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Laboratoire d'Economie d'Orléans – UMR CNRS 6221 Faculté de Droit, d'Economie et de Gestion, Rue de Blois, B.P. 6739 – 45067 Orléans Cedex 2 - France Tél : 33 (0)2 38 41 70 37 – 33 (0)2 38 49 48 19 – Fax : 33 (0)2 38 41 73 80 E-mail : [email protected] - http://www.univ-orleans.fr/DEG/LEO Document de Recherche n° 2009-13 « Deux essais sur la crise financière internationale » (La microfinance et la crise financière internationale) (La finance internationale sauvée par le G20 ?) Michel LELART

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Laboratoire d'Economie d'Orléans – UMR CNRS 6221 Faculté de Droit, d'Economie et de Gestion, Rue de Blois, B.P. 6739 – 45067 Orléans Cedex 2 - France

Tél : 33 (0)2 38 41 70 37 – 33 (0)2 38 49 48 19 – Fax : 33 (0)2 38 41 73 80 E-mail : [email protected] - http://www.univ-orleans.fr/DEG/LEO

Document de Recherche

n° 2009-13

« Deux essais sur la crise financière internationale » (La microfinance et la crise financière internationale)

(La finance internationale sauvée par le G20 ?)

Michel LELART

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La microfinance et la crise financière internationale

Michel LELART* Directeur de Recherche émérite au CNRS

Laboratoire d’Economie d’Orléans Résumé :

La crise financière qui a commencé aux Etats-Unis a engendré une crise économique. L’une et l’autre s’étendent maintenant aux autres pays, y compris aux pays du Sud. Dans ces pays les institutions de microfinance ont pris le relais des banques pour financer les petites entreprises et soutenir l’activité des personnes les plus pauvres.

Cet article analyse les conséquences de la crise financière sur ces institutions. La demande de micro-crédit devrait augmenter en même temps que la situation économique se dégrade. Les institutions qui offrent ce micro-crédit risquent d’avoir à faire face à de nouvelles difficultés, dues notamment à la progression des impayés et aux relations qu’elles entretiennent souvent avec les banques. Enfin c’est tout le secteur de la microfinance qui risque de ne pouvoir s’adapter et qui peut se trouver déstabilisé. Mots-clés : micro-crédit – microfinance – crise financière Code JEL : G 29 – O 16 – F 30

------------ Abstract

Microfinance and the international financial crisis

The financial crisis that began in the United States developed into an economic crisis, both of which spread to the rest of the world, including the Southern Hemisphere. In the countries constituting this latter part of the world, the microfinance institutions have taken over the role played by the banks to finance the small entrepreneurs and to support, in general, the economic activities of the poorest members of society.

This article analyzes the effects of the financial crisis on these institutions. On one hand, the demand for micro-credit should increase in proportion to the deteriorating economic conditions, but on the other hand, the micro finance institutions are facing new challenges, principally as a result of the increase in the unpaid loans and of the increasingly difficult relations they often have with banks. Finally, the entire microfinance sector risks being destabilized and unable to adapt to this new environment. Key words : micro credit – microfinance – financial crisis JEL Code : G 29 – 0 16 – F 30 * [email protected] Communication au colloque « Microfinance, gouvernance et réduction de la pauvreté », Institut sous-régional de Technologie Appliquée (ISTA), Brazzaville, 6-8 mai 2009

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La crise financière internationale qui s’est déclenchée en juillet 2007 n’est pas la première que nous ayons connue, mais elle se distingue radicalement de celles qui l’ont précédée. La première crise qui a débuté en 1983 a été une crise de la dette, engendrée par les crédits que les banques avaient accordés à certains pays en voie de développement. La finance reposait sur des institutions financières qui servaient d’intermédiaires, elle était indirecte. La crise suivante qui a débuté en 1994 a été une crise des marchés, engendrée par la perte de confiance dans les titres détenus – directement si l’on peut dire – par des agents. La finance était devenue directe. La crise actuelle est à la fois une crise de la dette – les crédits subprimes accordés par les banques américaines – et une crise des marchés sur lesquels les titres émis en contrepartie de ces crédits se sont dépréciés quasiment sans limites. Elle est donc cette fois une crise plus générale1, qui concerne toutes les institutions financières, et pas seulement les banques aux Etats-Unis2, ainsi que tous les produits financiers, notamment les produits structurés qui sont des produits « fabriqués » sur mesure, et donc plus sophistiqués. Elle est une crise de la finance, à la fois directe et indirecte. Et c’est pour cela que la contagion a été aussi rapide et aussi large.

A-t-elle vraiment touché toute la finance ? On peut s’interroger à propos de la

microfinance qui semble si loin de la finance internationale et qui paraît même en être à l’opposé. Elle est en effet un phénomène local qui s’enracine dans un espace restreint et se fonde beaucoup sur la proximité entre les acteurs. Elle repose souvent sur la solidarité, même quand la rentabilité devient une préoccupation pour l’institution de microfinance. Elle met en place des procédures claires et propose des produits simples à une population qui n’a pas de mal à comprendre de quoi il s’agit. Elle est l’objet d’une réglementation qui s’étend peu à peu et qui est souvent jugée trop contraignante. Elle se développe principalement dans les pays du Sud, alors que c’est dans les pays du Nord que la crise financière a éclaté et qu’elle s’est propagée. Enfin si le nombre des institutions de microfinance est très important, l’encours de leurs crédits reste très marginal par rapport à celui des banques commerciales.

Mais on peut parler d’un véritable secteur même dans les pays du Sud, tant il a évolué

depuis une douzaine d’années. Dans la plupart des pays certaines institutions se sont regroupées en réseau, elles se sont dotées d’une association professionnelle, elles ont mis au point des actions de formation, elles ont informatisé leur gestion, elles sont – ou elles peuvent être – évaluées par des agences de notation spécialisées. Elles font aussi maintenant l’objet d’une réglementation dans un nombre grandissant de pays. Et elles bénéficient parfois de capitaux étrangers, notamment par le canal des fonds d’investissement spécialisés (Mayoukou, 2008)3. Ce secteur est devenu suffisamment organisé et a pris suffisamment d’ampleur pour pouvoir être juxtaposé au secteur bancaire et faire partie avec lui d’un système financier que l’on souhaite voir devenir « inclusif », en ce sens qu’il inclurait un « continuum » d’institutions capables d’offrir toute la gamme des services financiers dont l’ensemble de la population d’un pays a besoin4.

1. Elle est présentée et analysée dans un nombre déjà pléthorique de publications. Un rapport du Conseil d’Analyse Economique, un document spécial que vient de publier la Banque de France, un numéro hors-série de la Revue d’Economie Financière et un récent numéro de L’Economie Politique présentent une analyse très complète du déclenchement de cette crise et de son évolution. 2. On a dit que la première victime de la crise des subprimes était une ville au nord de la Norvège qui avait placé une partie de sa trésorerie dans des titres adossés à des crédits hypothécaires liés à des financements de logements aux Etats-Unis. 3. C’est ce qui permet à l’auteur de parler d’un marché international de refinancement des IMF. 4. Sur le concept de secteur financier inclusif, cf. le numéro spécial de Techniques Financières et Développement, « Des secteurs financiers accessibles à tous en Afrique », n°4, septembre 2006. Cf. en particulier l’article de P. WEINGARTEN.

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Dès lors, les institutions qui composent ce nouveau secteur sont-elles influencées par la crise financière qui a débuté aux Etats-Unis au printemps 2007 et qui s’est étendue peu à peu à toute la finance internationale ? Il est difficile de faire déjà le bilan de cet impact. La microfinance est tellement éloignée de la finance traditionnelle qu’elle ne réagit pas aussitôt, et elle ne réagit pas partout de la même façon. A défaut de savoir si et comment elle est déjà influencée, on peut se demander si et comment elle pourrait l’être…

La crise financière – ou plutôt la crise économique qui s’en est naturellement

suivie – devrait avoir des conséquences sur le comportement des clients de la microfinance, c’est-à-dire sur la demande de micro-crédit (I). Elle devrait aussi avoir des conséquences sur l’offre de micro-crédit, c’est-à-dire sur l’activité des institutions de microfinance (II). Enfin la crise financière pourrait avoir des conséquences sur l’ensemble du secteur de la microfinance, notamment sur sa capacité à ajuster l’offre et la demande de micro-crédit (III). I. L’impact de la crise sur le comportement des agents

La microfinance n’est pas que du crédit, elle offre aussi des services d’épargne ou d’assurance, mais elle est principalement du crédit. Les institutions prêtent des sommes peu importantes – la Banque mondiale situe le micro-crédit à moins de 30 % du Produit National Brut par habitant – c’est par le fait même du crédit accordé à des personnes qui disposent d’un revenu très modeste, qui ont peu de ressources et qui ne peuvent offrir aucune garantie, si ce n’est une garantie de nature sociale quand les emprunteurs se groupent et s’engagent solidairement. Cette garantie-là ne fait pas partie de celles qui sont acceptées par les banques. Les clients des IMF s’adressent à ces institutions parce qu’elles sont plus proches d’eux, elles sont plus adaptées à leurs besoins, mais c’est aussi parce qu’ils ne peuvent pas emprunter aux banques. C’est pourquoi on attend de la microfinance qu’elle contribue à réduire tout à la fois la pauvreté et l’exclusion. Cette dimension-là est souvent prise en compte, au Nord5 comme au Sud6. C’est bien pourquoi on cherche à faire progresser un peu partout l’inclusion financière et à faire que les systèmes financiers nationaux deviennent « inclusifs ».

La microfinance contribue à réduire la pauvreté et l’exclusion, mais ce rôle social se

double d’un rôle économique. Le micro-crédit permet le plus souvent à son bénéficiaire de développer ou de reprendre « une activité génératrice de revenu ». Cette activité, généralement de nature commerciale ou artisanale, peut être assez marginale, exercée dans des conditions plutôt rudimentaires, au sein « d’unités de production informelles » (les UPI), comme on les appelle désormais dans les pays du Sud. C’est en effet par un développement du secteur informel que la pauvreté et l’exclusion peuvent se réduire (Lelart, 2009). Et c’est auprès des institutions de microfinance que ce secteur trouve les moyens de se financer. Le dualisme qui caractérise les pays en voie de développement est aussi un dualisme financier : le secteur moderne de l’économie emprunte aux banques, le secteur informel emprunte aux institutions de microfinance7. C’est bien pourquoi ces institutions, quand elles accordent du

5. On parle aussi d’exclusion financière dans les pays du Nord où le droit au crédit est maintenant reconnu. Cf. à ce sujet SERVET, 2006, pp. 73-82. On reconnaît même un droit au compte dans la mesure où il est devenu quasiment impossible, en France par exemple, de n’utiliser que de la monnaie fiduciaire (des billets). 6. Au niveau mondial, en tenant compte notamment des pays émergents, l’exclusion financière toucherait actuellement un milliard de personnes (SINHA, 2008). 7. Il utilise aussi les prêts de la famille ou des amis, et l’argent épargné au sein des groupes d’entraide que sont les tontines. Il s’agit là de la finance informelle qui se distingue de la microfinance, même si elle en est à l’origine (LELART, 2006, pp. 45-62).

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crédit, offrent aussi des services dits « d’accompagnement », grâce auxquels les emprunteurs sauront utiliser mieux leur crédit et rentabiliser leur projet.

C’est ici que la crise financière intervient. En tant que telle, elle a peu de conséquences

sur le comportement des bénéficiaires de micro-crédit. Elle en a beaucoup plus indirectement, du fait de la crise économique qu’elle a provoquée aussitôt. Celle-ci n’est pas restée limitée aux Etats-Unis et aux pays européens, elle s’est étendue aux pays émergents, elle s’étend également aux pays du Sud. Le commerce international a commencé à se réduire, les entrées de capitaux, notamment les investissements étrangers, se ralentissent ; les transferts de migrants ont déjà sensiblement décliné.

Ce ralentissement de l’activité affecte davantage les classes les plus défavorisées, celles

dont la situation est la plus précaire. Elles vont chercher dans le micro-crédit une solution, au moins provisoire, à leurs problèmes, avec le risque qu’elles empruntent pour faire face à des besoins de consommation et qu’il leur soit de plus en plus difficile de rembourser. La crise va entraîner aussi un développement du secteur informel. La perte de son emploi va obliger le salarié à trouver une autre activité qui puisse être exercée sans connaissances professionnelles et sans expérience. Le micro-crédit, perçu comme un instrument bien adapté en situation de crise, devient plus important que jamais devant l’ampleur de la crise financière actuelle, d’autant plus que celle-ci tend à réduire la capacité de prêter des banques et à les rendre plus frileuses encore à l’égard des petites entreprises.

Cela n’est pas propre aux pays du Sud. Au Nord aussi il faut lutter contre la pauvreté,

surtout quand elle menace de s’étendre. Au Nord aussi il faut soutenir les micro-entreprises, surtout quand le chômage explose. En France par exemple, 53 % des entreprises sont des entreprises individuelles, 92 % ont moins de dix salariés ! Durant l’année 2007, 87 % des entreprises qui ont été créées étaient des micro-entreprises sans salariés, et parmi elles 40 % ont été créées par des chômeurs et 11 % par des bénéficiaires du revenu minimum d’insertion (RMI). Ce résultat est dû notamment à l’intervention de l’Association pour le Développement de l’Initiative Economique, l’ADIE créée en 1989 par Maria Nowak et qui, comme la Grameen Bank à laquelle elle est souvent comparée, suscite beaucoup d’intérêt. Des formules voisines existent aussi dans les autres pays européens et maintenant en Europe centrale et orientale (Nowak, 2004 et 2007). Elles devraient se développer un peu partout avec la crise. Une enquête récente publiée dans Le Monde 2 du 28 février 2009 avait pour titre « Le micro-crédit contre la crise ». Dans les pays du Sud les institutions de microfinance vont être de plus en plus sollicitées à la fois pour aider les pauvres et pour encourager les entrepreneurs du secteur informel. La Banque mondiale ne vient-elle pas d’annoncer la création, en coopération avec l’Allemagne, d’un fonds de 500 millions de dollars pour soutenir ces institutions. Il y aura d’autres initiatives…

Il est difficile de mesurer dès maintenant l’impact de la crise sur la demande de micro-

crédits. Il dépend autant de la dégradation de l’économie – elle n’est pas la même à la ville et à la campagne – que des habitudes de la population qui peut déjà bien connaître ou au contraire quasiment ignorer l’activité des IMF. Mais dans les pays du Sud, plus encore que dans les pays du Nord, cet impact devrait être important et contribuer à accélérer encore l’expansion de la microfinance dans ces pays. Cela permettra-t-il de réduire la pauvreté ? Bien des travaux ont été menés pour déterminer l’impact de la microfinance. Une telle mesure n’est pas chose facile. On sait maintenant que la microfinance ne sert pas les plus pauvres des pauvres, mais il n’est pas contesté que son impact soit effectif. L’est-il également sur le secteur informel ? Il semble que les micro-entreprises ne recourent que faiblement au micro-

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crédit, ce sont plutôt les entreprises « haut de gamme » qui empruntent. Comme ce sont précisément celles-là qui sont les plus aptes à se développer, le micro-crédit qu’elles obtiennent leur permet de grandir, d’investir, de se moderniser (Lelart, 2009). En se développant toujours plus vite, la microfinance devrait contribuer à un développement de l’activité économique et à une croissance plus rapide. Elle apparaît bien comme un antidote à la crise économique qui atteint la plupart des pays du Sud.

Cette crise peut avoir d’autres conséquences sur le comportement des agents. Les

institutions de microfinance accordent des crédits qui doivent leur être remboursés. Il y a donc toujours un risque. Dans la microfinance le risque serait plutôt moindre. Bien que les emprunteurs fassent partie des moins favorisés, et qu’ils soient même souvent dans une situation difficile, ils remboursent plutôt mieux que les débiteurs plus aisés. Cela n’est pas général, mais il arrive que des IMF affichent des taux d’impayés qui ne dépassent pas 1 ou 2 %. La crise économique peut changer les choses. Des emprunteurs peuvent avoir plus de mal à rembourser leurs crédits, surtout s’ils appartiennent à la même branche d’activité. Certaines institutions déjà font face à des pourcentages d’impayés plus importants. Il en est ainsi notamment en cas de prêts individuels, car les prêts accordés à un groupe d’emprunteurs sont garantis solidairement par chacun d’eux. Mais si la crise dure, si elle s’accentue, de plus de plus d’emprunteurs éprouveront des difficultés à rembourser… même dans le cas de crédits groupés car la solidarité peut jouer à l’inverse et entraîner un refus collectif de remboursement. La proximité qui caractérise la microfinance et qui fait que tous les emprunteurs se connaissent peut engendrer un effet d’imitation. Les crédits ne sont plus remboursés à l’échéance… ce sont alors les institutions elles-mêmes qui sont affectées par la crise.

II. L’impact de la crise sur l’activité des institutions

Alors que les banques sont des institutions bien connues qui offrent les mêmes services et qui se ressemblent toutes plus ou moins, les institutions de microfinance sont on ne peut plus diverses. Elles se distinguent assez peu par leur ancienneté, car elles sont toutes, du moins au Sud, relativement récentes. Elles se distinguent beaucoup plus par leur taille qui peut aller de quelques centaines de membres à quelques centaines de milliers de clients. Elles se distinguent aussi par leur statut, car elles peuvent être des mutuelles d’épargne et de crédit, des associations proches d’ONG ou gérées par elles et même des banques, soit que des IMF se soient « modernisées », soit que des banques se soient investies dans le micro-crédit. Si on ajoute la nature de leurs opérations – épargne, assurance, conseil, formation… - ou celle de leur clientèle – salariés, fonctionnaires, artisans, paysans – on est en présence d’un ensemble assez peu homogène, au point qu’il n’est pas exagéré de dire « qu’on trouve de tout dans la microfinance » (Lelart, 2006).

La crise ne peut donc pas affecter toutes les IMF de la même façon. Son impact

dépendra d’abord de l’origine des ressources dont dispose chaque institution, c’est-à-dire de la structure de son passif. Celles qui reçoivent des dépôts sont les plus protégées. C’est le cas des mutuelles qui sont nombreuses en Afrique ; c’est aussi le cas des IMF qui, créées pour accorder du micro-crédit, proposent aux emprunteurs d’ouvrir un compte de dépôt. La relation qui s’établit naturellement dans ce cas entre les dépôts et les crédits, comme la proximité si souvent privilégiée par ces institutions, sont pour elles une garantie de liquidité. Les institutions qui sont soutenues par les organismes étrangers de coopération utilisant l’argent public auront plus de difficultés dans la mesure où cet argent est lié aux programmes d’aide

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au développement, eux-mêmes liés à l’état des finances publiques dans les pays du Nord. Les institutions soutenues par des fonds d’investissements spécialisés ne seront pas plus à l’aise. Lorsqu’il s’agit de fonds « commerciaux », leurs ressources dépendent du comportement des épargnants dans les pays du Nord ; lorsqu’il s’agit de fonds solidaires, leurs ressources dépendent de l’attitude des épargnants face à l’épargne solidaire. Enfin les institutions qui empruntent sur les marchés en émettant par exemple des obligations – elles sont peu nombreuses en Afrique – risquent elles aussi de ne plus pouvoir se financer aussi facilement.

Lorsque les institutions empruntent à l’étranger, elles empruntent souvent en devises.

Elles courent de ce fait un risque de change que la crise amplifie dans la mesure où elle entraîne souvent une dépréciation de la monnaie nationale8. Les institutions peuvent se couvrir, mais les techniques qui sont très sophistiquées ne sont accessibles qu’aux institutions les plus importantes qui se sont suffisamment modernisées.

Les IMF peuvent aussi se refinancer auprès des banques commerciales. En fait, elles

sont partout en relation avec les banques, et elles peuvent ainsi se trouver affectées, indirectement, par la crise financière.

- Les IMF ont souvent conclu un partenariat technique ou institutionnel avec une banque

commerciale. Elles peuvent ainsi disposer de certains services, pour la formation du personnel par exemple, ou pour les transferts de fonds. Le service le plus important et le plus souvent recherché concerne la gestion de la trésorerie. Les IMF ne peuvent ouvrir de comptes courants, elles ne peuvent donc accorder de crédit en créditant le compte du bénéficiaire. Elles donnent des billets. Dans la microfinance, la monnaie est toujours fiduciaire. Mais l’IMF, dès l’instant qu’elle grandit un peu et qu’elle atteint une certaine envergure, a besoin de préserver son encaisse : elle transforme la monnaie fiduciaire en monnaie scripturale en déposant une partie des billets qu’elle détient sur un compte auprès d’une banque proche. Il arrive alors que la banque verse au client de l’institution le crédit que celle-ci lui accorde, et qu’elle en perçoive le remboursement. Elle peut même ouvrir un compte aux clients – les plus importants – de l’institution et le créditer du crédit accordé9. La banque aide alors l’IMF à gérer sa trésorerie. Les difficultés qu’elle peut rencontrer sont de nature à gêner l’institution dans son fonctionnement quotidien.

- Les IMF peuvent aussi conclure un partenariat financier avec une banque commerciale. Elles y détiennent un compte : elles versent leurs excédents le jour où les dépôts et les remboursements excèdent les nouveaux crédits, elles obtiennent elles-mêmes un crédit le jour où leur encaisse ne suffit pas. Elles bénéficient de cette façon d’une ligne de crédit qui est la contrepartie du dépôt qu’elles maintiennent auprès de la banque. Celle-ci ne fait pas que gérer leur trésorerie, elle leur assure le financement que les institutions ne peuvent se procurer auprès de la banque centrale10. Il est certain que ce mécanisme suppose

8. Cela n’est possible que lorsque la monnaie nationale flotte plus ou moins librement par rapport à une monnaie de référence. Cela n’est pas possible dans les pays de la Zone franc. 9. Au Bénin le PADME et le PAPME procèdent un peu différemment. Ils remettent un chèque à l’emprunteur qui va le présenter – ou le déposer – à la Financial Bank. 10. Les mutuelles constituent à cet égard un cas particulier, car elles sont souvent regroupées en une fédération qui peut être dotée d’un organe financier capable d’emprunter sur les marchés et d’avoir accès à la banque centrale. Il en est de même de la Banque des Institutions Mutualistes d’Afrique de l’Ouest et de la Banque des Caisses Mutualistes d’Afrique Centrale créées en 2005 à l’initiative du Centre International du Crédit Mutuel.

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que la banque dispose d’une liquidité suffisante, qu’elle puisse elle-même se refinancer sur le marché interbancaire, sinon auprès de la banque centrale. Les grandes banques internationales qui ont été secouées par la crise financière ne sont pas celles qui refinancent directement les petites institutions de microfinance, mais elles ont des filiales qui souvent le font et qui peuvent être gênées à leur tour. C’est dire qu’à travers elles la crise financière peut avoir des conséquences, et cette fois nettement plus sérieuses, pour les IMF, au moins pour certaines d’entre elles.

- Il arrive aussi que l’on trouve des banques dans le secteur de la microfinance. Certaines sont des banques qui se sont mises à accorder du micro-crédit, soit directement pour étendre leur activité, soit en mettant en place un nouveau fichier ou en créant une filiale spécialisée. C’est la stratégie du « downscaling ». D’autres sont des IMF qui se sont développées, qui ont grandi, et qui ont adopté le statut d’une banque commerciale. C’est la stratégie du « upscaling ». Dans un cas comme dans l’autre, ces banques risquent d’être affectées par la crise financière. Elles font en effet partie du système bancaire au sein duquel les institutions sont étroitement liées, puisqu’elles se font crédit à tour de rôle d’une façon régulière, parfois quotidiennement. Et l’on sait à quel point la perte de confiance des banques les unes dans les autres a bloqué le fonctionnement du marché monétaire dans les pays du Nord et freiné l’expansion de la liquidité mondiale.

Ce phénomène n’est pas sans conséquence dans les pays du Sud. Que les banques accordent elles-mêmes du micro-crédit, ou qu’elles financent les institutions qui en accordent, la défiance qui s’installe entre elles peut perturber leur activité en gênant leur financement.

III. L’impact de la crise sur le secteur de la microfinance La crise financière peut influencer les institutions de microfinance, principalement

de deux façons. Elle peut influencer leur rentabilité en augmentant le risque de crédit – les impayés – et en faisant naître un risque de change. Elle peut influencer leur financement en le rendant plus difficile. Cet impact peut varier beaucoup d’une institution à l’autre. Certaines ont grandi, elles sont devenues rentables et leur pérennité ne fait plus de doute. Mais d’autres – qui sont le plus grand nombre – ont toujours besoin d’être soutenues et elles restent parfois assez vulnérables. Beaucoup d’institutions, et pas seulement les plus récentes, ont purement et simplement disparu. Et il arrive que des IMF solides et florissantes se retrouvent rapidement dans une situation assez précaire11. C‘est dire que la crise peut affecter différemment le secteur de la microfinance dans les pays du Sud. Ce secteur est maintenant relativement organisé, nous l’avons vu, mais c’est un secteur jeune, et il reste surtout, le plus souvent, un secteur fragile.

Et comment ce secteur va-t-il réagir à l’augmentation de la demande de crédits que la

crise devrait naturellement provoquer ? Pour répondre à cette demande, il faut soit que les

Mais ces deux banques fédérales n’empêchent pas que dans la vie de tous les jours il est plus facile pour les caisses locales d’une certaine importance d’avoir un compte dans la banque la plus proche. 11. Un exemple est actuellement bien connu dans la zone de l’UEMOA : le PADME au Bénin rencontre de grandes difficultés malgré ses 50.000 clients et ses 20 milliards de FCFA de crédits en cours à la fin de 2007. On a connu, à un moment ou à un autre, des exemples de grosses institutions également en difficultés : CERUDES en Ouganda, la BRI en Indonésie, BANCOSOL en Bolivie… (SERVET, 2006, pp. 285-309).

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institutions existantes grandissent, soit que de nouvelles soient créées. Lorsque les IMF grandissent, les risques liés à leur activité grandissent avec elles (Lelart, 2008). La proximité peut difficilement être préservée, ce qui accroît le risque du crédit puisque les clients sont moins bien connus. Le risque opérationnel grandit lui aussi car la gestion gagne, et rapidement, en technicité. Enfin le risque politique – lié à la gouvernance – ne grandit pas forcément, mais il nécessite souvent un changement de statut qu’il n’est pas toujours facile de négocier avec l’ensemble des « parties prenantes ». Lorsque de nouvelles institutions se créent, bien des problèmes se trouvent également posés. Elles doivent s’adapter le mieux possible aux besoins de la population locale, et ne pas simplement copier telle ou telle institution existante. Elles doivent éviter de faire concurrence à d’autres IMF en compromettant leur propre rentabilité. Et dans un cas comme dans l’autre, qu’elles grandissent ou qu’elles se propagent, les institutions doivent se doter des moyens humains et techniques nécessaires dont il n’est pas toujours facile de disposer (Djefal, 2007, pp. 80-85). Il en est ainsi en particulier dans les régions rurales ou déshéritées… là où la demande de crédit risque d’augmenter le plus.

Une fois mis en place le projet de création ou de développement d’une institution de

microfinance, il faut que cette institution accorde du crédit de façon à améliorer effectivement le revenu des emprunteurs. Il faut pour cela les cibler le mieux possible, les aider à développer les activités les plus rentables en même temps que celles qu’ils sont capables d’exercer… (Servet, 2009)12. Une fois ces choix effectués au quotidien, il faut que l’institution respecte certaines règles, qu’elle ne commette pas d’erreurs, qu’elle prenne les bonnes initiatives. Dans ce secteur nouveau où fleurit la diversité, ce n’est pas toujours chose facile. C’est pourquoi les bailleurs de fonds ont élaboré un « Guide des bonnes pratiques pour les organisations qui financent la microfinance » (CGAP, 2006). Comme le titre l’indique, ce n’est pas un guide pour les IMF, c’est un guide pour les bailleurs eux-mêmes, pour les aider à sélectionner les institutions qu’ils seront amenés à soutenir. Naturellement ce guide a été très vite interprété comme une synthèse des pratiques que devraient observer toutes ces institutions. L’énoncé de ces pratiques en dit long sur la variété des efforts que doivent effectuer ces institutions pour bénéficier d’un soutien extérieur, principalement financier.

A ces conditions de nature micro-économique, les bailleurs de fonds en ajoutent de deux

autres natures : les unes sont méso-économiques, elles concernent le secteur de la microfinance dans son ensemble et renvoient à l’architecture du système financier. Il s’agit par exemple des progrès technologiques (guichets automatiques, banque mobile, transferts électroniques…), de la transparence des informations, de la création d’institutions faîtières en appui à un réseau, de la formation des cadres ou de l’assistance technique… Les autres conditions sont macro-économiques, elles concernent directement l’ensemble du système financier. Il s’agit en particulier de la réglementation. Beaucoup de progrès ont été faits à cet égard en Afrique, mais toutes les IMF ne sont pas réglementées et toutes les réglementations ne sont pas optimales. Il s’agit aussi du contrôle prudentiel et de la supervision. Sans des mesures de cet ordre, efficaces et bien adaptées, le secteur de la microfinance ne pourrait pas, dans quelque pays que ce soit, se développer harmonieusement. Et les institutions ne pourraient pas jouer le rôle grandissant que l’on pourrait attendre d’elles dans les pays affectés par la crise financière.

12. L’auteur énumère les conditions qui lui paraissent nécessaires pour que le microcrédit soit vraiment « un levier de développement ». Il en ajoute quelques autres : il faut que le revenu supplémentaire engendré par le microcrédit soit dépensé localement, il faut que le coût du crédit soit inférieur au rendement de l’investissement, il faut que l’épargne locale soit insuffisante… Une institution de microfinance n’a pas les moyens – ni la vocation – de se soumettre à ces conditions qui sont de nature macro-économique.

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Ces bonnes pratiques, surtout les dernières, nous renvoient au rôle de l’Etat. Il est en effet très important pour assurer le bon déroulement des opérations de microfinance. Mais il ne doit pas l’être trop. Il appartient à l’Etat de réglementer, de superviser, de contrôler. Mais il est dangereux qu’il se transforme lui-même en une institution, qu’il ouvre un guichet et qu’il accorde du micro-crédit. La tentation serait grande pour lui de prêter à des taux d’intérêt trop bas, de ne pas respecter « les bonnes pratiques » et de fausser la concurrence entre les institutions ; la tentation serait grande pour les emprunteurs de ne pas rembourser, ou de rembourser mal, car l’argent de l’Etat est de l’argent « froid ». Au moment où les pays du Nord se lancent dans des programmes de relance qui atteignent des centaines de milliards, il serait dangereux que les pays du Sud relancent la consommation et l’investissement, pour des montants bien sûr beaucoup plus modiques, en faisant distribuer des micro-crédits par leur administration. De telles interventions pourraient avoir des conséquences dramatiques sur le secteur de la microfinance13.

Il faut pourtant que les IMF aient les ressources nécessaires pour développer leur

activité. L’Etat peut certes accorder des subventions pour aider de nouvelles institutions à couvrir leurs frais, il est aussi normal qu’il prenne à sa charge le coût d’une implantation dans une région difficile ou les frais entraînés par les actions de formation – qui ne sont pas à proprement parler des services financiers. Mais il ne peut aller au-delà en aidant les IMF qui sont sollicitées d’accorder davantage de crédits alors que la crise peut rendre plus difficile leur propre financement. Nous l’avons dit. L’argent des bailleurs de fonds étrangers risque de se faire rare avec la crise. Et les lignes de crédit accordées par les banques, comme leur investissement direct dans le monde de la microfinance, dépendent du redressement de leur situation. Toutefois les choses se présentent différemment dans les pays où les banques locales sont très liquides. Il en est ainsi, traditionnellement, dans la plupart des pays au sud du Sahara. Et certaines institutions peuvent voir leurs ressources augmenter malgré la crise. Il s’agit des mutuelles ou des coopératives, elles font généralement partie d’un réseau qui peut s’étendre peu à peu et permettre de collecter davantage d’épargne en même temps que d’accorder davantage de crédits.

Il est difficile de prévoir si et de quelle façon le secteur de la microfinance va être

influencé par la crise financière. Il va certainement réagir différemment selon les pays. En Afrique où il est encore marginal, ce secteur sera sans doute moins affecté que dans certains pays d’Asie et surtout d’Amérique latine dans lesquels il s’est beaucoup rapproché du secteur bancaire et où la microfinance s’est davantage internationalisée. Mais comme celle-ci est moins développée en Afrique, elle devrait être davantage sollicitée pour répondre aux besoins des populations exclues du système bancaire. Et il en sera sans doute de même, sur une échelle bien sûr plus réduite, dans les pays du Nord.

Conclusion

Depuis quelques années la microfinance progresse fortement dans la plupart des pays au Nord comme au Sud. L’accélération que devrait lui donner la crise financière ne va pas manquer de trancher avec le coup de frein qu’elle a d’ores et déjà donné à la finance internationale et au secteur bancaire en particulier. Mais quelle que soit l’évolution de l’une et 13. Notamment dans les pays où ce secteur est actuellement en crise, comme le Bénin, ou dans d’autres où la crise paraît s’annoncer (LHERIAU, 2008). Au Bénin, un programme de microcrédit aux plus pauvres mis en place en février 2007 par le gouvernement (30.000 F CFA prêtés à 200.000 personnes) a certainement contribué à cette dégradation.

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de l’autre, la microfinance restera toujours la finance des pauvres, des chômeurs, des agents du secteur informel, des exclus du secteur bancaire… comme elle l’est des personnes qui vivent des situations de post-conflit, dans des pays en reconstruction (Agbodjan, 2007).

La microfinance restera toujours marginale par rapport à la finance moderne. Mais

devant la quasi-faillite de celle-ci, elle fait de plus en plus figure de finance alternative. La finance est d’abord du crédit, et le crédit requiert la confiance. La confiance est toujours plus grande dans la microfinance parce qu’elle ne repose pas seulement sur des règles, elle repose surtout sur des relations personnelles, même quand le crédit n’est pas accordé à un groupe solidaire ou à une groupe d’entraide. Mieux adaptée aux besoins de ses clients, grâce notamment aux services d’accompagnement, la microfinance apparaît comme une finance sur mesure. Les IMF sont naturellement soucieuses de leur rentabilité, mais c’est le plus souvent dans un désir de pérennité. Il arrive souvent, plus encore semble-t-il dans les pays du Nord, que des expériences de micro-crédit reposent sur le bénévolat. Et quand des fonds spécialisés, aux Etats-Unis ou en Europe, investissent dans la microfinance, ce n’est pas toujours pour offrir à leurs actionnaires un rendement avantageux. Il est évident que lorsqu’on prend conscience des excès de la finance internationale, qu’il s’agisse des fonds spéculatifs, des paradis fiscaux, de la rémunération de certains dirigeants… ou de la situation dans laquelle cette finance nous a conduits, la microfinance se révèle parée de bien des atouts.

Un autre de ses atouts est que la microfinance ne risque guère de conduire aux mêmes

dérapages. Elle peut certes intégrer bien des innovations et devenir elle aussi de plus en plus sophistiquée14. Mais elle est intimement liée à l’activité économique, elle est toute entière orientée vers la production de biens et de services, elle est complètement au service de l’économie réelle. Les produits de la microfinance ne se transforment pas en produits financiers de plus en plus sophistiqués pour devenir de plus en plus rentables financièrement ; ils sont au contraire complétés par des services non financiers qui sont le garant d’un usage optimal du crédit et de la rentabilité économique du projet qu’il a financé.

Cette finance alternative est comparée par certains à celle qui a failli embraser

l’économie mondiale. Il est certain qu’elle nous renvoie, tel un miroir, une image vraiment positive de la finance lorsqu’elle est au service de l’économie. Et dans la crise que nous traversons, une telle image est de nature à nous rassurer.

14. On a pu considérer certaines formes de microcrédit comme des formes de micro-titrisation (LHERIAU, 2008). Et certains fonds de microfinance utilisent des instruments financiers très sophistiqués tels que les CDO (Collateral Debt Obligations). Il s’agit de titres adossés à des crédits bancaires – en l’occurrence des microcrédits (DELAYE, 2008). Mais ils n’ont pas été concernés par la crise des subprimes aux Etats-Unis, qui a épargné les débiteurs de microcrédit (LECOMTE, 2008).

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Bibliographie AGBODJAN E.D., (2007), L’usage de la microfinance dans les situations de post-conflit : une revue de la littérature, Autrepart, numéro spécial « Risques et microfinance », n°4, décembre, pp. 227-240. Banque de France, (2009), La crise financière, Documents et débats, n°31, février. CGAP, (2006), Guide des bonnes pratiques pour les organisations qui financent la microfinance – Directives concertées en microfinance, Washington, 2ème édition. Conseil d’Analyse Economique, (2008), La crise des subprimes, Documentation française, Rapports du CAE, n°78. DELAYE F., (2008), Comment le micro-crédit se transforme en macro-économie, Bilan, n°248, 23 avril. Cf. http://www.bilan.ch. DJEFAL S., (2007), La microfinance entre le marché et la solidarité – L’exemple de l’Afrique de l’Ouest, Editions des Archives Contemporaines et Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), Paris. L’Economie Politique, (2009), Quelle finance après le G20 ?, n°42, avril. LECOMTE M., (2008), La microfinance solidaire, Revue d’Economie Financière, n°92, juin, pp. 185-193. LELART M., (2006), De la finance informelle à la microfinance, Editions des Archives Contemporaines et Agence Universitaire de la Francophonie (AUF), Paris. LELART M., (2008), Proximité et risque dans la microfinance, Revue Gestion 2000, n°25/5, septembre-octobre, pp. 37-46. LELART M., (2009), La microfinance au secours du secteur informel, Séminaire international sur le secteur informel en Afrique, Afristat, Bamako, octobre 2008. A paraître dans les Actes. LHERIAU L. (2008), Crise financière globale et microfinance : déterminants réglementaires, risques et premiers enseignements, Techniques Financières et Développement, n°93, décembre, pp. 45-58. MAYOUKOU C., (2008), Vers l’internationalisation de l’intermédiation financière : l’émergence d’un marché international de refinancement des IMF, Revue Gestion 2000, n°25/5, septembre-octobre, pp. 21-34. NOWAK M., (2004), Le micro-crédit en France et en Europe, Rapport moral sur l’argent dans le monde, 2003-2004, Association d’Economie Financière, pp. 429-435.

12

NOWAK M., (2007), Le développement du micro-crédit encouragé dans l’Union européenne, Finance et Bien commun, n°25, Automne 2006 et Problèmes Economiques, n°2928 du 18 juillet, pp. 13-6. Revue d’Economie Financière, (2008), Crise financière : analyses et propositions, numéro hors-série. SERVET J.M., (2006), Banquiers aux pieds nus – La microfinance, Odile Jacob, Paris. SERVET J.M., (2009), Quelques limites du micro-crédit comme levier de développement, Informations et Commentaires, n°143, avril-juin 2008 et Problèmes Economiques, n°2964 du 4 février, pp. 39-44. SINHA S. et alii, (2008), Un milliard de clients potentiels pour les banques, Expansion Management Review, n°127, Hiver 2007. Traduit dans Problèmes Economiques, n°2943 du 12 mai, pp. 38-41. WEINGARTEN R., (2006), Construire des secteurs financiers accessibles à tous : le rôle des stratégies nationales, Techniques Financières et Développement, n°84, septembre, pp. 4-9.

1

La finance internationale sauvée par le G20 ?

Michel LELART Résumé :

La crise financière déclenchée en juillet 2007 est une crise de la finance internationale. Elle appelle donc une réponse qui vienne de tous les acteurs et, sinon de tous les pays, du moins d’un grand nombre d’entre eux.

Cet article analyse l’émergence du nouveau G20, il fait la synthèse des nouvelles règles imposées aux institutions financières et commente le nouveau rôle attribué au FMI avant de montrer quelques-unes des limites que rencontrent les réformes décidées ou envisagées. Mots-clés : G7, G20, crise financière, régulation, FMI Code JEL : F33 – K2

-------------------- Abstract :

Will international finance be rescued by the G20 ?

The financial crisis that began in July 2007 has a global dimension, thus requiring, at the minimum, a response from a large number of countries, if not all of them.

This article presents an analysis of the emergence of the G20, including a synthesis of the new rules and regulations to be applied on the financial institutions, with a description of the new role to be played by the IMF.

Finally, the limitations of these proposed reforms are discussed. Keywords : G7, G20, financial crisis, regulation, IMF Code JEL : F33 – K2 Communication au colloque « Attractivité, Gouvernance et Développement », Association Tiers-Monde, Luxembourg, 3-5 juin 2009. Mondes en Développement, n°146, 2009/2, pp. 125-134.

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Il n’a pas fallu longtemps pour que le monde s’en rende compte : la crise financière qui s’est déclenchée en juillet 2007 avec la faillite de deux fonds spéculatifs gérés par Bear Stearns n’est pas une crise de la finance directe ou de la finance indirecte, elle est une crise de toute la finance. Elle concerne tous les acteurs, c’est-à-dire toutes les institutions financières ; elle concerne tous les produits financiers et tous leurs marchés ; elle concerne tous les pays, du moins tous les pays, industrialisés et émergents, qui sont ouverts à la finance internationale.

Une crise de cette envergure a nécessité des réponses immédiates et appropriées des

institutions financières elles-mêmes, des banques centrales, d’un certain nombre d’Etats, des institutions internationales… mais après les plans de soutien des banques et les plans de relance de l’économie pour atténuer les conséquences de la crise, il a fallu songer aux causes pour éviter un nouveau cataclysme. Toute une série de mesures ont été rapidement envisagées – une dizaine le plus souvent. Mais cette fois c’est toute la finance internationale qui est en cause, elle ne peut être réformée que par les pays tous ensemble. Il faut donc une concertation entre eux, pour que les nouvelles règles qui seront décidées soient les mêmes ou qu’au moins elles soient harmonisées.

Les discussions ont commencé le 15 novembre 2008, à l’occasion du G20 réuni à New

York. Les Chefs d’Etat ont arrêté un plan d’action, en fait une liste de réformes sur lesquelles ils pourraient s’entendre, et décidé de se revoir à Londres au mois d’avril suivant. C’est ce qu’ils ont fait. Et cette fois ils ont arrêté tous ensemble un certain nombre de mesures qui permettent de parler d’une véritable coopération financière internationale. Celle-ci se manifeste de plusieurs façons : de nouvelles instances de concertation, de nouvelles règles pour la finance, un nouveau rôle pour le FMI.

De nouvelles instances de concertation

Deux nouvelles institutions, qui n’en sont pas au vrai sens du mot, ont émergé avec la crise. La première, le G20, est une extension du G7 devenu G8 en 2003 avec la participation de la Russie. La seconde, le Conseil de Stabilité Financière (CSF), remplace l’ancien Forum du même nom (FSF), créé par le G7 en 1999.

En fait c’est aussi dès 1999 qu’on a commencé à parler du G20. Les Chefs d’Etat du G7

se réunissaient une fois par an – début juillet – mais leurs ministres des finances se réunissaient de leur côté, généralement deux fois par an, davantage en cas de nécessité. Au moment de la crise qui a affecté plusieurs pays en Asie du Sud-Est, les ministres se sont beaucoup rencontrés, avec des collègues des pays concernés et de quelques autres dits « émergents ». En 1999, ils ont officialisé ces rencontres en décidant de se réunir chaque fois avec les Gouverneurs des banques centrales, ainsi qu’avec les représentants du FMI et de la Banque Mondiale. Ce nouveau groupe comprend, outre les pays du G8, l’Argentine, le Brésil, le Mexique, l’Inde, la Chine, la Corée, l’Indonésie, l’Australie, l’Arabie Saoudite, l’Afrique du Sud et la Turquie. Cela fait 19 pays… mais en ajoutant l’Union européenne, représentée par le président du Conseil des Ministres et celui de la Banque Centrale Européenne, on peut parler du Groupe des Vingt.

Ce nouveau groupe marque une avancée significative dans la coopération financière

internationale. Il fonctionne comme le G7-8, avec une présidence tournant chaque année et une troïka composée du ministre qui vient de présider, de celui qui préside et de celui qui va

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présider. Il ne s’occupe plus seulement des questions financières mais aussi de l’aide, de l’énergie, des matières premières… Il détient surtout une bien plus grande légitimité que le G8 puisque, en regroupant aussi les principaux pays émergents, il représente 65 % de la population de la planète, 80 % du commerce international et 90 % du PNB mondial.

Mais la principale avancée a été réalisée à l’occasion de la crise actuelle. Le Groupe des

ministres s’est réuni à Sao Paulo en novembre 2008. Et le Président Sarkozy qui présidait à ce moment-là l’Union européenne a convoqué à New York le mois suivant non pas une nouvelle réunion du Groupe, mais une réunion au niveau des Chefs d’Etat. La réunion suivante s’est tenue à Londres le 2 avril 2009. La prochaine se tiendra à New York de nouveau, en septembre. Cette nouvelle instance est maintenant en place, elle va fonctionner, et sans doute prendre de plus en plus d’importance à côté du G8. Cette évolution était en fait dans l’air depuis la naissance du G20 (Payne 2008). Le Canada qui a présidé les premières années de 1999 à 2001 avait souhaité élargir la réunion aux responsables politiques. Jacques Chirac qui présidant le G8 en 2003 avait inauguré un « dialogue élargi » en invitant au sommet d’Evian une dizaine d’autres pays tels que l’Algérie, la Chine, la Malaisie, le Nigeria, le Mexique, le Sénégal. Deux ans plus tard, c’est Tony Blair qui invite le Brésil, la Chine, l’Inde, le Mexique et l’Afrique du Sud pour discuter du changement climatique. L’initiative sera reconduite et aboutira au G8 + 5. Enfin ce sont les Allemands qui en 2007 ont souhaité une réforme urgente et profonde du G8, en associant d’autres pays et allant même jusqu’à la création « d’un G20 à part entière ». La voie était donc tracée. Un nouveau groupe allait être imaginé un jour ou l’autre.

C’est toujours en 1999, après la crise en Asie du Sud-Est, que les autorités du G7 ont

demandé au Président Tietmeyer de réfléchir aux moyens d’améliorer l’architecture financière internationale. Il en est résulté la création d’un Forum de Stabilité Financière qui constitue « une instance commune de concertation et de coordination » (Icart 2007, p. 283), et qui comprend des représentants des pays du G8 mais aussi des Pays-Bas, de l’Australie, de Hong Kong, de Singapour et, depuis quelques années de la Suisse. Avec les représentants de quelques institutions internationales (le FMI, l’OCDE…), de quelques associations professionnelles et des différents comités de Bâle, il atteint 45 membres. Sa fonction principale est la surveillance de la stabilité internationale, notamment des flux financiers, des marchés, des opérations des principales institutions, des risques encourus… Il en fait rapport au G8, mais il peut aussi se saisir de certains problèmes particuliers.

C’est cette instance que le nouveau Groupe des Vingt réuni à Londres le 2 avril a décidé

de remplacer par un Conseil de Stabilité Financière. Un premier changement tient à sa composition : il ne comprendra plus des représentants des huit pays plus quelques autres, mais des représentants des Vingt ainsi que de l’Espagne… et de la Commission européenne1. Un second changement tient à sa fonction. Elle est toujours la même, le mandat donné par les Vingt est seulement « renforcé », et le Conseil devra collaborer plus systématiquement avec le FMI pour signaler les risques et trouver les actions à mener. Ce nouveau Conseil va-t-il se montrer plus efficace que l’ancien Forum ? Ce dernier avait déjà mené des travaux sur les hedge funds, les centres financiers off-shore, les agences de notation… (Icart 2007, pp. 286-287). Tous ces problèmes ne sont-ils pas aujourd’hui, avec d’autres, au cœur de la crise ? Ce sont eux qui font l’objet des réformes décidées par le G20… 1. Davantage de pays vont être représentés, mais cela ne veut pas dire que le Conseil sera plus important. Dans l’ancien Forum les pays du G8 avaient chacun un représentant du Trésor, un de la Banque centrale et un d’une instance de régulation ou de surveillance ; le FMI et la Banque Mondiale en avaient deux… On ne sait pas comment ces pays et ces organismes seront représentés, ni si la Suisse et Singapour resteront dans ce Conseil.

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De nouvelles règles pour la finance

A mesure que la crise apparaissait plus grave et plus profonde, les erreurs étaient peu à peu dénoncées et les réformes nécessaires devenaient plus évidentes. Avant la première réunion du nouveau G20, une liste d’une bonne dizaine de réformes a pu être établie et a été souvent commentée2. Elle allait des paradis fiscaux aux normes comptables, des fonds spéculatifs à la rémunération des traders et des banquiers… Mais si tout le monde savait quel genre de réformes il fallait faire, il n’était pas certain du tout qu’elles seraient décidées. Les choses ne se présentaient pas très bien au moment où le nouveau G20 se réunit pour la première fois à New York. L’opposition est alors assez forte entre le Président Bush qui ne veut pas entendre parler d’un échec de l’économie de marché et les responsables européens pour qui il faut refonder le capitalisme. La presse rendra compte de cette réunion comme du « théâtre de la discorde franco-américaine ».

Les Chefs d’Etat vont s’entendre mieux que prévu puisqu’ils vont publier une

déclaration – le 15 novembre – dans laquelle ils se fixent quatre objectifs3 : renforcer la transparence et la responsabilité, établir une régulation solide, promouvoir l’intégrité des marchés financiers, renforcer la coopération internationale. Et ils vont élaborer un plan d’action en 38 points4, en demandant à leurs ministres des finances de réaliser certaines actions dites immédiates – il y en a 22 – d’ici le 31 mars 2009, et de préparer la réalisation des seize autres dites à moyen terme. Cette déclaration a suscité un certain scepticisme dans la presse qui trouvait qu’elle ressemblait plus « à un pudding qui aurait eu du mal à cuire qu’à un roman policier ». Il est vrai que cette liste de 47 points, plus technique les uns que les autres, n’avait rien de captivant. Plus important sans doute était le fait que la déclaration finale parlait des paradis fiscaux comme « des fonds capitalistiques logés dans des entités non coopératives », ce qui les rendait beaucoup plus acceptables…

Les ministres ont travaillé durant les mois qui ont suivi. Gordon Brown, président en

exercice du G20, a publié à la mi-mars un rapport d’étape sur les actions immédiates. Sur chacun des objectifs fixés, les ministres ont pris certaines positions, ils ont adopté certains principes, ils ont approuvé des mesures déjà prises, et ils ont préparé pour le G20 qui devait se réunir le 2 avril à Londres un certain nombre de recommandations. A l’issue de leur rencontre en « Sommet », les Chefs d’Etat ont publié une déclaration sur le renforcement du système financier. Ils réaffirment leur volonté d’atteindre les quatre objectifs qu’ils se sont fixés à New York et marquent leur détermination à faire aboutir un certain nombre de réformes. Les unes concernent la régulation proprement dite. Elle passe notamment par les exigences en capitaux propres et l’appréciation et la gestion des risques. Elle doit s’étendre à l’ensemble « des institutions financières, des marchés et des produits financiers d’importance systémique », c’est-à-dire également aux fonds spéculatifs, aux paradis fiscaux et aux « juridictions non-coopératives ». D’autres concernent les normes comptables, les agences de notation, les rémunérations versées par les institutions financières5. On peut dire que toutes les réformes qui étaient envisagées avant la première réunion du nouveau G20 ont été mises en chantier. 2. La liste la plus complète est sans doute celle publiée dans un dossier spécial du Monde de l’économie du 28 octobre 2008 : quatorze mesures pour réguler le capitalisme financier. Cf. aussi la liste des dix chantiers dans le numéro spécial d’Alternatives Economiques (Chavagneux 2009). 3. Et un cinquième concernant la réforme des institutions financières internationales, notamment du FMI. Nous en parlons dans la section suivante. 4. Plus neuf qui concernent le FMI et la Banque Mondiale. 5. Les Chefs d’Etat ont également publié un « plan global pour la reprise et la réforme » qui reprend ces dispositions sur la surveillance et la régulation financières, mais qui affirme surtout leur volonté de relancer la croissance et l’emploi, de rejeter le protectionnisme et d’assurer une croissance juste et durable pour tous.

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Un tel accord entre vingt pays représentés au plus haut niveau marque un résultat tout à fait inespéré. Cet accord ne s’est-il pas fait entre les Etats-Unis, le Canada et le Royaume Uni d’un côté, la France, l’Allemagne et l’Union européenne de l’autre, ainsi qu’avec l’Inde, la Chine, la Russie… et une dizaine d’autres pays émergents ? Ce succès a été salué comme il se doit, notamment la décision de contrôler les fonds spéculatifs et plus encore les paradis fiscaux. Un grand nombre de pays étaient concernés, et pas seulement les plus petits. Les efforts menés depuis dix ans par l’OCDE, par le Forum de Stabilité Financière et par le Groupe d’action financière internationale (le GAFI) n’ont abouti qu’à élaborer une liste qui a comporté près de cinquante paradis fiscaux… ramenés par miracle à cinq dès 2002. Quelques années plus tard le Forum a même pu déclarer que « la liste a atteint son but et n’a plus de raison d’être » ! (Chavagneux 2006, pp. 90-93). La liste avait peut-être perdu de son intérêt, mais les paradis subsistaient, tout comme le secret bancaire. A la suite des discussions menées au G20, l’OCDE a publié un rapport indiquant la liste des juridictions qui se sont engagées à respecter une norme fiscale relative aux échanges de renseignements et admise internationalement. Elles étaient 38 le 2 avril6 et il ne restait plus que quatre pays sur la « liste noire ».

Mais sur ces 38 juridictions, onze viennent tout juste de s’engager (Monaco, l’Autriche,

la Suisse, le Luxembourg), quelques autres au contraire qui s’étaient engagées autrefois respectent désormais la norme… sans doute depuis la réunion du G20 (Jersey, Guernesey, Barbade, les Iles Vierges…). C’est dire l’impact qu’à eu cette réunion sur les « trous noirs » de la finance internationale. Va-t-elle suffire pour autant à remettre en place une véritable régulation vraiment efficace ? Les Chefs d’Etat ont demandé aux ministres d’assurer la mise en œuvre des décisions prises et de poursuivre l’exécution du plan d’action. Il n’est pas difficile de faire enregistrer les agences de notation ou de créer une chambre de compensation pour les produits dérivés, mais il faut aussi définir ce qui donne à une institution ou à un marché une importance systémique ; il faut décider si les fonds spéculatifs ne doivent être enregistrés qu’au-delà d’une certaine taille, et laquelle ; il faut définir le concept de fonds propres, fixer le montant qui sera imposé aux banques et le faire dépendre de la conjoncture ; il faut fixer la part de la titrisation que les banques devront continuer à couvrir… Ces décisions, et il en est beaucoup d’autres, vont encore nécessiter de bien laborieuses discussions.

On peut espérer qu’elles aboutiront et que les Chefs d’Etat adopteront les

recommandations de leurs ministres. Il faudra qu’ensuite les réformes décidées soient appliquées dans chaque pays et que les instances nationales de régulation aient les moyens d’exercer leur mission… et de le faire toutes ensemble. Il faudra une volonté politique largement partagée, et qui subsiste une fois que la crise sera terminée. Le temps où les institutions financières pouvaient faire quasiment n’importe quoi est-il enfin derrière nous ? C’est à l’usage qu’on pourra le savoir… et apprécier l’efficacité de la régulation décidée par le nouveau G20.

Un nouveau rôle pour le FMI La première mission attribuée au Fonds Monétaire International par les Accords de

Bretton Woods consiste à aider les pays membres qui auraient à faire face à un déficit de

6. Revenons sur les paradis fiscaux. Parmi les 38 juridictions qui sont engagées à respecter la norme fiscale, 23 s’étaient engagées dès 2002, voire plus tôt encore !

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balance des paiements. Le Fonds n’aide plus maintenant que les pays en voie de développement et les pays émergents. Comme ces pays risquent d’être très affectés par la crise et de voir se réduire beaucoup les entrées de capitaux, le G20 a décidé d’accroître substantiellement la capacité de prêter du Fonds.

Le Fonds ne peut pas créer de monnaie dans ses opérations habituelles de crédit. Il ne

peut prêter que les monnaies qu’il détient, à la suite du versement par chaque pays de sa quote-part. En fait il ne peut prêter que les monnaies des pays dont la situation est suffisamment solide. Au début de la crise, au 1er trimestre 2008, ses avoirs en « monnaies utilisables » représentaient à peu près l’équivalent de 250 milliards de dollars. Mais le Fonds a conclu, au début des années 60, les fameux Accords Généraux d’Emprunt (AGE) par lesquels une dizaine de pays s’engageaient à lui prêter leur monnaie en cas de besoin. Ces accords ont été sans cesse renouvelés et augmentés, de nouveaux accords (les NAGE) ont été signés en 1998 avec vingt-cinq pays. Au total le Fonds peut ainsi emprunter l’équivalent de 50 milliards de dollars. Il dispose donc d’à peu près 300 milliards. En temps normal cela peut suffire. Il prêtait même très peu depuis quelques années. Mais la crise change tout. Comme l’augmentation des quotes-parts ne peut être réalisée ni rapidement ni facilement, les Chefs d’Etat du G20 sont tombés d’accord pour que le Fonds emprunte de suite 250 milliards de dollars à certains pays membres – le Japon a promis 100 milliards et l’Union européenne 175 – la France en particulier va prêter 15 milliards. Le Fonds pourra emprunter 250 milliards supplémentaires, soit en développant les NAGE, soit en négociant de nouveaux accords… soit en empruntant sur les marchés7.

Le Fonds devrait ainsi voir tripler ses ressources. Bientôt ce sont ses crédits qui vont

augmenter, et sans doute bien plus encore. L’aide du Fonds aux pays membres s’est en effet beaucoup réduite depuis quelques années. L’encours de ses prêts ne dépassait pas 10 milliards de dollars au début de 2008. Du fait de la crise il a ouvert en novembre une facilité de liquidité à court terme (FCT) qu’il a remplacée au mois de mars 2009 par une ligne de crédit modulable (LCM) dont l’accès est beaucoup plus facile. Non seulement sa conditionnalité est fortement assouplie et la durée de remboursement allongée – jusqu’à 5 ans – mais elle peut être utilisée par simple précaution et elle n’est pas plafonnée. Le Mexique déjà vient de demander 47 milliards de dollars. Mais le changement le plus important concerne le revenu du Fonds. Avec le déclin des tirages et les remboursements anticipés dans les années 2000, la situation du Fonds s’est détériorée et l’exercice 2007 s’est soldé par un déficit de 112 millions de dollars. Des mesures ont dû être prises, notamment le placement de ses réserves et, ultérieurement, du produit d’une vente partielle de son or, mais aussi des mesures d’économie telles qu’une réduction de son personnel ou la facturation de certaines publications…

Mais au-delà de l’augmentation de ses ressources et de la prochaine explosion de son

activité, la décision la plus spectaculaire est celle qui concerne les droits de tirage spéciaux. Le G20 a décidé de soutenir une allocation de 250 milliards de dollars, ce qui ferait à peu près 165-170 milliards de DTS. Cette allocation n’augmente pas les ressources du Fonds, mais elle augmente directement les réserves des pays membres puisque ces DTS sont distribués sans contrepartie. Ce système a été mis en place le 1er janvier 1970, à la suite du premier amendement aux Accords de Bretton Woods. Les DTS devaient permettre une augmentation des liquidités internationales sans déficit de la balance des paiements américaine. La première allocation effectuée sur trois ans s’est élevée à 9,3 milliards. Il a fallu attendre le deuxième amendement en 78 pour que les allocations reprennent : 12 milliards, toujours sur trois ans. 7. Le Fonds a été autorisé à emprunter sur les marchés dans les années 80, mais il ne l’a encore jamais fait. La Banque Mondiale le fait depuis sa création et régulièrement.

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Mais depuis le 2 janvier 1982 plus rien, malgré l’adhésion d’une quarantaine de pays, de la Macédoine au Kazakhstan, qui n’ont toujours pas de DTS puisque les allocations ne sont pas rétroactives8. Les DTS existants font toujours l’objet de transactions, mais que veulent dire 21 milliards alors que les avoirs en devises des pays membres atteignent en ce début 2009 l’équivalent de 3.000 milliards de DTS ! En multipliant d’un seul coup par 8 les DTS utilisés depuis plus de 25 ans, le G20 relance un système qui paraissait à l’abandon ! (Lelart 2007, pp. 55-60).

Le FMI ne fait pas que prêter à ses pays membres. Il surveille leurs politiques. Il le fait

surtout depuis que les pays ont pu choisir leur régime de change, comme depuis les crises financières des années 90 qui l’ont amené à se préoccuper de la stabilité financière. La dernière crise va renforcer encore ce rôle. Le G20 souhaite que le Fonds renforce sa surveillance des politiques macro-économiques et des systèmes financiers et qu’il collabore étroitement avec le Conseil de Stabilité Financière chargé plutôt de la régulation. Les deux doivent coopérer étroitement, notamment dans la gestion d’un dispositif « d’alerte précoce » qui permettrait de voir venir les crises, et peut-être de les éviter.

Mais le FMI ne peut jouer pleinement son rôle que si sa légitimité est reconnue, et sans

réserve. Ce n’est plus le cas. Des progrès ont été réalisés en ce qui concerne sa gouvernance (Lelart 2006), mais des problèmes restent en suspens. Les pays émergents mais aussi les pays en voie de développement ne sont pas suffisamment représentés. Les discussions entamées dès 2006 ont abouti à une augmentation ponctuelle de la quote-part de quelques pays9, ainsi qu’à une série de propositions arrêtées en avril 2008, dont certaines requièrent un nouvel amendement des statuts10. Le G20 est intervenu de plusieurs façons. Les Chefs d’Etat se sont engagés à mettre en œuvre l’ensemble des réformes prévues relatives aux quotes-parts et aux droits de vote. Ils ont demandé au Fonds de mener à bien une nouvelle révision des quotes-parts d’ici à 2011 – la précédente remonte à 1998. Enfin ils ont souhaité que les dirigeants du Fonds soient désignés au terme d’un processus ouvert, transparent et basé sur le mérite, ce qui veut dire que le directeur général ne restera pas toujours un européen.

Toutes ces mesures affectent sensiblement le rôle, le fonctionnement et les moyens

d’action du FMI. Elles complètent les nouvelles règles de régulation et de transparence imposées à la finance internationale. On peut considérer que le G20, réuni au niveau des Chefs d’Etat, a mis en place une véritable organisation de la finance internationale.

8. C’est pour cela que le Fonds avait envisagé une allocation spéciale de 21 milliards de DTS qui aurait doublé leur montant en permettant d’en allouer davantage aux pays qui n’avaient pas bénéficié des allocations précédentes. Les statuts du Fonds ont été amendés en conséquence en 1997, mais cette proposition doit maintenant recueillir 85 % des voix et il manque toujours l’accord des Etats-Unis. 9. Celles de la Chine, de la Corée, du Mexique et de la Turquie. Avant ces ajustements, la quote-part de la Chine était égale à celle du Canada et à la moitié de celle de l’Allemagne, celle de la Corée à celle du Danemark… et celle de l’Arabie Saoudite dépasse toujours celle de la Russie, celle de la Belgique est une fois et demie celle du Brésil ! 10. C’est la décision de tripler les voix de base attribuées à chaque pays, et dont le poids relatif ne cessait de se réduire au gré des augmentations des quotes-parts. C’est la décision d’attribuer un deuxième administrateur suppléant aux administrateurs qui représentent un grand nombre de pays : ce sera le cas des 24 pays africains francophones qui disposent – avant le triplement indiqué – de 1,41 % des voix, comme sans doute celui des 19 pays africains anglophones qui disposent de 3 % des voix.

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Conclusion

Mais il est deux domaines dans lesquels le G20 n’a que peu ou rien décidé. Il s’est dit préoccupé par la situation des pays en voie de développement qui risquent d’être sévèrement affectés par la crise. Il se soucie notamment des conséquences de la crise sur les populations les plus vulnérables des pays les plus pauvres. Dans la déclaration publiée à l’issue de la réunion de Washington le 15 novembre 2008, comme dans le plan global pour la reprise et la réforme publié le 2 avril suivant, le G20 réaffirme son engagement à atteindre les Objectifs du Millénaire pour le Développement et à respecter les principes sur le financement du développement adoptés à Monterrey en 2002. Il évoque longuement la nécessité de soutenir ces pays dans le domaine de la sécurité alimentaire, de la protection sociale, de l’éducation et de la formation, du financement des infrastructures… Ces dispositions ne manquent pas d’intérêt, mais le G20 en reste aux déclarations.

Concrètement toutefois, les décisions prises par le G20, en particulier du fait de

l’augmentation des ressources du FMI, devraient permettre de dégager 50 milliards de dollars en faveur des pays à faible revenu. Les Chefs d’Etat ont également décidé de soutenir une augmentation d’au moins 100 milliards de dollars des prêts de la Banque Mondiale et des banques régionales de développement. Enfin ils ont prévu que les ventes d’or que le FMI va effectuer produiront 6 milliards de ressources supplémentaires qui pourront être prêtés aux pays les plus pauvres à des conditions avantageuses dans les deux ou trois ans qui viennent11. Quantitativement ces mesures restent limitées, surtout si on les compare aux mesures relatives à la finance. Mais les pays en voie de développement, s’ils sont concernés par la crise, n’en sont pas eux-mêmes les acteurs.

L’autre domaine dans lequel le G20 n’a rien fait, et cette fois rien du tout, c’est la

monnaie. Qu’est-ce que la finance, si ce n’est de la monnaie ? La monnaie peut être échangée contre des produits – elle est la contrepartie dans la transaction. Lorsqu’elle est prêtée, empruntée, placée, remboursée… elle devient l’objet de la transaction. A Bretton Woods, les pays ont décidé de règles touchant à la monnaie. Cette fois rien, absolument rien à ce sujet.

En fait, à Bretton Woods les pays n’ont pas inventé une nouvelle monnaie

internationale. Ils ont laissé le dollar jouer ce rôle, tous pouvaient l’accepter parce qu’il était convertible en or et que son accumulation se trouvait en quelque sorte régulée. Il ne l’est plus depuis 1971. Son importance dans les liquidités internationales n’a cessé de grandir, au gré des transactions, courantes et financières, que font les Etats-Unis avec les autres pays, c’est-à-dire sans la moindre régulation. Les avoirs en dollars dans le monde ont explosé, à commencer par les avoirs des banques centrales. A elle seule la Chine en détient 1.500 milliards. Comme le dollar n’est plus convertible au sens fort du mot, elle ne peut plus les remplacer en euros, voire en or, qu’en allant sur le marché… Elle veut sortir de cette situation et on la comprend fort bien. On la comprend d’autant mieux, aujourd’hui, qu’on ne peut pas vraiment réformer la finance sans réformer la monnaie.

Mais au plan international les choses ne sont pas simples. Il faudrait d’abord consolider

les « balances dollars » comme on a autrefois consolidé – sans grand succès – les « balances sterling ». Il faudrait ensuite non pas seulement réguler la création de dollars comme monnaie 11. Cette vente a été décidée pour accroître les revenus du Fonds lorsque les crédits accordés – et les intérêts correspondants – ont beaucoup baissé. Maintenant que ces crédits vont augmenter, et fortement, les revenus du Fonds vont dépasser ses dépenses. L’excédent pourrait également être utilisé pour aider les pays les plus pauvres.

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internationale, mais inventer une nouvelle monnaie qui ne soit pas celle de tel ou tel pays. Keynes l’avait fait à la fin de la guerre, et son plan suscite toujours beaucoup d’intérêt plus de soixante plus tard ! Le DTS que le G20 fait revivre a été imaginé et lancé en 1970 pour prendre la place du dollar. Le Fonds a même proposé dix ans plus tard de créer un « compte de substitution » pour transformer au moins une partie des avoirs officiels en dollars en des créances en DTS. Tout cela veut dire que les solutions sont difficiles à trouver, mais on les trouve. Il faut ensuite que les Etats se mettent d’accord…

Ils ne le sont pas sur la monnaie, du moins pour l’instant, car il faudra bien qu’ils s’en

préoccupent un jour. Ils le sont sur la finance. C’est un résultat inespéré. Le resteront-ils, le seront-ils suffisamment lorsque leurs intérêts seront en jeu, seront-ils toujours capables de voir leur intérêt à travers celui de la communauté internationale… ? C’est le temps - et lui seul – qui peut répondre à une telle question. Bibliographie CHAVAGNEUX C. et PALAN R., Les paradis fiscaux, Coll. Repères, La Découverte, 2006. CHAVAGNEUX C., les dix chantiers de la régulation financière, Alternatives Economiques, numéro hors-série, La crise, avril 2009. ICART A., Stabilité financière et banques centrales, Economica, 2007. LELART M., Régulation et gouvernance dans la finance internationale « Où en est le FMI ? », Etudes Internationales, (Université Laval) vol. 37, n°4, décembre 2006, pp. 575-595. LELART M., Le système monétaire international, Collection Repères, La Découverte, 7ème édition, 2007. PAYNE A., Le G8 et le nouvel ordre économique mondial, International Affairs, vol. 84, n°3, mai 2008. Traduit et reproduit dans Problèmes Economiques, n°2958, 12 novembre 2008, pp. 50-58. Au moment de remettre cet article à l’impression, le dernier numéro (42) de l’Economie Politique vient de sortir. La plupart des contributions portent sur un thème proche de celui que nous venons de traiter : « Quelle finance après le G20 ? ». Tous les documents publiés par le G20, au niveau des ministres comme au niveau des chefs d’Etat, sont disponibles sur la toile : www.G20.org. Certains d’entre eux, parfois traduits en français, sont disponibles sur : www.minefi.org ou www.elysee.org.