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1 Dieu, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible Introduction « Le monde a été créé pour la gloire de Dieu » nous dit Vatican I. Il n’y a pas d’autre raison à la création que l’amour. En cette création se reflètent la gloire et l’honneur de Dieu. Louer Dieu ne consiste donc pas à applaudir Dieu. Après tout l’homme n’est pas un spectateur de l’œuvre créatrice. Louer Dieu signifie pour lui accepter, en union avec toute la création, sa propre existence avec gratitude. La question de la création a donné lieu et donne encore lieu à une double approche : - approche théologique qui part de la Révélation, de ce que Dieu dit sur la création. L’affirmation « Dieu a créé le monde » est une affirmation théologique dans laquelle il est question des relations du monde à Dieu. Dieu a voulu le monde, il l’accompagne et veut l’amener à son accomplissement. Les récits de la création ne sont donc pas une explication scientifique sur le début du monde ; - approche scientifique qui repose elle sur l’expérience, et regarde la création sous l’angle de la théorie de l’évolution (du latin evolutio, « action de dérouler un manuscrit »). Cette théorie empirique désigne la croissance des organismes vers leur forme définitive sur des millions d’années 1 . Pendant très longtemps ces deux approches étaient en conflit, ces deux savoirs n’étant pas au clair sur leur limites respectives, et prétendant que les réponses données par l’autre approche n’étaient pas correctes ou fondées. A présent chacun des partenaires sait davantage circonscrire l’objet de sa recherche, et donc reconnaître la validité d’une approche différente de la sienne. Cela n’empêche pas que périodiquement des débats surgissent à ce sujet, le rapport foi et science n’étant pas toujours aisé. En résumé, et pour faire simple ces deux savoirs ne répondent pas à la même question : la science répond à la question du « comment ? » - en l’espèce au « comment » de l’origine et de la succession des créatures dans l’espace-temps, question horizontale qui présuppose donc qu’il existe déjà quelque chose qui change et se développe. Elle n’a donc pas de réponse aux questions théologiques. Quant à la théologie, elle répond à la question du « pourquoi ? » - en l’espèce pourquoi et dans quel but quelque chose existe, qui est susceptible de changer et de se développer, question verticale de la cause et de la fin de la réalité. Elle n’a donc pas de réponse aux questions scientifiques. La théologie n’a pas de compétence scientifique, tout comme la science n’a pas de compétence théologique. Toutefois : 1 Oui à la théorie de l’évolution, non à l’évolutionnisme idéologique. De la même façon le créationnisme n’est pas acceptable prenant naïvement à la lettre les nombres et les dates cités par la Bible (l’âge de la terre par exemple, ou la création en six jours). Le créationnisme (du latin creatio, « création ») : est une théorie selon laquelle Dieu est intervenu à un moment précis directement et une fois pour toutes pour créer le monde selon la lettre du récit de la création du livre de la Genèse.

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1

Dieu, créateur du ciel et de la terre, de l’univers visible et invisible

Introduction

« Le monde a été créé pour la gloire de Dieu » nous dit Vatican I. Il n’y a pas d’autre raison à la

création que l’amour. En cette création se reflètent la gloire et l’honneur de Dieu. Louer Dieu ne

consiste donc pas à applaudir Dieu. Après tout l’homme n’est pas un spectateur de l’œuvre créatrice.

Louer Dieu signifie pour lui accepter, en union avec toute la création, sa propre existence avec

gratitude.

La question de la création a donné lieu et donne encore lieu à une double approche :

- approche théologique qui part de la Révélation, de ce que Dieu dit sur la création.

L’affirmation « Dieu a créé le monde » est une affirmation théologique dans laquelle il est

question des relations du monde à Dieu. Dieu a voulu le monde, il l’accompagne et veut

l’amener à son accomplissement. Les récits de la création ne sont donc pas une explication

scientifique sur le début du monde ;

- approche scientifique qui repose elle sur l’expérience, et regarde la création sous l’angle de

la théorie de l’évolution (du latin evolutio, « action de dérouler un manuscrit »). Cette théorie

empirique désigne la croissance des organismes vers leur forme définitive sur des millions

d’années1.

Pendant très longtemps ces deux approches étaient en conflit, ces deux savoirs n’étant pas au clair

sur leur limites respectives, et prétendant que les réponses données par l’autre approche n’étaient

pas correctes ou fondées. A présent chacun des partenaires sait davantage circonscrire l’objet de sa

recherche, et donc reconnaître la validité d’une approche différente de la sienne. Cela n’empêche

pas que périodiquement des débats surgissent à ce sujet, le rapport foi et science n’étant pas

toujours aisé.

En résumé, et pour faire simple ces deux savoirs ne répondent pas à la même question : la science

répond à la question du « comment ? » - en l’espèce au « comment » de l’origine et de la succession

des créatures dans l’espace-temps, question horizontale qui présuppose donc qu’il existe déjà

quelque chose qui change et se développe. Elle n’a donc pas de réponse aux questions théologiques.

Quant à la théologie, elle répond à la question du « pourquoi ? » - en l’espèce pourquoi et dans quel

but quelque chose existe, qui est susceptible de changer et de se développer, question verticale de la

cause et de la fin de la réalité. Elle n’a donc pas de réponse aux questions scientifiques.

La théologie n’a pas de compétence scientifique, tout comme la science n’a pas de compétence

théologique. Toutefois :

1 Oui à la théorie de l’évolution, non à l’évolutionnisme idéologique. De la même façon le créationnisme n’est pas acceptable prenant naïvement à la lettre les nombres et les dates cités par la Bible (l’âge de la terre par exemple, ou la création en six jours). Le créationnisme (du latin creatio, « création ») : est une théorie selon laquelle Dieu est intervenu à un moment précis directement et une fois pour toutes pour créer le monde selon la lettre du récit de la création du livre de la Genèse.

2

La science ne peut pas exclure catégoriquement l’existence d’une finalité dans les processus du

devenir de la création. Inversement la foi ne peut pas définir comment ces processus se réalisent

concrètement dans le flux évolutif de la nature. Un chrétien peut adhérer à la théorie scientifique de

l’évolution en tant que théorie explicative utile, dans la mesure où il ne tombe pas dans l’erreur

idéologique évolutionniste qui considère l’être humain comme produit d’un hasard de processus

biologiques. La théorie de l’évolution pose en préalable qu’il existe un « quelque chose » qui évolue,

mais ne dit rien sur le « d’où vient » ce quelque chose. On ne répond pas par le biais de la science aux

questions concernant l’existence, l’être, la dignité, la mission, le sens et le pourquoi du monde et des

hommes2.

En définitive ces deux savoirs ne se situent pas sur le même plan. Cependant il peut y avoir des

harmoniques entre eux. On peut dire que l’évolution ne concerne pas la création originelle, mais la

création historique ou ce qu’on appelle également la création continuée, c’est-à-dire la

transformation de la réalité déjà existante. Alors que la création originelle ne présuppose rien (c’est

une création ex nihilo), la création continuée présuppose le créé. L’évolution est pour ainsi dire la

dynamique interne au monde créé. Cette transformation a un lien avec la création : on peut dire en

effet que Dieu crée les choses de telles manières qu’elles soient capables de coopérer à leur propre

développement3.

La recherche scientifique nous invite donc à avoir une vision dynamique de la création, alors que l’on

est souvent habitué à en avoir une vision statique. On peut dire aussi que la création n’est pas encore

achevée, qu’elle n’a pas atteint son but : c’est pourquoi dans le dernier livre de la Bible Dieu

proclame « Voici que je fais toutes choses nouvelles » (Ap 21, 5) portant ainsi le monde à son

accomplissement. Par ailleurs, il est intéressant de remarquer que le verbe créer n’est pas utilisé

seulement pour désigner l’acte créateur originel. Il est également employé dans la Bible pour

évoquer la rénovation de l’univers (« Voici que je vais créer des cieux nouveaux et une terre

nouvelle », Is 65, 17, texte repris en Ap 21, 1), la naissance du peuple d’Israël (Is 43, 1 et 15), sa

conversion (Jr 31, 22), la rénovation du cœur de l’homme qui se réconcilie avec Dieu (« Crée en moi

un cœur pur » Ps 51, 12). Autrement dit, l’histoire du salut est une suite d’actes créateurs.

On abordera successivement la question de la création, puis celle du monde créé (ciel et terre,

univers visible et invisible).

1. La création dans la Bible

La question de la création n’est pas seulement traitée au livre de la Genèse, avec les deux récits qui

l’ouvre. Celle-ci est également évoquée dans le second livre d’Isaïe (40 - 55), dans les Psaumes (19,

29, 104, 136…) ainsi que dans les livres de Sagesse (Pr 8, 22-31 ; Si 16, 26 - 17, 14). Mais les

références fondamentales se trouvent dans les premiers chapitres de la Genèse.

Au sujet de l’acte créateur et de sa spécificité, le premier récit de la création utilise trois fois un verbe

particulier dont le sujet est toujours Dieu : c’est le verbe « créer », « bara ». Il indique une action qui

n’a pas d’analogue dans l’action humaine. Alors que ce que nous faisons suppose un processus, la

création ne demande aucune durée : « Il dit et cela fut » (efficacité souveraine de la Parole). Alors

2 Youcat, n° 42. 3 Selon le mot de Teilhard de Chardin « Dieu fait que les choses se fassent elles-mêmes ».

3

que les humaines produisent quelque chose à partir d’autre chose (ils transforment plus qu’ils ne

créent), l’acte créateur se déploie à partir de rien, d’où l’expression ex nihilo que l’on trouve dans un

texte tardif de la Bible (2 M 7, 28) et qui est devenue une expression technique. Cela signifie que

Dieu est le fondement exclusif du monde. Autrement dit le monde a été appelé à l’existence par la

volonté libre de Dieu. Selon l’expression d’un théologien ancien la création est due à un « excès de

bonté » de la part de Dieu. Mais il faut se dire aussi qu’une telle expression (création ex nihilo) est

une manière infirme d’exprimer quelque chose qui échappe à nos représentations.

a. Les deux récits de la création

Des récits à l’origine de l’humanité : ces deux récits nous placent à l’origine de l’humanité, au tout

premier temps, avant le péché originel. Ce temps est pour nous comme le négatif d’une

photographie, nous ne pouvons plus le voir directement à cause du péché. Mais la pureté du cœur

nous permet d’en discerner malgré tout quelque chose, un peu comme on devine imparfaitement

quelque chose d’un paysage à travers le négatif d’une photographie. Cela suppose qu’avec l’aide de

l’Esprit Saint, on aille au-delà des blessures, des blocages, des révoltes même, pour entrevoir quelque

chose de la splendeur du plan de Dieu aux origines, même si elle est irrémédiablement voilée par le

péché.

Date de ces récits : ces deux récits de la création, bien que placés en tête de la Bible, à son

commencement, ne sont pas ses textes les plus anciens :

- le premier récit (Gn 1, 1 à 2, 4) date du VIème siècle avant J-C. Il est appelé « élohiste », car

Dieu y est appelé « Elohim ». Il a sans doute été écrit durant l’Exil, période d’affrontement

aux cultes babyloniens. Il est l’œuvre de prêtres, d’où son nom de récit « sacerdotal », qui

voient la création dans le cadre liturgique de la semaine (solennité des 7 jours de la semaine

où Dieu crée par sa parole souverainement efficace) ;

- le second récit (Gn 2, 4-25) dit « yahviste », car Dieu y est désigné par « Yahvé », date du Xème

siècle avant J-C, il est donc plus ancien, plus archaïque, d’où ses anthropomorphismes. Il est

l’œuvre de sages qui cherchent à transmettre l’expérience religieuse d’Israël à d’autres

peuples de manière assimilable. De fait il évoque des réalités universelles de la condition

humaine : la relation au monde, le travail, la relation homme/femme, la vie et la mort.

Il y a donc deux récits de création, comme on peut approcher une même réalité selon différentes

modalités : de l’intérieur, de l’extérieur, d’une vue d’avion…Il s’agit de la réalité de la création

appréhendée sous deux angles différents et complémentaires : la parole (1er récit) et le geste (2ème

récit).

Historicité de ces récits : ces récits des origines ont-t-il une portée historique ? A cette question on

peut répondre à la fois oui et non :

- non, la Genèse n’est pas un livre historique au sens moderne de l’histoire comme

reconstitution des événements passés à partir de témoignages. Il n’y a pas eu de témoins de

la création du monde, pas plus que de la création du premier couple. Pas de témoin signifie

qu’il n’y a donc pas non plus de document relatant l’événement. Il faut attendre dans la

4

Genèse l’histoire d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le récit de la vie des Patriarches, pour voir

affleurer une tradition porteuse d’histoire au sens où nous l’avons définie ;

- oui, on peut dire que le début de la Genèse a une portée historique, en un sens ultime qui est

d’ordre métaphysique, c’est-à-dire qui touche à l’être, à la réalité même de l’événement par-

delà ses représentations symboliques. A travers les deux récits des commencements faits de

symboles, la Révélation nous donne d’atteindre, dans l’obscurité de la foi, la réalité nue de

l’événement de la création du monde, de la création du premier couple. Elle nous permet de

rejoindre le fait à travers les images d’un genre littéraire qui se nourrit des mythes des

traditions religieuses environnantes du Moyen-Orient, tout en les réaménageant

profondément en fonction de la Révélation à Israël du Dieu unique et créateur. Le mythe

fournit le « comment » du récit, mais à travers ce « comment », nous atteignons en vérité le

« quoi », l’événement réel de la création du monde et du premier couple.

Genre littéraire de ces récits : le genre littéraire utilisé dans ces récits est donc celui du symbole, du

mythe. La connaissance symbolique n’est-elle pas la plus primitive et, en même temps, la plus ultime

? Nous savons très bien que le langage scientifique, précis, logique, ne peut pas exprimer les choses

profondes du cœur ; dès qu’on aime on devient poète : on exprime son amour selon un langage

poétique bien plus que selon un langage logique (cf. les poèmes de saint Jean de La Croix, ou bien le

Cantique des Cantiques). Si Dieu veut nous faire comprendre tout l’amour qu’il a pour ses créatures,

pour l’homme et la femme qui sont son chef d’œuvre, il emploie ce mode poétique, symbolique. Ce

langage symbolique et mythique est un langage d’un symbolisme divin, on pourrait presque parler

d’un « mythe divin », en tant que l’Esprit Saint est l’auteur principal de ces récits. Autrement dit, il

faut comprendre, au-delà de la forme symbolique et mythique, que Dieu veut nous dire quelque

chose de vrai, qui échappe à toutes nos connaissances humaines : le savant, le philosophe, ne

pourront jamais nous dire comment l’homme et la femme sont apparus dans l’univers.

Sens de ces récits : que nous disent-ils dans leur globalité sur le sens de la création ? :

- que Dieu n’est pas seulement le Dieu d’Israël, mais celui de tous les peuples et du monde

entier. Les récits de création donnent donc une portée universelle à l’action de Dieu ;

- que le monde et l’humanité ne sont pas le produit d’un hasard ou d’un destin aveugle, mais

le fruit d’une volonté libre et gratuite de Dieu4. Ils disent que le monde ne sort pas comme

naturellement de Dieu (c’était la théorie de l’émanation), qu’il n’en est pas un prolongement,

mais qu’il est le fruit de sa Parole (donc d’un acte libre de Dieu) et qu’il a sa propre

consistance (il n’est pas absorbé en Dieu, mais il a sa propre autonomie, il a ses propres lois).

C’est le sens des diverses séparations qui jalonnent le premier récit de la création. Bien plus il

4 Les chrétiens croient pouvoir déchiffrer la création comme un manuscrit de Dieu. Aux scientifiques qui traitent de l’ensemble de l’univers comme procédant du hasard, sans aucun sens et sans but, Jean-Paul II a répliqué en 1958 : « Parler de hasard à propos d’un univers qui présente une organisation si complexe dans ses éléments et une finalité si merveilleuse dans sa vie signifie renoncer à chercher une explication au monde tel qu’il nous apparaît. En réalité, ceci équivaudrait à vouloir admettre des effets sans cause. Il s’agit d’une abdication de l’intelligence humaine, qui renoncerait ainsi à penser, à chercher une solution à ses problèmes ».

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faut dire que « la création est l’acte par lequel Dieu fait que les êtres se fassent eux-mêmes,

par eux-mêmes »5. Il nous a créés libres ;

- que nous ne nous sommes pas faits nous-mêmes, et que nous venons d’un Autre que nous

pouvons sans doute refuser, mais dont la question nous habitera toujours. A notre origine il y

a la gratuité d’un don sur lequel nous ne pouvons rien (question de l’adoration comme

exercice de la vertu de religion qui est sous-jacente) ;

- que la création voulue par Dieu est fondamentalement bonne (1er récit) et qu’il l’habite. Voilà

donc une invitation à ne pas mépriser ce monde sans pour autant tomber dans une vision

idyllique. Le second récit de la création montre que le jardin d’Eden n’est pas le paradis dont

nous rêvons parfois : il signifie que la terre est un don de Dieu, mais qu’elle est aussi lieu

d’épreuve par confrontation à la loi. Aussi si la création est bien le fruit d’une initiative

première de Dieu, celui-ci l’accompagne sur toute la trajectoire de sa destinée. Pour le dire

autrement, la création n’est pas un événement qui se situe dans la nuit des temps, mais un

événement toujours actuel qui se renouvelle à chaque instant et qui conduit vers un

accomplissement6.

- que toutes les créatures dépendent les unes des autres et existent les unes pour les autres ;

- que dans la création existe une hiérarchie : l’homme l’emporte sur l’animal, l’animal sur la

plante, la plante sur la matière inanimée.

b. Les particularités de chacun de ces récits

Premier récit de la création

Ce 1er récit de la création présente le Dieu transcendant, Tout-puissant, dont la Parole revêt une

souveraine efficacité. Dans ce 1er récit, c’est Dieu qui nomme les choses (cf. Gn 1, 10) : il est le

55 Joie de croire, joie de vivre, F. VARILLON, Centurion, p. 156 6 Une autre manière d’évoquer la spécificité de l’acte créateur c’est de remarquer l’expression « au

commencement » qui se trouve au début de la Genèse, et qui semble renvoyer au premier instant de

l’existence du monde est à comprendre non pas comme le commencement du temps (les premières minutes

de l’univers !), mais comme la condition préalable pour que quelque chose puisse se passer dans le temps.

Autrement dit la création est hors du cadre du temps et de l’espace. Mais c’est aussi une manière de dire que

ces récits des commencements n’ont pas d’abord pour objet de nous reporter à un début chronologique,

comme la science cherche à le faire. Selon une distinction parfois utilisée, la création concerne davantage la

question de l’origine que celle du commencement chronologique. Pour le dire autrement : « L’acte créateur

n’est pas un commencement chronologique mais ontologique, une dépendance radicale dans l’être (cf. saint

Thomas d’Aquin). Quand nous disons : Dieu crée le monde, nous ne disons pas qu’il l’a créé. Il ne faut jamais

mettre le verbe créer au passé. C’est maintenant que Dieu crée. L’acte créateur est le même maintenant qu’à

l’origine du monde, il est coextensif à toute l’histoire du monde » (Joie de croire, joie de vivre, F. VARILLON, p.

151).

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souverain maître de la Création. Il crée le cosmos avec solennité, selon un ordre de sagesse (1er jour,

2ème jour…) : depuis la lumière et les ténèbres jusqu’aux animaux ; puis la création s’achève dans la

venue de l’homme, véritable chef d’œuvre. On assiste à une « liturgie de la création », ponctuée par

la bonté de Dieu. Dieu est souverainement bon et la bonté ne demande qu’à se diffuser (le bien est «

diffusif de soi », selon l’expression de saint Augustin). Dieu crée :

- par séparation : on ne saurait trop souligner combien la différenciation, la séparation,

forment le cœur de la création telle que la Bible la connaît, jusqu’au Nouveau Testament. Ce

thème de la séparation revient comme un leitmotiv. De la séparation jaillit la relation ;

- en donnant des ordres exprimés par des impératifs : « Que la lumière soit ! » (Gn 1, 3) ; «

Que les eaux produisent en abondance des animaux vivants » (Gn 1, 20). En revanche, dès

qu’il crée l’homme au 6ème jour, il n’émet plus un ordre, mais se donne à lui-même un

conseil. Il parle à la première personne, s’engageant comme sujet dans une histoire d’amour.

Il ne dit pas : Que l’homme soit ! Mais : « Faisons l’homme à notre image, selon notre

ressemblance […] et qu’il domine sur tout l’univers » (Gn 1, 26).

Ce « faisons », 1ère personne du pluriel, a toujours été interprété – en tout premier lieu par saint

Augustin – comme un retour de Dieu sur sa propre intimité. Il désigne le pluriel de la Trinité des

personnes divines : c’est donc la Trinité divine tout entière qui est à l’œuvre dans la création de

l’homme et de la femme. Avec ce moment d’arrêt après la création de l’univers physique et la

communication de la vie aux diverses espèces de vivants, c’est comme si Dieu se mettait à « réfléchir

» un instant, tellement le passage de l’animal à l’homme est quelque de grand pour la sagesse de

Dieu.

A travers cette rupture dans la continuité de l’œuvre créatrice, Dieu veut nous faire comprendre

l’abîme qui existe entre la création de tous ces êtres vivants et son chef-d’œuvre qu’est la création

de l’homme. Cet abîme se constate à 2 niveaux :

- seul l’homme reçoit la capacité de maîtriser la terre et de la dominer. Ainsi, même si

l’homme et le monde sont créés ensemble, l’homme est créé très nettement au-dessus du

monde visible. Il n’est pas seulement supérieur selon un degré de perfection : il est présenté

comme radicalement différent de tout ce qui existait sur la terre avant lui ;

- seul l’homme est à créer à l’image et à la ressemblance de Dieu, à la différence de toutes les

autres créatures. Et surtout, il n’est fait état dans le texte d’aucune ressemblance de

l’homme avec les animaux.

Ainsi au centre du monde, « Dieu introduit non seulement une réalité de plus, mais le reflet même de

son propre visage dans une communion de personne à personne ». Dans la série des actes créateurs,

celui-ci se distingue de tous, puisqu’il introduit entre le créé et le Créateur une proximité unique, que

disent ici les mots « image » ou « ressemblance ».

Le thème de l’image : qu’est-ce qu’être créé à l’image de Dieu ? Dans la théologie scolastique, cette

expression a été pensée en lien avec la théologie trinitaire qui distingue les personnes divines en

fonction de leurs processions d’origine. Ainsi, le Fils procède comme Verbe d’un acte d’intelligence,

et l’Esprit Saint comme Amour, d’un acte de volonté. Dès lors dans les créatures douées de raison,

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qui ont intelligence et volonté, on trouve une image de la Trinité parce qu’on trouve en elles un

verbe qui est conçu et un amour qui procède. Ainsi l’homme est à l’image de Dieu de plusieurs

façons :

- en tant qu’il est capable de penser. Aristote définissait l’homme comme un « animal

raisonnable », c’est-à-dire doué de raison, d’intelligence. Cette intelligence revêt un double

exercice. Elle intervient au niveau :

o du facere de l’homme, dans sa capacité de dominer l’univers, de le transformer en

vue de l’achever (cf. Gn 1, 26 ; Psaume 8). L’activité du travail est vraiment une

activité de transformation (le bois devient statue), d’achèvement (le grain de blé

devient du pain ; le grain de raisin devient du vin) ;

o de l’agere de l’homme. L’intelligence permet aussi le service de la communion avec

le prochain. Elle est au service de l’amour, de cette activité éthique de l’homme qui

mobilise tout son cœur. De fait, tout lien affectif implique dans sa genèse comme

dans sa croissance la coopération de l’intelligence et de l’amour (la volonté). On dit

de la connaissance qu’elle est condition sine qua non de l’amour, en ce sens qu’on ne

peut aimer autrui sans le connaître préalablement, plus ou moins succinctement. De

même, il ne peut y avoir de communication profonde, de vrai lien spirituel sans une

participation de l’intelligence. Le choix amical passe nécessairement par la

délibération puis la décision, actes proprement intellectuels.

- en tant qu’il est capable d’aimer. « L’homme est un animal social » disait encore Aristote, il

est capable de se mettre en relation avec autrui, et c’est d’ailleurs cette relation qui fait son

bonheur (« Je est un autre » disait Rimbaud). Il est fait pour la communion, tout comme Dieu

qui, dans son être trinitaire, est un être de communion. La personne advient comme

personne humaine quand elle se lie à l’autre (cf. le thème de la reconnaissance tant

développé par Paul Ricœur dans son double champ sémantique : reconnaissance par rapport

à soi-même, reconnaissance par rapport à l’ami) ;

- en tant qu’il implique du masculin et du féminin et que cette bipolarité, cette altérité est

source d’échange, de rencontre en vue de la communion. De fait, l’humanité est

immédiatement déclarée 2. En un raccourci génial, le texte dit presque simultanément (la

limite à la simultanéité étant dans la loi de succession du langage) l’unité et le duel, par

lequel la relation advient. Le verset 27 joue avec audace sur le singulier et le pluriel : « A

l’image de Dieu il le créa ; mâle et femelle il les créa ». A l’instant même où l’humanité surgit,

elle porte cette césure intérieure entre masculin et féminin. Elle est une en étant l’un et

l’autre, l’un avec l’autre. C’est là une structure fondamentale de l’humain qui, au terme du

6ème jour, est déclarée très bonne.

Toutefois, comment comprendre en Dieu du masculin et du féminin si l’homme, dans sa bipolarité

masculine et féminine, est créé à l’image de Dieu ? Le Dieu de la Révélation a comme caractéristique

d’être absolument étranger à la sexualité parce qu’il est le Vivant, transcendant absolument l’ordre

du cosmos et sa vie transitive, qui va de la génération à la mort. A la différence des divinités

païennes, le Dieu de la Révélation biblique n’a pas de sexe, il ne comporte pas de bipolarité sexuelle

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dans l’intimité de son être. Toutefois Dieu n’hésite pas à se présenter et à se comporter comme

l’Epoux de l’humanité qu’il crée (cf. Osée ; Cantique des Cantiques ; le mystère de Jésus), comme un

Père, ou encore comme une Mère pleine de tendresse pour ses enfants. La parabole de l’enfant

prodigue unit magnifiquement la paternité – le don de la part d’héritage – et la maternité divines

(l’accueil du fils perdu avec la tendresse d’une mère (cf. le tableau de Rembrandt et son

commentaire par le père Baudiquey : main masculine, trapue ; main féminine, fine et élégante). En

réalité l’être même de Dieu implique le don et la réception inhérents à l’amour, même si Dieu est au-

delà de la différence homme/femme, puisqu’il n’a pas de sexe.

En utilisant la formule « Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance » (Gn 1, 26),

l’auteur du livre de la Genèse cherche à montrer à la fois ce qui rapproche la créature humaine de

son Créateur, et ce qui l’en distingue. Il souligne simultanément la proximité qui les unit, et la

distance qui les sépare. L’image n’est pas identique à son modèle et ne doit pas être confondue avec

lui : l’homme n’est pas Dieu, et rien en lui n’est par essence divin.

Aussi dans le NT le Christ est désigné comme « l’image de Dieu » (2 Cor 4, 4 ; Col 1, 15). Les Pères de

l’Eglise ont inséré ici une observation linguistique intéressante. Ils disent : du Christ seul, il nous est

enseigné qu’il est « l’image de Dieu » ; l’homme, au contraire, n’est pas l’image de Dieu, mais à

l’image, créé à l’image, selon l’image. Il devient image de Dieu dans la mesure où il entre en

communion avec le Christ et se conforme à lui. En d’autres termes, l’image originaire de l’homme

qui, à son tour, représente l’image de Dieu, c’est le Christ, et l’homme est créé à partir de son image,

sur son image. On retrouve cette conception en 1 Cor 15, 49, en 2 Cor 4, 6, ou encore en Rm 8, 29 où

les hommes sont prédestinés « à reproduire l’image de son Fils, afin qu’il soit l’aîné d’une multitude

de frères ».

C’est tout le travail de la divinisation, du passage du premier Adam au nouvel Adam, qui ne se fait

pas sans obstacles (le mystère de la croix) : ou bien l’homme s’achemine vers le Christ ou il s’en

éloigne. Il se rapproche de son image originelle, ou il l’esquive, voire la défigure. De fait, l’image

divine est connexe à l’essence humaine en tant que telle, et il n’est pas au pouvoir de l’homme de la

détruire. Mais ce que l’homme peut certainement faire, c’est défigurer cette image, être en

contradiction intérieure avec elle. Le théologien d’Innsbruck, F. Lakner, a exprimé avec bonheur

cette conception dynamique de la ressemblance divine chez l’homme, caractéristique du NT, de la

manière suivante : « Etre à l’image de Dieu pour l’homme se fonde sur la prédestination à la filiation

divine à travers l’incorporation mystique en Christ » ; être à l’image est donc une fin inhérente à

l’homme, dès la création « vers Dieu, au moyen de la participation à la vie divine en Christ ».Le

premier récit est beaucoup plus parfait du point de vue de l’ordre. Dieu sépare les divers éléments

pour que chaque chose soit à sa place. Le monde apparaît comme une réalité ordonnée, fruit d’une

sagesse divine toute puissante, dont la Parole est d’une efficacité redoutable. L’homme est créé à

l’image et à la ressemblance de Dieu. Il se situe au sommet de la création, tout l’univers physique lui

étant soumis.

Le second récit de la création

Le second récit exprime beaucoup plus l’amour de Dieu. Dieu crée certes par sagesse (1er récit) mais

surtout par amour (2ème récit). On peut même dire que Dieu crée par amour, et cet amour implique

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toute une réflexion, une vision de sagesse. On voit très nettement dans le second récit une intimité

beaucoup plus grande. Il nous montre d’abord le geste d’un Dieu à figure humaine façonnant le corps

de l’homme – le geste du modeleur, du potier, de l’artisan (Gn 2, 7) – puis celui de la femme, à partir

de la côte de l’homme – le geste du chirurgien (Gn 2, 21-22) – tout cela pour nous révéler la

proximité de Dieu avec l’homme. C’est comme si par la matière, par le corps, Dieu voulait montrer sa

proximité : un artiste, un potier est proche de l’argile qu’il façonne ; en quelque sorte, le potier se

prolonge dans cette argile. Le corps de l’homme est bon puisque pétri par Dieu, selon ses intentions

profondes. Aussi ce second récit présente l’homme comme un être de relation : avec la terre dont il

est tiré ; avec les animaux qu’il nomme (signe d’autorité, de maîtrise) ; avec la femme ; avec Dieu.

Ce récit s’ouvre avec la création de l’homme tiré de la glaise, du limon de la terre. Il s’agit à nouveau,

comme dans le 1er récit, de l’homme au sens générique, l’humanité en général, sans mention de sexe

(ha Adam). Ce 2ème récit est dominé par le geste au travers duquel Dieu se montre infiniment proche

de sa créature :

- geste du modeleur, du potier, de l’artisan pour Adam : Adam sort des mains d’un Dieu potier

qui, l’ayant modelé, lui communique son souffle. Dieu prend figure humaine ;

- geste du chirurgien pour Eve : Eve est tirée du côté d’Adam, c’est-à-dire du lieu de la

respiration et du cœur.

La création se présente comme entièrement relative à l’homme : elle est faite pour l’homme, elle lui

est entièrement destinée. Néanmoins cette création ne comble pas la solitude originelle de l’homme.

Cet homme « dont il n’est pas bon qu’il soit seul », cet homme qui connaît la solitude des origines et

en est atteint dans son être, n’est encore ni masculin, ni féminin puisque la distinction sexuelle

n’apparaîtra qu’après la création de la femme.

L’homme en proie à la solitude

L’individu isolé porte un manque. Il ne peut pas s’accomplir dans l’indépendance. A la différence du

rêve païen d’un premier être humain androgyne, qui aurait combiné en lui les traits de l’homme et

de la femme, à la différence de ce que dit encore aujourd’hui tout un courant gnostique, Dieu dit au

début de la Genèse : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul, il faut que je lui donne une aide qui lui

soit assortie » (Gn 2, 18). Cette exclamation de Dieu révèle sa souveraine bonté. Il s’inquiète de la

solitude de l’homme.

Pour combler cette solitude Dieu va dans un premier temps faire défiler devant l’homme tous les

animaux, en lui donnant la capacité de les nommer. L’homme est ainsi révélé comme ayant une

connaissance parfaite de la nature, car on ne peut nommer que ce que l’on connaît. Si l’homme est

appelé à nommer chacun des animaux, cela veut dire qu’il a une connaissance de l’intimité, de

l’essence même de chaque être, et donc de la totalité de la nature dans l’intimité de son être. C’est

parce qu’il avait cette parfaite connaissance de la création attestée par le fait qu’il était capable de

nommer chaque être que l’homme, dans l’état d’innocence originelle, avait le pouvoir de dominer et

de gouverner la création. Le péché nous a fait perdre ce pouvoir dans une mesure considérable.

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Mais ce n’est pas auprès des animaux que l’homme peut trouver un partenaire « qui lui soit assorti »

(Gn 2, 20). Il ne trouve pas son « équivalent » parmi les animaux, aucun être qui soit comme lui une

personne à qui il puisse se donner, réalisant ainsi la vocation de toute personne. Ceci manifeste

symboliquement qu’aussi soit grande la domination de l’homme sur la créature, celle-ci, fruit de son

travail, ne peut en rien combler son cœur. Il a besoin de la relation avec son semblable pour sortir de

son marasme intérieur.

Cette solitude est tout à la fois à l’égard de la femme qui n’existe pas encore, et par rapport à Dieu

qui ne peut être l’objet de cette relation de don réciproque parce que, même si Dieu est un Être

personnel, il n’est pas « proportionné », il n’est pas « assorti » à l’homme, il ne peut être pour

l’homme un alter ego. L’expérience de la solitude fait ainsi naître dans la conscience humaine une

soif de se donner et en même temps une souffrance de ne pouvoir assouvir cette soif. Se découvrir

seul creuse en lui le besoin et l’aspiration profonde de son être au don de lui-même à une autre

personne semblable à lui.

La souffrance de ne trouver personne à qui se donner se double d’une sorte d’angoisse existentielle,

car le fait de découvrir qu’il est seul dans la nature à être une personne est d’une certaine manière

terrifiant. Il faut bien comprendre en quelque sorte « de l’intérieur » ce sentiment qui envahit le

cœur de l’Adam. Il découvre qu’il est une personne dont l’accomplissement consiste à se donner à

une autre personne et dans tous les êtres de la création qu’il connaît pourtant à l’intime de ce qu’ils

sont, il ne découvre aucun autre être personnel capable de recevoir le don de lui-même. Il s’agit donc

d’une solitude radicale, totale, qui n’est pas seulement de nature affective et sensible, mais qui se

situe au plan même de l’être : une solitude ontologique terrifiante et angoissante. Et c’est pourquoi

le texte met dans la bouche de Yahvé les paroles : « Il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Comme

nous le montre le précédent récit de la création, tous les actes créateurs de Dieu sont bénis (« Et

Dieu vit que cela était bon »), mais la bénédiction sur l’ensemble de la création n’est affirmée

qu’après la création de la femme. La bénédiction est alors totale : « Dieu vit tout ce qu’il avait fait :

cela était très bon ».

L’homme jeté dans un sommeil mystérieux

Dieu intervient durant le sommeil de l’homme. Pourquoi ce sommeil ? Plusieurs significations :

- Dieu veut soustraire la création de la femme au regard de l’homme, pour faire comprendre à

ce dernier que la femme doit rester pour lui un mystère, autant que sa vie propre. L’homme

ne peut en rien prétendre une domination sur la femme sous le prétexte qu’elle serait créée

après lui. La femme doit rester un mystère pour l’homme et réciproquement ;

- La torpeur va souvent de pair, dans la Bible, avec des gestes importants de Dieu ou avec des

moments décisifs de la Révélation. Elle est le signe d’une intervention radicale visant à créer

une alliance entre Dieu et l’homme. Cette initiative divine appelle en retour, de la part de

l’homme, une réponse conforme à sa vocation. C’est ce qui se passe par exemple au moment

de la passation de l’Alliance entre Yahvé et Abram qui deviendra Abraham A chaque fois, on

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a une intervention divine pour passer une alliance avec l’homme, et cette intervention divine

demande une réponse libre. L’enjeu de la réponse est tel qu’il engendre un effroi existentiel.

Pour l’Adam, l’enjeu c’est l’alliance de la création ; pour Abram, c’est l’enjeu de l’alliance

avec le peuple élu.

Le sommeil de l’Adam est donc un moment crucial en ce qu’il va engager toute l’histoire de

l’humanité. Le moment de cette torpeur, c’est le moment le plus solennel de toute la création, c’est

le moment où va se réaliser l’alliance radicale entre Dieu et l’homme par la création. Jusqu’alors elle

n’est pas encore réalisée : l’homme n’est pas encore complètement image de Dieu. Il ne le sera

qu’avec la création de la femme.

Le geste du chirurgien

Ce geste du chirurgien qu’opère Dieu en ouvrant la côte d’Adam pour former la femme appelle

plusieurs remarques :

- cette scène est d’abord manière de déclarer qu’hommes et femmes sont faits de la même

matière première, partagent la même texture. Cela exprime l’homogénéité ontologique

totale, au plan de leur être, de l’un et de l’autre : la femme est de la même humanité que

l’homme. La Bible nous signifie par-là l’égale dignité entre l’homme et la femme. Ils sont côte

à côte, partenaires dans l’alliance à parts égales, cohéritiers l’un et l’autre de la grâce (cf. 1 P

3, 7) ;

- faits de la même matière, ils sont néanmoins différents. Il faut conjuguer la diversité dans

l’unité. Ainsi la femme est nommée isha, parce qu’elle est tirée du ish, de l’homme, ce qu’on

ne peut percevoir dans le texte français, en particulier dans la suite du texte, quand l’Adam,

devenu à partir de ce moment-là Adam, dit : « Celle-ci sera appelée femme, car elle fut tirée

de l’homme celle-ci ! » (Gn 2, 23). En hébreu c’est clair : isha est tirée de ish, même

étymologiquement. Identiques ils sont néanmoins autres : l’homme vient de la glaise ; la

femme de la côte de l’homme. C’est dans l’espace de leur différence que la parole va se

loger, la relation se construire, la rencontre s’opérer.

La femme comme « aide » de l’homme

Ce vis-à-vis, dont l’homme a tant besoin pour combler sa solitude, est désigné en hébreu par le

terme d’ezer, que l’on traduit en français par « aide ». Tel que nous l’entendons, il semble assigner à

la femme le rôle d’une auxiliaire vouée à servir l’homme. Ainsi conforte-t-il l’interprétation

spontanée d’un texte où, à s’en tenir à l’ordre de la narration, il est indiscutable que la femme vient

en second. Pourtant le mot ezer, bien compris, ne soutient pas cette perspective. L’examen de ses

occurrences bibliques montre qu’il apparaît dans des contextes spécifiques, essentiellement de type

liturgique, où il sert à désigner le secours que Dieu donne dans des situations de détresse, quand

l’homme est aux prises avec un danger qui menace la vie. Il a donc rapport aux frontières de la vie et

de la mort, et sert à nommer un secours personnalisé.

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Ainsi déclarer la femme comme ezer revient bien plutôt à l’identifier comme celle qui a la capacité de

rompre l’enfermement de la solitude à laquelle les animaux sont impropres à arracher l’Adam. La

femme est celle qui permet à celui-ci de sortir d’un tête avec lui-même, que nous dirions en langage

moderne, mortellement narcissique. Par le face-à-face de l’un avec l’autre, l’humanité entre en fait

dans la dynamique de la vie. On est loin d’une tradition qui ne connaîtrait la femme que comme

utilité biologique, créée pour assurer l’avenir de l’humanité à travers une descendance. Bien plus

radicalement, elle est celle qui permet à la vie d’Adam d’avoir un avenir.

C’est d’ailleurs ce à quoi nous assistons, lorsque nous voyons la parole naître à l’instant où Dieu

présente l’un à l’autre l’homme et la femme. Le jaillissement de la parole coïncide avec le premier

face-à-face de l’homme avec la femme que Dieu lui présente (cf. Gn 2, 23). Cette première parole de

l’homme, en sa première expression vive est riche de sens :

- Adam reconnaît sa proximité avec la nouvelle venue : « Pour le coup, c’est l’os de mes os et

la chair de ma chair » (Gn 2, 23) ;

- Il dit son émerveillement pour cette « même » qui n’est pourtant pas lui-même.

L’os de mes os, la chair de ma chair

La vision de l’homme chez les Hébreux n’est pas du tout celle que nous avons héritée dans notre

tradition gréco-romaine. Il n’y a pas chez eux de distinction radicale entre l’âme et le corps : les os

expriment l’essence même de l’être humain. Il faut donc comprendre l’expression « l’os de mes os »

comme « l’être de mon être ». Quand le premier mâle, que l’on peut alors prénommer Adam, dit de

la femme devant lui « l’os de mes os », il dit « l’être de mon être ». De même pour l’expression «

chair de ma chair ». Car chez les Hébreux, le corps, la chair, exprime la personnalité tout entière. Par

conséquent, c’est l’être de mon être, la personne de ma personne, mon alter ego, mon autre moi.

Cela provoque cette exultation chez le premier homme parce que, découvrant après l’expérience

douloureuse de l’angoisse existentielle de la solitude, un autre lui-même, il va pouvoir enfin se

donner et par conséquent réaliser sa vocation de personne. Mais c’est à travers la découverte du

corps et la possibilité de communion de par le corps que s’établit cette exultation.

L’une seule chair

L’acte sexuel est ce qui permet à l’homme le dépassement de la solitude humaine inhérente à la

constitution de son corps. C’est dans l’acte sexuel qu’ils deviennent une seule chair. L’acte sexuel est

l’expression de cette communion. Lorsque l’homme et la femme, dans cet état de pureté et

d’innocence originelle qui nous est à tout jamais inaccessible, se donnent totalement dans la joie de

la fusion et de la communion des corps, ils sont image de Dieu. C’est seulement quand ils deviennent

une seule chair que la création est achevée et que l’image de Dieu est totalement inscrite, incarnée

dans la matière. Nous avons trop tendance à croire spontanément que l’homme est image de Dieu

en ce qu’il est doté d’un « esprit », d’une âme spirituelle qui le rend semblable à Dieu qui, lui, est pur

esprit. En réalité l’homme et la femme sont surtout image de Dieu en tant que personnes appelées à

la communion.

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L’altérité dans la différence des sexes

Le couple est constitué par la différence des sexes. Cette différence, contrairement à ce qui a pu être

affirmé, n’est pas qu’une « petite différence » d’ordre purement anatomique. Ce n’est pas une

question de conventions purement culturelles, moins encore une question de goûts livrés à notre

libre choix : on ne choisit pas un partenaire de l’autre sexe ou de son propre sexe au gré de son

penchant, comme on choisit une personne blonde ou brune. L’homme et la femme, personnes de

dignité égale, ne sont pas purement et simplement interchangeables parce que l’expression de tout

leur être est marquée à des degrés divers par la différence sexuelle.

Si l’on porte un regard d’ordre génétique, il y a infiniment plus de différences entre un homme et une

femme blancs, par exemple, qu’entre une personne blanche et une personne d’une autre couleur. Ce

que nous appelons par abus de langage les « races humaines » ne reposent que sur des variations

minimes qui ne touchent qu’à quelques gènes commandant la couleur de la peau ou tel trait

corporel. Tandis que la différence sexuelle est inscrite dans notre être par un chromosome qui se

retrouve dans chacune de nos cellules. Cependant, et c’est la merveille, cette différence ne rend pas

l’homme et la femme étrangers l’un à l’autre, comme les animaux d’espèces différentes. Au

contraire, cette différence génétique est tout entière destinée à rendre féconde l’union de l’homme

et de la femme, non seulement dans l’ordre biologique, mais aussi dans le domaine de la psychologie

et du comportement humain.

2. Le monde créé : le ciel et la terre, l’univers visible et invisible

Le Symbole des Apôtres précise que Dieu est créateur « du ciel et de la terre ». Cette expression

revient maintes fois dans la Bible, à commencer par le 1er récit de la Genèse (1, 1 ; 2, 1 et 4), mais en

bien d’autres passages (Gn 14, 19 et 22 ; Ex 20, 11 ; 31, 17 ; Is 37, 16 ; Ps 115, 15 ; 121, 2 ; 124, 8 ; Ac

4, 24 ; Col 1, 16). Le sens le plus évident de cette expression est de désigner l’ensemble de la réalité,

la totalité du monde créé. Le Symbole de Nicée-Constantinople ajoute une autre expression à deux

volets : « de l’univers visible et invisible ». Cette expression provient de l’épître aux Colossiens (1,

16). Elle aussi renvoie à une totalité, mais d’une autre manière. Alors que « le ciel et la terre »

désignent la totalité sous l’angle spatial (en-haut, le ciel, et ici-bas, la terre), la seconde expression

évoque plutôt l’opposition entre l’univers matériel (visible) et l’univers spirituel (invisible). A propos

de cet invisible l’épître aux Colossiens poursuit en énumérant « Trônes, Seigneuries, Principautés,

Puissances », énumération qui peut nous laisser un peu perplexe !

Que Dieu soit le créateur du ciel et de la terre signifie deux choses :

- d’une part il n’y a qu’un seul créateur : dans certaines mythologies le monde est le fruit

d’une lutte entre les dieux ;

- d’autre part, tout ce qui existe est créé : il n’y a pas d’êtres qui seraient des dieux inférieurs,

comme les anges ou les démons ;

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Ceci dit à quoi donc renvoient ces deux binômes, ces deux ordres de réalité qui ont en commun

d’être créés ?

a. La terre

Commençons par ce qui semble le plus évident. La terre c’est l’ensemble du monde matériel et,

peut-on ajouter, l’espace vital et le support de l’existence humaine. Elle est confiée aux humains,

comme il l’est dit du jardin d’Eden, « pour le cultiver et le garder » (Gn 2, 15) :

- le cultiver, c’est en retirer des produits ;

- le garder c’est en prendre soin.

L’attitude responsable de l’homme à l’égard de la terre, selon la Bible, ne se résume pas à

l’exploitation, comme on le dit parfois. Cela implique qu’il la sauvegarde pour reprendre un terme

écologique. Cette terre est l’objet de louange et d’action de grâce, comme en témoignent de

nombreux psaumes qui évoquent les beautés de la nature (Ps 8, 29, 93, 104). Dans la Bible il n’y a

donc aucun mépris du monde, ni dépréciation de ce qui est matériel, contrairement à certaines

sagesses. Ce monde matériel n’est pas le résultat de la chute d’un monde spirituel qui serait plus pur.

Il sort des mains du créateur, et est aimé de Dieu qui ira jusqu’à s’incarner dans ce monde en son Fils

Eternel.

Aussi ce monde, même s’il est périssable, n’est pas appelé au néant. Ce n’est pas seulement

l’ensemble des humains qui est appelé à une vie nouvelle, c’est l’ensemble du cosmos qui connaîtra

une transfiguration. Paul ne craint pas d’évoquer « toute la création qui gémit en travail

d’enfantement » car elle aussi « aspire à la révélation des fils de Dieu » (Rm 8, 19-22). Souvent nous

avons un point de vue anthropocentrique, qui considère les humains comme s’ils n’avaient aucun

lien avec le monde : or nous sommes faits de la substance même du monde (Adam veut dire le

« terreux ») et notre destinée n’est pas séparable de la sienne. Ce n’est pas pour rien que les

sacrements utilisent la matière de ce monde (eau, huile, pain et vin) : la matière peut être porteuse

de signification pour le salut.

b. Le ciel

Pour nous modernes le ciel est essentiellement le firmament visible avec le soleil, la lune et les

étoiles. Autrement dit il fait partie du monde matériel. Quand le Credo parle du ciel, ce n’est pas cet

aspect-là qui l’intéresse, même s’il n’est pas négligeable. Il en parle en un sens symbolique, comme le

domaine de la réalité inaccessible et inconnaissable. Cette approche symbolique du ciel on en

mesure toute la portée si l’on essaie d’imaginer ce que serait un monde sans ciel. D’après Moltmann

« ce serait un monde qui ne serait pas ouvert vers le haut et vers Dieu […] Un tel monde serait un

système clos reposant sur lui-même et tournant sur lui-même »7. Un monde sans ciel serait un

monde où triompherait le pur fonctionnel (on se poserait la question du « comment ? » sans jamais

aller du côté du « pourquoi ? »). N’est-ce pas un peu ce que vit parfois notre monde ? Si nous

7 J. MOLTMANN, op. cit., p. 213.

15

perdons le ciel, c’est-à dire la relation à l’imprenable, à l’insaisissable, notre monde se ferme sur lui-

même et ne prend en compte que ce que nos savoirs et nos pouvoirs peuvent maîtriser (ou en tout

cas espèrent maîtriser un jour). En définitive le ciel rend notre monde respirable en ne le réduisant

pas à sa dimension matérielle et fonctionnelle.

En théologie chrétienne le ciel est le lieu propre de Dieu, la demeure des anges et des saints, et le

point d’aboutissement de la création. Le ciel n’est pas un endroit précis de l’univers. Il est un état

dans l’au-delà. Le ciel est là où Dieu exerce sa volonté sans aucune résistance. Il y a ciel là où la vie

est la plus intense et la plus heureuse possible, une vie comme n’en existe pas sur terre. En définitive

le ciel est le lieu propre de Dieu, celui où il habite (ex. « Notre Père, qui es aux cieux »). Il faut se

rappeler à ce sujet que l’on ne peut parler du monde de Dieu qu’avec nos catégories de l’espace (le

ciel) et du temps (l’éternité). Mais le ciel, comme lieu de Dieu, n’est pas localisable. Le ciel est

toujours désigné comme se trouvant « là-haut » : c’est une manière de dire la transcendance de

Dieu, de dire qu’il n’est pas un élément de ce monde (comme l’affirme le panthéisme), mais qu’il est

différent de lui et qu’il le dépasse par sa grandeur.

Au ciel il y a non seulement Dieu, mais toutes les créatures invisibles, créatures spirituelles que l’on

classe en deux catégories : les anges et les démons. Les anges sont des créatures purement

spirituelles de Dieu qui possèdent intelligence et volonté. Ce ne sont pas des êtres corporels, ils sont

immortels et ne sont pas visibles habituellement. Vivant toujours en présence de Dieu, ils

communiquent aux hommes la volonté de Dieu et la protection de Dieu.

Les anges connaissent un sort très curieux de nos jours puisqu’on est devenu très discret à leur sujet

dans l’Eglise, mais qu’ils sont au contraire très présents dans les courants du New Age. Ils y sont

l’objet de nombreuses publications. La conjonction de ces deux phénomènes est une invitation à la

sobriété. Là aussi il faut se rappeler que nous parlons de réalités qui dépassent notre expérience et

se trouvent hors de nos catégories de temps et d’espace. Toute représentation est donc inadéquate,

à plus forte raison les spéculations sur le nombre, leur nature et les distinctions que l’on peut faire

entre eux, ce qu’on appelle « le chœur des anges » : trônes, dominations, anges, archanges… ;

sobriété également quant à la manière d’évoquer leur action, alors que des livres entiers y sont

consacrés.

Le sens étymologique du mot « ange » est « messager » ou « envoyé » : un ange est un envoyé de

Dieu auprès des hommes pour leur transmettre un message ou les réconforter. L’épître aux Hébreux

les définit comme « des esprits remplissant des fonctions et envoyés en service pour le bien de ceux

qui doivent recevoir en héritage le salut » (He 1, 14). C’est pourquoi leur fonction est seconde pour

les chrétiens puisqu’ils croient en celui qui est l’envoyé par excellence, Jésus-Christ. Dans la

hiérarchie des vérités ils n’ont pas la même place que le Christ, à propos duquel le Nouveau

Testament affirme même qu’ils lui sont soumis.

En même temps, leur existence est pleine de sens. Elle nous rappelle d’abord que « la réalité est plus

vaste et plus profonde qu’un rationalisme étriqué ne le soupçonne » ; sans eux « il manquerait à la

création quelque chose de sa plénitude et de sa perfection »8 et que les artistes savent évoquer à

leur manière. Le réel ne se réduit pas au visible. Par ailleurs, leur existence est attestée à de multiples

reprises dans l’Ecriture (qui en a repris l’idée à la mythologie perse, et qui est plus sobre à leur égard

8 Evêques allemands, p. 107.

16

que les écrits de tradition juive, mais non intégrés au Canon biblique). Quant à la liturgie elle leur fait

place aussi bien en les mentionnant dans les prières (Confiteor, Sanctus…) qu’en célébrant certaines

fêtes (saint Michel, saint Gabriel, saint Raphaël, saints anges gardiens). A cet égard il faut se rappeler

que la manière de prier de l’Eglise est une ferme indication sur la manière de croire (Lex orandi, lex

credendi ; la loi de la prière commande la loi de la foi).

On peut faire le même genre de remarques au sujet des démons : l’Eglise maintient une grande

sobriété à leur égard par comparaison avec certains courants culturels qui font parfois la une des

médias (cultes sataniques, profanateurs…). Elle est également très sobre dans son enseignement en

comparaison avec certaines représentations artistiques qui rivalisent d’imagination pour évoquer ces

êtres monstrueux que sont les démons. En même temps elle affirme leur existence devant certaines

négations contemporaines. Par exemple elle a rétabli la fonction d’exorcistes ; mais il faut savoir que

ceux-ci sont très prudents devant les phénomènes dits de possession, dont beaucoup relèvent de

troubles psychiatriques. Il est significatif qu’un aspect important de la mission de Jésus soit un

combat contre Satan et consiste à délivrer les personnes de l’emprise des démons.

L’existence du démon renvoie à une expérience du mal antérieure à l’homme. Comme l’écrivent les

évêques allemands « l’existence du mal, de la méchanceté, d’un principe destructeur, pervers,

monstrueux, absurde et finalement diabolique, est un fait d’expérience, tout comme le sentiment

que ce mal n’est pas seulement une conséquence de la liberté humaine, mais possède une

dimension cosmique ». Selon la foi de l’Eglise, celui que la Bible désigne de plusieurs manières

(l’adversaire, le diable, Lucifer, Satan, le tentateur…) n’est pas une divinité mauvaise (comme s’il y

avait deux principes, l’un bon qui serait Dieu, et l’autre mauvais, qui serait Satan, comme dans le

manichéisme), mais un être créé bon par Dieu, qui s’est perverti. Cette perversion réside dans le

refus d’accepter le dessein du Créateur. Ce dessein prévoit non seulement l’existence de créatures

spirituelles invisibles capables de Dieu, les anges, mais aussi l’existence de créatures spirituelles

visibles, à l’image et à la ressemblance de Dieu, plus imparfaites du côté de la corruptibilités de leurs

corps, mais ayant la capacité d’engendre, de se reproduire, de se prolonger dans un autre. Le péché

de Satan réside dans cette non acceptation, cette jalousie à l’égard de l’existence de l’homme et de

la fécondité qu’il peut avoir.

Mais le Christ annonce la victoire définitive sur le mal et les forces du mal. Comme l’écrit saint Paul

aux Colossiens, « il a dépouillé les Principautés et les Puissances, et les a données en spectacle à la

face du monde, en les traînant dans son cortège triomphal » (Col 2, 15). Quant au livre de

l’Apocalypse, il proclame que « désormais la victoire, la puissance et la royauté sont acquises à notre

Dieu, et la domination à son Christ, puisqu’on a jeté bas l’accusateur de nos frères, celui qui les

accusait jour et nuit devant notre Dieu » (Ap 12, 10). On aura remarqué l’utilisation d’un langage

forcément imagé pour évoquer une réalité qui échappe à nos représentations.