Discours du président lors la remise des insignes de l'Ordre national

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Allocution

du prsident de lAssemble nationale,

M. Jacques Chagnon

loccasion de sa nomination

au grade dOfficier

de lOrdre national de la Lgion dhonneur

par le prsident de la Rpublique franaise,

M. Franois Hollande

Paris Le 2 fvrier 2016

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Monsieur le Prsident,

mu, mu, je le suis de recevoir cette distinction! Son fondateur, lempereur Napolon 1er, a t lun des htes les plus prestigieux de la maison. Cest dailleurs ici, au Palais du Luxembourg, quil a voulu voir voluer sa cration : le Snat franais. Cest le 24 floral de lan X, soit le 14 juillet 1804, quil a remis sa premire Lgion dhonneur la chapelle des Invalides.

Au moment de sa cration, en 1802, on prtend que lvque dAutun, Monsieur de Talleyrand, ministre des Affaires extrieures de Napolon, eut la rflexion suivante : Sire, pourquoi crer cette dcoration, cest une babiole inutile , et Napolon aurait eu ce mot en guise de rponse : Sachez, Monsieur, quon mne les hommes avec des hochets.

Je souponne que ce sont ces mots qui viennent immdiatement la bouche de ceux dont le dsir inassouvi est de la recevoir ou chez les quelques-uns qui lont refuse!

Depuis 1804, le million de personnes qui lont reue ont certainement t mues, comme je le suis, ce soir, davoir t reconnu pour lhonneur et la patrie .

Dans mon cas, nayant pas la chance davoir la double citoyennet, cela me ramne quand mme mes origines qui sont dici. En effet, cest proximit de Tours, plus prcisment St-Georges de Tours en 1645, que fut baptis Franois Chagnon, dit Larose. Il fut cardeur et soldat; cest en cette qualit qu lge de vingt ans, comme soldat du Rgiment franais Carignan-Salires, il sembarqua, lui et plus de 1 200 autres, pour la Nouvelle-France avec mission de protger les installations franaises des incursions de la nation iroquoise. Il arriva Qubec, le 18 aot 1665, sur le bateau lAigle dOr, il y a de cela 350 ans, lt dernier. Tous les Chagnon de la Nouvelle-France, plus tard du Qubec et du Canada et aussi des tats-Unis, sont des descendants de Franois. Il ne retourna jamais en France; il stablit au bord du fleuve Saint-Laurent Verchres o il mourut en 1693, laissant en hritage un fusil, trois btes cornes et 7 arpents de terre en valeur .

Seuls, quelques Chagnon sont revenus sur la terre de leurs anctres. Ils y sont revenus comme Franois, titre de soldat, cette fois-ci, comme Canadiens, venant librer la France deux fois au cours du sicle pass.

Malgr toutes les difficults que lon peut imaginer, les 12 gnrations qui mont prcd ont assur la prennit dans leur famille, non seulement de la langue franaise, mais aussi de la grande culture franaise. Mon pre, dot dune bonne bibliothque, nous a levs, trs jeunes, avec la Chanson de Roland et la posie de Ronsard. Mes parents, mon oncle et mes tantes furent la premire gnration venir en France pour le plaisir : smerveiller devant tel tableau, dans tel muse, telle cathdrale, devant tel spectacle, pour tel auteur, etc.

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Tout cela mmerveille aussi; en fait, je viens en France depuis 47 ans et jen suis ma 70e visite.

Plusieurs de ces venues ont t faites dans le cadre dactivits parlementaires tant lAssemble nationale quau Snat. Il est vrai que je suis membre de notre groupe damiti depuis seulement 30 ans... Nos frquentations assidues nous ont permis de mieux nous connatre et de nous apprcier mutuellement. Nos discussions, souvent sont trs srieuses, mont quand mme permis de conclure, comme Hemingway, que : Paris est une fte. Rcemment, Paris a connu des moments trs difficiles, mais quand les loups sont dans Paris, comme ce fut le cas au cours des 150 dernires annes, les occupants, les mitrailleurs, peu importe do ils viennent, on les met dehors et on recommence la fte! a, cest lesprit franais! Cest a la diffrence.

Ma France, moi, cest celle de Michel de Montaigne, qui nous claire encore par son ouverture sur lducation, la culture, le voyage et louverture aux autres.

Cest celle de Montesquieu, qui nous a lgu les codes de lorganisation dune socit dmocratique base sur le droit; cest celle de Descartes pour sa dmonstration de limportance de linfluence de la raison; ainsi que celle des encyclopdistes, Diderot en tte, pour leur infatigable recensement de la connaissance humaine de leur poque.

Cest aussi celle dAlexis de Tocqueville, qui synthtise les lments dune socit dmocratique moderne.

Cest Rimbaud qui fait rver; cest Baudelaire qui crit parmi les plus belles pages de la critique de lart.

Plus prs de nous, ce sont Aragon, Sartre, Camus, de Beauvoir, Yourcenar et Malraux, le magnifique, dont les romans ont inspir mon dbut dge adulte et dont le discours sur lart demeure un chef-duvre. Il fut un grand politique , qui permit lentre du Qubec sur la scne franaise au dbut des annes 60 avec son vis--vis Georges-mile Lapalme, ministre du gouvernement de Jean Lesage.

Tous ceux-l ne sont que quelques reprsentants de la civilisation franaise qui clairent encore une partie de notre humanit.

Ces rayons de lumire ont influenc toute la francophonie : chez nous, les Gaston Miron, Anne Hbert, Michel Tremblay, Dany Laferrire; Aim Csaire, aux Antilles; Lopold Senghor, en Afrique noire. Voil! Une infime partie des rcoltes de la francophonie qui, par lapprciation dune langue, ont essaim des cultures originales, riches et vivantes, sur tous les continents.

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Voil o nous en sommes! Cest dj extraordinaire. Mais, mes chers amis, un immense dfi nous attend. La culture franaise a tranquillement dclin au cours des 150 dernires annes marquant la rvolution industrielle. Lavnement de la puissance amricaine et langlais, issu dune riche culture, est devenu une langue incontournable et puissante. Je ris des don Quichotte qui veulent combattre la langue anglaise; ils pourraient aussi combattre lmergence du mandarin tant qu y tre ! Non, lavenir du fait franais passe par trois stratgies.

Si nous avons un peu rat le coche en ce qui concerne la rvolution industrielle, eh bien, bonne nouvelle, elle est termine. Mais ne ratons pas la rvolution numrique pour laquelle nous nen sommes quaux premiers balbutiements. Que nos tats francophones financent davantage lducation, la recherche et le dveloppement! Prenons un leadership dans cette rvolution qui affectera tous les humains.

Deuxime stratgie : investissons dans la culture et ses produits drivs. La culture dans un espace numris donne au commerce, lindustrie, la finance un regard nouveau. Les cinq socits les plus cotes dans les diffrentes bourses du monde nexistaient pas ou peu prs pas il y a dix ans, et sont toutes lies au monde de la communication et de la culture. Nous devons tout de suite impliquer les pays francophones du sud par lutilisation dune langue daffaires numrise.

Troisime stratgie : assez simple et assez complique en mme temps. Comme vous le savez bien, lavenir se conjugue avec la dmographie. Or lquation est facile : lavenir est au sud et particulirement en Afrique. On entend de plus en plus dire quen 2040, il y aura prs de 600 millions de locuteurs francophones, dont 500 millions en Afrique. Ne soyons pas myopes. Le franais nest pas la langue maternelle des Africains; ils parlent le peul, le songha, le yoruba, ligbo, etc. Le franais, ils lapprennent lcole, et cela devient la langue vhiculaire qui cimente socialement les pays africains, dits francophones. Cest l tout un dfi : trouver les enseignants, valoriser la technologie francophone, adapter la pdagogie aux diffrents milieux en tenant compte de leur culture maternelle. Il est de notre devoir de les aider en fonction de leurs besoins et des directions quils veulent prendre pour relever cet immense dfi!

Une langue vhiculaire peut en remplacer une autre. Lexemple des anciennes colonies franaises est assez concluant. Aujourdhui, quand vous circulez au Vietnam, au Cambodge ou au Laos, le franais est la langue des personnes instruites et souvent ges. La langue seconde chez les jeunes est gnralement langlais ou le mandarin...

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Donc, que pouvons-nous faire? Je vois une espce de plan Marshall de la francopho-nie pour augmenter rapidement les niveaux dinstruction dans toute lAfrique francophone. Comment? Et cest l tout un dfi : en finanant des infrastructures scolaires avec les grands fonds daide internationale, en aidant trouver les enseignants, en valorisant la technologie francophone, en adaptant la pdagogie aux diffrents milieux, tout en tenant compte de leur culture maternelle. En lanant le dfi dune vie tous, des enseignants de tous niveaux et encore jeunes, quils soient de chez nous, de chez vous, ou dailleurs dans la francophonie, quils aient pris ou prendront leur retraite, et qui dcident de venir passer un an, deux ou trois ans former des professeurs africains ou tout simplement enseigner leur spcialit dans la langue de Molire aux millions de jeunes en attente de savoir!

Chez nous, des dizaines de milliers denseignants vont prendre leur retraite dans les annes qui viennent. Le dfi qui saurait attirer plusieurs dentre eux serait de transfrer leur savoir, leurs connaissances dans un pays exotique; bien sr, condition que des structures daccueil soient mises en place, et que leur scurit soit assure.

Et pourquoi ne pas mobiliser nos rservoirs de connaissances partout chez nous, chez vous, pour assurer la prennit de la langue franaise!

Cest l un dfi la mesure de la grandeur de notre culture!

Merci.