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8 | france DIMANCHE 31 JUILLET - LUNDI 1 ER AOÛT 2016 0123 M oins d’enfants, moins de centres et des séjours plus courts. A regarder les chiffres de fréquentation dif- fusés par le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports début juillet, les jolies colonies de vacan- ces n’ont plus la cote. En 2015, 1,3 million d’enfants et d’adoles- cents ont rejoint les quelque 42 500 séjours pour goûter aux joies de la mer, de la montagne ou de la campagne. C’est 200 000 en- fants de moins qu’en 2005. « Si l’on ne fait rien, les colos auront disparu dans les années 2030 », prédit un groupe de cher- cheurs du CNRS pour le ministère dans une étude intitulée « Des sé- parations aux rencontres en camps et colos ». La courbe de dé- saffection est en effet croissante depuis dix ans alors qu’on dé- nombre de plus en plus de mi- neurs qui ne partent pas en va- cances. Ils sont ainsi 3 millions à n’avoir jamais passé une seule nuit en dehors du domicile des parents. Pour des raisons finan- cières, mais pas seulement. « Repli sur la cellule familiale » La crise économique a indéniable- ment influé sur les choix budgé- taires des familles. Quand le pou- voir d’achat baisse, les arbitrages se font souvent au détriment des loisirs. Le coût moyen d’une colo- nie oscille entre 400 et 600 euros en moyenne (jusqu’à 1 500 dans le privé) pour une semaine. Sans coup de pouce, une famille de trois enfants ne peut se permettre une telle dépense. Or ce sont d’abord les familles de classe moyenne – ouvriers ou petits fonctionnaires gagnant de 1 500 à 2 000 euros par mois – qui sont touchées. « Les enfants qui partent en colo sont ceux dont les parents bénéficient d’aides et payent peu et ceux des familles à hauts revenus. Un enseignant élevant seul ses deux enfants est bien au-dessus des barèmes des aides sociales, mais ne peut assumer le coût d’une colo. Il va privilégier le départ en fa- mille », explique Anne Carayon, directrice générale de la confédé- ration d’organisations de loisirs La Jeunesse au plein air. Depuis le début des années 2000, les politiques publiques d’aide aux familles ont toutes baissé. Les caisses d’allocations fa- miliales ont d’abord progressive- ment supprimé leurs subventions aux séjours en colonies, les orien- tant désormais vers les vacances familiales et les centres de loisirs. Les communes ont elles aussi ré- duit leurs dépenses, se concen- trant sur les familles à plus bas re- venus ou supprimant carrément toute aide aux colonies. Les comi- tés d’entreprise, enfin, ont eu ten- dance à privilégier des séjours plus attractifs avec activités haut de gamme, renchérissant leur coût. « La lente érosion des effectifs s’explique d’abord par des aides aux familles qui n’ont cessé de bais- ser de la part de tous les financeurs historiques des colos », insiste Syl- vain Crapez, délégué général de l’Union nationale des associa- tions de tourisme et de plein air. Toutefois, si le coût financier reste le premier frein à l’inscrip- tion à une colonie de vacances, il n’est pas le seul. Selon un sondage IFOP, réalisé du 23 au 25 mai auprès de 1 509 personnes pour La Jeunesse au plein air, les pa- rents ont beaucoup moins con- fiance dans le personnel enca- drant. En effet : 57 % des sondés craignent des animateurs peu formés, des agressions ou des ac- cidents. La médiatisation des ra- res accidents survenus lors de sé- jours en camp ou les récentes af- faires de pédophilie les ont ren- dus méfiants. « Nous sommes dans une société qui se referme sur elle-même, où les adultes s’interro- gent sur les espaces collectifs, se re- plient sur la cellule familiale : or la colo propose le modèle opposé », remarque Luc Greffier, géographe à l’IUT de Bordeaux. Les lieux d’accueil se sont aussi faits plus rares. De nombreuses municipalités qui avaient hérité après guerre de centres de vacan- ces s’en sont depuis débarrassées, estimant la charge financière trop lourde. Aujourd’hui, il ne reste qu’un tiers du patrimoine des co- lonies en fonctions en Loire-At- lantique et en Vendée. Le déclin est identique dans les Alpes-Mari- times, qui n’ont gardé qu’un cen- tre sur les 50 qu’elles détenaient au début des années 1960. Au gré des revirements politiques lors des élections municipales, le mouvement de retrait ne s’est pas arrêté. Ainsi, début janvier, Cli- chy-la-Garenne (Hauts-de-Seine) a mis en vente sur Leboncoin.fr son centre dans le Puy-de-Dôme. En juin, c’est la commune de Chel- les (Seine-et-Marne) qui a cédé son bâtiment de Hossegor (Lan- des) à un promoteur immobilier. « Un patrimoine lointain n’est élec- toralement pas très vendeur, mais il faut que les villes se rendent compte que tout vendre, c’est hy- pothéquer l’avenir des classes dé- couvertes », avertit Emmanuel Frantz, directeur général de Va- cances voyages loisirs. Certaines villes – surtout en ré- gion parisienne – continuent à voir affluer les enfants en colonie. Vitry-sur-Seine, Saint-Denis, Ba- gneux, Gentilly, Gennevilliers ou Bonneuil-sur-Marne, attachés à ce mode collectif de loisirs, ont fait le choix d’investir dans les lieux et les séjours. « Chaque an- née, 1 000 enfants partent dans nos centres et cette fréquentation ne faiblit pas. Nous avons adapté nos tarifs afin de mieux toucher les familles aux revenus moyens », ex- plique Raphaël Thomas, respon- sable du service vacances de Saint-Denis. « Nous tenons à cette expérience de vivre ensemble, de découverte de l’autre : c’est un élé- ment de formation de l’adulte en devenir », souligne Patrice Leclerc, maire (PCF) de Gennevilliers. Campagne de publicité D’autres, comme Clichy-sous- Bois, ont maintenu des aides im- portantes. « Cela permet aux en- fants qui ne seraient jamais partis « La colo n’est plus ce lieu de brassage social des jeunes » Pour Yves Raibaud, spécialiste de la géographie des discriminations et des loisirs des jeunes, la thématisation des camps nuit à la mixité ENTRETIEN D ans le cadre du plan Ega- lité citoyenneté, instauré après les attentats de janvier 2015, le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports a lancé un appel à projets « #Géné- rationCampColo » dans le but de promouvoir la mixité sociale dans les colonies de vacances. Ce dispositif a été évalué par un col- lectif de neuf chercheurs, parmi lesquels Yves Raibaud, géographe, spécialiste, entre autres, de la géo- graphie des discriminations et des loisirs des jeunes. Les conclusions de votre travail d’évaluation du dispositif Gé- nérationCampColo démon- trent l’absence de mixité dans les colonies. Il n’y aurait donc que des « colos de riches » et des « colos de pauvres » ? La réalité, aujourd’hui, c’est qu’il existe une gamme large et variée de colonies, spécialisées par thème : sports, nature, sciences, arts… A chaque type correspond un type de public. Cette spéciali- sation, qui est apparue à la fin des années 1980, a conduit à séparer les enfants. Le modèle des colo- nies généralistes de la période 1960-1980, dans lesquelles on en- voyait ses enfants pendant deux à quatre semaines l’été quel que soit son milieu social, a quasi- ment disparu. Or, celles-ci mélan- geaient beaucoup plus les classes sociales, les âges et les sexes. A quelques exceptions près, la colo n’est plus ce lieu de brassage so- cial des jeunes. Comment l’expliquez-vous ? Sous le coup de la stagnation des subventions et la mise en place de normes de plus en plus strictes im- posées aux organisateurs (en ma- tière d’accessibilité, d’hygiène, d’encadrement…), le coût des colo- nies a considérablement aug- menté et les effectifs se sont éro- dés. Les organismes qui ont sur- vécu se sont mis à proposer des prestations commerciales de plus en plus chères à destination des fa- milles aisées ou de celles soute- nues par les comités d’entreprise. Les colos sont entrées dans un champ concurrentiel où, pour cap- ter les enfants, il faut surenchérir dans l’offre d’activités : équitation, orchestre, plongée sous marine, astronomie… Caractéristiques des classes supérieures, ces activités de loisirs consacrent la séparation des publics et discriminent les en- fants de milieux populaires. Vous dites que la politique de la ville a participé à cette ségré- gation… Oui, car pour compenser la fer- meture des colos généralistes et pas chères, les municipalités ont proposé dans les quartiers popu- laires des activités et séjours courts (opérations Prévention été, Ville Vie Vacances) orientés vers la prévention de la délin- quance. L’objectif est d’offrir à un public cible – les garçons des cités – des activités qui correspondent à leurs attentes (VTT, hip-hop, foot, graf) pour éviter qu’ils ne restent seuls dans les quartiers l’été à faire des bêtises… Les filles ont très peu bénéficié de cette of- fre, même si les choses évoluent un peu. Pourquoi l’enjeu de mixité dans les colonies est-il si im- portant ? La ségrégation existe dans la vie quotidienne, selon le lieu où l’on vit, et souvent à l’école ; pas la peine d’en rajouter pendant les vacances ! Si on arrivait à faire par- tir 4 millions d’enfants dans des colonies ouvertes à tous, comme c’était le cas dans les années 1960, [contre 1,3 million aujourd’hui], on leur offrirait la possibilité de ren- contrer, une fois par an, des en- fants d’autres horizons. Ils n’ont guère d’autres occasions de se mélanger. Les attentats que nous venons de vivre nous font conclure à la même urgence : nous devons faire société. Les colos et les camps sont des espaces singuliers où par les rencontres, les amours, les amitiés, les aventures humai- nes qui s’y jouent, une autre so- ciété peut s’élaborer. Le dispositif GénérationCamp- Colo a-t-il permis de favoriser la mixité ? La méthode consiste à subven- tionner des organismes qui in- cluent, dans leurs colonies, des enfants discriminés, qui ne par- tent pas en vacances. Or, l’effica- cité reste limitée si les colonies ne « Envoyer dix garçons de cité dans une colo à thème fréquentée par des enfants qui ont déjà une pratique de ces activités, ça ne marche pas ! » « Un enseignant élevant seul ses deux enfants est bien au-dessus des barèmes des aides sociales » ANNE CARAYON directrice de Jeunesse au plein air Une colonie de vacances dans la vallée de la Vésubie, dans le parc national du Mercantour, en juillet 2015. FRANÇOIS GUENET/DIVERGENCE revoient pas leur modèle. Envoyer dix garçons de cités ou de jeunes handicapés dans une colo à thème (équitation, musique) fré- quentée par des enfants des clas- ses supérieures qui ont déjà une pratique de ces activités, ça ne marche pas ! Ce que nous proposons, c’est de renouveler l’offre de vacances pour créer des colos plus généra- listes et inclusives. Il subsiste des modèles dont on pourrait s’inspi- rer. Par exemple, le scoutisme est resté vecteur de mixité, et il a les faveurs du public. L’idée est de partir dans la nature faire l’expé- rience du vivre ensemble : on fait les repas ensemble, on participe à des activités, des jeux, des veillées, qui ne ségrèguent pas. Pour sortir de la consommation effrénée de loisirs qui séparent les enfants, on pourrait intégrer les camps et colos dans des projets de développement rural ou d’écores- ponsabilité, plus fédérateurs. propos recueillis par aurélie collas Les colonies de vacances font moins recette En dix ans, le nombre d’enfants en « colo » a baissé de 200 000. En cause, le coût pour les familles et les mairies de partir en vacances et de rencon- trer des enfants d’autres quartiers, d’autres villes », assure Oliver Klein, maire (PS) de la ville. Le ministère de la ville se dit conscient de l’urgence à préserver ce mode de vacances pour les en- fants. Une campagne de publicité a été lancée en juin dans le métro parisien, la presse et les réseaux sociaux. Il a lancé un appel à pro- jets pour la création d’un nou- veau type de séjours – « plus acces- sibles, innovants et ouverts à des enfants de milieux sociaux di- vers », précise le cabinet de Patrick Kanner. L’objectif est de rassurer les parents et de les orienter dans leur choix avec un futur label. Pour les acteurs associatifs du sec- teur, la réponse est encore trop ti- mide. Ils plaident pour la création d’un « chèque colo » ou d’un « compte épargne colo » à l’image des chèques vacances. Afin, in- siste Sylvain Crapez, « que chaque gamin de notre pays fasse au moins une fois l’expérience de la colonie de vacances ». sylvia zappi Les associations plaident pour la création d’un « compte épargne colo » Prévenir les risques, et surtout les peurs Patrick Kanner a visité des centres accueillant des mineurs, ven- dredi 22 juillet, à La Neuville (Nord). Face aux réticences de cer- tains parents à envoyer leurs enfants en colonie de vacances, le ministre de la ville veut démontrer la vigilance des autorités pu- bliques sur la sécurité des séjours. « Les animateurs et les centres sont contrôlés par l’Etat. Tout est mis en œuvre pour s’assurer que les activités sont organisées conformément à la réglementation et dans des conditions permettant de prévenir les risques », explique son cabinet. Un rappel utile quand, selon le sondage IFOP pour La Jeunesse au plein air, 57 % des Français estiment que le man- que de confiance dans le personnel accompagnant est un frein à l’envoi des enfants en colonie.

DIMANCHE 31 JUILLET LUNDI 1ER AOÛT 2016 Les colonies de ... · joies de la mer, de la montagne ou de ... de la campagne. C’est 200 000 en fants de moins qu’en 2005. « Si l’on

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8 | france DIMANCHE 31 JUILLET ­ LUNDI 1ER AOÛT 20160123

M oins d’enfants,moins de centres etdes séjours pluscourts. A regarder

les chiffres de fréquentation dif­fusés par le ministère de la ville,de la jeunesse et des sports début juillet, les jolies colonies de vacan­ces n’ont plus la cote. En 2015, 1,3 million d’enfants et d’adoles­cents ont rejoint les quelque 42 500 séjours pour goûter aux joies de la mer, de la montagne oude la campagne. C’est 200 000 en­fants de moins qu’en 2005.

« Si l’on ne fait rien, les colosauront disparu dans les années2030 », prédit un groupe de cher­cheurs du CNRS pour le ministère dans une étude intitulée « Des sé­parations aux rencontres en camps et colos ». La courbe de dé­saffection est en effet croissantedepuis dix ans alors qu’on dé­nombre de plus en plus de mi­neurs qui ne partent pas en va­cances. Ils sont ainsi 3 millions àn’avoir jamais passé une seulenuit en dehors du domicile des parents. Pour des raisons finan­cières, mais pas seulement.

« Repli sur la cellule familiale »La crise économique a indéniable­ment influé sur les choix budgé­taires des familles. Quand le pou­voir d’achat baisse, les arbitragesse font souvent au détriment desloisirs. Le coût moyen d’une colo­nie oscille entre 400 et 600 euros en moyenne (jusqu’à 1 500 dans leprivé) pour une semaine. Sans coup de pouce, une famille detrois enfants ne peut se permettreune telle dépense. Or ce sont d’abord les familles de classe moyenne – ouvriers ou petits fonctionnaires gagnant de 1 500 à 2 000 euros par mois – qui sont touchées. « Les enfants qui partenten colo sont ceux dont les parents bénéficient d’aides et payent peu etceux des familles à hauts revenus. Un enseignant élevant seul ses deux enfants est bien au­dessus des barèmes des aides sociales,mais ne peut assumer le coût d’unecolo. Il va privilégier le départ en fa­mille », explique Anne Carayon, directrice générale de la confédé­ration d’organisations de loisirs La Jeunesse au plein air.

Depuis le début des années2000, les politiques publiques d’aide aux familles ont toutes baissé. Les caisses d’allocations fa­miliales ont d’abord progressive­ment supprimé leurs subventionsaux séjours en colonies, les orien­tant désormais vers les vacances

familiales et les centres de loisirs.Les communes ont elles aussi ré­duit leurs dépenses, se concen­trant sur les familles à plus bas re­venus ou supprimant carrément toute aide aux colonies. Les comi­tés d’entreprise, enfin, ont eu ten­dance à privilégier des séjours plus attractifs avec activités hautde gamme, renchérissant leur coût. « La lente érosion des effectifss’explique d’abord par des aides aux familles qui n’ont cessé de bais­ser de la part de tous les financeurshistoriques des colos », insiste Syl­vain Crapez, délégué général de l’Union nationale des associa­tions de tourisme et de plein air.

Toutefois, si le coût financierreste le premier frein à l’inscrip­tion à une colonie de vacances, iln’est pas le seul. Selon un sondageIFOP, réalisé du 23 au 25 mai auprès de 1 509 personnes pourLa Jeunesse au plein air, les pa­rents ont beaucoup moins con­fiance dans le personnel enca­drant. En effet : 57 % des sondéscraignent des animateurs peuformés, des agressions ou des ac­cidents. La médiatisation des ra­res accidents survenus lors de sé­jours en camp ou les récentes af­faires de pédophilie les ont ren­dus méfiants. « Nous sommes dans une société qui se referme surelle­même, où les adultes s’interro­gent sur les espaces collectifs, se re­plient sur la cellule familiale : or la

colo propose le modèle opposé »,remarque Luc Greffier, géographeà l’IUT de Bordeaux.

Les lieux d’accueil se sont aussifaits plus rares. De nombreuses municipalités qui avaient hérité après guerre de centres de vacan­ces s’en sont depuis débarrassées, estimant la charge financière troplourde. Aujourd’hui, il ne reste qu’un tiers du patrimoine des co­lonies en fonctions en Loire­At­lantique et en Vendée. Le déclinest identique dans les Alpes­Mari­

times, qui n’ont gardé qu’un cen­tre sur les 50 qu’elles détenaientau début des années 1960. Au gré des revirements politiques lors des élections municipales, lemouvement de retrait ne s’est pasarrêté. Ainsi, début janvier, Cli­chy­la­Garenne (Hauts­de­Seine) a mis en vente sur Leboncoin.fr son centre dans le Puy­de­Dôme. En juin, c’est la commune de Chel­les (Seine­et­Marne) qui a cédéson bâtiment de Hossegor (Lan­des) à un promoteur immobilier. « Un patrimoine lointain n’est élec­toralement pas très vendeur, mais il faut que les villes se rendent compte que tout vendre, c’est hy­pothéquer l’avenir des classes dé­couvertes », avertit Emmanuel Frantz, directeur général de Va­cances voyages loisirs.

Certaines villes – surtout en ré­gion parisienne – continuent à voir affluer les enfants en colonie.Vitry­sur­Seine, Saint­Denis, Ba­gneux, Gentilly, Gennevilliers ou Bonneuil­sur­Marne, attachés à ce mode collectif de loisirs, ontfait le choix d’investir dans les

lieux et les séjours. « Chaque an­née, 1 000 enfants partent dans nos centres et cette fréquentation ne faiblit pas. Nous avons adapténos tarifs afin de mieux toucher lesfamilles aux revenus moyens », ex­plique Raphaël Thomas, respon­sable du service vacances de Saint­Denis. « Nous tenons à cette expérience de vivre ensemble, dedécouverte de l’autre : c’est un élé­ment de formation de l’adulte en devenir », souligne Patrice Leclerc, maire (PCF) de Gennevilliers.

Campagne de publicitéD’autres, comme Clichy­sous­Bois, ont maintenu des aides im­portantes. « Cela permet aux en­fants qui ne seraient jamais partis

« La colo n’est plus ce lieu de brassage social des jeunes »Pour Yves Raibaud, spécialiste de la géographie des discriminations et des loisirs des jeunes, la thématisation des camps nuit à la mixité

ENTRETIEN

D ans le cadre du plan Ega­lité citoyenneté, instauréaprès les attentats de

janvier 2015, le ministère de la ville, de la jeunesse et des sports alancé un appel à projets « #Géné­rationCampColo » dans le but de promouvoir la mixité socialedans les colonies de vacances. Cedispositif a été évalué par un col­lectif de neuf chercheurs, parmi lesquels Yves Raibaud, géographe,spécialiste, entre autres, de la géo­graphie des discriminations etdes loisirs des jeunes.

Les conclusions de votre travail d’évaluation du dispositif Gé­nérationCampColo démon­trent l’absence de mixité dans les colonies. Il n’y aurait donc que des « colos de riches » et des « colos de pauvres » ?

La réalité, aujourd’hui, c’est qu’ilexiste une gamme large et variée de colonies, spécialisées par thème : sports, nature, sciences,

arts… A chaque type correspond un type de public. Cette spéciali­sation, qui est apparue à la fin des années 1980, a conduit à séparerles enfants. Le modèle des colo­nies généralistes de la période 1960­1980, dans lesquelles on en­voyait ses enfants pendant deux àquatre semaines l’été quel que soit son milieu social, a quasi­ment disparu. Or, celles­ci mélan­geaient beaucoup plus les classessociales, les âges et les sexes. A quelques exceptions près, la colon’est plus ce lieu de brassage so­cial des jeunes.

Comment l’expliquez­vous ?Sous le coup de la stagnation des

subventions et la mise en place de normes de plus en plus strictes im­posées aux organisateurs (en ma­tière d’accessibilité, d’hygiène, d’encadrement…), le coût des colo­nies a considérablement aug­menté et les effectifs se sont éro­dés. Les organismes qui ont sur­vécu se sont mis à proposer des prestations commerciales de plus

en plus chères à destination des fa­milles aisées ou de celles soute­nues par les comités d’entreprise. Les colos sont entrées dans un champ concurrentiel où, pour cap­ter les enfants, il faut surenchérir dans l’offre d’activités : équitation, orchestre, plongée sous marine, astronomie… Caractéristiques des classes supérieures, ces activités de loisirs consacrent la séparation des publics et discriminent les en­fants de milieux populaires.

Vous dites que la politique de la ville a participé à cette ségré­gation…

Oui, car pour compenser la fer­meture des colos généralistes et pas chères, les municipalités ontproposé dans les quartiers popu­laires des activités et séjourscourts (opérations Prévention été, Ville Vie Vacances) orientés vers la prévention de la délin­quance. L’objectif est d’offrir à unpublic cible – les garçons des cités – des activités qui correspondent à leurs attentes (VTT, hip­hop,foot, graf) pour éviter qu’ils ne restent seuls dans les quartiersl’été à faire des bêtises… Les fillesont très peu bénéficié de cette of­fre, même si les choses évoluentun peu.

Pourquoi l’enjeu de mixité dans les colonies est­il si im­portant ?

La ségrégation existe dans la viequotidienne, selon le lieu où l’onvit, et souvent à l’école ; pas la peine d’en rajouter pendant les

vacances ! Si on arrivait à faire par­tir 4 millions d’enfants dans des colonies ouvertes à tous, comme c’était le cas dans les années 1960,[contre 1,3 million aujourd’hui], onleur offrirait la possibilité de ren­contrer, une fois par an, des en­fants d’autres horizons. Ils n’ontguère d’autres occasions de se mélanger.

Les attentats que nous venonsde vivre nous font conclure à lamême urgence : nous devons faire société. Les colos et lescamps sont des espaces singuliersoù par les rencontres, les amours, les amitiés, les aventures humai­nes qui s’y jouent, une autre so­ciété peut s’élaborer.

Le dispositif GénérationCamp­Colo a­t­il permis de favoriser la mixité ?

La méthode consiste à subven­tionner des organismes qui in­cluent, dans leurs colonies, des enfants discriminés, qui ne par­tent pas en vacances. Or, l’effica­cité reste limitée si les colonies ne

« Envoyer dix garçons de citédans une colo à

thème fréquentéepar des enfants

qui ont déjà une pratique deces activités, ça

ne marche pas ! »

« Un enseignantélevant seul sesdeux enfants est

bien au-dessusdes barèmes desaides sociales »

ANNE CARAYONdirectrice de Jeunesse

au plein air

Une colonie de vacances dans la vallée de la Vésubie, dans le parc national du Mercantour, en juillet 2015. FRANÇOIS GUENET/DIVERGENCE

revoient pas leur modèle. Envoyerdix garçons de cités ou de jeunes handicapés dans une colo à thème (équitation, musique) fré­quentée par des enfants des clas­ses supérieures qui ont déjà unepratique de ces activités, ça nemarche pas !

Ce que nous proposons, c’est derenouveler l’offre de vacances pour créer des colos plus généra­listes et inclusives. Il subsiste des modèles dont on pourrait s’inspi­rer. Par exemple, le scoutisme est resté vecteur de mixité, et il a les faveurs du public. L’idée est de partir dans la nature faire l’expé­rience du vivre ensemble : on fait les repas ensemble, on participe à des activités, des jeux, desveillées, qui ne ségrèguent pas. Pour sortir de la consommation effrénée de loisirs qui séparent lesenfants, on pourrait intégrer les camps et colos dans des projets dedéveloppement rural ou d’écores­ponsabilité, plus fédérateurs.

propos recueillis paraurélie collas

Les colonies de vacances font moins recetteEn dix ans, le nombre d’enfants en « colo » a baissé de 200 000. En cause, le coût pour les familles et les mairies

de partir en vacances et de rencon­trer des enfants d’autres quartiers, d’autres villes », assure OliverKlein, maire (PS) de la ville.

Le ministère de la ville se ditconscient de l’urgence à préserverce mode de vacances pour les en­fants. Une campagne de publicité a été lancée en juin dans le métro parisien, la presse et les réseaux sociaux. Il a lancé un appel à pro­jets pour la création d’un nou­veau type de séjours – « plus acces­sibles, innovants et ouverts à desenfants de milieux sociaux di­vers », précise le cabinet de PatrickKanner. L’objectif est de rassurer les parents et de les orienter dans leur choix avec un futur label.Pour les acteurs associatifs du sec­teur, la réponse est encore trop ti­mide. Ils plaident pour la créationd’un « chèque colo » ou d’un « compte épargne colo » à l’image des chèques vacances. Afin, in­siste Sylvain Crapez, « que chaque gamin de notre pays fasse au moins une fois l’expérience de la colonie de vacances ».

sylvia zappi

Les associationsplaident pour

la création d’un « compte épargne colo »

Prévenir les risques, et surtout les peursPatrick Kanner a visité des centres accueillant des mineurs, ven-dredi 22 juillet, à La Neuville (Nord). Face aux réticences de cer-tains parents à envoyer leurs enfants en colonie de vacances, le ministre de la ville veut démontrer la vigilance des autorités pu-bliques sur la sécurité des séjours. « Les animateurs et les centres sont contrôlés par l’Etat. Tout est mis en œuvre pour s’assurer que les activités sont organisées conformément à la réglementation et dans des conditions permettant de prévenir les risques », explique son cabinet. Un rappel utile quand, selon le sondage IFOP pour La Jeunesse au plein air, 57 % des Français estiment que le man-que de confiance dans le personnel accompagnant est un frein à l’envoi des enfants en colonie.