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©Éditions de Sombreval, 2007 - Théologie et Spiritualité_Ecrits_Divers/Franck_Duquesne/Reflexions_sur... · suite de nombreux pères de l’Église et théologiens médiévaux,

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  • ditions de Sombreval, 2007

  • Albert Frank-Duquesne

    RFLEXIONS SUR SATAN EN MARGE DE LA TRADITION

    JUDO-CHTIENNE

    ditions de Sombreval

  • Prsentation Ce texte dAlbert Frank-Duquesne (1896-1955) est paru

    initialement en 1948 dans un numro des tudes Carmlitaines, diriges depuis 1930 par le Pre Bruno de Jsus-Marie. Ce volume consacr Satan regroupe des contributions de haut niveau, manant dintellectuels chrtiens, de critiques minents ainsi que des reprsentants les plus brillants de la psychologie franaise. Citons Louis Massignon, Albert Bguin, Joseph de Tonqudec, Jacques Madaule, Franoise Dolto. Ltude dAlbert Frank-Duquesne, la plus longue du recueil, se distingue par son originalit, sa densit thologique et par sa richesse dinfor- mation. Lcrivain catholique, qui a appris lire la bible ds son plus jeune ge en hbreu (son pre tait un rabbin converti au catholicisme), a tout au long de sa vie plerine accumul un savoir immense dont il sest fait un instrument destin servir la cause de Dieu. Comme le notait Paul Claudel, chaque mission de sa pense une pense singulirement lucide, puissante et originale suscite en elle un monde entier de rfrences . Lrudition accourt de partout et donne la pense la capacit de frayer des voies nouvelles, hors des chemins convenus, de revi- vifier des concepts, des thmes thologiques, des dogmes qui semblaient vous la ptrification. Les rflexions de Frank-Duquesne sur Satan sont nourries par sa connaissance appro- fondie de lcriture, de la littrature rabbinique, de la liturgie, de la patristique, du symbolisme et de lsotrisme. Il fallait sans doute toute cette matire pour apprhender cette ralit infi- niment mystrieuse quest le monde des esprits, celui des anges protecteurs et bienfaiteurs, serviteurs de la Beaut et rgents du monde physique, mais aussi des anges dchus, leurs rivaux et usurpateurs. Lauteur reprend et dveloppe certaines conceptions traditionnelles relatives la rvolte satanique ; plusieurs textes no-testamentaires nous instruisent des mobiles qui ont pouss les anges rebelles dans leur entreprise dsastreuse : lenvie, lgosme, la dfaillance de la foi, le mpris de lIncarnation. Frank-Duquesne brosse un portrait psychopathologique saisis- sant de leur prince, Satan, lennemi du genre humain, le serpent de la Gense et linstigateur de cet on mauvais o nous sommes plongs depuis la Chute. Il sinterroge galement, la

  • suite de nombreux pres de lglise et thologiens mdivaux, sur lhypothse de la corporit des anges, en conflit avec celle de leur spiritualit pure. Il consacre plusieurs pages tonnantes cette guerre dans le ciel voque dans lApocalypse, celle qui opposa saint Michel et les anges fidles au Trs-Haut Satan et ses sides. Loriginalit de ses vues sur cette guerre cleste doit beaucoup la science quil a acquise dans le domaine de la mtapsychie. Lcrivain nexclut rien de ce qui est susceptible dclairer le donn rvl. Sa thologie est vivante et concrte. Lorsquil aborde le problme du mal, Frank-Duquesne peut dployer toute sa verve, car pour lui le mal a dabord un visage, celui de notre ennemi, le Rprouv qui a introduit dans lhistoire ce qui aurait d rester ltat de non-tre , dhypothse odieuse, de larve . Ce mal qui se dchane mesure quil prend consistance en nous, lcrivain nous en montre le caractre sordide, toujours fangeux. Se dfaire de toute complicit son gard, tel est le devoir le plus pressant du chrtien.

    Il se trouvera sans doute des lecteurs sourcilleux qui, dconcerts par ce texte, son originalit, son ton si personnel, auront tt fait den suspecter lorthodoxie. Quelques mauvais scrupules les empcheront den savourer toute la substance, la puissance de vie. Comme le soulignait le frre Jean-Dominique dans un texte dhommage, si la pense de Frank-Duquesne nous apparat si originale c'est parce que d'abord elle n'a cherch qu' tre originelle, c'est--dire poste, tablie, autant qu'il est permis l'infirmit humaine, dans cette Origine qui est aussi le Terme Originalit, force, inspiration... Ces trois traits se manifestent aussi dans son style, dune grande fermet, la fois ample et prcis, style vivant et personnel, rfractant cette Parole de Dieu qui stait comme amalgame sa propre substance. Par sa puissance verbale, Albert Frank-Duquesne a insuffl ces rflexions une intensit rarement atteinte dans la littrature chrtienne.

    NDLR : Nous tenons remercier les Carmes Dchaux de la Province de Paris de nous avoir autoriss publier nouveau ce texte.

    Nicolas Mulot

  • PREMIRE PARTIE :

    PARTIR DE LANCIEN TESTAMENT

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    1. Le Serpent de la Gense

    Ouvrons le Discours sur l'Histoire universelle. Tout au dbut Bossuet dit : Mose propose aux Juifs charnels, par des images sensibles, des vrits purement intellectuelles... C'est ainsi que le Serpent de la Gense est une vive image des dtours fallacieux du Tentateur ; et la terre, dont il est dit que le Serpent se nourrit, signifie les basses penses que le Tentateur nous inspire . Bien que l'Aigle de Meaux ait la faiblesse de suivre gnralement l'exgse allgorique des Pres plutt que de s'en tenir la seule obvie celle-ci lui apparaissant comme une pdagogie menant celle-l on admet d'habitude qu'en l'occurrence son interprtation se recommande mme aux esprits contemporains nourris (si jose dire) de critique et de circonspection chartiste. Le fait est que note Newman tout le rcit de la Chute, dans la Gense, is full of difficulties, four- mille de problmes . On y trouve, sans aucun doute, un rap- port de faits authentiquement historiques : il s'est vraiment pass quelque chose. Mais, tout aussi visiblement, ces vnements rels nous sont prsents sous une forme stylise, folklorique, ds longtemps cliche, allgorique, et par voie d'allusion signifi- cative, de symbole suggestif, plutt que de procs-verbal : la Bible ignore le pur et simple fait-divers . Ainsi, la charge , en matire de croquis, livre et dvoile-t-elle le modle bien mieux que le portrait. Au surplus, s'agissant dans la Gense, d'un tat d'tre, d'une dispensation d'un on que nous sommes devenus incapables de comprendre1, nous eussions t inaptes recevoir et saisir aucune doctrine de la chute, si certains lments ne nous en taient proposs par voie de symboles2. 1 L'Histoire s'insre entre deux ons galement mystrieux et irrductibles aux notions drives de notre exprience : celle d'aprs le Dernier Jour et celles d'avant la Chute. La vie dnique est l'eschatologie comme, entre elles, les deux moitis, droite et gauche du corps humain. 2 Batiffol a montr que, pour les Anciens, le symbole est un mythe, non pas imagin de toutes pices, mais empruntant au rel ses lments de prsen- tation. Pas de dualisme la cartsienne entre la chose et le signe , mais symbiose et synergie, dualit complmentaire, synthse ralise par l'unit suprieure du sens, de la porte. Aussi le symbole peut-il nous donner cette connaissance obscure, quasiment connaturelle, de l'ineffable, que les concepts et les structures abstraites sont inaptes confrer. Jsus, qui veut nous faire

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    L'preuve de nos premiers parents ne doit, ici, nous intresser que dans la mesure o elle claire notre sujet. Or, en vertu mme de sa constitution, l'homme ne pouvait manquer de ressentir la tentation, sans laquelle nous ne pourrions d'ailleurs rver pour lui de progrs et d'ascension (ccl, 3:21). Cependant, l'quilibre intrieur d'Adam est tel que les charmes purement extrieurs de ce monde ne pourraient l'entamer. Le poids, l'attraction, la sduction gravitationnelle de ces prestiges, qui n'appartiennent qu' ce que Pascal appellerait les grandeurs (ou l'ordre) de la chair , ne pourraient, sans l'intervention d'un esprit sducteur et dmoniaque initiateur (1 Tim, 4:1) lui-mme la fois dupeur et dup (par son aveuglante infa- tuation, cf. 2 Tim, 3:13) dsorbiter l'homme, l'aliner, l'arra- cher l'attirance du Royaume. Il a fallu que le Diable vivifit la tentation, en s'insinuant lui-mme au cur d'Adam (cf. Jean, 13:27). Tel a t le rle du Serpent .

    De ce personnage la fois rel et symbolique, on a donn les plus diverses explications . mais la plus satisfaisante nous semble tre la plus simple, la plus courante dans les premiers sicles de l'glise : quelle que soit notre conception du Dmon, elle vaut aussi pour le Serpent3, cet acteur enfl d'une assez courte astuce, ce tratre du drame primitif, qui ne se trouve court que devant la simplicit, la pauvret d'esprit , le dmantlement d'une me ouverte et sans replis ni recoins. L'instinct des imagiers anciens l'a reprsent se nourrissant lui-mme du Fruit dfendu ; de sorte que sa seule attitude, sans mme aucun discours articul, parle , agit par la contagion de l'exemple et suggre le doute quant aux menaces divines. Mais, s'il en mange sans, du coup, mourir , c'est qu'il est dj mort . Comme nous-mmes sigeons, d'ores et dj, aux cieux dans le Christ (ph, 2:6 ; Col, 3:1-4), ainsi le Tentateur est dj, virtuellement et comme en sursis, livr la seconde mort (Apoc, 20:14) : ses pseudo-jours sont compts (cf. Luc, 10:18). Il trane travers la cration le simulacre de la vie, la contacter des ralits vivantes et nous induire en des tats d'me, enseigne donc par voie de paraboles. 3 Dans la tradition rabbinique, le Serpent est pourvu, non seulement du langage articul, mais de membres et de pattes : son apparence voque celle du chameau (Pirq de R. Elizer, 13 ; Yalkouth Schim, 1:8C ; Br. Rab, 19). On songe aux grands sauriens des origines.

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    pseudo-vie qui tue, commencer par celui qui la rpand comme un sillage de bave4...

    Ce Serpent, l'Apocalypse l'identifie sans aucun doute Satan : Il a t prcipit, le Grand Dragon, l'Antique Serpent, lui qu'on appelle aussi le Diable et Satan, le sducteur de toute la terre (Apoc, 12:9), c'est--dire, en vocabulaire scripturaire, de toute la nature sensible, par le canal de l'homme5. Or, l'inter- vention de ce personnage actif jusqu' la fin des temps, mais gotant d'ores et dj sa praelibatio sententiae, comme dit Tertullien nous confronte avec un autre problme : l'origine du mal. Il est relativement facile de raconter comment dbutrent les rapports du Maudit avec l'espce humaine ; mais il est terriblement difficile et sans doute impossible, aujourd'hui d' expliquer exhaustivement comment, au sein mme de l'ternit, a pu s'originer le pch, le mal moral, la perversion de l'esprit.

    2. Le Mal et le Malin

    L'Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal ne nous est prsent, dans la Bible, que par rapport l'interdiction de manger de son fruit, qu' titre, quasiment, de prtexte cette prohibition, cette mise l'preuve. Il est tout fait inutile de se creuser les mninges pour lucider ces deux thmes, d'abord indpendants (sous leur aspect statique), puis conjugus (sous leur aspect dynamique) : l'Arbre et l'Interdit. L'Arbre n'est l que pour tre dcrt vitandus ; il n'est mentionn qu' propos de 4 D'aprs la tradition juive, le Serpent sduit le premier couple en ren- chrissant sur la prohibition divine : Dieu a dfendu de manger ; d'aprs le Tentateur, il est mme interdit de toucher l'arbre. Or, il le touche, et rien de dsastreux ne survient : Vous voyez bien ! ve, donc, touche aussi, voit du coup le Dmon sous les apparences du reptile, prend peur, perd la tte et, dans un accs de vertige panique et de dsespoir mange et fait manger son poux. La chute serait donc l'effet du scrupule, ce manque d'esprance et de foi, ce rigorisme jansniste qui s'ignore (et avant la lettre) : on commence par tertullianiser , puis on perd cur et lche tout. Voir, au chap. II (Dmonologie rabbinique au temps de Jsus), le n 1 : Les trois rles de Schammal. 5 Cf. Rom., 8: 20. Dans le Symbole de Nice, terrae se trouve explicit par visibilium omnium. On verra par la note 7 que la terre peut connoter un sens plus universel et mtaphysique encore.

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    cette tentation possible. Il n'y a pas l'Arbre et l'Interdit, mais l'Interdit de l'Arbre. La connaissance du Bien et du Mal ne rsulte pas, en cas de manducation, d'une proprit particulire, essence ou nature caractristique de cet Arbre : tout arbre dfendu, ds lors qu'Adam mangeait de son fruit, dclenchait instrumentalement en lui cette connaissance suprieure et nietzschenne du Bien et du Mal. Et, d'ailleurs, toute non-manducation, si Dieu avait ordonn d'en manger ! On a donc fabriqu de toutes pices un pseudo-problme mythologique Rameau d'Or entre autres pour le plaisir d'en tenter vainement l'lucidation.

    Ce qui compte, par consquent, c'est, en soi, l'Interdit (de l'Arbre, puisqu'il faut bien le fixer pour le concrter, l'attacher quelque chose). Cette dfense, que signifie-t-elle ? Ceci : Dieu veut, certes, que l'homme connaisse le mal, mais comme Dieu le connat Lui-mme comme une dtestable pos- sibilit. L'ide du mal n'implique pas seulement l'absence totale ou partielle de l'tre, son envahissement par la rouille de l'indtermination, par le chaos ou tohu-vabohu biblique. Absence totale ? Dieu ne hait pas l'inexistant. Carence partielle ? Seuls les gnostiques, dans leur anglisme antiphysique6, identi- fieraient ce devenir la malice ; l'Acte Pur, au surplus, le Bien diffusif de Soi, ne pourrait, son gard, tmoigner que bont, misricorde et toute-puissance providentielle, combler cette terre 7 comme les eaux profondes de la mer en recouvrent le fond (Isae, 11:9 ; Hag, 2:14). Ds lors, l'ide du mal, en ce qu'elle a de positif l'tre muni du signe moins , l'tre retourn contre l'tre ; le triomphe, chez la crature, de l'exis- 6 Certaines traditions rosicruciennes, reprises de nos jours par Steiner et Heindel, imaginent deux puissances dmoniaques : Ahriman, der ungeistige Geist, le matrialisateur , qui tente de rduire la cration au maximum de densit grossire (c'est le coagula du solve et coagula hermtique) et Lucifer, qui tend prcipiter la spiritualisation radicale de toutes choses (c'est le solve de la formule alchimique, la ralisation hic et nunc de la prtendue loi de vinou : passage de toutes choses au del de toute forme ou dtermination quelconque, retour cet tat inconditionn , dont on se demande alors pourquoi elles l'ont quitt !). propos de son Lucifer, Steiner cite, videmment, Gense, 3:5. 7 Dans le symbolisme taoste, la terre Ti correspond la moulaprakriti hindoue ou matire de l'aristotlisme le chaos de Soloviev, la sophie craturelle de Boulgakov. C'est la puissance pure laquelle seul l'Acte Pur peut confrer l'existence, la prsence objective et concrte.

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    tence sur l'essence, de la vita (comme dit Lucrce) sur les vitae causae ; le chaos posant l'ordre cette ide, dis-je puisqu'elle s'objective effectivement, puisqu'elle est susceptible de rali-sation concrte, puisqu'elle est un possible, ne peut subsister dans la solitude et l'indpendance d'un esse a Se : elle doit tre ternellement prsente la pense de Dieu (des exgtes anglicans ont interprt dans ce sens Isae, 45:5-7). Sinon, le mal serait absurde, contradictoire, au point de ne pouvoir jamais parvenir, non pas mme l'objectivit de la prsence concrte, mais mme l'tat purement subjectif de reprsentation intel- lectuelle (je ne dis pas : d'image). Ds lors, pour que l'homme cr l' image de Dieu8, c'est--dire capable de s'lever la ressemblance de son divin Modle9, puisse raliser cette similitude10, il doit, lui aussi, connatre le mal, mais comme Dieu le connat : le mal est alors un pur possible, vou la non-actuation, quelque chose qui, pour l'homme, reste, et sans aucun doute toujours restera, extrieur, tranger, hostis11, jamais refus, hassable, vomi pralablement toute gustation .

    Par consquent, manger de cet Arbre de la Connaissance du Bien et du Mal qui est tout arbre interdit (cf. entre autres, Matt, 7:16-18) goter, savourer, exprimenter, prouver dans son agir, donc en son tre12, la diffrence entre le Bien et le Mal, c'est devenir capable, grce ce discernement, cette connaissance qui met en jeu toute la personne en l'isolant, en la concentrant sur elle-mme et en elle-mme au del du Bien et du Mal 13 comme un tre ncessaire14, c'est, dis-je, devenir 8 L'hbreu porte, au lieu d' image , ombre, reflet, tselem. 9 Avec les Pres grecs, nous distinguerons entre l'image, analogie de l'tre, imprime en l'homme une fois pour toutes la nature sociale d'Adam reproduisant, comme dans un miroir, l'essence trinitaire d'Elohm et la ressemblance, analogie de l'agir, qu'il s'agit pour nous de dvelopper en mani- festant, comme des tmoins fidles et vritables , cette image qu'il nous est possible d'affirmer ou de dmentir par nos vies, ce Nom qu'il nous faut sanctifier (cf. Apoc, 3:14 ; Matt, 5:16 ; 6:9). 10 C'est le sens de la formule ambroisienne, plagie par Goethe: Deviens ce que tu es . 11 Le Mal, dit peu prs Jsus, n'a rien en moi . 12 Agere sequitur esse. 13 Jenseits vom Guten und Bsen, formule de l'asit nietzschenne. 14 Mais deux Ncessaires s'excluant rciproquement, par dfinition, et deux Absolus s'avrant ontologiquement indiscernables, chacun ne peut, en cette hypothse, qu'accaparer, au moins intentionnellement, tout l'tre, arbitratum rapinam (Phil, 2:6).

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    capable, dsormais, de distinguer, dans le rel, la combinaison du Bien et du Mal et, ds lors, d'en oprer le dosage. C'est manipuler Dieu, dont Jsus affirme catgoriquement qu'Il est le Bien, le seul Bon ; c'est se substituer Yahweh, tel que Lui-mme dfinit sa nature dans Isae, 45:5-7. C'est aussi s'initier cette connaissance discriminatrice et comme sereinement, souverainement, indiffrente par la contemplation, la consi-dration dsintresse, au sein de l'exprience, de l'Erlebnis, en elle et par elle. C'est encore connatre le Mal en choisissant de le faire, de le tolrer, de s'identifier lui, alors mme qu'on prtend le dominer par sa propre transcendance15; c'est se rendre en quelque sorte connaturel lui, devenir soi-mme une incarnation du Mal, une porte d'accs pour ce pur possible dans le monde des ralits objectives ; en sorte qu' quiconque dsire connatre son tour le Mal, il suffise de nous montrer du doigt, en disant : le voil !... On conviendra qu'il y a l plus qu'une simple dfi-cience de l'tre, une lacune ontologique : le Mal n'est pas que l'imperfection. Tartuffe, parasite de son bienfaiteur, manque de toit : ce n'est encore qu'un malheur. Mais il retourne contre Orgon sa propre bont ; il se sert contre Orgon des puissances, biens et dons qu'il en a reus ; il se sert de lui comme d'une arme contre lui. En prtendant se substituer lui, il l'assassine, au moins virtuellement ; il le supprime, au moins intentionnel- lement : faute de mieux. Carence ontologique ? Sans doute mais bien plus encore : surabondance morbide et prolifration cancreuse de l'tre, et d'un tre emprunt. Le malin , dans sa malice , s'installe dans l'tre, en Dieu, comme ces parasites du monde animal qui dvorent leur abri vivant. Ayant affaire l'tre infini, sans doute n'a-t-il aucune chance de russite. Mais, en son for intrieur, le crime est dj perptr (cf. Matt, 5:28). On dpasse dsormais la conception aristotlicienne du Mal simple manque (partiel) d'tre . 15 Connatre le bien et le mal , ce n'est pas simplement discriminer : Dieu, Se considrant, connat positivement le Bien, qu'Il S'identifie, et nie, refuse le Mal, lui refuse l'accs de sa pense. Sa connaissance mme du Bien pose la fois la possibilit du Mal et son exclusion. Mais une connaissance du Bien et du Mal, prsents comme des termes gaux, offerts la pense comme interchangeables et indiffrents, mis en parallle comme des valeurs de mme ordre, voire complmentaires, postule un connaisseur qui les transcende, inconditionn, absolument neutre. C'est identifier l'homme l'Advata vdantin, en faire un plus-que-Dieu.

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    Il serait impossible, au Mal, d'avoir une existence quelconque, mme purement subjective, titre de possible pens, d'vocation-rejet, si l'ide n'en tait pas ternellement prsente en Dieu (Isae, 45:7). Mais cette ide, Dieu ne pourrait lui faire accueil, l'accepter, la tolrer, la faire sienne ce qui, pour le Moteur immobile d'Aristote16, quivaut la cration, la bndiction-bnfaction de Gense, 117 sans Se renier, Lui, l'infini, en l'tablissant positivement dans l'tre, cette ide, en l'installant dans la prsence, ft-ce comme une limite, en l'insrant dans le schma universel. Dieu ne peut donc penser le mal, sinon pour le renier du mme coup, pour le rejeter comme une hypothse odieuse. fortiori, ne peut-Il le crer, lui confrer le Dasein, la prsence objective et concrte, le faire, ou, d'une faon quelconque mme s'il tait possible sa simple et immutable nature accepter de subir son gard la moindre pro- pension, comme s'il Lui manquait quelque chose, de manire poser le mal dans l'existence effective, manifeste, voire lui permettre de s'panouir au cours de l'Histoire. Pour Lui, le Mal reste, ternellement, un abominable non-Dieu, l'hypothse d'une existence sans essence, d'un tre anarchique, insens , sans valeur, signification, ni porte d'un chaos. Rien de plus. Sans doute, les pires excs auxquels pourrait aboutir le Mal, une fois objectiv et incarn , sont-ils nu, dcouvert , implaca-blement tals , intus et foris, comme dans une quatrime dimension, sa prescience, sa vue (Hbr, 4:13). Mais Il ne S'y arrte pas, Il ne vivifie pas ces larves en les considrant ; car ses yeux sont trop purs pour regarder le mal, Il ne peut contempler l'iniquit (Habacuc, 1:13). L'ide mme du mal Le rvolte, bauche mort-ne d'une atteinte criminelle sa plnitude18. Toutes ses uvres, telles qu'elles jaillirent du fiat 16 Le taosme parlerait ici du wou-we, de l'influence ou activit non-agissante du Ciel , de son action de pure prsence ; l'hindouisme a le chakravarti, celui qui fait tourner la roue cosmique, tout en restant lui-mme immobile. Les thomistes diront que la cration consiste, sans aucun acte portant atteinte (par son caractre transitif) l'immuable et immu- table simplicit de Dieu, dans le rapport d'absolue dpendance de la cration envers Lui. 17 Affirmer un tre, c'est, pour l'Ipsissima vita, le poser dans la prsence objective. 18 Ce qu'il y a de mal en la crature est, au premier chef, une injure, non pas cette crature, mais Dieu ; puisque ce qu'elle a de ralit, d'tre positif, ce qui la maintient dans la prsence, c'est Lui. Tout pch tend ddiviniser

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    crateur, Il les a dclares bonnes , et, aprs leur couron- nement par la cration de l'homme, excellentes, trs bonnes , en vertu mme de cette perfection, de ce parachvement (Gen, 1:10.12.18.25.31), c'est--dire inaltres, pures, sans la moindre tendance au mal.

    Celui-ci n'est, d'ailleurs, pas inhrent la matire ; la projection du monde dans l'tre n'est pas une chute (1 Pierre, 1:20). Et la cration de volonts relativement libres n'implique pas ncessairement le mal. Son existence, comme phnomne concret, effectif, objectif, n'est pas ncessaire l'preuve et au progrs des Anges et des hommes. Jamais il n'aurait d parvenir l'existence, la prsence ; et Dieu ne l'a certainement pas voulu ainsi. Disons mme qu'en un certain sens le mal le vrai, celui que rien ne pourrait compenser, le mal moral (Matt, 24:12) n'existe pas, mme l'heure actuelle : ce n'est pas quelque chose ou quelqu'un ; ce n'est pas, en soi et pour soi, un tre, une crature, un objet. Comme les larves de l'Odysse, qui guettent avidement l'panchement du sang noir , pour y trouver de quoi s'vader de leur vide (Rom, 8:20), pour assouvir leur soif farouche de prsence physique, le mal n'existe que si nous lui en fournissons les possibilits de manifestation, donc dans la mesure o des volonts mauvaises se consacrent lui comme les fidles de Yahweh se sanctifient pour leur Dieu o des cratures spirituelles l'adoptent, lui donnent asile et subsistance, diminuent pour qu'il crosse jusqu' ce que ce ne soit plus elles qui vivent, mais le Mal en elles, donc le rien, le vide ! Purgez ces mes rebelles, librez-les, et le mal se retrouvera sans habitat, sans aliment, sans personnalit d'emprunt. Il redeviendra simple hypothse, limite nie, ide rejete par l'acte mme qui l'voque.

    Mais, pour que les volonts craturelles soient vraiment bonnes, en profondeur, d'une bont qui sonne plein , doue d'paisseur et de densit, elles doivent avoir vu, considr le mal, mais sans l'ombre de sympathie, voire d'indiffrence, sans aucun dsir de la connatre exprimentalement, au mme titre que le bien. Il leur faut choisir librement de n'avoir de connaissance sapide, fruitive, que de Dieu seul Bon , dit Jsus. Comment pourrions-nous mme rver d'une volont sainte, voue Dieu, Le faire servir d'instrument, d'objet. C'est une tentative de trans- substantiation fondamentale rebours...

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    Yahweh, si nous n'admettions pas la ncessit, pour elle, de se trouver confronte par le Mal pour un choix qui l'engage fond et la rende intentionnellement bonne ou mauvaise ? C'est pourquoi la cration mme d'tres destins la saintet semble impliquer, en gnral et sauf cas extra-normaux , le risque, pour eux, d'un choix fatal : vaincre sans pril, on triomphe sans gloire .

    3. La chute des Anges

    Cette indispensable preuve, des esprits antrieurs l'homme l'ont subie. Parmi ces hirarchies angliques tablies par Dieu comme agents et mdiateurs par rapport la cration infrieure en attendant, soit la cration de l'homme, soit, depuis la Chute, sa restauration dans la gloire il en est qui choisirent bien, et d'autres mal19. Sous quelle forme concevoir la tentation des esprits purs ? Il serait tmraire et vain d'noncer sur ce thme des affirmations fermes et massives. Mais deux voies s'ouvrent devant l'intelligence en qute, non d'impossibles certi- tudes, mais d'hypothses plausibles, susceptibles d'tre insres, sans inconvenance (au sens tymologique du mot), dans le schma gnral du dogme rvl. Nous croyons, d'ailleurs qu'il est possible d'oprer la synthse de ces deux conceptions. 19 Suivant l'sotrisme musulman, Dieu avant d'objectiver sous forme de crature l'ide divine de l'homme, le Mdiateur universel tangence du Crateur et de la cration, glise donne ds l'ternit, thanthropie subsistante, essence participable du Trs-Haut l'a manifeste sous la figure ou ora de l'Adam cleste au monde des esprits, afin qu'ils l'adorent. Satan refuse, par mpris de l'incarnation future de cette species viri, comme dit Daniel (l'Adam Qadmon de la Kabbale, l' Homme cleste de St. Paul, l' Homme universel de l'Islam). D'o sa condamnation. Ce protognostique tient pour indigne de se prosterner devant l'ide cleste de la crature mdiatrice. Chef des Sept Esprits devant le Trne Ange de la Face et Mtatron se tenant l'intrieur du Voile , destin devenir la thophanie par excellence, le Messager de la (divine) Prsence le voici raval au rang de Principaut, de kosmokratr ou de puissance cosmique, en cet univers physique que son anglisme excre. Et, juste chtiment, selon certains kabbalistes chrtiens Guillaume Postel, par exemple, et, de nos jours, Gabriel Huan episcopatum ejus accepit alter : la Vierge, fleur suprme de la simple humanit, devient Reine des Anges sa place. Dans l' on chrtien, c'est elle, dsormais, la thophanie par excellence (La Salette, Lourdes, etc.).

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    Saint Paul recommande Timothe de ne pas admettre un nophyte l'piscopat, de peur que, venant s'obnubiler d'orgueil, il ne tombe dans la mme condamnation que le Diable (1 Tim, 3:6). Car l'orgueil, voil l'origine du pch ; qui s'y cramponne, rpand l'abomination comme la pluie (Eccli, 10:13). Il semble donc que, pour l'Aptre, la chute de l'tre qu'aujourd'hui nous appelons l'Hostile, Satan l'esprit qui toujours nie de Goethe soit due la superbe : c'est avec infatuation qu'il a joui de soi-mme, trouv en soi toute complaisance et batitude, triomph d'tre ce qu'il tait, savour l'enivrement d'tre princeps et caput de la hirarchie cleste comme s'il n'tait pas un malheureux mendiant comme vous et moi qu'il s'est dlect, en Narcisse, de la surabondance de dons et de puissance qu'il a dcouverte en lui-mme20. Mais le Sauveur S'est exprim plus explicitement que saint Paul en affirmant que Satan n'a pas tenu bon dans la vrit (Jean, 8:44). C'est un texte qu'il nous faudra revoir de plus prs, quand nous parlerons de saint Jean. Mais, d'ores et dj, remarquons que, pour cet vangliste, toute espce de pch consiste se dtourner de la vrit , conue comme une adaequatio creaturae et Verbi21. Le Diable s'est donc trouv, pour com- mencer, dans la vrit , et l'on remarquera combien cette formule d'immanence spirituelle, due au Sauveur, ressemble la classique expression dans le Christ Jsus , si frquente chez l'Aptre22. Mais, cette position, le Dmon ne l'a pas maintenue. Et il en est de mme pour ses complices, pour les hirarchies qui ont consenti laisser son influx saturer tout leur tre : Ces Anges n'ont pas gard leur principe comme on garde les prceptes du Verbe, principium creaturae Dei23 car ils ont dsert leur habitat ontologique, Jsus dirait : leur gte (Jude, 6 ; Jean, 14:2). 20 Ecce qui non posuit Deum adjutorem suum, sed speravit in multitudine divitiarum suarum, et praevaluit in vanitate sua... Propterea Deus destruet te in finem, evellet te, et emigrabit te de tabernaculo tuo, et radicem tuam de terra viventium (Psaume 52:7-9). 21 Au hagiason autos en t althea de Jean, 17:17 correspond l'altheuontes en agap, d'phsiens, 4:15. 22 Al Haqq, la Vrit , dans le Qoran comme dans le IVe vangile, est un Nom rserv Dieu comme participable . 23 Jean, 14:2 (mona) ; Apoc, 3:14. Le Verbe tant la fois Vrit, Voie et Vie, ses prceptes sont des principes, et on les garde en s'en constituant les vases (2 Cor, 4:7).

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    D'autre part, une tradition judo-chrtienne et musulmane, sur laquelle nous aurons encore revenir, veut que les Anges rebelles se soient rvolts, par respect des droits de la crature spirituelle24, lorsqu'ils ont appris la gloire laquelle Dieu voulait lever l'homme-en-soi, l' image du Crateur, dans le monde des formes, la plus belle (Qoran, 95:4)25 : l'ternelle Sagesse manifeste par la Sophie de cration (Boulgakov). Ces Gnostiques avant la lettre n'auraient pu, ni concevoir l'minente dignit de la matire26, ni saisir la grandeur du risque attach la condition psychophysique, ni davantage comprendre l'incomprhensible, l'insondable richesse du Christ (ph, 1:4-10), Tte du Corps aux innombrables membres27, puisqu'Il est le Rconciliateur, par sa Croix, des cratures terrestres et clestes (Col, 1:20). Tel est, en effet, le plrme qui doit demeurer en Lui (ibid., 1:19). Le mystre de l'Incarnation ne devait tre, aussi bien, rvl aux principes et sources d'tre ( titre relatif et second), aux rgents du cosmos (appartenant aux niveaux sur-clestes de l'tre) qu' aujourd'hui , dit saint Paul28, c'est--dire la vue de l'glise , thophanie dfinitive, alors qu'il tait jusqu' prsent (voir note 28) rest cach aux plus hautes hirarchies spirituelles29. 24 Comme si, par rapport l'tre en Soi et par Soi, toutes les cratures ne pesaient pas, dans la balance du rel vrai, tout juste le mme rien ! 25 Nous entendons ici forme au sens du sanscrit roupa, le dtermin, conditionn configur : le fini . Les dmons semblent, par ailleurs, confondre spirituel et immatriel . 26 Elle sera sauve, dit saint Irne. Cf. notre Cosmos et gloire, Paris, Vrin, 1947. Esprit et matire crs Ciel et Terre dans le taosme s'quivalent devant Celui qui leur dispense l'tre (Ta-ki). 27 Ecclesia ex angelis et hominibus. 28 Il s'agit de l' on chrtien dans la thologie rabbinique Malkoutha dimeschicha inaugur par l'Incarnation (cf. Luc, 10:18 ; Jean, 16:11). 29 Ce texte de l'Aptre porte, en plusieurs manuscrits, au lieu d'okonomia to mustriou dispensation, plan du mystre konnia to mustriou, c'est--dire le mystre collectif, la communaut de mystre (le Sod de certains Psaumes). L'dition critique du Nouveau Testament, publie par l'Universit de Cambridge, prfre la version konnia. cf. Hekan diathk, ex edit Stephanii IIIa, crit. vers. for the Syndics of the Univ. press, etc., Cambridge, 1878. Cette version ne fait qu'accentuer davantage le caractre ecclsial de la manifestation craturelle, dans le monde, de la polychrome Sagesse de Dieu (ph, 3:8-11).

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    C'est le genre humain tout entier que Dieu destine au rle de Mdiateur cosmique, promis la gloire en cas de bons et loyaux services. La cl de ce dessein, c'est videmment l'union vitale, personnelle, hypostatique , des deux natures dans le Christ, tte et plasma germinatif de l'glise ; c'est l'insondable richesse , la plnitude de la divinit prsente dans le Christ complet, plnier, du Chef jusqu'en les membres, la faon d'un Corps (Col, 1:19 ; 2:9). Mais l'Incarnation dpasse toute conjecture ; elle est, en soi, particulirement inconcevable pour les esprits purs : ils ont beau vouloir plonger leur regard en ces abmes de la divine charit (1 Pierre 1:12), sans l'expresse rvlation que leur apporte aujourd'hui l'glise ex angelis et hominibus, la communaut mystrieuse, premier abord incroyable, ils ne pourraient comprendre goutte au glorieux destin de l'homme et, fatalement hostiles tout l'homme et tout homme, ce parvenu de l'ontologie, risqueraient de se refuser l'adoration de l'Homme-Dieu, de manquer la rconciliation, la paix, qu'Il apporte, mme aux Anges, par le Sang de sa Croix (Col, 1:20), si, ds l'abord, ds qu'ils ont connu les desseins de Dieu sur notre espce, ils ne Lui avaient fait confiance, avant l'Incarnation, avant mme la cration d'Adam sitt entrevue la species viri, la ora de la mystique musulmane avec humilit, en vertu d'un acte quivalent chez eux ce que serait pour nous la foi30. 30 Sans doute, les dmons croient, mais ils tremblent (Jacques, 2: 19), parce qu'ils ont la croyance sans la foi, qui est surnaturelle, inchoation de vie divine en nous, ds lors transcendante sa teneur (humaine) en nous, aux concepts qui l'expriment en la transposant. Le problme de l'acte de foi chez les Anges, pralablement leur lvation ou confirmation dans l'ordre surnaturel car la concomitance dans la dure peut aller de pair avec l'antriorit logique pose celui de leur nature. Esprits absolument purs, comme le veut l'cole ou relativement ? Matire par rapport Dieu, esprit par rapport l'homme , dit saint Grgoire le Grand. Les notions hindoues de forme (roupa) ou enveloppe (koa) subtile , c'est--dire psychique the stuff our dreams are made of (Shakespeare), la matire des images oniriques (rle des songes dans l'criture) permettent de comprendre les nombreux Pres, et aprs eux saint Bonaventure et Newman, qui attribuent aux Anges une certaine corporit (un corps n'est pas ncessairement pondrable). D'aprs le Sauveur, les justes ressuscits, en possession d'un corps glorieux quelle qu'en puisse tre la nature seront pareils aux Anges dans les cieux (Luc, 20:36). Cette conception rend possible une dure d'preuve pour les Anges, puisque leur spiritualit pure ne les condamne plus la fixation immdiate ; et des textes comme Eph, 3:1 ;

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    Pour les satellites de Satan, c'est donc, la racine de leur orgueil, le manque de foi31 qui leur a fait rejeter les vues de Dieu sur l'homme, d'aprs la Tradition juive. Leur intelligence n'a pu se rallier ce qu'ils ont tenu pour une folie, pour de l'irrationnel pur, pour une divagation absurde et arbitraire du Tout-Puissant. Ils ignoraient l'Incarnation (future) de l'Adam dfinitif ; ds lors, leur attitude, parfaitement raisonnable , et t justifie si, prcisment, Dieu n'avait pas requis leur aveugle adhsion au Fils d'Homme (Daniel, 7:13-14). Les Juifs, lorsque ce Personnage fut devenu l'un des leurs, ont repris leur compte la rbellion pharisaque des anges dchus, et l'on ne s'tonne pas, leur faute tant exactement la mme, qu'en Saint Jean le Christ les ait assimils aux dmons.

    Telles sont les deux conceptions que les Juifs contem- porains de Jsus devaient leurs antiques traditions verbales, en ce qui concerne la Chute des Anges. Nous verrons plus loin quelques dtails caractristiques. Mais il apparat dj que ces deux vues sont parfaitement conciliables : 1 l'orgueil, par manque de foi, a fait perdre aux dmons leur statut ontologique ; 2 ils ont manifest cette superbe, sous forme d'envie32, lorsque, du plan divin sur l'homme, l'aboutissement leur a t rvl globalement, alors qu'ils taient incapables de dcouvrir par eux-mmes, parmi les vnements venir, l'Incarnation, seule cl qui pt, leurs yeux, justifier la folle, la dtestable anthropothose33. 1 Pierre, 1:12 ; Col, 1:20 prennent un relief autrement vif, comme on verra plus loin. Ds lors, ni tous les dmons ne le sont devenus la fois, ni la chute de chacun d'eux n'a t immdiatement conscutive sa confrontation avec l'preuve, ni tous les esprits ne sont, mme aujourd'hui, irrmdiablement bons ou mauvais (cf. J.-H. Newman , Apologia, trad. L. Michelin-Delimoges, Paris, Bloud & Gay, 1939, pp. 58-59). Il va sans dire qu'ici l'on s'interroge simplement sur la plausibilit d'une hypothse. 31 Carence de ce que les vieux thologiens appelaient fides formata (cf. Gal, 5:6). Si le monde rejette la folie de la Croix , les dmons ont refus d'admettre la dification de l'tre contingent, la participation du non-tre l'Ens a Se. Or, la crature contingente jugera les Anges. (1 Cor, 6:2-3). 32 Cf. Sagesse, 2:23-24 : Dieu a cr l'homme pour l'immortalit, Il l'a fait l'image de sa propre nature ; c'est par l'envie du Diable que la mort est venue dans le monde . 33 Operatio eorum est hominis eversio (Tertullien, apol., 22).

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    4. Dereliquerunt suum domicilium (Jude, 6)

    quel moment de l'Histoire cosmique la chute des Anges34 s'insre-t-elle ? On n'en sait trop rien35. Mais il peut sembler, premire vue tout au moins, que, pour saint Jude, cette catastrophe s'apparente avec celle des fils de Dieu , qui prcda le Dluge, et trouve en elle son analogue. Car cet Aptre crit : pour les anges qui n'ont pas gard leur propre origine36, mais ont (au contraire) abandonn l'habitat qui leur tait propre, Il (=le Seigneur) les a rservs, pour le Jugement du Grand Jour, en de perptuelles tnbres qui les relient et les paralysent tous (Jude, 6 ; texte grec)37.

    Il y a donc, d'aprs saint Jude qui se rfre expressment, la Tradition juive (versets 5-7 ; 9-11 : mmes sources que 2 Tim, 3:8) des anges ayant opr leur propre dnaturalisation (note 30, et la notion de dans Phil, 3:20), en un sens : leur propre dnaturation (si l'on tient qu'en fait ils furent crs en tat de grce, comme Adam). En attendant leur chtiment dfinitif, que leur apportera la Parousie, ils gotent dj, dit Tertullien, la praelibatio sententiae, vivant dans ces tnbres extrieures dont parle l'vangile et que symbolisrent celles d'gypte38. Saint Jude continue : De mme, Sodome et 34 Pour autant qu'on puisse parler, en l'occurrence, d'une seule Faute, les hirarchies perverties se dtachant de l'Arbre de Vie comme une lourde grappe (la Contre-Vigne). Nous en doutons fort... 35 Mais, du coup, se constitue un on nouveau, cet on mauvais , dit l'Aptre (Gal, 1:4), qui reprend son insu le thme hindou du kali-youga. 36 Gard, au sens existentiel , notestamentaire, d'incarner, d'objectiver en soi-mme. Garder son origine , c'est rester inaltr, fidle l'ide cratrice qui vous posa dans l'tre concret. 37 Cette traduction n'est pas littrale, mais vise rendre les nuances de l'original grec. 38 Cf. Exode, 10:23 : Ils ne se voyaient pas les uns les autres plus de communio dans une foule sans contact ou contemplation rciproque : solitude des damns, ils sont ensemble sans unit (dfinition du chaos chez Soloviev, op. cit., p. 225-228, 231-239) et nul ne pouvait se lever de sa place plus de libert, par consquent, mais fixit. La Sagesse, 17:14-18, va plus loin et rejoint le grec de Jude, 6 : Cette nuit d'impuissance, vomie par le Schol abyssal... les tient tous lis , non par le konnia d'En-Haut, mais par une mme chane de tnbres . Dans le symbolisme scripturaire, gypte = terre d'esclavage, servitude de l'Ennemi (cf. Rom, 6:16, sq.) ; Jude, 5 se rfre expressment l'gypte . Dans l'Ascension d'Isae et d'autres apocryphes (les Actes de Thomas par exemple), elle symbolise le monde infrieur ,

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    Gomorrhe, et les villes circonvoisines, ayant forniqu39 de la mme faon (que les anges susmentionns), et s'tant prises de convoitise pour une autre vie (que la lgitime)40, gisent l en exemple, subissant la sanction d'un feu ternel , littralement , et qui constitue dj, pour ces bourgades, un avant-got de ce qui les attend au Jugement Dernier...

    Passant aux Gnostiques contempteurs de la matire, notre ptre achve en suggrant une analogie : Semblablement, ces dlirants souillent41 la chair42, mprisant la Seigneurie, blasph- mant les gloires. Cependant, l'Archange Michel, en conflit prcisment avec l' de toute cette engeance, ne se rsolut pas, lui, formuler d'excration43 contre lui, mais se contenta d'abandonner Dieu le chtiment. Ainsi, les Gnostiques vitu- prs par Jude, comme les anges dchus, insultent ce qu'ils ignorent 44 ; quant ce qu'ils connaissent naturellement, et qui n'est donc ni la Seigneurie du Nouvel Adam (Phil, 2:9-11), ni les gloires rserves son Corps mystique (1 cor, 15:40-49 ; 2 Cor, 3:18 ; 4:17) l'une et l'autre objet de connaissance sur-naturelle ce qu'ils connaissent en vertu de leur propre nature, ils s'y corrompent comme des brutes (Jude, 7-10). Tout au long de ce texte hautement significatif, les allusions la nature de la chute anglique affleurent. Amenons-les au plein jour. plus bas que les sept cieux , l' air et la terre , et dont l'enfer proprement dit est la zne ultime. Saint Grgoire le Grand reprend son compte ce schma. Dans Jude, 6-7, on trouve dj l'avant-got de 2 Thess, 1:9 (poenas in interitu aeternas a facie Domini) : la Parousie ternise ce chtiment. 39 Forniquer , non comme dans l'Apocalypse, au sens d' idoltrer , mais, comme le contexte immdiatement suivant l'indique, au sens propre (souiller, c'est dnaturer). 40 Sarkos = chair, vie. Les Sodomites s'prennent de convoitise, non pour le sexe oppos, mais pour le leur. Ce narcissisme devient, ici, un homo-anglisme (mpris de la matire, de l'homme, de l'Incarnation: une espce d' homosexualit spirituelle). 41 Souiller intentionnellement = mpriser. Les langues slaves ont cette identification, dans le vocabulaire de l'insulte populaire. 42 Sarka, la chair en gnral, et non leur chair, comme traduit Crampon. 43 Michel se refuse juger lui-mme (il et suivi l'exemple de Lucifer). Nolite judicari. 44 Cf. 1 Pierre, 1:12.

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    5. Teneur de la Faute chez les Anges

    Faisons ici rapidement le point. Nous avons vu, dj, que : 1 le mal, simple possible risque des cratures libres

    (Luc, 20:13) mais possible ni, n'a d'existence objective et concrte que parce que Satan devint le Mauvais.

    2 par rapport Dieu, la faute du Diable et des siens est, comme tout pch, une faute d'orgueil, s'originant une dfi- cience de la foi (comme chez ve, d'ailleurs). Reste voir comment se prsente, existentiellement , quant l'effective et actuelle (tatschliche) psychologie des anges dchus, la nature concrte ou teneur de leur transgression.

    Saint Jude suggre un parallle d'aprs les Gnostiques. Ce que les Sodomites ont commis sur le plan physique , ces anctres des Albigeois le perptrent dans le domaine intellectuel. mes incarnes, corps anims, composs d'esprit et de matire pour spiritualiser l'on physique, au lieu d'en tre les animateurs, ils s'en promeuvent les contempteurs. Ce sont des mes inverties. l'inversion charnelle des Sodomites correspond la leur : mentale, psychique. Or, l'Aptre Jude reprend le parallle et l'ap- plique aux anges dchus : les Gnostiques mprisent la matire. L'Incarnation leur rpugne, et la gloire que, par elle, l'homme peut tirer de la Croix, de la Chair et du Sang thanthropiques. Analogiquement, nous l'avons vu, en refusant le commerce sexuel normal pour se confiner dans l'homosexualit, les cits perdues (Sodome, etc.), font, elles aussi, fi de cette universelle complmentarit, dont la sexuelle n'est qu'un aspect. Gnostiques et Sodomites ne font que reflter, sur les plans respec- tivement psychique et somatique ( hylique ) l'homophysie, l'homopneumatisme, l'anglisme exclusif et gendarm des anges dchus ; et, de fait, Pascal dirait que les dualistes, les purs ou Cathares, veulent faire l'ange . Ce qu'ont en horreur les Sodomites, c'est, comme plus tard les Manichens et les Albigeois et peut-tre pour les mmes motifs, en vertu de Dieu sait quel Sod, de Mystres perdus le mariage, la perptuation de la chair, l'uvre du Dmiurge , tout ce qui fournit au plan divin sur l'homme la chair dont naquit le Christ et que possde avec Lui son Corps mystique.

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    [Au moment o nous relisons les preuves de cette tude, M. le Chan. J. Coppens, professeur l'Universit de Louvain, vient de publier Anvers une forte brochure sur la nature de la Chute en tant que fait historique (De kennis van goed en kwaad in het paradijsverhaal). Il conclut par cette hypothse : La vocation naturelle dont Dieu l'a charge et que son poux lui a solennellement signifie, ve ne l'a pas accepte, et l'homme, ensuite, lui a donn son appui dans cette rbellion... Le Serpent a voulu sduire la mre du genre humain pour qu'elle se livre l'une de ces pratiques gravement pcheresses, contre-nature, en vue d'viter la progniture, pratiques qui, plus tard, on le sait, se sont rpandues dans le culte d'Ischtar (pp. 54-56). Il s'agit, ici aussi, de la haine voue par le Diable au genre humain, ce parvenu, dont l'existence psychophysique constitue, pour lui, une insulte aux esprits purs !]

    Nous ne dirons donc pas, avec certains Pres, que la Chute des anges date de cet pisode narr par Gense, 6:2 o les fils de Dieu pousrent les filles des hommes , moins qu'il ne s'agisse l puisque, souvent, les hirarchies supra-humaines sont qualifies de progniture divine dans l'Ancien Testament45 d'un incubat, destin souiller , comme dirait saint Jude, par une parodie monstrueuse, le grand mystre du mariage. Mais rien, dans le texte biblique, ne confirme ni n'infirme cette glose. Ce qui nous parat plausible, c'est que, dans la Tradition juive reprise son compte par la dernire ptre canonique, le pch des anges consiste dans le mpris de l'incarnation, prise au sens le plus large. C'est pour ce gnos- ticisme et catharisme avant la lettre que Dieu les a tartariss , les enchanant dans les tnbres pour Se les rserver en vue du Jugement (2 Pierre, 2:4). C'est dire que leur chtiment dfinitif est encore venir46. D'ici lors, le Diable et les siens pourront errer comme autant d'inquitudes, d'angoisses hypostasies, d'ores et dj paralyss, enchans par la nuit qui les envahit 45 Mais aussi des hommes dont les fonctions sociales viennent d'En-Haut : les Juges par exemple, dans tel texte cit par Jsus dans le IVe vangile. cf. Luc, 3:38. 46 Cf. Apoc, 20:8-10 : Elles montrent sur la surface de la terre et cernrent le camp des saints... mais Dieu fit tomber un feu du ciel qui les dvora. Et le Diable... fut jet dans l'tang... et ils SERONT tourments... Tout le tableau de la finale dfaite dmoniaque est au pass, mais le chtiment est exprim par un verbe au futur.

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    et sature de plus en plus47. Ils supplieront Jsus, l'Homme-Dieu rejet par leur superbe, et dont la puissance leur devient manifeste, mais trop tard, de ne pas les tourmenter prma- turment (Matt, 8:29) : le temps de leur chtiment final n'est donc pas encore arriv. Chasss du dmoniaque grasnien, ils prieront Jsus de ne pas leur commander de se jeter dans l'abme , dans le puits sans fond , mais de les laisser encore dans ce pays , c'est--dire dans le monde sensible, sur terre (Luc, 8:31 ; Marc, 5:10 ; Apoc, 9:1 ; 20:1.10 ; Matt, 25:41).

    C'est pourquoi nous les retrouverons plus loin, rgis par leur , par l'initiateur de leur on48, et dployant autour de nous comme une atmosphre sature de rbellion (ph., 2:2 ; 6:12).

    Quel que soit, par ailleurs, le moment o tombe Satan, le chef de file, il est permis de penser que ses actuels sides esprits (absolument) purs ou non n'ont pas dgnr en bloc, globalement, comme un seul Corps. Cette solidarit spcifique qui constitue les hommes en humanit , ce lien qui fait l'hrdit, la responsabilit commune, leur nature l'exclut ; de sorte que la chute d'un seul ange n'entrane pas nces- sairement celle de tous, ou d'un grand nombre. Leur faute revt donc un caractre personnel : chacun d'eux est coupable ; alors que la ntre (l' originelle ) n'est qu'une tare de nature : chacun de nous est passible. En tout cas, le premier des esprits dchus49, 47 Cf. le (taoste) Trait des Influences errantes, traduit en franais par A. de Pouvourville ( Matgio ) 48 Pour les esprits mauvais, le Nouveau Testament prfre user du mot arkhn, qui est le pendant d'arkhgos (Hbr, 2:10) o il a le sens de chef marchant la tte de ses troupes, de guide frayant la route et entranant ses hommes (cf. Actes, 3:15) plutt que d'arkh, rserv Celui qui, seul, peut tre lgitimement qualifi de principe dans le sens ontologique (arkhgos en tant l'quivalent conomique ). 49 Certains kabbalistes ont vu dans le Dmon la premire des Sphirth. Celles-ci sont des organes de l'activit de Dieu. Sans tre en-dehors de la Dit en Soi latente et non-manifeste elles ne sont pas de sa substance mme et se trouvent sa disposition, comme des nergies la fois suscites (cres ?) et immanentes, comme des modes de manifestation (noter l'analogie avec la doctrine des nergies divines que la thologie orthodoxe a reprise Grgoire Palamas). Kther Elyn, Couronne suprme de Dieu l'Ange de la Prsence, par excellence, et le Mtatron du Talmoud est la premire de ces puissances qui se trouvent auprs de Dieu et oprent dans son unit. On comprend la fois la grandeur et l'envie (Sagesse, 2:24) de

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    le principal, le plus capable d'entraner les autres50, cest Satan, si nous saisissons, avec toutes les nuances voulues, cette apos- trophe du Seigneur aux Juifs, o le Diable nous est prsent, non seulement comme un menteur, mais encore comme le pre de cela (Jean, 8:44) c'est--dire du mensonge. Or, tout mal, en tant que ralit effective est phnomne concret, existant in actu, provient de lui (nous verrons lus loin pourquoi le mal est men- songe ). C'est lui qui a donn le jour au mal, qui l'a introduit dans l'Histoire, en choisissant librement de traduire dans les faits cette pure possibilit, cette hypothse dnue de toute plausi- bilit.

    Quand et comment, la Rvlation ne nous en dit pas grand chose. Mais elle nous apprend qu'il a t homicide partir du principe subjectivement et objectivement c'est--dire qu'il a voulu la ruine de l'homme, non seulement ds le seuil de l'Histoire humaine, ds ses tout premiers rapports avec nous, ds qu'il a russi trancher les liens de vie qui nous unissaient Dieu, mais ds qu' son propre niveau d'existence anglique la figure d'homme species viri, comme dit Daniel lui fut montre dans le Verbe, notre principe : hominis eversio, telle est d'aprs Tertullien (Apol, 22), l'uvre essentielle, capitale, tel le but vital du Diable et des siens51.

    6. Les Dmons sont-ils des esprits purs ?

    Cette question peut s'appliquer tous les Anges en gnral. Or, nous ne savons des Anges, avec une certitude incontestable, que ce que l'glise, se fondant sur la Rvlation scripturaire, nous en a dit ; encore convient-il de se rappeler que l'criture use trs souvent de ce langage symbolique fait pour suggrer, pour induire en vision, ou du moins en intuition, plutt que pour notifier, en noir-et-blanc lunaire , des formules et notions rigidement dtermines (comme des polydres ontologiques). La Kther, menac de dcouronnement par la vision anticipe mais sans la rvlation de l'union hypostatique de la gloire suprme promise la Figure d'Homme (Daniel, 7:13-14 ; 8:15-16). 50 Apoc, 12:4, texte o Saint Grgoire le Grand voit une allusion nette la Chute des Anges, au point qu' ses yeux la Rdemption doit substituer les hommes sauvs et glorifis aux esprits tombs. 51 Cf. ph, 1:4-5.

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    Bible n'a, d'ailleurs, pas pour but de nous enseigner l'histoire naturelle des tres invisibles, pas plus d'ailleurs que des visibles. Suivant la tradition chrtienne la plus ancienne, chaque crature matrielle a son double spirituel. D'aprs Clment d'Alexan- drie, Origne, le pseudo-Denys, il n'existe aucun insecte, aucun brin d'herbe, qui n'ait son Ange. Tous les phnomnes naturels manifestent sur le plan sensible l'action de ces entits spiri- tuelles. Tel Ange a pouvoir sur le feu ; d'autres rgissent les vents et les temptes (Apoc, 14:18 ; 7:1). Dj, pour le Psalmiste, Dieu fait des Anges des aquilons ; de ses messagers, des jets de flamme ... Enfourchant un Chrubin, Yahweh vole ; Il arrive, chevauchant, port sur les ailes du vent (Psaume 103:4 ; 17:10). Dans le IVe vangile, un Ange, agissant sur une fontaine, lui communique une vertu curative (Jean, 5:4). L'apparition d'un autre fait trembler la terre au matin de la Rsurrection. Les maladies, et singulirement les pidmies, dpendent, suivant des affirmations rptes de l'criture, du monde anglique. Tel messager frappe Hrode ; d'autres anantissent l'arme de Sennachrib. Les prtendues lois natu- relles expriment leur activit rgulire et ordonne. C'est pourquoi, dans la vision d'zchiel, le trne mystique et symbo- lique sur quoi sige Yahweh, et qui reprsente l'univers, consiste en ces tres vivants et pourvus d'ailes, capables d'en- vol, d'ascension, dont la vie commande celle des globes pleins de regards , c'est--dire des mondes rgis par eux et saturs de l'esprit de l'tre vivant (zch, 1:20) ; saint Paul rvlera plus tard que ces rgents d'univers ont leurs rivaux et usurpa- teurs ; et, de mme qu'il qualifie Satan de dieu de ce monde dgnr depuis la Chute, il parlera des imposteurs... En chacun des globes lumineux constells de regards , en chacun des mondes o s'labore et se dveloppe l' exprience consciente, agit, selon zchiel, l'esprit d'un chrubin. Ainsi, tout phnomne, toute manifestation de l'tre : astres, constellations, plantes, a son Ange respectif. Sans doute, le Crateur a-t-Il confi au monde anglique l'volution cosmique, au sens propre, le soin d'ordonner graduellement le chaos et de fconder la nature. Mais c'est ici le champ de l'hypothse52. 52 Sur les fonctions des Anges, voir Dict. de Thol. Cathol. (Vacant et Mangenot), tome I, col. 1214-1215. Pour Justin, Athnagore, Hermas, ils

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    Le rle principal des Anges se dfinit, dans l'criture, par rapport l'homme. La nature, en effet, a t justement qualifie d'anthroposphre ; de sorte que les esprits qui l'animent ont pour vocation relle de servir l'homme. Comment ces tres spirituels peuvent-ils agir sur l'univers physique, nous l'ignorons : mais savons-nous seulement comment nos mes rgissent nos corps ? Claude Bernard, nous dit le R. P. Sertillanges qui l'approuve au nom de la philosophie thomiste, ne dcouvre, sur le plan phnomnal, que du physico-chimique en nos corps : pas une force vitale quelconque, pas un seul fluide , pas un agent intermdiaire ! Il y a, dans l'volution complte d'un tre vivant... une organisation (qui) est la consquence d'une loi organognique prexistant d'aprs une ide prconue (Physio- logie gnrale). Il y a comme un dessin vital qui trace le plan de chaque tre et de chaque organe (La Science expri- mentale). Comment une loi , une ide , un dessin , peuvent-ils orienter l'activit future d'un tre, voir d'un simple organe ? Comment la forme substantielle, ide ou loi tout comme pi est la forme substantielle du cercle peut-elle dterminer le sort de toute une vie, de toute une race mme, en vertu de l'hrdit ? Mais, quand aux Anges, puisque l'activit normale de la nature leur est soumise, exprime leur service , pourquoi ne pourraient-ils exercer, sur tels objets matriels, une influence, une puissance spciale ? La nature physique, en ce qu'elle a de spirituel , d' informant et, si l'on peut parler le moins du monde de nature naturante , c'est bien dans ce cas-ci ! en ses forces mystrieuses et lois , est comme un organisme anim par le monde anglique. Dieu confie aux rgissent tout ce qu'il y a sous le ciel , donc, dans le monde, chaque crature . Chez Origne, ils prsident aux lments, au feu, etc., la naissance des animaux, la croissance des plantes . piphane leur attribue le gouvernement immdiat des nues, de la neige, de la grle, de la glace, du chaud, du froid, des clairs, du tonnerre, des saisons . Jean Chrysostome veut qu'ils administrent l'univers, les nations, les cratures inanimes, le soleil, la lune, la mer, la terre . Ils sont, d'aprs Saint Augustin, les rgents du monde entier, de toute vie, des tres sans raison, de toute chose visible . Clment d'Alexandrie, Grgoire de Nysse et Grgoire de Nazianze connaissent les Anges des Cits et, comme Origne, ceux des glises. Tertullien parle de l'Ange du Baptme, de celui de la Prire. la Synaxe eucharistique, les hirarchies clestes prennent part, ici-bas, invisiblement (Cyrille d'Alexandrie, Basile, Hilaire, Ambroise et Jrme). On trouvera les rfrences dans V.et M.

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    Anges une tche double : s'ils rgissent l'univers subhumain, comme des majordomes jusqu' la majorit de l'hritier, de l'homme, Il les constitue ses messagers vis--vis de ce dernier.

    On professe communment, de nos jours, du moins dans l'glise catholique romaine, que les Anges sont, en toute rigueur de termes, de purs esprits . Mais cette doctrine n'a jamais t dogmatiquement dfinie ; on la dduit, tout simplement, d'un texte o le IVe Concile du Latran affirmait, des Anges, la fois leur nature spirituelle et leur distinction par rapport aux hommes. On a tir de l cette infrence : si ce sont des esprits, tout comme nous le sommes, mais qu'ils diffrent de nous cependant, c'est qu'ils n'ont pas de corps. La mme logique pousse son avantage : s'ils sont sans corps ni forme aucune, ils doivent pouvoir animer ou influencer tous les corps et toutes les formes. Et, s'ils connaissent et choisissent sans le moindre intermdiaire, dans la clart plnire du congnosco sicut et cognitus sum colloque immdiat des essences ! comme dans la plus absolue libert par rapport aux ventuelles dviations dues la chair, il va sans dire qu'en cette hypothse, ds l'instant mme que ces purs esprits accdent la connaissance et au choix, c'est--dire l'tre mme, leur destin se trouve jamais scell. Mais l'glise ne nous impose aucunement la foi en cette concidence, dans le chef des Anges, entre la venue l'tre et le choix fixateur du sort ternel.

    Dans les premiers sicles de l'glise, ces contradictions n'avaient pas chapp de perspicaces esprits : Origne, par exemple. Justin, Athnagore, Irne, Tertullien, Clment d'Alexandrie, Cyprien, Lactance, la liste des auteurs ecclsias- tiques pour qui, au cours des premiers sicles, les hirarchies angliques possdent l'analogue ou l'quivalent d'un corps, s'tend jusqu' Jean Damascne (Enchir. Patr. de Rouet de Journel, n 2.351) et Grgoire le Grand, qui dit : Compars nos corps, les Anges sont des esprits ; compars Dieu, ce sont des corps (ibid., n 2.351). Pour Origne et bien d'autres, la notion d'esprit absolument pur, avec tout ce qu'elle comporte (simplicit, asit, ncessit, unicit, ternit, etc.), ne peut s'appliquer rigoureusement qu' Dieu, seul jouir de l'absolue spiritualit. Puisque la Rvlation nous montre les Anges localiss dans l'espace et dous de mouvement transitif, c'est qu'ils ont un corps, certes diffrent du ntre, mais leur confrant, aussi rellement que le ntre nous-mmes, un certain mode de

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    prsence rfre et coordonne aux autres tres corporellement prsents dans l'univers physique. Ces Pres avaient en vue des textes comme Gense, 6:1-4 ; Job, 1:6 et 38:7 ; le Psaume 103:4 et tant d'anglophanies bibliques. L'exprience des hommes corrobore d'ailleurs la Rvlation scripturaire. Et l'glise a tenu s'abstenir de dfinitions irrformables, et mme de dfinitions dogmatiques tout court . Lorsque ces messagers de Dieu apparaissent, c'est gnralement sous forme humaine, mais glorifie. Lorsqu'en la plaine de Mamr le Verbe Lui-mme Se manifeste, accompagn de deux Anges, l'criture nous parle de trois hommes , dont l'un, seulement, reoit d'Abraham des honneurs divins. Le Seigneur revt alors la species viri dont parle Daniel, la forme qu'Il assumera dfinitivement lors de son Incarnation (Gen, 16:17 ; 18:2-3 ; 22:16 ; 32:24). l' Ange de Yahweh , incr, reflet ternel de sa gloire, se joignent les deux Messagers crs qui vont sauver Loth de Sodome (ibid., 19:1.3.17). Un prophte voit, sous forme humaine, six Anges commis au chtiment de Jrusalem (zch, 9:2). Plus tard, Zacharie et la Vierge seront les interlocuteurs de Gabriel en hbreu : virilit de Dieu et cet homme leur parlera d'une voix humaine (Luc, 1:11-20 ; 26-38). Les saintes femmes myrophores, au matin de la Rsurrection, ont une apparition d'Anges , pareils des hommes, vtus de robes resplendissantes (ibid., 24:4.23). Marie-Madeleine en se penchant vers le spulcre, aperoit deux Anges assis (Jean, 20:12) ; les sentinelles avaient entrevu l'un d'eux, roulant la pierre du tombeau (Matt., 28:2-3). Deux autres apparaissent l'Ascension, toujours pareils des hommes (Actes, 1:10) ; un troisime se montre Corneille clairement (ibid., 10:3). Un autre encore dlivre Pierre de sa prison (ibid, 12:7-10). Mentionnons simplement les interventions angliques dans l'Apocalypse.

    Or, toutes ces anglophanies suggrent qu'il s'agit l d' esprits contactant l'univers par l'intermdiaire d'une subs- tance ou forme, passive et expressive, pouvant s'appeler un corps . Et ce corps est normalement capable de manger, de savourer un festin, d' tendre la main pour retirer Loth vers eux dans la maison, fermant ensuite la porte , de saisir par la main Loth, sa femme et ses deux filles , de les emmener hors de la ville (Gen, 18:8 ; 19:3.10.16). Les plus lourds travaux n'ont rien qui dcourage leur force physique : rouler le roc du

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    spulcre et s'asseoir dessus (Matt, 28:2 ; chez saint Jean, ils sont deux se reposer ainsi, comme de bons ouvriers aprs un rude boulot : trait humain, comme le quaerens me sedisti lassus du Dies irae) ; frapper Pierre au flanc pour le rveiller (Actes, 12:7 ; on voit le geste : il est ntre !), exprimer dans un langage articul le discours mental (comme au seuil de saint Luc)... voil ce que font les Anges.

    Il est certain, d'autre part, que Si les Anges ont un corps , comme l'a cru l'glise des premiers sicles, comme le veut encore la thologie orientale, il ne peut s'agir d'une matire grossire et dense, corruptible au mme degr que le ntre. Il ne s'agit pas de peaux de btes (Gen, 3:21). Les corps ang- liques sont incomparablement suprieurs ceux que nous possdons actuellement. Tout comme le Christ aprs la Rsurrection, ils apparaissent et disparaissent, descendent du ciel et y remontent ; de toute vidence, leurs corps ne sont pas, au mme point que les ntres, soumis aux lois rgissant les substances matrielles. On en vient, alors, penser au corps spirituel qui nous est promis aprs la Rsurrection (1 Cor, 15:42). L'analogie anglo-humaine doit, cette fois, se vrifier plus rigoureusement. Parlant de l'tat qui sera ntre aprs le Jugement final, Notre-Seigneur dclare que les lus dfiniti- vement sauvs, donc ressuscits, seront, non seulement les gaux des Anges , mais comme eux , et Il n'ajoute aucune restriction ou spcification (Luc, 20:36 ; Matt, 22:30 : Dans le ciel, ils (les hommes) seront comme les Anges de Dieu). Or, nous savons que l'humanit jamais stabilise dans la gloire vivra dans un univers rnov, comprenant une terre nouvelle aussi bien qu'un nouveau ciel , et qu'elle exercera son com-merce, sa vie ad extra, par le truchement d'un corps, glorieux mais authentiquement corps . Ressuscits, pourvus d'un organisme sublim , nous serons, dit le Verbe incarn, pareils aux Anges . Y a-t-il, enfin, simplement mtaphore lorsque la Bible nous montre les Anges pourvus d'ailes et volant (Isae, 6:2 ; zch, 1:5 ; Daniel, 9:21 ; Apoc, 8:13 ; 14:6 ; 12 :14) ?

    Mais, dira-t-on, Si les Anges ne sont pas des esprits purs , il leur est possible, encore, d'ignorer, d'hsiter, de se tromper ; quelques-uns, mme, n'auraient pas fait leur choix ds l'instant de leur venue l'tre ? Or, saint Pierre, reprenant un verbe dont Luc et Jean se servent pour dcrire l'anxieuse et

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    minutieuse inspection du tombeau vide, nous montre certaines hirarchies angliques se penchant pour mieux voir et plongeant leurs regards dans les mystres du dessein rdempteur (1 Pierre, 1:12; Luc, 24:12; Jean, 20:5.11). Il semble que le dispositif du propitiatoire, chez les Juifs, ait symbolis cette incertitude : les Chrubins tournent vers lui leur face (Exode, 25:20). Un prophte nous fait assister au dialogue des milices clestes : Jusques quand durera ce qu'annonce la vision ? , et aussi Quand donc ces mystres se raliseront- ils ? (Daniel, 8:13 ; 12:5-7). Ce peut-tre que Jsus fait pro- frer au Pre, quand aux ractions libres des hommes (Luc, 20:13), pourquoi ses Messagers ne le prononceraient-ils pas ?

    Si quelques-unes de ces Principauts et Puissances qui, dans les cieux, s'instruisent en observant le drame de la vie humaine et dcouvrent, manifest par l'glise, l'inoue, la bouleversante dispensation du mystre cach en Dieu ds le principe (ph, 3:10), ont pu douter, un temps, et se demander si le Mal l'emporterait sur le Bien, la Parousie les illuminera. C'est la gloire divine promise l'homme dans le Verbe incarn qui, selon plusieurs Pres, a, par sa proclamation premire (Hbr, 1:6), provoqu la rbellion lucifrienne tradition musulmane aussi bien que chrtienne c'est elle qui fait l'objet du dessein en vue de l'ge venir, ralis par Notre-Seigneur Jsus-Christ (ibid., 3:11) ; et c'est elle, enfin, qui nous habilitera, nous les hommes, juger les Anges, nous prononcer sur leur cas, sceller leur sort dfinitivement (1 Cor, 6:3). Si quelques-uns d'entre eux ont pu vaciller dans leur loyalisme envers Dieu, pencher vers quelque indulgence ou comprhension envers le Rvolt, la Parousie marque le moment o, par le Christ , par son intermdiaire et comme travers Lui , Dieu rconcilie toutes choses avec Lui-mme , y compris les clestes (Col, 1:20). Lorsque l'Aptre nous montre la cration tout entire gmissant dans les affres puerprales, jusqu' ce que nous, les enfants de Dieu , ayons accd cette libert plnire que seule confre la gloire, de sorte qu'elle puisse avoir part cet affranchissement (Rom, 8:19-22), de quel droit exclurions-nous les hirarchies angliques de cette cration prise en son intgralit ? Les puissances clestes, devant le salut, la difi- cation, la gloire jamais assure des hommes rachets, ne peuvent plus douter ; celles qui l'auraient fait et qui ne sont pas les Dmons, mais les hirarchies encore expectantes font

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    amende honorable, et toutes se prosternent devant le Trne en prononant l'Amen qui les fixe, elles aussi, dans l'inamissible batitude (Apoc, 7:12).

    Cet ensemble de rflexions s'insrerait aisment dans le cadre d'une doctrine qui dnierait aux Anges la spiritualit pure au sens rigoureux du terme53. Mais, in dubiis libertas : on se contente, ici, d'exposer, pour l'une et l'autre conceptions, le pour et le contre. La thse gnralement admise dans l'glise latine depuis le Moyen ge se caractrise, une fois admis ses prin- cipes, par une solide et compacte logique. C'est, nous dit-elle, prcisment parce que les Anges sont de purs esprits, libres de toute attache corporelle, qu'ils peuvent se faonner, animer ou influencer tous les corps et toutes les formes. Leurs mani- festations revtent gnralement des aspects symboliques : jeunes hommes surtout, mais aussi chevaux de flamme et chars de feu (Zach, 1:8 ; 2 Rois, 6:17), parfois mme formes volatiles (1 rois, 17:6). Faute, en cette hypothse, d'organismes physiques qui leur soient individuellement propres, ils ne peuvent se pro- pager par la procration : que transmettraient-ils ? C'est ici que les premires gnrations chrtiennes, au contraire, voyaient, dans l'union sexuelle des fils de Dieu et des filles des hommes (Gense, 6:2), la preuve de la corporit anglique ; les fils de Dieu ne sont-ils pas, dans l'Ancien Testament, identiques aux clicoles (cf. Job, 1:6 et 38:7) ?

    On trouvera, en appendice 3, un excursus sur la spiritualit des Anges et, donc, des dmons. Rsumons ici, cependant, ce qu'en dit la Tradition sous la double forme de l'Ecclesia remota et de l'Ecclesia proxima, des Pres et du magistre officiel. Vacant (art. Anges, dans D.T.C, tome I) dit que, d'aprs l'Ancien et le Nouveau Testament, ces tres suprieurs n'ont pas de 53 Sans doute, le Concile du Vatican, dfinit-il que Dieu a cr tous les tres, spirituels aussi bien que corporels. Mais une dfinition dogmatique est prendre formalissime. N'est formellement dfinie que la thse sur laquelle porte directement l'affirmation du magistre. Il s'agit, ici, de dfinir la nature, la puissance et les oprations de Dieu, toute crature dpendant de Lui. Si l'homme, dou pourtant d'me et d'esprit (I Thess, 5:23), est, en vertu d'une schmatisation aussi lgitime que celle du Symbole de Nice visibilium et invisibilium qualifi de corporel , parce qu'ici-bas c'est la forme mat-rielle qui manifeste en ordre principal sa personne, pourquoi l'Ange ne pourrait il tre dit (en ordre principal) spirituel , mme s'il possde une forme (par analogie), un medium ou vhicule, dont les images oniriques peuvent nous suggrer de loin la nature ?

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    corps matriel comme l'homme (col. 1190). L'absolue spiritualit de l'Ange n'a pas t affirme par les Pres . Pour presque tous les Pres grecs , les Anges ne sont pas compl- tement spirituels . Saint Augustin regarde les Anges comme composs d'esprit et de matire ; c'est ce corps des Anges que doit ressembler le corps de l'homme ressuscit . Pour l'ensemble des Pres, grecs et latins, la vraie formule pour le plus grand nombre serait celle-ci : compar l'homme, l'Ange est spirituel ; compar Dieu, il est corporel (col. 1195, 1197, 1198, 1199). Au IIe Concile (cumnique) de Nice, un crit de Jean, vque de Thessalonique, fut lu aux Pres en tmoignage de la foi de l'glise catholique et apostolique . On y lisait, entre autres, que les Anges sont des tres spirituels, mais non, toutefois, dans le sens d'une incorporit absolue ; car ils ont des corps subtils, ariens, igns... Il n'y a que la Divinit seule qui soit incorporelle et sans limites... Si l'on dit que les Anges, les dmons et les mes sont appels incorporels, c'est parce qu'ils ne sont, ni composs des quatre lments matriels, ni des corps pais et semblables ceux qui nous environnent . Le Patriarche Taraise ayant demand aux Pres s'ils admettaient que les Anges fussent ainsi configurs , les Pres rpondirent unanimes : Oui, Seigneur! (Mansi, XIII, col. 164-165). Vacant conclut : Le Concile semble se ranger cette opinion , qui ne prte pas aux Anges un corps charnel comme celui des hommes (D.T.C., I, vol. 1267).

    Nous avons mentionn plus haut le IVe concile de Latran, dont le Concile du Vatican a repris un Canon. Voici ce qu'crit Vacant : La spiritualit absolue des Anges n'est point un dogme de la foi catholique. Ce n'tait point, en effet, cette vrit que le IVe concile de Latran avait l'intention de dfinir... puisqu'il tait dirig contre la doctrine dualiste des Albigeois . Quant au concile du Vatican, il n'avait pas non plus l'intention de dfinir la nature des Anges, mais seulement leur cration (I, 1269). En rsum, bien qu'il y ait tmrit dans le fait d'attribuer aux Anges un corps thr mais il y a bien d'autres faons de se reprsenter l'analogue ou l'quivalent d'une corporit leur incorporit absolue ne fait l'objet d'aucune dfinition direct de l'glise (I, 1271). Que disent, en effet, les textes faisant autorit ? C'est Lui seul, le vrai Dieu, qui, par l'effet de sa bont et de sa force toute-puissante, non pour ajouter sa batitude, ni pour raliser sa perfection, mais pour la mani-

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    fester par les bienfaits impartis aux cratures, a, dans la plus entire libert de son dcret, cr de rien, lorsque dbuta le temps, l'une et l'autre crature, la spirituelle et la corporelle, soit l'anglique et la physique (mundanam) et ensuite l'humaine, galement compose d'esprit et de corps (Denzinger, can. 1783). Et il est interdit d'affirmer que de la divine substance sont jadis manes les ralits finies ; deux erreurs sont par l vises : celle qui affirme l'manation non seulement des corps, mais aussi des esprits , et celle qui se borne l'affirmer de ces derniers (Denzinger, can. 1804). On ne voit pas bien quel rapport il y a entre ces dfinitions de foi, qui tablissent l'universalit de l'efficace cratrice, contre le dualisme discriminant entre le monde matriel, d au Dmiurge, et les Anges et le problme de l'absolue spiritualit ou de la relative corporit des Anges ! Ce que l'glise a, de tous temps, affirm, aujourd'hui comme dans les premiers sicles, c'est la distinction entre toutes les cra- tures et Dieu, Esprit par excellence, Esprit absolument parfait, plutt que telle ou telle conception de la nature anglique. Une dfinition dans ce dernier domaine encombrerait d'un nouvel obstacle la route de la rconciliation entre l'Orient et l'Occident, assez obstrue dj : in dubiis libertas, peut-on dire encore nos frres orthodoxes qui regardent vers nous...

    De toute faon, l'auteur de cet expos ne formule pas, ici, son opinion propre, mais se contente de rapporter les deux opinions qui se sont fait jour au sein de l'glise, en mme temps que les arguments qui les fondent. Le seul problme qui lui paraisse, en l'occurrence, important, c'est que le sens obvie de certains textes notestamentaires implique, chez certains Anges, une attitude de doute et d'expectative, se prolongeant encore au moment de l'Incarnation (nous en reparlerons plus loin). Main- tenant, ce fieri est-il compatible avec l'immobilisation morale de l' esprit pur , qui, ds son premier jugement , s'identifie exhaustivement lui ? On ne fait, ici, que poser la question

    Peut-tre, convient-il, maintenant, de citer une page de Newman dans son Apologia pro vita sua :

    Les Anges, dit-il, je les regardais, non seulement comme les ministres employs par le Crateur dans ses rapports avec les hommes en vertu des Dispensations juive et chrtienne, comme l'indique clairement la Sainte criture, mais (encore) comme effectuant l'ordre du monde visible. Je les considrais comme tant les causes relles du mouvement, de la lumire, de la vie et

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    de ces principes fondamentaux de l'univers physique qui, lorsque leurs applications tombent sous nos sens, nous suggrent la notion de cause et d'effet, et celle, aussi, de ce qu'on appelle les lois de la Nature... Dans mon sermon pour la Saint-Michel, crit avant 1834, je dis des Anges : Chaque souffle d'air, chaque rayon de lumire et de chaleur, chaque phnomne de beaut est, pour ainsi dire, la frange de leur vtement, l'ondulation de la robe de ceux qui voient Dieu face face. Et je demande quelles seraient les penses d'un homme qui, examinant une fleur, un brin d'herbe, un caillou, voire un rayon de lumire, qu'il traite comme ressortissant un niveau d'existence bien infrieur au sien, dcouvrait tout coup qu'il se trouve en prsence d'un tre puissant, cach sous les choses visibles qu'il examine, et qui, tout en dissimulant son activit pleine de sagesse, leur confre leur beaut, leur grce et leur perfection, parce qu'il est l'instrument de Dieu cet effet ? Supposons mme que cet homme s'aper- oive que ces phnomnes, si passionnment analyss par lui, sont la robe et les parures de cet tre ? 54

    Suit alors un dveloppement singulirement suggestif : Bien plus : j'admettais l'existence en plus des (bons et des) mauvais esprits, d'une race intermdiaire : les esprits ni clestes, ni infernaux ; partiellement dchus, capricieux, versatiles, gn-reux ou machiavliques, bienveillants ou malicieux, suivant le cas. Ils donnaient une sorte d'inspiration ou d'intelligence aux races, aux nations, aux classes sociales. D'o l'activit des corps politiques et des collectivits, souvent si diffrente de celle des individus qui la composent55. De l, le caractre et l'instinct des tats et des gouvernements, des collectivits religieuses. Ces groupes humains, j'estimais qu'ils servaient en quelque sorte d'habitat, d'organisme, des intelligences invisibles... Cette conception, je la tenais pour confirme par la mention du Prince de la Perse, chez le prophte Daniel ; je considrais qu'en parlant des Anges des Sept glises l'Apocalypse en avait des tres intermdiaires de cette espce . Dans une lettre adresse S.F.Wood, en 1837, Newman s'exprimait ainsi : La grande 54 John Henry Newman, Apologia pro vita sua, 6 rimpression, Londres, Dent & Sons, 1934, pp. 50-51. Aux Anges ethniques viss par Newman, on pourrait ajouter l'Ange de la Macdoine (Actes 16:9). 55 Cette diffrence a souvent t analyse, avec pntration, dans les divers ouvrages consacrs par le Dr. Gustave Le Bon, il y a quelques huit lustres, la psychologie des foules.

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    majorit des Pres (Justin, Athnagore, Irne, Clment, Tertullien, Origne, Lactance, Sulpice, Ambroise, Nazianze) professe que, si Satan tomba ds l'origine, les (autres) Anges, eux, dchurent avant le Dluge, lorsqu'ils s'prirent des filles des hommes. Tout rcemment, cette vue m'a frapp comme suscep- tible de rsoudre, remarquablement, une ide que je ne puis m'empcher d'admettre : Daniel s'exprime comme si chaque nation avait son Ange gardien. Je me vois forc de croire l'existence de certains tres, en qui sans doute se trouve beau- coup de bien, mais du mal aussi, et qui sont les principes animateurs de certaines institutions, etc. Il me semble que John Bull, par exemple, est un esprit qui n'est ni cleste, ni infernal .

    On retrouve ici les dvas de l'hindouisme, mais aussi les grgores de l'occultisme (liphas Lvi en a popularis la notion), les schdm du rabbinisme contemporain de Jsus, et les innombrables esprits lmentaux , des plus diverses traditions sotriques : gnomes, sylvains, naades, fes, kobolds et poltergeister bref, tout ce petit peuple dont la notion jette une singulire lueur sur certaines manifestations du genre merveilleux , et rejetes par l'glise (prtendues apparitions de la Vierge, pseudo-miracles des sectes et milieux illumins , etc.).

    7. Le cas de Satan

    la lumire de certaines notions rappeles plus haut, et que nous devons surtout aux Pres grecs, nous pencherions croire que Satan n'a pas atteint du premier coup ses profondeurs les plus vertigineuses (Apoc, 2:24). Les thologiens d'autrefois lui refusaient toute vritable prescience, bien que sa vaste exprience celle, disent certains textes initiatiques, du plus vieil Esprit de cet univers lui permette, sans aucun doute, des dductions et supputations extraordinaires. Mais toute son astuce, toute sa complication, les indiscernables replis et man-dres de sa pense au point que c'est le cas pathologique par excellence ! ses ruses d'hystrique, ses piges de dupeur dup, sa mythomanie de psychopathe et son morbide penchant pour le contre-nature et le compliqu, l'garent souvent ivre de rage, en

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    son propre labyrinthe, qu'il est. La simplicit, la navet de l'enfance, l'esprit de pure et simple obissance, la dnudation spirituelle : voil qui peut affronter en paix ses attaques !... S'il avait su, comme il aurait pu, ou cru, comme il l'aurait d, que sa folle et perverse aventure contre l'tre ne pourrait que le prci- piter dans la ruine, sans doute n'en et-il jamais tent la premire dmarche. Mais, ayant littralement dcouvert le Mal, comme fait, comme principe actif, comme contre-loi de l'tre, il s'est enivr de la puissance quasi-cratrice qu'il confrait son inven- teur et manipulateur ; il n'a cess de voir s'ouvrir devant son regard d'ange les perspectives indfinies d'influence, de domi- nation, d' engraissement ontologique aux dpens d'autrui, que le Mal lui frayait. l'intensif infini de Dieu, o la quantit ne joue aucun rle, il a tent, faute de mieux, de substituer un extensif indfini qui nourrt sa substance de crature contingente, plus prcaire encore, et quasiment en sursis d'anantissement, depuis sa chute. S'abandonnant cette rage dsespre qui fait brler ses vaisseaux, cette trange ivresse du joueur qui dli- brment persiste dans la srie noire , parce qu' dfaut de pouvoir se sauver, il lui reste la ressource glorieuse de se perdre (Gtterdmmerung), il a donc dcid quelle joie, quelle revanche, de pouvoir dcider du sort d'un tre, ft-ce de soi-mme !... c'est pour son malheur ternel ? Mais n'est-ce pas moi, moi-mme, qui me damne ?... Et s'il me plat d'tre battue ? ... s'il me plat de me perdre ? Comme je me sens dilat , en dvalant la route de la ruine ; combien j'y trouve d' enflure ontologique, d'exaltation... vive cette fivre ! il a donc dcrt qu'il jouerait son va-tout, cote que cote, et il s'en est remis ses dons de force, de ruse et de sduction pour tenir tte victorieusement ? Sait-on jamais ? l'amour et la bont de Dieu : Pourquoi te glorifies-tu dans le mal ? Car la bont de Dieu survit tout, persiste toujours, mais toi, tu aimes le Mal plutt que le Bien, le mensonge plutt que la droiture... Langue menteuse, toutes les paroles de perdition tu les chris. Dieu, donc, te renversera pour toujours ; Il te dracinera de la Terre des Vivants... Les justes, atterrs, diront de lui en se moquant : Voil donc celui qui ne prenait pas Dieu pour sa force, pour sa forteresse, mais qui se confiant dans la richesse de ses propres ressources, et se faisait fort de sa malice. Mais moi, je Te louerai sans cesse parce que Tu as fait cela... (Psaume 51:3-11).

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    C'est bien pour cela que le cas de Satan est, pour ainsi dire, unique en son genre, dsespr, clos et forclos, impropre l' appel , la rvision, la cassation . Suppos que sa tentative ait t d'ordre purement spculatif, histoire de voir , comme l'apprenti-sorcier, ce qui se passerait si... Ou qu'il se soit agi d'une mauvaise blague, d'une sale espiglerie, comme en accomplissent, l'ge des vilains tours, les gamins tourments par la pubert... Admettons, un instant, que le Diable n'ait expriment la puissance et la sduction du Mal que sur soi-mme... ou qu'aprs avoir constat combien nocive et redoutable tait la force dchane par lui, il s'en soit effray, mais n'ait pu faire rebrousser chemin ce raz-de-mare... Imaginons, enfin, que, devant les preuves manifestant avec surabondance la supriorit de l'amour et de la bont, il se soit inclin, il y ait cru, il ait abandonn la partie... nous pourrions alors comprendre que la Misricorde, ayant enfin prise sur lui, l'ait amnisti, lui ait fait remise du chtiment. Mais cette intelligence suprieure, voyant dans une froide et totale clart la perversit du Mal, son caractre toujours fangeux, l'a cependant choisi pour s'en faire le protagoniste et le champion, et prcisment parce que c'tait le mal, parce que c'tait l' autre ; elle a prtendu confrer l'tre objectif, actuel, au seul possible que Dieu rejett (d'o sa rage humilie d'avoir se rabattre sur une telle pseudo-cration). Au quis ut Deus de saint Michel, le Diable a oppos son quid ut Malum. Il a donc adopt le Mal, il en a explor les abmes (Apoc, 2:24), il en a satur sa vie et son tre, jusqu' ce qu'il y et, entre le Mal et Satan, parfaite identification ; dsormais, de mme que le Bien est synonyme de Dieu, le Mal, tout le Mal, toute la pourriture du monde cr, est synonyme du Diable, Satan est devenu le Malin, le Malicieux, et Jsus nous enjoint, dans le Pater, de supplier ainsi le Pre : Dlivrez-nous du Mauvais !

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    8. Depuis l'den

    Pour toute crature en voie de devenir, les habitants ontologiques sont au cours de son plerinage, des gtes d'tape , dit Jsus lui-mme (Jean, 14:2 : stations, traduit judicieusement la Revised Version anglicane) jusqu'au domicile cleste o, cependant, nous ne cesserons d'tre trans- frs de gloire en gloire (2 Cor, 3:18). Mais, aprs la Parousie, le Grand Sabbat nous fixera tous en notre domicilum (Jude, 6) dfinitif. Or, si nous en croyons le Prologue johan- nique, toutes les cratures, physiques ou non, sont caractrises par le devenir: , que l'vangliste oppose l'tre de Dieu : .

    Satan n'chappe pas la loi qui rgit tout le prcaire, et la sduction de l'homme n'est qu'une tape dans sa course l'abme sans fond (Apoc, 9:1). Ayant got du Mal lui-mme, il a russi le faire connatre savoureusement par l'humanit. Mais si lui-mme a choisi librement, avec audace et dfi, en usurpateur de la souverainet cosmique (le deus hujus saeculi paulinien rpond l'ecce Adam quasi unus ex Nobis de la Gense), il n'a pu sduire l'homme, comme l'exprime la mtaphore du Serpent, que par le recours l'astuce et la subtilit. Nous verrons plus loin com-ment les rabbins contemporains de Jsus se reprsentaient ces ruses. Notons ici, simplement, qu'il met en particulire vidence les enchantements du monde infrieur ; il les silhouette d'une lumire magique, les fait parler , leur confre puissance d'in- cantation, de quoi remuer profondment la fibre humaine : nos sens, notre imagination, notre intelligence. Si la Parole de Dieu est efficace, acre, pntrante, au point d'aller jusqu' sparer l'me de l'esprit par le jugement qu'elle nous fait porter nous-mmes, par l'illumination-juge qu'elle suscite en nous (Hbr, 4:12), l'ennemi du Verbe est un bruit subtil, aigu, polymorphe, qui pntre jusqu'aux limites de l'me et de la chair , non pour les sparer , pour les dmler (ibid.), mais pour en oprer la confusion, par l'obnubilation qu'elle provoque en nous56.

    56 Tuphthes = 1 Tim, 3:6 ; tetuphta = 1 Tim, 6:4 ; tetuphmeno = 2 Tim, 3:4. Le tout, de tuphos = vapeur, fume.

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    Il agit donc en pote d'en-bas, multiplie nos mirages, substitue au cosmos, tel que Dieu l'a conu et voulu, cette figure qui passe , cette mya, cette myaviroupa de 1 Cor, 7:31 ; il environne tout, mme l'ignoble, d'une phosphorescence attirante. Sans lui, les jouissances infrieures nous eussent tent silencieusement, sans ivresse, sans atmosphre d'brit ; c'est peine si l'homme se ft aperu de cet appel timide, modeste, honteux. Mais, grce lui, la tentation, claire des feux de la rampe, sest faite agressive, parlante , tenace, enveloppante. Et le point faible de la cuirasse humaine, Satan le choisit aussi subtilement que son arme : ce n'est pas l'homme qu'il attaque d'abord, la tte comme dit saint Paul, le ple rationnel et volontaire dans cet tre duel qu'est Adam, cr mle et femelle ; mais la femme, l'lment impulsif et passif de notre nature. Elle n'a pas vu, alors qu'elle l'aurait pu et d, o la menaient le doute et le marivaudage propos du mangerais- je ? Mangerais-je pas ? ; cette convoitise qu'elle pouvait cepen- dant discerner en elle-mme et freiner, elle l'a laisse gagner de proche en proche, non de gloire en gloire , mais de honte en honte, d'obnubilation en obnubilation, de tnbre en tnbre. Tant et si bien qu'elle finit par devenir tentatrice son tour. Si le Nouvel Adam est l'esprit qui donne la vie , alors que l'anctre de la race ne fut qu'une me recevant la vie , en den le Dmon a jou le rle d'esprit meurtrier ; et, de mme qu'il avait en soi les sources de la mort, il a donn la mre du genre humain de les avoir en elle son tour (cf. Jean, 5:26). Nous verrons dans un instant quel graphique esquissait de cette sduction la thologie rabbinique. Contentons-