Discours d'Amin Maalouf

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  • 8/7/2019 Discours d'Amin Maalouf

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    Discours dAmin Maalouf lors de la rception du Prix Prncipede Asturias

    L'immense bonheur que j'prouve en recevant le prix des lettres de laFondation Prince des Asturies, j'aurais voulu l'exprimer, comme d'autresintervenants, dans la langue de Cervants, de Borges et de Garca Lorca. Hlas,

    je ne le pourrais pas. Le castillan est une langue que j'aime couter, que j'aimelire et que je comprends un peu mieux que je ne l'avoue d'ordinaire. Mais je me

    sens incapable de l'employer avec la justesse et la subtilit qu'elle mrite. J'en aiun peu honte, ce soir, mais j'espre que vous verrez dans mon usage d'unelangue venue de l'autre ct des Pyrnes et d'un accent venu de l'autre ct dela Mditerrane un symbole de l'attention de votre fondation et de votre pays la diversit du monde.Cette diversit du monde, cette extraordinaire diversit culturelle qui caractriseaujourd'hui toutes les socits humaines, il nous arrive tous d'en chanter leslouanges, mais il nous arrive tous aussi d'en souffrir. Parce qu'elle est source derichesse pour nos pays, mais galement source de tension. Les nations fondessur la diversit ethnique et sur l'immigration sont parmi les plus dynamiques dela plante - il suffit de regarder au-del de l'Atlantique pour s'en convaincre.

    Mais souvent, ce dynamisme s'accompagne de malaises, de discriminations, dehaines, de violences.La diversit n'est, en elle-mme, ni une bndiction ni une maldiction. C'estsimplement une ralit, un constat. Le monde est une mosaque auxinnombrables nuances, et nos pays, nos provinces, nos villes seront de plus enplus l'image du monde. La question n'est pas de savoir si nous pourrons vivreensemble malgr nos diffrences de couleur, de langue ou de croyance; laquestion est de savoir comment vivre ensemble, comment faire de notrediversit un avantage plutt qu'une calamit.

    Vivre ensemble ne vient pas facilement aux hommes, leur raction spontaneest souvent de rejeter l'autre. Pour surmonter ce rejet, il faut un long travail

    d'ducation citoyenne. Rpter inlassablement, aux uns et aux autres, quel'identit d'un pays n'est ni une page blanche o l'on peut crire n'importe quoi

    http://www.mtein.org/laureatmaalouf25102010.jpg
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    ni une page dj crite et imprime. C'est une page en train de s'crire ; il y a unpatrimoine commun - des institutions, des valeurs, des traditions, un mode de

    vie - auquel chacun doit adhrer; mais chacun aussi doit se sentir libred'apporter sa contribution, en fonction de ses propres talents, et de ses propressensibilits. Installer ce message dans les esprits est aujourd'hui, de mon point

    de vue, une tche prioritaire pour les hommes de culture.La culture n'est pas un luxe qu'on peut seulement se permettre dans les priodesfastes. Elle a pour fonction de poser les questions essentielles: Qui sommes-nous? O allons-nous? Que cherchons-nous btir? Quelle socit? Quellecivilisation? Et sur la base de quelles valeurs? Comment utiliser les moyensgigantesques que nous offre la science? Comment en faire des instruments delibert plutt que de servitude?Ce rle de la culture est encore plus crucial en des poques d'garement. Etnotre poque est une poque d'garement. Si nous manquons de vigilance, lesicle qui vient de commencer sera un sicle de rgression morale - je le dis avectristesse, mais en pesant mes mots. Un sicle de progrs scientifique et

    technologique, sans aucun doute. Mais aussi un sicle de rgression morale.Affirmations identitaires exacerbes, souvent violentes et souvent rtrogrades;affaiblissement de la solidarit entre les nations et au sein de chaque nation;essoufflement du rve europen; rosion des valeurs dmocratiques ; recourstrop frquents aux expditions militaires et aux lois d'exception... Lessymptmes sont nombreux.Face cette rgression qui s'amorce, nous n'avons pas le droit de nous rsignerni de cder au dsespoir. Aujourd'hui, l'honneur de la littrature, et notrehonneur tous, c'est de chercher comprendre les complexits de notre poqueet d'imaginer des solutions pour que notre monde demeure vivable. Nousn'avons aucune plante de rechange, nous n'avons que cette vieille Terre, et

    notre devoir est de la prserver, de l'harmoniser et de l'humaniser.