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demain le monde n° 11 – janvier/février 2012 dlm printemps arabe Continuité ou rupture ? débat Contre le Travail des enfants ? sénégal Sauver la mangrove dossier achACT, parce que nous sommes tous des travailleurs

dlm, demain le monde n°11

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dlm, demain le monde est le magazine du CNCD-11.11.11 et supplément 'développement' du magazine Imagine

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demain le monden° 11 – janvier/février 2012

dlm printemps arabeContinuité

ou rupture ?débat

Contre le Travail des enfants ?

sénégalSauver

la mangrovedossier

achACT, parce que

nous sommes tous destravailleurs

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02sommaire

dlmdemain le monde

n°11 – janvier/février 2012

Directeur de rédactionArnaud Zacharie

RédactionFrédéric Lévêque

GraphismeDominique Hambye, Élise Debouny

ImpressionKliemo – EupenImprimé à 9.000 exemplaires sur papier recyclé

Photo de couverture© Tineke D’haese / Oxfam Solidarité.Photo prise au Vietnam dans la zoneindustriel de Hai Phong, dans une usine de chaussures de sport.

dlm est le supplément « développement » du magazineImagine demain le monde.

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[email protected] – 02 250 12 51

03éditoGouvernement papillon : budget gelé mais plus de cohérence?par Arnaud Zacharie

04actuPrintemps arabe : continuité ou rupture?par Elena Aoun

07petites histoires de gros sousUn plan d’action contre Occupy Wall Street?par Antonio Gambini

08regard sur le mondeLutter contre le travail des enfants : oui, mais…par Aurélie Leroy

11dossierachACT : parce que nous sommes tous travailleursentretien avec Carole Crabbé, par Michel Cermak & Frédéric Lévêque

16projet 11.11.11Sénégal : sauver la mangrove par Cécile Vanderstappen

18multi-cultureLes Récréâtrales : le théâtre africain dans sa diversité et ses difficultésentretien avec Etienne Minoungou, par Julien Truddaïu

22introspectusAide au développement : qui aide qui au nom de quoi?par Oumou Zé

23pas au sud, complètement à l’ouestHypocondriaque mais indispensable!par Gérard Manréson

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ARNAUD ZACHARIESecrétaire général du CNCD-11.11.11

Gouvernement papillon :Budget gelé mais

plus de cohérence ?

03édito

Après 541 jours de négociations, la Belgique a enfin accouché d’un nouveau gou-vernement. Si beaucoup d’encre a coulé au sujet du nouveau-né, peu a été ditconcernant le volet de la déclaration gouvernementale dédié à la coopération au développement.

La déclaration commence par une mauvaise nouvelle : le gel de la croissance descrédits en 2012 et 2013, ce qui implique une baisse de 10% de l’aide belge audéveloppement entre 2010 et 2012. En 2010, la Belgique y avait consacré presque2,3 milliards EUR, 0,64% de son revenu national brut (RNB). Toutefois, ce montantavait été gonflé par la comptabilisation de l’allégement de la dette congolaise qui,par définition, ne pouvait se répéter. Cela devrait donc limiter l’impact budgétairesur les programmes en cours. Par ailleurs, la note réaffirme l’objectif de 0,7% duRNB qui ne serait ainsi que limité « temporairement en raison de circonstancesbudgétaires exceptionnelles ».

Sur le contenu, le gouvernement s’engage à réaliser la refonte de la loi belge surla coopération internationale qui date de 1999 et nécessite d’être adaptée aux nou-veaux enjeux. Il est également prévude « mettre en place une conférenceinterministérielle des politiques dedéveloppement en vue d’une meil-leure cohérence ». Cet élément esttout particulièrement important, tantil est avéré que les politiques de coopération au développement ne sont qu’uncanal parmi d’autres des politiques internationales de financement du développe-ment : le commerce, les investissements, les politiques migratoires ou environne-mentales sont autant de politiques qui ont un impact majeur. C’est pourquoi l’en-jeu de la cohérence est devenu crucial. Une telle conférence interministérielleserait dès lors une avancée institutionnelle majeure pour l’efficacité des politiquesbelges de coopération internationale.

En ce qui concerne les acteurs de la coopération belge, le nouveau gouvernementreconnaît l’autonomie des ONG et désire améliorer la coordination entre l’admi-nistration (la DGD), l’agence chargée de mettre en œuvre les projets de dévelop-pement gouvernementaux (la CTB) et l’agence chargée de promouvoir les inves-tissements privés dans les pays en développement (BIO). L’amélioration de lasynergie entre les trois organes de la coopération gouvernementale s’avère indis-pensable, tant le problème a été soulevé par plusieurs évaluations externes aucours de ces derniers mois. Le fait que le gouvernement annonce lancer une éva-luation spécifique de BIO est à cet égard très positif, tant cette agence, dont lebudget n’a cessé d’augmenter ces dernières années pour atteindre plus de 120millions EUR, fait preuve d’un manque de transparence, n’hésitant pas à financer

des investissements transitant par desparadis fiscaux ! S’il y a des économiesà faire à court terme, c’est certaine-ment à ce niveau qu’il faudrait les réali-ser en priorité.

Enfin, la déclaration cible l’importancede la lutte contre la faim, en luttantcontre la spéculation alimentaire et ensoutenant l’agriculture familiale. Legouvernement annonce également vou-loir poursuivre le programme d’allége-ment de la dette des pays pauvres et delutter activement contre les « fondsvautours », ces fonds d’investissementprivés qui rachètent des dettes de paysen développement à prix cassés, pour

les contraindre ensuite par voie judi-ciaire à rembourser ces créances auprix fort.

En définitive, malgré un gel du budget,les deux années et demi de législaturequi s’annoncent offrent de réellesopportunités d’améliorer l’efficacité dela politique belge de coopération inter-nationale. À condition que les engage-ments pris dans la déclaration soientrapidement concrétisés.

« L’ENJEU DE LA COHÉRENCE DES POLITIQUES POUR LE DÉVELOPPEMENT EST DEVENU CRUCIAL

POUR L’EFFICACITÉ DU DÉVELOPPEMENT »

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04actu

Il y a un an, un illustre inconnu, Mohamad Bouazizi, s’immo-lait par le feu en dénonciation de la déshérence socio-éco-nomique et de la répression policière en Tunisie, déclenchantune vague de rébellions dans plusieurs pays du Maghreb etdu Moyen-Orient. Totalement inattendu parce que les diplo-maties occidentales et les dirigeants locaux imaginaient unmonde arabe figé dans son archaïsme religieux et politique etdans son immobilisme socio-économique, le Printempsarabe est devenu aujourd’hui une réalité presque banale,gérée par les ténors de la communauté internationale au tra-vers de quelques ajustements. Or, l’ensemble de ces ajuste-ments ne semble pas à la hauteur des défis et des enjeuxdécoulant du phénomène et tend plutôt à reproduire les pra-tiques antérieures. D’où nécessité d’une réflexion critique.

Deux poids, deux mesures?Le premier élément qui ne peut manquer d’interpeller estl’adoption de logiques différenciées dans les réactions auxdiverses situations, en matière d’intervention notamment.Ainsi, à l’invocation de la responsabilité de protéger dans le

contexte libyen pour recourir à la force, s’oppose la mollesseface aux bains de sang en Syrie et au Yémen. Il ne s’agitcertes pas de préconiser un recours systématique à la force,d’autant plus que l’on sait que le bilan humain de la guerre enLibye est élevé, mais de souligner la nécessité de soustrairela notion de responsabilité de protéger à une instrumentali-sation qui la décrédibilise en la faisant passer pour un pré-texte dont usent les plus puissants lorsqu’ils trouvent un inté-rêt particulier à intervenir ici ou là, tout en fermant les yeuxsur d’autres situations parfois criantes, comme en Palestine.

Se pose aussi la question des différences d’attitude par rap-port aux régimes qui ont usé de la force pour museler. Le casle plus illustratif est celui de Bahreïn, hôte de la Ve flotte amé-ricaine, où la répression a fait de nombreuses victimes civileset jeté des centaines d’opposants en prison, ceci sans véri-table condamnation. S’en dégage cette impression cynique,vérifiée en Tunisie et en Egypte, que ce n’est que lorsqueleurs alliés perdent toute chance de se maintenir au pouvoir,que les chantres de la démocratie prennent acte de la volonté

La « Communauté internationale » adapte-t-elle sa politique à la nouvelle donne au Maghreb et au Moyen-Orient. Pour la chercheuse Elena Aoun, un an après le début duPrintemps arabe, elle ne semble pas à la hauteur des défis etdes enjeux et tend plutôt à reproduire les pratiques antérieures.

Printemps arabe

Continuité ou rupture ?

ELENA AOUNMaître d’enseignement et chercheuse ULB / FUNDP

Antoine Walter 2011

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05actu

humains sont les leitmotive des insurgés et de la commu-nauté internationale. Or, ce triptyque est fortement ancrédans le dogme de « la paix libérale » qui s’est imposé dansl’après-Guerre froide comme recette standard dans les situa-tions de transition. Articulée autour d’un volet politiqueconsacrant souvent une place centrale à l’exercice électoralet un volet économique assimilant ouverture des marchés etprospérité, cette approche a été promue avec des résultatstrès mitigés dans plusieurs pays de l’espace ex-soviétique,dans des pays se relevant de guerres civiles ou hybrides, ouencore en Afghanistan et en Irak dans la foulée des interven-

tions américaines. Les bailleurs de fonds étant, pour l’essen-tiel, des pays occidentaux pénétrés de cette doxa libérale etdes institutions internationales largement dominées par cesmêmes pays, la marge de manœuvre des récipiendaires estgénéralement faible même si, pour préserver le soutien finan-cier de leurs alliés, ils s’en accommodent. Or, l’on reconnaîtaujourd’hui, notamment dans certains milieux académiqueset chez nombre d’acteurs du développement, que cetteapproche libérale n’est pas une panacée. Dans son volet poli-tique, elle pose le problème de l’appropriation par les popu-lations concernées de pratiques politiques exogènes, et doncartificielles. Dans son volet économique, elle soulève uneinterrogation majeure : le rôle de la libéralisation économiquedans la fragilisation des populations.

Un contexte de criseSans vouloir suggérer que le Printemps arabe résulte d’unecause unique, il convient de souligner qu’il intervient dansune période de crise financière globale née dans les paysdéveloppés dans un contexte où le « tout libéral » avait étépromu tous azimuts. Les ramifications de cette crise ont pré-cipité une part croissante de la population mondiale dans laprécarité, le chômage et la déshérence sociale. Dès lors, ildevient nécessaire de repenser les fondamentaux du sys-tème et ceux de l’assistance des pays du Nord en directiondes pays en développement ou en transition. Les recettesanciennes risquent de reproduire les inégalités et les fragili-tés qui ont poussé à la révolte plusieurs peuples arabes. Or force est de constater que, en dépit d’approches qui

des peuples. Ici encore, l’équilibre n’est guère évident à trou-ver entre intérêts, principe de non-ingérence, et des diplo-maties en phase avec les valeurs qu’elles se disent défendre.Néanmoins, la perpétuation d’une dissonance entre rhéto-rique et pratique ne peut qu’éroder la crédibilité et la légiti-mité du discours libéral qui domine la scène internationale etde ses promoteurs. En outre, elle conduit à s’interroger surl’étendue de l’enseignement retiré des bouleversements del’année qui s’achève. En soi, la chute de Ben Ali, deMoubarak et de Kadhafi devrait amener à revoir en profon-deur les stratégies d’alliance et de coopération avec desrégimes répressifs. Or le soutien accordé àde tels régimes se pérennise. D’ailleurs,même dans les pays en transition, la tenta-tion pourrait être forte pour la communautéinternationale de fermer les yeux sur denouveaux abus – le Conseil national detransition (CNT) et l’armée égyptienne enont déjà à leur actif – pourvu que se mette vite en place unrégime avec lequel traiter et qui donnerait des gages enmatière de stabilité et d’« Islam modéré ».

Quelle place pour l’Islam?D’ailleurs, cette dernière préoccupation semble constituerl’horizon indépassable des grilles de lecture occidentales àl’égard des révolutions arabes en raison des multiples rac-courcis qui, au fil des décennies, ont consacré dans lesesprits une équation entre islam et terrorisme.Traditionnellement, c’est la capacité des régimes répressifs àcontenir les mouvements islamistes qui avait contribué à leurassurer la complaisance de l’Occident. Or, sans nier lesdérives – euphémisme bien sûr – de la révolution islamiqueiranienne ou du régime des Talibans en Afghanistan, l’histoiredu bilan politique de partis islamiques démocratiquement élusreste encore à écrire puisque chaque expérience a été étouf-fée dans l’œuf, par les armes en Algérie, après la victoire duFIS en 1992, diplomatiquement en Palestine, après la victoiredu Hamas en janvier 2006.

Vers une « paix libérale »?Au-delà de l’impératif de surmonter les préjugés accumuléset de laisser aux populations arabes le soin de trouver denouvelles équations politiques (processus qui s’est étalé, enOccident, sur plusieurs siècles), se pose une question cru-ciale et pourtant rarement abordée : quel type de régime éco-nomique et sociétal les pays en transition seront-ils encoura-gés à mettre en place? Certes, liberté, démocratie et droits

« CE N’EST QUE LORSQUE LEURS ALLIÉSPERDENT TOUTE CHANCE DE SE MAINTENIR AU POUVOIR, QUE LES CHANTRES DE LA DÉMOCRATIE PRENNENT ACTE DE LA VOLONTÉ DES PEUPLES. »

Denis Bocquet 2011

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se veulent « compréhensives », concertées avec les nou-velles autorités et coordonnées au niveau des multiples bail-leurs de fonds, en tête desquels l’Union européenne, l’accentreste mis sur la libéralisation des marchés et la promotion del’entreprise privée. Cela transparaît très clairement dans lesconclusions de la première réunion de la Task Force Tunisie-Union européenne qui s’est déroulée à Tunis, les 28 et 29

septembre 2011 et envisage « une intégration progressive ausein du marché intérieur de l’Union européenne au traversnotamment un processus de rapprochement législatif etréglementaire ». La démarche s’attache aux mêmes pré-ceptes que précédemment, sans qu’une réflexion soit menéesur les retombées d’un tel processus en matière de justicesociale. La corruption a bon dos : rendue responsable detous les maux socio-économiques qui ont conduit auxrévoltes, elle permet de faire l’économie d’une remise enquestion fondamentale.

Or les risques ne sont pas à apprécier uniquement au regardde ces révoltes, mais aussi au regard des tensions que viventles pays développés : Irlande, Portugal, Espagne, Italie, Israëlet bien sûr la Grèce… Le 15 octobre 2011, des milliersd’« Indignés » se sont exprimés dans des dizaines de pays àtravers la planète contre ce qu’ils perçoivent comme unealliance objective entre les pouvoirs politiques et la finance.

Les contextes politiques ont beau être diffé-rents, le parallèle entre ces mobilisations etles révoltes arabes n’a pas manqué d’êtrefait, et ne manque pas de pertinence. Aumoment où l’Occident libéral connaît une

crise sans précédent, où la « raison » des gouvernementsl’emporte sur la volonté des peuples, le défi de la remise surpied des pays en transition est démultiplié. Non seulement lemodèle de la démocratie se trouve malmené et les deniersrisquent de manquer mais si elles n’étaient pas repensées aufond, les approches en matière d’assistance pourraientconduire à de nouveaux échecs.

Sur ce sujet, Elena Aoun est l’auteure d’une contribution intitulée « DuMoyen-Orient à l’Afrique du Nord : Le temps des révolutions? », parue ennovembre 2011 dans Michel Fortmann, Gérard Hervouet et Albert Legault(dir.), Les conflits dans le monde 2011, Laval, Institut québécois deshautes études internationales et Presses de l’Université Laval.

« LE PARALLÈLE ENTRE LES MOBILISATIONSDES INDIGNÉS ET LES RÉVOLTES ARABES NE MANQUE PAS DE PERTINENCE »

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Je ne suis pas un adepte inconditionnel des différents mou-vements « occupy » et autres « indignés ». Le refus systéma-tique d’organiser le mouvement autour d’un cahier de reven-dications précis, de désigner des porte-parole, le culte de ladémocratie directe et permanente, le recours excessif auxformes d’organisation spontanées et « en réseau », un cer-tain « refus du politique », tout cela me porte à craindre quemalgré des slogans on ne peut plus justes (nous sommes les99%!) et pertinents dans cette phase d’austérité antisocialeque veulent nous imposer les marchés financiers – ceux-làmêmes qui ont plongé le monde dans la crise et qui n’ont étésauvés que par l’intervention des États –, le mouvementrisque de s’essouffler à brève échéance sans avoir obtenudes avancées concrètes.

Pourtant, un scoop du mois de novembre de la chaîne d’infor-mation états-unienne MSNBC me porte à nuancer mon juge-ment. Le cabinet de lobbying Clark Lytle Geduldig & Cranford,dont deux des dirigeants sont d’anciens attachés parlemen-taires du Républicain John Boehner, président de la Chambredes représentants à Washington D.C., a proposé un pland’action en 4 pages à l’« American Bankers Association »,l’Association de l’industrie bancaire états-unienne, pour lasomme modique de 850.000 dollars.

Selon les lobbyistes, « si on laisse le fait de vilipender lesentreprises majeures du secteur devenir un axe non contestéd’une stratégie de campagne coordonnée des Démocrates,alors cela aurait le potentiel de créer des impacts politiqueset financiers durables sur les entreprises visées ». Le phéno-mène risque d’être d’autant plus explosif plus tard dans l’an-née lorsque les médias couvriront « la prochaine vague debonus et la contrasteront avec les histoires de millionsd’Américains qui devront se contenter de moins pendant lapériode des fêtes ».

Certes, poursuivent les lobbyistes, il est facile de négligerOWS (Occupy Wall Street) en tant que groupe hétéroclite deprotestataires, mais « ils ont démontré qu’ils devraient plutôtêtre traités comme un concurrent organisé, qui est très souple

et capable de travailler avec les médias, de coordonner le sou-tien de tierces parties et de dialoguer avec des responsablespolitiques pour que ceux-ci fassent ce qu’ils souhaitent ».

C’est pourquoi le cabinet de lobbying propose un vaste pland’action pour contrer OWS. Il s’agit notamment de réaliserune « opposition research » détaillée, afin d’identifier les lea-ders et les principaux soutiens financiers du mouvement etd’exploiter tout ce qui pourrait mettre en doute leur intégritépersonnelle. La transparence du mouvement sur les diffé-rentes plateformes de médias sociaux (Facebook, Twitter etautres) constitue également pour les lobbyistes une excel-lente opportunité, non pas pour contrer directement sur cesmédias les arguments de OWS, mais plutôt pour anticiper etcontrer les prochaines évolutions du mouvement.

Enfin, les lobbyistes reconnaissent que les entreprisesvisées par le mouvement ne sont probablement pas les meil-leurs porte-paroles de leurs intérêts dans le contexte pré-sent. Il faut donc construire une coalition la plus large possi-ble qui permettrait de faire porter le message politique quiconvient aux grandes firmes de Wall Street par d’autres queces grandes firmes elles-mêmes, qui soit capable de démon-trer que s’attaquer à ces grandes firmes reste porteur degrands coûts politiques et d’offrir protection aux responsa-bles politiques qui continuent à défendre Wall Street.

On notera que l’« American Bankers Association » a reconnuavoir reçu cette proposition, mais affirme l’avoir refusée. Ce que nous ne savons pas en revanche c’est si d’autres pro-positions du même acabit, peut-être plus efficaces ou plusambitieuses, ont été acceptées…

Un cabinet de lobbying a proposé à l’association des banques états-uniennes un plan d’action pourcontrer le mouvement Occupy WallStreet, notamment en prévision de « la prochaine vague de bonus »…

Un plan d’action contre Occupy Wall Street ?

ANTONIO GAMBINI,Chargé de recherche, CNCD-11.11.11

07petites histoires

de gros sous

David Shankbone 2011

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08regard surle monde

Lutter contre le travail

des enfants :oui, mais…

Souvent, on attend de celui qui parle du travail des enfants qu’il le condamne par automatisme mais le travail des enfants renvoie à une variété infinie desituations singulières qui s'inscrivent dans des contextesspécifiques à chaque société et à chaque communauté.

Parler du travail des enfants n'est pas une mince affaire. Il ne constitue pas une occu-pation homogène. Il se décline de multiples façons. Il peut être contraint ou choisi,réalisé dans sa famille ou pour un tiers, rémunéré ou non payé, visible ou caché, par-tiel ou à temps plein. L’enfant peut être scolarisé ou non, isolé ou vivant dans safamille, travaillant à son compte ou pour celui d’un employeur, exploité ou bien traité.

Dès lors, quand on dit être « contre » le travail des enfants, qu’est-ce que celasignifie? Vise-t-on l’interdiction pure et simple de toutes les formes de travail desenfants, ou de celles considérées comme « inacceptables »? Dans ce dernier cas,il en découle qu’il existerait des « bonnes » et des « mauvaises » formes de travail.Mais alors, où placer la ligne de partage? On se rend compte que le consensus quiexiste autour de l’opposition de principe au travail des enfants s’effrite rapidementlorsque l’on s’intéresse de près au phénomène.

Un concept made in EuropeUne condamnation systématique pose aussi question au regard de l’histoirecontemporaine des pays industrialisés. Le concept de travail des enfants est unconcept made in Europe. Lors de la révolution industrielle, l’enfant était un acteurclé de la sphère productive doté d’une valeur économique. La crainte de bien desfamilles était alors moins la surcharge que la pénurie de travail pour l’enfant. Cen’est que par la suite que le mouvement en faveur de l’éducation obligatoire acontribué à faire reculer le phénomène dans les pays industrialisés.

Ce saut de puce dans l’histoire pour se rappeler que les conceptions de l’enfanceet du travail sont situées dans le temps et l’espace. Aujourd’hui, dans nos sociétésoccidentales, l’enfance est désormais perçue comme une période à haut risque quinécessite la protection de la part du monde adulte. Elle est considérée comme unepériode d’insouciance, d’apprentissage et d’absence de contraintes. En réaction,le travail des enfants est considéré comme un fléau et l’enfant travailleur commeune victime. L’école et la famille sont les seuls lieux de socialisation valorisants et structurants.

Cet idéal type répond aux normes culturelles de l’Occident. Malgré son caractèretrès « relatif », cette construction sociale tend néanmoins à s’imposer depuis plu-sieurs décennies comme une référence à caractère universel, ce qui ne va pas sansposer problème. En effet, cette opinion dominante, répercutée par les conventions

internationales et les codes nationauxdu travail, apparaît pour certains acteurscomme un « produit d’importation ». Latechnicité, la langue, l’esprit des textescréent un décalage abyssal entre leslégislations et la réalité des individus.Les traités ont beau être signés par lamajorité des nations, en tout cas parleurs hauts représentants, ils ne fontpas l’unanimité.

Les limites des conventionsTout d’abord, se pose la question de lapertinence à donner à ces conventions.Prétendre à une vision globale de l’en-fance et apporter des solutions « clésen main » n’est-il pas déraisonnable auregard de la complexité du phénomèneet des contextes dans lesquels il s’ins-crit? L’interdiction systématique du tra-vail des enfants est-elle une solutionadéquate? Contribue-t-elle à « l’intérêtsupérieur » de l’enfant tel que prôné parla Convention des droits de l’enfant? Eneffet, si certaines formes de travail sonten violation avec les droits de l’enfant,d’autres ne le sont pas. Et dans la plu-part des cas – ce qui complique évidem-ment l’élaboration des solutions – le tra-vail des enfants comporte à la fois desaspects positifs et négatifs et peuventdonc « être nuisible et bénéfique au dé-veloppement et au bien-être de l’en-fant ». Que faire alors? Une approchecirconstanciée apportant des réponses

AURÉLIE LEROYCETRI –Centre Tricontinental

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09regard sur

le monde

différentes à des enfants et des formesdifférentes de travail ne pourrait-elle pasêtre une alternative crédible?

Ensuite, les principales conventions re-latives au travail des enfants1, malgréles avancées indéniables dont elles sontà l’origine, témoignent néanmoins d’unmanque d’efficacité. Les normes inter-nationales, bien que contraignantes,sont souvent inappliquées : pas de vo-lonté politique, pas de budget, pas d’ins-pection du travail. De plus, faute d’adé-quation avec la réalité et pour desraisons opératoires, elles excluent unemajorité d’enfants travailleurs du champd’application des législations.

Les « exclus » de la lutte contre le travaildes enfantsLe monde compterait à ce jour 215 mil-lions d’enfants travailleurs. Cette esti-mation est en réalité largement sous-estimée en raison du manque de préci-sion qui entoure l’expression « travaildes enfants ». Jusqu’il y a peu, uneconception industrielle et urbaine dutravail des enfants dominait, contribuantà minimiser et à mal appréhender le tra-vail infantile, en particulier dans le do-

maine agricole alors qu’environ 70%des enfants y travaillaient. A cela venaits’ajouter la fausse idée, démentie de-puis, selon laquelle le travail familialdans ce secteur ne pouvait être néfasteaux enfants.

Pour continuer à être « fonctionnel etefficace », le principal organisme en ma-tière de lutte contre le travail des en-fants – l’Organisation internationale dutravail (OIT) – a dressé une série de cri-tères, tels que l’âge ou la dangerosité dutravail pour identifier les enfants travail-leurs qui devaient être protégés. L’OIT aestimé également que pour « rentrer

« LES CONCEPTIONS DE L’ENFANCEET DU TRAVAIL SONT SITUÉES

DANS LE TEMPS ET L’ESPACE »

© OIT

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dans les conditions » l’enfant devait réaliser une « activité économique ». La légiti-mité de ce critère pose question. Dans les faits, il contraint à laisser sur le carreauune masse innombrable d’enfants qui réalisent des tâches domestiques au sein dela famille, ou qui sont actifs dans l’entreprise ou l’agriculture familiale. La sphèrefamiliale est-elle censée protéger les enfants des effets néfastes du travail? On ai-

merait y croire, mais l’exploitation intrafamiliale n’est malheureusement pas une ex-ception. Une prise de conscience s’est fait jour toutefois parmi les principaux in-tervenants qui tentent depuis de réduire l’écart entre réalité supposée et celleexistante. L’OIT cherche ainsi à étendre son champ de compétence à l’économie in-formelle, à réagir à la prégnance du travail des enfants dans l’agriculture ou à met-tre sur pied de nouveaux indicateurs pour tenter d’évaluer l’impact du travail des en-fants au sein des familles.

Quelles solutions?Le travail des enfants n’est pas un phénomène isolé. Ce n’est pas une niche d’ex-ploitation bien délimitée que la marche du développement aurait tôt fait de faire dis-paraître. Il fait partie d’un « tout » qu’il est difficile de déchiffrer, tant les dimensionsqui le composent, les stratégies en présence et les dynamiques qui l’affectent sontmultiples et parfois contradictoires.

Les motifs économiques sont déterminants dans la mise au travail précoce. Lesréalités locales – les revenus insuffisants d’un ménage – ou plus globales – la pau-vreté de certaines nations – sont parmi les principaux facteurs qui poussent lesenfants au travail et sont à mettre en relation avec les logiques politiques et éco-nomiques de modèles de développement et de rapports Nord-sud inégalitaires.

Le climat de récession et la crise économique qui frappent le monde actuellementont ainsi une incidence directe sur l’élévation des niveaux de pauvreté et par ricochetsur le travail des enfants – en particulier dans les pays à bas revenus. D’autres fac-teurs liés aux transformations et reconfigurations des « sociétés du Sud » (déplace-ments migratoires liés à l’instabilité politique, relâchement des liens sociaux et dés-tructuration des familles, etc.) interfèrent également sur le phénomène.

Néanmoins, dans ce contexte et malgréles contraintes extérieures, le travail desenfants peut résulter aussi d’initiativesprises par l’enfant lui-même. L’espoird’une vie meilleure, la participation oul’autonomie financière, l’estime de soisont des éléments qui peuvent attirer lejeune vers le travail, même si celui-ci neconstitue pas un « premier choix ».

Dès lors, pour que les politiques d’inter-vention aient un impact véritable, il estnécessaire à la fois de s’attaquer auxcauses structurelles qui « produisent »le travail des enfants, mais aussi deprendre en compte la parole, les straté-gies et les choix rationnels et raisonnésdes jeunes. Sans cela, toute tentativepour améliorer leurs conditions d’exis-tence risque d’être vaine et inadaptée.

1/ La Convention des droits de l’enfant de 1989, la convention 138 sur l’âge minimumd’admission à l’emploi et la convention 182 sur les pires formes de travail des enfants.

« LE TRAVAIL DES ENFANTS COMPORTE À LA FOIS DES ASPECTS POSITIFS ET NÉGATIFS »

10regard surle monde

Contre le travail des enfants ?Alternatives Sud (2009), Paris/LLN,Syllepse, Cetri.Un livre coordonné par Aurélie LeroyDisponible en librairie ou sur www.cetri.be

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achACT, parce

que nous sommes

tous des travailleurs

Depuis le mois de septembre, ne ditesplus Campagne Vêtements propres mais bien achACT. Quinze ans après sa création, la Campagne Vêtementspropres, versant belge francophone de la Clean Clothes Campaign au niveauinternational, change d’appellation et prend le nom d’achACT – ActionConsommateurs Travailleurs. Après avoirpassé au crible les conditions de travaildans le secteur de l’habillement, la plate-forme élargit son domaine de travail à d’autres secteurs (électronique, sport,jouets) mais son objectif reste le même :« informer le consommateur, individuelou collectif, sur les pratiques desenseignes à qui il achète » et « casser la schizophrénie qui fait que quand on est consommateur, on oublie le travailleur derrière le produit, alorsqu’on est soi-même travailleur. »

MICHEL CERMAKChargé de recherche, CNCD-11.11.11

FRÉDÉRIC LÉVÊQUEdlm – demain le monde, CNCD-11.11.11

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Alexandre Seron 2007

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Nous sommes à la fin des années ’80,plusieurs scandales éclatent et attirentl’attention de l’opinion publique sur lesfilières de production des vêtements.Des entreprises comme C&A et Levi’ssont pointées du doigt. La premièreexploite des enfants en Inde, la secondeimporte dans des conditions inhu-maines des travailleurs chinois pour sesusines du Pacifique. Parallèlement, desmouvements féministes tentent de serassembler autour de revendications

communes, comme des meilleures conditions de travail dans des secteurs où lesfemmes constituent la majorité de la main d’œuvre ouvrière. « De là est donc néel’idée de renforcer ces travailleurs qui se mobilisaient dans les usines du Sud eninterpellant les clients de l’usine, à savoir les grandes marques et les grands distri-buteurs, au Nord », explique Carole Crabbé, d’achACT.

achACT, c’est l’acronyme pour Action Consommateurs Travailleurs, une organisationqui a vu le jour le 20 septembre dernier. Mais achACT n’est pas une organisation deplus du paysage associatif belge, c’est en réalité le nouveau nom d’une plateformeforte de plus de 15 ans d’expérience dans l’interpellation des enseignes du textile surles conditions de travail dans leur filière d’approvisionnement. Elle se faisait appelerjusque-là « Campagne Vêtements propres » (CVP). Vivant avec son temps, la cam-pagne s’offre aujourd’hui une nouvelle jeunesse et entend agir sur d’autres secteurs.Nous avons rencontré Carole Crabbé, sa coordinatrice depuis le début, pour dres-ser un bilan non exhaustif de la Campagne et discuter des projets d’avenir d’achACT.

Sur base de quel constat avez-vous décidé de travailler sur les filières du vêtement et de lancer la CVP ?Fin des années ’80, SOMO, un centre néerlandais de recherches sur les multina-tionales, a fait le constat suivant : les multinationales, jusque-là identifiées commeun ensemble « maison mère et filiales », sont en fait bien plus internationales qu’iln’y paraît. Leurs filières d’approvisionnement, fournisseurs et sous-traitants sontéclatés aux quatre coins de la planète. Mais ce sont bien les grands distributeurs –les marques que nous connaissons – qui conservent un pouvoir économique qua-siment absolu sur ces filières vu leur taille toujours plus grande face aux petits pro-ducteurs. Ils peuvent décider des prix et des délais de livraisons, donc de facto dessalaires et conditions de travail, mais n’assument aucune responsabilité sociale surce qui se passe dans les usines qui produisent pour eux. Pourtant c’est souvent làque l’on constate les conditions de travail les plus déplorables. Donc, SOMO éta-blit le concept de responsabilité, non plus simplement d’entreprise, mais de filière.

C’est donc lancé aux Pays-Bas mais quid de la Belgique?SOMO crée au milieu des années ’90 la Clean Clothes Campaign. Le mouvementgrandit très vite, multiplie les partenariats avec des mouvements sociaux dans les pays de production et cherche rapidement à s’européaniser. Dès 1996, laSchone Kleren Campagne et la Campagne Vêtements Propres sont lancées paral-lèlement en Belgique. La CVP est initialement lancée par Oxfam Magasins duMonde (MdM). C’était avant tout une plateforme rassemblant syndicats, ONG,

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organisations de consommateurs et de commerce équitable. Au départ,nous avions 42 organisations intéres-sées, nous en sommes aujourd’hui àun noyau dur et actif de 25.

Quels sont vos moyensd’action?En Belgique, nous avons démarré avecun projet de tribunal permanent despeuples sur le droit des travailleursdans les filières, avec des témoignagesde travailleurs venant de sept usinesproduisant pour sept marques interna-tionales (Disney, Nike, Levi’s, H&M,Adidas, C&A et Otto-Versand) quiétaient bien sûr invitées. Seule H&Mest venue.

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Parmi nos modes d’action, il y a ce quenous appelons les appels urgents : cesont des mobilisations en réactionimmédiate à une violation grave desdroits des travailleurs signalée par unpartenaire du Sud. On ne sait jamaisquand ça va tomber ni combien detemps ça va durer. Ça demande beau-coup de flexibilité, ce qui n’était pastoujours compatible avec une grandestructure comme Oxfam MdM. Donc,en 2004, la Campagne a pris son auto-nomie par rapport à Oxfam, mais avecson soutien. L’autonomie nous a permisd’essayer autre chose, par exemple :contacter directement un syndicat pour que ses délégués travaillant chez un distributeur l’interpellent directe-

ment sur un appel urgent. Ça ne fonctionne pas toujours mais on a de nombreuxexemples positifs.

Tu peux illustrer une de ces réussites?Il y a par exemple le cas de l’effondrement de l’usine Spectrum au Bangladesh en2005 qui a fait 60 morts et 80 blessés. Deux entreprises en Belgique étaientclientes de cette usine : Carrefour et les t-shirts B&C. On les a contactées direc-tement pour relayer les premières demandes très concrètes des organisations detravailleurs de l’usine : financer les bulldozers pour rechercher des survivants.Face à une réponse révoltante de Carrefour, on a contacté les délégués syndicauxde l’entreprise. Cela n’a pris que quelques jours avant qu’il y ait une première inter-pellation en conseil d’entreprise en Belgique, puis au niveau européen.Récemment, un fonds d’assistance aux victimes a enfin été mis en place, partiel-lement financé par les entreprises clientes.

Comment les entreprises réagissent à vos interpellations?Au début des années ’90, après les premiers grands scandales viennent les pre-mières prises de position de grandes entreprises sur leur responsabilité sociale, quiconsistent en de simples codes de conduite, vite oubliés dans un tiroir. Ce com-portement existe encore aujourd’hui mais de plus en plus d’entreprises, grandes etpetites, établissent des codes de conduites sérieux, des systèmes de contrôle crédibles et une réelle participation des travailleurs. La Campagne a clairement

contribué à ce changement, en interpellant les entreprises, en proposant des codesde conduite de référence ou en démontrant en quoi de simples audits sociaux neservent à rien, par exemple.

Ces codes de conduite empêchent-ils les abus?Là où il reste encore un énorme travail à réaliser, c’est de réussir à changer juste-ment les pratiques qui mènent inévitablement aux abus. Tant qu’on ne touchera pasaux systèmes de fixation des prix (voir encadré) qui ne tiennent toujours pascompte d’un salaire minimum vital, de plafonds en nombre d’heures prestées parsemaine, tant que les acheteurs professionnels des grandes marques recevrontdes bonus substantiels quand ils parviennent à réduire un coût ou un délai de pro-duction, les mêmes causes provoqueront les mêmes effets : des travailleurs surex-ploités et sous-payés au bout de la chaîne de production, loin de nos rues com-merçantes. C’était d’ailleurs le thème de notre campagne « Meilleur marché »menée en 2009.

Pourquoi vouloir élargir votre travail au-delà du vêtement?Avec les années, on s’est progressivement intéressé à l’électronique, aux jouets,aux vêtements de sport dont les industries sont assez similaires à celles de l’habil-lement : grandes marques en positions dominantes, processus de production écla-tés à l’échelle mondiale, délocalisations rapides, majorité de travailleurs femmes

« QUAND ON EST CONSOMMATEUR, ON OUBLIE LE TRAVAILLEUR DERRIÈRE LE PRODUIT, ALORS QU’ON EST SOI-MÊME TRAVAILLEUR »

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Difficultés de financement et de compréhensionachACT et la Clean Clothes Campaign européenne traversent une période difficile en termes de financement. En Belgique, achACT vient de se voir refuser le statut d’ONG et les possibilités de financement qui l’accompagnent parce que, d’après le ministrede la Coopération en poste jusqu’en 2011, ce que fait achACT n’est pas de la coopération au développement. La coordination internationale basée aux Pays-Bas rencontre le même type de difficultés.

Ceci illustre bien la difficulté à faire comprendre et reconnaître ce mode d’action « novateur » qui fait pourtant ses preuves depuisplus de 15 ans en agissant concrètement sur la vie de travailleurs dans des pays considérés comme en voie de développement, non pas en se substituant à leur gouvernement mais simplement en agissant directement sur l’impact que nos comportements iciou sur leurs conditions de vie là-bas, en se basant toujours sur des mobilisations initiées par eux.

La relation producteur-distributeur

Les enchères inversées ou les travailleurs en soldesQuand vous achetez un objet enseconde main sur eBay par exemple, il y a en général un vendeur et plusieursacheteurs potentiels et celui quiemporte l’objet est celui qui sera prêt à payer le plus. Les enchères inversées,pratique courante dans le secteur del’habillement, c’est un peu pareil. Saufque ça se passe sur des plateformesspécialisées. Une grande marquemondiale – il y en a quelques dizaines –y place aux enchères une commandepour un certain nombre de vêtementsque des milliers de producteurs sedisputent au rabais. Tout ça se fait biensûr sans aucun prix plancher quipourrait correspondre au salaire horaireminimum vital multiplié par le nombred’heures de travail que nécessite lacommande. L’emportera celui qui estprêt au plus de sacrifices en termes desalaires et de conditions de travail. Pour cette fois, et jusqu’à la prochaineenchère. Ces pratiques, qui sontsymptomatiques d’un monde et desvaleurs qui le dominent, sont couranteschez Carrefour ou Trafic, par exemple.

et migrants. De plus, beaucoup de nos partenaires dans les pays de production sontdéjà actifs dans ces filières-là, nous avions donc déjà accès à une bonne partie duréseau dont nous aurons besoin pour travailler sur ces nouveaux thèmes.

La situation du droit des travailleurs est différente dans ces autres secteurs?Nous avons aussi pu constater l’énorme différence qu’il y a aujourd’hui entre lessecteurs : dans la mode, après 15 ans de travail, on obtient aujourd’hui presquetoujours une réponse, même si elle n’est pas toujours satisfaisante. Par contre, lesconstructeurs automobiles, par exemple, ne se donnent même pas la peine derépondre. Il y a donc un travail à faire pour conscientiser les entreprises, secteurpar secteur, sur leurs responsabilités. On s’attaque donc aux quelques secteursqui sont aujourd’hui au cœur des campagnes marketing, des budgets shopping,des désirs suggérés et des besoins créés, en cassant la schizophrénie qui fait quequand on est consommateur on oublie le travailleur derrière le produit, alors qu’onest soi-même travailleur.

achACT pour Action Consommateurs Travailleurs. Pourquoi ce nom ? À qui cela s’adresse-t-il?Il fallait bien trouver un nom [rires]. C’est un nom qui répond à l’ouverture à de nou-veaux secteurs et qui a en plus l’avantage d’être dynamique. achACT s’adresse à sesorganisations membres et tient à ne pas se substituer à elles, chacune ayant sonpublic et ses propres moyens pour le toucher. Le concept vise des interlocuteursdivers, particulièrement les citoyens dans leurs dimensions de consommateurs et detravailleurs, à l’échelle individuelle et collective, et les invite à devenir achACTeurs.

L’idée très à la mode qu’on peut agir sur le monde par sa consommation!On a facilement tendance à réduire un mouvement comme le nôtre à une fonctionde conseil adressé au consommateur individuel à qui on dirait ce qu’il peut ou nepeut pas acheter. Mais cet aspect n’est qu’une partie infime de ce qu’on fait, etencore ce n’est pas exactement ça. On vise surtout à informer ce consommateur,individuel ou collectif, sur les pratiques des enseignes à qui il achète. Par contre,on n’est pas en position d’affirmer qu’une entreprise est parfaitement responsableet qu’une autre ne l’est pas. On n’a pas accès à toute l’information. On reste trèsdépendant de ce que l’entreprise veut bien nous dire et, malgré les contacts avecdes travailleurs locaux, on ne peut prétendre avoir une vision exhaustive de l’impact social global de l’entreprise.

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Vous n’octroyez pas de label?Contrairement à des labels environnementaux ou bio par exemple, on ne peut pasanalyser un produit en fin de chaîne dans un magasin pour contrôler les conditionsde travail dans lesquels il a été produit. On ne peut donc jamais affirmer qu’unefilière de production est 100% responsable. D’autant que la plupart des droits destravailleurs ne sont pas tangibles. La liberté d’association des travailleurs par

exemple : s’il n’y a pas de syndicats dans une usine, cela signifie-t-il qu’il y a unmanque de liberté ou qu’au contraire les travailleurs n’en ressentent pas lebesoin? C’est pareil pour les discriminations. Tout ça est très complexe et cela n’apas de sens de prétendre le résumer en un feu rouge ou un feu vert sur l’achat d’unproduit. Par contre, on informe sur les labels qui existent et ce qu’ils signifient. Parexemple un T-shirt Max Havelaar est un T-shirt dont seul le coton est certifié équi-table, pas nécessairement la manufacture.

Vous proposez des alternatives à certains produits?Il nous arrive d’en proposer, comme pendant notre campagne sur les jouets. Notrediscours disait : « N’achetez pas mais louez, échangez, résistez aux campagnes mar-keting, réfléchissez aux clichés véhiculés par les jouets ». On vise donc à pousser àla réflexion sur sa consommation, en termes d’impact social, mais pas seulement. Auniveau individuel, on propose surtout aux citoyens un rôle d’interpellation, directe oupar écrit, des entreprises dont ils sont consommateurs (potentiels) et/ou travailleurs.

Relocaliser l’économie ne permettrait-il pas de mieux contrôler les filières de production?Dans un monde idéal, il n’y aurait pas de raison d’aller jusqu’en Chine pour faireproduire nos vêtements ou nos jouets. On pourrait recréer de l’emploi ici en pro-duisant localement, tout en repensant notre mode de consommation effrénée basésur la surexploitation d’une main d’œuvre sous-payée. Quant à savoir quelles sontles premières étapes dans la transition vers ce monde idéal, il faut avant tout queles travailleurs du Bangladesh, par exemple, puissent se payer ce qu’ils produi-sent. Tout comme nous devrions consommer moins et mieux il faudrait qu’ils puis-sent travailler moins et dans de meilleures conditions. Le prix des produits reflè-tera alors le prix juste du travail qu’il nécessite.

C’est utopique?On en est encore loin ! Aujourd’hui, on vient d’obtenir au Bangladesh un salaireminimum légal qui ne vaut qu’un tiers du salaire minimum vital, qui permettrait àpeine de se loger, de se nourrir et d’envoyer ses enfants à l’école. La relocalisationde l’économie devrait commencer par augmenter les niveaux de salaires, qui déve-lopperont les pouvoirs d’achat et les marchés locaux.

achACT – www.achact.be

« LA RELOCALISATION DE L’ÉCONOMIE DEVRAIT COMMENCER PAR AUGMENTER LES NIVEAUX DE SALAIRES QUIDÉVELOPPERONT LES POUVOIRS D’ACHAT ET LES MARCHÉS LOCAUX »

Les centrales d’achat : le nœud du problème Les filières d’approvisionnement entre le champ de coton et le magasin de mode peuvent être très variées.Mais beaucoup passent par ce qu’on appelle des centrales d’achat. Elles jouent le rôle d’intermédiaireentre les producteurs et les marques. Si une marque a déjà un pouvoirquasiment absolu sur un petitproducteur, on peut imaginer le pouvoirinfini d’une centrale d’achat quireprésente plusieurs marques. C’est un combat déséquilibré cyniquementpoussé à l’extrême, comme si n’endépendaient pas les conditions de viesde millions de femmes et d’hommes.

Ce qui est sous-traité, c’est surtout les risquesEnfin, certains producteurs sonttellement fidélisés à leurs clientsdistributeurs qu’ils ne passent mêmeplus par une centrale d’achat mais sonten contact direct avec les magasins,avec une vue permanente sur lesstocks, pour les approvisionner au plus vite en fonction des fluctuations. Ces pratiques démontrent bien que les distributeurs ont peut-êtreexternalisé la production et les risquesde mauvaise publicité qui vont avec les mauvaises conditions de travailqu’on y rencontre, mais qu’au-delà de la structure juridique desentreprises les producteurs font bienpartie virtuellement de la structure des distributeurs ou au moins de leur sphère d’influence proche.

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© Will Baxter

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À Toubacouta, dans l’ouest du Sénégal, la mangrove et la forêt sont en danger. Pour ASMAE et son partenaire sénégalais AJE,l’implication de la population locale estessentielle pour mettre un terme à la dégradationenvironnementale et pour reboiser la région.L’Opération 11.11.11 les soutient.

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Où?Cinq Villages (Ndoumboudj,Santamba, Dassilamé Socé,Toubacouta et l’île de Bétenty) de la Communauté rurale deToubacouta, Région de Fatick,Sénégal, Afrique de l’Ouest

ContexteÀ Toubacouta, dans l’Ouest du Sénégal, 25% de la mangrove a disparu entre 1980 et 2010. Ce sont les populations locales qui sont en partie responsables et victimes de la dégradation de ce riche écosystème, indispensableà l’équilibre écologique et auxespèces animales. En cause : le manque de conscientisation et d’alternatives économiques despopulations locales. Une meilleureéducation à l’environnement et une plus grande participation au reboisement devraientparticiper à solutionner la dégradation de la mangrove.

Qui?En Belgique : ASMAEwww.asmae.beAu Sénégal : Action Jeunesse Environnement –AJEwww.aje-sn.org

Quoi?Projet pilote de sensibilisation à la protection de la mangrove et de la forêt par la mise en placed’activités d’éducation à l’environnement.

Soutenir 11.11.11N° de compte : BE33 0001 7032 6946BIC : BPOTBEB1 au nom du CNCD-11.11.19, Quai du Commerce1000 Bruxelles

Le CNCD-11.11.11adhère au Code éthiquede l’AERFwww.vef-aerf.be

Sénégal

Sauver lamangrove

CÉCILE VANDERSTAPPEN,Chargée de recherche, CNCD-11.11.11

© Asmae

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projet de l’organisation sénégalaiseAction Jeunesse Environnement (AJE).

Responsabilisation et conscientisationLa dégradation de cet écosystème a dé-buté dans les années ’70 et ’80 suite auxsécheresses qui ont touché la région, lesel asphyxiant les arbres en l’absenced’eau douce. Mais c’est principalementla demande locale en ressources li-gneuses qui pose problème aujourd’hui.Elles sont utilisées de façon excessivepar les familles pour cuisiner et sechauffer. La demande en bois de serviceest forte aussi pour construire du mobi-lier et réaliser des objets d’art et d’arti-sanat. Pour AJE, les populations localesne sont pas assez sensibilisées aux dan-gers à long terme de l’abat0tage abusif.« Il faut que chacun sente qu’il a uneresponsabilité », insiste René Sibomana,secrétaire exécutif d’AJE.

Face à ce processus de dégradation,l’État sénégalais sensibilise ses minis-tères et encourage les autorités localesà introduire la protection de l’environ-nement dans les stratégies de dévelop-pement local mais les moyens en leur

possession sont si dérisoires qu’ilssemblent inefficaces. De grandes ONG et agences internationales, telOcéanium, mettent également la main àla pâte, en lançant des grands pro-grammes de reboisement, de protectionde la mangrove et de création des zonesmarines protégées.

Recherche ActionParticipativeLes villageois de Toubacouta saventqu’ils dégradent leur environnement etsouhaitent trouver une solution pourstopper ces ravages qui leur portent pré-judice. Pour l’ONG belge ASMAE etl’AJE, il faut leur offrir la possibilité detrouver eux-mêmes des solutions à leursproblèmes. Leur méthodologie, c’est la « recherche action participative » : leshabitants doivent être impliqués dansla préservation. Dans ce cas précis, unaccent tout particulier est mis sur la participation des jeunes – 52%

de la population – et des femmes car ce sont elles qui, traditionnellement, ont lacharge de récolter du bois et de cuisinerpour la famille.

C’est donc avec eux qu’une piste de so-lution a émergé assez vite, celle de lamise en place de bois villageois protégéset la tenue d’ateliers pratiques sur la ré-génération assistée des espèces localesmenacées. Cinq villages pilotes sur les52 que compte la Communauté ruralede Toubacouta ont été sélectionnés.L’objectif est de régénérer le potentiel li-gneux d’une zone et d’éviter ainsi l’ex-ploitation des mangroves et forêts proté-gées. Les bois villageois sont la propriétédes villages et sont gérés en tant qu’es-pace communautaire. Les espèces à re-boiser ont été choisies par les villageois.Il s’agit d’espèces à croissance rapide etd’arbres fruitiers. La revente des fruitspermettra prochainement la mise enplace d’une caisse commune destinée àparticiper à la couverture des besoins debase des populations.

À côté de la création de bois villageois,des ateliers d’éducation environnemen-tale destinés aux adultes ou aux élèvesde six écoles primaires (plus de 700élèves, filles et garçons) sont organisés.Leur objectif à long terme étant l’acqui-sition d’un comportement conscient et mieux adapté à la préservation del’environnement.

Ce projet en cours de développementest une expérience pilote qui doit tou-cher au total plus de 11.110 personnes(hommes, femmes et enfants). Il a étépensé et élaboré dans l’espoir d’être du-pliqué et étendu aux autres villages de larégion et du Sénégal et bénéficie,comme en juillet 2011, de l’aide ponc-tuelle de jeunes belges dans le cadre dechantiers d’immersion organisés parAsmae et AJE. L’ensemble des famillesimpliquées valoriseront et partagerontles connaissances acquises lors d’unemanifestation festive et engagée le 5juin prochain, date de la Journée inter-nationale de l’environnement. Journéequi pourrait être l’occasion, au Nord, deposer l’autre versant du problème : celuide l’impact de nos modes de consom-mations sur les écosystèmes du Sud…

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Elle est surtout connue pour son dédalede racines et d’arbres mais moins pour lerôle qu’elle joue ou les ressourcesqu’elle procure. La mangrove couvre unesuperficie d’environ 150.000 km² sur no-tre planète. Caractéristique des embou-chures de fleuves ou des zones littoralestropicales soumises au balancement desmarées, elle est un riche écosystème in-dispensable à l’équilibre écologique etaux espèces animales dont l’Homme faitpartie. Malheureusement, aujourd’huicet écosystème à la fois essentiel et fra-gile est en danger, pour des raisons mul-tiples : réchauffement climatique, ex-ploitation intensive des fonds marins,mais aussi surexploitation par les popu-lations locales.

La mangrove, source de vieLa mangrove est caractérisée par la pro-lifération d’arbres appelés palétuviers.Leurs feuilles, après décompositiondans l’eau douce, servent d’alimentspour les poissons de mer – tilapias, mu-lets, barracudas, thiofs… – et les crus-tacés. À l’échelle mondiale, la majoritédes poissons se reproduisent dans deszones de mangroves. Les fleurs des pa-

létuviers sont, quant à elles, très appré-ciées par les abeilles et participent dèslors à la production locale de miel.Véritable garde-manger pour l’homme, lamangrove est aussi source de remèdes :racines, feuilles, bourgeons, écorces,servent à la confection de médicamentsefficaces et très utilisés. Au niveau en-vironnemental, la mangrove constitue unpuissant puits à carbone, une véritableprotection contre l’érosion côtière et fa-cilite le développement de l’agricultureen freinant la remontée du sel marin.

La mangrove est donc un écosystèmetrès riche mais elle tend à se réduire. ÀToubacouta, dans l’ouest du Sénégal,25% de sa superficie a disparu entre1980 et 2010, ce qui n’est pas sansconséquences sur les populations lo-cales. Celles-ci sont les premières à ensubir les conséquences, mais elles peu-vent aussi faire partie des solutions.C’est sur ce principe que se base le

« LES POPULATIONS LOCALES NE SONT PAS ASSEZ SENSIBILISÉES AUX DANGERS

À LONG TERME DE L’ABATTAGE ABUSIF »

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Les Récréâtrales

Le théâtre africain dans sa diversité et ses difficultés JULIEN TRUDDAÏU

Producteur et animateur radio

Il y a d’abord une question : quelle est la place de l’Afrique engénéral et de l’Afrique francophone au Sud du Sahara en par-ticulier dans l’univers de la production théâtrale contempo-raine? Il y a ensuite un constat : la multiplication des festivalsde théâtre en Afrique ne résout pas les problèmes essen-tiels : le temps pour créer, le nombre peu élevé de produc-tions annuelles, la faible formation des comédiens, lemanque de moyens et celui d’espaces de travail et de recherche. C’est en partant d’un tel constat et de laconviction de l’importance de ce que le théâtre peut avoir àdire aujourd’hui qu’Ildevert Méda, metteur en scène-comé-dien, et Étienne Minoungou, comédien-dramaturge, ont initiéles « Récréâtrales », les Résidences de création, de forma-tion et d’écriture théâtrales panafricaines chaque année auBurkina Faso.

Au bord du plateauLes Récréâtrales, c’est une démarche particulière, celle detravailler le texte à l'épreuve de la scène à partir d'improvisa-tions et de convoquer les intuitions des comédiens pournourrir l'écriture en même temps que le spectacle se crée.Expérimenter, tester avant de systématiser ou conceptuali-ser. « Un auteur nigérien, Alfred Dogbé a résumé cettedémarche, il parle d’‘écrire debout, au bord du plateau’ »,explique Étienne Minoungou, « afin d’aborder les problèmesdu théâtre en Afrique ».

Les Récréâtrales naissent donc de cette envie en 2002. Au furet à mesure des éditions, « on est arrivé à mettre en place toutun calendrier de formules ». Les compagnies sélectionnéesse retrouvent dans un premier temps en février-mars lors de

la « Quarantaine ». Durant cette période, auteurs, metteurs enscène et scénographes réfléchissent ensemble sur l’écriture,la dramaturgie et la scénographie. Vient ensuite la deuxièmephase : les projets les plus aboutis accèdent au « Côté Cour ».« C’est le projet qui passe à l’épreuve du plateau avec descomédiens pour essayer de vérifier toute une série d’intui-tions que les créateurs ont eues ». En automne, les équipes seretrouvent à nouveau à Ouagadougou pour finaliser et répéterleur spectacle. Dernier moment, les Récréâtrales accueille le« grand public » et des programmateurs. « Mais l’occasion estaussi saisie pour inviter les créations les plus marquantes dela saison africaine, histoire de faire une photo réelle de l’acti-vité théâtrale du continent. »

Emergence du citoyen africainSi trop souvent, le théâtre africain en est réduit à la seuleforme qu’est le conte, le festival essaie de réfléchir aux diffé-rentes formes et de proposer ainsi une large palette des cou-rants présents sur le continent. « La création théâtrale afri-caine est plus inspirée par le conte et donc de l’oralité qui faitsa spécificité. C’était une esthétique revendiquée. Mais desécritures contemporaines ont bousculé ces schémas, cecidans un contexte de libéralisation des espaces publics et desévolutions politiques vers le multipartisme. Donc, tout à coup,on ne s’exprime plus au nom de la collectivité mais en sonnom personnel, en tant qu’individu. Le citoyen africain émergeet parle en son nom et plus en celui de sa communauté. »

Ouverture aux autres paysD’année en année, les Récréâtrales se sont ouvertes à d’au-tres pays du continent, malgré les différences. « Nous sommes

Comédien et metteur en scène burkinabé, Étienne Minoungou vit entre Bruxelles et Ouagadougou. Depuis 2002, il organise un des événements théâtraux majeurs du continent africain : les Récréâtrales. Nous l’avons rencontré à la veille de la 7e édition de ce festival ô combien original.

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beaucoup plus proches par exemple de la France, de la Suisseou de la Belgique que de l’Égypte, de la Mauritanie ou de laTunisie. Pareil pour l’Afrique du Sud, et les pays non-franco-phones. Les traditions ne sont pas les mêmes. Même à l’inté-rieur de l’espace francophone, on ressent des dif-férences », constate Étienne. « On apprend alorsune autre façon de faire du théâtre, de dire le texte,de jouer. Il y a par exemple une douleur qui s’ex-prime dans les créations d’Afrique centrale, car cesont des pays en conflit permanent. » Confronter les esthé-tiques, les histoires enrichit les créateurs. « Cela crée desliens de collaborations et favorise les coproductions Sud-Sudplutôt que les traditionnelles Nord-Sud. »

Le rôle de la diasporaChaque année, en plus des compagnies africaines, lesRécréâtrales invitent des équipes venues du Nord, histoire de« dépassionner les différents rapports et essayer de les ren-dre normaux ». « Quand les gens viennent aux Récréatrales,ils ne viennent pas en Afrique, mais dans un espace derecherche dédiée à la création théâtrale », affirme Étienne.Parmi les artistes du Nord, certains sont issus de la diasporaafricaine, celle-là même qui dans les années 70 et 80 impulsad’autres courants dans les pays d’origines. « Le théâtre a puse faire car cette diaspora est rentrée et a apporté à l’acti-vité. » Les Récréâtrales ont pu accueillir Koffi Kwahulé, EmileLabosolo ou encore Dieudonné Kabongo (disparu récem-ment). « Ils ont légué leurs compétences et ont pu constitueraussi pour les jeunes professionnels des références qui ontsouvent été occidentales, européennes. Ce n’est pas la mêmechose quand c’est la diaspora qui revient chez elle ! »

Dans ces échanges, tout n’est pas simple. Les artistes de ladiaspora apportent quelque chose de singulier « qui parfoispose problème à la règle traditionnelle mais qui permet enmême temps à celle-ci d’évoluer ».Étienne cite l’exemple

d’auteurs qui ont travaillé sur la question de l’homosexualitéou de l’immigration vue de l’autre côté : « Leurs points de vueont souvent choqué et permis de mettre des mots sur deschoses enfouies. Cela permet parfois à une opinion d’évoluersur ces différentes questions. »

Fort de son expérience, les Récréâtrales continuent de réflé-chir sur les problèmes auxquels sont confrontés quotidien-nement les artistes de la scène africaine. Car si l’espace decréation offert est important, il faut aussi pouvoir montrer unspectacle, partir en tournée, bref, le diffuser. « Le problèmevient du fait que le théâtre africain n’a pas de soutien public.Et il peine à créer un véritable public. Or, il n’y a pas de théâ-tre sans public et sans espaces de représentations régu-lières ». Et les disparités entre les pays sont grandes. « Nousréfléchissons en ce moment à la création de circuits de diffu-sion, à la fois dans les pays, mais aussi sur le plan régional.Ce projet s’appelle ‘Itinéraires’ qui sera mis en œuvre à par-tir de cette année et qui proposera, dans plusieurs villes, unecaravane de création. Mais il reste pour les artistes dechaque pays la responsabilité de construire eux-mêmes desespaces d’offres au public »

« LE CITOYEN AFRICAIN ÉMERGE ET PARLE EN SON NOM ET PLUS EN CELUI

DE SA COMMUNAUTÉ »

Étienne Minoungou© Isabelle De Beir

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Aide au développement :

qui aide qui au nom de quoi ?

OUMOU ZEChargée de recherche, CNCD-11.11.11

Les relations internationales sont multi-ples et complexes. Au quotidien, que cesoit par la presse, au détour de conver-sations ou de réflexions captées dans larue, on peut rapidement se sentir dé-passé par les analyses, déclarations ouautres informations chaudes de l’actua-lité. Les nouvelles sont souvent mau-vaises, voire déprimantes. Dans nosmédias, la présence des pays les pluspauvres, de ce « Sud » laissé pourcompte du développement, s’apparentealors souvent à une longue énuméra-tion de maux tous plus alarmants lesuns que les autres. Famines, guerres,révoltes et « yeux mouillés », l’image dumonde dit en développement est sou-vent celle d’un gouffre qui se situe auSud de la planète, et dans lequel peud’avancée arrivent à combler le retardaccumulé. Une telle vision, négative etcaricaturale, serait risible si elle n’étaitsi proche du ressenti des spectateursoccidentaux que nous sommes.

Dès lors, lorsque le club des pays lesplus riches, appelés pour l’occasion« pays donneurs » sort son bilan annuel,tous les commentaires se concentrentsur ces efforts de solidarité qui sontrendus encore plus difficiles en tempsde crise. En 2010, les montants globauxde ce que l’on appelle l’aide publique

Nacho Fradejas Garcia 2009

Le Nord est-il généreux avec Le Sud ? Les montants de l’Aide publique audéveloppement tendent à montrer une évolutionpositive mais l’aide n’est pasl’unique canal de relationsentre pays « riches » et pays « pauvres ».

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Des relations Nord-Sud« multiples »Toutefois, si l’on revient un instant auxfondamentaux de ce principe de solida-rité internationale pour le développe-ment, on reste encore loin des comptes.Dans certaines situations, le tableaus’est même assombri2. Il faut relativiserl’idée d’effort auquel ces pays se sontengagés depuis les années 60 en vued’en finir avec la pauvreté dans lemonde. En effet, l’aide n’est pas l’unique

canal de relations entre pays « riches »et « pauvres ». Diplomatie et géopoli-tique, intérêts économiques entrentaussi en ligne de compte. Si la plupartdes services en charge de la coopérationau développement se retrouvent d’ail-leurs logés dans les ministères desAffaires étrangères, les ministères del’Économie et des Finances ont aussiune implication dans la gestion d’unepartie de l’aide, qui est fournie sousforme de prêts ou de dons aux pays endéveloppement. La complexité de ces« relations multiples » est d’ailleurs par-ticulièrement bien illustrée lorsqu’onl’aborde sous les aspects économiques.

Si l’on considère l’ensemble des flux fi-nanciers qui circulent entre le « Nord »et le « Sud », in fine, pour 2 euros allantdu Nord vers le Sud, ce sont 3 euros qui« remontent » du Sud vers le Nord3. Il nefaut donc pas négliger les autres flux :les prêts, les transferts des migrants,les investissements directs étrangers(IDE) du Nord vers le Sud, mais aussiles placements illicites, le rembourse-ment de dettes (et des intérêts), le ra-patriement des profits des entreprisesmultinationales du Sud vers le Nord.L’APD n’est donc qu’une carte parmid’autres, jouée avec stratégie avec unesélection de « partenaires officiels ».

Une histoire de classificationsDepuis ses débuts, la coopération audéveloppement, telle qu’on la connaîtaujourd’hui, s’est faite au nom de prin-cipes et valeurs fortes. L’éradication dela pauvreté ou sa diminution, la luttecontre la faim dans le monde, et biend’autres raisons pour mobiliser la soli-darité des pays riches envers « les plusdémunis » de la planète. Depuis les an-nées 1960, les interventions des Étatsou des acteurs non-gouvernementauxse sont construites sur une série d’en-gagements forts, souvent contraignantsrelatifs aux droits humains fondamen-taux. Une nouvelle sorte d’accords internationaux est née dans la foulée dela Déclaration universelle des droits de l’homme par une communauté inter-nationale sortie de deux guerres mon-diales et ayant assisté à l’accession àl’indépendance de la plupart des Étatsdans le monde. La plupart de ces poli-tiques de coopération au développe-ment se dotent d’une stratégie ou decadres qui en fixent les objectifs princi-paux, et permettent ensuite de cibler despays bénéficiaires potentiels. Partantsouvent du principe de concentrer lesmoyens dans un nombre limité de pro-grammes de coopération, la sélectiondes partenaires à soutenir relève typi-quement d’arbitrages internes à chaquepays, à des choix politiques revenant àchaque gouvernement. Dégager des règles ou des normes en la matières’avère donc hasardeux.

Ainsi, lorsque la Belgique décide de« concentrer » son APD sur 18 pays par-tenaires en 2004, cela va certainementdans le sens d’une amélioration de sonefficacité. Moins de partenaires, c’estune certaine façon d’augmenter les« petits moyens » du petit pays, pour lesprogrammes soutenus. Toutefois l’exer-cice ne résiste pas à la règle des intérêtsmultiples. On retrouve ainsi un poids pro-portionnel élevé des trois pays d’Afriquecentrale dans le portefeuille : près d’1/3

« POUR 2 EUROS DE FINANCEMENTS ALLANTDU NORD VERS LE SUD, CE SONT 3 EUROS QUI REMONTENT DU SUD VERS LE NORD »

au développement (APD) étaient à un niveau historique : 128,7 milliards dedollars. Cela représente 0,49% des richesses crées dans ces pays. Une pre-mière réaction peut être de dire que lasolidarité n’est pas dans de si mauvaisjours. En effet, un pays comme laBelgique est arrivé à « débloquer »quelque 3 milliards de dollars, 0,64%de son revenu national brut.

Donneurs et receveursLa notion d’APD fut adoptée en 1969par les pays membres de l’OCDE1, ausein de leur Comité d’aide au dévelop-pement (CAD). Depuis lors, un ensem-ble d’instruments sont utilisés pour récolter, analyser et classifier les mon-tants d’APD, selon les « pays bénéfi-ciaires » et les « donateurs ». L’OCDEfixe ainsi la liste de « tous les pays et ter-ritoires éligibles à l’APD. Il s’agit detous les pays à revenu faible ou inter-médiaire à l’exclusion des membres duG8, de l’Union européenne, et de ceuxdont la date d’entrée dans l’UE estfixée ». Ils sont 148. Les pays qui attri-buent des financements visant à « favo-riser le développement économique etl’amélioration du niveau de vie des paysen développement » sont repris dans lacatégorie des donateurs, appelés de-puis peu donneurs.

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des budgets sont ainsi destinés à 1/6 des partenaires. Choisir d’établir unerelation de partenariat avec un pays endéveloppement se révèle un subtil équi-librage entre l’engagement et la défensede principes d’une part et la poursuite ou

l’entretien d’intérêts d’autre part.Sachant que la première destination desexportations de la République démocra-tique du Congo est longtemps restéel’Union européenne (30%), avec laBelgique en tête (13,7%)4, et que par ailleurs ces mêmes « partenaires » sontles principales origines des importationsde la RDC après l’Afrique et l’Afrique duSud en particulier (30% en provenancede l’UE et 10,4% en provenance de laBelgique)5, il est évident que le dialoguesur la coopération entre les deux paysdépasse le seul enjeu du montant an-nuel d’APD.

Les objectifs variés de l’aideLorsqu’il existe une loi pour encadrer lesinterventions de la coopération au dé-veloppement, c’est souvent le lieu oùl’on retrouve la définition de ces prin-cipes de solidarité internationale qui ani-ment le donateur, même si ce n’est pasle cas pour tous les pays. La Belgiquepar exemple a une loi sur la coopérationau développement depuis mai 1999 (ré-visée en 2008).

La réduction de la pauvreté est l’objec-tif le plus souvent cité et repris dans les

stratégies officielles. Mais cet objectif sedécline dans divers vocables et agendas.Le plus récent consensus au niveau dela communauté internationale se basesur la Déclaration du Millénaire desNations Unies (2000) qui établit 8 ob-jectifs à atteindre à l’horizon 20156 et 18indicateurs concrets. Mais chaque paysreste maître de ses priorités politiques eton retrouve des objectifs variés selonles gouvernements aux commandes.Cette diversité des objectifs est bien il-lustrée dans le cas de la Chine, parexemple, qui n’intervient pas au nom des

Objectifs du millénaire pour le dévelop-pement, qu’elle juge « paternaliste et as-sistentialiste, mais plutôt au nom d’unesolidarité Sud-Sud, gagnant-gagnant »7.

Il arrive que la coopération prenne laforme d’« actions réalisées dans leur en-semble par les acteurs publics et privésentre des pays ayant un niveau de reve-nus différent, afin de promouvoir le pro-grès économique et social. » (Espagne),ou encore visant à remplir « l’exigence degarantir le respect de la dignité humaineà tous les habitants de la planète et d’as-surer la croissance économique de tousles peuples en améliorant l’interdépen-dance mondiale moyennant l’élargisse-ment des marchés. » (Italie) Partant deces quasis « impératifs moraux », lespays riches interviennent alors dans lespolitiques internes de pays pauvres, sousla forme de leur APD.

Dans le jeu global de « qui aide qui? »,un pays comme le Brésil se retrouveainsi d’une part dans la liste des béné-ficiaires, catégorie « revenus intermé-diaires tranche supérieure », avec364,46 millions de dollars d’APD reçusen 2009 et, d’autre part, donneur d’APDpour un montant de 65 millions de dol-

lars de programmes prévus pour 2010par l’Agence brésilienne de coopération(ABC) dans 37 pays africains.8 LaThaïlande se trouve également danscette dualité donneur-receveur.

On le voit, la limite est ténue pour passerd’une situation de donneur à celle de re-ceveur sur l’échiquier international. Ilfaut donc bien reconnaître que noussommes véritablement face à des choixde classification lorsque l’on parle d’aideau développement. Et cela d’autant pluslorsque l’on considère l’ensemble desflux financiers qui font basculer ce rap-port de « dons » Nord-Sud en une rela-tion de « ponction » Sud-Nord. Plus quela défense d’une enveloppe de l’aideremplie qui aille du Nord vers le Sud, levéritable combat de la solidarité interna-tionale doit se concentrer sur un rééqui-librage dans la répartition des richessesqui s’accumulent du Sud vers le Nord.

1/ L’Organisation pour la Coopération et le Développement Économique rassemble les 34 pays les plus industrialisés du monde. 2/ En 2010, le nombre de personnes souffrantde la faim a diminué, « mais reste à un niveauinadmissible », passant à 925 millions depersonnes (Source FAO). 3/ « Tel qu’il estcalculé d’après les statistiques de la balancedes paiements du Fonds monétaire international(FMI), le solde net des transferts financiers estsystématiquement négatif depuis 1997 pour lespays en développement, et depuis 1999 pourles pays en transition », Bruno Gurtner, in « Un monde à l’envers : le sud finance leNord », Annuaire suisse de politique dedéveloppement, Vol.26, N°2, 2007, pp.57-80 4/ Récemment dépassés par la Chine qui acanalisé 42,5% des exportations en 2008 ! 5/ Source : « Trade Policy Review: DemocraticRepublic of the Congo », World TradeOrganization, Trade Policy Review, S240,pp.113-114 6/ Les objectifs sont : 1. réduirel’extrême pauvreté et la faim ; 2. assurerl’éducation primaire pour tous ; 3. promouvoirl’égalité et l’autonomisation des femmes; 4. réduire la mortalité infantile ; 5. améliorer la santé maternelle ; 6. combattre le VIH/SIDA, le paludisme et d’autres maladies ; 7. assurer un environnement durable ; 8. mettre en place un partenariat mondial pour le développement. 7/ Laurent Delcourt, La Chine en Afrique : enjeux et perspective,Editorial, Alternatives Sud, Vol.18, 2011, p.16 8/ La coopération technique du Brésil enAfrique, Agence brésilienne de coopération au Développement, p.7

« LA LIMITE EST TÉNUE POUR PASSER D’UNE SITUATION DE DONNEUR À CELLE DE RECEVEUR SUR L’ÉCHIQUIERINTERNATIONAL »

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OCDE 2011

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Il y a peu, lors d’un colloque « Vaincre le stress tout en spéculant », j’ai été inter-pellé par des thérapeutes littéralement bouleversés par le comportement erratiquedu Marché financier. Ces thérapeutes m’ont fait remarquer que le Marché fait descrises d’angoisse, qu’il a besoin d’être rassuré, qu’il est frileux, lunatique, versa-tile, qu’il observe, qu’il attend ou alors qu’il pense qu’il faut plus ou moins, ou lesdeux à la fois… Bref que le Marché est manifestement atteint d’hypocondrie aigüedoublée d’une profonde dépression.

J’adhère à ce diagnostic clinique, mais il est selon moi incomplet : on a aussidécelé des symptômes de boulimie. Le Marché essaie de combler son manque de confiance en lui en se gavant le plus vite possible. Pour prendre une métaphore de saison, c’est comme si l’oie se gavait elle-même pour produire du foie gras. Le Marché fonce tête baissée. Il confirme en cela la fameuse loi de Brel : « LeMarché, plus il devient gros, plus il devient… »

Mais je vous arrête tout de suite. Je vois bien la conclusion que vous alliez tirer. Le Marché est souffrant, passons-nous en! Votre ignorance allait vous pousser àcommettre une irréparable méprise. En effet, si le diagnostic clinique est irréfuta-ble, vous devez savoir que le Marché, même au lit avec 40 de fièvre, reste fantas-tiquement efficace et attentif à la moindre rumeur pour prendre une décision réflé-chie. Bref il forme une puissance supérieure, quasi divine et « a toujours raison »pour paraphraser mon ami Franklin Pichard, directeur de Barclays.

Deux petits problèmes persistent toutefois : primo, le Marchéest sans cesse vilipendé et traîné dans la boue. De bassesattaques qui finiront par saper sa confiance en lui et quiont de quoi m’indigner – oui, oui, M. Hessel, vousn’avez pas le monopole de l’indignation!. Secundo,une récente étude réalisée auprès de 5.000 pro-fessionnels de la finance a montré que ces der-niers n’avaient pas confiance dans le Marché.Or, justement, de quoi a besoin prioritaire-ment le marché? De confiance.

J’ai donc décidé d’engager ces théra-peutes. Histoire de lui fournir un accom-pagnement psychologique pour passercette mauvaise passe, lui éviter le burnoutet affronter les grands défis de demain.D’ailleurs, au milieu de la grisaille, un rayonde soleil devrait lui rendre le sourire : lesémissions de CO2 augmentent et la fonte desglaces s’accélère…

Alors?Merci qui?

23pas au sud,

complètement à l’ouest !

Les marchés financiersLa toute-puissance des marchésfinanciers résultent d’une successionde décisions politiques. C’est donc au politique de reconstruire lesmécanismes de régulation qui ont étédémantelés depuis les années 80.La première et plus importante mesureest de séparer les banques d’affaires(activité de spéculation) des banquesde dépôt (collection de l’épargne etprêts). Cela impliquerait que seules les banques de dépôt seraientsusceptibles d’être aidées par l’État en cas de crise, pour protéger les petitsépargnants et la disponibilité de crédits pour les ménages et les entreprises. Cela impliqueraitégalement la fin des sauvetages sansconditions : les banques renflouéesseraient nationalisées et placées souscontrôle démocratique.

Chronique subjective et complètement à l’ouest,… GÉRARD MANRÉSON,Docteur ès cynisme à HECCHaute école du Café du Commerce

Hypocondriaque mais indispensable !

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Le monde en classe

Chaque mois, découvrez la vie du Sud

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