10 31IGF1 51 ng/mL 225—325 0,16

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IGF2 Profil type b

de fièvre, de douleurs abdominales et de troubles diges-tifs ; poids stable mais sueurs, majoration du virilismeet explosion métastatique pulmonaire (confluence detoutes les métastases, avec quasi aucun parenchyme sain)sans retentissement sur l’hématose. La lésion surréna-lienne, elle, est stable (114 × 116 mm2). La thrombose caves’étend jusqu’à la bifurcation des veines sus hépatiques.L’échocardiographie montre un thrombus tumoral flottantdans l’oreillette droite. La kaliémie est à 2,9 mmol/L, lacalcémie à 1,72 mmol/L, l’albuminémie effondrée, à 23 g/Lalors que la protidémie (à 64 g/L) et la préalbuminémie (à0,24 g/L) sont normales. Les hypoglycémies, dont l’une à0,55 mmol/L, restent brutales et imprévisibles. L’HTA noncontrôlée fait l’objet d’un traitement complémentaire parLoxen LP 50® 2 cps/j.

La chimiothérapie est modifiée le 28 juin 2005,première cure associant au Lysodren®—adriamycine—Cisplatyl®—Vepeside®. Une TDM thoracoabdominopelvienneest prévue après deux cures de ce type.

En décembre 2005 la patiente est revue après six cures del’association précitée : perte de poids de 6 kg, mais ressentid’une amélioration de l’état général (asthénie, diminutionde l’hirsutisme mais sans modification de la voix), disparition

des hypoglycémies nocturnes ; PA contrôlée ; TDM montrantune stabilité de la masse surrénalienne (120 × 100 mm2) etune régression des métastases hépatiques et pulmonaires.La décision est prise d’arrêter les perfusions nocturnes deSG et de prévoir deux nouvelles cures.

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Profil type a

En février 2006, un mois après les deux cures supplémen-aires (dernière cure le 15 janvier), la patiente est revuesuivi de consultation mensuel) :

prise de poids de 4 kg ;absence d’hypoglycémie ;disparition de l’asthénie, des douleurs abdominales, de lafatigue et vie « normale » ;TDM montrant un diminution de taille de la masse surré-nalienne (115 × 95 mm2) ; etune stabilité des métastases.

En mars 2006 : poids stable mais réapparition de’asthénie, des douleurs osseuses et abdominales et réag-ravation de l’hirsutisme (réaugmentation des taux deestostéronémie et de DHEA) ; développement d’une cho-estase (PAL à 550 UI/L et �GT à 1000 UI/L) ; TDM montrantne stabilité de la masse surrénalienne et des métastasesulmonaires et une disparition des métastases hépatiques.n suivi TDM est prévu tous les deux mois.

En mai 2006 : réapparition des hypoglycémies d’oùeprise des perfusions nocturnes de SG et du Proglicem® àaison de 150 mg trois fois par jour ; majoration des dou-

eurs d’où prescription d’opiacés et décision de débuter uneouvelle chimiothérapie par Navelbine®.

En juin 2006 : réhospitalisation dans le cadre de’urgence : cachexie (albuminémie à 21 g/L), anasarquediminution du poids de 67 à 53 kg après fonte des œdèmes),

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yspnée due à une coalescence métastatique pulmonaireembolie pulmonaire écartée) conduisant au décès.

e point de vue du clinicien

e corticosurrénalome est une tumeur maligne duortex surrénalien, rare chez l’adulte : (0,02 % desumeurs malignes), alors qu’elle représente 0,2 % desumeurs malignes pédiatriques (incidence internationale :,5/1 million) avec un ratio de 1,5 chez les filles [3]. C’estne tumeur gravissime, avec survie à cinq ans de 36 % [3].hez l’adulte, elle survient le plus souvent entre 30 et0 ans. Elle est fonctionnelle dans 50 % des cas. Les tumeursonctionnelles s’observent préférentiellement chez lesatients jeunes de sexe féminin et la symptomatologiearie en fonction de l’hormone corticosurrénalienne pro-uite en excès. Il s’agit le plus souvent d’un syndromee Cushing, donc non ACTH-dépendant, avec signes deirilisation présents dans plus de 90 % des cas (hirsutisme,oix grave, hyperséborrhée).

Les tumeurs à sécrétion androgénique, oestrogéniquet minéralocorticoïde (responsables d’hyperaldostéronismerimaire) sont rares. Les corticosurrénalomes se mani-estent par une symptomatologie rapidement évolutive,

oire explosive associant syndrome tumoral et hyper-écrétion hormonale de type tumoral (chez la femme,ménorrhée et virilisme ; dans les deux sexes, troublesydroélectrolytiques et HTA). Les tumeurs non fonction-elles s’observent préférentiellement chez les sujets plus

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igure 2 Tomodensitométrie abdominale en coupe sagitale montr

M. Perrin et al.

gés et de sexe masculin. Les corticosurrénalomes sontilatéraux dans 5 à 10 % des cas. Qu’elle soit sécrétanteu non, la tumeur se présente en échographie et en TDM6] comme une masse volumineuse, dépassant les 6 cmans près de 90 % des cas, de contours irréguliers, avecalcifications dans 20 à 30 % des cas, hétérogènes aveclages de nécrose pour les plus volumineuses ; les lésionse plus petite taille sont plus homogènes. Lors du diag-ostic, l’extension locorégionale à la veine rénale, à laeine cave inférieure et au foie est fréquente, de mêmeue les métastases ganglionnaires et pulmonaires (danslus de 50 % des cas). En TDM, l’injection de produit deontraste accentue le caractère inhomogène de la tumeur,vec prise de contraste plus importante en périphérie sousorme d’une couronne. En IRM, le corticosurrénalome est,omparé au signal hépatique, hypointense en séquence spT1t hyperintense en séquence spT2. La séquence spT1 avecnjection permet de mieux apprécier l’extension à la veineave inférieure et l’étude multiplans aux organes de voi-inage. La résection chirurgicale complète représente leeul traitement pouvant être curatif, spécialement danse cas des tumeurs de petite taille. Lorsque la résectionst incomplète ou la tumeur métastatique, le traitementonsiste en une chimiothérapie par mitotane (Lysodren®)lus ou moins d’autre(s) agent(s) [3,4,7,8,14]. Malgré les

rogrès de la prise en charge de ces dernières années, laurvie moyenne des patients à cinq ans est inférieure à0 % [11].

Dans notre observation, le diagnostic de corticosurré-alome a été évoqué dans les premières 24 heures de

ant une volumineuse masse surrénalienne d’axes 110/121 mm.

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Diagnostic rare: le corticosurrénalome

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LmlélLdmsncmtldllrpde la féminisation chez l’homme. La nécessité d’études

Figure 3 Image tomodensitométrique abdominale encoupe horizontale montrant une volumineuse tumeur d’axes115/119 mm.

l’hospitalisation sur des critères cliniques :

• les signes de virilisation majeurs, amaigrissement, HTA ;• les signes biologiques : perturbations hydroélectroly-

tiques (hypokaliémie) et hormonaux ;• les signes radiologiques : masse surrénalienne (Figs. 2 et 3)

et métastases pulmonaires (Fig. 1).

L’ensemble de ces critères est bien décrit dans la littéra-ture [1,2,3,13]. Dans cette observation, ce qui est notable,c’est le motif d’hospitalisation. C’est-à-dire le coma hypo-glycémique [12]. Les fluctuations glycémiques brutales etsévères ont contribué à augmenter la difficulté thérapeu-tique. Le traitement antitumoral mis en œuvre l’a été dansles meilleures conditions puisque la patiente est entrée rapi-dement dans un protocole de chimiothérapie internationalde traitement des corticosurrénalomes réalisé au CHU deLyon. Mais il faut à nouveau rappeler que le pronostic decette pathologie rare est très péjoratif [8] dans la mesureoù le traitement chirurgical n’a pas été retenu compte tenudu volume de la lésion et de l’envahissement locorégionalet métastatique.

Le point de vue du biologiste

Le corticosurrénalome est aussi pour le biologiste, un diag-nostic très rare, car dans une carrière de plus de 30années de pratique hospitalière il s’agit du premier cas ren-contré dans notre service. Les paramètres biologiques dubilan initial posent d’emblée la question sur l’étiologie del’hypoglycémie majeure responsable du coma, associée àl’hypokaliémie observées chez cette patiente. Le résultat dubilan hormonal portant sur les androgènes surrénaliens, réa-lisé le lendemain de l’hospitalisation est caricatural, avecdes sécrétions (Tableau 2) dépassant 70 fois la normale pour

la delta-4-androstenedione et de 30 fois pour la testosté-rone totale. L’incidence de la tumeur sur le métabolismeglucidique et hydroélectrolytique, tout particulièrement surla glycémie et la kaliémie, est telle qu’un suivi biolo-

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ique rapproché est nécessaire pour ajuster le traitement.’importance de la recherche des marqueurs moléculairese la tumeur permet d’établir sans ambiguïté le caractèrealin [2]. Dans le cas présent, la surexpression du gène de

’IGF2 conduit à la sécrétion massive de cette protéine, sousa forme de précurseur de haut poids moléculaire, qui a unôle hypoglycémiant indépendant du système de régulationlassique de la glycémie. Sa caractérisation est un complé-ent nécessaire à la compréhension des symptômes de laaladie. L’action hypoglycémiante est liée en fait à la pré-

ence de la « Big-IGF2 ». En effet dans le sang il se formeormalement un complexe associant IGF1, IGF2, IGFBP3 eta sous unité acid-labile subunit of IGF (ALS). Ce complexeermet ainsi de capturer les IGF et empêche leur biodis-onibilité. Lorsque la tumeur secrète de la « Big IGF2 », ceomplexe tétramoléculaire ne se forme plus correctemente qui rend les différents IGF biodisponibles. Leurs actionsortant sur la consommation accrue du glucose et la dimi-ution de sa production hépatique sont responsables desypoglycémies à répétition [12]. Signalons que cette iden-ification de la « Big IGF2 » n’est réalisée que dans de raresaboratoires. Cette caractérisation a été confiée au Pr Yvese Bouc, hôpital Armand-Trousseau, 75571 Paris cedex 12.et effet hypoglycémiant répétitif puissant a été le motife la première hospitalisation de la patiente pour malaiseypoglycémique et a été à l’origine de la plupart des autresospitalisations qui ont suivi. Des progrès récents, ces dixernières années, dans la compréhension des mécanismes deéveloppement de cette maladie sont dus essentiellementux études génétiques. Celles-ci sont réalisées à la fois sures familles atteintes et les cas sporadiques. Elles ont prouvé’implication dans le développement du corticosurrénalomee différentes régions du chromosome 11 et des gènesotamment de l’IGF2 et des récepteurs de l’ACTH [11].

onclusion

e corticosurrénalome est une tumeur endocrine agressiveais rare, développée à partir de la corticosurrénale. Dans

e cas de cette patiente, le diagnostic a été très rapidementtabli sur les critères convergents probants, cliniques radio-ogiques et biologiques qui ont été précisément documentés.a prise en charge de tel patient, nécessite l’expertisee centres de référence multidisciplinaires ce qui a étéis en œuvre pour cette patiente. Malheureusement, le

tade très évolué de la maladie au moment du diagnostic’a pas pu autoriser l’exérèse tumorale. Un traitement parhimiothérapie a cependant permis de stabiliser quelquesois l’évolution tumorale. Les circonstances très péjora-

ives de la découverte de la maladie ont considérablementimité l’espérance de survie à 15 mois, malgré l’implicationes équipes médicales référentes dans ce domaine. Touses efforts de sensibilisation doivent être faits pour amé-iorer la précocité du diagnostic. Pour cela il convient deappeler l’importance des signes d’appels précurseurs, res-onsables notamment de la virilisation chez la femme et

rospectives dans le traitement des tumeurs métastatiques’impose à l’évidence, car leur tendance à la récidivet à l’essaimage est très élevée. Le regroupement desatients dans des essais thérapeutiques à l’échelle interna-

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ionale [2,8] devrait contribuer à améliorer progressivement’efficacité des chimiothérapies contre ces tumeurs dont leronostic est des plus sombre. Des pistes novatrices sont enours d’étude et paraissent prometteuses telles que cellestilisant l’iodometomidate comme traceur scintigraphiqueais aussi comme vecteur potentiel pour la radiothérapieétabolique ciblée [9].

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