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"Le vulgaire s’imagine volontiers que ce qui est laid n’est pas matière artistique. C’est une profonde erreur. Tout ce qu’on nomme laideur dans la nature peut dans l’art devenir admirable." (Rodin)Dissertation générale, niveau gymnase, deuxième année maturité (Suisse).
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Jonas Vautherin, 2MS2
1er Juin 2006-06-01
Dissertation
Le vulgaire s’imagine volontiers que ce qui est laid n’est pas matière artistique.
C’est une profonde erreur. Tout ce qu’on nomme laideur dans la nature peut
dans l’art devenir admirable.
(Rodin)
Selon Rodin, les gens ordinaires pensent facilement que l’art ne peut pas être fait
de quelque chose de laid. Il réfute cette thèse en affirmant, quant à lui, que tout ce
qui est laid peut, par l’art, devenir admirable. Notons tout d’abord que le terme de
« vulgaire », signifiant ici la classe moyenne de la société, les gens n’ayant pas une
grande culture, n’est pas péjoratif. Il apporte toutefois une sorte de hiérarchisation,
plaçant l’auteur de la citation au-dessus de ceux dont la thèse qu’il réfute provient,
accentuant l’assurance exprimée dans le ton utilisé. Le présent donne aussi une
valeur d’affirmation à la citation, ne laissant pas de doutes quant à la position de
l’auteur de celle-ci. Il conviendra donc, tout d’abord, de se demander ce qu’est l’art,
pour ensuite se demander ce qui est réellement admirable, et le rapport entre ces
termes et la beauté. Car ce qui est admirable doit-il forcément être beau ? Et dans
quelle mesure ?
Concernant la façon dont devraient être exprimées de telles choses pour être
désignées comme admirables, c’est par l’art que l’auteur de la thèse apporte une
solution. Mais que signifie réellement la notion de matière artistique ? L’art est
donc, par définition, l’expression d’un idéal esthétique, ou un mode d’expression de
la beauté1. Mais l’expression de cet idéal fait inévitablement intervenir le concept
de beauté. Ce qui pourrait pousser à mettre l’art en opposition avec la laideur. C’est
donc par définition que ces deux notions, l’art et la laideur, sont antithétiques d’une
certaine manière. Et c’est peut-être cela que reproche l’auteur. Car cette définition
entraîne indubitablement une personne de classe moyenne, n’ayant pas une culture
très étendue, à penser ainsi qu’il le précise. Mais en poussant le raisonnement plus
1 Selon « Le Petit Robert »
loin, on pourrait alors rapprocher la laideur à cette matière artistique. Or il faudrait
pour cela définir le mot « admirable ».
Réfléchissons alors à ce que signifie ce mot afin de pouvoir se représenter ce qui
l’est réellement ou non. Par définition, est admirable ce qui est étonnant, ou ce qui
est d’une beauté digne d’admiration2. En cela Rodin voudrait donc dire que tout ce
qui est déplaisant peut, grâce à une bonne représentation artistique, devenir beau. Et
ceci peut paraître contradictoire. Mais en quoi la beauté ne pourrait-elle pas porter
une certaine forme de répugnance ? Ne pourrait-on pas apporter maints exemples où
se mêlent parfaitement la beauté et l’aversion ? Dès lors la véracité de la thèse écrite
par Rodin en devient claire. Prenons deux poèmes de Charles Baudelaire, intitulés
Les petites vieilles et Une charogne. Il est incontestable que la mort et la vieillesse,
pour l’un, et un cadavre pourrissant pour l’autre, ont été une source d’inspiration
pour Baudelaire qui a mêlé ces choses peut-être dégoûtantes à des sentiments tels
que le plaisir charnel, évoquant donc une certaine attirance, une certaine beauté dans
ces dernières. Il est certain que la manière dont être décrite cette charogne est pour
le moins belle. Ou prenons plus généralement le recueil d’où sont tirés ces poèmes,
les Fleurs du Mal. Ce simple titre montre que l’on peut tirer une certaine beauté
dans le Mal. Or le Mal est facilement associé à ce qui est laid, et Baudelaire a su
tirer de ce Mal des textes véritablement admirables au sens propre. On pourrait
encore citer les quelques vers dissyllabiques qu’exprime Gargantua3, en parlant du
meilleur « torche-cul » qu’il ait trouvé. Il est impressionnant de réaliser que l’auteur
y a décrit le « torche-cul » en vers, rendant une certaine forme de beauté à cette
explication.
On saurait cependant exposer un argument de Socrate, lors d’une discussion avec
Calliclès4, ou Socrate prouve à Calliclès que certaines choses – ici des gestes
obscènes ainsi que la vie des êtres obscènes – sont définitivement mauvaises et ne
sont pas relatives au point de vue. Néanmoins, rien ne prouve que l’on ne puisse pas
tirer de ce plaisir méprisable, une forme admirable. Il en serait ainsi le cas dans le
poème intitulé Le vin de l’assassin, de Baudelaire, où un meurtre est décrit
remarquablement, oubliant le côté horrible de l’acte et se fixant sur les plaisirs qu’il
entraîne. Donc dans tous ces exemples, des résultats admirables ont été inspirés par
2 Selon « Le Petit Robert »3 Dans Gargantua, de François Rabelais4 Extrait du Gorgias, Platon
des choses, des actes, des idées que l’ont peut aisément qualifier comme
répugnantes, laides.
On pourrait encore se demander si quelque chose de laid devient admirable, ou au
contraire s’il ne l’est pas déjà. Car s’il ne l’est pas selon Rodin, il l’est au contraire
pour Baudelaire. On annoncerait ainsi une citation de ce dernier : Le vice est
séduisant, il faut le peindre séduisant, mais il traîne avec lui des maladies morales
singulières, il faut les décrire. En cela donc l’avis de ces deux artistes diverge. Mais
ce point peut être considéré comme négligeable dans le sens où il ne change en rien
le fait que ce qui est laid puisse, ou non, devenir admirable.
Il est indiscutable que la laideur, considérée comme telle, le reste obligatoirement.
Mais rien ne lui empêche d’être un facteur d’inspiration dans l’art, autrement dit
cette fameuse matière artistique. Beaucoup d’artistes ont bel et bien utilisé cette
inspiration pour créer leurs œuvres qui sont indubitablement considérées comme
admirables par beaucoup. Quelque chose de laid peut donc avoir pour fruit une
œuvre magnifique et impressionnante, comme ce fameux recueil de Baudelaire, Les
Fleurs du Mal, l’exprime magistralement en son titre. Afin de renforcer le fait que
l’art puisse effectivement être issu d’une chose laide, on pourrait terminer sur une
citation d’Emmanuel Kant, qui a écrit que l’art n’est pas la représentation d’une
belle chose, mais la belle représentation d’une chose.