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approches de la foi L'apparition sur le marché de l'édition enfantine de livres religieux de qualité est un phénomène assez récent, qu'il s'agisse de livres documentaires qui permettent aux enfants de s'informer sur les diverses reli- gions, ou de romans à tonalité religieuse. Il nous a paru utile de faire le point. Deux réunions ont eu lieu au Centre natio- nal du livre pour enfants, le 15février et le 1" mars, pour aborder les différents aspects de la question, et répartir le travail de prospec- tion et d'analyse. Participaient à ces réu- nions Aline Eisenegger, Marie-Isabelle Merlet, Simone Lamblin et Nicolas Verry, pour la Joie par les livres, Véronique Lory (inspiratrice du Trésor caché, évoqué plus loin) et Michèle-Pierre Lagrange de la librai- rie Chantelivre, Dominique Rigel, biblio- thécaire à la Ville de Paris. Nous publions ici, en partie ou dans leur totalité, les textes qui ont été rédigés, et l'essentiel des propos qui avaient été enregistrés. Ce qui nous afrappés, c'est la prédominance d'ouvrages d'inspiration catholique en et qui concerne les documentaires, d'édition; protestantes se rapportant à la Bible, et du judaïsme dans les livres de fiction. La spiritualité dans les livres pour enfants La spiritualité, la religion dans les ouvrages de fiction pour la jeunesse ? A pre- mière vue cet aspect de la vie semble gommé de l'édition. On ne va pas à la messe, on ne prie pas dans les livres d'enfants. Et pour- tant, en cherchant attentivement, nous avons trouvé une bonne trentaine d'ou- vrages abordant ces thèmes. Ce sont presque exclusivement des romans, d'une part des oeuvres de la seconde moitié du XIX e siècle (Heidi, Les quatre filles du Docteur March, les livres de la comtesse de Ségur), d'autre part des ouvrages traduits des pays anglo- saxons (Lena ou les armes du coeur) ou nor- diques {Hugo et Joséphine) essentiellement, et publiés en France ces dix dernières années. Un seul titre français: Ce changement-là, de Philippe Dumas ! Les Français ne s'inté- resseraient-ils donc pas à la vie, la mort, l'au-delà, la foi et l'espérance ? Ces thèmes ne seraient-ils pas commerciaux? C'est ce qu'on serait tenté de croire en voyant ce qui est arrivé au livre Les chocolats de la dis- corde qui a perdu, dans sa traduction fran- çaise, tout l'aspect religieux, capital dans l'oeuvre originale de R. Cormier. Maurice Sanàak: Le griffon et le petit chanoine De quelles religions parle-t-on? Les catholiques sont représentés en légère majo- rité, mais les protestants et les juifs sont également présents dans la fiction, alors qu'ils sont quasiment absents des ouvrages documentaires. Cela s'explique assez bien quand on voit les pays d'origine des livres: aux Etats-Unis, en Suède, il y a des protes- tants et des juifs, et la religion a une place importante chez eux. Il semble même assez difficile de parler des juifs sans aborder leur religion qui dicte tant d'actes dans leur vie courante. Ceux qui n'ont pas de religion apparaissent également. Ainsi dans Ursula (roman plus ancien, paru en 1971, et assez unique à son époque de ce point de vue), une petite fille ne pratique aucune religion. Cette caractéristique la place en situation délicate et semble incompréhensible aux personnes qu'elle rencontre — il est vrai que c'est en temps de guerre. C'est d'ailleurs bien souvent à l'occasion de guerre (Mon ami Frédéric) ou de déraci- nement (Le voyage de Même) que les livres abordent les questions de religion. Et c'est alors une religion qui se définit par rapport à une autre (juif/catholique), ce qui entraîne des discussions sur les croyances, les raisons des conflits (L'assassin d'Ashlymine), que 17

diques {Hugo et Joséphine) essentiellement, approches de ...cnlj.bnf.fr/sites/default/files/revues_document_joint/PUBLICATION_2753.pdfJonathan Livingston le goéland, à la quête

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approchesde la foi

L'apparition sur le marché de l'éditionenfantine de livres religieux de qualité est unphénomène assez récent, qu'il s'agisse delivres documentaires qui permettent auxenfants de s'informer sur les diverses reli-gions, ou de romans à tonalité religieuse. Ilnous a paru utile de faire le point.Deux réunions ont eu lieu au Centre natio-nal du livre pour enfants, le 15 février et le 1"mars, pour aborder les différents aspects dela question, et répartir le travail de prospec-tion et d'analyse. Participaient à ces réu-nions Aline Eisenegger, Marie-IsabelleMerlet, Simone Lamblin et Nicolas Verry,pour la Joie par les livres, Véronique Lory(inspiratrice du Trésor caché, évoqué plusloin) et Michèle-Pierre Lagrange de la librai-rie Chantelivre, Dominique Rigel, biblio-thécaire à la Ville de Paris. Nous publionsici, en partie ou dans leur totalité, les textesqui ont été rédigés, et l'essentiel des proposqui avaient été enregistrés.Ce qui nous a frappés, c'est la prédominanced'ouvrages d'inspiration catholique en etqui concerne les documentaires, d'édition;protestantes se rapportant à la Bible, et dujudaïsme dans les livres de fiction.

La spiritualitédans les livrespour enfants

La spiritualité, la religion dans lesouvrages de fiction pour la jeunesse ? A pre-mière vue cet aspect de la vie semble gomméde l'édition. On ne va pas à la messe, on neprie pas dans les livres d'enfants. Et pour-tant, en cherchant attentivement, nousavons trouvé une bonne trentaine d'ou-vrages abordant ces thèmes. Ce sont presqueexclusivement des romans, d'une part desœuvres de la seconde moitié du XIXe siècle(Heidi, Les quatre filles du Docteur March,les livres de la comtesse de Ségur), d'autrepart des ouvrages traduits des pays anglo-saxons (Lena ou les armes du cœur) ou nor-

diques {Hugo et Joséphine) essentiellement,et publiés en France ces dix dernièresannées.

Un seul titre français: Ce changement-là,de Philippe Dumas ! Les Français ne s'inté-resseraient-ils donc pas à la vie, la mort,l'au-delà, la foi et l'espérance ? Ces thèmes neseraient-ils pas commerciaux? C'est cequ'on serait tenté de croire en voyant ce quiest arrivé au livre Les chocolats de la dis-corde qui a perdu, dans sa traduction fran-çaise, tout l'aspect religieux, capital dansl'œuvre originale de R. Cormier.

Maurice Sanàak: Le griffon et le petit chanoine

De quelles religions parle-t-on? Lescatholiques sont représentés en légère majo-rité, mais les protestants et les juifs sontégalement présents dans la fiction, alorsqu'ils sont quasiment absents des ouvragesdocumentaires. Cela s'explique assez bienquand on voit les pays d'origine des livres:aux Etats-Unis, en Suède, il y a des protes-tants et des juifs, et la religion a une placeimportante chez eux. Il semble même assezdifficile de parler des juifs sans aborder leurreligion qui dicte tant d'actes dans leur viecourante. Ceux qui n'ont pas de religionapparaissent également. Ainsi dans Ursula(roman plus ancien, paru en 1971, et assezunique à son époque de ce point de vue), unepetite fille ne pratique aucune religion. Cettecaractéristique la place en situation délicateet semble incompréhensible aux personnesqu'elle rencontre — il est vrai que c'est entemps de guerre.

C'est d'ailleurs bien souvent à l'occasionde guerre (Mon ami Frédéric) ou de déraci-nement (Le voyage de Même) que les livresabordent les questions de religion. Et c'estalors une religion qui se définit par rapport àune autre (juif/catholique), ce qui entraînedes discussions sur les croyances, les raisonsdes conflits (L'assassin d'Ashlymine), que

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les enfants héros des livres comprennent etacceptent mal.

La foi est plus fervente chez les grands-parents — surtout les grand-mères; ce sonteux qui discutent avec leurs petits-enfantsdans le doute (Heidi), ne sachant pas trop àquoi croire (L'harmonium) ou comment sereprésenter Dieu (Le voyage de Même). Lesparents sont moins pratiquants, on ne voitpour ainsi dire pas de familles aller à l'église,ni d'enfants aller au catéchisme autrementque dans le cadre scolaire des écoles reli-gieuses, excepté Tom Sawyer qui fréquentel'école du dimanche. On note également peud'échanges entre enfants et ministres duculte de quelque religion que ce soit: José-phine, dans Je m'appelle Joséphine, a unlong entretien avec son «papa-père» de pas-teur, Hershy discute avec le nouveau rabbindans L'assassin d'Ashlymine. A noter égale-ment une présence sociologique très forte del'Eglise et de Dieu dans certains livres où laspiritualité est par ailleurs absente, que cesoit dans les albums bilingues des Souris del'église, ou Le griffon et le petit chanoine, ouencore d'une toute autre manière dans Lechien qui a vu Dieu. Dans ces deux dernierslivres, les personnages sont amenés à chan-ger de comportement, malgré eux, pousséspar la crainte.

Les fêtes religieuses sont égalementcurieusement absentes. Que ce soient lesfêtes qui rythment la vie des croyants: bap-tême, communion, mariage ou enterrement(on ne trouve trace que de la Bar-Mitzvahdans Une difficile amitié, et un enterrementen présence d'un pasteur dans Cechangement-là), ou les fêtes annuelles:Pâques ou Pentecôte. Seul Noël reste trèsprésent, et de nombreux livres retenus danscette bibliographie sur les livres religieux sesituent à Noël, ou parlent de Noël commegrande fête religieuse, où même des miraclessurgissent (L'harmonium). A Noël, croyantou non, on pense sinon à Dieu, du moins auBien; c'est un temps d'espérance et delumière, une fête partagée, un regard plusaltruiste. De nombreux contes se situentaussi au moment de Noël: Dickens (Contesde Noël), Andersen (La petite fille aux allu-mettes, sans oublier la version de TomiUngerer: Allumette), et encore Le clown deDieu de Tomie de Paola.

Malgré tout, certains enfants cheminentplus ou moins seuls vers Dieu, et prient

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spontanément. Ainsi Papelucho, dans leroman chilien du même nom, tient son jour-nal et note ses réflexions sur le Bien et le Mal— notions qu'il a des difficultés à situer —,des prières personnelles, des grandes inter-rogations sur la mort. Florine, dans Cheznous dans la rue, vit dans un milieu où lareligion n'est plus pratiquée, mais elle seretrouve en train de prier, à tout hasard, paramour pour Germaine qui sait si chaleureu-sement l'accueillir.

La spiritualité s'exprime également endehors de toute religion, dans des romansfaisant apparaître des «êtres suprêmes», telque celui des lapins dans Les garennes deWatership Down, ou les mondes imagi-naires de Tolkien et de C.S. Lewis, et encoreJonathan Livingston le goéland, à la quêted'un absolu. Aline Eisenegger

LARCHE DE NOK

Voici la plupart des livres qui ont été prisen compte pour rédiger l'article ci-dessus;cette liste n'a pas été constituée à partir d'uneinvestigation systématique de la littératureenfantine. Nous accueillerons avec intérêttoute suggestion de titres pour étoffer lesdifférentes rubriques que nous proposons,où la religion a une part plus ou moinsimportante.

Romans "catholiques"et "protestants"

Comtesse de Ségur: Les petites filles mo-dèles (et autres titres), Livre de Poche Jeu-nesse, Hachette, Vermeille ou Gallimard,Folio junior.

Mark Twain: Les aventures de Tom Sawyer,Gallimard, 1000 soleils

Louisa May Alcott: Les quatre filles duDocteur March, Livre de poche Jeunesse

Johanna Spyri: Heidi, Heidi devant la vie,L'Ecole des loisirs, Bibl. de l'Ecole des loisirs

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Frances Hodgson Burnett: Le jardin secret,Flammarion, Bibl. du Chat perché

Laura Ingalls Wilder: La petite maison dansla prairie. Flammarion, Bibl. du Chat Per-ché (et les autres titres de la série)

Maria Gripe: Je m'appelle Joséphine, Hugoet Joséphine, Amitié G.T. Rageot, Bibl. del'amitié

Frank R. Stockton, Maurice Sendak: Legriffon et le petit chanoine, Ecole des loisirs

Graham Oakley: The church mice = Lessouris de l'église, Gallimard (et autres titres)

Philippe Dumas: Ce changement-là, Ecoledes loisirs

A partir de la Bible

Monique Ponty: Ursula, G.P., Souveraine P e t e r S p i e r ; U m c h e d e ^ E c o l e d e s l o i s i r s

Glendon Swarthout: L'harmonium, Flam-marion, Castor poche

Anke De Vries: Chez nous dans la rue,Nathan, Arc-en-poche/deux

Marcela Paz: Papelucho, Bordas, Aux qua-tre coins du temps

Ouida Sebestyen: Lena ou les armes ducœur, Hachette, Bibl. verte

Romans "juifs"

Hans Peter Richter: Mon ami Frédéric,Livre de poche Jeunesse

Marilyn Sachs: Une difficile amitié, Flam-marion, Castor poche

Gil Ben Aych: Le voyage de Même, Bordas,Aux quatre coins du temps

Léo Lionni: Au jardin des lapins, Ecole desloisirs

Henriette Bichonnier: Benoît le diplodocuset autres histoires {Histoire de pomme),G.P., Dauphine

Du magique au divin

C.S. Lewis: L'armoire magique, Le princeCaspian, Flammarion, Bibl. du Chat perché

J.R.R. Tolkien: Le Seigneur des Anneaux,Gallimard, 1000 soleils

Richard Adams: Les garennes de WatershipDown, Flammarion

Richard Bach: Jonathan Livingston le goé-land, Flammarion, Castor poche

Felice Holman: L'assassin d'Ashlymine,Duculot, Travelling

Contes

Hans Christian Andersen: La petite fille auxallumettes (et autres contes), Gallimard,1000 soleilsCharles Dickens: Contes de Noël, Laffont,Bouquins

Oscar Wilde: Le prince heureux, Le géantégoïste, Gallimard, Folio junior

Uri Shulevitz : Le magicien, Ed. Grandir

Issac Bashevis Singer : Un jour de plaisir,Stock, Bel Oranger

La religion au quotidien

Dino Buzzati: Le chien qui a vu Dieu, Galli-mard, Folio junior

"Et celui-là, qui c'est?"Panorama sélectif des livres religieux

pour enfants

On dit que la vérité sort de la bouche desenfants. Bien plutôt en jaillissent les ques-tions, toutes les questions essentielles, si sou-vent censurées par la suite. Sans doutel'expression «âge de discrétion» est-elle tom-bée en désuétude, mais les enfants ont le chicpour poser les questions indiscrètes. C'est àcinq ans que saint Thomas d'Aquin deman-dait à ses maîtres du Mont Cassin: «Qu'est-ce que Dieu?»

Pour répondre, les adultes se trouventplus ou moins démunis, s'ils n'ont pas eueux-mêmes de formation religieuse, ou, s'ilsont réagi contre celle qu'ils ont reçue, ils nese sentent pas forcément le droit pour autantde clore ce domaine à leurs enfants.

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Des fêtes comme Noël posent déjà un pro-blème: va-t-on les célébrer dans un établisse-ment public comme une bibliothèque? Lepeut-on sans évoquer leur signification reli-gieuse (en revenant, éventuellement, auxEvangiles de l'enfance) ? La première com-munion ou la communion solennelle d'unenfant ou d'un de ses camarades peut fairenaître des questions, éveiller un intérêt.Même un album sans connotation religieusecomme Le jour suivant de Mitsumasa Anno,à l'Ecole des loisirs, ne se goûte pleinementque si l'on dépiste les allusions aux Evangilesaussi bien qu'aux Mille et une nuits: on nepeut oublier les racines judéo-chrétiennes denotre culture.

A la bibliothèque de la Joie par les livres àClamart, c'étaient souvent des images cora-niques, un peu l'analogue des images d'Epi-nal qui, prêtées comme des posters,attiraient les enfants, maghrébins ou non,incitant à les commenter en racontant leshistoires d'Adam et Eve, du sacrificed'Isaac... Encore faut-il s'orienter parmi lestextes bibliques, et souvent les petits musul-mans, arrivant aux pages du Nouveau Tes-tament, demandaient en voyant une imagede Jésus: «Et qui c'est, celui-là?», ce quientraîne, si on le veut bien, un exposé sur lesreligions comparées.

Les religions — surtout les religionsmonothéistes — ont constitué pendant unelongue période un des tabous de la littéra-ture enfantine, en réaction peut-être à lalittérature édifiante et souvent franchementconfessionnelle, voire prosélyte, du XIXe

siècle finissant. Peut-être faut-il voir lapointe de ce mouvement laïciste et démythi-fiant dans les Légendes juives et chrétiennesde Jacqueline Marchand (Editions del'Union rationaliste, 1973), dont Isabelle Jana fait une critique savoureuse (non publiée)en 1974. Pour lutter contre l'obscurantisme,et se targuant d'exclure toute possibilité detranscendance, J. Marchand démontait uneinterprétation extrêmement réactionnaire etdépassée de la Bible: ses auteurs «ne savaientpas» ce que nous savons, nous...

Le premier titre qui annonce un contre-courant intéressant est sans doute // étaitplusieurs "foi", de Monique Gilbert (Ram-say, 1977). Se limitant aux religions mono-théistes, donc à la souche biblique, elle a

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pour propos de rendre accessibles auxenfants, de milieu croyant ou non, les réfé-rences bibliques dont notre culture est nour-rie. Pour chaque "foi" présentée, elle a faitappel à un spécialiste. Le plan est toujours lemême: un texte essentiel qui donne le ton, unhistorique de l'Eglise, un aperçu descroyances (un peu sommaire), des coutumes(la partie la plus intéressante). Une tentativepour faire comprendre à un petit catholique(ou athée, ou agnostique) ce qu'est la Bar-Mitzvah pour un enfant juif ou ce que signif-fie l'Extrême-Onction ou l'Eucharistie pourun catholique. On peut remettre en question

Dessin de Reinhard Herrtnann, Ma Bible. Le Centurion

le choix des personnages mis en exerguepour chaque religion: David pour les juifs,Adam et Eve pour les catholiques, Moïsepour les protestants — étant donné que jus-tement la Bible constitue leur patrimoinecommun. Reste un esprit d'ouverture et decompréhension fidèle et intelligente qui rendce livre bien utile.

Il faut bien remarquer que l'essentiel del'édition religieuse pour enfant actuelle setrouve dans la mouvance catholique; les reli-gions non monothéistes ont presque disparude l'édition, l'islam et le judaïsme sont sous-traités.

La Bible

Et la Bible elle-même, justement? Com-ment s'y référer alors que le travail des exé-gètes a consisté à se donner des repères dansle patchwork dont elle est faite ? Les stratesde traditions orales remontent à des époquesdiverses et ont été confiées à l'écrit peu à peu,se juxtaposant sans se corriger: ainsi on adeux récits de la création pour commencer,et le plus ancien n'est pas le premier. De quoise perdre dans les textes complets les plus

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autorisés, la Traduction œcuménique de laBible (T.O.B.) ou la Bible de Jérusalem!Dans ce dédale, il faut un fil d'Ariane.

La Bible en images, illustrée par PhilippeDumas et dont le texte a été écrit par AndréRoux, pasteur (L'Ecole des loisirs, 1982),tient la gageure de greffer, sur le fil directeurd'une chronologie reconstituée des événe-ments rapportés, des anecdotes qui fontimage — le sacrifice d'Isaac, Daniel dans lafosse aux lions, etc., tout en rendant sensiblela signification de l'Alliance et de la spiritua-lité biblique, jusqu'aux abords du NouveauTestament. Une des qualités de cet album estsans doute cette fidélité au sens religieuxessentiel, qui ne l'empêche pas de répondreau besoin qu'a le grand public de trouver desrepères culturels. Des livres plus franche-ment «confessionnels», dont la maison d'édi-tion indique déjà le public potentiel — Cerf,Centurion, Marne —, ont forcément uneaudience plus restreinte.

La collection «Ce que nous dit la Bible»,éditée par l'Alliance biblique universelle vers1972, offre en de minces brochures des récitstout simples de l'Ancien et du Nouveau Tes-

Dessin de Ph. Dumas pour la Bible en images

tament, avec des illustrations dans l'esprit deRouault. On a aussi les petits volumes de MaBible au Centurion, 1978, qui mettent enchapitres des textes rendus linéaires. LaBible illustrée des Presses de Taizé, 1968, a lemérite de donner brièvement le contexte destextes choisis.

La Bible pour les jeunes éditée au Cerf; letexte poétique et riche, adapté par le PèreCocagnac à partir de la T.O.B., est illustrépar Jacques Le Scanff.

L'Ancienne Alliance constitue une inviteà la prière et accorde une place très impor-

tante aux Psaumes. La Nouvelle Alliance nereprend pas la structure traditionnelle duNouveau Testament mais un découpagesavant des quatre évangiles et des épîtres quipermet de reconstituer la chronologie de lavie de Jésus et la création des premièrescommunautés chrétiennes. Les textes del'enseignement de Jésus, de ses rencontres etdes jours qui précèdent sa mort, sont abon-dants. (M.-P.L.)

En 1969, paraissait La vie de Jésus,illustrée par Napoli (Centurion, col-lection Pomme d'Api); les auteurs ontsuivi la vie de Jésus à travers les récits évan-géliques, pour en garder la trame la plussimple, avec une certaine tonalité qui endonne l'esprit. Une double page, en fin devolume, donne des précisions sur le pays, lepeuple, les personnages. Un livre accessibledès 6-7 ans.

C'est d'ailleurs à peu près au même âgeque sont accessibles les 7paraboles de Jésus,de Benoît Marchon, illustrées par GeorgesLemoine (Centurion, 1982, Astrapi), respec-tueuses du texte des évangiles et qui attirentles enfants par leur présentation.

Pour la beauté des reproductions pictu-rales, on a aussi Jésus: les grands imagiersracontent sa vie, mis en pages par PierreBelvès, chez Gautier-Languereau, 1968. Lestextes choisis sont cités avec leurs référenceset reliés par de brefs commentaires du PèreFlorent.

La vie de Jésus racontée par les poètesprésentée par Jacques Charpentreau chezDesclée de Brouwer, 1982, offre une icono-graphie attrayante, mais souvent peu en rap-port avec les textes choisis. Ainsi leregroupement thématique suit les événe-ments de la vie du Christ. Mais une repro-duction de Georges de La Tour se trouve enregard d'un poème assez fade de sainte Thé-rèse de l'enfant Jésus. Des textes fortsd'Agathias ou d'Agrippa d'Aubigné se trou-vent étouffés par le rapprochement avec despoèmes épiques de Victor Hugo, voire despoèmes mièvres de Catulle Mendès. C'esttoujours le problème de ces anthologies...

La Bible en bande dessinée (Dargaud, àparaître) fera un ensemble de 230 pages,avec l'Ancien et le Nouveau Testament, maisc'est une Bible qui commence au moment où

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le Peuple se forme, bien après l'Exode;ensuite le Peuple se souvient, et à ce momentintervient le récit de la Genèse. C'est une pré-sentation qui respecte l'ordre historique dela rédaction des livres de la Bible. (M.-P. L.)

La critique biblique...à la portée des enfants

Un documentaire très simple,Promenons-nous à travers la Bible, adaptépar Gérard Fouquet (Le Sarment Hachette,1981), donne une idée du contexte géogra-phique, culturel, social, historique (sansaucune date) de l'histoire d'Israël en incluantle Nouveau Testament; l'histoire racontéeest sommaire, on reçoit des explicationsconcrètes et parlantes et une certaine idée dela manière dont nous tenons cesinformations.

L'atlas illustré des pays bibliques, chezNathan, 1982, a un titre qui induit en erreur:il s'agit plutôt d'une histoire du peuple del'Ancien Testament resitué dans le mondeantique, depuis le départ d'Abraham d'Ur enChaldée jusqu'à Jésus et aux Actes des Apô-tres, le début du christianisme, donc de 1900avant J.-C. à 70 après J.-C. Les textes bibli-ques sont confrontés aux documents, et l'onvoit comment ils se recoupent. Certains rap-prochements avec des événements récentssont amusants. On a des détails de vie quoti-dienne, mais pratiquement rien sur le planreligieux, à part toutefois un éclaircissementsur le point de rupture entre les juifs et leschrétiens. Ce qu'on voit assez bien, c'est lerapport entre la tradition orale et les textesdont nous disposons.

Les deux premiers volumes de L'aventurebiblique écrite par Pierre Talec au Centu-rion, 1982: Le récit des origines et Lespatriarches et Moïse sont déjà complexes.L'introduction situe la Bible par rapport auxgrands mythes mésopotamiens et égyptiensauxquels elle a emprunté pour définir sonidentité, et présente les différentes traditionsqu'on repère dans la Bible. Talec suit le récitle plus ancien, le plus concret, le plus coloré,le plus savoureux: le yahviste, mis par écritau temps de Salomon. C'est mettre le résul-tat de plus de cent ans de critique bibliquesavante à la portée des lecteurs intéressés de12 ans et plus. Un commentaire explique la

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portée spirituelle des textes, les références àdes événements historiques connus parailleurs.

Claire Huchet avait fait une tentative ana-logue et intéressante dans Pour comprendrel'enfance de Jésus, Cerf, dès 1969. Elle s'ap-puyait sur la science historique, avec desphotos évocatrices de ce qui reste vivantdans la Palestine actuelle ou des représenta-tions que se sont faites les sculpteurs descathédrales pour évoquer les Evangiles defaçon très discrète. Il s'agit plutôt de mon-trer en Jésus un enfant juif de son temps quipartageait les croyances, les coutumes et lesjeux des enfants de son âge.

Les Eglises

II faut noter que, si nous n'avons pasd'équivalent pour Le Coran, difficile à met-tre à la portée des enfants dans la mesure oùce ne sont pas des histoires, la Bible consti-tue le patrimoine commun aux musulmanset aux chrétiens (les Hadith ou "dits" deMahomet seraient d'ailleurs plus simples ettout à fait accessibles, sans nécessiterd'adaptation spéciale. Peut-être n'y pense-t-on pas assez).

L'expansion de l'Islam d'Anton Powel etFrançois Carlier (Gamma, 1980, Panoramades civilisations), donne un très bref aperçude l'originalité de l'Islam, mais l'accent estmis sur la civilisation et les conquêtes.Mahomet, prophète de l'Islam de Marie-France Rahmatopoullah (Centurion jeu-nesse, 1982), est plutôt une biographie,d'ailleurs bien documentée.

Michèle Kahn a puisé dans le Midrach, latradition orale populaire qui s'inspirait despersonnages de la Bible et qui a été mise parécrit en Judée vers le 2e siècle avant Jésus-Christ, pour écrire ses Contes du jardind'Eden (Magnard, Fantasia, 1982). L'auteurmêle ses propres fantaisies et commentairesaux histoires racontées comme des contes.On le ressent parfois comme une faussenote... «On croyait autrefois que l'intelli-gence venait du cœur» vient ainsi, même ennote, comme un cheveu sur la soupe !

Henriette Major et Claude Lafortune,dans la suite de L'Evangile en papier et LaBible en papier, ont publié Les premiers pas

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de l'Eglise (Fides-Cerf, 1982); l'illustration,faite de découpages en papiers, détourneplutôt de l'intelligence du récit, du resteassez simple, repris à une émission de télévi-sion québécoise.

Plus ambitieuse, L'histoire des Chrétienspour les jeunes en dix volumes (Hachette-Centurion, à partir de 1980), traduite del'italien, propose deux niveaux de lecture.Le texte le plus développé est bavard et noiede commentaires, pas toujours éclairants,un texte qui aurait seulement besoin decontexte pour parler.

Pierres vivantes: introduction à l'histoiredes religions, à l'exégèse, la théologie, l'his-toire de l'Eglise, les principaux rites, lesgrandes prières de l'Eglise catholique. Cetouvrage a été essentiellement conçu pourl'éducation religieuse des enfants à partir dedix ans, il peut trouver un public beaucoupplus large. Pierres vivantes, diffusé par leCenturion, l'Ecole des loisirs, l'Archevêchéde Paris, a été réalisé durant une périoded'ouverture de l'Eglise et de la hiérarchie.(M.-P.L.)

Un théologien catholique, René Marié,dans La Réforme et les protestants (Marne,Ma première bibliothèque de connaissancesreligieuses, 1982), situe dans leur contextehistorique les différentes formes de protes-tantisme avec l'esprit de leur origine quicontinue à marquer leur spiritualité actuelle.La présentation — avec des questions dansla marge pour vérifier si les lecteurs ont luattentivement ! — est un peu scolaire, mais

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le texte est honnête, utile, accessible dèsneuf-dix ans.

Albert Greiner présente Martin Luther,un passionné de vérité (Centurion-jeunesse,1983). Il se centre sur la personnalité deLuther, et met en relief son désir premier deréformer l'Eglise catholique et non de rom-pre avec elle. A partir de lettres (attribuées àun lansquenet, à un étudiant en théologie), ilreconstitue un peu l'atmosphère de l'époque.Mais il laisse des zones d'ombre sur l'atti-tude de Luther par rapport à la révolte despaysans, par exemple, et s'il met en doute lafidélité des copistes qui ont rapporté les célè-bres «Propos de table», on aurait aimé enavoir quelques exemples... Et pourquoi dia-ble n'avoir pas insisté davantage sur les cho-rals, dont un texte seulement — mais sans lanotation musicale de Bach — est donné enfin de volume? Marie-Isabelle Merlet

Des livres de prières

Extrait d'une étude beaucoup ptusexhaustive, consultable au Centre Nationaldu livre pour enfants.

Le gros handicap de ces livres de prières,aux textes parfois bons, est la médiocrité desillustrations, leur infantilisme et leur man-que d'esthétisme, mais c'est peut-être dukitsch !

Seuls touchent les illustrateurs qui ontpris le parti de la sobriété: Lizzie Napoli,Noëlle Herrenschmidt et Bernadette: tachesde couleur, images esquissées, simplicité destraits, images qui font appel à l'imaginationplus qu'elles n'illustrent les textes. La prièrenécessite peut-être plus que tout autre texteun envol de l'esprit et une ouverture sur unimaginaire qui ne soit pas étriqué dans lecadre étroit et insipide d'une image médio-cre. Dominique Rigel

René Berthier: Dieu, mon ami, ill. de NoëlleHerrenschmidt, Fleurus, 1974.

Danielle Monneron: Je chante pour toi, ill.Lizzie Napoli; préface de Pierre Talec, leCenturion, 1972.

Brigitte Hanhart: Notre Père qui es auxieux, ill. de Bernadette, Centurionjeunesse,979.

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Page 8: diques {Hugo et Joséphine) essentiellement, approches de ...cnlj.bnf.fr/sites/default/files/revues_document_joint/PUBLICATION_2753.pdfJonathan Livingston le goéland, à la quête

Un livre d'éveil religieux

Un trésor caché, Centurion jeunesse, 1982(Collection Pomme d'Api).

Initiation à l'esprit de l'Evangile, texte deJoëlle Chabert, François Mourvillier,Danielle Monneron, sur une idée de Véroni-que Lory

Véronique Lory: Quand Pomme d'Api acommencé à paraître, il y a une quinzained'années, j'ai tout de suite été intéressée parla page centrale d'éveil religieux, car il yavait là un ton qui n'existait pas ailleurs.Regrettant que cela reste aussi confidentiel,j'ai eu envie de faire un livre, qui pourraitêtre connu de tout le monde. Au départ, onm'a simplement demandé de faire un choixparmi les pages de Pomme d'api quim'avaient le plus intéressée ; à partir de là,on pouvait faire des rapprochements, deschapitres, et donc un livre.

Le gros travail a été sur le langage, qui aété une nouvelle création : à partir des textesanciens pour en tirer autre chose, mais engardant l'esprit, récrire pour les enfants cequi est écrit pour les parents. La priorité quej'ai défendue, et j'ai dû me battre, c'étaitqu'on ne s'adressait pas seulement à des gensélevés dans la religion catholique. En tantque libraire, en effet, j'ai toujours été frappéepar les questions de certains clients relativesà la recherche spirituelle, un éveil religieux,une pratique religieuse abandonnée, commesi je pouvais les aider. Maintenant qu'il estsorti, le livre répond parfois à ces questions.

Michèle-Pierre Lagrange : II y a des mèresqui viennent parce qu'elles sont interrogéespar leur enfant alors qu'elles n'ont jamaisélevé, ni donné une idée quelconque à leurenfant dans ce domaine... Simplement lesenfants entre eux, au contact des autresenfants qu'ils voient dans les groupes ; dansles cantines, par exemple, où certains ont desdifférences de régime, de nutrition, à partirde cette constatation simple et quotidienne,ils se demandent pourquoi. Les questions seposent à partir du vécu : pourquoi certains

On trouvera, dans le n°107 de Communicationhumaine aujourd'hui, des points de repères sur l'en-fant et la foi (revues, émissions), et une sélection dudépartement Livre-jeunesse de Chrétiens-Médias(19, rue de l'Amiral-d'Estaing, 75116 Paris; prix dunuméro: 15 F).

enfants portent-ils une calotte? Pourquoicertains enfants ont-ils un menu spécial àtable? Pourquoi certains sont arrivés unmercredi avec des cendres sur le front? Pour-quoi il y en a qui rient tout le temps quand onparle de Dieu?

A propos d'une vie de saint

Les "vies des saints" sont passées de mode,sauf pour saint François d'Assise, toujourspopulaire et mis au goût du jour...

Moi, François d'Assise, de Carlo Car-retto, Centurion, 1982.

Quel dommage de réduire la vie et l'ensei-gnement de saint François à un livre demorale plus révélateur de son auteur que deFrançois. Dans le but de montrer l'éternitéde sa pensée, l'auteur adopte le présent etmêle sans cesse des exemples contemporainsau récit. Résultat: on ne découvre plus dutout l'époque et le cadre historiques qui res-tent très imprécis, et la pensée de saint Fran-çois n'a plus de force. Les soi-disantréflexions de saint François ne peuvent êtreque celles de l'auteur [...].

Gilberte Mantoux

Le parti pris de raconter la vie de saintFrançois à la première personne, avec lerecul de huit siècles, donne lieu à des difficul-tés: le ton rappelle rarement celui des Fio-retti (hormis l'anecdote de Frère Genièvre).D'autre part, des allusions aux problèmesdu XXe siècle impliquent certains engage-ments: les Palestiniens actuels seraient levéritable Israël de Dieu. Les femmes et l'atti-tude de l'ayatollah Komeyni sont présentéesen opposition à la personnalité de sainteClaire (pourquoi ne parle-t-on pas de lasœur de sainte Claire, Agnès, qui s'est enfuieaussi de la maison familiale ?), le sacerdoceest mis en question de façon ambiguë. Le faitde demander l'aumône au lieu de gagner sonpain en travaillant est dénoncé: il est pour lemoins curieux que ce soit mis dans la bouchede saint François (même si l'on profite de cequ'on le fait parler huit siècles après samort). On lui fait même prendre la défensede l'écologie. Dans sa volonté de l'actualiser,l'auteur prend saint François d'Assise enotage pour lui faire défendre ses propresthèses. Marie-Isabelle Merlet

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