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Le Grand Lyon et la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire ont invité les acteurs économiques de l’agglomération, conventionnels et de l’économie sociale et solidaire, à se rencontrer et créer des synergies. Une soirée riche de témoignages et d’échanges. à l’invitation de David Kimelfeld (Vice-président à l’économie du Grand Lyon) et Laure Chareyre (Présidente de la Chambre Régionale de l’Économie Sociale et Solidaire). Les actes de la Rencontre du 30 novembre 2011 Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire au Grand Lyon Sommaire P. 2 Introduction P. 3 L’observatoire de l’ESS P. 8 à 15 Première table ronde : Le point de vue des acteurs institutionnels P. 16 à 18 Deuxième table ronde : Échanges croisées d’entrepreneurs autour des services à la personne P. 19/20 Conclusion

Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire au ...€¦ · de la ville, les problématiques autour de l’habitat, la participation citoyenne et le développement durable

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Le Grand Lyon et la Chambre régionale de l’économie sociale et solidaireont invité les acteurs économiques de l’agglomération,conventionnels et de l’économie sociale et solidaire,à se rencontrer et créer des synergies.

Une soirée riche de témoignages et d’échanges.

à l’invitation de David Kimelfeld (Vice-président à l’économie du Grand Lyon)et Laure Chareyre (Présidente de la Chambre Régionale de l’Économie Sociale et Solidaire).

Les actes de la Rencontre du 30 novembre 2011

Dialogues autourde l’économie socialeet solidaire au Grand Lyon

Sommaire

P. 2Introduction

P. 3L’observatoire de l’ESS

P. 8 à 15Première table ronde :Le point de vue des acteurs institutionnels

P. 16 à 18Deuxième table ronde :Échanges croisées d’entrepreneurs autour des services à la personne

P. 19/20Conclusion

de la de la Rencontre

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Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire

Portée par la volonté de créer des passerelles entre deux mondes qui se côtoient sans se connaître, la rencontre invite à un échange actif.

Notre objectif est la mise en dialogue des acteurs de l’économie sociale et des dirigeants majeurs

de l’économie traditionnelle. Ce dialogue vient en clôture d’un mois assez riche : le Mois de l’économie sociale, de la Semaine de l’emploi. Au Grand Lyon, l’économie sociale et solidaire est portée par trois élus : Dounia Besson, vice-présidente, chargée de l’insertion, de l’emploi et de l’économie solidaire, et Bruno Lebuhotel, président de la commission économique au Grand Lyon et chargé d’une mission autour de l’économie sociale à mes côtés, moi-même étant vice-président à l’économie sur des sujets aussi variés que l’entreprenariat, les pôles de compétitivité. Pour nous, cette économie sociale et solidaire est transversale. Elle n’est pas simplement autour du développement économique. C’est pour cela d’ailleurs qu’elle est portée par beaucoup d’autres élus que par moi-même, puisqu’on y met aussi la politique de la ville, les problématiques autour de l’habitat, la

participation citoyenne et le développement durable. Nous avons souhaité ce dialogue pour plusieurs raisons. D’abord, parce que nous avons au Grand Lyon une tradition de dialogue, tout simplement. On le voit à travers les différents événements que nous soutenons : les Jéco (Journées de l’économie), le forum Libération qui s’est terminé il y a quelques jours. Et c’était aussi le souhait, à travers les diffé-rents travaux que nous avons menés les uns avec les autres, de pouvoir à un moment donné confronter des expériences, échanger des bonnes pratiques et, pour-quoi pas, trouver des synergies entre deux mondes qui quelquefois se jugent, quelquefois s’affrontent, et ne travaillent pas si souvent ensemble. C’est un peu notre ambition, en tout cas au moins d’entamer l’échange, à l’échelle du Grand Lyon.

David Kimelfeldvice-président à l’économie du

Grand Lyon

La CRESS est une Chambre régionale de l’économie sociale et solidaire qui regroupe 100 délégués,

représentant l’ensemble des têtes de réseau et des grandes organisations de l’économie sociale et solidaire en Rhône-Alpes. Nous avons structuré cet ensemble avec 5 collèges fondateurs, des associa-tions, mutuelles et coopératives, un collège syndicats d’employeurs, un collège thématique qui regroupe l’économie sociale et solidaire. Sous forme associative, ce n’est pas une chambre consulaire. Nous avons fait tout ce travail, d’abord en interne, de structuration, connaissance, reconnais-sance, de tous les acteurs, qui a été assez important. Aujourd’hui, après avoir beaucoup travaillé avec les collectivités territoriales et l’État – le Grand Lyon fait partie des collectivités avec lesquelles nous travaillons depuis déjà deux ans –, notre objectif est de faire connaître l’économie sociale et solidaire en tant que telle. Il nous semble important, et nous

sommes tous convaincus, qu’il y a une nécessité d’aller encore plus loin et de faire des passerelles, des ouvertures, de compréhension entre les différents modèles économiques. Nous avons bien besoin, dans la situation actuelle, de réconcilier les Français avec l’économie. Donc, nous avons aussi une question vitale ensemble à traiter. Même si nous avons des divergences d’approches et des modèles d’approche très différents, il nous semble qu’il y a tout intérêt aussi à mieux débattre de ces diversités, pour per-mettre au moins de s’entendre sur les aspects sur lesquels nous pouvons travailler ensemble. Ce sera toujours un plus pour l’ensemble des territoires.

laure Chareyreprésidente de la Chambre régionale de

l’économie sociale et solidaire

Introduction

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L’Observatoire de l’économie sociale et solidaire du Grand Lyon

P.-C. PONS

Il comprend 4 familles, définies en fonction des catégories juridiques : les associations, les coopératives, les mutuelles et les fondations. Sur le Grand Lyon, les 49 800 associations représentent 80 % des emplois salariés du secteur de l’économie sociale et solidaire. Il faut savoir qu’un certain nombre de champs sont exclus de l’économie sociale et solidaire, quel que soit leur statut juridique : les entreprises et établissements appartenant au secteur de la défense, les activités de l’administration publique, de sécurité sociale obligatoire, les organisations patronales et consulaires, les syndicats de salariés, les organisations reli-gieuses, politiques… Fin 2009, l’économie sociale et solidaire représente 10 % des emplois du Grand Lyon et 9 % des établissements. Ce poids est à peu près identique à celui observé sur la région Rhône-Alpes, un peu en dessous mais avec très peu d’écart puisque l’économie sociale et solidaire pèse 10,6 % des emplois salariés en Rhône-Alpes et 10,2 % en France.En données brutes, l’économie sociale et solidaire représente 61 600 salariés fin 2009, environ 4 900 établissements employeurs, 57 800 équivalents temps plein.

6 secteurs sur 21 représentent 95 % de l’emploi solidaire et social, contre 35 % dans l’ensemble de l’économie. Ce qui veut dire que l’essentiel de l’économie sociale et solidaire, en termes d’emploi, est concentré dans ces six secteurs, au premier chef desquels la santé humaine, l’action sociale. Cumulé avec l’enseignement, cela représente deux tiers. Les activités financières, d’assurances et les autres activités de services repré-sentent respectivement plus de 10 %. Ces emplois très concentrés dans l’économie sociale et solidaire constituent un très fort contributeur dans l’ensemble de l’emploi. La contribution de l’économie

sociale et solidaire, par secteurs d’activités, dans l’ensemble des emplois salariés, varie entre un quart pour l’enseignement – ce qui signifie que pour l’ensei-gnement, un quart des emplois salariés relèvent de l’économie sociale et solidaire de l’agglomération – et 45 % pour les services de proximité aux particuliers (réparation d’appareils domestiques du type ordina-teurs, activités liées à l’entretien corporel, coiffure, blanchisserie...). Dans les arts et spectacles, 50 % des emplois relèvent de la vie associative. Il faut relativiser car les arts et spectacles représentent 5 % des emplois dans ce secteur.

Réalisé et présenté par Caroline Testut et Salah Jallali, de l’OPALE (Observatoire partenarial lyonnais en économie) – Agence d’urbanisme du Grand Lyon

Le secteur de l’économie sociale et solidaire

Ses spécificités en Rhône-Alpes

L’emploi salarié par familles de l’économiesociale et solidaire au 31 décembre 2009

dans le périmètre du Grand Lyon

Fondations1 235

2 %

Coopératives6 48210,5 % Mutuelles

4 0836,5 %

Associations49 838

81 %

SourcesPour réaliser ce premier observatoire, nous avons utilisé une source unique : le fichier Clap, de l’INSEE Rhône-Alpes, et étudié les résultats 2005 et 2009.Nous ne pouvions pas remonter plus loin dans le temps à cause des changements de nomenclatures d’activités. Et nous avons été évidemment en cohérence méthodologique avec l’Observatoire national de l’économie sociale et solidaire etla CRESS Rhône-Alpes.

(1) Part des emplois de l’ESS sur le Grand Lyon / part des emplois de l’ESS en France.

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Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire

• L’enseignement est sur-représenté dans l’économie sociale et solidaire dans le

Grand Lyon par rapport à la moyenne française.

• Les activités de services administratifs et de soutien (sécurité privée, placement des ressources humaines,

structures d’insertion…), sont aussi sur-représentées, même

si elles ne représentent qu’une petite part des emplois. Ce secteur a fortement contribué à

l’augmentation de l’économie sociale et solidaire

depuis 2005. • La santé et l’action sociale,

en revanche, sont sous-représentées dans le Grand

Lyon par rapport à la France.

La carte des 9 bassins de vie du Grand Lyon, appelés conférences des maires, montre une densité des emplois de l’économie sociale et solidaire plus forte sur le nord, le centre et le sud-ouest de l’agglomé-ration. Il y a des pistes d’explications. Sur le centre qui regroupe la ville de Villeurbanne et celle de Lyon, c’est l’effet bien évidemment d’un certain nombre de sièges sociaux qui s’implantent dans le centre de l’agglomération mais aussi certaines directions régionales. Le Val de Saône ressort avec une forte concentration des emplois de l’économie sociale et solidaire. Il faut relativiser également car il représente 2 % des emplois salariés de l’agglomération et c’est plutôt un secteur résidentiel, où le tissu économique est moins développé que sur certains autres bassins de vie, et du coup la part de l’économie sociale et solidaire est plus importante. Cela ne veut pas dire que dans le sud-est de l’agglomération, il n’y a pas d’emplois dans l’économie sociale et solidaire, mais simplement que par rapport au total d’emplois, ils sont proportionnellement plus présents sur des secteurs où le tissu économique est moins développé.

Dans les 9 bassins de vie du Grand Lyon

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Sur ces 9 bassins de vie, on voit une diversité dans la répartition des emplois par grandes familles de l’économie sociale et solidaire. On trouvait intéressant de montrer surtout la concentration des emplois dans les coopératives sur les secteurs Porte des Alpes, Rhône-Amont et Ouest Nord. Là, plus d’un emploi de l’économie sociale et solidaire sur cinq est concentré dans les coopératives. C’est effectivement lié à l’implantation de coopératives plus importantes sur ces secteurs. Par exemple : sur Porte des Alpes, Parcs et Sports à Chassieu, qui a un effectif de salariés assez important ; sur Rhône-Amont, LS Services à Décines et la Coopérative d’électricité ; sur Ouest Nord, le siège du Crédit Agricole Centre-Est à Champagne-au-Mont-d’Or.

À un niveau encore plus fin, à l’échelle des 58 com-munes de l’agglomération lyonnaise, on retrouve les tendances qu’on avait vues à l’échelle des conférences des maires, mais qui ne sont pas lissées. Et on voit que dans certaines communes, un emploi sur quatre relève de l’économie sociale et solidaire. Par exemple, le 5e arrondissement de Lyon, des communes des Monts-d’Or : Couzon, Fontaines-Saint-Martin, Saint-Romain. Après, des communes ont aussi un poids non négligeable de l’économie sociale et solidaire au sein de leur économie : les 1er et 8e arrondissements de Lyon, Tassin, Sainte-Foy-lès-Lyon, Oullins…

Zoom sur les coopératives dans le Grand Lyon

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Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire

un tiers des emplois de l’économie sociale et soli-daire, contre 22 % dans le reste de l’économie. C’est bien évidemment très lié à la nature des activités de l’économie sociale et solidaire. Dans les professions intermédiaires, on retrouve toutes celles du travail social, de la santé, de l’enseignement : infirmiers, éducateurs, animateurs socioculturels, etc. La part d’ouvriers est beaucoup plus faible. Les parts de postes d’encadrement sont à peu près équivalentes. Si on croise le sexe et la catégorie socioprofessionnelle, les professions intermédiaires dominent au niveau des hommes mais également des femmes. Le principal constat est que, comme dans le reste de l’économie, les femmes sont proportionnellement moins souvent sur des postes d’encadrement que les hommes : 17 % des femmes dans l’économie sociale et solidaire sont cadres et professions intellectuelles supérieures, contre 25 % des hommes. Mais néanmoins, il est intéressant de dire que comme le secteur est très féminisé, 57 % des postes d’encadrement dans l’économie sociale et solidaire sont occupés par des femmes. Du coup, la très forte féminisation du secteur fait que, propor-tionnellement, plus de femmes que d’hommes sont sur des postes d’encadrement, au niveau du Grand Lyon et de ce secteur-là.

cette croissance n’est pas spécifique au Grand Lyon mais à Rhône-Alpes comme en France. Pour le reste de l’économie, la croissance dans le Grand Lyon est beaucoup plus importante que la moyenne régionale ou française. Cette croissance touche trois familles de l’économie sociale et solidaire : les associations, qui sont majori-taires autour de 10 % – les mutuelles sont en baisse par contre – , les coopératives aussi 10 %, et les fondations surtout, qui font un bond de 60 %.La santé humaine et l’action sociale ont une croissance de 10 %. Mais vu leur poids en termes de volume, c’est proportionné. Par contre, c’est intéressant de voir que pour les activités de services administratifs et de soutien à l’entreprise, qui sont en fait toutes les structures associatives en termes de ressources humaines, les services pour insérer la main-d’œuvre, c’est + 117 %, le plus grand écart en volume de la contribution sur l’évolution sur la période. Ensuite, il y a les autres activités de services (réparation d’appareils domestiques, coiffure…).

Deux tiers des emplois (66 %) de l’économie sociale et solidaire sont occupés par des femmes. Cette fémini-sation est encore plus forte dans les mutuelles, alors que dans le reste de l’économie, 46 % des emplois sont occupés par des femmes. C’est assez significatif. Si on regarde les catégories socioprofessionnelles, les professions intermédiaires représentent 34 %, donc

On voit clairement que le secteur de l’économie sociale et solidaire est plus dynamique que le reste de l’économie. Dans le Grand Lyon, on a une croissance de l’économie sociale et solidaire de 9 % en termes d’emploi salarié, contre 6,6 % pour l’ensemble de l’économie. C’est lié essentiellement à l’activité ser-vicielle, souvent en croissance. Il faut noter aussi que

Féminisation et catégories socioprofessionnelles

L’évolution de 2005 à 2009

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Sur le terrainNous avons rencontré trois acteurs de l’économie sociale et solidaire : la Coopérative nouvelle d’électricité, l’Infirmerie protestante et la mutuelle Existence. Deux points sont à mettre en avant, d’abord leur appartenance au sec-teur. Toutes ces structures rencontrées revendiquent les principes fondateurs de l’économie sociale et solidaire : la libre adhésion, le fonctionnement démocra-tique, le développement économique raisonné, la gestion économique saine et

l’approche sociale au niveau de leurs acti-vités, c’est-à-dire pas de sélection, quelle qu’elle soit, pas de discrimination. Nous les avons interrogées sur comment elles ont fait et font toujours face à la crise économique : elles semblent avoir globalement mieux résisté à ses effets et ont mis un point d’honneur à préserver au maximum les emplois en leur sein.Parfois même, elles ont augmenté leurs effectifs, comme dans le cas de la mutuelle.

Par contre, elles soulignent également qu’elles doivent s’armer pour faire face à la concurrence du secteur concurrentiel.

En résumé• L’économie sociale et solidaire, c’est 10 % des emplois salariés et 9 % des établissements de l’agglomération lyonnaise.• Les associations sont majoritaires : elles représentent 80 % des emplois de l’économie sociale et solidaire, donc 8 % de l’emploi total.• 6 secteurs d’activités concentrent 95 % des emplois, dont deux qui concentrent deux tiers. • L’économie sociale et solidaire est concentrée dans certains secteurs d’activités mais aussi dans des secteurs géographiques.• Elle est très féminisée, mais avec des niveaux de qualification relativement élevés, liés à ses activités de services. • Les activités de l’enseignement, en termes d’économie sociale et solidaire, sont sur-représentées dans le Grand Lyon par rapport à la moyenne française.• Les services administratifs et de soutien sont également sur-représentés : c’est un secteur beaucoup plus dynamique que le reste de l’économie, ce qui est lié aux besoins, à la crise, mais aussi à leur nature de services de proximité.• Le dynamisme concerne la plupart des familles de l’économie sociale et solidaire, à l’exception des mutuelles qui ont stagné et baissé légèrement.

POUR EN SAVOIR PLUSToutes les données chiffrées et commentées sont publiées dans le Cahier n° 1 de L’économie sociale et solidaire dans le Grand Lyon, téléchargeable sur le site www.opale-lyon.com

POUR EN SAVOIR PLUSToutes les données chiffrées et commentées sont publiées dans le Cahier n° 1 de www.opale-lyon.com

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Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire

Animée par Alain Gilbert, journaliste, la première table ronde a donné la parole aux représentants des branches professionnelles et des chambres consultaires.

AG. : Quel chiffre vous a frappé dans cette présentation de l’ESS ?Déjà celui global de 58 000 emplois sur le Grand Lyon, à peu près 1 emploi sur 10 ! J’ai noté également la cohérence entre le nombre d’emplois (10 %) et d’établissements (9 %). Je ne m’attendais pas à des chiffres si élevés.J’ai été maire dans une commune de 3 000 habi-tants, dans le Val de Saône. L’économie sociale et solidaire ne représentait que deux emplois – elle reposait davantage sur le bénévolat – : un emploi à mi-temps qui s’est converti en équivalent temps plein, dans notre Maison des jeunes, puis un emploi à temps partiel pour l’aide à domicile en milieu rural. Je ne me retrouve pas dans les chiffres : je suis étonné que dans le Val de Saône, autant d’emplois se rapportent à l’économie sociale et solidaire.

Quand on dit qu’elle résiste mieux à la crise, ça peut s’expliquer. On trouve ses emplois dans les banques, les assurances. Ce ne sont pas des secteurs qui ont licencié. Ils ne se trouvent pas dans l’industrie, qui s’est trouvée dans des difficultés. Donc il ne faut pas s’étonner qu’ils aient mieux résisté, ça me paraît tout à fait normal.

AG. : Le maire que vous étiez comprenait la nécessité de passer du bénévolat à une forme beaucoup plus structurée d’emploi et de salaire ? Ce n’était pas des emplois fortement rému-nérés. L’un était financé à mi-temps et la personne faisait un temps plein, parce qu’à côté il y avait du bénévolat. C’était pour l’aide à domicile en milieu rural, il serait difficile pour

le champ concurrentiel d’intervenir. Au niveau d’une commune de 3 000 habitants s’étalant sur 2 000 hectares, avec des hameaux, des personnes âgées préférant rester chez elles, on faisait œuvre utile. J’étais le maire qui a accordé cet emploi à l’association, a donné des locaux où on pouvait mettre deux bureaux, deux ordinateurs, où les bénévoles et salariés pouvaient travailler dans de bonnes conditions et offrir des conditions d’accueil. Ça a permis de développer l’activité : c’était plus facile pour les personnes de passer dans ces bureaux pour rencontrer les responsables de l’association que d’aller à la mairie ou directement chez les bénévoles. J’étais très satisfait d’avoir répondu à cette attente-là.

J’ai été très surpris qu’il y ait à peu près 10 % de salariés dans ce type d’économie. Je l’ai pris comme quelque chose de très rafraîchissant, très dynamisant. J’ai trouvé le dossier extrêmement bien fait, il faut féliciter ceux qui ont travaillé pour produire ce document.Banques, assurances et associations : c’est quand même un petit peu disparate. Je pense également que le poids économique et social est encore plus important, probablement bien plus que ce qui déjà peut surprendre ici. Parce qu’il y a le côté bénévole. Et il y a un poids économique difficile à quantifier : le côté lien social, dialogue, recherche, mixité. J’ai été de tout temps investi dans des clubs de sport, des associations de quartier, d’entraide : il y a un lien. Ça donne du liant aussi à l’économie. Ceux qui sont engagés dans ces associations se rendent compte de la difficulté à faire fonctionner quelque chose sans dialogue et à trouver une solution. Laure Chareyre disait que ce peut être un

moyen de réconcilier les Français avec l’écono-mie. Ils ne sont pas fâchés avec l’économie. Nos parents ne savaient pas ce qu’était l’économie. Il y avait du travail, ils allaient travailler. L’école républicaine permettait de sortir avec des diplômes, de trouver du travail. Aujourd’hui, une vraie difficulté joue sur le dialogue social : une absence de travail, des tensions. Dans des PME, en tout cas dans celles dont s’occupe la CGPME, le dialogue social existe. Mais on sait bien que c’est difficile, parce qu’on est pris par des priorités qui broient. Dans l’ESS, j’imagine que le poids historique oblige à une forme de dialogue, naturelle, que dans certaines entreprises on n’a plus le temps de faire ou qu’on ne fait qu’en opposition. Et l’économie n’est présentée aux Français aujourd’hui que pour expliquer les crises, le chômage… On n’a pas étudié l’économie, donc on n’a pas étudié le fait qu’il faut travailler ensemble, dialoguer et trouver des solutions ensemble.

A.G. : Il y a pourtant une grande différence entre les obligations sociales des entreprises et l’économie sociale et solidaire ? Ça dépend dans quel domaine. Si vous allez voir les représentants du personnel du Crédit Agricole ou du Crédit Mutuel ou des Caisses d’épargne, je pense qu’ils ne sentent pas toujours que c’est un dialogue franc, facile. Ayant bien connu les associations, je me dis que si on veut que tout progresse, si on veut un cercle vertueux, il faut faire attention qu’il n’y ait pas des « professionnels de la profession », des gens qui fassent bloquer le dialogue, pro-fitent du système, que ça ne glisse pas vers une distorsion de concurrence. Il faut aussi que l’État fasse attention. Les associations, en particulier sportives, ont beaucoup été perturbées quand dernièrement elles ont été redressées et ont dû payer l’URSSAF. Ça les met en péril. C’est un secteur important en France, qui est sous-estimé. Le document de l’Observatoire est un premier pas exceptionnel. On a envie d’en savoir plus, de creuser.

Bernard Fontanelprésident du MEDEF Lyon-Rhône

Ne pas s’étonner que l’économie sociale et solidaireait mieux résisté à la crise

Philippe Delanouemembre de la CGPME Rhône et Rhône-Alpes

Un secteur important en France et sous-estimé

Première table ronde : Le point de vue des acteurs institutionnels

“ Une économiede solidarité „

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AG. : Les frontières sont-elles très nettes entre l’économie sociale et solidaire et le rôle social des entreprises ? Vous disiez qu’on peut faire de l’économie sociale et solidaire sans s’en rendre compte. Oui, tout à fait. Beaucoup font de l’économie sociale et solidaire comme M. Jourdain. Je voudrais juste revenir sur les chiffres. Si on prend un exemple de coopérative de produc-tion, la coopérative et ses salariés, c’est ce qui est comptabilisé dans les statistiques. Mais elle peut elle-même avoir un certain nombre

d’adhérents, non salariés puisqu’il peut y avoir des artisans – dans ces cas-là, ils ne sont pas comptabilisés – et ces adhérents peuvent avoir, eux, des salariés. Cette cascade-là n’est pas prise en compte dans les statistiques. Ce qui serait peut-être intéressant dans ces

données, c’est d’avoir combien de coopératives ont d’artisans qui eux-mêmes ont des salariés, pour avoir une vue plus globale du poids de l’économie sociale et solidaire. Deuxième chose : on disait qu’elle résiste mieux à la crise économique. Il faut savoir que beaucoup de coopératives de production ne vivent que sur les cotisations des adhérents ou sur les parts de gestion. Économiquement, si l’artisan n’arrive pas à vivre de son produit, il paye derrière une quote-part à sa coopérative. Et la coopérative fait ses actions de promotion, de communication, uniquement sur cette quote-part. Donc c’est normal aussi qu’une coopérative de production résiste mieux. Les frontières ? C’est très difficile. Un exemple : à l’heure actuelle, nous avons le FISAC (Fonds d’intervention pour les services, l’artisanat et le commerce) individuel. La politique, c’est celle du dernier commerce. Remettre un boulanger dans un village dans la ruralité, c’est très important. Vous faites quoi là ? De l’économie sociale. Parce que c’est un projet individuel, viable économiquement, qui rend

service à une collectivité. Or, là, il n’y a pas de numéro d’INSEE, vous ne pouvez pas le comptabiliser. Ce n’est pas au sens propre la définition démocratique, adhésion simple… Mais il n’empêche que ça participe à une vraie économie de proximité, de solidarité sur les territoires. On en fait tous les jours. La Chambre de métiers n’a pas ce but. On a une partie régalienne, une autre partie de développement et d’accompagnement de l’artisan. Mais on en fait tous les jours. La Chambre de métiers est membre de Rhône Développement Initiative, de Créafil, de Lyon Ville de l’Entrepreunariat. À l’intérieur, les financent des gens qui créent des structures dans l’économie sociale et soli-daire. Une crèche, c’est de l’économie sociale et solidaire, ça peut être une association. Nous pouvons les aider s’ils dépendent de nous au niveau des codes, des formations. Et nous avons un centre d’aide à la décision, où on apporte aux créateurs une aide. C’est là où il y a des passerelles, où un dialogue peut être fait avec la CRESS.

AG. : Une très grande partie, pratiquement la totalité, des emplois de l’économie sociale et solidaire sont dans le sanitaire et le social. Le monde artisanal est-il concerné ?Non, ces emplois-là ne concernent pas le monde des entreprises artisanales. Ce qui m’a frappé dans les chiffres, c’est la proportion des emplois salariés et cette croissance, ce dynamisme économique. Au fur et à mesure de la présentation, je me suis dit qu’il y avait un certain parallèle à établir, entre cette écono-mie et l’artisanat. Il y a une énorme diversité, comme dans les entreprises artisanales. Il y a aussi tout ce travail de lien social.

Ça m’a suscité aussi pas mal de questions. Cette dynamique, par exemple, quelle va être la tendance future ? Va-t-elle durer ? Est-ce solide ou pas ? Ces secteurs s’identifient-ils vraiment comme étant de l’économie sociale et solidaire ? Un artisan, c’est un artisan, il s’identifie comme artisan. Le salarié de l’éco-nomie sociale et solidaire sait-il même qu’il est dans ce domaine-là ?

AG. : Jusqu’à présent, vous n’aviez pas eu d’approche statistique de l’économie sociale et solidaire ?L’économie sociale et solidaire est inconnue

de l’artisanat et de l’artisan. Ça n’existe pas. J’anticipe un peu. On y reviendra tout à l’heure. Je voulais faire un peu ce parallèle entre les entreprises artisanales et l’économie sociale et solidaire, au moins par ces chiffres-là puisque, finalement, il y a quand même pas mal d’entreprises artisanales en Rhône-Alpes : une entreprise sur quatre, plus de 300 000 actifs. Ces chiffres sur le poids de l’économie sociale et solidaire m’ont aussi étonné.

Didier lataPieadministrateur de la Chambre de métiers et de l’artisanat du Rhône

On fait de l’économie sociale tous les jours !

Bertrand Fayetsecrétaire général de l’UPA Rhône-Alpes

La dynamique va-t-elle durer ?

Première table ronde : Le point de vue des acteurs institutionnels

“ Une économiede solidarité „

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Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire

AG. : On a eu trois exemples : le maire qui peut donner un coup de main à une asso-ciation, la boulangerie qu’on peut remettre en marche d’une manière différente que si c’était un artisan qui s’installait, et le club de football. Ça veut dire que l’écono-mie sociale et solidaire peut être aussi un facteur d’aménagement du territoire et une stratégie territoriale d’aménagement ? Effectivement, on a la chance – et de ce point de vue-là, les deux « économies » se ressemblent tout à fait – d’avoir une spécia-lisation relativement large. On cite toujours par exemple une ville comme Toulouse, un peu plus spécialisée dans son économie. À Lyon, on a quand même une palette d’activités relativement différenciée. Ce qui me frappe dans les chiffres présentés, c’est également cette palette. Nous pensons qu’en terme de tissu dans les territoires, plus ceux-ci présentent une grande diversité, plus la capacité de résilience, à rebondir face aux difficultés, est forte. La deuxième observation qui m’a frappé dans les chiffres donnés, c’est la complémentarité des activités. On voit bien dans l’histogramme qu’il y a une relative mais quand même intéressante complémentarité entre le reste de l’économie et ce qu’elle couvre et ce que couvre l’économie sociale et solidaire, même si naturellement une partie est, en termes d’acti-vités, couverte par les deux types d’économie. Troisième observation : la répartition des tailles de l’activité, tout à fait caractéristique également de l’économie sociale et solidaire. Quelques grandes entités et puis, surtout,

de nombreuses très petites. La question du dialogue, quel que soit le secteur économique, entre les très grandes entités et les petites, me semble un élément tout à fait important dans le territoire. Enfin, la question des effets de regroupe-ment. Qu’on soit dans l’économie sociale et solidaire ou dans l’économie de marché, à Lyon particulièrement, on a des effets de regroupement, des réseaux, des associations, qui sont absolument fortes. Les entreprises que je côtoie sont dans des clubs d’entreprises qui sont sous forme associative.

AG. : Vous utilisez trois mots très forts : complémentarité, dialogue, regroupement. Ça veut dire que ce sont deux écono-mies qu’on ne peut pas opposer ? Ce sont aujourd’hui pour vous deux mondes qui sont en interaction, en complémentarité visiblement. Je prendrai l’image des deux ronds qu’on a quand on porte des lunettes et les anneaux olympiques. On assiste à une sorte de dégradé entre des entreprises particulières, avec des tailles particulières, qui sont dans l’économie monde, et les entreprises familiales, qui sont tout autant attachées que les entreprises de l’économie sociale et solidaire au territoire. Une entreprise avec qui nous cherchions des bâtiments pour une extension n’a pas souhaité, alors qu’économiquement c’était plus favorable, quitter son lieu d’implanta-tion originel. Cette entreprise a un peu plus de cent ans. Elle aurait très bien pu dire : je déplace mes unités dans un ensemble plus

fonctionnel. Non, elle a demandé à garder son lieu d’implantation, donc son attache au territoire, et elle a souhaité trouver un autre local, quitte à ce que les transactions entre ce nouveau local et le siège soient un peu plus coûteuses que de tout rassembler sous un seul toit.

On est dans ces situations où la relation au risque, toujours pour les entreprises familiales, me semble assez proche de ce qu’on peut voir avec l’économie sociale et solidaire, notam-ment sur les niveaux d’endettement. Il y a une vision des entreprises familiales qui ont une relation tout à fait particulière, en essayant d’avoir un endettement relativement limité. Ce sont des points que je trouve relativement communs avec l’économie sociale et solidaire. Et enfin, la volonté d’avoir une relation de qualité avec le client, quel qu’il soit, ou avec l’usager.

nicolas Milletdirecteur des stratégies territoriales à la Chambre de commerce et d’industrie de Lyon

Une palette d’activités complémentaires

“ Un attachementau territoire „

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Existe-t-il des ponts entre l’économie sociale et l’économie réelle ?A.G. : Bernard Fontanel, partagez-vous le point de vue de Nicolas Millet ? Voyez-vous des ponts, des solutions de continuité, entre les deux économies ?

Bernard Fontanel : L’économie sociale et solidaire, OK. Mais il ne faut jamais oublier que si on veut faire du social, il faut aussi des moyens. Donc c’est quand même l’éco-nomie réelle qui, en premier lieu, va apporter les moyens à toute la collectivité – celle-ci s’intéresse particulièrement à l’économie sociale et solidaire et c’est tout à son hon-neur. Il n’empêche que l’économie sociale et solidaire souvent profite des subventions des collectivités. Tout à l’heure, j’ai fait référence au poste d’élu, que j’ai eu d’ailleurs assez longtemps : c’était la commune qui aidait. Je pense que l’économie sociale et solidaire est là pour couvrir des champs où l’économie réelle, les champs concurrentiels, ne trouvent pas leur place pour intervenir. Toutefois, si l’économie sociale et solidaire ouvre des champs pour effectivement créer une voie dynamique pour conquérir des offres de services à la personne, il faut peut-être qu’elle fasse attention à savoir se retirer – elle a mis en place quelque chose de vertueux – et, après, offrir ce terrain au champ concurrentiel. L’économie sociale et solidaire, pour moi, est un système vertueux. C’est tout à l’honneur d’une collectivité. Elle crée du lien social. Elle a beaucoup de vertus que peut-être, dans le champ concurrentiel, on ne peut pas offrir parce qu’on est confronté à un résul-tat. L’économie sociale et solidaire n’est pas confrontée au résultat, que l’entreprise vit comme une première contrainte. Elles sont complémentaires. M. Latapie disait qu’on se trouve, à un moment ou un autre, à faire dans le champ de l’économie sociale et solidaire. Qui ne l’a pas été ? Tous, plus ou moins, on est venus, par le bénévolat ou autrement, apporter une forme de contribu-tion. Mais je suis obligé, en tant que prési-dent d’une organisation patronale, de dire : faisons attention ! 10 %, c’est un chiffre important. Il ne faut pas se tromper non plus. On parle des activi-tés bancaires, de l’assurance : il ne faut pas oublier qu’on va retrouver certaines dans des

entreprises du CAC 40. Donc, faisons bien attention. On se trouve, au bout du compte, avec les mêmes normes sociales, fiscales, parce qu’autrement on se trouve dans un champ où il y a de la distorsion. J’attire quand même l’attention sur ce point-là.Par contre, pas question de dire : ne faisons pas de l’économie sociale et solidaire. Je dis tout simplement : attention ! Des activités sont bien réservées à l’économie réelle, dans un champ concurrentiel, où la concurrence s’exprime. Et si d’aventure – et c’est le cas – il y a des difficultés pour résoudre les problèmes, oui, c’est le rôle de l’économie sociale et solidaire. Oui, c’est le rôle d’une collectivité de prendre en charge les difficul-tés qu’on rencontre ici ou là, parce que c’est tout à l’honneur d’un pays de faire attention à ne pas laisser des gens en difficulté.

A.G. : On aura des exemples tout à l’heure dans la deuxième table ronde. Didier Latapie, partagez-vous ce point de vue ?

Didier Latapie : Je vais malheureusement être obligé de changer un petit peu de casquette. Je suis aussi administrateur et vice-président d’une coopérative de services. J’ai vu certaines réactions à ce qu’a dit le président, M. Fontanel. Je crois qu’il faut d’abord qu’on se mette tous d’accord sur un lexique et un vocabulaire.L’économie sociale et solidaire est un mode de fonctionnement. C’est des gens qui peuvent être artisans mais qui ont choisi un fonctionnement coopératif. Ils sont dans la réalité économique. Leur entreprise est une entreprise individuelle, viable, mais ils ont décidé qu’ils voulaient mutualiser, partager, ne pas être seuls et ne pas avoir le fonction-nement d’une entreprise patrimoniale. Dans une coopérative, c’est aussi le fonctionne-ment démocratique : assemblée générale, élection d’un conseil d’administration qui élit

son propre président. C’est 1 homme = 1 voix qui permet de dire : voilà la stratégie, on la valide. C’est là aussi qu’il y a à faire du social et du solidaire, dans une entreprise avec un dialogue entre les salariés et les dirigeants. Et puis il y a l’économie sociale et solidaire, qui est quand même une autre chose, avec un autre mode de fonctionnement. Je cogère une coopérative avec 400 artisans, croyez-moi, non seulement il faut avoir du dialogue, faire du social. Je sais ce qu’est 1 homme = 1 voix, avec un fonctionnement beaucoup plus lent, mais on l’a choisi. C’est un mode de fonctionnement. Et tous les jours, il faut que notre entreprise individuelle soit viable économiquement.

A.G. : Bruno Lebuhotel vous écoute avec attention, il reviendra peut-être là-dessus tout à l’heure. Philippe Delanoue, l’éco-nomie sociale et solidaire prend aussi en compte des emplois qui ne seraient pas créés ou pourvus, elle a aussi ce côté social et solidaire.

Philippe Delanoue : Une des vertus de ce rapport est de poser des questions et de pou-voir y répondre dans les prochaines années. En tant que citoyen, je n’ai pas le même regard sur les mutuelles ou les banques que sur les Chiffonniers d’Emmaüs ou sur les milliers de bénévoles qui œuvrent dans les clubs de sport. Peut-on imaginer à quel point il y a du monde sur les terrains de sport, de basket, de volley, de hand, avec des familles, les week-ends ? Tout cela fait aussi du dia-logue ou du lien. Des gens se réalisent là alors qu’au boulot soit ils l’ont perdu, soit ils se font suer et c’est compliqué. Ça les aide à tenir et à reprendre confiance. Le lien est là. Je suis persuadé que la CGPME a une appétence, ou en tout cas un regard très positif, sur peut-être une remise en valeur des coopératives. Les mutuelles comme le Crédit Mutuel, comme le disait M. Fontanel, sont aussi cotées au CAC 40. Elles sont un des symboles du capitalisme à notre époque, elles ont un groupe de presse. Mettre les mutuelles, les coopératives, les associations, les fondations dans le même bateau, c’est un peu difficile globalement. On n’a pas à opposer l’économie sociale et

L’échange de points de vue a fait ressortir les divergences, les ressemblances et les complémentarités de l’économie sociale et solidaire.

“ Un systèmevertueux „

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Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire

solidaire et l’économie réelle. Il y a plus que des complémentarités. Tous ceux qui sont sur les terrains de sport le week-end participent à l’économie : ils vont acheter de l’essence pour emmener les gamins, des maillots, à manger pour faire des repas en commun… Chez les Chiffonniers d’Emmaüs, allez voir le monde qu’il y a, à la fois les emplois mais aussi les gens qui viennent pour acheter. Il n’y a pas de raison d’opposer une économie à une autre. Il y a à faire attention quand il y a des zones où, comme le disait notre voisin, ça se chevauche comme les anneaux olympiques. Là, il faut faire attention s’il y a distorsion de concurrence, mais après ce n’est peut-être plus de l’économie sociale et solidaire.

A.G. : Avez-vous déjà eu un débat au sein de la CGPME sur l’économie sociale et solidaire ?

Philippe Delanoue : Je ne suis pas adapté à répondre, je ne suis pas du tout un apparat-chik de la CGPME.

A.G. : Estimez-vous nécessaire maintenant d’en avoir un ?

Philippe Delanoue : Je ne veux pas militer pour ce syndicat auquel j’appartiens mais la CGPME, c’est de l’économie sociale et soli-daire. C’est essayer d’aider les entreprises, de soutenir le moral, de trouver les moyens de se protéger, de s’entraider. Donc c’est déjà aussi de l’économie sociale et solidaire.

A.G. : Bernard Fontanel me signale que le MEDEF a fait un rapport sur cette question. Bertrand Fayet, voyez-vous des ponts, des continuités, des possibilités de s’appuyer les uns et les autres ?

Bertrand Fayet : Pour le faire, il va fal-loir d’abord se connaître. Les artisans, à part ceux qui sont en coopérative – et encore, ils ne sont pas très nombreux et ne savent peut-être même pas qu’ils sont dans l’économie sociale et solidaire –, ne connaissent pas l’économie sociale et soli-daire. Ils connaissent l’économie, le social, la solidarité. Mais alors, quelle idée de coller ces trois mots ensemble ! Ça veut dire quoi ? Est-ce encore un concept fumeux, vaseux, tendance, et on le met à toutes les sauces ? Ils ne comprennent pas ce que ça veut dire. Et je pense qu’ils en font, tous les jours. J’ai discuté hier avec des consultants qui interviennent dans des entreprises artisa-nales en difficulté, grâce à un dispositif financé par la Région, le FRAU (Fonds régio-nal d’action d’urgence). Ils m’ont dit : la variable d’ajustement dans ces entreprises en difficulté n’est pas le licenciement, mais le salaire du chef d’entreprise. Là, à mon avis, c’est de l’économie sociale et solidaire.

En 2011, 85 % des entreprises artisanales n’ont pas licencié. En 2010, elles ont plutôt recruté, il y a plus de 16 000 recrutements. Si l’économie sociale et solidaire est le fond humain, la transmission du savoir-faire comme j’ai vu pour la Coopérative d’électri-cité, ils en font et ils disent qu’ils en font. Tout à l’heure, on disait : est-ce que ces deux mondes se jugent, s’affrontent ? Je pense qu’ils s’ignorent. Autre anecdote comme quoi ils s’ignorent : on est en train de négocier un contrat sur l’artisanat avec la Région, la Chambre régionale de métiers et l’UPA Rhône-Alpes. Quand on a présenté nos fiches-actions à la Région, on nous a dit : c’est bien mais vous auriez pu aller voir l’économie sociale et solidaire. C’est quoi, l’économie sociale et solidaire ? On a regardé dans les dictionnaires. Et on s’est dit : mais pourquoi l’économie sociale et solidaire n’est-elle pas venue à nous ? Ils ont négo-cié un contrat avant. Si ces deux mondes devaient travailler ensemble, la connexion doit se faire de cette façon. Il y a une complémentarité. L’économie sociale et solidaire existe. Les deux écono-mies existent. L’économie sociale et solidaire existait avant même qu’on la nomme. Il y a une cohabitation. Maintenant, la perspec-tive, pour nous, est de mieux se connaître et travailler ensemble, pour voir ce qu’on peut faire ensemble avec ces contrats. Ce n’est pas forcément évident. Je ne sais pas ce qu’on va faire avec eux. Mais en tout cas, on est ouverts à toute perspective de travail en commun.

Cyril Kretzschmar, conseiller régional, délégué à la nouvelle économie, aux nou-veaux emplois, à l’artisanat et à l’écono-mie sociale et solidaire : On parle d’économie sociale et solidaire et on est très pris par les mots, notamment par la perception du sens commun de social et de solidaire. Je voudrais juste insister sur un point : le premier mot, économie. Ce sont des acteurs économiques. Ce qui les carac-

térise n’est pas une activité particulière mais une façon d’entreprendre. Didier Latapie l’a démontré. Ça rend les choses un peu compliquées, il n’y a pas de secteur de l’économie sociale et solidaire. En fait, il y a des éléments transversaux qu’on peut retrouver dans la banque, l’artisanat, le commerce, les activi-tés sociales, au sens classique du terme, etc.J’insiste sur un deuxième et dernier point :

ces structures se caractérisent non pas parce qu’elles sont sociales mais parce qu’elles sont des entreprises de personnes. La ques-tion n’est pas de savoir réduire son salaire à un moment ou un autre, c’est de partager le patrimoine de l’entreprise. Ce n’est pas uniquement une question de salaire ou de générosité. C’est de savoir qui prend le pou-voir sur quoi. Qui a le pouvoir de décision dans l’entreprise ? Qui détient le patrimoine

La parole au public

“ Mieuxse connaître „

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de l’entreprise ? Lorsque la décision est partagée et que le patrimoine est partagé, on est dans une structure de l’économie sociale. Ce n’est pas la panacée en matière de développement économique mais c’est aussi du développement économique. Et je suis persuadé que des structures de l’éco-nomie sociale et solidaire sont adhérentes

de la CGPME, de l’UPA, du MEDEF. C’est intéressant aussi que les représentants de ces structures puissent avoir aussi un projet par rapport à ces adhérents.

Renan Mahéo, Jeune Chambre écono-mique de Lyon : J’ai une interrogation par rapport aux chiffres présentés, notamment sur la progression de l’emploi de l’économie sociale et solidaire par rapport à l’ensemble de l’économie. On sait que dans les prochaines années, on va avoir une raréfaction de la ressource financière. On sait aussi que dans le monde associatif, on a souvent de l’emploi aidé. Ça a été souvent une valeur tampon : quand on a des crises d’emploi, on crée de l’emploi par l’intermédiaire de l’emploi associatif. Dans le cadre de la raréfaction de la ressource, cet emploi associatif ne va-t-il pas diminuer, voire régresser, tout simplement parce qu’il n’y aura pas le moyen de rémunérer l’emploi dans l’économie sociale et solidaire ? Ma question va un peu plus loin : aujourd’hui, si on regarde le monde associatif, il y a à la fois l’emploi – les salariés – et les bénévoles, qui sont la ressource humaine de l’économie sociale et solidaire. L’emploi augmente dans l’économie sociale et solidaire et on a une crise du bénévolat, de l’engagement asso-ciatif. Finalement, ne faudra-t-il pas – et là, je pense au monde de l’entreprise – rénover, promouvoir le bénévolat dans le monde associatif ? Et ceci peut se faire à partir de l’entreprise. Nous avons participé au Forum international des associations en avril, organisé par la Ville de Lyon. À ce titre, nous avons fait des propositions. Dans celles-ci, il y a avait une Journée du bénévolat en entreprise : présen-

ter entre autres le mécénat de compétences, le bénévolat de compétences, qui sont des possibilités dans l’entreprise. On avait évo-qué la notion d’une RTT solidaire : on enlève une RTT, qu’on donne à une association, soit en argent, soit en temps. On est allés plus loin : on a proposé de faire un cluster charity business à Lyon, en lien avec Genève qui n’est pas très loin. Là, on a vraiment quelque chose à faire, quand on a des lea-ders comme Handicap International, Habitat et humanisme.

Laure Chareyre : On fait souvent des confusions sur les asso-ciations, avec cet aspect social. L’économie sociale et solidaire est quand même une économie avant tout. Quand on parle d’éco-nomie sociale, on regroupe les structures qui emploient des salariés. Ce n’est pas l’ensemble associatif du pays. C’est effecti-vement les structures associatives, avec les coopératives et les mutuelles, qui emploient des salariés, qui ont des vraies activités éco-nomiques. Je réinsiste là-dessus car on pour-rait glisser sur cet aspect uniquement social. Le deuxième aspect est que les contrats aidés sont un plus, effectivement, apporté et accepté par les associations. Il faut vrai-ment porter attention là-dessus, parce que c’est une façon d’opérer et de travailler sur l’insertion. Les associations sont toujours appelées, systématiquement, pour prendre et embaucher des emplois aidés. Et on a toujours répondu présent. Mais ce n’est pas la force unique des associations. On a besoin d’emplois qualifiés. Et il y en a de plus en plus. Il faut vraiment faire la part des choses entre les deux. L’emploi aidé peut être un des objectifs d’une activité, d’ailleurs, de l’entreprise d’insertion. Mais, globalement, l’activité est une double entrée. Je voudrais absolument qu’on torde un petit peu le cou à des a priori sur le fait que les associations ne fonctionnent finalement qu’avec des emplois aidés. Non, absolument pas. 80 % des emplois sont des emplois associatifs et je peux vous dire qu’il y a tous les niveaux dedans. Et ce ne sont pas des emplois for-cément aidés. L’autre aspect est que quoi qu’il arrive – vous avez raison de dire que la ressource devient rare –, encore aujourd’hui, l’ap-pel aux associations pour embaucher des emplois aidés est de nouveau relancé. Plus le chômage augmente, plus il y a de demande des gouvernements successifs, quels qu’ils

soient, pour développer l’emploi aidé. Ce n’est pas forcément lié à l’absence actuelle de ressources. C’est plutôt parce que ça per-met « d’entretenir » une économie générale. À partir du moment où on a des emplois aidés, ça veut dire quand même des salaires versés à des personnes, qui peuvent recon-sommer. Il faut entendre ce niveau-là. Dernier point, le bénévolat. Là aussi, il ne faut pas faire des amalgames entre le social et le bénévolat. Comme vous l’avez très bien dit tout à l’heure, le bénévolat est une forme d’apprentissage. On a deux formes de bénévolat : le bénévolat sur mission et le bénévolat en tant qu’administrateur. En tant qu’administrateurs, on est dans les entrepreneurs. Effectivement, on est dans des apprentissages au sein des associations, en termes de gestion d’activité économique. Elles ont besoin de renouvellement, on est d’accord, mais il n’y a jamais eu autant de bénévolat en France qu’aujourd’hui. Plus les questions de société se posent, plus les crises sont là, plus les gens sont prêts à s’engager. Après, on peut poser le problème des formes d’attrait des associations pour faire venir des bénévoles. C’est là qu’on pense qu’on a effectivement un intérêt très fort à faire connaître l’économie sociale, pour qu’il y ait des passerelles avec les entreprises.

Dounia Besson : On parle beaucoup de bénévolat. Je voudrais insister sur le fait que l’utilité sociale et le sens, c’est important. Que ce soit dans l’édu-cation populaire, les services à la personne, le sanitaire et social, c’est des professionnels, qui ont une utilité sociale sur nos territoires. Il est important de le rappeler. Ces profes-sionnels ancrés sur les territoires sont sur des métiers très variés, ce sont des animateurs socioculturels, des assistantes sociales, des conseillères en économie sociale et familiale, des gens aussi d’Habitat et humanisme, ce sont avant tout des professionnels. Je suis adjointe au logement et à la politique de la ville. Aujourd’hui, que ce soit sur les quar-tiers en politique de la ville ou sur les zones rurales, on a besoin de ces professionnels, pour faire face à la crise. J’insiste sur ces passerelles. Arrêtons de par-ler de charité. Il est important de travailler sur les représentations qu’on peut avoir de ces professionnels

“ Une façond’entreprendre „

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Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire

Le point de vue du Conseil de développement du Grand Lyon

Jean FrÉBaultprésident du Conseil de développement

Je souhaite partager mon temps de parole avec mes deux voisins, Hervé Chaine et Jean Clément, pour illustrer un peu la diversité de la composition du Conseil de développement. Les quelques propos qu’on souhaitait vous tenir sont liés à l’intention des élus du Grand Lyon ici présents de nous saisir sur la question de l’économie sociale et solidaire. Je ne sais pas encore exactement quel sera le type de saisine, qui n’est pas encore finalisée, mais nous avons commencé à engager un dialogue et la soirée d’aujourd’hui – on se réjouit d’y participer – y contribue. Je voudrais rappeler que la composition du Conseil est très diversifiée. Il y a des acteurs économiques, des syndicats, le monde sociopro-fessionnel, mais aussi des acteurs universitaires, culturels, le monde associatif qui est très riche, notamment dans les domaines qu’on évoque ce soir, le monde de l’insertion, les associations s’occupant de solidarité. On a aussi un collège citoyen, un collège représentant les territoires, etc. Le premier message que je veux vous livrer est que le sujet du débat intéresse bien au-delà du cercle des acteurs économiques réunis aujourd’hui. Il intéresse les citoyens. Nous avons eu, notamment sous l’instigation des acteurs économiques, un cycle d’informations et de formations sur le développement économique dans l’agglomération lyonnaise. Nous sommes également très sensibilisés aux questions de solidarité dans un contexte de crise, dont les conséquences ne sont peut-être pas toujours aussi visibles que la réalité qu’il y a derrière. On sait bien que les questions de pauvreté et de précarité concernent un nombre croissant de nos concitoyens. Nous avons réouvert un chan-tier sur ces questions de précarité. Notre souhait est de croiser ces deux dimensions, notamment de voir en quoi la dynamique économique de l’agglomération lyonnaise peut contribuer, avec l’ensemble des acteurs de la société civile, à ce que ces questions de solidarité soient davantage prises en compte dans notre société locale. Si je résume, notre souhait est à la fois de mettre en avant l’entrée citoyenne – société civile au sens large, il n’y a pas que les citoyens lambda, il y a beaucoup de structures – et éviter de fragmenter les acteurs économiques entre ceux qui auraient le label ESS et ceux qui font partie du monde économique en général. Nous sommes plusieurs membres du Conseil de développement convaincus qu’il existe aussi des bonnes pratiques dans les entreprises qui ne sont pas dans le champ de l’économie sociale et solidaire, en matière d’éthique, de responsabilité sociale, par exemple, et que peut-être il serait intéressant de les connaître et davantage les développer. Parmi nos préoccupations, il y a d’abord celle que je sens fortement ce

soir, de mieux connaître le monde de l’économie sociale et solidaire, qui est très divers, mais plus généralement de mieux connaître l’en-semble du monde économique, comment il fonctionne et comment dans ce contexte de crise, on est impactés dans notre agglomération. Deuxièmement, il nous paraît très important – ça a aussi été évoqué par Nicolas Millet – de privilégier le lien avec le territoire. Il y a un ancrage des acteurs économiques dans le territoire. Le dialogue social doit largement être territorial. La question que nous nous posons est : quelle valeur ajoutée peut apporter le Conseil de développement dans cette saisine ? Il faut en débattre. Attendez-vous de nous un angle d’attaque particulier, de faire des propositions dans un champ sur lequel il peut y avoir peut-être beaucoup d’innovations, à partir du repérage de bonnes pratiques, et de développement d’initiatives partenariales et de coopération ? Nous allons accueillir, dans une de nos séances d’information-débat, Patrick Viveret, que beaucoup d’entre vous connaissent. Il est membre du Conseil de développement. C’est à la fois un économiste issu de la Cour des comptes et un philosophe. Nous avons autour de lui une séance sur ces questions de solidarité des économies le 10 janvier. C’est volontiers que nous accueillerons des personnes présentes aujourd’hui et qui ne sont pas membres du Conseil de développement. Je passe la parole à Hervé Chaine, qui est un des dirigeants du groupe EGIS, qui a beaucoup d’activités internationales mais dont le siège est à Lyon, qui va nous dire un mot de ces bonnes pratiques qui existent dans les sociétés privées. Ensuite, Jean Clément dira un mot des citoyens, comment il les approche. Il représente l’Antenne sociale mais a été aussi un des cofondateurs d’ALGOE, qui est très connue sur la place de Lyon. Ces questions-là sont présentes dans beaucoup d’entreprises que je viens de citer.

Hervé CHaine

J’ai particulièrement apprécié le discours de Mme Chareyre, qui dit bien que l’économie sociale et solidaire est d’abord un secteur économique. Ça aide un petit peu à resituer le lieu du débat. On n’est pas dans une entreprise de charité. C’est une chose assez importante. Je voudrais parler un peu du secteur plus conventionnel de l’économie, que je vis depuis longtemps. C’est un secteur dans lequel, aujourd’hui, la notion de solidarité et d’économie sociale existe et se développe, pour plusieurs raisons. D’abord, parce que c’est une image vis-à-vis du client. Deuxièmement, parce que c’est une attente des employés, on ne vit pas dans un monde isolé. On sait très bien que face à la crise, vos

Instance de débats et propositions, associant citoyens et acteurs économiques, institutionnels et associatifs, autour de la réfl exion sur l’avenir de l’agglomération, le Conseil de développement est un organe consultatif, placé auprès du Conseil de communauté.

“ Le dialoguesocial doit être

territorial „

pour illustrer un peu la diversité de la composition du Conseil de

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salariés, vos employés attendent que l’entreprise exprime des valeurs, sinon elle ne dure pas. Il faut être capable de porter un certain nombre de valeurs. Et ça peut être une attente des actionnaires, là c’est un peu plus variable, ça dépend. Une des évolutions d’ailleurs assez importantes est l’augmentation de l’actionnariat des salariés ou des cadres ou des managements, globalement des salariés. Dans le groupe qui me concerne, 25 % du capital sont détenus par les salariés. Dans l’ancien groupe de Jean Clément qui en parlera après, c’est 100 %. Même si ce n’est pas sous forme de coopérative, c’est aussi une forme de gouvernance qui, in fine, a une certaine démocratie. Peut-être pas avec un fonctionnement aussi codifié mais avec un fonctionnement qui en a la nature. Après, au-delà de la gouvernance, on trouve aussi la nécessité d’avoir de bonnes pratiques. La loi d’ailleurs nous y conduit, d’une certaine façon, que ce soit vis-à-vis de groupes particuliers, les handicapés, les seniors, de l’emploi des jeunes, du tutorat des jeunes, du développe-ment de la formation… qui sont des éléments assez importants, que l’entreprise se doit de porter pour pouvoir se sentir digne d’elle-même et conserver ses salariés. Ces choses comptent. Également les sujets de l’égalité hommes-femmes dont on débat sans arrêt, la réflexion sur le stress au travail – jusqu’où peut-on tirer le capital humain ? À quel moment faut-il s’arrêter ? –, les règles d’éthique dans le travail, qu’a-t-on le droit de faire ou pas, et cela de plus en plus… Tout cela existe. Et je ne parle pas de l’environnement, du comportement dans la mobilité et les déplacements, qui sont des choses un peu différentes. Pour ce qui nous concerne, on est une entreprise d’ingénierie, donc on est souvent maître d’œuvre de grands chantiers. On voit bien que der-rière la déclinaison sur les grands chantiers, c’est faire appel justement à votre secteur de l’économie sociale et solidaire pour les emplois qui vont durer un an, deux ans, mais pas forcément très longtemps, pour les monter en puissance et donner, par cela, l’occasion à des secteurs absents de l’emploi de trouver une chance. J’insiste sur le fait qu’aujourd’hui le secteur concurrentiel normal est de plus en plus conscient de sa responsabilité sociale. Et heureusement ! Je crois que ce n’est pas qu’un discours politique, la loi a fait ce qu’il faut pour ajouter un petit coup de verrouillage, ça aide un peu aussi. Pour terminer, je ne suis pas la seule entreprise à qui ça arrive, nous devons à nos comités d’entreprise un rapport sur nos actions de solidarité et de responsabilité sociale et environnementale, que nous présentons deux fois par an. Il y a une espèce de suivi. Après, on peut discuter de la qualité des indicateurs, etc. Mais ça montre aussi que dans le dialogue social, on est bien obligé de prendre en compte cette dimension.

Jean ClÉMent

Jean Frébault l’a dit, le Conseil de développement se veut porteur de la voix des citoyens depuis leurs territoires. Par rapport au problème de l’économie, il peut se fixer deux axes au moins de travail. Le pre-mier est : comment aider les citoyens à être plus lucides dans leurs choix, leur façon de se conduire, certes sur leur lieu de travail, dans le cadre des entreprises dans lesquelles, quelle que soit leur forme, ils travaillent à peu près tous. Se conduire raisonnablement, se conduire « social et responsable », mais pas seulement justement dans leur entreprise, dans leur vie et leurs choix de tous les jours. Chaque citoyen est certes agent de production. Il est aussi consommateur, épargnant, investisseur. Là aussi, il faut prendre en compte cette dimension sociale et solidaire. On a beaucoup de travail à faire pour aider les citoyens à agir dans ce sens-là. Le deuxième axe sur lequel, je pense, on arrivera à faire quelque chose d’intéressant, c’est d’aider ces citoyens à mieux comprendre, mieux percevoir, parce que souvent ils les ignorent, les choix, les politiques, les stratégies des collectivités dans lesquelles ils agissent. Nous-mêmes, à notre niveau, on connaît assez peu ce qui se fait actuellement en matière notamment de développement économique. Pour terminer, je voudrais quand même intervenir dans le débat, notamment abonder ce qu’a dit mon ami Cyril. Je suis un peu surpris de certains propos tenus ici, même si je les connaissais un petit peu. Il n’y a pas deux mondes. J’ai entendu, lu : il y a le monde de l’économie sociale et solidaire et le monde de l’économie traditionnelle, réelle, etc. « Économie sociale et solidaire », c’est redondant, c’est une litote. L’économie, en soi, est solidaire, sociale et responsable. Les fonde-ments de l’économie, c’est quoi ? Il y a deux questions centrales : la répartition et l’organisation du travail, et le partage des fruits du travail. Tous les acteurs, quels qu’ils soient, sont confrontés à ces deux questions centrales. Selon la forme d’organisation, le mode de fonctionnement que l’on choisit, effectivement on va apporter des réponses différentes à ces deux questions.

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Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire

Deuxième table ronde : Échanges croisés d’entrepreneurs autour des services à la personneOuvrant un dialogue constructif entre entrepreneurs de l’économie sociale et de l’économie « réelle », cette deuxième table ronde a montré notamment qu’ils partagent certaines problématiques communes.

Alain Gilbert : Ghislaine Bartier, on parlait de structures familiales. La crèche Saint-Bernard est plus que familiale, elle est historique, même pas du XXe siècle mais du XIXe. Dites-nous en plus.

Ghislaine Bartier : La crèche Saint-Bernard, initialement fondée en 1850, assure mainte-nant la gestion de 8 équipes. nous travaillons avec 65 professionnels. Je dis bien profes-sionnels. Ce sont des personnels qualifiés, notamment éducateurs de jeunes enfants, bac + 3, auxiliaires de puériculture. Notre activité est encadrée par des décrets. Les décrets de 2000, 2007, 2010 organisent notre fonctionnement. Nous travaillons en lien très étroit avec la CAF de Lyon et la Ville de Lyon. Nous signons des conventions d’objectifs et de gestion avec la CAF (Caisse d’allocations familiales) et avec la Ville de Lyon. Qui dit conventions dit rendre compte. Donc, nous devons rendre des comptes sur nos activités.

C’est vrai que j’ai l’impression d’assurer la gestion de notre association comme une entre-prise. Je dois m’assurer que certains indicateurs ne soient pas dans le rouge : le coût horaire par enfant, le prix par place. Nos établissements d’accueil de jeunes enfants sont financés à hauteur de 50 % par la Ville de Lyon, 30 % par la CAF, 20 % par les parents. On a des indicateurs et on rend compte à la CAF et à la Ville qui surveillent notre gestion de très près. Et aussi, comme disaient ces messieurs tout à l’heure, nous avons un comité d’entreprise, des délégués du personnel, qui nous demandent des comptes aussi. On a l’inspection du travail, on applique une convention collective, on a un CHSCT, comme une véritable entreprise. Tout irait bien malgré tout, si ce n’est les perspectives et, notamment, le droit européen qui se mêle de notre activité. Depuis cinq ans, le champ de la petite enfance est ouvert à la concurrence. La France a laissé faire, ce qui veut dire que nos structures peuvent

être ouvertes à la concurrence. C’est pour ça qu’actuellement des entreprises de crèches se développent à vitesse grand V sur notre territoire français. Nous, associations, on a très peur de cette tournure que prend le développement des établissements d’accueil de jeunes enfants.

A.G. : Ces structures touchent-elles ou sont-elles en mesure de toucher les 80 % que vous touchez pour le prix horaire de garde de l’enfant ? Peuvent-elles toucher des subventions de la Ville de Lyon ?

Ghislaine Bartier : Le droit européen estime que notre système de fonctionnement est illicite. Nous, crèche associative, on a très peur que pour être concurrentiel, on nous demande d’offrir un service de moindre qualité.

A.G. : Blandine Peillon, avez-vous l’impres-sion de ce carcan dans la société que vous avez créée ?

Blandine Peillon : Je suis chef d’entreprise d’une société de services à la personne, « Jours de printemps », qui est une jeune entreprise de 4 ans. En préambule, je voudrais dire que je suis ravie d’être là, parce que je découvre un univers que je ne connais absolument pas, et même le mot économie sociale et solidaire, je dois être Mme Jourdain effectivement, car je pense que j’en fais tous les jours. Et je ne savais pas qu’autant de monde s’intéressait à ce sujet-là. Je suis chef d’entreprise mais aussi présidente d’une association et vice-présidente d’une fondation à Lyon que certains connaissent

peut-être, qui justifie que les chefs d’entre-prise s’intéressent à l’économie sociale et solidaire sans le savoir, puisque la fondation Émergences regroupe 37 patrons lyonnais, de petites et grosses entreprises, et fait du mécénat de compétences pour aider les por-teurs de projets sociétaux, environnemen-taux, intergénérationnels, etc. Du coup, j’ai l’impression que nous, chefs d’entreprise, on transfert déjà beaucoup nos savoir-faire pour des porteurs de projets qui sont dans cette économie « parallèle ».

A.G. : C’est donc une convergence ?

Blandine Peillon : Oui, tout à fait. Frédéric Neymon et moi-même sommes dans cette économie des services à la personne, qui fait

partie de votre secteur d’activité. On est dans un secteur concurrentiel, comme Mme Bartier, puisqu’on est concurrencés par les associa-tions subventionnées. On est sur un secteur marchand. On vend nos heures de ménage, de garde, sans aucune subvention. Néanmoins, on vit très bien avec les associations aujourd’hui puisqu’elles représentent à peu près 80 % du marché alors qu’on n’en a que 20 %. Dans ces mots solidaire, social, je me reconnais tout à fait. Et pourtant, je ne savais pas qu’il y avait un clivage aussi important entre ces deux univers.

Ghislaine Bartierdirectrice coordinatrice des établissements Saint-Bernard (accueil de jeunes enfants)

Gérer une association comme une entreprise

Blandine PeillonPDG de Jours de printemps (services à la personne)

Vivre sans aucune subvention

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Deuxième table ronde : Échanges croisés d’entrepreneurs autour des services à la personne

A.G. : Êtes-vous en fait intermédiaire entre ceux qui ont des projets et que vous aidez à mener ces projets avec un travail d’audit, de conseil, d’accompagnement, par exemple d’une collectivité locale si elle veut se doter d’une structure petite enfance ? Est-ce la définition de votre mission ?

Fawzi Benarbia : Pas rigoureusement. Dans les faits, ma mission est plus large. Mais c’est effectivement un des champs d’activité que le réseau petite enfance au sein de la Mutualité française peut assumer, un peu partout en France.

A.G. : Partagez-vous les soucis de votre voisine sur l’évolution des directives euro-péennes et sur la difficulté à pérenniser ou solvabiliser l’activité ?

Fawzi Benarbia : Oui, probablement sur le fond mais peut-être avec une posture un peu différente. L’entreprise que je dirige, c’est une centaine de professionnels, un peu plus de 4 millions de chiffre d’affaires. Notre objectif, notre projet, c’est de créer l’utilité collective, de proposer des services de qualité innovants, accessibles à toutes les familles. C’est bien dans le champ de l’économie sociale. Ça a été rappelé, je ne vais pas développer : c’est

au milieu du XIXe siècle qu’a émergé l’idée de l’accueil collectif des enfants. L’économie sociale, autour de cette probléma-tique de l’affirmation du droit à l’éducation des jeunes enfants, de l’égalité entre hommes et femmes, de la promotion de l’accès à l’emploi pour les femmes en mettant en place des solu-tions concrètes de garde des jeunes enfants, a été le creuset, a joué un rôle de pionnier. Il a fallu attendre le début du XXIe siècle pour qu’apparaissent des acteurs à but lucratif dans ce champ. Pendant plus d’un siècle, il n’y en a eu aucun. À la fois, je peux partager les inquiétudes d’un certain nombre de professionnels en

A.G. : Vous rencontrez-vous avec les asso-ciations de services à la personne, l’ADMR ou l’ADAPA ou d’autres ?

Frédéric Neymon : J’ai, comme Blandine Peillon, créé mon entreprise il y a 5 ans, qui est spécialisée dans le champ de la dépendance. Aujourd’hui, on a 130 salariés, on intervient auprès de 250 bénéficiaires. Effectivement, on peut travailler en étant entreprise privée dans ce champ-là. Rencontre-t-on les asso-ciations ? Oui. Pas plus tard qu’il y a une dizaine de jours, on a rencontré Mme Poletti, députée des Ardennes, chargée par Mme Bachelot de tra-vailler sur la dépendance. Et on est arrivés aux mêmes conclusions sur les associations : des difficultés de recrutement, de formation, être en capacité – les associations comme les entreprises privées – de proposer des filières à nos salariés, de pouvoir les encadrer avec un soutien psychologique. On a les mêmes problématiques. Après, on a effectivement des règles un peu différentes. Mais aujourd’hui,

si on intervient auprès de personnes handi-capées – et c’est le cas bien souvent –, on s’aligne comme les associations sur la PCH à 17,59 e. Aujourd’hui, on s’organise et on vit correctement. Je n’ai pas déposé le bilan et on continue à se développer.

A.G. : Par rapport à ce que disait Ghislaine Bartier, vous avez un souci de formation. Est-ce que ça veut dire que vous avez un personnel qui n’est pas formé ou qui a des difficultés à trouver de l’emploi ?

Frédéric Neymon : Il y a effectivement des difficultés à ce niveau-là. Sur le champ de la dépendance, le diplôme d’État d’auxiliaire de vie sociale ne délivre pas assez de personnes

par an. J’ai un chiffre qui date de 3 ans : 450 diplômés par an en Rhône-Alpes, la moitié au moins, voire les trois quarts vont en établissement. On pâtit quand même d’une difficulté de notre métier qui est d’intervenir sur des séquences de 2 heures, voire même de moins. Ça fait perdre du temps, on est sur des temps partiels, des conditions de travail difficiles. Donc, on recrute bien sûr des per-sonnes d’abord qui sont, qualité première, sur du savoir-être, du comportement. Ensuite, en tant qu’employeurs, à nous de prendre nos responsabilités, d’aller chercher des finan-cements pour leur proposer des formations et les accompagner.

A.G. : Les associations d’aide et de soins à la personne ont exactement le même problème de recrutement.

Frédéric Neymon : Elles sont dans la même problématique, tout à fait.

Fawzi BenarBiacoordinatrice petite enfance à la Mutualité française

Proposer des services de qualité, innovants et accessibles

Frédéric neyMonCréateur de la société Age et perspectives (aide et maintien à domicile pour personnes âgéesou dépendantes)

Rencontrer les associations

“ Recruter surdu savoir-être „

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Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire

face de l’émergence de ces acteurs mais si ces nouveaux acteurs, qui affichent un pro-jet lucratif, en étant soutenus par des fonds d’investissement, offrent de l’utilité sociale, un service de qualité, effectivement accessible à tous, à un meilleur prix, il faut y aller. Il faut être raisonnable. Sauf que cette utilité sociale, il faut arriver à la mesurer et vérifier que ce qui est affiché, que les valeurs que les uns et les autres défendent, se mesurent bien, s’observent bien dans la réalité. Pour moi, le clivage n’est pas tellement de dire qu’il y a les gentils d’un côté ou les bons de l’autre. En fonction du côté où on se placera,

on trouvera toujours que les méchants sont de l’autre côté. Ce n’est pas comme ça que la problématique se pose. Dans le champ de la santé, il y a une grande réalisation de l’économie sociale, c’est l’Hôtel-Dieu, qui laisse un témoignage, qui offre une image de Lyon. C’est bien par un système de don public, de participation, avec une forme associative, qu’il s’est construit.

A.G. : À la Mutualité française, si votre service n’existait pas, qui ferait ce travail ? Une société privée ? Jusqu’ici, non. Demain, je n’en sais rien. Je ne

sais pas vous répondre là-dessus. Aujourd’hui, nous avons par exemple deux activités un peu spécifiques et, pour l’instant, il n’y a aucun opérateur à but lucratif. Mais nous sommes des sociétés privées, des mutuelles ou une association. C’est bien une organisation privée à but non lucratif. Si je prends la problématique de l’accueil de nuit, nous sommes les seuls dans le départe-ment à proposer la possibilité pour des familles de faire garder au sein d’une crèche leur enfant la nuit. Voilà un exemple d’innovation que nous portons et qui est une préoccupation, au cœur du projet de notre entreprise.

Frédéric Neymon : Je ne crois pas que ce soit un problème d’économie sociale d’un côté, d’économie de marché de l’autre. Je crois que c’est effectivement une logique de métier et une logique de secteur. Aujourd’hui, on in-tervient sur le même champ que le secteur du médico-social, qui est pour nous bien sûr en construction avec la loi Borloo de 2005. C’est elle qui nous a permis d’avoir des prix concurrentiels par rapport aux associations qui, elles, bénéficiaient de subventions. Mais heureusement qu’elles étaient là ! Donc, on a pu intervenir sur ce champ-là. J’en ai parlé d’ailleurs au Conseil général et à la députée en disant qu’il faut peut-être effectivement cadrer nos interventions, qu’il y ait une vraie charte qualité avec des contrôles qui soient faits. Je ne vois absolument aucun inconvé-nient à ce que ce soit fait, mais de manière coordonnée, puisqu’on est auprès de per-sonnes fragiles.

Blandine Peillon : Je ne pense pas que la frontière soit si marquée. Par contre, notre métier des services à la personne est un métier dans lequel autrefois il y avait beau-coup d’associations et aujourd’hui le sec-teur marchand s’est installé, mais avec les mêmes problématiques. Notamment, on s’est mis, nous, à faire énormément de so-cial. Je ne m’attendais pas en ouvrant cette société à faire autant de social. J’embauche des personnes qui n’ont pas du tout envie de travailler aujourd’hui sur ce secteur d’activité, qui viennent chez nous très sou-vent par dépit, parce qu’elles ne trouvent pas d’emploi, et qu’on est obligé d’emmener à apprécier et à pratiquer ce métier, en les

épaulant, en les suivant, en les encadrant. Pour nous, secteur marchand, ce n’est pas très facile, parce qu’on y passe beaucoup de temps et qu’on a une notion de rentabilité, et on n’est pas formé. Les associations sont beaucoup plus formées que nous.

Ghislaine Bartier : Les parents ne sont pas sensibles à ce côté social et solidaire. On les sollicite pour participer au niveau du conseil d’administration, puisqu’il est constitué de parents actuels et d’anciens parents. Ils interviennent aussi ponctuelle-ment au cours d’activités encadrées par les professionnels. Mais sinon, quand on leur parle de nos conditions de travail, au cours de réunions de rentrée, non. Les inscriptions en crèche se font à la mairie. Il y a des commissions d’admission. Les enfants sont affectés à des crèches municipales ou associatives. Quand on accueille les parents, on leur présente l’association mais sans plus. Et même quand ils ont fréquenté la structure pendant un an, ils ne savent pas : oui c’est Saint-Bernard, mais municipal ou associatif, non.

Fawzi Benarbia : Je voudrais compléter ou nuancer. Les parents, sur ce point-là – chez nous c’est notre volonté – sont présents. On a un conseil de crèche. Il y a aussi un cer-tain nombre d’outils comme une enquête de satisfaction, qui est conduite de manière très régulière. C’est aussi une des valeurs. Cette cohérence entre ce qui est fondateur de l’économie sociale et solidaire, un pro-jet de créer de l’utilité collective, d’associer dans une double qualité les usagers du ser-

vice à la gouvernance, au projet et à la vie de l’association, c’est de faire ensemble et de produire de l’intérêt commun ensemble, c’est ceci peut-être qui est différenciant pour le champ de l’économie sociale. Ce n’est pas une opposition radicale mais c’est vraiment une différenciation forte.

Philippe Garcin, réseau Entreprendre : J’ai bien aimé les témoignages. Finalement, il n’y a pas de clivage entre les entrepreneurs, il y a juste une continuité dans la posture qu’ils peuvent avoir. Au réseau Entreprendre, on travaille juste-ment sur cette notion de pont, en proposant peut-être aux entrepreneurs sociaux, dont la finalité est d’apporter de l’utilité sociale, d’inspirer les entrepreneurs classiques sur leurs responsabilités d’employeurs et, d’autre part, d’inventer des services qui vont être utiles au plus grand nombre. C’est le fondement même de l’économie : partager les richesses entre tous. Dans l’autre sens, les entrepreneurs « classiques », dont la posture est de maximiser la rentabilité économique, peuvent inspirer les entrepreneurs sociaux pour modifier leurs modèles économiques et moins dépendre des financements publics qui, de toute façon, vont diminuer.

Réactions

Conclusion

“ Apporter del’utilité sociale „

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D’autres rencontres devraient suivre cette première journée d’échanges.

D’abord, je voudrais vous remercier de ce moment et de la qualité des interventions. Je suis un peu

frustré d’être obligé de partir avec vous, tant le sujet abordé ce soir est vaste et extrêmement intéressant. Je suis d’autant plus frustré que, pour ma part, je ne suis qu’un modeste chef d’entreprise moi aussi, au-delà de mes fonctions d’élu, mais d’une entreprise coopérative. Vous avez vu dans la plaquette qu’il y a 17 formes de coopérative. Je dirige une SCOP, une société coopérative et participative, qui œuvre dans l’ingénierie du bâtiment, un groupe coopératif qui au total fédère 250 personnes. On vient de déména-ger, de créer un pôle de la finance éthique et de la coopération, au Carré de soie à Vaulx-en-Velin. C’est un bâtiment qui pèse à peu près 30 millions d’euros hors taxes, qu’on a financé par l’investissement lié à notre travail, sans un sou de financements publics.J’aimerais qu’on continue ce type de rencontre, sous le patronage bienveillant du Grand Lyon, pour aborder d’autres questions touchant à l’économie sociale, qui est un domaine extrêmement compliqué. Représentant une des 17 familles du monde coopé-ratif, je fais donc partie de l’économie sociale, cette grande famille de l’économie sociale et solidaire, que j’ai du mal quelquefois à comprendre. Je partage ce point de vue avec vous. C’est un concept tellement riche, qui ne peut pas se résumer à un simple sym-bole. Je crois qu’il faudrait pouvoir entrer dans le détail des particularités de chacune des familles de l’économie sociale : les entreprises coopératives, les coopératives, les mutuelles, les associations. Et on verra que ce qui caractérise finalement toutes ces formes entreprenariales au sein de l’économie sociale, c’est de faire de l’économie. Vos témoignages sont intéressants. On voit bien qu’il n’y a pas de différence, finalement, sur l’objet, le bien ou le service, qui est produit, ce qui est le fondement de l’économie. Mais ce qui est fonda-mentalement différent, c’est les finalités de l’acte d’entreprendre. C’est un autre sujet et je pense qu’il faut qu’on reprenne cette conversation. Je demande au service, au nom de David Kimelfeld, vice-président à l’économie, de nous organiser une autre réunion qui pourrait avoir une dimension encore un peu plus économique si possible, autour de l’actionnariat salarié, un thème qui m’est cher.

Ça a été dit par Jean Frébault, le Conseil de dévelop-pement veut mieux connaître l’économie, en tout cas comprendre comment les citoyens, grands-lyonnais, perçoivent l’économie et les politiques économiques conduites par le Grand Lyon et, par ce biais, mieux comprendre l’économie sociale et solidaire. C’est un sujet qui peut nous occuper durant de longs mois. Au nom de David Kimelfeld, je demande officiellement la saisine du Conseil de développement. Et je pense que d’ici la fin de l’année ou le début de l’année prochaine, nous aurons ensemble quelques réunions, pour fixer de manière un peu détaillée le contenu de cette saisine et son calendrier. Donc, une prochaine rencontre autour de l’action-nariat salarié, puisque ce thème a été abordé. C’est une question sur la finalité de l’entreprise en période de crise économique. L’économie devient un sujet

pour tous nos concitoyens, un sujet ardu, compli-qué, qui jusqu’à présent était réservé aux sachants et aux experts. C’est intéressant, ensemble, autour de l’acte économique et de l’acte d’entreprendre, de discuter des finalités différentes des uns et les autres, économie traditionnelle versus économie sociale pour forcer le trait, comment on peut se rejoindre sur les valeurs, sur l’acte démocratique, sur le partage du pouvoir, de la richesse, sur des modes de gouvernance alternatifs, qui font finalement que le monde économique a aussi une biodiversité qu’il faut connaître et respecter.

Bruno lebuhotelprésident de

la commission économiquedu Grand Lyon,

mandaté par le présidentGérard Collomb sur l’économie sociale

Conclusion

“ Se rejoindresur les valeurs „

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Dialogues autour de l’économie sociale et solidaire

On a peut-être identifié là toute la probléma-tique qui se pose actuellement pour l’économie

sociale et solidaire : c’est d’être identifiée. On parle effectivement d’identification, au sens propre, pour l’ensemble des structures, et qui engage tout le débat sur la structure juridique, avec cette question de l’économie sociale. Je ne vois pas aujourd’hui qui pourrait dire : je ne suis pas dans le social et je ne suis pas solidaire. C’est absurde. Tout le monde est ancré dans la société et toute entreprise participe de cet ensemble. Par contre, là où on a besoin d’identification, et c’est sans doute un des champs de travail et de passerelle qu’on pourrait avoir, c’est effectivement de mieux faire connaître l’identité de l’économie sociale et solidaire et, de l’autre côté, faire évoluer la respon-sabilité sociale des entreprises. C’est peut-être sur ces deux aspects-là qu’on pourrait se retrouver, sur un fond économique qui soit une reconnaissance de l’économie plurielle. C’est sur ces idées-là qu’il me semble qu’il faut qu’on creuse. Il y a des passerelles. Je dis quelquefois en plaisantant qu’on a des retours des visites sur le continent américain et canadien, où cette démarche a été faite depuis déjà dix à quinze ans. L’économie « classique » reconnaît les valeurs de l’économie sociale et s’en inspire pour certains aspects. Mais en France, on a encore tendance à la cantonner au charitable. Ce n’est pas ça. La question, c’est l’évo-lution et la considération sur un plan économique de cette économie sociale et solidaire.

Deuxième chantier qui pourrait être intéressant : faire des comparatifs des méthodes d’entreprendre. J’ai entendu, il n’y a pas très longtemps, un univer-sitaire lui-même entrepreneur dire : finalement, la complexité de la gouvernance d’une entreprise de l’économie sociale est bien supérieure à celle d’une entreprise classique. Ça ne veut pas dire que c’est plus facile d’avoir une entreprise classique. Mais la gouvernance a de telles implications, qui font qu’il y a une complexité très forte, qui du coup est intéressante. Quand on parle de meilleure résistance de l’éco-nomie sociale et solidaire face à la crise – mais je mets beaucoup de bémol à cela –, c’est aussi lié aux parties prenantes de la gouvernance. Ce sont des groupes de personnes qui solidifient l’entreprise en

prenant part à la décision. Ce n’est pas forcément le cas d’une entreprise classique. Par ailleurs, j’attends quand même 2012 et 2013 en matière de résistance à la crise, puisqu’on a un effet retard. Il ne faut pas non plus crier victoire sur cette forte résistance. Elle est, on le voit dans tous les services et structures, pour un temps donné. Pour les services à la personne par exemple, l’ouverture de la loi Borloo a complète-ment déstructuré les services en place. Ce n’est pas gênant. Ce n’est pas un problème de concurrence qui est gênant, c’est la forme de cette arrivée qui ne considère pas ce qui a été accompli dans un secteur sur la durée. J’attends de voir sur la durée, en termes de solvabilisation des personnes qui vont être dans cette problématique. Comme pour les crèches, c’est la solvabilité des personnes qui vont pouvoir payer ces heures. Est-ce que ce sera durable ?Ce qui est durable dans l’économie sociale, c’est qu’elle reste sur le territoire. Ce qui est compréhen-sible dans une entreprise classique, c’est qu’à partir du moment où elle n’est plus rentable et lucrative, elle s’arrête ou se transforme. Ce qu’il faut regarder, c’est par rapport à cette société. Quel équilibre on donne sur des éléments d’impact sur les territoires, qui soit durable pour un minimum de réponses à tous et mêlant la mixité des populations ? Ce sont des champs de travail intéressants, parce que la concurrence est saine. On n’a jamais, dans l’économie sociale, dénoncé la concurrence. Par contre, il faut faire attention à ce que, avec cette approche concurrentielle, on ne détruise pas quelque chose d’existant, sans avoir fait attention à ce qui existait – vous le dites, je découvre l’économie sociale, c’est bien un problème de reconnaissance et d’identification – et qu’on puisse articuler ensemble des réponses cohérentes sur l’ensemble du territoire. Le laminage qui consiste à considérer l’économie sociale comme le poisson-pilote et la voiture-relais ne va pas. Il y a une dimension économique intermédiaire qui doit être reconnue. C’est sur cet élément-là qu’il faut pointer l’attention de tous, parce qu’il y a un danger pour tout le monde, du coup. L’idée est plutôt de se donner des passerelles sur cette reconnaissance de l’économie plurielle. On a des formes d’entreprendre différentes. Elles sont toutes respectables. C’est impératif de se le dire. Maintenant, à partir de cette respectabilité, travaillons sur ce qui va permettre de développer l’économie.

laure Chareyreprésidente de la Chambre régionale de

l’économie sociale et solidaireActes de la rencontre « Dialogues autour de l’éco-nomie sociale et solidaire » - Directeur de la publication : David Kimelfeld. Réalisation : Chorégraphic - 158, bd de Brou - 01000 BOURG-EN-BRESSE - Tél. 04 74 24 69 13.

“ La concurrenceest saine „