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[3 P rédire exactement comment les nou- velles technologies transformeront nos vies est impossible. En revanche, on sait que la plupart des nouveaux produits et services fondés sur des technologies émergentes risquent, dans un premier temps, d’être voués à l’échec. Tout simplement parce que les entre- prises comme les usagers, même s’ils parviennent le plus souvent à identifier concrètement les avantages d’une nouvelle technologie, ont toujours du mal à se défaire du carcan du passé pour imaginer l’avenir. Innovation et convergence d’intérêt Pourtant, à terme, de nouvelles approches émer- geront qui permettront d’expliquer comment entre- prises, consommateurs et technologies peuvent trouver des terrains d’entente et adapter les produits et services des uns aux besoins des autres. Ce type de démarche a d’ailleurs déjà été adopté au cours de la seconde révolution industrielle. Grâce à des avancées technologiques majeures, telles que le pro- cédé Bessemer dans les aciéries, l’électrification, la fabrication en série dans l’industrie, le téléphone ou la radiodiffusion, on a su créer, à une échelle sans précédent, de nouveaux concepts d’usines, de nou- velles entreprises et de nouveaux marchés. Mais il aura fallu pas mal d’échecs avant que le bon modèle et le juste équilibre s’imposent. Prenons l’exemple du téléphone : il a d’abord été imaginé pour pouvoir écouter des concerts à dis- tance. Ensuite, repensé comme instrument de com- munication vocale, il a été installé dans des cabines à chaque coin de rue. Et, preuve qu’on a du mal à se défaire des vieux schémas, nous continuons aujourd’hui à qualifier de téléphone un appareil dont l’usage va pourtant bien au-delà de la téléphonie, avec les échanges de SMS, de photos et de tweets. Autre exemple : les « voitures sans chevaux » ; éga- lement fruit d’une expérimentation technologique, elles prirent la forme, au départ, de jouets très chers destinés à des millionnaires férus de technologie. Il a fallu attendre Henry Ford pour qu’une voiture standardisée, à un prix abordable, soit conçue pour les classes moyennes. Son modèle commercial com- prenait un nouveau processus de montage, un réseau de distribution, et une caisse d’épargne au service de salariés suffisamment bien payés pour pouvoir envisager d’acquérir eux-mêmes le fameux modèle T. Le bon modèle pour les hommes et la planète Au XX e siècle, la révolution industrielle a favorisé l’accès pour des centaines de millions de personnes au niveau de vie des classes moyennes. Elle a engen- dré une société de consommation, qui a permis aux entreprises de se développer en créant de nouvelles richesses. Nous en découvrons aujourd’hui les effets imprévus. D’une part, cette société de consommation a conduit à l’exploitation non durable des ressources naturelles, d’autre part, la croissance débridée des entreprises, si elle est bénéfique à l’économie, a ten- dance à appauvrir les citoyens. Les innovations du XX e siècle ont profité d’un pétrole bon marché, de systèmes de production immuables et de normes économiques ignorant les valeurs intangibles, difficiles à quantifier : quelle est la valeur marchande d’un air pur ? Quel est le coût, à terme, d’écoles médiocres pour nos enfants ? À l’inverse, les innovations à venir profiteront du faible coût de l’information et de systèmes de production flexibles. Et elles prendront en compte aussi bien les valeurs tangibles qu’intangibles. Pour cela, il est urgent de développer des approches inédites, de scénariser de nouveaux paradigmes pour nous aider à discerner et à décider ce que sera notre vie dans un avenir proche. Pensons l’avenir sans oublier le passé Patrick Whitney Directeur de l’Institut du design au sein de l’Institut de technologie de l’Illinois. © Pour la Science - supplément innovation - n° 447 - Janvier 2015 © ILLINOIS INSTITUTE OF TECHNOLOGY [ É DITO ] V8 MM p.3.indd 3 27/11/14 10:21

Édito Pensons - Technoscope · l’inverse, les innovations à venir profiteront du faible coût de l’information et de systèmes de production flexibles. Et elles prendront en

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Page 1: Édito Pensons - Technoscope · l’inverse, les innovations à venir profiteront du faible coût de l’information et de systèmes de production flexibles. Et elles prendront en

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Prédire exactement comment les nou-velles technologies transformeront nos vies est impossible. En revanche, on sait que la plupart des nouveaux produits et services fondés sur des technologies

émergentes risquent, dans un premier temps, d’être voués à l’échec. Tout simplement parce que les entre-prises comme les usagers, même s’ils parviennent le plus souvent à identifier concrètement les avantages d’une nouvelle technologie, ont toujours du mal à se défaire du carcan du passé pour imaginer l’avenir.

Innovation et convergence d’intérêtPourtant, à terme, de nouvelles approches émer-

geront qui permettront d’expliquer comment entre-prises, consommateurs et technologies peuvent trouver des terrains d’entente et adapter les produits et services des uns aux besoins des autres. Ce type de démarche a d’ailleurs déjà été adopté au cours de la seconde révolution industrielle. Grâce à des avancées technologiques majeures, telles que le pro-cédé Bessemer dans les aciéries, l’électrification, la fabrication en série dans l’industrie, le téléphone ou la radiodiffusion, on a su créer, à une échelle sans précédent, de nouveaux concepts d’usines, de nou-velles entreprises et de nouveaux marchés. Mais il aura fallu pas mal d’échecs avant que le bon modèle et le juste équilibre s’imposent.

Prenons l’exemple du téléphone : il a d’abord été imaginé pour pouvoir écouter des concerts à dis-tance. Ensuite, repensé comme instrument de com-munication vocale, il a été installé dans des cabines à chaque coin de rue. Et, preuve qu’on a du mal à se défaire des vieux schémas, nous continuons aujourd’hui à qualifier de téléphone un appareil dont l’usage va pourtant bien au-delà de la téléphonie, avec les échanges de SMS, de photos et de tweets. Autre exemple : les « voitures sans chevaux » ; éga-

lement fruit d’une expérimentation technologique, elles prirent la forme, au départ, de jouets très chers destinés à des millionnaires férus de technologie. Il a fallu attendre Henry Ford pour qu’une voiture standardisée, à un prix abordable, soit conçue pour les classes moyennes. Son modèle commercial com-prenait un nouveau processus de montage, un réseau de distribution, et une caisse d’épargne au service de salariés suffisamment bien payés pour pouvoir envisager d’acquérir eux-mêmes le fameux modèle T.

Le bon modèle pour les hommes et la planète

Au XXe siècle, la révolution industrielle a favorisé l’accès pour des centaines de millions de personnes au niveau de vie des classes moyennes. Elle a engen-dré une société de consommation, qui a permis aux entreprises de se développer en créant de nouvelles richesses. Nous en découvrons aujourd’hui les effets imprévus. D’une part, cette société de consommation a conduit à l’exploitation non durable des ressources naturelles, d’autre part, la croissance débridée des entreprises, si elle est bénéfique à l’économie, a ten-dance à appauvrir les citoyens.

Les innovations du XXe siècle ont profité d’un pétrole bon marché, de systèmes de production immuables et de normes économiques ignorant les valeurs intangibles, difficiles à quantifier : quelle est la valeur marchande d’un air pur ? Quel est le coût, à terme, d’écoles médiocres pour nos enfants ? À l’inverse, les innovations à venir profiteront du faible coût de l’information et de systèmes de production flexibles. Et elles prendront en compte aussi bien les valeurs tangibles qu’intangibles. Pour cela, il est urgent de développer des approches inédites, de scénariser de nouveaux paradigmes pour nous aider à discerner et à décider ce que sera notre vie dans un avenir proche. ■

Pensons l’avenir sans oublier le passé

› Patrick WhitneyDirecteur de l’Institut du design au sein de l’Institut de technologie de l’Illinois.

© Pour la Science - supplément innovation - n° 447 - Janvier 2015

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[Édito]

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Sommaire

[Collaborer pour innover] 6 Le numérique, moteur des échanges humains,

Roland Meyer

8 Il faut atteindre la neutralité carbone d’ici à la fin de ce siècle, Jean Jouzel

10 La coopération comme outil d’innovation, Jacques Dubucs L’innovation réoxygénée, Thomas Durand

14 “I Nove You”, prix pour l’innovation, Steven Curet

15 “Les frontières s’estompent entre recherche publique et privée”, interview croisée avec Patrick Kron, PDG d’Alstom, et Alain Fuchs, président du CNRS

[outils et stratégies] 18 La nouvelle donne dans l’énergie et les transports,

Ronan Stephan et Robert Plana

20 Des métaux ordinaires dopés aux nanotechnologies, Jian Lu

24 L’électronique de puissance au cœur de l’efficacité énergétique, José Millan

28 Des batteries plus vertes pour des besoins exponentiels, Jean-Marie Tarascon

32 Des systèmes d’énergie et de transport sous cybercontrôle, Jay Lee

36 Comment concevoir des villes à toute épreuve, Hiroaki Kitano

Le supplément de « Pour La Science » ne peut être vendu séparément du magazine « Pour la Science » n° 447 de janvier 2015. Il a été élaboré avec le concours de la société Alstom.

Groupe POUR LA SCIENCEDirectrice des rédactions : Cécile Lestienne Directrice de la publication et gérante : Sylvie MarcéConception et réalisation du supplément : CEM-STS L’agence Ody.C. Tél. : 09 51 54 16 09 Directrice de projet : Stéphanie Jullien [email protected] scientifique pour Ody.C : Jean-Michel GhidagliaRédactrice en chef du supplément : Lise TournonRédacteur en chef adjoint du supplément : Franck DaninosConception graphique, maquette du supplément : Maryvonne MarconvilleConception graphique de la couverture du supplément et infographie : Pilar CortesSecrétariat de rédaction du supplément : Camille GschwindIconographie du supplément : Isabelle SouciDirectrice de communication agence Ody.C : Anne Rouveyre

Fabrication : Marianne Sigogne et Olivier Lacam

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DIFFUSION DE « POUR LA SCIENCE »Contact kiosques : À Juste Titres ; Benjamin BoutonnetTél. : 04 88 15 12 41Information/modification de service/réassort :www.direct-editeurs.frCanada : Édipresse 945, avenue Beaumont MontréalQuébec H3N 1W3 CanadaSuisse : Servidis Chemin des châlets 1979 Chavannes 2 – BogisBelgique : La Caravelle 303, rue du Pré-aux-oies 1130 BruxellesAutres pays : Éditions Belin 8, rue Férou 75278 Paris Cedex 06

SCIENTIFIC AMERICAN Editor in chief : Mariette DiChristinaEditors : Fred Guterl, Ricky Rusting, Philip Yam, Mark Fischetti, Christine Gorman, Anna Kuchment, Michael Moyer, Gary Stix, Kate Wong. President : Steven Inchcoombe Executive Vice President : Michael FlorekToutes demandes d’autorisation de reproduire, pour le publicfrançais ou francophone, les textes, les photos, les dessins ou les documents contenus dans la revue « Pour la Science », dans la revue « Scientific American », dans les livres édités par « Pour la Science » doivent être adressées par écrit à Pour la Science S.A.R.L. 8, rue Férou 75278 Paris Cedex 06© Pour la Science S.A.R.L. Tous droits de reproduction, de traduction, d’adaptation et de représentation réservés pour tousles pays. La marque et le nom commercial « Scientific American » sont la propriété de Scientific American, Inc. Licence accordée à Pour la Science S.A.R.L.

En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement ou partiellement la présente revue sans autorisation de l’éditeur ou du Centre français de l’exploitation du droit de copie(20, rue des Grands-Augustins 75006 Paris)

Supplément gratuit de « Pour La Science » n° 447 Imprimé en France par Pollina à Luçon (85). Dépôt légal 5636 – janvier 2015. N° d’édition M0770446-01 Commission paritaire n° 0917 K 82079 Distribution: Presstalis – ISSN 0 153-4092 N° d’imprimeur I01/193 847

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[portfolio : Construire un monde durable] 40 Énergies marines, Anaïs Joseph

42 Gaz à effet de serre, Anaïs Joseph

44 Énergie solaire, Frédéric Woirgard

46 Transport durable, Frédéric Woirgard

[un quotidien transformé]48 “Créons l’environnement propice à l’innovation”, interview

de Yves Beauchamp

50 Être smart ou ne pas être, Frédéric Woirgard

51 Voiture sans conducteur : un chemin tout tracé, Carlo Ratti et Matthew Claudel

52 Un outil pour construire un quartier durable, Christian Grellier et Éric L’Helguen

53 “Il faut optimiser la gestion de l’énergie”, interview de Laurent Schmitt

54 “La mobilité en ville a une influence sur la santé”, interview de Melissa Lott

55 En route vers l’usine du futur, Cécile Martin

60 Pour les transports, la mobilité en mode branché Xavier Bertin

[penser autrement] 64 Une nouvelle méthode pour de nouveaux enjeux, Mario Tokoro

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Innover, c’est conjuguer la « poïesis » (la création) et la « praxis » (l’action). C’est arrimer la liberté et l’imagination aux exigences du réalisme et du

rationalisme. L’innovation n’est pas la chasse gardée d’une petite élite numérique, pas plus qu’un produit confectionné en grand secret dans un laboratoire aseptisé. Les nouveautés numériques permettent de généraliser le dialogue et la coopération entre le plus grand nombre de personnes. Le résultat de ces travaux collaboratifs se traduit immédiatement par des amé-liorations technologiques qui rendent possibles les échanges productifs, comme le crowdsourcing, en leur conférant encore plus de puissance, d’immédiateté et d’indépendance à la distance ! Hic et nunc est désor-mais remplacé par semper et ubique. L’adage populaire « on n’arrête pas le progrès en marche » trouve ici tout son sens, plus que partout ailleurs précédemment. C’est une réaction en chaîne dont les produits sont la connaissance, la prospérité et le bien-être.

Les citoyens inventent la consommation collaborative et les savoirs collectifs

En ce début de XXIe siècle, cette conscience n’est pas partout partagée. Parmi ceux qui savent, il y a ceux qui ne sont pas à l’aise avec la portée des informations aux-quelles ces technologies et ces pratiques leur donnent accès ; et il y a ceux qui n’y ont pas accès. Enfin, il y a ceux qui savent qu’il faut agir vite. Le numérique engage ainsi à la prudence. Les mutations qu’il pro-

voque, ou les innovations qu’il potentialise, sont issues de développements technologiques rapides, puissants et extensifs. Mais ses effets impactent les fondements de notre vie sociale, de nos valeurs, de notre éthique, de notre vie politique. C’est pourquoi il doit être avant tout la puissance canalisatrice de la réunification de l’homme créateur avec lui-même, parce que ce qu’il permet est inédit : le rapprochement des hommes par la culture en abolissant les contraintes spatiales. Il ne se réduit pas à une modalité d’accès à l’information. Il permet l’émergence de nouveaux ponts dont la finalité peut être de partager des représentations du monde et de la société, d’aborder de nouvelles façons de pro-duire et d’échanger des savoirs, etc.

L’innovation, ce sont aussi de nouveaux modes de consommation collaborative et des savoirs collectifs qui sont inventés par les citoyens et les entreprises, au point que la plupart des organisations peinent à comprendre comment elles peuvent accompagner ces aspirations nouvelles. L’innovation est irriguée, presque inondée, par les potentialités du numé-rique. Elle en devient une nécessité plurielle, avec ses obligations propres. On pourrait affirmer que cette innovation n’est pas capitaliste, en ce sens qu’elle dif-fuse au plus grand nombre des capacités nouvelles. Prenons l’exemple de l’invention du logiciel libre : à partir d’un thème commun devenant langage, des individus mettent leur savoir à la disposition de la communauté et bénéficient de retours pluriels d’ap-prentissages singuliers, qui sont autant d’éclairages, de nouvelles opportunités d’application des solutions qu’ils développent. Naturellement, le succès de ces solutions servira également leurs intérêts privés. On ne peut mieux illustrer la façon dont l’intérêt géné-ral peut devenir moteur de l’innovation en générant des grappes d’inventions et de nouveaux usages, et donc des écosystèmes de croissance. Le numérique, en tant que dynamique et économie innovante, est à l’image du jazz : un thème, une fidélité à ce thème,

Le monde des possibles change plus vite que notre conscience du changement, plus vite que nos idées, nos valeurs, nos savoir-faire. C’est, pour les uns, une crise qui nous insécurise, pour les autres, le progrès qui ouvre de nouvelles voies. Point de vue.

Le numérique, moteur des échanges humains

› Roland MeyerPsychanalyste, musicien, il est professeur associé à l’université de technologie de Compiègne. Il a créé et préside l’Institut de l’innovation et du lien social. Il enseigne et anime des séminaires en entreprise sur le lien numérique.

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[Collaborer pour innover]

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À Durham (Grande-Bretagne), les élèves du primaire étudient les mathématiques sur des tables tactiles multi-utilisateurs, connectées entre elles. Un succès selon les chercheurs de l’université de Durham qui ont mené cette expérimentation dans 12 écoles : le travail collaboratif, grâce à ces outils numériques, facilite l’enseignement, la participation active et l’entraide des écoliers.

à partir duquel chaque musicien improvise, donnant en retour au compositeur du thème une foule de signifiants à même de le réinterroger. Personne n’y échappe désormais.

Créer du lien socialLe numérique offre une opportunité unique de

repenser le progrès et l’innovation à partir du partage, et donc du lien social. Ce dernier est à entendre comme un système d’interdépendances entre des individus sujets (et non objets, comme c’est souvent le cas dans le monde de l’Internet). Il est la preuve que la technologie peut réintroduire l’acte du lien social au cœur même du régime de production et de consommation pour en faire une production-consommation culturelle, c’est-à-dire une dynamique et une économie inscrites dans la durée et à même d’inventer l’« agir innovant citoyen ». En d’autres termes, l’effort numérique ne se justifie qu’au service du progrès humain.

Alors que l’enjeu pour la société est de créer les conditions d’une économie politique de la durée fai-sant de l’innovation et de la valeur temps la garantie d’un « advenir » possible et responsable devant les générations futures, le numérique met l’homme face

à sa responsabilité au sens de répondre de soi-même. Comme tel, il peut s’ériger sur cette double fondation : universel, il peut devenir fondamentalement démo-cratique ; collectif, il peut devenir le symbole de la production de savoirs communs et d’une culture de la consommation raisonnée.

Ce lien digital réinterprète l’interaction avec autrui et redéfinit la société comme une communauté inno-vante où la relation est contributive et produit des échanges qui ont une valeur éthique réelle. Il sera le principal levier du lien social s’il se rappelle que l’alté-rité est le premier partage du monde, la part faite à l’autre. Concevoir le numérique à partir d’un langage, c’est faire vivre l’altérité, le dissemblable. C’est prendre le risque de l’équivoque, de la singularité de la pensée.

Nous ne devrions aucunement en avoir peur ni opposer humanisme, technologie et culture. Ce sont nous-mêmes, les hommes, qui créons et partageons toutes ces déclinaisons. Le numérique n’est pas une technologie de plus. C’est, potentiellement, le meil-leur de l’homme, en chacun de nous et dans tout ce que nous faisons. Non pas en rupture avec le passé, mais en pleine conscience de ce que nous pouvons accomplir ensemble. ■

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› Jean JouzelPaléoclimatologue au CEA et vice-président du groupe scientifique du GIEC (prix Nobel de la Paix en 2007). Il a reçu en 2002 la médaille d’or du CNRS et, en 2012, le prix Vetlesen, considéré comme le Nobel des sciences de la Terre.

S i rien n’est fait pour maî-triser l’augmentation de l’effet de serre liée aux

activités humaines, nous irons à la fin de ce siècle vers un réchauffe-ment moyen supérieur à 4 °C par rapport à l’ère préindustrielle (soit 1850), qui se poursuivrait au-delà de 2100. Il sera difficile de faire face à ses conséquences : récifs coralliens mis à mal, acidification de l’océan, élévation du niveau de la mer, intensification des événe-ments météorologiques extrêmes et irréversibilité des phénomènes liés à la fonte préoccupante du per-mafrost (1) de l’Arctique ou de celui du Groenland et de l’Antarctique de l’Ouest qui commence.

Les impacts du réchauffement toucheraient tout autant l’homme. L’accès à l’eau serait rendu plus difficile dans certaines régions affectées par des sécheresses et des canicules à répétition. La perte de biodiversité, déjà bien réelle, serait exacerbée, certains écosys-tèmes naturels étant incapables de s’adapter à un changement si rapide. Les rendements agricoles auraient tendance à stagner, ren-

dant encore plus délicat l’objectif de nourrir notre humanité mar-quée par une expansion démo-graphique importante, au moins d’ici à 2050. La pollution urbaine pourrait devenir plus difficile à supporter dans les mégapoles, et ces conditions climatiques très différentes de celles d’aujourd’hui auraient également des consé-quences sur la santé des popu-lations mais aussi des animaux, sauvages ou domestiques.

Bien entendu, ces impacts ne sont pas répartis également, cer-tains pays en voie de dévelop-pement étant parmi les plus vul-nérables. Mais notre pays serait également affecté, comme en témoigne le récent rapport Le cli-mat de la France au XXIe siècle : cani-cules et sécheresses estivales plus intenses qu’aujourd’hui seraient au rendez-vous dans le sud-est du pays, tandis que la façade atlan-tique connaîtrait davantage de pré-cipitations hivernales.

Émettre moins de 1 000 milliards de tonnes de CO2

Dans le cas d’un réchauffement de 4 °C, tous les voyants sont au rouge. L’adaptation à ces condi-tions climatiques sera très difficile, voire impossible, et, en tout état de cause, extrêmement coûteuse. Or c’est la trajectoire sur laquelle s’est inscrit notre développement, depuis les années 1960. L’effet de serre n’a jamais augmenté aussi

rapidement que depuis le début de ce siècle, en premier lieu, à cause de notre utilisation croissante de combustibles fossiles. Ceux-ci y contribuent pour plus de 70 % à travers les émissions associées de dioxyde de carbone, tandis que celles de méthane et de protoxyde d’azote sont dues pour une large part aux pratiques agricoles.

L’adaptation apparaît beaucoup plus accessible dans le cas d’un scénario peu émetteur, qui répond à l’objectif de la convention climat à laquelle tous les pays ont adhéré et qui sera au cœur de la confé-rence de Paris, en décembre 2015 : celui d’un réchauffement qui, à long terme, n’excède pas 2 °C par rapport au climat préindustriel.

Aujourd’hui et dans les pro-chaines décennies, il est vital de modifier en profondeur notre mode de développement. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. L’objectif de

Les effets délétères du réchauffement climatique sont déjà bien visibles. Avant que les voyants passent au rouge, il est vital d’agir en modifiant en profondeur notre mode de développement par une démarche scientifique ouverte et collaborative.

Il faut atteindre la neutralité carbone d’ici à la fin de ce siècle

[Collaborer pour innover]

(1) Le permafrost (ou pergélisol) est un sol gelé en permanence pendant au moins deux ans.

[ Construire un nouveau monde autour de la notion de partage et de solidarité. ]

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2 °C requiert que, par nos activités futures, nous émettions doréna-vant, et pour toujours, moins de 1 000 milliards de tonnes de CO2.

Efficacité énergétique et économies d’énergie

Au rythme de 2013, nous attein-drions cette valeur dans moins de trente ans. Selon les estimations des réserves d’hydrocarbures pré-sentées dans le cinquième rapport du GIEC (Groupe d’experts inter-gouvernemental sur l’évolution du climat), cela implique de laisser là où ils sont, et à jamais, plus de 80 % des combustibles fossiles acces-sibles (pétrole, gaz naturel, charbon, gaz et pétrole non conventionnels), valeur qui ne tient cependant pas compte des combustibles qui pour-raient faire l’objet d’un piégeage et stockage du CO2 émis. Les écono-mistes du GIEC parviennent à une conclusion analogue : les scénarios compatibles avec l’objectif de 2 °C correspondent à une réduction des émissions de gaz à effet de serre

de 40 à 70 %, à horizon 2050 (par rapport à 2010). Cette baisse doit de plus se poursuivre au-delà, jusqu’à atteindre la neutralité carbone, voire mieux, d’ici la fin du siècle.

Nul besoin d’être devin pour en déduire que recherche et innova-tion seront au cœur de ce dévelop-pement sobre en carbone. D’après le GIEC, « la part des énergies bas carbone – renouvelables, nucléaire, fossiles associées à un piégeage et stockage du CO2 – sera multipliée par 3 ou 4, à l’horizon 2050 ». L’effi-cacité énergétique et les économies d’énergie devront être au rendez-vous dans tous les domaines : uti-lisations domestiques, industrie, transport, bâtiment, urbanisme, sans oublier les pratiques agri-coles dont les gaz à effet de serre associés sont aussi en quantité non négligeable. Cela conduira à repenser la façon dont nos socié-tés fonctionnent, individuellement et collectivement. Ce « nouveau » monde devrait se construire très largement autour de la notion de partage, de solidarité, d’économie

de fonctionnalité, et se traduire par une recherche et développement plus collaborative et largement ouverte. Dans ce contexte, il est intéressant de mettre en avant la démarche adoptée par l’Europe à travers la mise en place de pro-grammes KIC (Knowledge and Innovation Community). L’un de ceux-ci est consacré à la recherche et à l’innovation dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique et de l’adaptation. ■

En savoir +› Le climat de la France au XXI e siècle, volume 4, rapport de la Direction générale de l’énergie et du climat, août 2014.› http://www.developpemeant-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ONERC_Climat_France_XXI_Volume_4.pdf› Les rapports du GIEC sur www.ipcc.ch› L’adaptation de la France au changement climatique mondial, rapport du Conseil économique, social et environnemental, mai 2014.› http://www.lecese.fr/sites/default/files/pdf/Avis/2014/2014_13 adaptation_changement_climatique.pdf› Le défi climatique. Objectif 2 °C ! par Jean Jouzel et Anne Debroise, éditions Dunod, octobre 2014.

À Linfen (Chine), une des villes les plus polluées du monde, la plupart des habitants portent un masque, protection bien dérisoire. En cause, des industries grandes émettrices de gaz à effet de serre (charbon, acier, goudron) et le chauffage au charbon.

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[Collaborer pour innover]

L’ innovation, entendue comme processus de translation conduisant

d’idées neuves à la mise au point de procédés qui trouvent leur mar-ché, dépend au moins autant de l’assemblage de ces idées que de leur surgissement dans des cer-veaux individuels. Comment se met en place cette coopération épistémique, autrement dit, cet échange de connaissances ? Com-ment contribue-t-elle à l’innova-tion et aux dispositifs de nature à l’accroître ?

Tout le monde s’accorde à consi-dérer que la coopération est sou-haitable au sein des organisations, mais qu’il est difficile de la mettre en œuvre. Les origines de la difficulté tiennent moins à l’esprit de clan qui règne dans l’organisation qu’à un problème, mis en évidence dès 1951 par Albert W. Tucker, spécialiste de la théorie des jeux qui modélise les stratégies optimales de décision : les individus voient bien les béné-fices qu’ils pourraient tirer de leur

coopération, mais perçoivent aussi qu’ils pourraient jouir de ces béné-fices en s’abstenant de faire l’effort qu’elle réclame (1). Si chacun tient ce raisonnement, la coopération n’a pas lieu. La nouvelle machine à café pour laquelle on demande une coti-sation de dix euros ne sera jamais installée si chacun raisonne comme l’égoïste qui se dit qu’il pourrait en jouir même s’il ne participait pas à la collecte.

Repérer les informations

Un océan de littérature a été consacré à trouver les moyens les plus efficaces, comme la proxi-mité et l’intimité des agents, pour parer à cette rationalité individuelle de la défection. Il y a pourtant un domaine dans lequel la coopération semble poser bien peu problème : celui de l’information. Logiciels libres, wikis, sites et réseaux collabo-ratifs l’attestent : dès lors qu’il s’agit d’information et non d’argent, on trouve facilement de l’aide auprès

Contrairement aux idées reçues, partager l’information dans une organisation innovante est relativement aisé. Il est en revanche beaucoup plus complexe de mettre à jour et d’identifier les informations pertinentes.

La coopération comme outil d’innovation

(1) Comment réussir dans un monde d’égoïstes : théorie du comportement coopératif, par Robert Axelrod, éditions Odile Jacob, 2006. (2) Philosophy of Information, par Pieter Adriaans et Johanvan Benthem, éditions Elsevier, 2008.

› Jacques DubucsPhilosophe des sciences, directeur de recherche au CNRS et directeur scientifique du département des sciences de l’homme et de la société à la direction générale de la Recherche et de l’Innovation (ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche). Ses travaux portent sur l’histoire et la philosophie de la logique contemporaine, les logiques non classiques et les sciences cognitives.

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d’individus pour lesquels la pro-babilité d’être payés de retour est a priori négligeable. Ce n’est pas que les geeks soient meilleurs que le reste du genre humain, mais que l’information a deux propriétés que l’argent n’a pas. D’une part, elle est un bien que l’on peut donner tout en le conservant, si bien que la coo-pération ne fait rien perdre, même si elle reste unilatérale. D’autre part, elle est intrinsèquement productive lorsqu’elle est réciproque : si je t’in-forme que A et que tu m’informes que A implique B, alors à deux nous savons que B, information qu’au-cun de nous ne possédait aupara-vant (2). Le groupe qui coopère en sait plus que l’un quelconque de ses membres auparavant. En ce sens, le partage de l’information diffère des échanges ordinaires pour lesquels tout objet possédé collectivement par le groupe après le partage était forcément propriété de l’un de ses membres auparavant.

La pause-café d’une conférence ou d’un congrès est toujours un lieu privilégié de rencontre et d’échange d’informations.

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Les conclusions de tout cela, pour le management de l’innova-tion, sont, sur le plan des principes, assez claires : l’accroissement de la coopérativité des organisations sur le plan informationnel est une dis-position à la fois productive et moins malaisée à mettre en place qu’une réforme anthropologique de ses membres. Aussi le problème cen-tral ne devrait-il plus être considéré comme celui de dissiper la méfiance mutuelle entre individus, mais de veiller à la possibilité d’« assembler » les informations qu’ils sont prêts à partager. La première difficulté tient au repérage des informations dont l’agrégation serait cruciale : dans les grandes masses de données, les informations que l’on possède sans savoir qu’on les a sont légion. La seconde est la nécessité d’une mise à jour continue et synchro-nisée des informations détenues par chacun, ce qui suppose d’être capable d’identifier comme sem-blables ou complémentaires des idées qui, la plupart du temps, sont libellées dans des langages distincts propres à chaque communauté. Ce travail d’assemblage ou de « veille épistémique aux interfaces » est un métier d’avenir dans les organisa-tions innovantes. ■

I l y a plus de vingt-cinq ans, dans un chapitre délibéré-ment provocateur, Sylvère

Seurat proposait déjà de parler de « P & D » (pillage et déve-loppement) plutôt que de R & D (recherche et développement) : il suggérait ainsi de repérer en externe des idées nouvelles et de les développer en interne. Plus récemment, la proposition d’innovation ouverte de Henry Chesbrough a élargi le propos avec succès : toute l’intelligence de la planète n’est pas salariée de l’organisation. Il y a non seu-lement des idées à aller chercher à l’extérieur, mais il y a aussi des compétences et des talents externes à mobiliser pour trans-former le meilleur de ces idées et les concrétiser. L’innovation est stratégique en ce qu’elle permet d’améliorer les activités existantes et de régénérer les activités de l’entreprise. Et l’innovation peut utilement se nourrir de l’extérieur. Nombre d’entreprises l’ont bien compris, qui s’efforcent d’obtenir un effet de levier sur leurs res-sources en collaborant avec la re-

Les entreprises ne peuvent plus se contenter de réduire leurs coûts pour affronter la concurrence. Afin de s’en sortir par le haut, elles sont amenées à innover pour se régénérer en puisant les idées à l’extérieur.

L’innovation réoxygénée

cherche publique, les incubateurs, les pôles de compétitivité et leurs équivalents dans différents pays, les parcs technologiques, comme celui de Sophia Antipolis, et les start-up qu’ils abritent.

Les entreprises s’associent aussi parfois avec d’autres prêtes à mutualiser les efforts, y compris avec des concurrents dans le cadre d’une « coopétition » assumée. Les grands groupes créent égale-ment des fonds d’investissement (on parle de Corporate Venturing) ou participent à des fonds exis-tants, pour disposer d’autant de fenêtres d’observation sur les technologies en émergence,

› Thomas DurandProfesseur sur la chaire de management stratégique du Conservatoire national des arts et métiers (Cnam). Il est aussi fondateur et associé du cabinet de conseil CMI Stratégies. Il assiste des dirigeants d’entreprise dans leurs problématiques liées aux stratégies de développement, à l’innovation, aux stratégies technologiques et aux transformations organisationnelles.

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[ L’entreprise doit s’associer à ses concurrents dans le cadre d’une coopétition assumée. ]

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[Collaborer pour innover]

en quête de marchés. En ce sens, leur justification stratégique est moins dans la rentabilité des fonds à risque que dans l’accès aux dossiers (on parle de deal flow), et donc aux idées neuves, aux technologies et à la compé-tence qu’ils donnent à voir.

Aller au-delà de son écosystème historique

Au total, les dispositifs se mul-tiplient pour favoriser le collabo-ratif, la mutualisation, le partage des coûts et des risques des déve-loppements : plateformes colla-boratives, troc de briques techno-logiques, implication de clients exigeants et volontaires dans les démarches d’innovation, mobi-lisation de fournisseurs, appels à idées au-delà des frontières de l’entreprise, dans les universités, les écoles, ou avec des listes de problèmes à résoudre postées sur Internet, ou encore via la mobilisation des managers des parcs scientifiques mondiaux. Bien sûr, ces démarches ouvertes posent aussi des problèmes. Tout

d’abord, en matière de propriété industrielle. Ensuite, dans l’art de collaborer et de partager en bonne intelligence, mais sans pour autant se dévoiler. Enfin, dans la façon de maintenir une solide capacité interne de juge-ment pour filtrer les idées captées à l’extérieur et savoir repérer les meilleures sources mondiales de compétences car il est cru-cial de conserver son autonomie stratégique.

Dans cette affaire, il s’agit pour l’entreprise d’aller chercher au-delà de son écosystème histo-rique, pour le renouveler. Au gré des problèmes rencontrés, celle-ci a en effet noué un ensemble de liens avec des partenaires, construisant ainsi son écosys-tème au fil du temps. Elle s’en nourrit et le nourrit en retour. Or cet écosystème est, par construc-tion même, plus apte à alimenter les innovations d’hier que celles de demain. Il y a donc un enjeu à le renouveler en permanence. C’est la logique profonde de l’in-novation ouverte et des logiques collaboratives. ■

Plus de 1 400 entreprises et 5 000 étudiants et chercheurs travaillent à la techno-pole Sophia Antipolis, à l’instar de cette doctorante d’Inria qui étudie l’art fractal.

Quels sont les besoins et verrous en financement de l’innovation ? Environ 1 300 milliards de dollars par an sont consacrés à la R & D et à l’innovation dans le monde. Près de 70 % proviennent de l’industrie… mais ce sont majo-

Dans le cas des énergies vertes, quelle est la principale difficulté lorsqu’il s’agit de lancer des innovations sur le marché ? Je dirais qu’il y a trois grandes dif-ficultés. Tout d’abord, l’absence de normes bien établies pour ce secteur et d’attentes claires de la part du marché. Par exemple, si l’on excepte le photovoltaïque, il est difficile de déterminer pré-

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« On investit beaucoup trop peu dans les innovations de rupture »

« Un certain conservatisme prévaut dans l’énergie »

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Comment évoluent les fonds de capital-risque ? Actuellement, ils s’enflamment pour trois secteurs : les sociétés proposant de nouveaux services grâce au téléphone portable (Uber, Waze), du commerce et des services en ligne avec interfaces utilisateurs de qualité (Airbnb, Zalando, Jingdong…) et des logiciels pour le cloud (Salesforce, Dropbox, etc.). En revanche, après son essor jusqu’en 2010, l’indus-trie des technologies propres

(« cleantech »), beaucoup plus gourmande en capitaux, suscite moins d’intérêt, aujourd’hui.

Quelles en sont les conséquences pour votre activité ? Dans les « cleantech », les oppor-tunités d’investissement se concentrent désormais sur un cer-tain nombre de ruptures majeures dans le transport (connectivité et services basés sur le télé-phone portable) et de nouveaux modèles commerciaux de fourni-ture d’énergie. Exemple, la société SolarCity aux États-Unis : vous lui achetez de l’électricité solaire, et elle se charge de l’installation et de la maintenance de panneaux photovoltaïques, et d’une batterie lithium pour assurer une fourni-ture d’électricité en continu. ■ProPos recueillis Par Xavier Bertin

cisément les solutions alterna-tives solaires qui vont prendre le dessus : concentrateurs solaires, photovoltaïques, ou solution cou-plant la production de chaleur et d’électricité. Ensuite, la levée de capitaux, avec des montants bien plus conséquents que pour les technologies numériques notam-ment. Enfin, un certain conserva-tisme qui prévaut dans ce secteur, soumis de surcroît à une intense réglementation, ce qui peut constituer un frein important pour les petites entreprises.

› Alexander schlaepfer

Associé chez Aster Capital, fonds de capital-risque spécialisé dans l’énergie et l’environnement.

› Meni MaorPDG d’Horizon GreenTech Ventures, fonds d’investissement spécialisé dans les énergies vertes.

conservateur que celui de l’éner-gie, l’engagement d’Alstom en faveur de l’innovation ouverte – en vue d’un partage de l’innova-tion et de la propriété intellectuelle avec d’autres acteurs – apporte une bouffée d’air frais.

De quel genre d’entrepreneurs parlons-nous ? Nous avons actuellement dix start-up dans notre portefeuille, dans des domaines tels que le stockage de l’énergie, les réseaux intel-ligents, l’énergie renouvelable, l’efficacité énergétique. Nous soutenons par exemple GenEra, pour l’aider à développer une technologie innovante de stoc-kage de l’énergie sous forme d’hydrogène. Celle-ci pourrait se révéler plus efficace et plus sûre que les solutions alternatives. ■

ProPos recueillis Par Jon cartwright

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ritairement des investissements « statu quo » pour améliorer des technologies existantes. Plus de 300 milliards sont fournis par les gouvernements, surtout pour la recherche fondamentale. Enfin, seuls 30 milliards viennent du capital-risque pour des inno-vations de rupture, à quelques années d’une adoption massive. Aster Capital, soutenu par Als-tom, Solvay, Schneider Electric et le Fonds européen d’investis-sement, intervient dans ce cadre.

Qu’apporte l’alliance horizon Greentech Ventures ? C’est un pôle d’innovation tech-nologique en Israël, fondé en 2011 par Alstom, leader mondial de l’énergie, avec Rotem Industries, pour soutenir des start-up inno-vantes dans le domaine de l’éner-gie propre. Ensemble, nous aidons les entreprises en phase d’amor-çage à surmonter leurs princi-pales difficultés en apportant un financement de départ, l’expertise technologique et notre expérience industrielle. Dans un secteur aussi

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Ce prix d’entreprise récompense les idées les plus novatrices qui ont vu le jour dans le cadre des projets menés à travers le Groupe. L’inté-

rêt pour cette compétition n’a cessé de croître chaque année, comme en témoigne le nombre des candida-tures et de pays qui y participent. Un nouveau record a été établi en 2014, avec 717 propositions d’innova-tions émanant de vingt-six pays. Face à l’impact de la déferlante numérique qui atteint tous les marchés et aux nombreuses promesses de nouvelles technologies et services dans le transport et l’énergie, le Groupe encourage l’innovation ouverte tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de la société, afin d’anticiper les dévelop-pements futurs de technologies ou de services : au sein du Groupe, grâce à des projets collaboratifs trans-versaux aux secteurs d’activité, et à l’extérieur, via sa collaboration avec des entreprises, laboratoires publics, universités, etc.

La compétition est ouverte dans cinq catégories distinctes qui correspondent à des orientations stra-tégiques clés : les processus innovants, indispensables pour maintenir un avantage concurrentiel en matière de développement de solutions ; les produits et sys-

tèmes innovants, déterminants car différentiateurs sur le marché, à l’instar du robot Diris ci-dessus ; les innovations vertes, pour ouvrir la voie à un avenir durable ; les initiatives Small but Smart, à forte valeur ajoutée à partir d’idées simples ; l’ innovation ouverte, essentielle pour anticiper les ruptures à venir et accé-lérer le cycle de l’innovation, comme le projet eSto-rage (photo du haut) ou Passenger Experience (page 63). Dans chacune de ces catégories, trois innovations sont in fine récompensées. ■ steven curet, resPonsaBle des ProJets innovation, alstom

“I Nove You” Un prix pour l’innovation ouverte au sein d’une entreprise mondiale

Comme à Nant de Drance (ci-contre) en Suisse, de tels lacs de retenue adossés à des stations de transfert d’énergie par pompage (STEP) sont actuellement les seuls moyens de stockage d’énergie à grande échelle aujourd’hui (40 GW en Europe). Objectif des partenaires du projet européen eStorage (EDF, Alstom, Elia, Imperial College de Londres, consultants) primé en 2014 : réguler la puissance de pompage et de turbinage de ces STEP (via une de ces impressionnantes pompe-turbine, une machine de plus de 5 mètres de diamètre) pour l’adapter aux fluctuations croissantes de production liées à l’intégration des énergies renouvelables variables. Les technologies, matérielles et logicielles, sont testées sur la STEP du Cheylas (France) et dans le centre d’opération d’EDF à Lyon. L’ambition est de les déployer ensuite sur 75 % des STEP.

Récompensé en 2010, le projet Diris est le fruit d’une collaboration entre Alstom et l’Institut fédéral suisse de technologie de Zurich. Il porte sur le développement d’un robot collaboratif simplifiant l’inspection des petits générateurs de puissance (50 à 300 MW). Ce système, testé et validé en Malaisie, permet à un seul opérateur d’assurer la maintenance préventive de ces équipements difficiles d’accès, qui devaient auparavant être démontés pour être contrôlés. Cette innovation a favorisé le déploiement de 13 unités de ce robot dans le monde.

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[Collaborer pour innover]

Depuis le lancement des Alstom Innovation Awards en 2008, plus de 2 600 innovations ont été soumises par les équipes du Groupe.

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Ces deux univers, longtemps antagonistes, ont su tisser des liens stratégiques qui se concrétisent aujourd’hui par des partenariats riches et multiples. Entretien croisé entre le PDG d’Alstom et le président du CNRS.

À quels défis l’innovation technologique est-elle aujourd’hui confrontée ?Patrick Kron : Ils sont doubles. Le premier est d’ordre planétaire, et engage le futur de nos sociétés. Changement climatique et raréfac-tion des ressources, urbanisation galopante, croissances démogra-phiques localisées… ces phéno-mènes convergents et imbriqués soulèvent des problèmes inédits que l’innovation technologique est appelée à résoudre dans de nom-

breux secteurs d’activité, dans les domaines de l’énergie et des trans-ports en particulier. L’autre grand défi concerne l’invasion généralisée des technologies numériques. Elles stimulent – entre autres choses – le rapprochement des services et de l’usager, modifient en profondeur les schémas de concurrence et de création de valeur et imposent une démarche coopérative là où le « in house » était jusque-là la règle. Tout cela dévoile un nouveau pay-sage industriel où les entreprises doivent trouver leur place pour s’en nourrir et s’y développer. Il leur faut, pour cela, s’adapter à des environnements en constante évolution et anticiper les ruptures technologiques dans des secteurs aussi variés qu’interdépendants.

Alain Fuchs : Effectivement, jusqu’à la fin du XXe siècle, les modèles d’innovation suivaient un schéma globalement linéaire. La recherche publique produisait de la connais-sance pure, jusqu’au dépôt de brevets. De grands laboratoires de recherche et développement d’in-dustriels, souvent excellents, pre-naient le relais. Ce modèle par pas successifs n’a plus cours. Le nou-veau paradigme de l’innovation se caractérise par un rythme, une transversalité et une malléabilité beaucoup plus soutenus, permet-

tant des va-et-vient continus entre la production des connaissances et leurs applications. Une poro-sité doit donc s’installer entre la recherche pure, la recherche tech-nologique, les activités de R & D et leur valorisation.

› Alain FuchsPrésident du CNRS depuis 2010, il est avant tout chercheur. Il a dirigé le laboratoire de chimie des matériaux amorphes de l’université Paris-Sud, avant de fonder le laboratoire de chimie physique d’Orsay. Ses travaux sur la modélisation et la simulation moléculaire des fluides confinés ont donné lieu à de nombreuses collaborations industrielles.

› Patrick KronPolytechnicien et ingénieur de l’École des mines de Paris, il est président-directeur général d’Alstom depuis 2003. Il a débuté sa carrière au ministère de l’Industrie, avant de rejoindre le groupe Pechiney, où il dirigeait notamment les activités d’électrométallurgie, puis la société Imerys, un des leaders mondiaux dans le secteur des minéraux industriels.

Les frontières s’estompent entre la recherche publique et privée

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L’opposition entre recherche fondamentale et appliquée a-t-elle perdu de son sens ?A. F. : Sans conteste. Notre mis-sion première, au CNRS, consiste à explorer les frontières de la connaissance, à conduire des activités de recherche en amont sans avoir d’objectif d’applica-tions immédiates. Pour autant, on ne peut jamais prévoir comment cette recherche de base sera ou non mise à profit, comme l’histoire des sciences et des techniques le prouve de manière éclatante. Les recherches actuelles sur le boson de Higgs, par exemple, parti-cule élémentaire qui confère leur masse à toutes les autres, semblent bien loin des préoccupations quotidiennes. Mais personne ne peut dire quand ni comment elles conduiront à des applica-tions concrètes. Sans compter qu’elles ont d’ores et déjà permis le développement d’instruments scientifiques de pointe qui pro-duiront eux-mêmes de nouvelles connaissances. L’utilité de cette recherche de base ne se mesure pas, du reste, aux seules retom-bées technologiques et écono-

miques. Elle concerne également le champ social et culturel, tout aussi important au développe-ment de nos sociétés. Le CNRS a aussi vocation à transférer et valo-riser le produit de ses recherches. C’est notre deuxième mission. Elle est essentielle dans le nouveau paradigme de l’innovation, où les problèmes industriels dictent une partie des pistes d’accroissement du socle des connaissances fon-damentales. Cette préoccupation grandissante nous a conduits à tis-ser de plus en plus de partenariats avec les groupes industriels et les PME, en France comme à l’étran-ger. Rappelons aussi que, depuis le début des années 2000, plus de 1 000 start-up ont été créées à par-tir des recherches menées dans les laboratoires soutenus par le CNRS.

P. K. : Les relations entre les entre-prises et la recherche publique n’ont pas toujours été faciles… Mais elles connaissent actuelle-ment une formidable embellie ! La première raison à cela tient dans la reconnaissance mutuelle, somme toute assez récente, de la com-plémentarité des compétences

et des approches. Ainsi que dans l’acceptation d’une temporalité différente : dans un laboratoire académique, le « pas de temps » se mesure à la durée d’une thèse (de trois à quatre ans) ; alors que, dans l’entreprise, nous avons souvent besoin d’aboutir plus rapidement à des résultats. Comment, dès lors, trouver un terrain d’entente ? En travaillant ensemble dans le moyen et le long terme et en jalonnant cette relation stratégique, inscrite dans la durée, par des échanges fréquents faisant le point entre les avancées des uns et les question-nements des autres. La seconde raison à ce rapprochement entre entreprises et recherche publique tient au principe de nécessité. Dans le passé, la plupart des grands groupes s’appuyaient sur des centres de recherche internes. Mais les thématiques à couvrir sont désormais trop imbriquées et les coûts trop élevés pour agir seul. Puisque les recherches de base, à l’évidence capables d’irriguer le développement industriel, sont menées en grande partie dans les laboratoires publics, des alliances s’imposent.

Comment se concrétise cette innovation partagée ? P. K. : Alstom est associé à onze pôles de compétitivité, deux ins-tituts pour la transition énergé-tique (ITE, qui rassemblent les compétences de l’industrie et de la recherche académique dans une logique de cofinancement public-privé), trois instituts de recherche technologique (IRT). Dans le cadre de Supergrid Institute (lire page 26), par exemple, qui prépare les tech-nologies de nouveaux réseaux de transport d’électricité, nous avons établi des relations très fortes avec le CNRS et d’autres organismes publics, tels que l’université Paris-Sud et l’université Claude-Bernard

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de Lyon. Plusieurs écoles d’ingé-nieurs et d’autres industriels (EDF, Nexans…) y participent. Ces colla-borations s’inscrivent dans le long terme (au moins huit ans). Autre exemple : le laboratoire commun que nous avons fondé, au prin-temps 2014, avec l’Institut natio-nal de recherche en informatique et en automatique (Inria), afin d’explorer les possibilités offertes par les technologies numériques dans les domaines de l’énergie et des transports. Ce laboratoire est codirigé par un chercheur de l’Inria et un ingénieur d’Alstom. De façon générale, notre approche de l’inno-vation se veut résolument ouverte. Ouverte sur la recherche publique, mais aussi à l’égard des entreprises – des start-up aux grands groupes industriels. Ouverte, enfin, entre nos différents métiers, comme le succès de nos prix de l’innovation en témoigne depuis sept ans (lire page 14).

A. F. : Les structures que nous pri-vilégions pour collaborer avec les industriels sont les laboratoires communs CNRS-entreprises où nos cultures se mélangent. Il en existe actuellement une centaine, et leur nombre ne cesse d’aug-menter dans des secteurs aussi variés que l’énergie, la chimie, les télécommunications, la médecine, l’environnement, etc. Les trois quarts se situent dans nos locaux, les autres – près d’une trentaine, les unités mixtes de recherche – chez nos partenaires industriels. Cofi-nancés par le CNRS et les entre-prises concernées, ces laboratoires disposent d’un budget total de plus de 150 millions d’euros et mobi-lisent près de 1 200 chercheurs et ingénieurs de recherche du CNRS. Tout commence, souvent, avec la sollicitation d’un industriel. Nous identifions alors, parmi le millier de laboratoires que comporte le

CNRS, les plus à même de sou-tenir cet effort de recherche pour aboutir à de vraies ruptures scien-tifiques. Les contrats de collabo-ration s’échelonnent entre un an (CDD) et quatre ans (thèse et post-doctorat), renouvelables selon les besoins et les résultats obtenus. L’expérience nous montre que c’est une façon très efficace pour faire sauter des verrous, aussi bien scientifiques que technologiques. Un bon exemple concerne le traite-ment et la valorisation des déchets organiques et des résidus indus-triels dangereux, fruits de la colla-boration étroite entre le CNRS et Innoveox, une start-up qui exploite deux brevets du CNRS, entrée en

Bourse en mai dernier. Depuis deux ans, nous développons aussi des structures collaboratives d’envergure internationale entre le CNRS, de prestigieuses insti-tutions de recherche étrangères ainsi que des industriels. Nous en avons déjà créé quatre en Chine, au Japon, à Singapour et aux États-Unis, avec Solvay, Thales et Saint-Gobain. Dans un contexte où la recherche et l’innovation sont de plus en plus globalisées, ces partenariats internationaux d’un nouveau genre semblent appelés à se développer. Beaucoup de pays nous envient cette possibilité de financer et créer de telles structures tripartites internationales. Nous avons aussi l’ambition de déve-lopper une activité prospective au service des industriels, une veille scientifique, comme le proposent les Instituts Fraunhofer en Alle-magne. Ou encore de monter des consortiums d’entreprises, comme savent le faire nos confrères japo-nais. Nous avons encore de belles marges de progrès. ■

ProPos recueillis Par Franck Daninos

[ Notre relation se fonde sur des approches et des compétences complémentaires. ]

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[Outils et stratégies]

Comme beaucoup de domaines scientifiques, ceux qui adressent les problématiques d’éner-gie et de transport sont aujourd’hui intriqués

dans des mouvements globaux d’urbanisation, de changement climatique ou de raréfaction des res-sources naturelles. Ces enjeux planétaires interdépen-dants convoquent des réponses systémiques. La pro-duction croissante d’énergies renouvelables impose ainsi de nouvelles solutions, tant de transmission et de stockage de l’énergie que de gestion des consom-mations. Cela se traduit par des architectures nou-velles, plus complexes (réseau électrique intelligent ou smart grid, système de mobilité multimodal, etc.), des systèmes dont les performances sont désormais à optimiser dans leur ensemble et non via leurs com-posantes considérées individuellement.

Cette complexité nouvelle peut être comparée aux architectures du vivant et stimuler le recours à des analogies biologiques où tout est affaire d’équilibre dynamique entre des systèmes. Soumis aux éclai-rages de disciplines différentes, ces nouveaux ques-tionnements scientifiques permettent, parfois, de discerner des lueurs d’interprétation comme autant de solutions inédites pour modé-liser ces nouvelles architectures et prédire leur comportement. Il est devenu essentiel de savoir détec-ter ces signaux faibles qui sont des observations paradoxales sti-mulant la réflexion et l’intuition : « Ça me fait penser à… » C’est la clé du raisonnement par analogies, qui va, d’une part, déclencher la compréhension, et donc la maî-trise des phénomènes, et, d’autre part, ouvrir la voie à de nouveaux assemblages permettant d’aborder un problème sous un angle origi-nal. À titre d’exemple, les inspira-

Les enjeux actuels impactent les évolutions technologiques, suscitant des solutions complexes, souvent systémiques, de plus en plus tournées vers l’humain. En découle une innovation ouverte sur le monde, interdisciplinaire et inspirée du numérique.

La nouvelle donne dans l’énergie et les transports

tions issues de nos connaissances du système immu-nitaire peuvent donner des idées pour améliorer la transmission des signaux et, surtout, la sécurisation des réseaux d’échanges de données.

Il n’y a plus une solution universelle, mais des solutions sur mesure

De plus en plus, ces systèmes composent des tech-nologies au service de l’humain : l’usage, l’ergono-mie, la perception et les attentes de l’usager sont au cœur de leur conception. Dès lors, on voit naître de nouveaux paradigmes dont les déterminants prin-cipaux ne sont plus exclusivement technologiques, mais également sociaux et cognitifs. En découle une adaptation contextuelle : culturelle, géopolitique, envi-ronnementale. Il n’y a plus UNE solution universelle, mais DES solutions sur mesure pour des cahiers des charges qui diffèrent d’un pays à l’autre, d’une source d’énergie dominante à une autre. Sans pour autant que la dimension des usages, qui eux aussi diffèrent d’un endroit à un autre, ne soit bien formalisée.

Dans les domaines de l’énergie et du transport, ces bouleversements imposés orientent la façon de

faire de la recherche et du déve-loppement et d’innover. On par-lera ainsi de solutions flexibles, reconfigurables (par exemple, via une tarification dynamique) ; de solutions commandables en temps réel (pour recharger des véhicules électriques) ; de suivi dynamique des équipements et des systèmes (cas de l’aéronautique) ; de suivi dynamique de la qualité de service (via Internet) ; d’optimisation en temps réel du niveau de produc-tion et de stockage de l’énergie (par de véritables systèmes d’exploita-tion de smart grids).

› Ronan StephanDirecteur de l’innovation pour le groupe Alstom.

› Robert PlanaResponsable de la recherche et développement avec les universités pour le groupe Alstom.

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Dans ces périodes de grande mutation, les repères établis sont balayés, même pour des industries dites « traditionnelles ». Les instruments classiques sont remplacés par des outils plus intelligents, partagés, distribués, coopératifs, améliorés continuellement. Cette révolution, largement irriguée par la transfor-mation digitale, est d’intensité au moins comparable à celle de l’Internet il y a vingt ans. Les potentiels de ces nouveaux outillages, amplement décrits dans les corpus de l’open innovation, définissent une nouvelle relation à la fabrication (avec les robots), une média-

tion des échanges et une nouvelle ergonomie sociale (par les réseaux sociaux collaboratifs), de nouveaux processus d’analyse et de supervision (avec la fouille des masses de données).

Ces outils, qui ont commencé à modifier l’organisa-tion de l’entreprise et son rapport à ses marchés, sont également en mesure d’éclairer son environnement et ses futurs possibles. Ils compléteront l’arsenal utilisé pour détecter les signaux faibles et scénariser le sens qui peut en être extrait ou, en d’autres termes, penser la stratégie. ■

Centrale photovoltaïque. Les smart grids permettront d’adapter le niveau de production et de consommation d’électricité, notamment grâce aux technologies numériques. © G. PAire/Freshstock

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Des métaux ordinaires dopés aux nanotechnologies

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Les nanotechnologies sont parmi les domaines de recherche les plus promet-

teurs du XXIe siècle. Elles nous ont déjà valu plusieurs décou-vertes fascinantes : des matériaux comme les nanotubes de carbone ou le graphène aux applications telles que les diodes électrolumi-nescentes organiques ou les na-nomédicaments. La plupart des applications font intervenir un processus de fabrication à partir de l’unité fonctionnelle de base (la nanofibre, le nanotube, la poudre, etc.), un processus que l’on qualifie de « bottom-up ».

Pour des raisons de coût, cela limite la fabrication à de petites quantités de nanomatériaux. La plupart des applications se limitent donc aux surfaces car elles peuvent être créées sur de larges zones à un prix raisonnable. Impossible, en revanche, de profiter des pro-priétés mécaniques des nanoma-tériaux telles que la résistance et la ductilité, des propriétés liées à la structure tridimensionnelle (ou au moins 2,5D) du matériau. Or ce sont celles qui présentent le plus

d’intérêt pour les applications des secteurs du transport et de l’éner-gie. De fait, ce que recherchent les constructeurs automobiles, aéro-nautiques, de centrales électriques ou encore les fabricants d’ordina-teurs, ce sont des matériaux légers capables de résister à des condi-tions d’exploitation extrêmes.

Vers la fin des années 1990, avec mon collègue Ke Lu, nous avons proposé une nouvelle solution de fabrication de nanomatériaux, baptisée nanocristallisation de sur-face (SNC en anglais). À l’époque, on savait préparer des nanocristaux en quantité à partir de poudres de

matériaux que l’on fractionnait par des procédés de mécanosynthèse, jusqu’à obtenir des nanopoudres. En les comprimant, par exemple, par métallurgie des poudres, on parvenait à créer des pièces de plus grande dimension. Nous avons découvert qu’en traitant de cette façon la surface d’un maté-riau solide de grande taille sur une profondeur non négligeable, jusqu’à 400 micromètres, nous pouvions transformer la micros-tructure de cette couche superfi-cielle en nanocristaux capables de conférer à la pièce des propriétés mécaniques de nanomatériaux. Cela ouvrait la voie à la concep-tion, dans des conditions écono-miques, de pièces de grande taille aux propriétés exceptionnelles en une seule étape de fabrication. De plus, en améliorant leur réactivité chimique, elles peuvent résister à des conditions difficiles tout en affichant une résistance et une ductilité élevées.

Résistance et ductilité élevées

Nous réalisons cette nanocris-tallisation de la surface grâce à un procédé que nous avons baptisé SMAT (Surface Mechanical Attrition Treatment) : on place le matériau massif dans une enceinte avec des petites billes dures de taille milli-métrique. L’enceinte est placée sur un générateur de vibrations qui oscille à une fréquence suffisam-

Les nanomatériaux sont souvent conçus à partir de nanostructures à l’échelle atomique. On peut désormais aussi profiter de propriétés mécaniques exceptionnelles en partant du matériau massif.

[Outils et stratégies]

› Jian LuIl est directeur du Center for Advanced Structural Materials à la City University of Hong Kong, où il exerce également en tant que professeur. Il mène des recherches sur les nanomatériaux métalliques et leur intégration structurelle et fonctionnelle. Il a obtenu son doctorat à l’université de technologie de Compiègne et son habilitation à diriger des recherches auprès de l’université Pierre-et-Marie-Curie (Paris VI). Il est membre de l’Académie des technologies.

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[ Fabriquer en une seule étape des pièces de grande taille aux propriétés exceptionnelles. ]

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ment rapide pour que le matériau soit soumis à des impacts multi-directionnels répétés (voir schéma ci-contre). Sous l’effet de ces chocs, sa couche superficielle subit une déformation plastique jusqu’à être transformée en grains nanomé-triques. La méthode SMAT peut être appliquée à divers métaux et alliages et, contrairement à la fabri-cation classique en mode bottom-up par métallurgie des poudres, elle permet d’obtenir des maté-riaux nanocristallins denses et présentant un très faible risque de contamination par des impuretés comme des oxydes.

À la différence des matériaux conçus à partir de nanopoudres,

résistants mais peu ductiles – ils se fracturent à faible déforma-tion à cause de concentrations de contraintes –, les matériaux nano-cristallisés en surface ont une rési-lience élevée, autrement dit, une bonne résistance aux chocs, grâce à leur résistance et leur ductilité éle-vées. Cela vient du fait que le pro-cédé SMAT permet de créer une situation de non-localisation des matériaux nanocristallins dont les déformations sont alors réparties sur toutes les échelles atomiques, nano, micro et macro. Les pièces en acier traitées selon ce procédé atteignent une limite d’élasticité de 2 gigapascals (GPa), et une limite d’élasticité spécifique (c’est-à-

nanomatériaux

L’industrie aéronautique est particulièrement concernée par l’utilisation de matériaux de plus en plus légers et capables de résister à des conditions d’exploitation extrêmes.© S. Ognier/AirbuS

Le procédé SMAT consiste à bombarder dans des directions aléatoires la surface d’un matériau avec des billes dures.

Comment fonctionne le procédé SMAT

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[Outils et stratégies]

dire la limite d’élasticité par unité de poids) pour un allongement de 15 %, supérieure à celle d’alliages résistants à base de titane, d’alu-minium et de magnésium.

Centrales nucléaires, ordinateurs, etc.

Ces pièces nanocristallisées en surface pourraient notamment intéresser les constructeurs de centrales nucléaires, en particulier

pour la conception de réacteurs à neutrons rapides qui opèrent à des températures plus élevées que les réacteurs à eau pressurisée clas-siques. Les gaines de combustible des réacteurs nucléaires classiques sont actuellement fabriquées en alliages de zirconium, des maté-riaux qui ne supporteraient pas les températures de réacteurs à neutrons rapides. Les gaines de combustible en acier allié traitées par SMAT pourraient suppor-ter non seulement des tempé-ratures plus élevées, mais aussi avoir une meilleure résistance à l’usure, notamment de contact

(fretting) ainsi qu’aux irradiations. Cela est notamment dû à la créa-tion de structures cristallines avec beaucoup de« nanomacles », plus stables thermodynamiquement parlant, et qui limitent la coales-cence des vides créés sous l’effet des irradiations.

Une autre application potentielle de la nanocristallisation de sur-face concerne les circuits intégrés des ordinateurs. La loi de Moore selon laquelle la taille des circuits intégrés diminue en moyenne de moitié tous les dix-huit mois res-tant la règle, cette miniaturisation doit désormais faire face à certaines limites. Ainsi, les nanofils d’or, qui assurent les connexions entre composants, ne pourront pas aller au-delà d’une certaine finesse, au risque de provoquer des courts-cir-

➥ Les aciers traités par SMAt sont particulièrement intéressants pour l’industrie automobile car ils per-mettent d’alléger les véhicules sans pour autant perdre en résistance. Les véhicules électriques, qui requièrent une grande efficacité énergétique, pourraient en tirer avantageusement parti. D’autres composants pourraient aussi être conçus avec ces matériaux, comme les boîtiers de batterie ou les boîtes d’absorption énergétique (crash-box), qui pourraient ainsi absorber jusqu’à deux à cinq fois plus d’énergie en utilisant le même poids d’acier. ■ J. L.

L’intérêt du procédé SMAT pour l’automobile

Un autre type de surface nanostructurée : ce revêtement hydrophobe réalisé en laboratoire chez Alstom (sur des polymères, des métaux ou des céramiques) permet de limiter la détérioration par érosion, corrosion ou encrassement. Objectif : accroître la durée de vie des équipements de centrales électriques. Reste à transférer ces essais au niveau industriel.

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La prochaine génération de réacteurs nucléaires pourrait être à neutrons rapides (ci-dessus, essai sur maquette au CEA). Certaines pièces pourraient être réalisées par le procédé SMAT.

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commercialiser certains produits industriels d’ici un à deux ans. ]

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En savoir +› Nitriding Iron at Lower Temperatures, par W.P.Tong, N. R. Tao, Z. B. Wang, J. Lu, K. Lu, Science, jan. 2003, p. 686-688.› Atomistic Free-Volume Zones and Inelastic Deformation of Metallic-Glasses Characterized by High-Frequency Dynamic Micropillar Tests, par J. C. Ye, J. Lu, C. T. Liu, Q. Wang, Y. Yang, Nature Materials, Volume 9, n° 8, août 2010, p. 619-623.› High-Strength and High-Ductility Nanostructured and Amorphous Metallic Materials, par H. N. Kou, J. Lu, Y. Li, Advanced Materials, 2014, 26, p.5518-5524.

nanomatériaux

➥ Les supercondensateurs sont le chaînon manquant entre condensa-teurs et batteries. ils sont utilisés dans des applications où il est primordial de bénéficier d’un temps de charge rapide, par exemple pour récupérer l’énergie généralement dissipée sous forme de chaleur lorsqu’un véhicule freine. un des éléments clés des supercondensateurs concerne la surface de leurs électrodes. Les ingé-nieurs s’assurent toujours qu’elle est poreuse. Pour cela, ils ajoutent à la surface des électrodes une fine feuille de quelques centaines de nanomètres du même métal mais « désallié », dont on a supprimé un des éléments d’alliage. Ces feuilles coûtent cher à assembler. un prétraitement des élec-trodes par SMAt permet de désallier des matériaux sur une épaisseur 1 000 fois plus importante – jusqu’à plusieurs centaines de microns – et d’obtenir ainsi un métal nanoporeux à haute résistance. Avec une capacité par unité de surface de 12 faradays par cm2 (f/cm2), la performance glo-bale d’un supercondensateur traité par SMAt dépasse largement celle d’un supercondensateur standard avec une épaisseur de plusieurs cen-taines de micromètres. ■ J. L.

Accroître la performance des supercondensateurs

cuits. L’intérêt dans le cadre de l’or nanostructuré par procédé SMAT est qu’il devient plus résistant tout en préservant une bonne ductilité. En outre, à l’instar des barres de combustible nucléaire, le procédé permet d’améliorer la résistance de l’or aux irradiations et à l’électro-migration (déplacement d’atomes induit par un flux d’électrons), sans pour autant nuire à la conductivité électrique. De telles propriétés peuvent également intéresser tout particulièrement l’industrie aéros-patiale dont les équipements élec-troniques doivent être insensibles

aux irradiations cosmiques pour des missions au-delà de l’atmos-phère terrestre.

Parmi les nombreux autres champs d’application, je citerai les boîtes d’absorption d’énergie des véhicules (crash-box), parties à l’arrière des pare-chocs capables d’amortir les chocs (voir page 22), la photocatalyse pour détruire les polluants atmosphériques ou les supercondensateurs pour stocker l’énergie (voir ci-dessous). Nous poursuivons nos recherches avec des partenaires industriels et espé-rons commercialiser certains pro-duits d’ici un à deux ans. Je suis sûr que la nanocristallisation de surface s’imposera pour concevoir des applications à base de nano-matériaux à grande échelle, que ce soit pour leurs qualités en tant

➥ Les isolants à base de nanoparticules permettraient de concevoir les composants électriques de futurs réseaux à courant continu à haute tension (jusqu’à 800 kv). De tels réseaux sont indispensables pour relier les fermes éoliennes offshore ou d’autres sources d’énergie jusqu’à plusieurs milliers de kilomètres des centres de consommation. L’idée n’est pas nouvelle mais restée jusque-là cantonnée au labo-ratoire. Le projet nanocompeiM (2012-2015), financé par l’Agence de l’innovation britannique (innovate uK) et trois gestionnaires de réseau britanniques, réunit huit partenaires dans le but de produire ces nanomatériaux de façon reproductible (1). Leur qualité dépend de la dispersion et de la variété de taille des particules (du nano au micromètre) ainsi que de leur fonctionnalisation. un savoir-faire minutieux... d’autant plus que les matières premières réservent parfois des surprises (voir ci-dessus). Des coulées de 15 kg avec des composants courants sont en test avec cinq formulations. un déploiement de tels composants sur réseau est prévu d’ici à 2018. ■ Lise Tournon

(1) http://nanocompeim.com/

Des nanomatériaux aux propriétés isolantes

que pièces de structure ou pour leurs propriétés physiques ou chimiques. Ce procédé de fabrica-tion économique et à haute effica-cité énergétique sera assurément bénéfique pour la production, la gestion et le stockage de l’énergie, ainsi que pour l’environnement. ■

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La qualité de la matière première est primordiale, notamment la taille : à gauche, les particules du fabricant non conformes (30 microns), à droite, après traitement (150 nm).

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L’électronique de puissance au cœur de l’efficacité énergétique

› José MillanIl est est titulaire d’un doctorat en électronique de l’université autonome de Barcelone. Après avoir occupé le poste de vice-directeur du Centre national de microélectronique à Barcelone de 1999 à 2003 puis de 2006 à 2008, il travaille aujourd’hui au Conseil espagnol de la recherche (CSIC). Ses travaux portent sur les procédés technologiques (semi-conducteurs à large bande interdite et silicium) pour les dispositifs de puissance.

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L’électronique de puis-sance (ou électronique de conversion d’énergie) uti-

lise des dispositifs électroniques pour convertir et conditionner l’énergie électrique. Les commu-tateurs, les transformateurs haute fréquence, les onduleurs et les ballasts électroniques sont autant d’exemples de dispositifs commu-nément utilisés dans ce domaine. Des convertisseurs de puissance sont également de plus en plus courants dans des applications telles que l’éclairage, notamment pour les diodes électrolumines-centes blanches.

La consommation mondiale d’électricité est en hausse et devrait doubler d’ici à 2030. Dès lors, l’électronique de puissance devient encore plus indispen-sable : elle permettra notamment d’optimiser la production et la dis-tribution d’énergies renouvelables (éolienne, solaire, géothermique et biomasse) via des infrastructures telles que les lignes à courant continu haute tension (CCHT). De plus, les sources d’énergie renou-velable étant par nature dissémi-nées, elles nécessitent des techno-

logies spécifiques pour transformer l’énergie produite sous une forme facile à exploiter.

L’électronique de puissance permettra également de trans-porter l’électricité sur de longues distances. Un point important dans le contexte du déploiement de fermes éoliennes, notamment offshore comme en mer du Nord ou de centrales solaires en Afrique du Nord, là où se trouvent les res-sources naturelles exploitables. Grâce à des dispositifs transfor-mant, par exemple, le courant alternatif en CCHT, on pourra limiter les pertes d’énergie en transportant l’électricité produite par ces centrales. Autre possibilité : permettre aux consommateurs de

participer directement au jeu de l’offre et de la demande d’électricité au niveau de leur collectivité locale en la distribuant ou en la revendant eux-mêmes et en la gérant, ce qui suppose des moyens de stockage et de transfert bidirectionnels.

Les convertisseurs de puis-sance comportent des disposi-tifs à base de semi-conducteurs (commutateurs et redresseurs) et des composants passifs (induc-tance, condensateurs et transfor-mateurs). Ils sont aussi équipés de circuits de commande pour contrôler la quantité d’électricité aux ports d’entrée et de sortie des convertisseurs de puissance. Ces circuits peuvent être soit analo-giques, pour les convertisseurs de faible puissance, soit numériques dans le cas des lignes de haute et moyenne tension.

Des convertisseurs de puissance bidirectionnels

Si les turbines d’éoliennes et les panneaux solaires photovol-taïques peuvent à terme réduire notre dépendance à l’égard des combustibles fossiles, ces sources renouvelables ne permettent pas toujours de garantir une alimen-tation électrique régulière : des batteries sont nécessaires afin de stocker l’électricité dans les périodes de faible production, voire d’arrêt de production. Elles imposent l’utilisation de convertis-seurs de puissance bidirectionnels

Appareils de communication sans fil ou infrastructures de télécoms fonctionnent grâce à elle. Cet ensemble de technologies est indispensable pour optimiser la gestion et la flexibilité des réseaux intégrant des sources d’énergie renouvelable.

[Outils et stratégies]

[ Il faut améliorer la technologie des dispositifs à base de semi-conducteurs. ]

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multiports fonctionnant dans la gamme des kilowatts (kW). À ce titre, les véhicules électriques, qui sont en quelque sorte de petites unités de production et de stoc-kage d’électricité, pourraient offrir une solution prometteuse.

Des convertisseurs de puissance de la gamme des mégawatts (MW) offrant des niveaux de tension allant jusqu’à plusieurs kilovolts (kV) sont d’ores et déjà intégrés dans les moteurs électriques des grosses turbines d’éoliennes mais les applications des futurs systèmes de puissance exigeront des convertisseurs de puissance opérant dans la gamme des cen-taines de MW, voire des gigawatts (GW), avec des niveaux de tension de l’ordre de plusieurs dizaines ou centaines de kV.

Carbure de silicium et nitrure de gallium

Pour atteindre de telles valeurs, nous devons perfectionner les convertisseurs de puissance, ce qui suppose d’améliorer la technolo-gie des dispositifs à base de semi-conducteurs qui sont aujourd’hui responsables de la plus grande par-tie des pertes de puissance des dif-férents systèmes. Heureusement, ces technologies ont beaucoup évolué, cette dernière décennie, et affichent des niveaux d’efficacité et de densité de puissance largement meilleurs que par le passé, tout en étant plus robustes.

Parc éolien en mer Baltique, au large du littoral allemand. Les fermes éoliennes situées à plus de 80 km des côtes nécessitent un acheminement en courant continu associé à des convertisseurs électroniques de puissance, afin d’atténuer les pertes d’électricité.

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[Outils et stratégies]

Les composants de puissance discrets, comme on les appelle, utilisés dans les applications telles que les transistors à effet de champ métal-oxyde semi-conducteur (MOSFET), les transistors bipo-laires à grille isolée (IGBTs) ou les diodes et thyristors, sont actuel-lement basés sur la technologie éprouvée et largement répandue du silicium (Si) qui embrasse un

large éventail de tensions d’ap-plication, allant de 20 V jusqu’à plusieurs kV. Il est néanmoins indispensable qu’apparaisse à très brève échéance une généra-tion de dispositifs de puissance fondée sur d’autres semi-conduc-teurs que le silicium : l’objectif est d’améliorer les possibilités de blo-cage de tension, les températures d’exploitation et les fréquences de

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à

320 kV ou l’abaisser suivant leur position sur le réseau. Ces conver-tisseurs devront également inté-grer des interrupteurs de puissance efficaces et des transformateurs de moyenne fréquence qui restent à inventer.

Quelle solution proposez-vous ?M. M.-G. : Notamment d’utiliser le carbure de silicium dans les compo-sants électroniques des convertis-seurs. Il permet d’atteindre des ten-sions de blocage des interrupteurs de plus de 30 kV au lieu des 3,3 kV des composants industriels en sili-cium disponibles aujourd’hui et de concevoir des transformateurs moyenne fréquence (plusieurs kHz au lieu des 50 ou 60 Hz actuels), réduisant ainsi leur taille et leur coût. Notre objectif : réaliser des maquettes de convertisseur inté-grant des composants SiC de 10 kV, d’ici à trois ans. ■

ProPos recueillis Par lise Tournon

› Michel Mermet-GuyennetDirecteur du programme Équipements de conversion de puissance du SuperGrid Institute.

« Nous préparons les futurs réseaux électriques »

Quels sont les axes de recherche du superGrid institute ?Michel Mermet-Guyennet : La vocation du SuperGrid Institute s’inscrit dans un vaste projet de recherche sur les technologies des futurs réseaux de transport de l’électricité et du stockage de masse, dont l’objectif est d’amé-liorer la gestion de l’énergie et de favoriser l’intégration des sources d’énergie renouvelable.

Vous êtes responsable du programme de recherche sur les convertisseurs de puissance. de quoi s’agit-il ?M. M.-G. : Afin de collecter, de transporter et de distribuer l’élec-tricité générée par les sources d’énergie renouvelable, le déve-loppement de nouvelles techno-logies s’impose. Parmi elles, les convertisseurs de puissance haute tension courant continu (CC/CC) pour élever la tension jusqu’à

➥ après six années de développement et un an et demi d’expérimentation dans le métro parisien, la start-up belge Calyos commer-cialisera sous peu une solution inédite pour refroidir les modules de puissance, pièces clés des convertisseurs de puissance. la technologie CPl (ou boucle à pompage thermocapillaire) a été inventée, en 1966, par la nasa pour le spatial. euro Heat Pipes l’a adaptée à des applications terrestres et transférée à Calyos pour un développement à l’échelle industrielle (métros, trains, voi-tures électriques, énergies renouvelables), dans tous les domaines de l’électronique de puissance.la technologie CPl repose sur un transfert de chaleur diphasique et passif : la trans-formation thermodynamique du méthanol de l’état liquide à l’état vapeur, en circuit fermé, grâce au refroidissement naturel. elle ne nécessite aucune énergie, le pompage est assuré par capillarité dans un matériau métallique poreux. résultat : une capacité de transfert de chaleur jusqu’à 25 kW, une maintenance limitée, deux fois moins de bruit... alstom accompagne, depuis 2006, le développement de cette solution industrielle baptisée CalYPoWertM, primée en octobre 2013 (1). en décembre 2014, la technologie CPl a reçu la médaille d’argent des alstom innovation awards pour son utilisation dans les trains afin de refroidir l’électronique de puissance. ■ l. T.

Un refroidissement naturel puissant

commutation car le silicium atteint ses limites physiques dans ces domaines. Le carbure de silicium (SiC) et le nitrure de gallium (GaN) sont probablement parmi les meil-leurs candidats pour remplacer le silicium dans les technologies de conversion de puissance car les dispositifs utilisant ces matériaux accusent moins de pertes de cou-rant lorsqu’ils sont hors tension ;

(1) Prix du transfert technologique Donald M. Ernst, lors de la 17e International Heat Pipes Conference à Kanpur (Inde).

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En savoir +› Grid Integration of Large-Capacity Renewable Energy Sources and Use of Large Capacity Electrical Energy Storage, IEC White Paper, octobre 2012.

› Solid-State Lightin : A System Review, par C. Branas, par F. J. Azcondo et J.-M. Alonso, IEEE Industrial Electronics Magazine, vol. 7 n° 4, décembre 2013, pp. 6-14.

› A Survey of Wide Band Gap Power Semiconductor Devices, par J. Millan, P. Godignon, X. Perpina, A. Pérez-Tomas et J. Rebollo. IEEE Trans. on Power Electronics (special Issue on Wide Bandgap Power Devices and their Applications), vol. 29, n° 5, pp. 2155-2163, 2014.

› SiC Market and Industry Update, par P. Roussel, International SiC Power Electronics Applications Workshop, ISiCPEAW, Kista, Suède, 2011.

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ils peuvent en outre opérer à des températures supérieures et être rapidement mis sous ou hors ten-sion. Ils nécessitent également moins de refroidissement, ce qui donne la possibilité de concevoir des systèmes de puissance plus compacts et plus légers. Tous ces paramètres impacteront largement la définition des futurs dispositifs d’électronique de puissance. ■

Inventée par la NASA pour le spatial, la technologie CPL a commencé à être expérimentée dans le métro à Paris. Avec de nombreux avantages à la clé.

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Module de puissance iGBtRéservoir

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Des batteries plus vertes pour des besoins exponentiels

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L’énergie est aujourd’hui l’un de nos plus grands défis planétaires : nous devons

doubler notre production dans les cinquante prochaines années sans pour autant augmenter nos émis-sions de gaz à effet de serre, tels que le dioxyde de carbone (CO2). Les sources d’énergie renouve-lable constituent notre meilleur espoir d’une alternative viable aux combustibles fossiles. Pour cela, il faut pouvoir gérer, transporter, transformer et stocker de manière fiable l’énergie générée à partir de ces sources, que ce soit le soleil, le vent ou la biomasse. Et cela, à grande échelle et à moindre coût.

Tirer le meilleur parti des diffé-rentes sources d’énergie renou-velable nécessite des matériaux photovoltaïques et thermoélec-triques efficaces (pour convertir le rayonnement solaire ou la chaleur en électricité) ou des installations telles que des turbines d’éoliennes. L’énergie produite doit ensuite être transportée via de nouvelles tech-nologies, comme celles à base de supraconducteurs. La particularité de ces énergies étant qu’elles sont

produites par intermittence, reste encore à les stocker dans des dis-positifs performants, tels que des piles à combustible de type élec-trochimique, des superconden-sateurs ou autres batteries. Or, malgré les progrès considérables réalisés au cours des cinquante dernières années en science des matériaux, nous n’avons toujours pas trouvé le parfait matériau pour ces applications.

La technologie à ions lithium désormais mature

Un dispositif électrochimique, qu’il s’agisse d’une batterie ou d’un autre type de structure, a pour fonction de convertir l’éner-gie chimique en électricité, les électrons provenant des ruptures de liaisons chimiques. Le disposi-tif comporte deux électrodes (une positive et une négative) immer-gées dans un électrolyte liquide qui permet le transfert des ions entre elles – c’est précisément là que se font les réactions chimiques dans le cas d’une batterie. Une fois ces électrodes connectées à l’exté-

rieur, les réactions chimiques se produisent en parallèle sur les deux électrodes, libérant ainsi des électrons et générant du courant. La quantité d’énergie électrique qu’une batterie est susceptible de produire par unité de poids (Wh/kg) dépend à la fois du potentiel de la pile (en volts) et de sa capa-cité (en ampère-heure par kilo-gramme, Ah/kg). Ces paramètres sont directement tributaires de la chimie du système (autrement dit, de la nature des matériaux employés pour les électrodes).

Dans les années 1970, des cher-cheurs ont inventé la batterie rechargeable au lithium et se sont aperçus qu’elle pouvait emmagasi-ner de grandes densités d’énergie. Après plusieurs échecs (y com-pris des batteries qui ont explosé en cours d’utilisation), la techno-logie a dû être reconfigurée sans lithium métallique, donnant ainsi naissance à la technologie à ions lithium. Cette dernière est désor-mais mature grâce aux progrès de la science des matériaux et de la miniaturisation à l’échelle nano-métrique (milliardième de mètre). Les batteries lithium-ion (Li-ion) sont aujourd’hui communément utilisées dans un grand nombre d’applications quotidiennes, comme les téléphones portables et les véhicules électriques.

La bonne nouvelle est que ces batteries sont aussi de plus en plus respectueuses de l’environ-nement, grâce aux techniques de

Si le stockage électrochimique de l’énergie est de plus en plus écologique, il reste encore beaucoup à faire pour produire à grande échelle des batteries encore plus propres, plus autonomes et moins coûteuses. Tour d’horizon des solutions.

[Outils et stratégies]

› Jean-Marie TarasconIl est professeur au Collège de France, titulaire de la chaire Chimie du solide et de l’énergie. Il a passé une grande partie de sa carrière aux États-Unis où il a développé la technologie de batteries plastiques lithium-ion. Il est responsable du Réseau sur le stockage électrochimique de l’énergie (RS2E), récemment créé en France. Sa recherche actuelle porte sur les nouveaux matériaux d’électrodes pour le développement de batteries plus écologiques. Récompensé par de nombreuses distinctions, il est également membre de la British Royal Society.©

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« chimie verte » qui permettent de concevoir des électrodes avec des matériaux à faible empreinte éner-gétique. De telles approches sont même incontournables quand on sait qu’aujourd’hui, pour fabri-quer une batterie produisant seu-lement 1 kilowatt-heure (kWh), cela consomme environ 380 kWh d’énergie et émet 80 kg de CO2 dans l’atmosphère. Nous devons donc passer d’une production de céramiques à haute température, fortement consommatrice d’éner-gie, à des techniques de fabrication d’électrodes quasiment à tempé-rature ambiante, par exemple, par biominéralisation, et en exploitant des bactéries ou d’autres orga-nismes vivants comme vecteurs ou centres de nucléation.

Une nouvelle voie inspirée par cette même chimie des organismes vivants (technologies dites « bio-

inspirées ») consiste à utiliser comme électrodes renouvelables de batterie des molécules orga-niques conjuguées, liées soit à des liaisons carbonyles (C=O), soit à des groupes carboxyles (-COOH) issus de la biomasse. Ces recherches conduisent les chimistes à explo-rer des alternatives aux batteries Li-ion et à remettre au goût du jour d’anciennes technologies en tirant parti des progrès dans le domaine des matériaux et des nanotechnologies. Des systèmes tels que le lithium-soufre ou même le lithium-air pourraient ainsi connaître une seconde vie.

Plusieurs pistes prometteuses

Des technologies tout à fait nou-velles quoique similaires au Li-ion (le sodium-ion, par exemple) com-

mencent aussi à susciter l’intérêt en raison d’un coût moindre et de meilleures caractéristiques écologiques. De tels dispositifs pourraient même être commer-cialisés dans moins de dix ans. On constate également des progrès considérables dans les systèmes cationiques multivalents, tels que les dispositifs à base de magné-sium et de calcium, associés à un intérêt renouvelé pour les batteries à l’état solide (des batteries basées sur des électrolytes solides pouvant être fabriquées par des techniques d’impression) et les batteries à flux redox. À la différence d’une batterie à électrodes solides, une cellule à flux redox utilise comme électrodes positive et négative deux couples redox solubles (des espèces dites « électroactives ») ou bien, comme c’est la tendance actuellement, des suspensions

Préparation d’une encre graphite pour électrodes négatives, utilisée sur la ligne d’assemblage de batteries lithium-ion du CEA.

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[Outils et stratégies]

en solution de poudres (encres) électrochimiquement actives. Les électrodes sont oxydées et réduites pour emmagasiner ou délivrer l’énergie selon les besoins.

En dépit de ces récentes avan-cées, il reste beaucoup à faire aux chimistes et électrochimistes pour mette au point, d’ici le milieu du siècle, des batteries moins chères, de plus grande autonomie et écologiques. Heureusement, la richesse du tableau périodique de

Mendeleïev nous offre une abon-dance d’éléments qui nous per-mettra peut-être un jour de fabri-quer des composés totalement inédits, jusqu’alors inimaginables. Les modélisations joueront ici un rôle déterminant dans le choix des matériaux « gagnants » car il y a pléthore de combinaisons d’élé-ments chimiques à analyser. Ne pourrions-nous pas, pour défi-nir l’équivalent du génome pour les matériaux, nous inspirer de la

génomique, qui a dû, en son temps, recourir à de tels calculs haute per-formance ?

Le cauchemar des électrochimistes

Un autre moyen d’améliorer les performances des batteries, ou plus généralement des systèmes électrochimiques, serait de mieux comprendre les interfaces entre électrodes et électrolytes – qu’on décrit volontiers comme le cau-chemar des électrochimistes. Pour cela, il faut être capable de suivre et d’observer avec le plus de précision possible les processus chimiques qui interviennent à ces inter-faces dans une batterie en état de fonctionnement. Les techniques d’imagerie, telles que la micros-copie électronique à balayage par transmission à haute résolution (MEBT), ont été particulièrement utiles à cet égard et nous ont per-mis de comprendre comment les atomes s’assemblent en structures particulières. Il nous faudra néan-moins aller au-delà pour mieux visualiser l’effet des transferts

➥ depuis février 2014, un quartier de carros, près de nice, est autonome en énergie via le pilotage de l’offre et de la demande, une première mondiale à cette échelle (2 à 3 MW) : 200 clients, particuliers ou entreprises, participent au projet « nice Grid ». outre une plateforme intelligente de gestion des ressources solaires photovoltaïques (2,5 MW au total), une solution de conversion d’énergie d’alstom y est expérimentée : elle permet de connecter une batterie d’une capacité de 1 MW sur le réseau de distribution. Baptisé MaxSinetM eStorage, ce convertis-seur pilote en temps réel la charge ou la décharge de la bat-terie selon les besoins. le quartier peut ainsi injecter jusqu’à 1 MW sur le réseau ou fonctionner en autonomie complète. des travaux de modélisation sont en cours dans le cadre d’un laboratoire commun créé en 2012 avec le cea, afin d’optimi-ser l’exploitation de systèmes de stockage multitechnologies jusqu’à 20 MW. ■ Lise Tournon

A l’échelle d’un quartier solaire intelligent

Toitures solaires dans le quartier expérimental de Carros (Alpes-Maritimes), désormais autonome en énergie.

Sur cette image à haute résolution de microscopie électronique à balayage par transmission (MEBT), on constate la parfaite cristallinité de l’électrode positive (oxyde de métal de transition lithié) d’une batterie Li-ion. L’ordre des rangées atomiques (flèches bleues et vertes) disparaît à la surface de l’électrode (4 flèches bleues), preuve que la réaction chimique introduit un désordre structural à l’interface électrode/électrolyte.

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d’électrons individuels dans les réactions d’oxydoréduction.

Il va sans dire que l’innovation en matière de stockage d’énergie dépendra aussi d’une meilleure intégration de la batterie au sein de la chaîne énergétique. Enfin, la question du recyclage va prendre de plus en plus d’importance, ce qui impose des investissements substantiels de la part de l’indus-trie et du monde de la recherche.

En conclusion, dans le contexte d’une société dont les besoins sans cesse croissants exigent tou-jours plus d’électricité et à moindre coût, le stockage de l’énergie est un point clé. C’est un domaine passionnant où beaucoup reste à faire. Entre autres, transformer ces défis en opportunités en apportant des solutions innovantes. À cette fin, un certain nombre d’infras-tructures pluridisciplinaires ont été mises en place, tels le RS2E (Réseau sur le stockage électro-chimique de l’énergie) en France, le JCESR (Centre de coopération pour la recherche sur le stockage de l’énergie) aux États-Unis et Rising (Initiative de recherche et de développement pour l’innova-tion scientifique dans les batteries de nouvelle génération) au Japon. Serons-nous capables d’honorer nos engagements d’ici à 2050 ? Les paris sont ouverts. ■

➥ À l’image de cette unité hydroélec-trique d’alqueva (520 MW), dans le sud du portugal, un millier de stations de transfert d’énergie par pompage (Step) dans le monde constituent les plus gros réservoirs de stockage d’énergie : l’eau, pompée vers le lac de retenue en altitude, est « turbinée » pour alimenter le réseau électrique. la production peut ainsi être adaptée à la demande, et ce, à la seconde : une flexibilité qu’impose l’accroissement d’énergies renouvelables intermit-tentes. Grâce à des mesures inédites sur la turbine en fonctionnement, menées avec le producteur d’énergie portugais edp, alstom a pu élargir de 20 % la plage de fonctionnement de la Step dans la gamme des faibles puissances, cela, sans risque d’en-dommagement. une première qui permet à edp d’affiner sa gestion de puissance, et à alstom de valider ses modèles. ■ L. T.

Gagner en flexibilité

La gestion de la station de transfert d’énergie par pompage (STEP) d’Alqueva (Portugal) est optimisée depuis le mois de juillet 2014.

➥ depuis mars 2014, audi propose une a3 g-tron qui peut être propulsée au méthane (dit « e-gas »). c’est la start-up allemande etogas qui a bâti l’usine de production de gaz naturel synthétique, une première. Située à Werlte (Basse-Saxe), celle-ci produit, depuis juin 2013, 1 000 tonnes de gaz par an en consommant 2 800 tonnes de co2. le procédé, développé par etogas depuis 2007, initie un concept prometteur qui per-mettrait d’assurer l’essor des énergies renouvelables à très grande échelle en gérant leur intermittence via le stockage du méthane, envoyé directement dans le réseau de gaz naturel. concrètement, l’électricité éolienne ou solaire est d’abord transformée en hydrogène dans des électrolyseurs. l’utilisation de l’hydrogène étant aujourd’hui très peu développée, celui-ci est transformé en gaz naturel (et chaleur) via une méthanisation, procédé qui consomme du co2. le méthane produit peut être livré au réseau national, lors des pointes de production d’électricité renouvelable, ou remplir des réservoirs de véhicules... particuliè-rement verts. ■ L. T.

Produire, stocker et utiliser du méthane

Le méthane produit peut propulser cette Audi A3 g-tron ou être stocké dans le réseau de gaz naturel.

En savoir +› Issues and Challenges facing Rechargeable Lithium Batteries, par J.-M. Tarascon et M. Armand, Nature, 414, 359-367, 2001.› Life Cycle Analysis of Large-size Lithium-ion Secondary Batteries, par K. Ishihara. et al., Proc. 5th Int. Conf. EcoBalance, 293-294, 2009.› Building Better Batteries, par M. Armand et J.-M. Tarascon, Nature, 451, 652-657, 2008.› High Energy Storage Li-O2 and Li-S batteries, par P. G. Bruce, S. A. Freunberger, J. L. Hardwick, J.-M. Tarascon, Nat. Mater. 11(1), 19-29, 2011.

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Des systèmes d’énergie et de transport sous cybercontrôle

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Les technologies de l’infor-mation et de la communi-cation (TIC) et les nouvelles

méthodes d’analyse prédictive sont en train de modifier le pay-sage industriel. Dans le secteur de l’énergie et des transports, par exemple, ces outils offrent des so-lutions de maintenance plus fiables et plus économiques que les outils de maintenance préventive (1) uti-lisés jusque-là : ils permettent aux ingénieurs et aux personnes en charge de la maintenance des équipements de mieux en appré-hender l’entretien, l’amélioration des performances des machines et des procédés de fabrication. À la clé, une réduction de l’occurrence des pannes et des interruptions de service associée à une amélioration de l‘efficacité des procédés.

Grâce aux TIC, il est désormais possible de traiter des données provenant de capteurs sophisti-qués, de terminaux de commu-nication sans fil et de systèmes informatiques gérés à distance. Ces données sont susceptibles d’ap-porter de précieuses informations sur les mécanismes de dégradation

des équipements et de mettre en évidence des irrégularités et un manque d’efficacité dans les procé-dés industriels. Avant l’émergence des technologies numériques, de tels événements restaient « invi-sibles », jusqu’au moment où la panne les révélait.

Pour le secteur de l’énergie et des transports, actuellement, le prin-cipal enjeu concerne le remplace-ment de combustibles fossiles par des sources d’énergie propres et renouvelables. Contrairement aux méthodes de maintenance clas-siques que l’on pourrait résumer par « une panne, on répare », les nouvelles technologies dites de « e-maintenance » permettent de « prévoir et prévenir ». Pour cela, le Center for Intelligent Mainte-nance Systems (2) (IMS), un centre dont les recherches portent sur des solutions de maintenance intelli-gente, associé à l’université de Cin-cinnati (Ohio, États-Unis), a mis au point un ensemble d’outils et de méthodes de pronostic et de ges-

tion de la santé des équipements (ou PHM, Prognostics and Health Management). Baptisée Watchdog Agent® Toolbox, cette boîte à outils propose des algorithmes pour le traitement des signaux, pour l’éva-luation et le diagnostic de l’état de santé des systèmes et pour la prévision des performances. Elle est conçue pour être reconfigu-rable sur quasiment n’importe quel type d’application – des produits et équipements, jusqu’aux sys-tèmes complexes, ou aux lignes de fabrication.

Détection précoce des défauts dans le ferroviaire

Le train est un moyen de trans-port dont l’efficacité énergétique est deux à cinq fois supérieure à celle de ses concurrents routiers et aériens. D’où sa popularité crois-sante, que ce soit pour le transport de passagers ou de marchandises. Les progrès des TIC permettent d’améliorer les plateformes ferro-viaires de maintenance : celles-ci sont désormais capables de collec-ter, transférer et stocker des don-nées d’une grande fiabilité sur les différents systèmes. Alstom, un

Les outils issus des technologies du numérique offrent à l’industrie des moyens inédits pour améliorer les performances de leurs équipements et la fiabilité de leur fonctionnement. À la clé, une sécurité renforcée et des économies significatives.

[Outils et stratégies]

› Jay LeeProfesseur émérite de l’université de Cincinnati, il dirige le Center for Intelligence Maintenance Systems (IMS), sous l’égide de la National Science Foundation.

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(1) La maintenance préventive consiste à remplacer, réviser ou réparer un élément matériel avant qu’il entraîne des avaries. Elle peut être exécutée selon un échéancier ou lors de l’apparition d’indicateurs d’état matériel. (2) Depuis sa création en 2001, l’IMS a bénéficié du soutien de plus de 80 entreprises internationales dont Alstom. (www.imscenter.net)

[ On est passé de la méthode “une panne, on répare” à celle de “prévoir et prévenir”. ]

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des leaders du secteur, travaille au développement d’une telle plate-forme pour l’acquisition de divers types de données sur ses équipe-ments, tels que trains à grande vitesse, voies ferrées, caténaires et systèmes d’aiguillage (voir encadré page 35).

Le centre IMS collabore avec Alstom pour développer des outils d’analyse prédictive destinés à toute une série de projets, comme le suivi opérationnel du moteur de traction du TGV, l’évaluation de la qualité des voies ferrées ou la détection précoce de défauts sur les systèmes d’aiguillage. Les défis à relever par ces outils concernent le traitement d’importants volumes de données provenant du parc de locomotives, les mul-tiples régimes d’exploitation des trains à prendre en considération

et le système multicomposants qui couvre jusqu’à 30 différents types de dysfonctionnement.

Déployer des outils de contrôle

L’un des composants clés dans la série d’expérimentations réa-lisées concerne l’isolation du bobinage des moteurs de trac-tion. Les défauts de bobinage constituent la deuxième cause la plus fréquente de défaillance des moteurs à induction mais, détec-tés à temps, ils peuvent être répa-rés. En revanche, si le défaut est avéré, tout le bobinage doit être remplacé, ce qui coûte évidem-ment plus cher. Afin de repérer ces défauts en amont, les chercheurs ont mesuré et relevé les signaux de courant et de tension sur toute une

flotte de locomotives exploitées en Espagne. Pour ce faire, ils ont uti-lisé un réseau de capteurs dont ils ont récupéré les données via les technologies de communication sans fil embarquées sur les trains à grande vitesse.

Afin d’évaluer la faisabilité du déploiement d’un outil de contrôle des bobinages sur cette flotte, le centre IMS a conçu une méthode basée sur le calcul des composants « symétriques » des signaux de courant et de tension. En particu-lier, une impédance dite « néga-tive », issue des signaux obtenus lorsque les trains évoluent à vitesse constante, est un bon indicateur de santé du bobinage des moteurs de traction. La méthode a été testée sur 32 moteurs et 8 locomotives, deux moteurs ayant révélé des défauts de bobinage. L’équipe

Ces gigantesques turbines hydroélectriques sont des pièces de barrages dont la maintenance est mise sous haute surveillance.

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[Outils et stratégies]

de maintenance ferroviaire d’Als-tom a, de son côté, confirmé ces défauts, indépendamment de ces résultats.

Les problèmes de maintenance sont aussi considérés avec atten-tion dans le domaine de la pro-duction énergétique, notamment de l’énergie éolienne. Cette forme d’énergie propre et renouvelable se développe de façon croissante, depuis plusieurs dizaines d’an-nées. Selon un rapport de l’Agence internationale pour l’énergie (AIE), l’énergie éolienne couvrait près de 4 % de la demande globale en énergie, fin 2013, et ce chiffre devrait atteindre 15 %, voire 18 %, d’ici à 2050. Le département amé-ricain de l’énergie estime pour sa part que les États-Unis pourraient techniquement couvrir, d’ici à 2030, 20 % de leurs besoins en électricité avec l’énergie éolienne. Y parvenir suppose de savoir évaluer de manière fiable l’efficacité des turbines éoliennes. Or, à l’heure actuelle, les coûts d’exploitation et de maintenance d’un parc éolien offshore sont estimés à environ un tiers du budget sur tout leur cycle de vie.

À cette fin, le centre IMS a mis au point des solutions de ges-

tion de la santé des équipements basées sur une approche dite « de systèmes cyberphysiques » avec, entre autres fonctionnalités : une comparaison entre les turbines, qui permet d’évaluer l’état de santé du parc en identifiant celles qui pré-sentent des dysfonctionnements ; un indicateur de santé globale (GHE ou Global Health Estimator), qui permet de mesurer la perfor-mance d’ensemble des turbines au niveau du système ; un indicateur de détérioration locale (LDE ou Local Damage Estimator), qui évalue et identifie les défauts, cette fois, au niveau des composants des tur-bines. Ces trois fonctions sont cal-culées à partir des algorithmes de la boîte à outils Watchdog Agent®.

L’agent de batterie intelligent

La maintenance est aussi une préoccupation pour les systèmes de stockage d’énergie, tels que les batteries, composants essen-tiels des véhicules électriques ou hybrides. En assurer l’efficacité et la fiabilité de fonctionnement impose de pouvoir déterminer précisément leurs performances,

leur état de santé et leur durée de vie résiduelle. Le centre IMS a mis au point un « agent de batterie intelligent » (smart battery agent) grâce auquel il devient possible d’analyser les données collectées sur la batterie pour prédire d’éven-tuelles défaillances, cela, à partir de ses performances. Cet agent offre également des outils d’aide à la décision pour le suivi des dépla-cements des véhicules, via le cloud. Il permet par ailleurs d’analyser les données sur l’environnement et sur l’utilisation du véhicule, telles que le comportement du conduc-teur, les paramètres de charge de la batterie, l’état des routes et de la circulation, ou encore la tempé-rature et la météo. Enfin, l’agent peut calculer l’itinéraire optimal, par exemple en fonction de la dis-ponibilité des bornes de recharge.

En conclusion, nul doute que les technologies de l’information et de la communication peuvent apporter une aide précieuse au secteur de l’énergie et du trans-port, améliorer ses produits et ses services et contribuer à la compé-titivité des entreprises concernées dans un environnement sans cesse plus exigeant. ■

En savoir +› Recent Advances and Trends in Predictive Manufacturing Systems in Big Data Environment, par J. Lee et al., Manufacturing Letters 1.1, 2013 : 38-41.› PHM for Railway System. A Case Study on the Health Assessment of the Point Machines, par Ardakani, Hossein Davari, et al., Prognostics and Health Management (PHM), IEEE Conference, 2012.› T2T : Turbine-to-Turbine Prognostics Technique for Wind Farms, par E. Lapira, H. Al-Atat et J. Lee UC Tech n° 109-093. PCT Application : PCT/US11/36402. Publication n° WO/2011/143531, 17 nov. 2011.› A Comparative Study on Vibration-Based Condition Monitoring Algorithms for Wind Turbine Drive Trains, par D. Siegel et al. , Wind Energy, vol. 17, n° 5 : 695–714, 2013.

La maintenance des turbines d’éoliennes installées en pleine mer (ci-dessus en 3D) est un poste clé de leur budget de fonctionnement.

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➥ les machines hydroélectriques, comme celles du barrage d’Itaipu (Brésil), sont des monstres de 1 000 à 10 000 tonnes, dont la lubrification repose sur un film de quelques dizaines de microns d’huile... Pour détecter rapidement des dysfonc-tionnements ou éviter un éventuel grippage, des chercheurs d’alstom Power bouleversent les pra-tiques de maintenance : à partir des données ana-logiques issues des capteurs, leurs algorithmes de traitement du signal extraient des indicateurs intelligents sur l’état de santé des équipements en temps réel. Ces indicateurs, traités grâce à des modèles d’apprentissage automatique, permettent de détecter tous les impacts engendrés par une défaillance sur la machine et de fournir aux clients des recommandations précises et une meilleure évaluation des risques. Des informations straté-giques. Premiers tests chez un client prévus en 2015. ■ Lise Tournon

Quand le diagnostic devient automatique

➥ en mesurant l’épaisseur des plaquettes de frein, de la bande de carbone du pantographe, le profil des roues, l’état des rails ou des aiguillages, etc., on peut bien entendu détecter des problèmes sur le matériel ferroviaire, mais aussi, désormais, en diagnostiquer les causes et mieux prévoir la durée de vie des équipements. avec des économies conséquentes à la clé. Ces données étaient jusqu’à récemment mesurées manuelle-ment par des opérateurs sur les trains ou sur l’infrastructure, lors de longues tournées à pied. grâce au nombre croissant de données disponibles, de nouvelles approches de mainte-nance ont vu le jour, depuis quelques années, via un diagnostic automatique de certains composants.Un nouvel outil de maintenance prédictive lancé par alstom, baptisé HealthHub, inaugure une petite révolution dans le monde ferroviaire. associé, par exemple, à un portique de diagnostic à travers lequel passe le train, cet outil analyse automatiquement les données récupérées via des systèmes de mesure par laser ou des caméras 3D. grâce aux modélisations développées avec l’IMS Cincinnati, Inria, l’Institut polytech-nique de Milan et les universités de Cranfield et de gérone, HealthHub renseigne sur l’état de santé d’un équipement et prédit son temps d’utilisation restant. Pour la signalisation, la justesse des alarmes concernant des pannes d’aiguillage est affinée grâce à des approches algorithmiques d’apprentissage de type réseau de neurones. À terme, tous les équipements du système ferroviaire devraient bénéficier de cette nouvelle démarche et des progrès associés. ■ L. T.

Les trains sous haute surveillance

L’état de santé d’un train peut être mesuré en passant sous ce portique de diagnostic.

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Dans la centrale hydroélectrique d’Itaipu, située sur le fleuve Parana à la frontière entre le Brésil et le Paraguay. Il s’agit du deuxième barrage au monde en puissance installée.

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› Hiroaki KitanoIl est président directeur-général de Sony Computer Science Laboratory, président du Systems Biology Institute et professeur à l’ Institut des sciences et de technologie d’Okinawa. Physicien et docteur en sciences informatiques, il est connu pour sa série de robots de divertissement AIBO (Artificial Intelligence Robot) conçus et fabriqués par Sony et le jeu RoboCup, une coupe du monde des robots. Il est activement impliqué dans le nouveau champ de recherche de la biologie des systèmes.

Comment concevoir des villesà toute épreuve

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Les événements extrêmes (ou exceptionnels) sont caractérisés par une faible

probabilité, mais un impact sys-tématiquement élevé lorsqu’ils adviennent. Parmi les exemples qui viennent d’emblée à l’esprit, on citera les crises financières, les maladies pandémiques ou les acci-dents nucléaires. Le problème est que de tels événements risquent de se produire plus fréquemment qu’on ne le pense, à chaque fois selon des formes différentes, nous obligeant à déployer des pano-plies de contre-mesures adaptées à chaque cas.

Pour y faire face, les villes doivent être conçues pour être durables et résilientes. Autrement dit, les infrastructures urbaines et sociales doivent être suffisamment intelli-gentes et robustes pour résister à l’occurrence de tels événements. Si la plupart des villes sont préparées pour supporter des catastrophes ou des situations d’urgence, peu d’entre elles, s’il y en a, sont réel-lement prêtes à affronter ces situa-tions extrêmes. Que se passerait-il, par exemple, si toutes les centrales

nucléaires d’un pays devaient être arrêtées (comme ce fut le cas après l’accident de Fukushima, en 2011) et qu’en même temps, une crise pétrolière majeure éclatait ? Qu’en serait-il en cas d’attentats terroristes de grande envergure ? Il faut reconnaître que, malheu-reusement, la probabilité de telles catastrophes s’est accrue ces der-nières années.

À l’image d’un système neurosensoriel

Les villes ou les collectivités doivent pouvoir, aujourd’hui, y résister sans pour autant négliger le confort de vie et une optique de développement durable. Pour ce faire, elles doivent intégrer une architecture spécifique formée de composants modulaires, hétéro-gènes, extrêmement distribués, qui doivent pouvoir s’interconnecter via un réseau sophistiqué, admi-nistré par des boucles de régula-tion multiples et robustes. Enfin, ce réseau doit être connecté de manière tentaculaire à tous les cap-teurs et objets physiques externes,

à l’image d’un système neurosen-soriel et musculo-squelettique.

Caractérisé par les échanges d’informations et de données pro-venant de dispositifs présents dans le monde réel vers le réseau Inter-net, l’Internet des objets offre pré-cisément la promesse d’une telle infrastructure. Véritable réseau de réseaux, celui-ci permet, via des systèmes d’identification élec-tronique normalisés et sans fil, d’identifier et de communiquer numériquement avec des objets physiques, afin de pouvoir mesu-rer et échanger des données entre les mondes physiques et virtuels. Divers types d’intelligence pour-ront apparaître selon le degré de sophistication de l’ossature infor-matique et selon que la plus grande partie des traitements d’informa-tions se fera de manière répartie (distribuée) ou centralisée. Avec les technologies actuelles, il est d’ores et déjà possible d’utiliser l’Inter-net des objets pour bénéficier de traitements informatiques de haut niveau (dits « intelligents »), chaque nœud local se connectant à d’autres nœuds de niveau plus élevé. Un tel montage présente une extrême connectivité, de nom-breuses connexions existant entre chaque couche de dispositifs phy-siques et les autres couches intelli-gentes, vues collectivement.

On dit d’un système qu’il est réparti ou distribué lorsque de mul-tiples nœuds d’un même réseau effectuent des tâches spécifiques

Les infrastructures urbaines et sociales doivent être robustes et résilientes pour résister aux événements extrêmes. L’Internet des objets y contribuera en multipliant des « couches intelligentes » et interconnectées au sein de réseaux dédiés.

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contribuant au fonctionnement du système dans son ensemble. Pour qu’il ait la capacité de résister aux pannes fatales et aux perturbations externes, il doit aussi offrir ce qu’on appelle une redondance : plusieurs nœuds présentant des fonctions similaires ou identiques étant capables de se suppléer mutuelle-ment en cas de défaillance de l’un d’entre eux. Par exemple, si vous avez trois téléphones, même si l’un d’entre eux tombe en panne, vous pouvez toujours vous rabattre sur les deux autres. Si vous avez ces mêmes téléphones plus l’Internet (exemple type d’un système hété-rogène), même si l’ensemble du système téléphonique ne marche plus, vous pouvez toujours com-muniquer par Internet. Le système fonctionne donc comme un tout, de manière coordonnée, et on

dit qu’il peut être commandé de manière distribuée.

Nous avons déployé une telle infrastructure, durable et rési-liente, dans le cadre du projet de système d’énergie ouvert OES (Open Energy System) à Oki-nawa, une île située dans le sud du Japon. Ce projet intègre une installation solaire photovoltaïque associée à des serveurs d’énergie fonctionnant sur batteries lithium-ion, eux-mêmes raccordés via un réseau électrique de courant continu. Cette installation dessert un ensemble d’une vingtaine de logements d’enseignants sur le campus de l’Institut des sciences et de technologie d’Okinawa (OIST) (voir photo page suivante). Elle permet à cette collectivité de partager l’électricité et de la stocker en régulant stockage et transmis-

sion d’électricité au sein d’un seul et même réseau.

L’OES est un système ouvert de sorte que, par la suite, il sera pos-sible d’y greffer d’autres sources de production électrique, telles que la biomasse, l’énergie éolienne ou toute autre source renouvelable. Différents systèmes de stockage d’énergie, comme ceux basés sur l’hydrogène ou les supercondensa-teurs, viendront également s’ajou-ter ultérieurement. Bien conçu, un OES doit pouvoir continuer d’assurer l’alimentation électrique même si les modules photovol-taïques cessent de fonctionner – par exemple, la nuit ou en cas de météo très nuageuse – en bascu-lant sur d’autres sources d’énergie, telles que les turbines d’éoliennes ou la biomasse. Ce qui constitue un autre exemple d’hétérogénéité.

Le pont de Rion-Antirion (Grèce), qui relie le Péloponèse au continent, a été construit en 2004 dans l’une des régions les plus sismiques d’Europe. Cet ouvrage résilient peut supporter un séisme de force 7 et des mouvements tectoniques de grande ampleur.

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[Outils et stratégies]

Contrairement aux infrastruc-tures électriques classiques, qui s’appuient sur le contrôle cen-tralisé de très grosses centrales électriques et sur un système de réseau de courant alternatif, l’OES est alimenté par des milliers de sources d’énergie de petite ou moyenne puissance et des sys-tèmes de réseaux ouverts en cou-rant continu, régulés de manière répartie. Outre son déploiement à Okinawa, l’OES a également été développé avec succès sous la forme d’un module autorégulé au Ghana (voir photo ci-dessus), de même qu’en Côte-d’Ivoire. Ses fonctionnalités permettent au sys-tème d’être tout à la fois résilient et écologique.

Cette idée pourrait être étendue à d’autres domaines, comme les transports. L’émergence des véhi-cules autonomes associés aux ser-vices d’autopartage ne sont-ils pas les signes avant-coureurs d’une mutation spectaculaire dans les transports urbains ? Sans comp-ter le fait que ceux-ci consomment une grande quantité d’énergie, ce qui implique des liens plus étroits avec les systèmes de production, de stockage et de distribution d’énergie, comme ceux de l’OES notamment.

À l’évidence, il importe de mieux préparer les systèmes en les rendant réellement intelligents,

➥ Le risque de coupure du réseau électrique est de plus en plus prégnant, compte tenu de l’intégration de nouveaux moyens de production renouvelable disséminés et de nouveaux usages. Sollicité dans ses limites, le réseau est d’autant plus vul-nérable à une erreur humaine et à une dégradation physique (panne, attaque) ou informatique (cyberattaque). une dégradation ciblée de 10 % de ses capacités ou une cascade d’événements pourrait ainsi suffire à le faire tomber. pour identifier ces combinaisons fatales, des chercheurs d’alstom ont développé un prototype capable d’analyser ces risques en temps réel, selon une démarche probabiliste. Ce nouvel outil, SpFm SoC (Statistical power Flow model based on Self-organized Criticality), se nourrit de la multitude d’informations sur le réseau, son environnement et ses usages, fournies par des caméras ou des capteurs (l’internet de l’énergie). en les corrélant, il identifie les nœuds fondamentaux à préserver et simule les impacts. Cette gestion du réseau par le risque deviendra-t-elle inéluctable ? ■ L. T.

L’Internet de l’énergie peut sauver le réseau

dans l’éventualité d’événements extrêmes. Cela suppose également d’accepter que leur coût soit plus élevé. Et comme aucun système ne peut prétendre à la perfection, il faut aussi être prêt à essuyer des échecs. Comprendre les éven-tuelles défaillances d’un système permettra de mieux les maîtriser et d’en limiter l’impact sur la col-lectivité si une panne devait effec-tivement survenir.

Il nous faut donc raisonner en ces termes et concevoir des « villes extrêmes », des villes durables et susceptibles de garantir une rési-lience face à des événements qui restent par nature exceptionnels. ■

Deux villages du Ghana ont été électrifiés grâce au système d’énergie autonome, offrant ainsi à ces enfants la retransmission de la coupe du monde de football en 2010.

Une vingtaine de toits photovoltaïques du campus de l’Institut des sciences et de technologie d’Okinawa participent au premier déploiement d’un système d’énergie ouvert (OES).

La mégapanne de courant qui a paralysé New York en août 2003 restera dans les mémoires. Il a fallu quelques jours pour rétablir la situation dans cette métropole particulièrement illuminée.

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questions

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équipés de micro-antennes 4G ; en Allemagne, le mobilier urbain donne déjà accès au wifi gratuit.

À quels services cela donne-t-il accès ? Ces objets sont capables, via des écrans tactiles, d’offrir des infor-mations collectives, organisées et

accessibles à tous au bon moment et au bon endroit. Ils renseigne-ront sur la mobilité (moyens dis-ponibles, orientation, itinéraires), mais aussi sur des contenus variés de découverte de la ville et de divertissement. Des villes comme Aix-en-Provence ou Annecy sont déjà équipées, 100 des nouveaux abribus parisiens le seront dans les prochains mois.

Les infrastructures sont-elles adaptées ? Il est nécessaire de connecter nos mobiliers au réseau, afin de prépa-rer la ville de demain et d’absorber ces gigantesques trafics de don-nées. ■

ProPos recueiLLis Par Lise Tournon

À votre avis, quels seront les principaux domaines concernés par l’émergence de l’internet des objets ? Celui-ci va entraîner des boulever-sements considérables. Concrète-ment, cela va permettre de numé-riser le monde qui nous entoure, ouvrant ainsi la voie à quantités d’opportunités, notamment de nouveaux services, plus efficaces, plus respectueux de l’environne-ment, pour une meilleure qualité de vie. Nos objets quotidiens seront à l’avenir dotés d’une capacité de calcul et de communication. Cette

› Albert AssérafDirecteur général Stratégie, Études et Marketing de JCDecaux.

entre des véhicules autonomes qui maintiendraient des distances de sécurité entre eux. On pourrait réduire les trajets quotidiens pour se rendre au travail et économiser du carburant en choisissant les iti-néraires à l’avance avec, en plus, la possibilité de les adapter en temps réel aux aléas de la circulation.

Quels seront les impacts économiques et sociaux ? Économiquement, l’Internet des objets permettra de concrétiser cette « destruction créative » que Joseph Schumpeter avait prédite, annonçant une mutation systéma-tique des industries, les anciennes étant remplacées par de nouveaux acteurs, plus agiles et efficaces. Sur le plan social, en considérant notre corps humain comme un objet, on peut imaginer l’équiper de tech-nologies basées sur l’Internet des objets : cela permettrait de détecter en amont l’émergence de risques sanitaires ou de maladies. ■ProPos recueiLLis Par L. T.

« L’accès aux informations sera ouvert à tous au bon moment »

« L’Internet des objets permettra de numériser notre quotidien »

pourquoi rendre le mobilier urbain connecté ? Pour proposer un accès haut débit aux abords de ces objets urbains (plus d’un million dans le monde pour JCDecaux). C’est le but de notre partenariat engagé avec Alcatel, en septembre dernier. À Amsterdam, 200 abribus sont déjà

combinaison de connectivité tous azimuts, d’outils numériques sans cesse plus performants et écono-miques, capables d’analyser de gros volumes de données, va révo-lutionner l’économie en général, et la société en particulier.

À quels changements doit-on s’attendre ?

Si le déploiement de ces techno-logies se fait sur la base de normes communes, les avantages seront multiples. On pourrait par exemple imaginer éliminer les accidents de la route grâce aux communications

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› Martin CurleyVice-président d’Intel et directeur d’Intel Labs Europe.

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[Portfolio]

Construire un monde durable

Les projets industriels à court ou moyen terme, voire plus futuristes, foisonnent. Ce sont autant de voies prometteuses pour réduire les émissions

de gaz à effet de serre, que ce soit en produisant de l’énergie à partir des vagues, du vent, de la houle ou du soleil, en développant des solutions de

mobilité durable ou en réduisant les émissions d’applications industrielles. Exploration en images de pistes technologiques originales.

Par Anaïs Joseph et Frédéric Woirgard

Convoi exCeptionnel en mer du nord

Haliade 150, l’éolienne d’Alstom d’une capacité de 6 MW, possède l’un des plus grands rotors au monde (150 mètres). Installée en mer, elle fait ses preuves, depuis plus d’un an, sur le site pilote belge de Belwind. Trois fermes françaises d’énergie marine accueilleront 240 de ces machines, d’ici à 2018. Avec le concours de DCNS, Alstom compte développer une version flottante de cette éolienne. Baptisé Sea Reed, le projet vient d’être financé à hauteur de 6 millions d’euros dans le cadre des investissements d’avenir.

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Construire un monde durable

nouveau ConCept de Centrale houlomotriCe

Cette esquisse de Tsumoru Shintake de l’Institut des sciences et technologies d’Okinawa est une centrale houlomotrice futuriste. À la différence des prototypes actuels – des machines flottantes offshore –, cette installation réduirait les effets de la houle sur le rivage et profiterait de la puissance du déferlement. Une série d’hélices de 2 m de diamètre ferait obstacle aux vagues sur un bord de mer agité : leur vitesse, entre 4 et 8 m/s à Ishikawa (Japon), permettrait de générer 25 kW en moyenne par hélice. Le concept a été validé, en septembre 2014, avec un prototype de 50 cm de diamètre (voir photo en haut).

Future Centrale maréthermique en martinique

En 2018, NEMO (New Energy for Martinique and Overseas) sera la première plateforme à exploiter l’énergie thermique des mers, autrement dit, la différence de température entre les eaux chaudes de surface et les eaux froides en profondeur. Le pilote de 16 MW permettra d’alimenter 35 000 foyers en électricité.

usine marémotriCe en Corée du sud

Inaugurée en 2012, l’usine marémotrice de Sihwa (Corée du Sud), d’une capacité de 254 MW, est la plus puissante du monde. Avec ses dix turbines, la centrale de Korean Water Resources, construite par Daewoo Engineering & Construction, a par ailleurs permis de régénérer un bras de mer qu’une autoroute marine servant de défense contre les flots étouffait depuis vingt ans.

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[Portfolio]

Gaz à effet de serre

postes haute tension (arabie saoudite)À partir de mi-2015, certains équipements à haute tension pourront être remplacés par une nouvelle génération qui n’emploiera plus d’hexafluorure de soufre (SF6). Servant pour l’isolation et la coupure électrique, le gaz SF6 a un pouvoir de réchauffement global 23 500 fois supérieur au CO2. Avec un impact environnemental inférieur à 98 % à celui du SF6, g3, le gaz de substitution mis au point par Alstom en collaboration avec le groupe 3M, sera utilisé dans les futurs appareillages électriques.

siège en airCarbon

L’assise et le dossier de cette chaise sont en plastique AirCarbon, un polymère produit par des bactéries nourries aux gaz à effet de serre. Les deux unités de production de Newlight Technologies en Californie récupèrent le méthane issu de fermes laitières et le transforment en biopolymères. Le coût de revient de ce plastique est inférieur à celui de ceux issus de la pétrochimie. Sprint va l’introduire dans ses protections de smart-phones, et Dell dans des emballages, début 2015.

raCine de mimosa et son nodule

Ces nodules accrochés aux racines d’une légumi-neuse renferment des bactéries qui fixent l’azote (en vert, photo de gauche). Vivant en symbiose, elles apportent l’azote à la plante. Les chercheurs INRA, réunis au sein du projet SHAPE avec le CEA et l’Institut Pasteur, tentent de comprendre comment ces bactéries ont évolué. L’un des objectifs à long terme est de reproduire cette symbiose avec d’autres cultures (céréales, etc.), afin de réduire l’épandage de fertilisants azotés et les émissions de protoxyde d’azote, un gaz à effet de serre, qui en découlent.

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Cinq solutions1 CHAuFFAgE – CLImAtISAtIoN : utiliser, dans la zone de pompage de la nappe phréatique pour les

besoins du site, les calories de l’eau à 13 °C suivant les principes de la géothermie. 2 CoNCENtRAtIoN DES CONSOMMATIONS : accueillir des PME gourmandes en énergie dans les ateliers vides, pour réduire les pertes liées à une décentralisation des consommations. 3 LISSAgE DES CoNSommAtIoNS – EFFACEmENt DE POINTE : aménager les horaires de travail et de fonctionnement des machines pour limiter la consommation aux heures de pointe. 4 SmARt gRID : développer un pilotage global du site dans le poste de contrôle, afin d’optimiser la production et la consommation électrique. 5 SoLAIRE PHotovoLtAïquE : installer des panneaux photovoltaïques sur les parkings ou sur les toits.

trois démonstrateurs6 PRoDuCtIoN D’éLECtRICIté : convertir en électricité la chaleur rejetée par les chaudières à gaz, grâce à un

moteur Ericsson développé par Assystem. Ne nécessite aucun apport supplémentaire d’énergie. 7 StoCkAgE DE CHALEuR : tester une chaîne de production-stockage-restitution sur le réseau de chaleur, grâce à des sels fondus de nouvelle génération. 8 LISSAgE DES CoNSommAtIoNS D’éNERgIE RENouvELABLE : tester une chaîne de conversion-stockage-restitution d’électricité renouvelable sur le réseau. Cela, grâce à une pile à hydrogène développée avec Areva, et à des réservoirs développés par Mahytech.

site du teChn’hom à belFort

Ce site regroupe une centaine d’entreprises sur une superficie de 110 hectares (7 000 personnes). Alstom en occupe le quart. L’industriel coordonne une vaste opération, s’étalant sur plusieurs années, pour optimiser et réduire la consommation énergétique, à partir de 2015. Les gains potentiels sont en cours d’évaluation. Huit objectifs ont été définis, parmi lesquels l’installation de trois démonstrateurs, faisant du techn’hom un centre d’essais grandeur nature qui pourrait inspirer d’autres sites.

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[Portfolio]

Énergie solaire

Centrale d’ivanpah (désert de mojave)Bâtie au cœur du désert californien, c’est la plus grande centrale solaire thermodynamique au monde. Opérationnelle depuis décembre 2013 et fournissant de l’électricité pour 140 000 foyers, elle repose sur la technologie de la société américaine BrightSource : des milliers de miroirs concentrent la lumière du soleil vers une tour centrale où la vapeur d’eau produite actionne une turbine et génère de l’électricité.

FaCes arrière et avant d’un panneau solaire hybride

Exposés au soleil, les panneaux photovoltaïques produisent presque six fois plus de chaleur que d’électricité. De ce constat est née l’idée de développer des panneaux capables de récupérer les deux formes d’énergie. En 2013, la société DualSun a été la première au monde à obtenir la nouvelle certification « solaire hybride », qui récompense ses doubles performances thermiques et photovoltaïques.

struCture Cristalline de perovskite

Confidentielles il y a quatre ans, de nouvelles cellules solaires à base de perovskite suscitent d’énormes espoirs. Ce matériau cristallin,grâce à sa capacité à être utilisé en tandem avec des semi-conducteurs plus classiques, laisse espérer des rendements record de 30 %, obtenus à des coûts de fabrication très bas. Une fois garantie leur stabilité industrielle, les perovskites pourraient supplanter le silicium qui domine actuellement le marché. ©

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miroirs de Fresnel de la Centrale de puerto errado (espagne)Sur ce site, les sociétés allemandes Novatec, spécialiste du solaire, et BASF, géant de la chimie, vont développer un démonstrateur solaire thermodynamique, le premier à conjuguer miroirs de Fresnel et technologie « Direct Molten Salt ». L’énergie thermique pourra être directement convertie en électricité ou stockée dans des réservoirs de sels fondus, sortes de « batteries thermiques » qui permettront de lisser la production énergétique. © NovAtic solAr

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grâce au procédé d’électrodéposition du matériau semi-conducteur permettant de traiter de grandes surfaces de vitrages et à la découpe laser à très faible durée d’impulsion qui offre une grande flexibilité dans le design, Nexcis innove dans le marché du photovoltaïque en proposant de rendre directement actifs énergétiquement la plupart des éléments d’un bâtiment, quelle que soit leur forme.©

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[Portfolio]

Transport durable

tramway en expérimentation à la roChelle

Lorsque l’énergie produite par un train qui freine ne peut bénéficier à un autre véhicule proche sur la même ligne, les nouvelles sous-stations réversibles HESOP (à gauche sur la photo) permettent de restituer celle-ci au réseau plutôt que de la dissiper sous forme de chaleur dans des rhéostats. Cette innovation développée par Alstom est opérationnelle à Paris depuis 2011. Elle devrait permettre des économies de consommation de 15 à 40 %, selon les réseaux.

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Ce véhicule a reçu le trophée de l’innovation, le 10 juin dernier, à Paris. Son système breveté de motorisation comprend trois sources d’énergie : électrique, hydraulique et thermique. Ce qui permet à l’entreprise albigeoise Safra de proposer un bus à l’autonomie de 200 km et dont la consommation de carburant fossile et l’émission de CO

2 sont trois fois moindres que pour un bus Diesel.

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prototype de bateau de pêChe à l’hydrogène

DCNS a été chargé d’effectuer, en juillet dernier, les études préliminaires de deux bateaux de pêche électriques propulsés à l’hydrogène. Les prototypes, qui pourraient voir le jour d’ici à trois ans, auraient une autonomie suffisante pour une journée de pêche en mer. Silencieux et non polluants, ces bateaux pourraient offrir de meilleures conditions de travail et pallier la hausse des cours du pétrole qui pénalise les pêcheurs professionnels.

hyundai ix35 éleCtrique et son réservoir à hydrogène

Le 26 février 2013, sortait des chaînes de montage de l’usine Hyundai d’Ulsan, en Corée du Sud, le tout premier exemplaire au monde d’un véhicule électrique à l’hydrogène construit en série. équipé d’un moteur de 136 Cv pouvant atteindre 160 km/h en vitesse de pointe et doté d’une autonomie d’environ 600 km, l’IX35 Fuel Cell Electric Vehicle est silencieux et n’émet aucune pollution.

bus éleCtrique en reCharChe à braunsChweig (allemagne)Depuis le 27 mars 2014, un bus électrique révolutionnaire circule dans la ville allemande. Il lui suffit de stationner huit minutes au-dessus d’une des trois stations enterrées le long de son parcours pour recharger complètement ses batteries, grâce au principe de l’induction électromagnétique. un projet baptisé EMIL, récompensé d’un prix allemand pour l’environnement.

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Créons l’environnement propice à l’innovation »

Le quartier de l’Innovation de Montréal est un véritable écosystème d’innovation au cœur de la ville. Il fédère acteurs économiques, chercheurs, résidents, communautés d’artistes et d’entrepreneurs. Quels en sont les fondements ?Yves Beauchamp : Les zones urbaines sont devenues de formidables milieux créatifs. En partant du constat qu’un tel environnement attire les meilleurs talents, notre ambition est de favoriser l’émergence de ces espaces urbains pour accélérer l’innovation. Nous avons défini les quatre volets essentiels à la création d’un quartier innovant : le volet industriel, le volet formation et innovation, le volet urbain et le volet social et culturel. C’est l’intégration et les intercon-nexions entre ces volets qui dynamisent un écosys-tème propice à l’innovation. Pour cela, il faut favoriser une mixité sociale entre tous les acteurs économiques (scientifiques, artistes, acteurs socioculturels, entre-preneurs) et les résidents. Avec un objectif ambitieux : vivre, travailler, chercher, créer et innover, apprendre et se divertir dans le même environnement urbain.

Quel est le volet le plus difficile à mettre en œuvre ?Y. B. : Assurément, la mixité sociale. C’est ce qui manque dans bon nombre de quartiers innovants, comme Boston Innovation District, Giant à Grenoble ou 22@Barcelone. Or, sans les quatre composantes de l’innovation, les quartiers se limitent à des cam-

Comment vivre, travailler, innover, apprendre et se divertir, ensemble, dans un même espace urbain ? Plongée dans le quartier de l’Innovation, véritable écosystème au sein de Montréal, qui dessine la ville de demain. Entretien avec Yves Beauchamp, son promoteur.

[Le quotidien transformé]

› Yves BeauchampDe 2002 à 2013, il a été directeur de l’enseignement et de la recherche de l’École de technologie supérieure de Montréal (ETS), puis son directeur général. En 2009, il a impulsé la création du quartier de l’Innovation, un campus urbain autour de l’ETS, en partenariat avec l’université McGill. Depuis 2013, il est un des responsables du projet Outremont, nouveau campus urbain de l’université de Montréal.©

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pus universitaires ou à des parcs technologiques, si l’industrie y est présente. La mixité sociale est fon-damentale car elle assure le lien entre l’underground (les activités créatives : artistiques, culturelles, entre-preneuriales) et l’upperground (universités, centres de recherche, d’innovation, industries). Elle permet de créer la valeur économique de la créativité, en géné-ral au travers de communautés souvent informelles, qui traduisent le langage individuel des créatifs en projets collectifs pluridisciplinaires. Cela suppose un environnement culturel et artistique dynamique, hyperbranché, mais aussi la possibilité d’interactions et de rencontres, l’opportunité de poursuivre les dis-cussions dans des cafés ou des « fab labs ». Autant de façons de favoriser les échanges d’idées, la sérendipité.

Les quatre volets essentiels à intégrer pour favoriser l’innovation dans un quartier. La mixité sociale est la plus difficile à mettre en œuvre.

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Volet formation et innovation

Volet industriel

Volet urbain

Quartier innovant

Volet sociale et culturel

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Au cœur de Montréal, le quartier de l’Innovation se définit comme un laboratoire vivant à l’avant-garde au Canada, tant du point de vue culturel et artistique qu’économique et technologique.Il faut donc veiller à ce que l’urbanisme n’exclue pas les

communautés underground du quartier en s’embour-geoisant avec des loyers trop élevés.

Comment favoriser cette dynamique d’innovation sociale, urbaine, scientifique et technologique ?

Y. B. : Elle doit être ressentie et visible à tous les niveaux. Le quartier doit être à l’image d’un « living lab » urbain, d’une vitrine technologique. Cela passe par des infra-structures adaptées, en termes de communication (un véritable quartier numérique), de transports, mais aussi d’urbanisme, en évitant les ghettos d’appartements, de commerces, d’entreprises. La planification urbaine doit être audacieuse, le mobilier urbain convivial, afin de favoriser les contacts. Sans oublier les écoles, qui doivent intéresser les jeunes à la science et à l’entre-preneuriat, dès le primaire.

Où en est le quartier de l’Innovation ?Y. B. : Le projet est sur les rails. Autour de l’ETS, dans un rayon d’un kilomètre, 350 entreprises étaient installées (plus de 20 000 emplois). Nous avons urbanisé le quar-

tier (près de 6 milliards de dollars canadiens de projets immobiliers investis) en assurant une mixité sociale et de fonctions. Un « corridor culturel » a par exemple été créé avec galeries d’art, ateliers d’artistes, pépinières d’entreprises. Aujourd’hui, un conseil d’administration poursuit le développement.

Quid de votre projet avec l’université de Montréal ?Y. B. : D’ici à 2020, nous aurons construit un pôle d’ex-cellence en sciences des matériaux. Nous profitons des 240 hectares d’une ancienne gare de triage et de la proximité de quartiers déstructurés qui concentrent de nombreux artistes et entrepreneurs (Mile-End et Mile-Ex). Pour l’heure, nous avons rédigé un mani-feste qui en fixe la vision. Les objectifs du quartier seront précisés dans une déclaration signée par tous (maires, université et acteurs économiques). Elle gui-dera les développements dans tous les domaines. ■

ProPos recueillis Par lise Tournon

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La ville « intelligente » est bien davantage qu’un concept, elle représente pour les citadins un idéal qui affirme avec optimisme les espérances nouvelles et légitimes suscitées par la révolution numérique.

Être smart ou ne pas être

La ville de demain sera propre, numérique, conviviale, et les moyens de transport pol-

luants comme les grandes tours en auront été chassés. Ce rêve urbain est celui des citadins d’aujourd’hui, nous apprend une étude de l’ins-titut Médiascopie (1). L’ampleur des désirs qui accompagnent l’essor des smart cities est à l’aune des bouleversements technologiques qui ont atteint tous les domaines de l’activité humaine.

Une forteresse résiliente

Les défis sont à l’unisson pour la ville « intelligente » : des systèmes de gestion automatisés à même de digérer sa boulimie exponentielle de données, des nouveaux stan-dards pour que communiquent ses objets hyper connectés, des réseaux fluides pour transporter, chauffer, informer et servir des usagers toujours plus nombreux, les institutions solides qu’exigent la gouvernance et la participation d’une population urbaine estimée à plus de six milliards de citoyens en 2050, la capacité à surmonter

tous les imprévus, pour faire de cette organisation perpétuelle-ment réinventée une forteresse résiliente.

Qualifier une ville de « smart », c’est traduire toute l’intelligence qu’elle doit mobiliser, dans cha-cune de ses dimensions, pour résoudre la difficile équation de la compétitivité économique et du développement durable. Y parvien-dront les villes qui sauront miser sur leur double capital, humain et numérique. Le génie est la res-source première d’une ville, et ce sont les nouvelles technologies de l’information et de la communica-tion (TIC) qui, en permettant toutes

les synergies entre les habitants, les entreprises, les réseaux et les infrastructures, fourniront les outils indispensables.

Une cité dont les moindres usages sont optimisés en temps réel est par conséquent efficace, économe et réactive. Mais la ville de demain devra aussi avoir l’intel-ligence de préserver cette part de chaos qui la caractérise si bien et qui est ce terreau fertile où fleurit l’innovation. ■ Frédéric Woirgard

(1) Les mots de la ville de demain, étude commandée par Bouygues Immobilier et réalisée en 2011 auprès d’un échantillon représentatif de 800 Français.

La concentration urbaine de plus en plus forte implique de repenser l’espace. Les technologies numériques en fourniront les outils indispensables en facilitant les synergies entre habitants, entreprises, réseaux et infrastructures.

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[ Les villes qui sauront miser sur leur double capital humain et numérique seront “intelligentes”. ]

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› Carlo RattiDirecteur du Senseable City Lab du Massachusets Institute of Technology.

Ces véritables ordinateurs sur roues se chargeront bientôt de tous nos déplacements. Pour des routes plus sûres, des temps de transport et une pollution maîtrisés.

Voiture sans conducteur :un chemin tout tracé

Henry Ford aurait du mal à reconnaître les auto-mobiles de ces dernières

décennies. Et pour cause : de simples mécaniques, elles se sont transformées en véritables ordi-nateurs sur roues. De toutes ces évolutions, la plus marquante est sans doute la conduite autonome, autrement dit, sans conducteur. Plusieurs constructeurs, dont Audi, Mercedes et BMW, commencent déjà à intégrer de tels systèmes dans leurs flottes et prévoient de commercialiser des voitures haut de gamme qui offriront divers de-grés d’autonomie, dès 2016. Selon un rapport publié en 2014 par la société de conseil en technologie américaine IHS, presque tous les véhicules en circulation devraient être autonomes vers 2050 (1).

La voiture autonome présente des avantages évidents : lors d’un déplacement, on peut en profiter pour lire, se reposer, envoyer des mails en toute tranquillité. Mais elle aura pour conséquence essen-tielle de mettre progressivement fin à ce qui différencie transport public et transport privé. Une fois que « votre » véhicule vous aura déposé à votre bureau, le matin, il pourra se mettre à la disposition d’un membre de votre famille, d’un voisin… plutôt que de res-

ter immobilisé dans un parking. Selon une récente publication de l’équipe SMART Future Mobi-lity du Massachusetts Institute of Technology (MIT), la voiture autonome permettrait à une ville comme Singapour d’être tout aussi mobile avec seulement un tiers de son parc de véhicules actuel, voire un cinquième, pour autant que les passagers soient prêts à faire du covoiturage selon leur destina-tion (2). Ce qui se traduit, au final par des temps de transport moins importants, des embouteillages et une pollution maîtrisés.

Les véhicules autonomes pour-raient également ouvrir la voie à un nouveau concept, la « mobilité ambiante » : à l’échelle d’une ville, des systèmes recueillent des don-nées sur l’environnement, l’état de la circulation, les besoins des usa-gers, pour gérer le déplacement des voitures en améliorant la fluidité et la sécurité du trafic, tout en inté-grant harmonieusement ce mode de transport dans les autres. Imagi-nez ainsi des routes qui optimisent leur capacité ou de grandes inter-sections qui autorégulent les flux automobiles. Imaginez un monde sans feux rouges, avec des flots de véhicules qui roulent à toute allure et qui s’entrecroisent comme par magie, sans la moindre collision.

L’autonomie va redéfinir la mobi-lité en mettant l’accent non pas tant sur l’infrastructure physique que sur l’infrastructure numérique qui la régit. En bref, moins d’asphalte, plus de silicium. ■

(1) Technologies : Autonomous Cars – Not If, But When, par E. Juliussen, J. Carlson, Emerging IHS Automotive, 2014. (2) Quantifying the Benefits of Vehicle Pooling with Shareability Networks, par P. Santi, et al., PNAS, vol. 111 13290, 2014.

› Matthew ClaudelAuteur et designer au Senseable City Lab.

Représentation graphique de 170 millions de courses de taxi à New York sur une année, indiquant les lieux de prise en charge (en jaune) et les lieux de dépose (en bleu). Grâce à ce type d’analyse de données, les chercheurs du Senseable City Lab étudient les avantages de réseaux des transport autonomes.

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En mars 2013, la ville de Nanterre et l’Établissement public d’aménagement de

la Défense Seine-Arche (Épadesa) ont lancé une consultation pu-blique pour créer un écoquartier intelligent, situé dans le prolon-gement de la perspective Louvre-arche de la Défense, autour de la gare RER Nanterre-Université. Baptisé Cœur de quartier, ce projet immobilier représente 34 000 m2 de logements – dont 60 % destinés au locatif –, 26 000 m2 de bureaux et 13 000 m2 de commerces en pied d’immeuble. Objectif : transformer ce qui est un lieu de passage, en rai-son de sa proximité avec la gare et l’université, en un lieu de destina-tion où il fait bon vivre et travailler.

C’est la proposition élaborée par Bouygues Immobilier et ses par-tenaires qui a été retenue. Celle-ci reposait sur UrbanEra®, notam-ment, une démarche fondée sur une concertation avec les acteurs du projet et une gouvernance associant partenaires socioéco-nomiques, associations, habitants et usagers. Des engagements mesurables ont été pris, tels que le

portage financier des commerces pendant cinq ans et la garantie des charges locatives des bureaux pen-dant neuf ans.

Une conciergerie de quartier offrira de nombreux services de proximité, et des tiers lieux seront construits pour accueillir des tra-vailleurs nomades. Les lieux de vie culturels auront une large place

grâce au Forum, point de rencontre des futurs visiteurs, qui abritera en particulier un espace dédié au numérique, le Cube Next, ainsi qu’un cinéma à vocation multiple de 1 400 places où se tiendront des concerts, des activités asso-ciatives et des cours. Seront enfin disponibles toutes les offres com-plémentaires de mobilité du « der-nier kilomètre » : de l’auto- et du vélopartage, une navette locale et des parkings mutualisés, opportu-nément partagés entre les bureaux, les logements et les commerces.

Respect des objectifs environnementaux

La gestion énergétique du quar-tier est un point important du pro-jet. Elle doit satisfaire à des objec-tifs environnementaux précis : consommation et facture énergé-tiques réduites de respectivement 10 et 15 %, la part des énergies renouvelables atteignant 40 % sur les usages réglementaires. Elle sera assurée par Embix, start-up créée par Bouygues et Alstom, qui a développé un outil de pilotage énergétique urbain permettant de connecter entre eux les points de consommation d’un quartier, les capacités de stockage électriques et thermiques, et les sources de production. L’optimisation mise en œuvre ne sera pas purement électrique mais multi-énergies. Les travaux devraient démarrer début 2016, pour s’achever fin 2020. ■

À Nanterre, Bouygues Immobilier applique à une échelle inédite sa démarche UrbanEra® qui privilégie la dimension humaine dans la création d’un quartier intelligent : transformer un lieu de passage en un lieu de destination où il fait bon vivre.

Un outil pour construire un quartier durable

› Christian GrellierDirecteur de l’Innovation et du Développement durable, Bouygues Immobilier.

› Éric L’HelguenPrésident-directeur général de Embix.

Objectif du projet Cœur de quartier autour de la gare RER de Nanterre : transformer un assemblage hétérogène de lieux et d’infrastructures en un lieu de vie ouvert et coopératif.

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Le smart grid est au cœur de la réflexion sur l’offre et la distribution d’énergie des smart cities.Explications sur le pilotage de ces réseaux intelligents de distribution avec Laurent Schmitt.

Il faut optimiser la gestion de l’énergie »

Pourquoi les réseaux de distribution d’énergie sont-ils devenus intelligents ? Quels que soient le contexte, les contraintes et les enjeux d’une smart city, il lui faut optimiser en temps réel la production et la four-niture d’énergie, pour en garantir la fiabilité et minimiser le coût

et l’impact sur l’environnement. Cette optimisation, qui se faisait autrefois sur quelques milliers de points de production le long d’un réseau de transport unidirection-nel, concerne désormais le réseau de distribution, avec, à terme, des millions d’utilisateurs, autant de postes fragmentés, interconnectés et de tailles disparates.

Comment gérer la production d’électricité photovoltaïque résidentielle ? Le nouveau consommateur, qui produit son énergie et qui pilote mieux sa consommation est devenu un « consommacteur » avec qui il importe de générer une interaction en temps réel. Com-ment effacer une surproduction autrement qu’en la stockant ? Par exemple, en envoyant un signal qui incitera le « consommacteur » à charger son véhicule électrique. Gérer un smart grid, c’est résoudre un problème d’optimisation éco-nomique des flux d’énergie.

Quel type de « cerveau » peut contrôler un réseau si complexe, évolutif et interactif ? Un centre de contrôle bien équipé en algorithmique et en moteurs d’optimisation semi-linéaire qui interagit en temps réel avec le « consommacteur ». Ce cerveau se nourrit de l’innovation ouverte que permet l’interaction avec un large portefeuille de partena-riats. Avec CoSMo [voir ci-contre], par exemple, nous modélisons l’évolution des systèmes les plus complexes. Il est fondamental de pouvoir nous baser sur des techno-logies complémentaires, éprouvées dans des domaines très variés. ■

ProPos recueillis Par Frédéric Woirgard

Impact à vingt ans de décisions de politiques publiques sur l’évolution de la qualité de la vie à Versailles (du négatif en rouge au positif en vert) : les changements ne sont pas toujours là où on les attendait.

Modéliser la ville

➥ The CoSMo company, start-up française fondée en 2010 et basée à Lyon et à San francisco, propose des outils de modélisation et de simulation de systèmes complexes, car multi-échelles, dynamiques et hétérogènes. Elle développe des logiciels dédiés aux problématiques d’énergie et de déve-loppement urbain. En octobre 2013, elle a ainsi pu réaliser un modèle évolutif de la ville de Versailles, intégrant simul-tanément les dimensions transport,

foncier et développement de projets immobiliers. Objectif : prédire l’impact à vingt ans de politiques publiques sur la qualité de vie dans la ville et l’attracti-vité de ses différents quartiers. Cet outil conçu pour Versailles a pu ensuite être appliqué à San francisco, en décembre 2013. avec le même type de données, très hétérogènes et détaillées, à l’échelle du quartier, il a été possible de traiter la même problématique de comparaison de différents scénarios de politiques de la ville. ■ F. W.

› Laurent SchmittVice-président d’Alstom Grid, chargé de la stratégie et de l’innovation.

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Pollution atmosphérique, moyens de transport inadaptés, manque d’informations... Il y aurait beaucoup à faire pour améliorer les transports dans les zones urbaines. Avec, à la clé, de réels progrès sanitaires et sociaux.

La mobilité en ville a une influence sur la santé »

En quoi les transports affectent-ils la santé aujourd’hui ? On peut voir les choses de deux manières. D’une part, on peut considérer que le transport – que ce soit sa voiture, le bus ou le train – produit le plus souvent une pollution atmosphérique qui a un impact négatif sur notre santé. D’autre part, qu’un manque de mobilité pourrait tout aussi bien avoir des effets néfastes. Imaginez que vous soyez âgé, que vous ne conduisiez pas et qu’il vous soit difficile de marcher, ou encore qu’il

pleuve et que vous ayez peur de glisser, alors, vous pourriez vous sentir très isolé.

En quoi les villes intelligentes pourraient-elles améliorer notre santé? Dans nos villes d’aujourd’hui, nous dépensons beaucoup d’argent pour la construction de routes, dont cer-taines coûtent très cher, sans que nous les utilisions obligatoirement beaucoup. De manière générale, nous avons peu d’informations à notre disposition sur ce qui se passe sur ces routes, pas plus que sur les autres systèmes de transport. Mais imaginez que vous ayez accès à ces informations en temps réel et que votre véhicule autonome s’adapte automatiquement et choisisse d’emprunter un itinéraire moins chargé. Vous seriez plus vite sur votre lieu de travail, la circulation serait plus fluide et la qualité de l’air

meilleure. Au bout du compte, il y aurait moins de personnes hospita-lisées et notre système de transport serait mieux utilisé.

Qu’en est-il des transports publics ? Projetons-nous dans l’avenir, quelques instants… Supposons que vous vouliez assister à la remise de diplôme de votre petite-fille à Cambridge. Vous vous ren-dez à une borne de transport public dans votre ville, vous appuyez sur un bouton pour indiquer que vous souhaitez partir dans la demi-heure, après avoir pris un café. Le module de transport pourrait alors prévoir qu’un véhicule, éventuelle-ment sans chauffeur, vienne vous prendre, ainsi que deux autres per-sonnes qui souhaitent également se rendre à Cambridge. Au final, vous bénéficiez d’une solution pratique et économique pour vous déplacer, et vous n’avez même pas besoin d’avoir le permis !

Comment les déplacements en ville peuvent-ils jouer favorablement sur la santé ? Nous pourrions avoir accès plus facilement à des moyens de trans-port actifs, par exemple disposer d’une carte des pistes cyclables les plus sûres, remise à jour en per-manence, ce qui, du coup, nous encouragerait à faire plus de vélo et à nous maintenir en forme… ■

ProPos recueillis Par Jon carTWrighT

› Melissa LottIngénieur en énergie et chercheuse en santé publique au University College de Londres.

Depuis juin dernier, Madrid propose des vélos électriques en libre-service, une première à cette échelle en Europe : les 1 500 vélos BiciMad ont été pris d’assaut dans cette ville où l’assistance électrique est bienvenue pour gravir les nombreuses collines.

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En s’immergeant dans la maquette numérique de l’avant d’un véhicule, le concepteur valide les problématiques d’accessibilité : à l’aide d’un « flystick »(outil d’interaction sans fil), il pilote le mécanisme porteur des essuie-glaces, dont il étudie l’insertion.

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Le maintien des industries dans le monde occidental se fera en modifiant profondément la manière de produire. Plus respectueuses de l’environnement, plus flexible, plus intelligente, plus connectée : telle sera l’usine de demain.

En route vers l’usine du futur

S i l’usine change, c’est d’abord parce que le mar-ché évolue. Finies les séries

standardisées, la même voiture pour tous produite dans des sites de plus en plus gigantesques. L’heure est aux objets person-nalisés, aux options multiples et aux larges éventails de produits : les usines sont sans cesse plus flexibles. C’est aussi valable en

termes de localisation car les coûts de transport, de plus en plus élevés, incitent à établir la production au plus près des consommateurs. En outre, comme les cours de certains produits varient fortement, les usines devront pouvoir, à l’avenir, adapter leur production, parfois d’un jour sur l’autre : « Certaines sucreries qui traitent la canne à sucre produisent à la fois du sucre et de

l’éthanol, ainsi que du courant élec-trique à partir des résidus, indique par exemple Michel Dancette, directeur Innovation et Prospec-tive du groupe d’ingénierie Fives. Il peut être intéressant de fabriquer un jour davantage de sucre et, le len-demain, surtout de l’éthanol. D’où l’intérêt d’un logiciel permettant de modifier les paramètres de production des lignes de fabrication pour les ›››

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de production chez Airbus, en faisant par exemple référence à des systèmes de perçage sur rails capables de s’adapter à des pro-ductions différentes.

Numérique et connectée

Alors qu’Internet a bouleversé nos vies et que nous sommes connectés quasiment en perma-nence au monde qui nous entoure, il n’y a rien d’étonnant à ce que les usines soient touchées par cette révolution. L’usine du futur béné-ficiera même largement de toutes les technologies numériques. Chez Airbus, les wifi et autres tablettes ont récemment fait leur appari-tion dans les ateliers. « Connecter les machines permet de recueillir un grand nombre de données et de les analyser, afin d’optimiser les procé-dés, souligne Michel Dancette. On

adapter à la demande, à la gestion des stocks ou au contexte économique, afin de produire de manière optimale. »

Les incertitudes liées aux évo-lutions rapides des marchés plai-dent également pour une plus grande flexibilité. À tel point que la plupart des industriels ne savent pas toujours ce qu’ils produiront dans cinq ans. D’où la tendance à construire des usines modulables, formées de petites unités dupli-cables et équipées de matériel capable d’évoluer, par exemple des perceuses dont le moteur ou le porte-foret peuvent être chan-gés indépendamment. C’est vrai même dans les très grosses indus-tries comme l’aéronautique. « Nous ne sommes plus dans une logique de gros moyens, mais plutôt de petits sys-tèmes automatiques performants, à déployer largement », précise Michel Roboam, directeur de l’ingénierie

décuple la capacité d’analyse de la production, ce qui permet de conce-voir des lignes de production “intelli-gentes” prenant en compte un grand nombre de critères. En cimenterie, par exemple, il est possible de piloter les différents paramètres de production en fonction du type de produit uti-lisé (granulométrie, etc.). Grâce au numérique, un contrôle-commande de haut niveau vient se superposer au contrôle-commande classique. »

Des usines plus flexibles, avec un grand nombre de modèles sur une même ligne de production et un pilotage du procédé en temps réel, sont forcément beaucoup plus complexes à manœuvrer. La gestion des pièces, notamment, devient un vrai casse-tête. C’est pourquoi on repère de plus en plus celles-ci à l’aide de puces, afin de les suivre en permanence. Les machines, de leur côté, sont bar-

Airbus a déployé sur trois de ses lignes d’assemblage un suivi numérique de sa production en temps réel : chaque pièce, comme ces ailes d’avion, et chaque outil sont munis de leur étiquette RFID et peuvent être identifiés jusqu’à 100 m de distance.

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les construire. Simuler le design, mais aussi les fabrications et les flux d’objets et d’énergie. De quoi améliorer la conduite et la main-tenance de l’usine par un dialogue réel-virtuel, et optimiser ses per-formances.

Avec de l’impression 3D

La fabrication traditionnelle de pièces métalliques ou en céra-mique a atteint des performances remarquables, avec des usinages précis au micromètre. Un nouveau domaine, en plein essor, permet désormais d’imaginer des designs totalement inédits, qui étaient impossibles à réaliser jusque-là : la fabrication additive, également appelée impression 3D, même si

[ Plus petites, moins polluantes, les usines pourraient se rapprocher des villes. ]

dées de capteurs communicants pour surveiller leur usure et les remplacer juste au moment utile, ni trop tôt ni trop tard. Cela évite une maintenance superflue ou, au contraire, des arrêts de production, voire des accidents dangereux.

Dans l’industrie, le numérique permet également… de concevoir les usines sur ordinateur, avant de

cette dernière expression est géné-ralement réservée à la fabrication de pièces en plastique, alors que la fabrication additive concerne tous les matériaux. Le principe : au lieu d’enlever de la matière à un maté-riau brut pour obtenir la forme souhaitée, on construit la pièce par ajouts successifs de poudres ou de liquides, qui sont ensuite polymé-risés ou fusionnés, le tout piloté par ordinateur. « Cette technique permet de s’affranchir de certaines limites dans la conception des pièces, s’enthousiasme Michel Dancette. On ne peut pas tout fabriquer par usi-nage, surtout à l’intérieur de la pièce, certains circuits sont impossibles à réaliser. Avec la fabrication additive, on peut imaginer la forme idéale et la créer ! » Reste que cette technologie n’est pas encore au stade indus-triel, notamment pour les pièces métalliques, où l’on n’atteint ni les cadences ni la qualité requises.

Pourtant, la fabrication additive est déjà une réalité industrielle, notamment pour Airbus. « Cer-taines pièces en composite conçues par impression 3D volent déjà dans nos avions, et ce sera bientôt le cas pour des pièces métalliques, sou-ligne Michel Roboam d’Airbus. Nous souhaitons étendre le champ d’application de cette technique de fabrication à de nombreuses autres pièces, voire à de petits assemblages, avec une réduction potentielle de 15 à 20 % des coûts. Les capacités de subs-titution sont très importantes, et les caractéristiques de ces matériaux ont largement progressé. »

Sobre en énergie

Même si l’industrie a beaucoup réduit ses consommations d’éner-gie, elle est responsable d’encore 20 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (hors produc-tion d’électricité). Heureusement, les marges de progrès existent,

Cette pièce fabriquée chez Alstom a été réalisée grâce à une technique innovante d’impression 3D – la fusion sélective laser (SLM pour « Selective Laser Melting »). La SLM permet de produire des pièces métalliques de géométrie complexe, couche par couche, à partir de poudres de métal fondues par laser. Considérée comme très prometteuse, la SLM est envisagée pour réaliser certaines pièces de turbines à gaz.

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même dans les « vieilles » indus-tries, comme les cimenteries ou la sidérurgie. Parmi les multiples exemples d’innovation en la matière, citons une nouvelle tech-nologie de broyage des granulats pour les cimenteries par compres-sion de lit de matière, qui permet de réduire de 30 % la consom-mation d’énergie par rapport aux procédés actuels, en évitant toute consommation d’eau.

Par ailleurs, beaucoup d’usines, optimisées pour fonction-ner à 100 % de leurs capacités, deviennent bien moins efficaces lorsque la production diminue.

C’est notamment le cas des fours industriels, utilisés dans les fon-deries, les industries chimiques, etc. Là aussi des améliorations sont envisageables : grâce à de meilleurs procédés de contrôle des chambres de combustion des fours industriels, alliés à la simula-tion numérique de la physique en jeu et un contrôle précis de la tem-pérature, il est possible d’optimi-ser cette combustion et de réduire les oxydes d’azote (polluants). Et ce, même lorsque les combustibles sont variables, comme c’est le cas en cimenterie. Certaines usines, plus petites et moins polluantes, pourraient ainsi se rapprocher des agglomérations.

Homme et robot main dans la main

Lorsque, dans les années 1980, on imaginait l’usine du futur (celle que l’on connaît aujourd’hui), on voyait une industrie entièrement automatisée, commandée à dis-tance depuis des salles remplies

[ Une usine sans ouvriers n’existera pas. La créativité reste l’apanage de l’homme. ]

d’ordinateurs. On se trompait : une telle usine sans ouvriers n’existe pas, et n’existera pas. On voit actuellement les limites de l’auto-matisation. Tous ceux qui travaillent à l’usine du futur s’accordent sur la place centrale que l’humain doit prendre au cœur des procédés de fabrication. C’est autant une ques-tion d’efficacité qu’une nécessité sociétale et sociale à l’heure du chômage de masse. « L’usine tout automatique est stérile par nature, car la créativité reste l’apanage de l’homme », note Michel Dancette, de Fives. Le maître-mot est désor-mais la collaboration homme-robot. C’est là qu’interviennent les robots collaboratifs, ou cobots, permettant d’alléger la tâche des employés.

« La robotique collaborative per-met de mettre dans le même espace de travail l’homme et le système robo-tique, indique Serge Grygorowicz, président de RB3D, une société spécialisée dans les cobots et les exosquelettes. Le but est d’assister le geste de l’opérateur pour diminuer la pénibilité, et faire effectuer au robot les tâches peu intéressantes, où l’homme a une faible valeur ajoutée. » Ainsi, un homme seul assisté d’un cobot peut manipuler des pièces habi-tuellement portées par deux ou trois personnes : le cobot assume 90 % de l’effort, alors que l’homme dirige la tâche de manière précise, grâce à un système d’asservisse-ment de l’effort. La cobotique, qui a déjà fait son apparition dans cer-taines industries comme l’automo-bile, est l’une des tendances fortes en robotique industrielle.

L’un des éléments clés qui per-mettra, ou non, le développement de la cobotique est la sécurité. Les robots industriels classiques ne sont pas conçus pour travailler dans la même zone que les hommes : ils sont rigides et doivent suivre une trajectoire aveuglément et très vite.

Future usine de White Rose (Grande-Bretagne). Capter et stocker le CO2 limiterait

les émissions de gaz à effet de serre des sites industriels. À partir de 2016, Capture Power, une société créée par Alstom, Drax Power et BOC Linde, devrait tester le procédé à l’échelle industrielle en Grande-Bretagne dans une nouvelle centrale à charbon. Grâce à l’oxycombustion, une combustion en présence d’oxygène à la place de l’air pour concentrer le CO

2, 90 % des émissions devraient être piégées, avant d’être

transportées par pipeline et stockées en profondeur dans la mer du Nord.

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« Les robots anthropomorphiques (qui ressemblent aux humains) sont de moins en moins chers et de plus en plus performants, observe Michel Roboam d’Airbus. Pour usiner ou faire du drapage de matériaux composites sur une pièce d’avion, ils pourront bientôt remplacer les grosses machines coûteuses. De même, pour fixer les systèmes hydrauliques et élec-triques dans la voilure à des endroits difficiles d’accès, nous remplaçons déjà les opérateurs par des cobots. » Airbus a utilisé pour la première fois les cobots en 2013, pour l’assemblage des empennages de l’A380.

Le travail de l’homme dans l’usine sera également facilité grâce aux techniques de « réalité

Cette orthèse anthropomorphe avec retour d’effort assiste l’opérateur dans les tâches pénibles, ce qui permet de réduire les risques de troubles musculo-squelettiques.

Les cobots, quant à eux, sont pré-vus pour travailler conjointement avec des humains, en toute sécu-rité : non seulement ils détectent la présence humaine, mais le fait que leurs mouvements soient asservis à ceux de l’homme évite tout geste dangereux.

« Nous développons de nouvelles architectures de robots actionneurs à base de vérins à câbles qui les rendent plus flexibles, afin que l’homme et le robot partagent le même espace de travail, explique Karine Gosse du CEA. Mais nous pouvons aller plus loin, en concevant des cobots ampli-ficateurs d’efforts, afin de minimiser les forces exercées par les opérateurs. Ainsi, nous avons transféré à la société RB3D les technologies nécessaires à la réalisation d’un outil de rechapage de pneus, où l’opérateur applique sa brosse et guide le geste pour enlever de la gomme : sa force est augmentée par un bras articulé qu’il contrôle. » De tels cobots, largement déployés, permettraient de réduire la péni-bilité de nombreuses tâches, et donc des troubles musculo-sque-lettiques (TMS), première cause d’arrêt de travail aujourd’hui.

augmentée », qui ont déjà intro-duites dans quelques usines, comme chez Airbus depuis deux ans. Ainsi, en projetant des images sur un écran, une machine ou des lunettes, on accompagne le travail-leur dans son geste. Par exemple, pour guider son parcours à l’aide de flèches projetées au sol ou visualiser une pièce à enlever. « En superposant l’avion réel en cours de construction et l’avion modélisé, nous simplifions la tâche des opé-rateurs, précise Michel Roboam. Notamment, lorsqu’il faut inspec-ter 3 000 supports électriques, une tablette PC ainsi qu’une caméra pour faire coïncider le modèle et la réalité permettent de diminuer de façon drastique les possibilités d’erreur par rapport à un plan sur papier. Et, à terme, pourquoi pas imaginer une application pour aider les opérateurs en marquant les zones où installer ces dispositifs électriques ? »

Le CEA développe même une simulation interactive en réalité virtuelle. « Nous captons les mouve-ments des opérateurs et les incluons dans les simulations avec un humain virtuel, explique Karine Gosse. Ainsi, nous vérifions que certaines tâches sont possibles, par exemple que l’opérateur pourra faire passer sa main dans zone donnée pour poser un câble. » Or, autant il est aisé de simuler les interactions avec des objets durs, autant la tâche devient ardue lorsque cela concerne les objets déformables, comme les câbles, voire les liquides.

Tous ces progrès ne sont pas réservés aux grands groupes, les PME sont également concernées. « Nous adaptons nos simulations à certains métiers spécifiques, en pro-posant des versions simplifiées desti-nées à des tâches précises, par exemple, le contrôle des soudures », indique Karine Gosse. L’usine du futur bénéficiera à toute l’industrie. ■

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[ L’un des éléments clés qui permettra le développement de la cobotique est la sécurité. ]

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Pouvoir se déplacer sans cesser ses activités : tra-vailler, se distraire, s’infor-

mer… Voilà l’un des grands défis que les professionnels du trans-port tentent de relever. Dans le secteur automobile, le mouvement est déjà amorcé avec la multipli-cation de systèmes d’assistance à la conduite, comme l’aide au par-king pour soulager le conducteur. Le développement de systèmes multimédia embarqués n’est pas en reste avec des outils tels que Connect Apps de Peugeot, Intel-liLink d’Opel ou encore Renault R-Link. Ce dernier, par exemple, doté d’une tablette tactile connec-tée, donne accès à divers services comme la navigation, des alertes de zones dangereuses, la recon-

naissance vocale, les mails, la météo ou même le visionnage de photos, de vidéos ou d’actualités.

Mais pour le conducteur, la vraie révolution serait de ne plus avoir à conduire du tout. Ce rêve de la voi-ture autonome, le secteur automo-bile y travaille depuis longtemps. Mais il faut bien avouer que les recherches ont repris du poil de la bête depuis que Google s’est lancé dans l’aventure, avec ses fameux prototypes Google Cars. De nom-breux constructeurs développent aujourd’hui leur prototype, tel Renault avec sa Next Two (voir encadré ci-dessous). Celle-ci pour-rait être commercialisée dès 2020, mais uniquement pour un usage à basse vitesse sur route « proté-gée », comme une voie rapide à

sens unique ou autoroute. « Toute-fois, aller jusqu’à une automatisation qui prenne en charge un trajet complet porte à porte, type Paris-Nice, pren-dra probablement des décennies car cela pose de nombreuses questions en termes de responsabilité, de fiabilité et de sécurité », reconnait Rémi Bas-tien, directeur Recherche et Inno-vation chez Renault.

Autopartage, covoiturage à grande échelle

L’avenir de la voiture passera également par le déploiement à plus grande échelle d’usages déjà devenus courants pour cer-tains, comme le covoiturage ou les services d’autopartage… Des services qui pourraient avoir aussi,

Efficacité, confort et surtout « continuité de services » pour les voyageurs : au cœur des systèmes de transport, le numérique définit une approche nouvelle de la mobilité qui révolutionne nos modes de déplacement.

Pour les transports, la mobilité en mode branché

➥ Développé sur la base d’une Renault Zoé, le prototype Next Two analyse son environnement grâce à trois éléments : un radar pour détecter les autres véhicules, une caméra pour détecter le marquage au sol et une ceinture d’ultrasons pour détecter les obstacles. Tous sont pilotés par un « supervi-seur », sorte de chef d’orchestre qui communique avec les calculateurs de la direction assistée, du moteur et du freinage à pédale découplée. Une fois le volant lâché, le conducteur peut accéder à de nombreux services connectés : mails, visioconférence, téléchargements. Autant de possibilités permises par un modem multistandard développé avec le CEA qui se connecte automatiquement au meilleur réseau disponible (2G, 3G, 4G, wifi, etc.) ; mais aussi grâce à une plateforme multimédia open source compatible avec tous les systèmes d’exploitation, comme Android, IOS, Windows 8. ■ X. B.

Next Two : rouler sans conduire

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demain, une toute autre allure. Par exemple avec le « voiturier auto-nome » que développe Renault avec le laboratoire CNRS Heu-diasyc de l’université de techno-logie de Compiègne dans le cadre du projet « Plateforme avancée de mobilité urbaine » (PAMU). Il s’agit d’un prototype de voiture électrique capable de circuler sans conducteur jusqu’à 35 km/h, entre une zone de parking-recharge et un point de rendez-vous fixé à l’avance par l’utilisateur par l’inter-médiaire d’un site web. Une solu-tion qui permettrait par exemple de gérer des flottes de véhicules captifs en autopartage. « Pour y parvenir, nous avons développé un système de navigation capable de

Place de l’homme de fer à Strasbourg. Un maillage efficace entre différents modes de déplacement, du train au bus, en passant par le vélo et l’autopartage, se met peu à peu en place dans les villes grâce au développement de systèmes « intelligents ».

déterminer à tout instant la position du véhicule par rapport à une carte numérique… avec une précision de 10 cm, explique Philippe Bonnifait, chercheur à Heudiasyc. Un logiciel temps réel permet également de don-ner des consignes de navigation au véhicule, à partir de la combinaison d’informations issues de caméras, de radars et de capteurs à ultrasons. »

Le numérique en toile de fond

Les transports en commun, eux aussi, seront de plus en plus connectés : à l’ère du numérique, leur avenir en dépend. « Le numé-rique est en train de passer du statut d’outil à celui de toile de fond quo-

tidienne que nos voyageurs mobiles et connectés veulent retrouver dans tous les transports », confirme Dominique Laousse, responsable du groupe Innovation et Prospec-tive de la SNCF. Déjà, les bus ou les trains se connectent de plus en plus au système d’information des exploitants et à Internet, via le satel-lite ou le réseau mobile : le signal est transformé en réseau wifi local auquel les voyageurs se connectent pour surfer. Les expérimentations autour de ce système se multiplient depuis deux à trois ans, en parte-nariat avec les opérateurs mobiles. L’arrivée de la 4G favorise aussi l’interconnexion entre le voyageur et le réseau qui peut lui communi-quer des informations sur l’état

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› Quelle est la tendance actuelle dans le ferroviaire ? les opérateurs de transport, comme la SNCF, deviennent de plus en plus des fournisseurs de services. pour accompa-gner cette évolution, nous comptons beaucoup sur l’Internet des objets grâce auquel les trains communiqueront de plus en plus avec leur environnement : infrastructures au sol, gares, smartphones des passagers, etc.

du trafic, l’itinéraire, etc. Ainsi, pour Pierre Dersin d’Alstom, le train du futur fournira de nouveaux services (voir ci-dessous).

« Les lieux de transport tels que les gares doivent aussi accélérer leur mutation pour offrir une expérience mobile », poursuit Dominique Laousse. Dans une logique de continuité de services, les gares se transforment en effet de plus en plus en lieux de mobilité connec-tée. Ainsi, fin 2014, plus d’une cen-taine de gares françaises devraient déjà être connectées au wifi gratuit, avec des services (musique, vidéos, meilleur débit). En cas de panne de batteries sur smartphone, ordina-teur portable ou autres tablettes, certaines gares proposent aussi le service Webike avec lequel il suffit de brancher son appareil, puis de pédaler pour recharger la batterie et rester connecté (voir photo page suivante). D’autres gares disposent d’un « Playing Wall », un mur sur lequel on peut flasher un code QR pour télécharger de la musique, des jeux, des livres, etc. Enfin, l’applica-tion Gares 360° permet de visuali-ser certaines gares en 3D et d’accé-

der à une foule d’informations, y compris sur les autres modes de transport disponibles : métro, bus, taxi, vélo. « Nous travaillons égale-ment à des projets de lunettes à réa-lité augmentée qui donneraient des informations pratiques au voyageur durant son passage en gare », ajoute Dominique Laousse.

Car l’essor des transports connectés passera aussi par la « multimodalité », autrement dit, par un maillage efficace entre les différents modes de déplacement. Et là aussi, la recherche est active. En témoigne par exemple le lance-ment récent par le gouvernement français de plusieurs initiatives

pour stimuler le développement de systèmes « intelligents ». Parmi ceux-ci : des applications pour smartphone d’aide à la mobilité, et la construction d’un grand cal-culateur d’itinéraire national mul-timodal. Accessible via Internet et des applications, ce dernier devrait intégrer de nombreux types de transport : bus, métro, train, taxis, vélos en libre-service, et peut-être même avions et bateaux. L’objectif étant de permettre au voyageur de trouver le meilleur équilibre pos-sible entre durée, coût et confort… quels que soient son lieu de départ et sa destination. En attendant, au dernier salon Transports publics 2014, des premiers prototypes de calculateurs multimodaux locaux ont été présentés sur smartphone : Instant Mobility de la société Tha-lès, qui intègre aussi les voitures en libre-service et le covoiturage, ou bien encore SmarterMobility de Transdev, développé avec IBM, alliant tous les modes de transport. Ces calculateurs reposent sur des algorithmes capables d’exploiter de très grandes quantités de données générées par les systèmes de trans-

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[ Les gares, en pleine mutation, se convertissent en lieux de mobilité connectée. ]

questions

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 › Pierre DersinDirecteur Fiabilité- Disponibilité- Maintenabilité chez Alstom Transport

« Le train communiquera avec son environnement »

› À quoi serviront toutes ces données ?l’enjeu est de réussir à tirer parti de ces données hété-rogènes grâce à des outils de Big Data pour proposer de nouveaux services. C’est la notion de train « as a service ». Concrètement, ce seront des informations beaucoup plus personnalisées, précises et transparentes sur l’estimation des éventuels retards, les itinéraires alternatifs, les options de transport avant et après le trajet en train… Bref, un ser-vice de qualité « de bout en bout ».

› À quoi ressemblera un voyage en train dans le futur ?Au salon InnoTrans 2014, nous avons présenté le prototype passenger Experience (voir photo page 63). Il s’agit d’un siège ultra confort avec une table en verre tactile donnant accès à de nombreux services : Internet, informations sur le trajet et la destination, possibilité de commander à man-ger à la voiture-bar, jeux, musique, films. C’est une première illustration de ce que nous pourrions proposer à l’avenir. ■ 

ProPos recueillis Par X. B.

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port. Autre projet national d’enver-gure : le projet MIC, lancé en 2013 pour trois ans au sein de l’Institut de recherche technologique Sys-temX autour d’Alstom, de Renault et de partenaires publics. « Ce projet cherche à mieux modéliser et simuler les réseaux de transport multimodaux, afin d’optimiser les solutions pour les urbains avec, comme objectif, la mise au point d’un démonstrateur logiciel », explique Pierre Dersin d’Alstom.

Engager une démarche Open Data

Tous ces calculateurs néces-sitent néanmoins que les diffé-rents acteurs rendent disponibles leurs données dans une démarche d’Open Data. Et cela vaut aussi pour les simples usagers des transports. D’ailleurs, depuis quelques années déjà, les opéra-teurs télécoms se servent de nos téléphones mobiles pour suivre nos déplacements par triangu-lation sur le réseau GSM ; c’est ainsi qu’ils fournissent à l’indus-trie du transport des statistiques de déplacements des popula-tions en zone urbaine. Si ces masses de données – le fameux

Big Data – valent de l’or, encore faut-il parvenir à les trier pour en tirer des informations pertinentes. De nombreux acteurs l’ont bien compris et commencent à pro-poser des outils d’exploration de données (Data Mining). Le but : mieux connaître les déplacements des voyageurs, leurs comporte-ments… mais aussi leurs habi-tudes d’achats. Et, à l’avenir, les usagers pourraient volontaire-ment accepter d’être tracés, s’ils y ont un intérêt, comme obtenir des conseils personnalisés pour un itinéraire. Au final, l’avenir des transports passera donc par la

connectivité, l’interconnexion et une plus grande transparence. Et Dominique Laousse de conclure : « On parle aussi désormais de “cock-tail mobilité” avec des transports de plus en plus décloisonnés et intégrés dans une vision porte à porte. » Une tendance qui se traduit dans les faits : l’opérateur national inves-tit par exemple aujourd’hui dans l’autopartage, les taxis, les bus et les vélos. Renault vient quant à lui de signer un accord avec Bolloré sur l’autopartage… Les opéra-teurs de transport seraient-ils en train de se muer en opérateurs de (multi)mobilité ? ■ Xavier Bertin

Pédaler pour recharger ses batteries de téléphone, tablette, ordinateur portable : c’est l’une des récentes initiatives de la SNCF. Dix minutes d’effort sur ces vélos de gare, baptisés Webike, permettraient de recharger 15 % de la batterie d’un téléphone. Une dizaine de gares sont déjà équipées (Paris, Lille, Avignon, Amiens...), d’autres devraient suivre.

Primé cette année lors du concours Alstom Innovation Awards (page 14), le projet Passenger Experience a permis d’adapter au transport ferroviaire de nombreuses technologies numériques telles que cette table tactile devant le siège du passager (voir interview page 62).©

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[Penser autrement]

Notre méthode scientifique moderne est un pro digieux outil qui doit beaucoup aux travaux de René Descartes. En 1637, le philosophe

français en énonçait les quatre préceptes fondamen-taux dans son traité original, Le discours de la méthode :

– ne jamais considérer une chose pour vraie sans en avoir la preuve ;

– diviser chacune des difficultés en autant de pro-blèmes spécifiques que possible, afin de mieux les étudier et les résoudre ;

– considérer d’abord les problèmes les plus simples avant de s’attaquer aux plus complexes ;

– travailler pas à pas, afin de ne rien omettre.

Cette méthodologie nous a légué une compré-hension extrêmement précise du monde. Dès le XIXe siècle, de nombreuses applications industrielles en ont découlé et, tout au long du XXe siècle, elle a inspiré le développement économique, les progrès de la médecine et des conditions de vie. Pourtant, depuis le début du XXIe siècle, il apparaît clairement que certains des problèmes majeurs auxquels nous sommes confrontés ne peuvent plus être appréhen-dés par les seuls préceptes de Descartes. C’est notam-ment le cas des questions environnementales dont les multiples facettes – énergie, climat, sécurité alimen-taire, biodiversité, sécurité nationale, etc. – sont en complexe interaction. De même, en médecine : nous avons découvert des médicaments contre la plupart

des maladies qui ont une cause simple et isolée, mais aucun traitement radical n’a encore pu être déployé contre le cancer, les maladies métaboliques ou auto-immunes ni contre aucune autre maladie systémique. Pour prendre un dernier exemple, considérons notre vaste infrastructure d’information : sans une mise à jour permanente, elle pourrait faire défaut et provo-quer des effets désastreux sur nos vies.

La difficulté survient lorsque nous nous efforçons de segmenter les problèmes en champs spécialisés, comme Descartes nous y invitait. Cette segmentation a été très efficace pour résoudre une grande partie de ceux-ci, parce qu’ils étaient soit purement statiques, soit réguliers et reproductibles. Mais les difficultés d’envergure que nous devons affronter aujourd’hui concernent des systèmes composés d’une multitude de sous-systèmes qui interagissent et évoluent dans le temps. Face à ces nouveaux cas de figure particuliè-rement complexes, chercher à optimiser un domaine spécifique peut être encore plus contre-productif pour l’ensemble. Il est aujourd’hui indispensable de défi-nir une nouvelle méthode scientifique, une méthode inspirée du même esprit d’ouverture qu’on a vu s’épa-nouir avec l’innovation ouverte.

Systèmes fermés et systèmes ouvertsUne telle méthode scientifique suppose, tout

d’abord, de savoir différencier un système fermé d’un système ouvert. Le premier est isolé du reste du monde et délimité par des frontières clairement éta-blies. Il peut être constitué de plusieurs sous-systèmes récursifs mais leur interaction, quelle qu’elle soit, est simple et statique ; ainsi, après avoir appréhendé les comportements des sous-systèmes individuels, il devient possible de comprendre le comportement de l’ensemble. Cette démarche a montré toutes ses vertus pour résoudre un grand nombre de problèmes scien-tifiques modernes pour lesquels le réductionnisme méthodologique de Descartes a prouvé son efficacité.

Comment revoir notre méthodologie scientifique, qui doit beaucoup à la pensée de Descartes, pour faire face aux défis complexes du XXIe siècle ? Une nouvelle approche, la science des systèmes ouverts, propose une autre façon de poser les problèmes.

Une nouvelle méthode pour de nouveaux enjeux

› Mario TOKOROProfesseur à l’université de Keio, puis vice-président et directeur technique de Sony Corporation, il est le conseiller exécutif de Sony Computer Science Laboratories, qu’il a fondé en 1988. Expert en sciences informatiques et en technologie, il est également spécialisé en gestion de la recherche.

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L’agriculture intensive (comme, ci-dessus, cette récolte de soja au Brésil) est un gage de productivité qui peut s’accompagner de graves dégâts environnementaux et sanitaires. L’ensemble des impacts de toute activité doit être apprécié pour créer un système vertueux.

À l’inverse, un système ouvert interagit constam-ment avec ce qui l’entoure. Ce type de système comporte également de nombreux sous-systèmes récursifs mais sa structure – c’est-à-dire le nombre de sous-systèmes et leurs interactions – évolue de manière complexe dans le temps, tout comme avec les facteurs externes. De telle sorte qu’on aura du mal à résoudre ce type de problèmes en adoptant la méthode réductionniste et, si l’on persiste dans cette voie, les résultats seront le plus souvent médiocres. Prenons l’exemple des engrais et des pesticides. Ils ont largement amélioré la productivité de l’agriculture moderne mais ils sont aussi, parfois, responsables de

la pollution des eaux et peuvent endommager notre système endocrinien. Autrement dit, la résolution d’un problème dans un domaine (l’agriculture) en a provo-qué d’autres ailleurs (l’environnement aquatique et la santé humaine). Autre exemple : les énergies éolienne et solaire profitent à un système (l’atmosphère, via la réduction des gaz à effet de serre) aux dépens d’un autre (le réseau électrique, qui s’accommode mal d’une production d’énergie instable).

De nombreux philosophes ont exploré les limites du réductionnisme : Popper, par exemple, pensait que la science évolue au fur et à mesure que les connais-sances réfutent les théories ; Kuhn, pour sa part,

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[Penser autrement]

recherche, à l’instar des travaux de Hiroaki Kitano de Sony Computer Science Laboratories (SCSL) sur les « systèmes d’énergie ouverts ». Ce projet a pour but de créer des systèmes d’alimentation électrique localisés, propres et fiables, capables de gérer les intermittences inhérentes aux sources d’énergie renouvelable (voir page 36). Par ailleurs, Hiroaki Kitano a récemment combiné les apports de la biologie des systèmes – dont il est aussi un spécialiste reconnu – avec la médecine et la santé : son approche visait à créer un nouveau mode de prescription de soins à partir de médicaments moins puissants pour parvenir aux mêmes bienfaits en matière de santé, mais à moindre coût et à moindre risque. Nous pouvons aussi citer les travaux de Kaoru Yoshida, également chercheur au SCSL, qui associent biologie moléculaire, santé, alimentation et agriculture pour introduire un nouveau domaine dans les sciences de l’alimentation : par exemple, elle a établi avec son équipe que certains composés amers, produits natu-rellement par les plantes dans des environnements de forte biodiversité pour se défendre contre les animaux, sont aussi des phytotoxines pour les humains.

Enfin, dans le cadre du projet Fiabilité des systèmes ouverts (Open Systems Dependability) dont j’ai la responsabilité, nous nous intéressons à des systèmes d’information volumineux créés par l’homme, et en évolution permanente, tels la téléphonie mobile, les services Internet, les services publics, la gestion du trafic aérien ou ferroviaire, etc. Nous espérons, grâce à ce projet financé par le gouvernement japonais, accroître la fiabilité de ces systèmes à travers un pro-cessus d’amélioration itératif. La méthodologie, adap-tée à bien d’autres cas, pourrait être appliquée à de nombreux problèmes contemporains, y compris les plus critiques d’entre eux, en stimulant l’apparition de nouveaux domaines de recherche. ■

En savoir +› General System Theory : Foundations, Development, Applications, par L. von Bertalanffy, éd. G. Graziller, New York, 1988.› The Logic of Science Discovery, par K. Popper, éd. Hutchinson & Co, 1959› The Structure of Scientific Evolution, par Th. S. Kuhn, The University of Chicago Press, 1962.› Symposium Record of the First International Symposium on Open Energy Systems, par M. Tokoro, Sony CSL-OIST DC-based Open Energy System, OIST, janvier 2014. › Systems Biology : A Brief Overview, par H. Kitano, Science, vol. 295, mars 2002.› Proceedings of 1st IMEKOFOODS Metrology Promoting Objective and Measurable Food Quality and Safety, par K Yoshida et M. Funabashi, Taste Analysis on Conventionally, Organically and Naturally Grown Cabbage, International Measurement Confederation, octobre, 2014.› Open Systems Dependability – Dependability Engineering for Ever-Changing Systems, par M. Tokoro, CRC Press, 2012.› Les systèmes complexes, par H. Zwirm, éd. Odile Jacob, 2006.

En réfléchissant de manière globale aux multiples aspects d’un médicament, on peut parvenir à prescrire des traitements moins puissants et tout aussi efficaces, moins chers et moins risqués.

prétendait que la science et la technologie sont sou-mises alternativement à des périodes de progression linéaire, puis de changements de paradigmes. Pour autant, aucun des deux n’a su proposer une alternative à la méthode de Descartes.

La science des systèmes ouvertsConscient depuis longtemps des limites du réduc-

tionnisme, j’ai imaginé, il y a une dizaine d’années, une solution potentiellement plus adaptée aux sys-tèmes ouverts, dont les axiomes sont les suivants :1. définir de manière provisoire le problème et le sys-

tème auquel il appartient ;2. le modéliser dans ce cadre, en s’efforçant d’inclure

tous les sous-systèmes significatifs ;3. vérifier que le comportement du modèle dans le

temps est cohérent en soi et avec le système en question ;

4. sinon, modifier ou remplacer le modèle et, au besoin, élargir, rétrécir ou revoir le système ;

5. répéter l’opération, jusqu’à l’obtention d’un résultat satisfaisant à l’étape 3.En quoi cela diffère-t-il de la méthode de Descartes ?

Là où l’objectif du réductionnisme est de fractionner un problème, d’en analyser chaque portion en pro-fondeur et, ensuite, d’en déduire une connaissance, la science des systèmes ouverts privilégie les interactions et cherche à résoudre le problème global en identi-fiant sa vraie nature au travers du système auquel il appartient, défini de façon provisoire. Cette démarche permet, à mon sens, de trouver de meilleures solutions tenant compte des interactions entre le système et son milieu.

Bien avant les premières publications sur le sujet, en 2008, cette théorie avait trouvé des applications pratiques et inauguré de nouveaux champs de

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