Dieu intervient-Il dans l’histoire ?

Dieu intervient-Il dans l’histoire ?

Benoît LacroixBruno DemersJacques Lison

Directeur de l’ouvrage : Mathieu LavigneConception de la couverture : Gianni Caccia

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Lacroix, Benoît, 1915-Dieu intervient-Il dans l’histoire ?(Conférences du Centre culturel chrétien de Montréal ; 7)ISBN 978-2-7621-3149-9 [édition imprimée]ISBN 978-2-7621-3398-1 [édition numérique PDF]ISBN 978-2-7621-3399-8 [édition numérique ePub]1. Providence divine - Christianisme. 2. Histoire - Aspect religieux - Christianisme. 3. Dieu (Christianisme). I. Demers, Bruno, 1955- . II. Lison, Jacques, 1952- . III. Centre culturel chrétien de Montréal. IV. Titre. V. Collection : Conférences du Centre culturel chrétien de Montréal ; 7.BT135.L32 2013 231’.5 C2012-942472-2

Dépôt légal : 1er trimestre 2013Bibliothèque et Archives nationales du Québec© Groupe Fides inc., 2013

La maison d’édition reconnaît l’aide fi nancière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour ses activités d’édition. La maison d’édi-tion remercie de leur soutien fi nancier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). La maison d’édition bénéfi cie du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du Gouvernement du Québec, géré par la SODEC.

Imprimé au Canada en décembre 2012

Les trois conférences ici reproduites ont été prononcées au Centre culturel chrétien de Montréal, le 19 avril 2012.

Le Centre culturel chrétien de Montréal est un organisme sans but lucratif formé à l’initiative des Dominicains du Canada et des organismes regroupés au 2715, chemin de la Côte-Sainte-Catherine. Né d’un souci d’intelligence de la situation présente du christianisme et de ses relations avec les autres traditions religieuses, dans un contexte socioculturel changeant, le Centre présente depuis 2003 des conférences, débats, colloques, soirées de poésie et de musique reliés à la vie spirituelle et sociale québécoise.

Présentationpar Guy Lapointe, o.p.

Dieu intervient-Il dans l’histoire ? Telle est l’interrogation qui traverse le présent ouvrage. Un ami à qui je posais cette même question me répondait, non sans un brin d’humour : « Non, Dieu n’intervient pas dans l’histoire, mais tout le monde parle à sa place… »

Vous en conviendrez, c’est une question qui ne manque pas de pertinence. Une question qui a marqué pendant longtemps la réfl exion théologique et qui a été négligée ces dernières années. Une interrogation longtemps pré-sente, je crois, dans l’imaginaire croyant mais qui ne fonctionne plus très bien. On a beaucoup cru en la provi-dence jusqu’à générer un providentialisme qui peut faci-lement dévier vers un rapport à Dieu fort ambigu. Donc, on est devant une question persistante qui a rebondi en particulier depuis les grandes tragédies du XXe siècle. Que faisait Dieu ? Pourquoi un tel silence ? Dieu peut-Il changer le cours des choses ?

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Plusieurs, refusant un Dieu interventionniste, pré-fèrent aujourd’hui croire en un Dieu « ordinaire » qui respecte l’autonomie des réalités terrestres et ne tire pas les fi celles. Il n’agit pas sur nous, mais en nous. Il n’agit pas sur le monde, mais dans le monde. Quelle place reste-t-il pour la providence dans le cours des choses ? Pour nous aider à réf léchir sur cette question et apporter quelques éléments pour renouveler la problématique, le Centre culturel chrétien de Montréal a fait appel à deux théologiens et à un historien.

Le père Benoît Lacroix, o.p., est né à Saint-Michel-de-Bellechasse en 1915. Qui ne connaît pas Benoît Lacroix ? Historien spécialiste du Moyen Âge, professeur émérite de l’Université de Montréal, il a enseigné à titre de professeur invité un peu partout dans le monde, dont au Japon. Il a produit de très nombreuses publications tant en sciences médiévales que sur la religion populaire. C’est aussi un pasteur très à l’aise dans les médias, et surtout, un homme d’ouverture. Je crois qu’il trouvera les mots pour nous parler avec sagesse de l’histoire de la providence.

Bruno Demers, o.p., est docteur en théologie de l’Ins-titut Catholique de Paris. Il est professeur au Collège universitaire dominicain d’Ottawa et à l’Institut de pas-torale des Dominicains de Montréal, établissement dont

11Présentation

il est aussi le directeur adjoint. Sa spécialité est la théo-logie fondamentale et systématique ainsi que l’herméneu-tique théologique. Il a aussi comme centre d’intérêt le dialogue interreligieux et l’histoire de l’Église. Bruno Demers a dirigé récemment la publication des actes d’un colloque sur le dialogue interreligieux tenu à l’Institut de pastorale : Dialogue des cultures et traditions monothéistes (Novalis, 2012). Il a aussi à son actif plusieurs articles parus dans diverses publications spécialisées.

Jacques Lison est un théologien d’origine belge vivant au Canada depuis 1976. Formé à la tradition dominicaine au Collège universitaire dominicain d’Ottawa, il a obtenu son doctorat en théologie de l’Université Louvain-la-Neuve en 1991. Sa thèse, publiée en 1994 aux Éditions du Cerf sous le titre L’Esprit répandu. La pneumatologie de Grégoire Palamas, est devenue une référence incon-tournable dans les grands dictionnaires de théologie. Jacques Lison a enseigné au Collège dominicain d’Ottawa de 1991 à 2001, pour ensuite entrer aux Éditions Novalis où il est actuellement directeur des revues religieuses et du célèbre Prions en Église. En 2006, il a publié un livre superbe, malheureusement épuisé : Dieu intervient-il vraiment ? Comprendre aujourd’hui la providence (Novalis).

Ce que les historiens racontentpar Benoît Lacroix, o.p.

Il s’agit de deux mots : « Histoire » et « Dieu ». Il y a Histoire au sens premier, soit ce qui est arrivé. Et au sens second : ce qui est raconté. Qui sait, qui pourrait raconter tout ce qui est arrivé depuis les commencements de la Terre et depuis que nous, les humains, nous agissons et pensons ? Comment pourrions-nous rendre compte d’une histoire dont nous ne sommes qu’un point dans la ligne du temps ? Comment un mot, une lettre du poème de l’histoire universelle peut-il, peut-elle connaître le sens de ce poème, surtout si ce poème demeure inachevé ? Tout récit d’aujourd’hui, si précis soit-il, est partiel.

Quant au mot « Dieu », ou « les dieux », il est lui aussi soumis à une distinction dite historique :  il y a le Dieu, notre Dieu. Parlons du Tout-Puissant, de l’Énergie suprême, de la Cause universelle. Nous nous devons dans le contexte de cette conférence de nommer Dieu Créateur,

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Dieu de la Bible, Dieu Rédempteur du monde : le Dieu des chrétiens.

Pour en venir à l’histoire telle que racontée à travers les siècles, il convient de noter que depuis toujours l’être humain veut en savoir davantage. Tout savoir de tout, et en raconter le plus possible. D’où l’emprise des encyclopé-dies, des dictionnaires. Sans oublier la séduction du savoir par Internet.

Dans la BibleDieu intervient-Il dans notre histoire humaine1 ? Il fau-drait s’interroger sur les desseins de Dieu. Comment donner suite à la pensée de Dieu sur notre vie si nos pen-sées ne se rejoignent pas nécessairement ? Un avertisse-ment majeur est venu de nul autre que du prophète Isaïe : « Vos pensées ne sont pas mes pensées et mes voies ne sont pas vos voies […]. Haut le ciel au-dessus de la Terre aussi hautes sont mes voies au-dessus de vos voies, et mes pen-

1. Le titre de cette rencontre renvoie à de multiples essais déjà parus sur le prophétisme et la providence. Il manifeste tel quel une concep-tion plutôt théocentrique de l’histoire. Comment d’autre part conci-lier l’historiographie non chrétienne avec la perspective d’une intervention possible de Dieu dans l’histoire de toute l’humanité, voire de l’univers ? Dieu n’est-Il qu’un horloger ?

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sées au-dessus de vos pensées2. » La conclusion de saint Paul va dans le même sens : « Que ses décrets sont inson-dables et ses voies incompréhensibles3 ! » Jésus, qui en sait davantage, ne veut pas répondre à certaines questions qui lui sont posées sur la fi n de l’histoire humaine : « Quant à la date de ce jour ou à l’heure, personne ne les connaît, ni les anges dans le ciel, ou le Fils, personne que le Père4. » Pourtant, le même Jésus de Nazareth paraît sensible à une certaine vision globale de l’histoire quand il s’ex-plique aux disciples d’Emmaüs. « En commençant par Moïse et parcourant tous les prophètes, il leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait5. » Mais pas davantage. Son royaume n’est pas de ce monde. À propos de la fi n de notre histoire ici-bas, il estime qu’il convient d’attendre la suite avant de faire le point sur la double histoire entremêlée du bien et du mal6.

2. Isaïe 55, 8-9.3. Aux Romains 11, 33.4. Marc 13, 32.5. Luc 24, 27.6. Jean 18, 36 ; Matthieu 13, 36 et suivants.

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Chez les GrecsDieu intervient-Il dans l’histoire ? Nous ne serons pas les premiers ni les derniers à nous poser cette question qui appelle à sa manière une certaine théologie de l’his-toire7. Il fut un temps très ancien où l’on concluait tout simplement que si les dieux existent, ils sont indiff érents à nos misères. Un des penseurs grecs les plus célèbres, le philosophe Aristote (384 av. J.-C. – 322 av. J.-C.) termine son ouvrage le plus fondamental, la Métaphysique, en rap-pelant – et je résume ici la traduction autorisée de Félix Ravaisson8 – que Dieu ne descend point à gouverner les choses. C’est à la nature qu’appartient l’architectonique

7. La théologie de l’histoire connaît un certain moment d’attention grâce aux travaux de Hans Urs von Balthazar, Jean Daniélou et Henri Irénée Marrou. Mais comment espérer d’une historiographie nécessairement limitée dans ses récits des jugements théologiques valables pour tous ? Dès lors, la question des interventions de Dieu dans notre histoire demeurera toujours discutable sans nécessaire-ment obliger à des énoncés définitifs. Voir notamment Jean Daniélou, Essai sur le mystère de l’histoire, Paris, Seuil, 1953, réédité en 2011 aux Éditions du Cerf, et Henri Irénée Marrou, Th éologie de l’histoire, Paris, Seuil, 1968, réédité en 2006 aux Éditions du Cerf.8. Félix Ravaisson, Essai sur la « Métaphysique » d’Aristote, Paris, Imprimerie Royale, 1837-1846, tome 1, p. 594-595. Cet ouvrage a été réédité en 2007 aux Éditions du Cerf.

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du monde ; c’est elle qui dispose en vue du bien suprême dont elle est attitrée, qui fait sortir partout le meilleur du possible et qui répand partout, comme une providence vigilante, la proportion, l’harmonie et la beauté.

D’autres penseurs, certains historiens, grecs aussi, croient que l’historien ne devrait pas se contenter de raconter les faits mais devrait aussi en chercher le sens et les intentions9. Doit-on pour autant faire intervenir les dieux ? La conclusion du célèbre Polybe (v. 208 av. J.-C. – v. 126 av. J.-C.) mérite ce rappel :

Pour les événements dont il est impossible ou du moins très diffi cile à un homme de déterminer les causes, peut-être peut-on, dans cette incertitude, les attribuer à un dieu ou à la fortune… Nous sommes alors en droit, dans notre détresse, de nous conformer aux maximes de la sagesse populaire, c’est-à-dire de chercher à fl échir les dieux par nos prières ou nos sacrifi ces, d’envoyer demander à leurs oracles ce qu’il faut dire ou faire pour nous tirer d’embarras et conjurer le fl éau. Mais pour les événements dont nous pouvons discerner l’origine et la raison déterminante, je

9. Pour un court exposé sur l’interprétation de l’histoire dans l’anti-quité grecque et latine, voir Benoît Lacroix, L’Histoire dans l’anti-quité, Paris, Vrin, 1951, p. 236 et s.

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ne trouve pas qu’il soit nécessaire de les attribuer à une intervention divine10.

Voici que déjà, avant les historiens grecs, circule une sorte d’historiographie mixte dans laquelle se retrouvent, à diff érentes périodes de rédaction et avant notre ère sou-vent, des récits, des poèmes, des légendes, des décrets, de courtes notes biographiques de personnages plus impor-tants et parfois même des événements à composante cosmique. Cette histoire unique en son genre, qui débute par le récit épique de la création du monde, remonte au premier homme, à la première femme. Cette histoire universaliste en plusieurs sens s’imposera bientôt à toute la chrétienté tant orientale qu’occidentale. Certains de ses faits et de ses dates font encore partie du patrimoine religieux mondial. Par exemple, que notre calendrier débute avec la naissance du Christ. L’ère de l’Incarnation aujourd’hui encore s’impose à la chronologie courante.

L’historiographie chrétiennePour le fondateur attitré de l’historiographie chrétienne, le Grec Eusèbe de Césarée (v. 265 – v. 340), pas l’ombre

10. Polybe, Histoires, XXXVI, 17. Voir aussi Benoît Lacroix, L’Histoire dans l’antiquité…, op. cit., p. 93.

les conférences • 7 isbn 978-2-7621-3398-1

Dieu intervient-Il dans l’histoire ?

Dieu intervient-Il dans l’histoire�? Voilà une question qui a marqué pendant longtemps la réflexion théologique et qui a rebondi devant les grandes tragédies du XXe siècle. Que faisait Dieu�? Pourquoi un tel silence�? Dieu peut-Il changer le cours des choses�? Une question qui ne manque donc pas de pertinence et qui nous amène à réfl échir sur la notion de providence divine. Plusieurs, refusant un Dieu interventionniste, préfèrent aujourd’hui croire en un Dieu «� ordinaire�» qui respecte l’auto-nomie des réalités terrestres. D’autres trouvent une force parfois impressionnante dans leur foi en la providence. Dans un contexte de modernité où l’autonomie de l’individu est glorifi ée, quelle place reste-t-il pour la providence�? Pour nous aider à réfl échir sur cette question, le Centre culturel chrétien de Montréal a fait appel à deux théologiens et à un historien.

Le père Benoît Lacroix, o.p., est un historien spécialiste du Moyen Âge. Professeur émérite de l’Université de Montréal, il a enseigné un peu partout dans le monde et a produit de très nombreuses publications.

Le père Bruno Demers, o.p., est docteur en théologie de l’Institut Catholique de Paris. Il est professeur au Collège universitaire dominicain d’Ottawa et à l’Institut de pastorale des Dominicains de Montréal.

Jacques Lison est docteur en théologie de l’Université Louvain-la-Neuve. Il a enseigné au Collège dominicain d’Ottawa, pour ensuite entrer aux Éditions Novalis où il est actuellement directeur des revues religieuses et du célèbre Prions en Église.