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Les Actes du BRG, 5 (2005) 465-482 ©BRG,2005 Article original Diversité, origine et dynamique évolutive des ignames cultivées Dioscorea rotundata Poire au Bénin S erge TOSTAIN(l)' Hana CHAÏR(2,3) Nora SCARCELU(l) , , , Jean-Louis NOYER(4), Clément AGBANGLA(3), Jean-Leu MARCHAND(2), Jean-Louis PHAM(l) (1) IRD, UMR 1097-DGPC, Équipe Dynadiv, BP 64501, 34394 Montpellier Cedex 5, France (2) Université d'Abomey-Calavi, Laboratoire de Génétique, FAST, BP 526 Cotonou, Bénin (3) Cirad-CA Calim Équipe Racines et Tubercules, TA 70/16, 34398 Montpellier Cedex 5, France (4) Cirad-Amis/Biotrop, UMR 1096 1 PIA, TA 40/03, 34398Montpellier Cedex 5, France Abstract: Diversity, origin and evolutionary dynamics of the cultivated yams Dioscorea rotundata Poir. from Benin (West Africa). Yam is an impor- tant crop in West Africa. Benin is a large producer country with 1875000 t in 2003. The cultivars, D. roturulata Poir., are propagated vegetatively. The princi- pal objectives of this study were 1) to evaluate the diversity of the cultivars and the wild relative yams, 2) to study the genetic relationships between cultivars and between cultivars and wild yams and 3) to determine the nature of the spon- taneous yams collected by farmers outside cultivated areas to develop new yams varieties ("pre-domesticated"). More than 400 accessions of cultivars, and of related wild yams D. abyssinica and D. praehensilis from Benin were collected and studied using different molecular markers: AFLP (four combinations of prim- ers), nuclear simple sequence repeats (11 SSRs) and chloroplast simple sequence repeats (5 cpSSRs). SSR diversity of the cultivars is organised in geographical structure and a structure according ta the cycle of the plants (early or lare). The two wild ancestors of the cultivars are genetically different suggesting low or more gene flow. The three species have the same cpSSR haplotype I, and could not be distinguished, except three accessions of D. abyssinica (haplotype IV). Forty-seven percent of the pre-domesticated yams are genetically close to culti- vated yams. » Correspondance et tirés à part: [email protected] 465

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Les Actes du BRG, 5 (2005) 465-482©BRG,2005

Article original

Diversité, origine et dynamique évolutivedes ignames cultivées Dioscorea rotundata

Poire au Bénin

Serge TOSTAIN(l)' Hana CHAÏR(2,3) Nora SCARCELU(l), , ,Jean-Louis NOYER(4), Clément AGBANGLA(3),

Jean-Leu MARCHAND(2), Jean-Louis PHAM(l)

(1)IRD, UMR 1097-DGPC, Équipe Dynadiv, BP 64501,34394 Montpellier Cedex 5, France

(2) Université d'Abomey-Calavi, Laboratoire de Génétique, FAST,BP 526 Cotonou, Bénin

(3)Cirad-CA Calim Équipe Racines et Tubercules, TA 70/16,34398 Montpellier Cedex 5, France

(4)Cirad-Amis/Biotrop, UMR 10961 PIA, TA 40/03,34398 Montpellier Cedex 5, France

Abstract: Diversity, origin and evolutionary dynamics of the cultivatedyams Dioscorea rotundata Poir. from Benin (West Africa). Yam is an impor­tant crop in West Africa. Benin is a large producer country with 1875000 t in2003. The cultivars, D. roturulata Poir., are propagated vegetatively. The princi­pal objectives of this study were 1) to evaluate the diversity of the cultivars andthe wild relative yams, 2) to study the genetic relationships between cultivarsand between cultivars and wild yams and 3) to determine the nature of the spon­taneous yams collected by farmers outside cultivated areas to develop new yamsvarieties ("pre-domesticated"). More than 400 accessions of cultivars, and ofrelated wild yams D. abyssinica and D. praehensilis from Benin were collected andstudied using different molecular markers: AFLP (four combinations of prim­ers), nuclear simple sequence repeats (11 SSRs) and chloroplast simple sequencerepeats (5 cpSSRs). SSR diversity of the cultivars is organised in geographicalstructure and a structure according ta the cycle of the plants (early or lare). Thetwo wild ancestors of the cultivars are genetically different suggesting low ormore gene flow. The three species have the same cpSSR haplotype I, and couldnot be distinguished, except three accessions of D. abyssinica (haplotype IV).Forty-seven percent of the pre-domesticated yams are genetically close to culti­vated yams.

» Correspondance et tirés à part: [email protected]

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S. Tostain et al.

We also detected few cultivars which have a wild genotype. These results con­firm the use by few farmers of the sexual reproduction in the wild and cultivatedcompartments. The existence of cultivars genetically different from the wildrelative yams and the existence of an original practice of ennoblement in theevolutionary dynamics of the yams reinforce the interest of the in situ conserva­tion of the genetic resources of the cultivated and wild yams in Africa.

genetic diversity / SSRs / cpSSRs / domestication / conservation

Résumé: Les objectifs de l'étude ont été 1) d'évaluer la diversité des cultivarset des ignames sauvages apparentées au Bénin, 2) d'étudier les relationsgénétiques entre cultivars et les relations entre cultivars et ignames sauvages et3) de déterminer l'origine génétique des ignames en cours d'ennoblissement enestimant l'impact des pratiques de domestication. Plus de 400 accessions decultivars, D. rotundata Poir. et d'ignames sauvages apparentées D. abyssinica etD. praehensilis ont été collectées au Bénin et analysées à l'aide de différentstypes de marqueurs: AFLP, microsatellites nucléaires et chloroplastiques. Lesdeux espèces sauvages ancêtres des cultivars sont génétiquement différenciéessur la base des marqueurs moléculaires, y compris en situation de sympatrie,suggérant ainsi que les flux de gènes sont très réduits. L'étude des cultivarsmontre une structuration géographique et une structuration suivant le nombrede tubérisations (une ou deux). Les trois espèces ont le même haplotypechloroplastique à l'exception de trois accessions de D. abyssinica. Le processusde domestication chez les ignames africaines aurait abouti à une fortedivergence des gènes nucléaires mais pas des gènes chloroplastiques. Environ47 % des ignames prédomestiquées sont de type cultivé et 53 % de type sauvageou intermédiaire. Certains cultivars ont présenté des génotypes AFLP de typesauvage. L'utilisation par certains paysans des produits de la reproductionsexuée dans les compartiments sauvage et cultivé est ainsi confirmée.

diversitégénétique / rnicrosatellite / chloroplaste / domestication / conservation

1. INTRODUCTION

L'igname, Dioscorea sp. est une monocotylédone dioïque annuelleou pérenne lianescente cultivée principalement pour son tuberculesouterrain. C'est en Afrique de l'Ouest que la production d'igname estla plus importante, environ 30 millions de tonnes dont 95 % issues desespèces D. cayenensis Lam. ou D. rotundata Poir., annuelles de la sectionEnantiophyllum. La production, estimée à 1 875 000 tonnes sur 107 000hectares en 2003 place le Bénin au quatrième rang des pays producteurs

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Dynamique évolutive des ignames au Bénin

d'igname en Afrique de l'Ouest derrière le Nigeria, le Ghana et la Côted'Ivoire. Les ignames sont principalement cultivées dans le nord(département du Borgou), le centre (Collines) et le nord-ouest (Atacora)du Bénin. La multiplication végétative des variétés est réalisée, dans lecadre d'une agriculture traditionnelle, par le bouturage de fragments detubercules. De nombreux noms de variétés locales ont été recensés danschacun de ces départements. Leur caractérisation a été faite à l'aide demarqueurs morphologiques, enzymatiques et RAPD. Sur la base desobservations morphologiques des regroupements ont été réalisés [3].Quelques variétés se sont avérées être polyclonales. Dans les différentsdépartements, les cultivars sont en sympatrie avec les deux espècessauvages les plus apparentées soit D. abyssinica Hochst. ex Kunth, soitD. praehensilis Benth. qui se reproduisent sexuellement. Les deuxespèces sauvages sont en sympatrie au centre du Bénin.

Des études socio-économiques ont été réalisées dans plusieursterroirs du Bénin sur le nombre de variétés, leur gestion et leurconservation. Les cultivars sont généralement classés en deux groupes:précoces à deux récoltes (dont une réservée au bouturage) et tardifs àune seule récolte. Les ignames de ces deux classes se distinguent aussipar plusieurs caractères morphologiques [5]. La «domestication» ouennoblissement des ignames africaines est une pratique paysanneoriginale qui a été mise en évidence au Bénin [6], [17], [19]. Cetteancienne pratique paysanne consiste à planter des ignames spontanéessituées près des champs et que nous appellerons ici «pré­domestiquées », Les ignames en cours d'ennoblissement sont récoltéesdeux fois par an comme une variété précoce et les tubercules sontsélectionnés sur plusieurs cycles de culture. Une fois le processusterminé, les tubercules sont intégrés dans la variété la plus prochemorphologiquement qui devient alors polyclonale. Les effets de ceprocessus sur la diversité génétique ont été observés à l'aide demarqueurs enzymatiques [11] et AFLP [18]. Il est important de clarifier,avec d'autres marqueurs, l'origine génétique des ignames spontanées carla réussite de l'ennoblissement et les conséquences sur la diversitégénétique des nouveaux cultivars ne sont pas les mêmes si les plantes dedépart sont génétiquement sauvages ou cultivées.

Il y a plusieurs années, on faisait les hypothèses suivantes: les deuxespèces sauvages sont deux écotypes d'une même espèce, les cultivarssont très proches génétiquement de cette espèce, des hybridesinterspécifiques ont été domestiqués, la domestication permet de

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S. Tostain et al.

renouveler rapidement le stock variétal et il doit être possible d'associerun cultivar et sa plante sauvage ancestrale. Nous avons développé unprogramme de recherche visant à tester ces hypothèses.

Le Bénin, comme d'autres pays du golfe de Guinée a une situationprivilégiée: il y a un nombre important de cultivars, la présence desdeux espèces sauvages apparentées souvent en sympatrie avec lescultivars, l'existence d'un processus de domestication ouennoblissement dans le Borgou, les Collines et le Zou.

La présente étude a pour objectifs (1) d'étudier au Bénin les relationsentre les espèces sauvages, D. praehensilis et D. abyssinica, dans une zonede forte sympatrie en cherchant à mettre en évidence des hybridesinterspécifiques viables, (2) d'évaluer l'importance et la structuration dupolymorphisme d'une collection représentative de cultivars et l'intérêtdes marqueurs moléculaires pour identifier les variétés localesmonoclonales (3) de déterminer l'origine des cultivars et des ignamespré-domestiquées avec des marqueurs AFLP et microsatelliteschloroplastiques. Les résultats seront déterminants dans la définition destratégies de conservation et d'utilisation des ressources génétiques designames sauvages et cultivées.

2. MATÉRIEL ET MÉTHODES

2.1. Le matériel végétal

2.1.1. Lesignames sauvages de Tchaguessé

Il existe au Bénin une zone de sympatrie entre les deux espècessauvages, autour du huitième parallèle de latitude nord notamment aulieu-dit Tchaguessé à quelques kilomètres du village d'Assaba dans lacommune de Banté (Département des Collines). Soixante treizeaccessions ont été collectées en 2002 (fig. la et lb) dans et autour d'unepetite forêt en voie de disparition: 33 D. abyssinica dans la savanearborée encerclant le bois et près de champs anciens ou récents(numérotées de a-l à a-33) et 40 D. praehensilis sous le couvert forestieret dans une zone de déforestation récente (de p-34 à p-73). Les plantesont été classées suivant leurs caractéristiques morphologiques observéesau moment de la collecte, en particulier la présence ou l'absenced'épines sur les tiges et les tubercules. D. praehensilis est une espèce àtige et tubercules épineux contrairement àD. abyssinica [8].

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2.1.2. Les autres accessions (cultivars, ignames sauvages etpré-domestiquées)

Plusieurs échantillonnages ont été réalisés

1. Cent quarante-six cultivars de quatre Départements du Bénin,Atacora (44), Borgou (64), Collines (22) et Zou (13) ont été collectés de2000 à 2003 pour l'étude de la diversité des microsatellites nucléaires(lisre disponible auprès des auteurs). Le classement suivant le cycle deculture (avec une ou deux récoltes ou mixte) a été fait suivant lesdéclarations des paysans et suivant des observations faites en champ [3].La position géographique des principaux villages de collecte des 98cultivars précoces, 41 tardifs et 7 mixtes a été notée (fig. la).

2. Une collection de cent quatorze accessions d'ignames sauvages (86D. abyssinica et 25 D. praehensilis) a été acquise au cours de plusieurscollectes réalisées à travers le Bénin par le laboratoire de génétique del'université d'Abomey-Calavi de 1997 à 2003. Trente-deux tuberculesen cours d'ennoblissement (pré-domestiqués) ont été collectés chez despaysans de huit villages du Bénin, près des communes de Sinendé, deBanté et de Djidja. Le nombre d'années d'ennoblissement est variable(de un à dix ans).

3. Pour l'étude des microsatellites chloroplastiques, une collection de202 accessions a été constituée i) de cultivars, ii) des ignames àdifférentes étapes d'ennoblissement (7) et iii) des accessions deD. abyssinica (16) et de D. praehensilis (26) collectées dans les forêts et lesvielles jachères soit près, soit éloignées des champs cultivés. Desaccessions d'autres espèces sauvages présentes au Bénin ont été inclusesdans cette étude : D. togoensis, D. preussii, D. bulbifera, D. dumetorum,D. minutiflora, D. smilacifolia et D. burkilliana. Un cultivar deD. dumetorum et un de D. alata (espèce asiatique) ont également étéajoutés à l'étude des microsatellites chloroplastiques.

2.2. Méthodes

L'ADN génomique total a été extrait à partir de jeunes feuillescollectées sur des plantes en serre ou aux champs au Bénin et séchées ausilica gel. Les noyaux ont été séparés du cytosol contenant de grandesquantités de polysaccharides avant leur hydrolyse par un détergent(MATAB).

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S. Tostain et al.

~ vers Assaba

Lieu-dit Tchaguessé

~m _bl 1

Figure 1 : la: Carte du bénin représent ant les différentes régions avec leurchef-lieu et les villages où ont été collectés les cultivars et les plantes pré­domestiquées. 1b : Répart ition géographique des 73 accessions collectées enmars 2002 dans la forêt de Tchaguessé près d'Assaba (région Collines). D.abyssinica (T) et D. praehensilis (.).

2.2.1. Marqueurs AFLP {« Amplifiedfragment lengtb polymorphism >1

Le protocole décrit par Vos et al. (1995) [20J a été suivi avec deschange me nts m ine urs. Q ua tre co mbina iso ns d 'amorces E-ACA/T­CTC (am1), E-ACT/T -CTC (am2), E-ACA/T-C T T (am3) et E­AGC/T-CT T (am 4) o nt été util isées. Les amorces EcoRI sont marquéespar un flu oroch rome (fluo rescence à 700 nm pour am 1 et am2 et à 800nm pour am3 et am 4). Les produits d ' ampl ificat ion so nt sépa rés sur gelde poly acry lamide 6,5 % dan s un séquenceur Li-C or IR2 (Li-Cor,Lincoln, N E, USA). L 'analy se des gels est réa lisée grâce au logicield'imagerie AFLP-Qua ntar™ Pro 1.0 (Keygen p roducts B.V.,Wageningen , H oll an de).

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2.2.2. Marqueurs microsatellites nucléaires

Dix marqueurs microsatellites nucléaires parfaits ont été utiliséspour cette étude (la description des amorces est à paraître). Neuf des dixmicrosatellites ont des motifs dimères (3E04, lC12, 2COS, 2D06, 2D08,lA01, 2E07, IF08 et 3B12) et un microsatellite possède un motiftrimère (2E09). Après la PCR, la séparation des fragments d'ADNdénaturés contenant les séquences microsatellites de tailles différentesest réalisée sur gel d'acrylamide à 4 % par un séquenceur automatiqueAB! Prism ® Genetic analyser, modèle 3100 d'Applied Biosystems. Lalecture des gels a été réalisée à l'aide des logiciels GENESCAN etGENOTYPER de ABI Prism. La ségrégation des différents locusmicrosatellites s'est révélée être celle d'une plante diploïde [14].

2.2.3. Marqueurs microsatellites chloroplastiques

Cinquante-deux paires d'amorces cpSSRs de chloroplastes deSolanacée, Nicotiana tabacum [1], [21] et de riz [9] ont été testées aprèsune électrophorèse sur gel de séquençage et une coloration au nitrated'argent. Aucune des paires d'amorces consensus développées sur le rizn'a permis l'obtention d'un produit d'amplification. Cinq pairesd'amorces consensus développées sur le tabac ont révélé dupolymorphisme: NTCP8, NTCP9, NTCP37, NTCP39 et ccmp2.

2.2.4. Analyse des données

Seules les bandes polymorphes AFLP retrouvées sur plusieurs gelsont été prises en compte et codées par 0 (absence) et 1 (présence).L'analyse en composantes principales des 146 cultivars et 84 allèlesmicrosatellites a été faite par le logiciel XLSTAT v6. Le logicielPowermarker v3 [10] a été utilisé sur les données de génotypesmicrosatellites nucléaires pour le calcul des hétèrozygoties (Habs), desdistances DLS «Log shared allele distances» [2], ainsi que des arbresréalisés par la méthode du « neighbor-joining ». Des tests de Mantel ontété réalisés avec les DL5 entre cultivars, les distances géographiques entrelieux de collecte (exprimées en kilomètres) et les différents cycles(notation 1 quand les cultivars sont de cycles différents et 0 quand lescycles sont identiques). Les données microsatellites chloroplastiquescpSSR ont été codées pour chaque niveau de bande par 1 (présence) et 0(absence). L'absence simultanée de fragments n'a pas été considérée.

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S. Tostain et al.

C'est pourquoi l'indice de similarité de Dice di-j [4] a été choisi pourconstruire le NJTree selon la méthode du « neighbor-joining »,

3. RÉSULTATS

3.1. Relations entre les deux espèces sauvages apparentées

Cent un niveaux de bande ont été retenus en AFLP: 31 pour lacombinaison am l , 29 pour am2, 23 pour am3 et 18 pour am4. L'analyseen composantes principales des 73 accessions et des 101 bandes d'AFLPconfirme que, même en situation de sympatrie, les deux espèces sontdistinctes génétiquement (fig. 2).

•••1 D. praehensilis

6

""4D. abyssinica

• • • ••• • •2 •0 . -

"@-2 •

• ••-4 • •

Axe 27%

• a-5

a·26·

••••• •

•••••• ••

Axe 127%

-8 -6 -4 -2 o 2 4 6

Figure 2: Analyse en composantes principales de la diversité de quatrecombinaisons d'AFLP (4 combinaisons d'amorces et 101 bandes) dans deuxpopulations d'ignames sauvages en syrnpatrie : 33 D. abyssinica (T) et 40D. praehensilis (.) au lieu-dit Tchaguessé.

Elle montre l'absence de chevauchement et l'existence de quelquesplantes intermédiaires notées D. abyssinica et situées géographiquementen savane (a-S et a-36). Les accessions a-10 et a-30, situées respectivementdans la savane arborée et en lisière de la forêt, avaient été notées à lacollecte intermédiaire morphologiquement entre les deux espèces. Cesdeux plantes avaient été supposées être des hybrides. Après analyse

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Dynamique évolutivedes ignames au Bénin

AFLP, a-l0 est située dans le groupe des ignames D. abyssinica et a-30dans celui des ignames D. praehensilis. L'accession p-34, notée à larécolte D. praehensilis, est située dans le nuage des ignames sauvagesD. abyssinica (fig. 2). Cette igname a été récoltée à environ 700 m de laforêt dans une plantation d'anacardiers en savane. L'accession, p-43,notée D. praehensilis à la collecte est dans le groupe des D. abyssinica.

3.2. Diversité génétique et relations entre cultivars du Bénin

Le nombre total d'allèles observés aux dix locus microsatellites chez146 cultivars du Bénin est de 84, variant de quatre à 14. Trois cultivars,Alakissa, Ikéni et Ofégui ont 9 allèles spécifiques qui les isolent desautres cultivars. Les analyses suivantes ont été faites sans ces cultivars.Plusieurs accessions (16 %) ont présenté les mêmes génotypes et ont étéconsidérées comme des duplicata.

L'hétérozygotie moyenne des 143 accessions est égale à 0,537. Lesarbres réalisés avec la méthode du « neighbor-joining » sur la matricedes distances DL5 montrent une structuration des variétés locales duBénin (fig. 3), suivant, d'une part, un critère phénologique et d'autrepart, un critère géographique. Vingt-sept cultivars tardifs,essentiellement du Borgou et de l'Atacora forment un groupe distinct(fig. 3a). Parmi les seules ignames précoces et mixtes, les cultivars del'Atacora forment deux groupes (fig. 3b).

Les corrélations obtenues par les test de Mantet sont hautementsignificatives entre distances génétiques et distances géographiques(r = 0,10, P < 0,001) et entre distances génétiques et les caractèresprécoce ou tardif (r = 0,09, P < 0,001). Le coefficient dedifférenciation, Gst, entre cultivars des quatre régions est de 0,034 etentre précoces et tardifs de 0,041.

Les distances minimum de Nei montrent que les cultivars del'Atacora sont les plus éloignés génétiquement des cultivars du Zou etdes Collines. La plus importante richesse allélique a été observée dans larégion du Borgou (6,4 ± 0,9). La richesse allélique des cultivars précocesest plus élevée que les tardifs (respectivement 7,1 ± 1,1 et 4,8 ± 0,8). Lelocus 2E07 différencie le plus les cultivars des quatre départements (Gst= 0,65), tandis que lC12 différencie le plus les cultivars précoces descultivars tardifs (Gst = 0,140).

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S. Tostain et aL.

Figure 3 : Arbres non enr acinés construits à partir de la matri ce des distancesDL5 ent re cult ivars du Bénin à l'aide de dix microsatel lites nucléaires suivant lamé thode du « neighbor-joining » , 3a : Relations ent re les 134 cultiva rs précoces(P, 91 accessions), tard ifs (T, 36) et mixtes (M, 7). 3b: Relations ent re les 94cult ivars précoces des quatre régions : Ataco ra (A, 32 accessions), Borgou (B,31), Co llines (C, 20) et Zou (Z, 11).

3.3. Relations entre les cultivars et les deux es pèces sauvages

apparentées

3.3.1. À l'aide de marqueurs AFLP

Ci nq cent di x bandes o nt été révélées pour les qu atre combinaisons

d'am orce su r les 213 accessions ét udiées. Vingt-six so nt m onomorphes

(ta ux de pol ym orphisme de 95 %) . Quarre vingt-on ze bandes ont ét é

retenues. T ous ces marqueu rs polymorphes sont présents dans aumoins un e accession de D. abyssinica, 86 % dans D. praehensilis et 92 %

dans D. rotunda ta, Six bandes so nt spéc ifiques des espèces sauv ages

(dont 4 < la %) mais il n'y a pas de m arqueur spécifiq ue de l'e sp èce

cu ltivée. 80 % de la di versité tota le est intra-sp écifique. Trois cultivars

so nt classés avec D. abysstn ica et un ave c D. praehensilis. La projectionde s accessio ns dan s le plan des axes 1 et 2 de l'analyse en composantes

principales (16,1 % de la di versité to ta le) montre qu e les trois espècessont bi en individ ualisées surtout D. abyssinica (fig. 4). Cette analyse est

confirmée par le dendogram me o bte n u pa r la méthode du «. neighbor­

joining » des di st ances D LS [13].

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Dynamique évolutive des ignames au Bénin

3.3.2. À l'aidede marqueurs chloroplastiques

Les cinq paires d'amorces de tabac présentent un polymorphisme:trois allèles pour le locus NTCP8, six allèles pour NTCP9, deux allèlespour NTCP37, deux allèles pour NTCP39 et six allèles pour ccmp2.Les locus NTCP36 et 37 ont révélé la même variabilité: les accessionsde D. dumetorum sont différentes des autres accessions (haplotype II).Les accessions de D. rotundata, les pré-domestiquées (à différentesétapes d'ennoblissement) et les accessions des deux espèces apparentéesD. abyssinica et D. praehensilis sont regroupées dans l'haplotype I sauftrois accessions (deux D. abyssinica et une igname pré-domestiquéedepuis deux ans). Éloignées des autres accessions, elles sont classées dansl'haplotype IV. Concernant les autres espèces de Dioscorea, les individusde chaque espèce sont regroupés entre eux formant chacun unhaplotype, exception faite de D. minutiflora, D. smilacifolia etD. burkilliana qui ont le même haplotype (haplotype VIII).

3.4. Caractérisation des plantes pré-domestiquées à l'aide demarqueurs AFLP

Dans l'ACP (fig. 4), les 32 plantes pré-domestiquées se trouventdistribuées dans les trois espèces identifiées: 5 (16 %) dans D. praehensilis,12 (37 %) dans D. abyssinica et 15 (47 %) dans D. rotundata. Quatorze sonten position intermédiaire entre D. praehensilis et D. rotundata, dontcertaines dans la zone de chevauchement entre D. praehensilis etD. rotundata. L'absence de bande AFLP diagnostic des espèces sauvages nepermet pas de supposer une origine hybride à ces plantes intermédiaires.

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s. Tostain et al.

+

Axe 110,]00

pré-domestiqués\

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Axe 25,4%

D. praehensilis• •

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Figure 4 : Analyse en composantes principales des 91 marqueurs AFLP et de213 accessions du Bénin. Projections dans le plan des axes 1 et 2 (16,1 % de ladiversité totale) des 181 accessions de D. abyssinica (~), D. praehensilis (.) et D.rotundata (0). Les 32 ignames pré-domestiquées (+) ont été projetées enéléments supplémentaires.

4. DISCUSSION

4.1. Distinction génétique entre les deux espèces sauvages

Les espèces les plus proches génétiquement des cultivars D.rotundata Poir. sont D. abyssinica Hoscht et D. praehensilis Benth. [12].L'analyse de marqueurs AFLP d'une collection de ces deux espèces enAfrique de l'Ouest montre une structuration en deux groupes et unestructuration géographique de la diversité au sein des deux espèces [16].Les résultats obtenus dans une situation exceptionnelle de sympatrie àTchaguessé, sur environ 5 ha, confirment cette analyse. Les deuxespèces situées dans des conditions écologiques particulières (savanearborée et forêt sèche) sont aussi séparées génétiquement.

L'accession p-43 a le rnorphotype «praehensilis» mais le génotyped'« abyssinica ». Cela pourrait s'expliquer par un mauvais classement au

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moment de la collecte, les tiges et tubercules de D. praehensilis étant plus oumoins épineux. D'où l'intérêt des marqueurs moléculaires pour clarifier laposition taxonomique de plantes ayant une grande plasticité phénotypique.En position intermédiaire, les accessions a-5 et a-26 sont aussi intéressantes.Ce sont peut-être des hybrides interspécifiques car il y a dans cette régionun chevauchement partiel des périodes de floraison. Pour confirmer lestatut hybride de ces plantes, les marqueurs microsatellites nucléairesseront utilisés. Ils caractériseront mieux les accessions p-43, a-5 et a-26. Parailleurs, il est important d'analyser les graines des accessions des deuxespèces pour déterminer s'il y a des hybridations naturelles entre les deuxespèces et une faible viabilité des hybrides.

Ces résultats, jamais obtenus par ailleurs, soulignent l'importance deconsidérer D. abyssinica et D. praehensilis comme deux espèces distincteset non comme deux écotypes. La conservation ex situ des ignames sousforme de cultures in vitro pose des difficultés logistiques nonnégligeables au Bénin. Il faut donc envisager une conservation in situ.Pour cela, il est nécessaire de caractériser précisément la distributiongéographique et la diversité génétique des différentes populations de cesdeux espèces ancêtres des cultivars ainsi que leurs zones de sympatrie oude parapatrie (lisières savanes - forêts).

4.2. Structuration de la diversité des ignames cultivées

Dans la culture traditionnelle de l'igname en Afrique, les paysanscultivent de quatre à douze variétés en moyenne pour utiliser lesdifférentes niches écologiques et exploiter la forte diversité des sols. Enplus du prestige que cela apporte auprès des jeunes ou des paysans quicommencent à cultiver l'igname, cela permet de sélectionner avec letemps les variétés les plus adaptées. Dix marqueurs microsatellitesnucléaires polymorphes ont servi de marqueurs neutres pourl'identification variétale et la comparaison entre cultivars. Chaquecultivar a été identifié malgré le faible nombre de marqueurs. Unestructure de la diversité globale a été observée suivant l'originegéographique des cultivars et suivant l'aptitude à tubériser deux fois(précoces) ou une fois (tardifs).

La double structuration est le résultat des pratiques et du savoir-fairepaysans. Les ignames tardives et précoces sont par exemple deux typesculturaux adaptés aux besoins des paysans, respectivement pendant lasaison sèche et la saison des pluies [5]. Dans l'Atacora, les paysans

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cultivent les deux groupes de cultivars dans des champs séparés. Celuides ignames précoces est plus petit que celui des ignames tardives, lesbuttes sont plus grandes et le nombre de cultivars est plus élevé. Lesrésultats obtenus permettent d'envisager un meilleur échantillonnagedes ressources génétiques conservées ex situ et leur gestion à la ferme.

La faible diversité des cultivars tardifs est un handicap àl'amélioration de la production actuelle d'igname. Ces cultivars sontcultivés dans un intérêt agronomique (rusticité et résistance à lasécheresse) et commercial (transformation des petits tubercules encossettes). Il conviendra de confirmer si cette observation est valablepour l'ensemble des cultivars tardifs du Bénin et d'Afrique de l'Ouest.Les cultivars de cycle intermédiaire (mixtes à une ou deux récoltes) sontproches génétiquement des cultivars précoces mais morphologiquementintermédiaires entre précoces et tardifs. Ils sont donc particulièrementintéressants pour la sélection de cultivars tardifs ayant une plus fortediversité génétique.

Il reste à évaluer l'importance de la diversité génétique à l'intérieurd'un cultivar (un seul clone ou mélange de plusieurs clones) de façon àréfléchir sur la mise en œuvre d'une base de données d'identificationmoléculaire des cultivars. Cette base pourra 1) faciliter le choix descultivars à conserver ex situ et in situ, 2) faciliter la comparaison entreles cultivars du Bénin et ceux du reste de l'Afrique de l'Ouest,notamment des pays limitrophes (Togo et Nigeria). Les comparaisonspermettront d'identifier et d'isoler les cultivars spécifiques au Bénin(domestiqués et sélectionnés dans ce pays), 3) aider les sélectionneurs àorienter les croisements nécessaires à l'amélioration génétique designames par l'augmentation de la diversité génétique des cultivarstardifs ou l'utilisation de croisements à forte hétérosis.

Les résultats obtenus chez 23 plantes d'une espèce sauvage diploïdedu Japon, D. tokoro, ont montré avec six microsatellites nucléaires unplus faible nombre d'allèles par locus (6,3) mais une hétérozygotieobservée de Ho = 0,54, comparable à celle que nous avons observéedans notre échantillonnage [15].

4.3. Relations entre les deux espèces sauvages et les cultivars

Les marqueurs AFLP font apparaître trois groupes de plantescorrespondant aux deux espèces sauvages et l'espèce cultivée. Il n'est paspossible de relier, contrairement aux marqueurs morphologiques [3], un

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cultivar et son espèce ancestrale avant domestication. Cette situation estle plus souvent observée chez les plantes à multiplication sexuéeanciennement domestiquées et subissant un processus continu desélection. La grande distance génétique observée au Bénin entre lesvariétés locales issues des sélections paysannes récentes ou anciennes etles ignames sauvages en sympatrie montre que la domestication designames est ancienne et que les flux de gènes sont limités. Il est possible,mais peu probable, que les variétés soient d'origines extérieures auBénin et domestiquées à partir d'ignames sauvages génétiquementdifférentes. Dans ce cas, la comparaison des trois espèces d'igname dansd'autres régions d'Afrique de l'Ouest serait intéressante à réaliser.

Tous les cultivars et les accessions des espèces sauvages apparentéesont un même haplotype chloroplastique. Ces résultats rejoignent ceuxdéjà obtenus [12]. Trois accessions de D. abyssinica ont un haplotypedifférent. Sachant que les cpSSRs sont peu variables, la distancegénétique entre ces accessions collectées près de trois villages du Borgou(Gorobani, Fa Bouré et Wari) et le reste des accessions ayantl'haplotype I est telle qu'elles pourraient éventuellement êtreconsidérées comme n'appartenant pas à la même espèce, si on s'entenait à ce seul critère. L'interprétation de ce polymorphisme estdifficile. Ces accessions pourraient par exemple être d'anciennes formessauvages de D. abyssinica. Cette hypothèse originale doit être vérifiéepar le séquençage des différents allèles et l'étude des microsatellitesnucléaires chez ces trois accessions.

4.4. Origine des plantes pré-domestiquées

En règle générale, les paysans sélectionnent des plantes spontanéesayant un phénotype peu éloigné des cultivars (plantes à grosses tigesavec de gros tubercules sans épines à chair blanche). Une grande partiedes ignames pré-domestiquées (47 %) ont des génotypes cultivés. Ellespeuvent être des échappées de culture issues de fragments de tuberculesrestés dans les anciens champs laissés en jachère. Elles peuvent être aussiet plus sûrement des plantes issues de graines dispersées par le vent,hybrides par fécondation libre de cultivars mâles et femelles.

L'analyse AFLP montre qu'il y a des plantes pré-domestiquéesproches génétiquement des espèces D. abyssinica et D. praehensilis qui sereproduisent par la voie sexuée. Certains paysans sélectionnent bien desplantes sauvages pour l'ennoblissement. Des cultivars semblent être

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obtenus par cette pratique: 5 cultivars sur 70 ont un génotype« sauvage». La distance génétique importante observée entre lesignames sauvages et la majorité des cultivars indique que ces quelquescultivars sont issus d'une domestication récente. Ils n'auraient pasencore rejoint génétiquement, par rétrocroisements successifs, le groupedes cultivars. Leur petit nombre souligne la difficulté de sélectionnerdes ignames sauvages et le déclin de cette ancienne pratique paysanne.

Les ignames pré-domestiquées ayant des génotypes intermédiairesentre cultivars et ignames sauvages sont peut-être des hybrides entre cesdeux groupes de plantes. Ce résultat doit être confirmé par l'analyse dedescendances de cultivars en sympatrie avec des ignames sauvages.

L'analyse de la diversité génétique des plantes pré-domestiquéesmontre que la « domestication» ne peut pas être résumée à l'introductionde plantes sauvages dans le système de culture. L'étude menée àTchaguessé pour mettre en évidence des hybrides naturels D. abyssinica xD. praehensilis a montré qu'il y a peu d'hybrides viables entre ces espèces.L'hypothèse de la domestication d'hybrides interspécifiques sauvagesn'est pas vérifiée. Les paysans sélectionnent plutôt des hybrides naturelsentre cultivars et des hybrides entre cultivars et ignames sauvages [13].Des études doivent être réalisées sur les descendances de cultivars etd'ignames sauvages en situation de sympatrie pour montrer l'existenced' hybridations naturelles entre ces espèces.

Cette situation évoque celle du manioc, plante multipliée parbouturage pour laquelle a également été rapportée une utilisation parles agriculteurs de la reproduction sexuée entre cultivars dans le butd'augmenter la diversité variétale [7].

La richesse génétique des cultivars et des plantes en coursd'ennoblissement est une des raisons pour laquelle il est important depréserver et de développer les savoir-faire paysans à la ferme. Lesapproches de conservation à la ferme ont d'autant plus d'intérêt quel'igname est difficile à conserver ex situ.

REMERCIEMENTS

Cette étude a été réalisée avec le soutien financier du Bureau desRessources Génétiques (BRG France). Clément AGBANGLA a bénéficiéde bourses de l'IRD et du Cirad. Nous remercions Baco NASSER pour

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son aide dans le choix des cultivars dans le Borgou et Yves

VIGOUROUX pour son aide dans les analyses génétiques.

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Diversité, origine et dynamique évolutive des ignames

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(Les Actes du BRG ; 5). ISBN 2-908-447-33-9 Colloque

National du BRG : Un Dialogue pour la Diversité Génétique, 5.