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Diarrhée chronique chez un adulte immunocompétent due à Cryptosporidium parvum : un diagnostic difficile et un traitement non codifié L a cryptosporidiose humaine, liée essentiellement à l’infection par Cryptosporidium parvum (CP), provoque chez le sujet immunocompétent une diarrhée aiguë spontanément résolutive et un possible portage asymptomatique prolongé [1]. La malnutrition et les immunodéficits sont à l’origine de formes chroniques sévères, d’une dissémination extra-intestinale, en particulier biliaire, et d’échecs thérapeutiques [2]. Nous rapportons une observation de diarrhée chronique due à CP chez un adulte immunocompétent, de diagnostic et traitement difficiles. Observation Une femme caucasienne de 49 ans, aux antécédents de sarcoïdose pulmonaire de type I guérie 25 ans auparavant et d’hypertension artérielle, n’ayant jamais séjourné à l’étranger, était adressée en avril 2002 pour une diarrhée chronique évoluant depuis 6 mois et apparue sans contexte épidémique. La diarrhée était caractérisée par l’émission quotidienne de 2 à 4 selles liquides non glairo-sanglantes, associées à des douleurs abdominales diffuses avec réveil nocturne, sans fièvre ni amai- grissement. L’examen clinique était normal. L’unique anomalie biologique était une clairance de l’α1-antitrypsine à 3,5 fois la valeur supérieure de la normale. Le poids des selles était normal (175 g/jour) et il n’y avait pas de stéatorrhée significative (0,05 g/jour). Le reste du bilan biologique, normal, avait comporté un hémogramme, un ionogramme, des tests hépati- ques sanguins, un taux de prothrombine, un dosage de la ferritinémie, de la calcémie, une électrophorèse des protides, un dosage pondéral des immunoglobulines, un dosage sérique de la TSH, de la sérotonine, un dosage des 5 HIA urinaires, une recherche sérique des IgA anti-endomysium, une sérologie VIH, une recherche de parasites sur 3 prélèvements de selles après concentration (Bailenger et MIF). Par ailleurs étaient normales une échographie et une tomodensitométrie abdominales, une endoscopie œso-gastro-duodénale avec biopsies du deuxième duodénum à la recherche d’une atrophie villositaire et de parasites (aspiration de liquide duodénal non réalisée), une iléocoloscopie avec biopsies étagées coliques, un transit baryté du grêle. En l’absence de diagnostic et de réponse à un traitement symptomatique par diosmectite, oxyde de lopéramide, mébévirine et tramadol, une nouvelle coprologie était réalisée un mois et demi plus tard en spécifiant la recherche de coccidies. Cet examen révélait la présence de nombreux oocystes de CP à la coloration de Ziehl-Neelsen modifiée (figure 1). Le typage lymphocytaire CD4 et CD8 était normal et la sérologie HTLV1 négative. L’azithromycine, à la dose de 500 mg/jour pendant 5 jours, amenait une amélioration clinique transitoire pendant un mois, sans éradication parasitaire au contrôle effectué deux mois après la fin du traitement. Le nitazoxanide, utilisé dans le cadre d’une autorisation temporaire d’utilisation en octobre 2002 après double expertise, à la posologie de 2 g/jour, ne pouvait être poursuivi au-delà de 4 jours en raison d’une intolérance digestive (vomissements). La persistance de la symptomatologie digestive et de CP dans les analyses de selles en janvier 2003 faisait proposer une 2 e cure d’azithromycine (500 mg/j/10 j) qui amenait la guérison clinique et l’éradication parasitaire confirmée sur les contrôles parasitologiques de selles effectués 1, 3 et 9 mois après la fin de ce dernier traitement. Discussion La résolution de la diarrhée concomitante de la disparition de CP, en l’absence d’autres causes de diarrhée identifiées, plaide pour le rôle pathogène du parasite chez notre malade. CP est un protozoaire intra-cellulaire, pathogène par un mécanisme toxi- nique et une entéro-cytotoxicité [1], dont la possible traduction est ici l’élévation minime de la clairance de l’α1-antitrypsine. La contamination humaine, favorisée par un important réservoir animal du parasite cosmopolite particulièrement fréquent dans les pays en développement, se fait de l’animal à l’homme, par ABRÉVIATION : CP : Cryptosporidium parvum Fig. 1 − Analyse de selles après coloration de Ziehl-Neelsen modifiée (× 100) : oocystes de Cryptosporidium parvum. Stool examination after Ziehl-Neelsen staining (× 100): oocysts of Cryptosporidium parvum. © Masson, Paris, 2004. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:501-508 501

Diarrhée chronique chez un adulte immunocompétent due à Cryptosporidium parvum : un diagnostic difficile et un traitement non codifié

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Diarrhée chronique chez un adulte immunocompétentdue à Cryptosporidium parvum :un diagnostic difficile et un traitement non codifié

La cryptosporidiose humaine, liée essentiellement à l’infection par Cryptosporidium parvum(CP), provoque chez le sujet immunocompétent une diarrhée aiguë spontanémentrésolutive et un possible portage asymptomatique prolongé [1]. La malnutrition et les

immunodéficits sont à l’origine de formes chroniques sévères, d’une disséminationextra-intestinale, en particulier biliaire, et d’échecs thérapeutiques [2]. Nous rapportons uneobservation de diarrhée chronique due à CP chez un adulte immunocompétent, de diagnostic ettraitement difficiles.

ObservationUne femme caucasienne de 49 ans, aux antécédents de

sarcoïdose pulmonaire de type I guérie 25 ans auparavant etd’hypertension artérielle, n’ayant jamais séjourné à l’étranger,était adressée en avril 2002 pour une diarrhée chroniqueévoluant depuis 6 mois et apparue sans contexte épidémique. Ladiarrhée était caractérisée par l’émission quotidienne de 2 à 4selles liquides non glairo-sanglantes, associées à des douleursabdominales diffuses avec réveil nocturne, sans fièvre ni amai-grissement. L’examen clinique était normal. L’unique anomaliebiologique était une clairance de l’α1-antitrypsine à 3,5 foisla valeur supérieure de la normale. Le poids des selles étaitnormal (175 g/jour) et il n’y avait pas de stéatorrhée significative(0,05 g/jour). Le reste du bilan biologique, normal, avaitcomporté un hémogramme, un ionogramme, des tests hépati-ques sanguins, un taux de prothrombine, un dosage de laferritinémie, de la calcémie, une électrophorèse des protides, undosage pondéral des immunoglobulines, un dosage sérique de laTSH, de la sérotonine, un dosage des 5 HIA urinaires, unerecherche sérique des IgA anti-endomysium, une sérologie VIH,une recherche de parasites sur 3 prélèvements de selles aprèsconcentration (Bailenger et MIF). Par ailleurs étaient normalesune échographie et une tomodensitométrie abdominales, uneendoscopie œso-gastro-duodénale avec biopsies du deuxièmeduodénum à la recherche d’une atrophie villositaire et deparasites (aspiration de liquide duodénal non réalisée), uneiléocoloscopie avec biopsies étagées coliques, un transit barytédu grêle. En l’absence de diagnostic et de réponse à untraitement symptomatique par diosmectite, oxyde de lopéramide,mébévirine et tramadol, une nouvelle coprologie était réalisée unmois et demi plus tard en spécifiant la recherche de coccidies. Cetexamen révélait la présence de nombreux oocystes de CP à lacoloration de Ziehl-Neelsen modifiée (figure 1). Le typagelymphocytaire CD4 et CD8 était normal et la sérologie HTLV1négative. L’azithromycine, à la dose de 500 mg/jour pendant 5jours, amenait une amélioration clinique transitoire pendant unmois, sans éradication parasitaire au contrôle effectué deux moisaprès la fin du traitement. Le nitazoxanide, utilisé dans le cadred’une autorisation temporaire d’utilisation en octobre 2002

après double expertise, à la posologie de 2 g/jour, ne pouvaitêtre poursuivi au-delà de 4 jours en raison d’une intolérancedigestive (vomissements). La persistance de la symptomatologiedigestive et de CP dans les analyses de selles en janvier 2003faisait proposer une 2e cure d’azithromycine (500 mg/j/10 j)qui amenait la guérison clinique et l’éradication parasitaireconfirmée sur les contrôles parasitologiques de selles effectués 1,3 et 9 mois après la fin de ce dernier traitement.

DiscussionLa résolution de la diarrhée concomitante de la disparition de

CP, en l’absence d’autres causes de diarrhée identifiées, plaidepour le rôle pathogène du parasite chez notre malade. CP est unprotozoaire intra-cellulaire, pathogène par un mécanisme toxi-nique et une entéro-cytotoxicité [1], dont la possible traductionest ici l’élévation minime de la clairance de l’α1-antitrypsine. Lacontamination humaine, favorisée par un important réservoiranimal du parasite cosmopolite particulièrement fréquent dansles pays en développement, se fait de l’animal à l’homme, par

ABRÉVIATION :CP : Cryptosporidium parvum

Fig. 1 − Analyse de selles après coloration de Ziehl-Neelsen modifiée(× 100) : oocystes de Cryptosporidium parvum.

Stool examination after Ziehl-Neelsen staining (× 100): oocysts ofCryptosporidium parvum.

© Masson, Paris, 2004. Gastroenterol Clin Biol 2004;28:501-508

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voie hydrique ou interhumaine [1]. Un portage asymptomatique,une diarrhée aiguë (dont la diarrhée du voyageur), et plusrarement une diarrhée persistante pouvant évoluer quelquessemaines, sont les trois formes cliniques de l’infection chezl’immunocompétent [2]. Une observation d’arthrite réactionnellea été récemment rapportée lors d’une évolution prolongée [3]. Ladiarrhée chronique avec une cachexie souvent fatale est l’évolu-tion habituelle chez l’immunodéficient, particulièrement les mala-des vivant avec le VIH, mais aussi les cancéreux, les déficitairesen immunoglobulines et les malades sous traitement immunosup-presseur. Aucune cause d’immunodéficience évolutive n’a étéisolée dans notre observation. Il n’a pas à notre connaissance étérapporté par ailleurs d’association avec la sarcoïdose, qui detoute façon était éteinte chez notre malade. Le diagnostic est basésur l’examen parasitologique des selles qu’il convient de trans-mettre au laboratoire dans les plus brefs délais [4], plus rarementanatomo-pathologique (biopsie intestinale). La sérologie n’aqu’un intérêt épidémiologique en raison de la diffusion del’infection asymptomatique dans la population générale. L’iden-tification de CP dans les selles est délicate et nécessite impérati-vement de préciser sa recherche. L’examen parasitologique desselles standard est souvent pris en défaut. Les colorationsspécifiques (Ziehl-Neelsen modifiée, Heine), fastidieuses, sontutilement remplacées par un recours aux anticorps monoclonauxspécifiques [5]. Un test immunochromatographique, récemmentcommercialisé (Crypto-StripT, Coris BioConcept, Belgique), offrel’intérêt d’une détection rapide sur des selles non concentrées [6].Le traitement est mal codifié et les produits disponibles inconstam-ment actifs. En cas de déficit immunitaire, aucun traitement n’étaitefficace avant la mise à disposition du nitazoxanide. La paramo-mycine n’avait pas montré de supériorité par rapport au placebo[7]. Le nitazoxanide, dérivé du nitrothiazole-salicylamide, etuniquement disponible dans le cadre d’une autorisation tempo-raire d’utilisation, est actif sur de nombreux parasites et paraîtprometteur, mais son efficacité dépend du degré d’immunosup-pression ainsi que de la posologie. L’efficacité chez les immuno-compétents est démontrée mais inconstante [8, 9]. A la posologiede 1 g/jour pendant 3 jours chez l’adulte, la durée de la diarrhéeet le portage d’oocystes de CP sont significativement réduits [9].L’azithromycine, prescrite hors autorisation de mise sur lemarché, est une alternative [1], en particulier en cas d’intoléranceau nitazoxanide, dont l’hépatotoxicité potentielle justifie un suivilors de sa prescription. Une diarrhée chronique, avec ou sans

douleur abdominale, doit amener à rechercher CP, même enl’absence d’immunodéficit et de séjour dans des pays endéveloppement.

Philippe REY (1), Christophe CARRERE (1),Didier CASASSUS-BUILHE (1), Jean Luc PERRET (2)

(1) Service de Pathologie Digestive, (2) Fédération de médecine,Hôpital d’Instruction des Armées Legouest, 57998 Metz Armées.

REFERENCES

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Aplasie médullaire après prise de noramidopyrine chez une maladetraitée au long cours par méthotrexate pour maladie de Crohn

Récemment, Bellaiche et al. [1] ont rapporté dans cette revue une observation d’aplasiemédullaire survenue après une première injection de méthotrexate chez une maladeatteinte de maladie de Crohn ; cette malade avait également reçu un traitement

prolongé par la noramidopyrine. Nous rapportons, chez une malade ayant une maladie deCrohn, une deuxième observation d’aplasie médullaire survenue après la prise denoramidopyrine au terme d’un traitement de 2 ans par le méthotrexate.

ObservationUne femme de 30 ans était hospitalisée en décembre 2002

dans notre unité pour une poussée sévère de maladie de Crohn

ano-iléo-colique associée à une pancytopénie. La maladie deCrohn avait été diagnostiquée en 1990. Elle avait été traitée parazathioprine pour corticodépendance à partir de 1994, puis parméthotrexate à partir de décembre 2000. Le méthotrexate étaitprescrit à la dose de 25 mg par semaine par voie intramuscu-laire, sans traitement associé par acide folinique. Le métho-trexate, dont la dose cumulée était d’environ 2500 mg, avait étébien toléré sur le plan clinique et biologique. Le 11 décembre,

Cette observation a été notifiée au centre régional de pharmacovigilance etde renseignement sur les médicaments du Poitou-Charentes le 21 janvier2003.

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