Dom Augustin Guillerand - Un maître spirituel de notre temps par A. Ravier

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UN MAÎTRE SPIRITUEL DE NOTRE TEMPSDOM AUGUSTIN GUILLERANDPRIEUR CHARTREUX 1877-1945par André Ravier, s. j.DESCLÉE DE BROUWERImprimi potestPhilippe LAURENT, s. j. Praep. Prov. Lutetiae Par. 20 décembre 1963Imprimatur J. HOTTOT Vic. Gén. Arch. Lutetiae Par. 21 janvier 1964 © Desclée De Brouwer 1965ÉCRITS DE DOM AUGUSTIN GUILLERAND Silence cartusien (6e édition). Avant-propos du Professeur O. Tescari. (Traduit en allemand, en italien et en espagnol.) (épuisé) Voix cartusienne (4e é

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UN MATRE SPIRITUEL DE NOTRE TEMPS

DOM AUGUSTIN GUILLERANDPRIEUR CHARTREUX 1877-1945

par Andr Ravier, s. j.

DESCLE DE BROUWER

Imprimi potest

Philippe LAURENT, s. j. Praep. Prov. Lutetiae Par. 20 dcembre 1963

Imprimatur J. HOTTOT Vic. Gn. Arch. Lutetiae Par. 21 janvier 1964 Descle De Brouwer 1965

CRITS DE DOM AUGUSTIN GUILLERAND Silence cartusien (6e dition). Avant-propos du Professeur O. Tescari. (Traduit en allemand, en italien et en espagnol.) (puis) Voix cartusienne (4e dition). (Traduit en italien.) (puis) Ces deux ouvrages ont t traduits en anglais et publis en un seul volume sous le titre : They speak by silences (dit. Longmans Green, Londres). Harmonie cartusienne (2e dition). (Traduit en italien et en espagnol.) (Traduit en anglais, avec des notes de direction, sous le titre : Where silence is praise , dit. Darton, Longman et Todd, Londres.) (puis) Face Dieu (2e dition). (Traduit en italien.) (puis) Hauteurs sereines (2e dition). (puis) Contemplations mariales (2e dition). Prface de Mgr Cristiani. (Traduit en anglais.) Liturgie d'me (2e dition). Prface de Mgr Cristiani. Au seuil de l'abme de Dieu. lvations sur l'vangile de saint Jean (2e dition). Prface et prsentation du R. P. A. Ravier, s. j. Vivantes clarts. L'dition critique des CRITS SPIRITUELS est en prparation (en 2 volumes). diteur pour tous les volumes : Benedettine di Priscilla. Catacombe di Priscilla. 430, Via Salaria. Roma. Italie. Dpositaire pour la France : Office Gnral du Livre. 14 bis, rue Jean-Ferrandi. Paris, VIe.

PRFACECe n'est pas sans avoir longtemps hsit que j'ose nommer Dom Augustin Guillerand un matre spirituel de notre temps . Car je pressens toutes les objections qui se peuvent lever contre ce titre : bien qu'il ait t vicaire, puis professeur et prfet de division dans un collge ecclsiastique, et enfin dix ans cur en deux paroisses, Dom Augustin fut essentiellement, mme avant son entre en Chartreuse, un contemplatif ou plus exactement un homme de solitude. Dans les textes que nous possdons de lui, nous trouverons, certes, une doctrine, et combien spirituelle ! de la charit apostolique : mais il faut le constater ds le dpart, afin de lever toute ambigut, le souffle original qui anime ses crits, et qui s'est impos ds leur premire rvlation, des milliers de lecteurs, pousse l'me vers le silence, l'intriorit, la contemplation, la lutte spirituelle et sa paix reconquise, l'intimit personnelle avec Dieu plutt que vers les affrontements avec l'homme, sa condition, sa misre ou son pch. Sur l'existence, le temps qui passe, la souffrance et la joie, la vie et la mort, Dom Guillerand jette dlibrment un regard d'ternit. Le jugement qu'il porte sur les personnes et sur les choses est un jugement absolu, sans compromission avec l'phmre ni le contingent. N'est-il pas alors tranger une poque merveilleusement missionnaire et pastorale ? N'apparat-il pas comme un exil volontaire, un dserteur de l'action ? Ne s'est-il pas de lui-mme, et par toute la pousse de son temprament et de sa grce, mis l'cart de la foule ? Un homme peut-il ce point appartenir, d'un mme mouvement d'me, l'ternit et son temps ? Loin de nous la prtention de rduire toutes les dissonances qui existent entre la spiritualit de Dom Augustin et certaines tendances du catholicisme contemporain. Ce livre ne cherchera en aucune faon les estomper, et moins encore les escamoter. quoi bon ? Une longue frquentation de la pense de Dom Augustin nous a convaincu en effet que ce chartreux, en vivant avec une fidlit, parfois hroque, sa vie de chartreux, avait atteint trs vite ce point extrme de la vie mystique o l'me, dpassant toute contemplation et toute action au sens exclusif ces termes, n'aspire plus qu' l'union Dieu par Jsus-Christ, c'est--dire, pour parler le langage mme de Dom Augustin, n'aspire plus qu' participer au mouvement d'amour qui unit le Pre, le Fils et le SaintEsprit dans la Trinit, et reproduire en elle, quoi qu'elle fasse, par la1

vie de grce, cette vie divine. L'me de Dom Augustin est toute imprgne de la pense de saint Jean et de saint Paul : elle en vit profondment, intensment. Nous nous refuserons prciser, au cours de cette biographie, si le Seigneur a gratifi Dom Augustin de faveurs extraordinaires : ce serait ouvrir un dbat qui lui aurait singulirement dplu. Lui-mme eut d'ailleurs toujours grand soin ramener les mes les plus mystiques la contemplation de la vie de Jsus de Nazareth. Ce qui est sr, c'est que sa spiritualit, dont la Rgle cartusienne favorisait admirablement l'efflorescence, rpond encore un besoin, au besoin spirituel le plus urgent de l'homme d'action. Avec quelle souplesse par exemple, cette spiritualit se muait en directives d'ducation pour quelque petit neveu : l'ancien professeur du Collge Saint-Cyr de Nevers concidait alors avec le chartreux. Je crois aussi pouvoir affirmer que s'il avait eu conseiller ou diriger des prtres engags dans le ministre, l'ancien cur de Ruages et Limon, en lui, ne se serait pas moins trouv en accord avec le chartreux ! Quant aux lacs, fussent-ils parmi les plus fervents nos formes modernes d'vanglisation, ils sont nombreux dj raviver leur ardeur aux heures lourdes de leur itinraire ou de leur combat, dans les crits de Dom Augustin... Un dernier point encore doit tre prcis avant que ne s'ouvre ce livre. Cette tude ne vise pas, comme les biographies ordinaires, prsenter jusque dans son dtail le plus fouill une existence. Les premiers admirateurs de Dom Augustin se rappellent encore de quel svre anonymat s'entouraient dans les commencements Silence cartusien, Voix cartusienne, Harmonie cartusienne : ces opuscules n'taient mme pas prsents comme les crits d'un chartreux ! (Encore qu'il ft difficile de ne pas s'en apercevoir...) Si la discrtion j'allais dire la pudeur cartusienne requrait pour de nombreuses et justes raisons ce silence, le succs mme de ces recueils ne permettait pas d'esprer que la pieuse curiosit des lecteurs ne dchirerait pas tt ou tard le voile... C'est prsent chose faite : le nom de Dom Augustin Guillerand appartient la littrature contemporaine de spiritualit. Mais en cette tude, nous avons t invits par les suprieurs de Dom Augustin, et nous avons tenu personnellement, garder quelque chose de la discrtion premire. Notre but n'est pas tant d'taler sous le regard du public l'existence de Dom Augustin, que de lui rvler son me, dans la mesure o cette me explique la tonalit originale et le rayonnement ses crits.2

Nous nous sommes pourtant assur une base scientifique large et sre. Nous avons interrog la plupart des personnes qui ont connu Dom Augustin, et qui sont encore de ce monde ; nous avons cout ceux qui l'ont aim et admir, et avec non moins d'attention ceux qui ont souffert de son impulsivit et de sa nervosit (car parfois les nerfs cdaient sous l'effort spirituel...). Nous avons plerin en tous les lieux o il a vcu (sauf, notre regret, Vedana). Nous avons recueilli impartialement les critiques et les rserves qui ont t adresses l'une ou l'autre ses uvres ; nous sommes d'ailleurs personnellement persuads que ce serait le trahir que de publier telle mditation intime, telle note jete la vole sur le premier bout de papier qui lui tombait sous la main, telle inspiration qu'il n'avait pas amene son point correct de formulation. Lui-mme rechignait confier tel admirateur un peu trop press ou pressant le manuscrit de ses Sermons capitulaires... Il n'crivait que pour lui ! Son texte n'tait jamais assez au point ! Et par trois fois au moins, notre connaissance certaine, il brla ses notes : en quittant San Francesco, puis Vedana, et une quinzaine de jours avant sa mort. Nous tiendrons compte, en cette tude, du fait que les crits de Dom Augustin sont prsent dits et que chacun peut se les procurer son gr. Pourtant, nous essaierons de lui laisser lui-mme la parole chaque fois qu'il nous sera possible de le faire, et nous le citerons largement en des crits indits. Rien ne saurait remplacer, notre avis, le contact immdiat avec son me ; sur ce point, tout le monde s'accorde, amis ou, disons, indiffrents : Dom Augustin avait un charisme pour l'entretien particulier, vivant, direct, familier ; et ceux ou celles qui ont bnfici de ses conseils diraient volontiers ce que disait l'un de ses amis les plus srs : Ses crits, c'est le fond de son me. En la fte de saint Bruno 6 octobre 1964 A. R.

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Introduction biographique

L'HOMME ET SA VOCATION

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I. NOS GENTILS VALLONS NIVERNAIS (26 novembre 1877-1916)

La famille de Guillaume Guillerand Aujourd'hui, vingt-neuf novembre mil huit cent soixante-dix-sept, a t baptis Pierre, Joseph, Maxime, Thodore Guillerand, n Reugny de Dompierre, le vingt-six novembre, du lgitime mariage de Guillaume Guillerand et de Franoise-Julie Cointe. Le parrain a t Pierre Guillerand, frre de l'enfant, et la marraine Laure Cointe, cousine germaine de l'enfant. Ainsi parlent les Archives paroissiales de Dompierre (1) de celui qui devait tre un jour Dom Augustin Guillerand, chartreux. Maxime tait le cinquime enfant de Guillaume-Martin Guillerand et de Julie Cointe. Guillaume mourut, jeune encore, en 1882. Nous avons grandi, nous, dans une maison de sept, crira un jour Dom Augustin, et nous avons vu une maman, cependant veuve, toute rayonnante quand elle avait son parterre complet autour d'elle. Faisons connaissance, au moins sommaire, avec ses frres et surs. L'ane de la famille tait milie (1868-1943) ; de son mariage avec Bertrand Pesle (1893) naquirent deux enfants, Ren et Pierre. Pierre avait onze ans lorsqu'il se noya dans le canal du Nivernais. Accident d'autant plus douloureux que le pre de l'enfant tait mort lui-mme tragiquement plusieurs annes auparavant. La mort de ce neveu eut un retentissement certain sur la sant et peut-tre mme sur la vocation de son oncle. Le second enfant de la famille s'appelait Pierre-Marie (1870-1924). Puis venaient Alexis (1874-1948) et Louise, Ise comme l'appellera parfois dans ses lettres de chartreux, Dom Augustin avec une nuance de tendresse privilgie (1875-1958). Aprs Maxime, notre chartreux, naquit encore une petite fille, Aur1

C'est donc par erreur que le palmars du Petit Sminaire de Pignelin de 1887 dit de Maxime Guillerand qu'il est de Guipy. Le palmars de 1888 rectifie cette erreur. Guipy est limitrophe de Dompierre. 5

lie (1879-1933). De cette sur pune, Dom Augustin crira aprs sa mort : Nous tions les deux derniers ; nous avons grandi ensemble ; nous mangions la soupe ensemble, et quand elle tait moins notre got, c'tait qui en prenait la plus petite part ; nous nous chamaillions bien des fois au cours d'une journe, et nous aimions autant qu'on peut s'aimer, je crois. En se dveloppant, la famille essaima en diffrents lieux de la Nivre : Nevers, Varzy, Moraches, Hry, ces noms apparatront dans la correspondance de Dom Augustin. Tous, sauf la branche de Nevers, taient encore, il y a quelques annes, des ruraux fidles la terre. Dom Augustin lui-mme se rvlera toujours, sous les gots et les affinements du lettr, du prtre et du moine, un homme de la terre, ou mieux un homme de terroir. Reugny De toute cette famille, le centre fut longtemps ce lieu-dit que l'acte de baptme dsigne par ce nom : Reugny de Dompierre . Reugny, aujourd'hui fort dlabr, tait alors un beau domaine, l'cart de tout village ; cette vieille gentilhommire, borde de grands sapins, au milieu des champs, o pouvaient s'abriter enfants et petitsenfants, marqua trs profondment l'me de Maxime Guillerand. De son existence Reugny lui vinrent incontestablement un sentiment trs vif de la famille, un amour passionn et un peu jaloux des siens, son attachement pour milie sa sur ane, et pour Louise qui, de deux ans seulement son ane, se sentait trs proche de lui. Reugny restera toujours pour Dom Augustin un point de trs vive affectivit et son loignement un sacrifice : c'tait la maison de sa naissance et de ses petites enfances, la maison aussi de ses vacances tandis qu'il tait aux Sminaires et aprs son sacerdoce. Il n'est pas douteux que cette grande demeure solitaire, silencieuse mme parmi les travaux des champs, ait inclin son me vers une certaine qualit du sentiment religieux, et favoris sa vocation cartusienne. Ma vocation de chartreux est une vocation de silence et de solitude. Un jour, Reugny sera vendu (dcembre 1956) : Dom Augustin alors ne sera plus de ce monde. Enfances Des toutes premires enfances de Maxime Guillerand, nous ignorons peu prs tout. C'tait un enfant d'allure petite et un peu malingre, mais6

dont le visage tait illumin de magnifiques yeux profonds. Il apprit lire et crire l'cole communale de Dompierre-sur-Hry. Il dut manifester trs tt une pit relle, car il n'avait pas dix ans lorsqu'il fut envoy au petit sminaire de Pignelin. C'est l qu'il fit sa premire communion le 6 juin 1889 et reut le sacrement de confirmation le 27 juin de la mme anne : il tait alors lve de sixime. Grce aux Palmars des prix et aux souvenirs de quelques condisciples encore vivants, il est assez facile de recrer l'existence du jeune sminariste, et surtout de percevoir les premires tendances de son esprit : chaque anne, sauf en classe de troisime (1892), Maxime recueillit d'abondantes nominations la distribution des prix : ces courtes listes mriteraient commentaire : signalons du moins qu'une seule fois, ce fut en 1889, lors de sa seconde septime, l'enfant obtint une nomination (un premier accessit) en calcul ! Tandis que chaque anne, avec une rgularit parfaite, sauf en troisime, il obtenait un prix ou un accessit en histoire, qu'elle ft grecque, latine ou de France . la fin de sa rhtorique (1894), qu'il fit sous la direction du P. Ch. Maillard, il enleva le second prix de discours franais et le second prix de critique littraire. Ces palmars correspondent bien aux notes hebdomadaires ou mensuelles qu'obtenait l'colier : Maxime tait un littraire, avec un got prdominant pour l'histoire, beaucoup plus qu'un matheux ou un scientifique . Voici le souvenir que garde de son compagnon de cours de petit sminaire, un prtre nivernais : C'tait un enfant aimable, intelligent, pieux, gai, travailleur, nergique, estim de ses professeurs, en particulier du P. Maillard. C'tait un fin littrateur qui discutait volontiers et ardemment, avec ses camarades, en rcration et en promenade, sur les auteurs qu'on tudiait en classe. La formation du petit sminaire tait solide et profondment religieuse. Sur les vingt lves de rhtorique, treize au moins, notre connaissance, devinrent prtres. Maxime Guillerand tait-il un petit sminariste modle ? Ses bulletins hebdomadaires que nous avons eu la chance de retrouver ne l'indiquent pas : ses notes d'tude ne sont que moyennes et il ne figure pas sur les listes de la Congrgation des Saints-Anges ni, plus grand, sur les listes de la Congrgation de la Sainte Vierge . Par contre, nous savons qu'il tait dj un fervent... de la pche et qu'il fabriquait, aux heures de libres loisirs, des filets avec lesquels il allait pendant les vacances, pcher sur l'Yonne. Il parat qu'un jour, ayant tir de l'Yonne une perche d'une exceptionnelle envergure, il ne se lassait pas d'admirer sa victime, et finit par tomber deux genoux devant elle ! La pche sera longtemps pour lui une occupation prfre.7

Il sera lors de son conseil de rvision rform pour fatigue pulmonaire. L'origine de ce mal ne semble pas devoir tre situe avant le grand sminaire : pendant ses huit ans de Pignelin, il ne fut absent qu'une seule fois : pendant quinze jours, la fin du premier trimestre de sa troisime, il est signal l'infirmerie : cette anne de troisime est d'ailleurs l'anne moyenne de ses tudes secondaires. Dans une lettre son frre Pierre-Marie, il voque, longtemps plus tard, ses dparts pour Pignelin , d'une faon charmante : Merci de ta bonne lettre, lui crit-il le 1er janvier 1918. Elle me rappelle une affection dont je n'ai pas le droit et dont je ne serai jamais tent de douter. Elle me rappelle mes premiers dparts pour Pignelin o j'tais fier d'tre accompagn par un grand frre an et aim, et les bons conseils pas assez couts, mais qui sont rests tout de mme dans quelque coin de mmoire et qui ont peut-tre, sans que je m'en doute, veill ma vocation de chartreux. Et s'ils ont eu cette secrte influence, ne le regrette pas : car tu as ajout mes joies de sminariste le grand bonheur de ma vie. J'ai connu beaucoup de jouissances avant de venir ici ; mais je n'ai eu le bonheur qu'ici. C'est bien un peu trange, n'est-ce pas, de nager dans la paix profonde et la joie perptuelle avec 3 h. 1/2 d'offices toutes les nuits, un seul repas par jour pendant 7 mois de l'anne, la solitude presque complte, le silence presque continuel, et le reste l'avenant. Eh bien ! C'est cependant mon cas et c'est le cas de tous ceux qui sont ici. Au grand sminaire Maxime Guillerand n'avait pas dix-sept ans lorsqu'il passa du petit sminaire de Pignelin au grand sminaire de Nevers. Le grand sminaire s'abritait alors dans un ancien couvent d'Ursulines, la lisire de la ville. Il tait dirig par les Pres Maristes et le suprieur en tait un homme de grand talent, le P. Charles Peyrard. De cette priode du grand sminaire, nous conservons quelques documents d'archives intressants. Ils nous permettent de nous faire une ide assez prcise de celui que dj l'on appelle l'abb Guillerand . Pour la conduite , la pit , le chant et les crmonies , on lui attribue la note Bene ; mais pour le caractre et la prdication , il n'obtient que Satis bene . ses examens, il mrite des satis bene . Une note de Mgr Lelong, qui fut vque de Nevers de 1877 1903, le dcrit ainsi au moment du sous-diaconat : Bon sminariste, sauf le caractre un peu rude, assez intelligent ; et une autre note8

plus tardive prcise : Bon sminariste, solidement pieux, caractre ferm, sant faible. Au cours de ces annes de grand sminaire, l'abb Guillerand eut l'honneur d'tre thsiste . On appelait ainsi les lves qui taient dsigns, selon leurs notes d'examens, pour soutenir une thse de philosophie ou de thologie, dans les sances acadmiques ou Concertationes . Ces sances solennelles avaient lieu quatre fois l'an, sous la prsidence de l'vque, des vicaires gnraux et du vnrable chapitre, amplissimi canonici . Naturellement, la langue latine tait seule admise dans ces illustres dbats, dont les champions se mesuraient avec des vicaires gnraux ou des professeurs trangers la Maison... Les ordinations L'abb Guillerand reut la tonsure le 23 juin 1895, les ordres mineurs le 29 juin 1896, le sous-diaconat le 23 dcembre 1899 et le diaconat le 29 juin 1900. 20 ans, il fut rform par l'arme et exempt du service militaire. Cette exemption valut l'abb Maxime Guillerand d'tre ordonn prtre trs jeune. Il avait peine 23 ans, le 22 dcembre 1900, lorsque Mgr Lelong lui confra le sacerdoce en la cathdrale de Nevers. Et l'on sait par le Registre paroissial de Dompierre qu'il chanta dans l'glise de son baptme l'une de ses premires messes, le 27 dcembre, en la fte de saint Jean. Des sentiments qui furent les siens sous le don de cette grce immense, rien n'est parvenu jusqu' nous, sauf un cho tardif, mais trs significatif, dans une lettre du 26 dcembre 1927 : J'ai beaucoup song ce matin la journe du 27 dcembre 1900 o je clbrais ma premire messe solennelle. Je ne sais pourquoi, ce souvenir m'est revenu d'une faon si insistante... C'est si grand une messe ! C'est grand comme le cur du Bon Dieu qui s'y donne tout entier. Il s'y sacrifie, il s'y immole, il y anantit son tre pour qu'on puisse s'emparer de lui. Un autre souvenir nous a t transmis, dont nous n'avons pu vrifier rigoureusement l'exactitude, mais qui semble trs vraisemblable. L'abb Maxime Guillerand aurait, pour clbrer l'une de ses premires messes, peut-tre mme la premire, revtu une chasuble ayant appartenu saint Franois de Sales. Cette chasuble prcieuse, aux arabesques de velours broch d'or, existe encore la Visitation de Nevers ; et beaucoup de9

jeunes prtres sollicitaient la faveur de la revtir pour clbrer leur premire messe. Premiers ministres En janvier 1901, le jeune prtre tait nomm vicaire Corbigny. Il y resta deux ans et demi (janvier 1901-octobre 1903). De ce temps de vicariat, nous n'avons recueilli aucun souvenir. En octobre 1903, il passait l'Institution Saint-Cyr, le collge ecclsiastique de Nevers , en qualit de prfet des grands et de professeur d'histoire et de gographie. C'tait se souvenir opportunment des dons que le petit sminariste avait manifests en cette science ! Ses anciens lves gardent de lui l'image d'un matre juste, exigeant, svre. Il suffisait, raconte un de ses anciens lves, qu'il appart sur la cour de rcration pour que les lves se rfugient, comme des oiseaux apeurs, l'autre extrmit du terrain... Pourtant, il tait 'trs facile aimer'. Est-ce du temps du grand sminaire ou de ses premires annes de sacerdoce que datent ces anecdotes qui semblent mal prluder une vocation cartusienne ? Plusieurs amis, dont l'abb Guillerand, accompagnrent un jour jusqu'en Angleterre, un confrre qui s'en allait prendre l'habit dans un monastre exil de France... On naviguait sur un rafiot. Les matelots s'amusrent faire boire le candidat-moine plus que de raison ! L'affaire faillit mal tourner ! De cette poque aussi datent deux plerinages : l'un la Pierrequi-Vire il y alla pied avec un compagnon de sminaire ; et l'autre Lourdes. Pourtant, le plus clair de ses vacances se passaient tout simplement dans le cher Reugny, o la famille se regroupait et o chacun vaquait, selon ses aptitudes, aux travaux de l't. Cur de Ruages En dcembre 1905, le jeune abb fut nomm cur de Ruages. Des paroissiens de ce temps vivent encore Ruages : lorsqu'on leur parle de l'abb Guillerand, leur visage s'claire, leurs souvenirs se rveillent et s'animent. Ils gardent trs vif le souvenir de ce trs bon cur qui ( leurs yeux) n'avait qu'un dfaut : il avait mauvaise sant et tait dlicat sur la nourriture . D'un de ses anciens enfants de la paroisse nous est mme parvenu un souvenir vcu, dont il ne faut pas majorer l'importance certes, mais qui reste trs prcieux recueillir. Ce trait pourrait10

entrer dans des fioretti de l'abb Guillerand ! Donc, le petit garon d'une des familles les plus chrtiennes de la paroisse avait atteint l'ge du catchisme. cette poque, il y avait entre les mamans une sainte mulation : elles mettaient leur point d'honneur ce que leurs enfants, lorsqu'ils se prsentaient M. le Cur, aient dj reu une initiation relle aux choses de la foi : elles dbroussaillaient leurs premires notions de catchisme et surtout leur apprenaient leurs prires et leur signe de la Croix. Le jeune hros de cette histoire avait t bien form par sa mre, et lorsqu'il se prsenta son cur, il tait assez fier de tout ce qu'il savait. Ici je lui laisse la parole : Je dchantais vite, dit-il. L'abb Guillerand jeta tout ce bel difice par terre. Je ne faisais pas le signe de la Croix selon ses vues. Ma mre m'avait habitu me frapper le front, la poitrine en disant Au nom du Pre, du Fils . Sur ce point, pas de contestation ; mais je disais : Et du Saint-Esprit sur l'paule gauche, et Ainsi soit-il sur l'paule droite, avec un temps d'arrt. L'abb Guillerand nous dit : Ce n'est pas cela, il n'y a qu'un Saint-Esprit et vous avez deux paules. Il faut dire Saint sur l'paule gauche, et Esprit sur l'paule droite. Quant Ainsi soit-il , envoyez-le au large, comme s'il n'existait pas. Jetez-le au vent, nous disaitil pour nous faire comprendre. Il nous fallait recommencer des quantits de fois. C'tait trs difficile pour nous. Et il y tenait, au signe de Croix ! J'imagine qu'il nous aurait tout pardonn, mme de mal savoir son catchisme, si on faisait bien son signe de Croix. Plus tard, ses successeurs nous ont fait faire ce signe rapidement... Le rsultat, c'est qu'aujourd'hui 56 ans... j'ignore comment il faut vritablement faire le signe de la Croix, mais j'ai toujours conserv la manire de faire de l'abb Guillerand, car jamais je n'ai constat chez aucun prtre la mme application et la mme ferveur que chez lui. Je crois que c'est un des grands souvenirs qu'on peut conserver de lui... L'abb Guillerand a su se faire aimer ; pour moi, j'ai eu un grand chagrin d'enfant son dpart, je crois que c'tait un mule du cur d'Ars, un vrai saint, car j'ai toujours dans les yeux ses gestes fervents lorsqu'il nous apprenait le signe de la Croix. Deux autres souvenirs, pittoresques, intresseront ceux qui ont connu Dom Augustin : il ne travaillait que debout, en marchant ; s'il crivait, il posait ses livres et son papier sur un pupitre surlev... Et il redoutait tellement d'aborder, le dimanche, la chaire de vrit , qu'il s'exerait longuement dire son prne, devant une grande glace ! Il aimait aussi que les chants liturgiques fussent bien prpars, et disposait dans sa cure d'un gros harmonium deux claviers, autour duquel il groupait souvent les enfants ou les choristes de la paroisse.11

Il semblait qu'il n'y et pas dans toute la Nivre de cur plus heureux que le cur de Ruages. Dans sa modeste et sobre glise de campagne, dont les fondations dataient du XVIe sicle, - il aimait clbrer les Offices, il stylait avec soin ses clercs et son chur de chant, il officiait luimme avec une dignit recueillie qui frappait et difiait. Sa cure, quelque distance de l'glise, tait tenue par sa sur Louise. Il s'occupait activement de ses quelque 300 paroissiens : c'est ainsi qu' l'poque o la vigne rgionale priclitait, il faisait venir pour eux du Midi des wagons de raisins desschs, dont ils fabriquaient une boisson ; on prtend mme que le charitable cur y laissa une partie de sa fortune et de la fortune de sa sur, car il n'tait pas rembours de ses avances d'argent avec une exactitude scrupuleuse... Les jours de cong, il aimait se livrer sa passion de la pche : l'Yonne et le Canal du Nivernais sont proches de Ruages, et dans les cures voisines le cur de Ruages comptait d'excellents amis qui partageaient sa passion. La mort de Pierre Guillerand Tout semblait s'accorder pour que l'abb Guillerand connt toute sa vie l'existence paisible, pieuse et bienfaisante, l'existence heureuse du parfait cur de campagne ! Voici pourtant qu'en octobre 1908 survient dans cette harmonieuse existence un drame qui la bouleverse. L'vnement ayant pes trs lourd sur la sant et la vie de l'abb Guillerand, nous souhaitions beaucoup dcouvrir un rcit incontestable de l'accident, et les rcits oraux que nous recueillions ne concordaient pas tout fait. Par chance, nous avons retrouv le numro du Journal de Marigny, Monceaux, Ruages qui relate le fait ds le 25 octobre (l'accident eut lieu le samedi 17 octobre). Nous citons le rcit original : Fauch dans sa fleur Le samedi 17 octobre, un vnement douloureux jetait la consternation parmi nous. Un enfant de 11 ans, Pierre Pesle, neveu de notre cher confrre, M. l'abb Guillerand, cur de Ruages, tombait dans le canal, Dirol, et se noyait. Ce pauvre enfant tait entr joyeux au petit sminaire de Corbigny, le 3 octobre, mais la coqueluche l'ayant pris, le mdecin le renvoya chez son oncle, Ruages, avec recommandation de se donner de l'air et du mouvement. Aprs douze jours de ce rgime, Pierre allait dj bien mieux et le12

moment approchait o il devait rentrer dfinitivement Corbigny. En attendant et conformment au rgime - une petite promenade tait dcide pour la matine du 17 octobre. L'enfant et son oncle iraient Monceaux faire quelques provisions, puis on passerait la gare de Dirol prendre les journaux qui arrivent le samedi. Le trajet de Ruages Monceaux se fit de concert bicyclette. Puis l'enfant, les emplettes termines, seul maintenant bicyclette, se rendit la gare de Dirol o se trouvait M. le cur de Marigny, et o M. le cur de Ruages, venant pied, les rejoignit bientt. Aprs avoir assujetti sur la bicyclette ses journaux avec les provisions, le jeune Pierre Pesle remonta sur sa machine et partit pour Ruages par les bords du canal. Il tait prs de dix heures. Son oncle et M. le cur de Marigny prirent pied le mme chemin, quelques minutes plus tard, et ne se doutrent pas que les eaux paisibles qu'ils longeaient venaient d'engloutir le pauvre enfant. Comment le drame s'est-il produit ? Personne ne s'en est aperu. Malgr son ge, Pierre Pesle tait trs vigoureux et se tenait parfaitement bicyclette. Maintes fois il avait suivi ce chemin. On pense qu'il fut pris d'une quinte de coqueluche et que cet accs l'agitant de mouvements convulsifs et lui fermant les yeux, comme de coutume en pareil cas, il fit un faux mouvement et fut projet dans le canal avec sa bicyclette. Lorsque notre cher confrre de Ruages rentra chez lui, n'apercevant pas son neveu, il pressentit un malheur et retourna sur ses pas. Aprs une heure d'alles et venues sur le bord du canal, on vit la casquette de Pierre flotter la surface de l'eau. ce signe manifeste de l'irrparable malheur, les habitants de Dirol s'empressrent d'organiser des recherches et y mirent tout leur dvouement. Ce ne fut pourtant que vers trois heures du soir qu'ils parvinrent dcouvrir et ramener sur la rive le corps de l'enfant. Impossible de dire la douleur de son oncle et de sa tante qui le soignaient avec tant de tendresse. Impossible de rendre la dsolation de sa pauvre mre si cruellement prouve, il y a onze ans, par la mort tragique de son mari. Le coup fut trs dur pour l'abb Guillerand dont la sant tait dj fragile (2). Il se sentait en quelque faon responsable de ce petit neveu,2

Il existe une autre explication de la fragilit nerveuse de Dom Augustin : cur ( Ruages ou Limon?), il aurait t appel un jour de trs mauvais temps auprs 13

trs doux et trs attachant : n'tait-ce pas lui qui avait insist pour qu'on lui achett cette bicyclette ? N'aurait-il pas d lui interdire de rentrer par le chemin de halage ? ou du moins l'accompagner ? Une sorte de remords minait l'abb Guillerand. Il tomba malade , nous disent les tmoins. Sans doute une dpression nerveuse ? Quoi qu'il en soit, il dut interrompre son ministre et s'en fut se reposer l'abbaye d'Einsiedeln, en Suisse. Il emportait, en quittant Ruages, l'affection et la vnration de ses paroissiens : tous le regrettrent. Cur de Limon Revenu dans la Nivre, mais de sant encore trs frle, il demanda et obtint de ne pas reprendre la cure de Ruages. En mai 1912, il fut nomm cur Limon, prs de Saint-Benin-d'Azy. La paroisse n'tait pas moins nombreuse que Ruages, elle comptait mme peut-tre quelques personnes de plus (3). Mais le travail de la paroisse tait plus calme qu' Ruages, et le cur de cans jouissait de quelques loisirs. Tout de suite, il donna son existence un rythme quasi contemplatif. Il renona d'abord aux services de sa sur Louise, assurant lui-mme son entretien et sa cuisine. Il se remit au jardinage, en amateur, par hygine. Il excellait, parat-il, dans la culture d'une certaine varit de fraises et il en paraissait trs fier... Il en tirera mme un jour, c'tait en juin 1916 une leon l'adresse d'une jeune pensionnaire : Fais comme mes fraises. Elles ne prennent pas seulement de la taille, mais de la couleur et du parfum. Cela se fait tout doucement, parce que la chaleur et le rayon de soleil leur sont donns d'une faon parcimonieuse. Mais toi, tu reois tout cela abondamment : ce sont les enseignements du pensionnat, ce sont les conseils de Mlle N..., ce sont les recommandations qu'on t'adresse de droite et de gauche. Tche donc de mrir vite et bien, de prendre du got et de la couleur. En attendant, prie bien le Bon Dieu, garde ta bonne sant et ta gaiet, et sois sre que les premires fraises de mon jardin seront pour toi. Bref, il semble que l'abb Guillerand ait alors inaugur une vie de red'une mourante. Il serait rentr la cure avec des habits tremps de pluie et aurait contract l une maladie assez grave. Aucun document ne nous permet de retenir cette version. 348 habitants d'aprs des statistiques de 1900. En 1905, Ruages comptait 392 habitants, et en 1912, Limon n'en comptait plus que 220.

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latif ermitage. Limon est proche des bois. L'abb se plaisait dans leur solitude. Un sentier, en face de son presbytre, se perdait dans les champs, d'o la fort n'tait pas loigne. L'abb emportait quelque livre et, assis sur un tronc d'arbre, il passait des heures entires lire et mditer. Il s'essayait ainsi la solitude cartusienne qui, dj, l'attirait. De la cure toute proche, il se rendait aisment l'glise et il y passait de longues heures en prire. Cette glise du XVIe sicle, ddie NotreDame de l'Assomption, donne une impression d'unit et de puret plus nette que l'glise de Ruages ; elle en est plus intime, plus priante. D'autant que Limon, blottie au creux d'une cuvette boise, semble isole des villages avoisinants. Une question s'impose l'esprit : l'abb Guillerand tait-il ds lors dcid entrer en Chartreuse ? Nous n'avons pu prciser la date o il engagea une correspondance avec la Chartreuse de la Valsainte, mais nous restons persuads que, si sa sant le lui avait permis, il aurait, ds son retour d'Einsiedeln, sollicit son admission au noviciat cartusien. D'aucuns ont retenu que vers les annes 1914-1916 il exista une certaine tension entre l'vch de Nevers et le cur de Limon : il semble que l'abb bouda alors son vque parce que celui-ci lui refusait l'autorisation de quitter le diocse pour entrer en Chartreuse. Pendant les vacances, il rejoignait avec joie Reugny et le groupe familial, mais il aimait aussi s'vader seul, dans la nature. C'est ainsi que pendant l't 1913 ou 1914, il s'en fut visiter les chteaux de la Loire... seul et bicyclette : le tmoin qui nous rapporte ce souvenir se rappelle encore que cette bicyclette tait quipe la moderne , c'est--dire qu'elle tait munie de changements de vitesse, ce qui situait alors le cycliste la pointe du progrs ! l'poque de Limon, nous entrons dans une connaissance plus prcise et plus directe de la vie de l'abb Guillerand. Nous le voyons d'abord s'occuper avec beaucoup d'intrt des sminaristes de la rgion, les recevoir mme sa table, les accueillir toujours avec joie. tait-ce en souvenir de ce petit neveu Pierre, dont la mort lui restait prsente ? Peut-tre. Quoi qu'il en soit, voici le tmoignage d'un prtre originaire de Saint-Benin d'Azy qui, en 1912, tait au petit sminaire, 14 ans, et qui s'apprtait entrer au grand sminaire lorsqu'en aot 1916, l'abb Guillerand partit pour la Chartreuse : Mon tat de sminariste me mit en rapport avec le nouveau cur de la petite paroisse voisine (Limon). Le doyen de Saint-Benin-d'Azy, mon cur, me fit l'loge de ce prtre qui tait nouvellement arriv dans le doyenn.15

La connaissance fut facile. L'abb Guillerand venait faire ses emplettes au chef-lieu de canton et dposait sa bicyclette chez des cousins que je voyais pendant les vacances et auxquels le jeune cur tait dj devenu bien sympathique. Sa premire rencontre avec les sminaristes de l'endroit fut conqurante. Le dtail cependant m'en chappe. Le petit cur de Limon , comme on disait, tait accueillant et affable. J'allais lui facilement. Ds que je l'apercevais de la maison, sur la route retournant Limon, je me prcipitais pour l'accompagner un bout de chemin. Sa conversation tait aussi intressante que cordiale. Il portait grand intrt aux sminaristes du voisinage. L'un d'eux, moins favoris du ct de sa famille, passait une bonne partie de ses journes ou de ses vacances au presbytre de Limon, et se plaisait prparer avec le cur qui y vivait seul, la cuisine quotidienne. Les autres taient aussi reus de temps en temps la table de l'aimable cur. Tous venaient le voir au gr de leur fantaisie. Il les recevait toujours avec son bon sourire : il nous racontait des histoires du temps de son sminaire, il se mettait l'harmonium qu'il avait dans son bureau, et chantait avec beaucoup d'me. Sa joie intrieure tait communicative. Il nous emmenait dans sa petite glise toute voisine. Elle tait entoure du petit cimetire ; de l'enclos de la cure, on poussait une barrire et on tait deux pas de la sacristie, et quatre pas du portail. glise gothique, bien recueillie ; le chur l'allure un peu monastique avec des stalles, aurait voqu, si on avait su l'avenir, celui de Vedana...

Les thmes spirituels Il tait videmment trs dsirable de connatre quelques-uns des thmes spirituels les plus familiers de l'abb Guillerand, en ces annes qui prcdrent son dpart pour la Chartreuse. Or, grce une fidlit mouvante, nous possdons quatre lettres qu'il crivit en 1915-1916 l'une de ses nices, une enfant de 12-13 ans, qui tait en pension, mais pas trop loin de son oncle... Il faudrait les citer tout entires, rien n'y est indiffrent : force pourtant est de choisir. L'enfant est-ce sa premire anne de pension ? s'ennuie . Quant l'ennui, il passera comme tout le reste si tu veux le soigner. Je vais t'indiquer deux remdes infaillibles si tu veux bien les employer. 1o Mets-toi vigoureusement au travail. Ne pense plus qu' tes leons,16

tes devoirs, aux questions de la classe. Donne toute ton attention, tout ton effort d'esprit cela, et je te garantis qu'au bout de quarante-huit heures tu auras cart l'ennui pour toujours. Tu pourras avoir des petits ennuis, des petites difficults avec les matresses ou les camarades, mais tu ne connatras plus l'ennui de cette quinzaine, l'ennui qui consiste penser Reugny, aux vacances, et beaucoup d'autres choses qui, en ce moment, doivent tre mises un peu l'cart. Tu t'ennuies tout simplement parce que ton esprit est inoccup, et toutes sortes de penses inutiles viennent prendre la place qui est vide. Si cette place est prise par l'tude, le got du travail, le souci de faire des progrs tout prix, d'apprendre, de comprendre mme ce qui ne se comprend pas du premier coup et tout seul, sois tranquille, l'ennui va bien disparatre. Il trouvera la maison garnie, et il ira se loger ailleurs. Pendant ce temps-l, tu connatras la joie de l'tude, le plaisir de connatre des choses nouvelles et tu te trouveras trs heureuse. 2o Je connais un deuxime remde. Il s'emploie trs bien en mme temps que le premier : c'est la prire. Les peines de la vie sont parfois trs lourdes porter, bien plus lourdes que celles que tu as prouves ces jours-ci. Il arrive souvent que nous serions crass sous le poids si nous n'tions pas aids. Il y en a beaucoup, d'ailleurs, qui sont crass, prcisment parce qu'ils ne se font pas aider. Mais le Bon Dieu a prvu notre faiblesse et il nous a offert son secours. Il n'y a qu' le lui demander. Je suis sr que tu as oubli de le faire. J'espre que tu voudras bien essayer de mes remdes. Si tu le fais avec courage et avec confiance, je te promets le succs. J'irai voir les rsultats dans quelque temps. Chez l'abb Guillerand, il y avait un ducateur-n. Il compte surtout sur l'enfant lui-mme pour assurer le succs de son ducation : on ne fait rien contre l'enfant, et mme sans l'enfant. Gentiment, il explique sa jeune correspondante ces choses difficiles et, travers ces conseils pdagogiques, on peroit aisment les principes qui guident sa propre existence : J'espre que tu t'es remise courageusement au travail et ton rglement de vie. Il ne suffit pas de le faire, il faut t'habituer peu peu comprendre le but de tes annes de pension. Elles ne doivent pas seulement dvelopper ton esprit et t'apprendre un peu plus d'arithmtique, de grammaire ou d'anglais que tu n'en savais en quittant Me B. Elles doivent faire de toi une jeune personne dont le cur, la volont, en mme temps que l'esprit, auront reu une formation et qui, par consquent, au17

ra non seulement des connaissances vraies dans l'esprit, mais des sentiments justes dans le cur, et une volont bien rgle, qui se domine, qui se commande ce que l'on sait tre bien, qui a le courage de se l'imposer. C'est par l surtout que l'on est quelqu'un et que la formation du pensionnat est importante. Parmi ces lettres, l'une, date du 22 juin 1916, revt une valeur particulire. La jeune destinataire va recevoir le sacrement de confirmation. L'abb Guillerand lui crit, mais cette lettre n'est-elle pas une confidence personnelle, plus encore qu'un conseil spirituel ? En tout cas, elle prlude admirablement et presque la rsume toute la spiritualit que dvelopperont les crits postrieurs : de cette Vie que l'abb Guillerand, cur de Limon, va si bien dcrire pour cette enfant de 13 ans, Dom Augustin le chartreux vivra et fera vivre les mes. Je ne veux pas attendre pour te dire que je vais prier tes intentions ce soir et que je vais demander au Saint-Esprit de vouloir bien t'clairer et te fortifier pour que tu commences comprendre la vie et que tu aies le courage de la bien diriger. La vie, ce n'est pas seulement l'acte par lequel on respire, on mange, on accomplit des mouvements plus ou moins rapides ; ce n'est mme pas seulement l'acte par lequel on apprend une leon, on comprend un problme. La vie, c'est cela, et c'est quelque chose de plus. Si elle ne consistait qu' respirer, manger, dormir, apprendre, comprendre et vouloir, elle ne durerait pas longtemps et pour beaucoup, elle ne vaudrait pas la peine d'tre vcue. Cela, c'est la vie qui passe ; c'est la vie de ce monde qui n'est pas toujours gaie et qui est la merci d'une grippe, d'un accident, d'un froid et chaud, d'un obus, d'une balle ou d'une bombe. Mais il est trop clair que ce n'est pas la vie ternelle pour laquelle nous sommes faits et qui seule compte. La vie ternelle, c'est la vie du bon Dieu qui seule dure toujours. Elle consiste le connatre et l'aimer comme il se connat et comme il s'aime. C'est cette vie que tu as reue du Bon Dieu (et, je crois bien, par mes mains) le jour de ton baptme. Tu l'as nourrie, dveloppe par la prire, par l'instruction religieuse, par la communion et les mille moyens dont le Bon Dieu nous communique la grce qui prcisment est sa vie, et qui est aussi son Esprit que nous appelons l'Esprit-Saint parce qu'il est la saintet mme. Tu comprends qu'ayant l'Esprit du Bon Dieu, tu vois les choses comme lui, tu aimes ce qu'il aime, et par consquent, dans une certaine mesure, tu vis de sa propre vie.18

Eh bien ! c'est cet Esprit de saintet et de vie divine que tu vas recevoir spcialement ce soir, qui demeurera en toi tant que tu auras la grce sanctifiante, et qui mettra en ton propre esprit la lumire et la force du bon Dieu. Il faudra bien profiter de cette prsence. Je crois que tu y trouveras, si tu le veux bien, les plus grandes et les meilleures joies de ta vie, prcisment parce que c'est la vraie vie. Je m'unis donc toi pour demander au Saint-Esprit de vouloir bien s'installer en ton me, te faire voir, comprendre, goter et aimer tout ce qui regarde les choses du bon Dieu, la prire, les sacrements, les offices, l'effort, la souffrance, le sacrifice, et toutes sortes de trs belles choses qui malheureusement ne sont plus assez pratiques aujourd'hui. Et quelques jours plus tard, il invite l'enfant faire le bilan de son anne scolaire : Es-tu contente de ton anne ? Cela dpend des progrs que tu as faits en science et surtout en sagesse. Nous verrons cela. Continue tes efforts pendant tes vacances, au point de vue de la sagesse et de la pit, et demande bien au Bon Dieu, sans lequel tu ne peux rien, de t'y aider . Effort et prire, en ces deux mots se rsumera toute l'ascse chrtienne selon Dom Augustin. Ce n'est pas en Chartreuse qu'il en a dcouvert le secret. Ce charisme d'ducateur faisait dj de lui un excellent directeur d'me. En 1914, une personne en difficults spirituelles, trangre la paroisse, s'adressa l'abb Guillerand ; elle lui garde encore aujourd'hui une reconnaissance profonde : Il a su tout de suite me mettre en paix, crit-elle, me mettre `au large et m'aider surmonter mes difficults. Ce violent, ce tourment, avait le don d'apaiser les autres... Veille de dpart L'heure du dpart en Chartreuse approche : dans deux mois, l'abb Guillerand quittera Limon, le diocse de Nevers, Reugny... Il n'en devient pas morose. Jadis avec un confrre, l'abb Guitton, il faisait sur l'Yonne des parties de pche fructueuses. Notre futur chartreux continue, semble-t-il, taquiner le poisson et agrmenter de ses prises la cuisine familiale. Il sait aussi se rendre utile aux travaux de la grande ferme. La dernire lettre que nous ayons de lui avant qu'il ne quitte Reugny (22-719

1916), nous l'apprend : Je suis all faner Reugny la semaine dernire. C'est que les hommes manquent alors la terre ; la guerre les retient loin des champs. J'ai eu aujourd'hui un mot de X... Il est en bonne sant. Il regrette sa bonne fourche avec laquelle il tournerait si volontiers le foin au soleil. Mais enfin, il faut partir. Monseigneur de Nevers, aprs avoir fait attendre l'abb Guillerand pendant des mois , cause du grand nombre de prtres mobiliss, a enfin donn son accord. De son projet d'ailleurs, le cur de Limon ne se cachait pas. Le cher cur, rapporte un sminariste du temps, me mettait au courant des renseignements sur sa vie de futur chartreux (et avec quel gracieux enthousiasme !) que lui envoyait le prieur de la Valsainte. Les paroissiens de Ruages et ceux de Limon, en apprenant ce dpart, n'taient pas sans inquitude pour la sant de l'abb Guillerand. On a beaucoup plaint l'abb, crit l'un d'eux, lorsqu'on a su qu'il partait pour un monastre ; on craignait pour sa sant, on disait qu'il ne rsisterait pas, que a serait trop dur pour lui. Et en effet, ses lettres de 1915-1916 laissent souvent percer, sinon une inquitude, du moins une incertitude de sant. Je compte faire mon possible pour aller te voir prochainement, crit-il sa nice. Mais comme je dois avoir, au moment de partir, le beau temps, la libert, et les forces en bon tat, je crains toujours que ces trois conditions ne soient pas runies. Il s'excuse une autre fois de n'avoir pas t fidle un rendez-vous. Je n'avais pas le courage de faire le parcours () bicyclette. Vers 1923 ou 1924, il crira : Quel mouvement ! Et dans la paroisse, et dans la rgion. Le cur de Beaumont et de... Parigny que je voyais souvent, le doyen X... enlevs il y a dj au moins trois ou quatre ans ! Ils devaient tous m'enterrer quand je suis arriv parmi eux. Et je me sens toujours la mme rsistance... secou par un rien, toujours debout. Le dpart pour la Chartreuse20

Un beau jour, il quitta sa petite cure de Limon. Son frre Pierre et sa nice Jeanne, sans doute aussi sa sur Louise qui tait arrive Limon le 22 juillet au soir, l'aidrent dans son dmnagement. L'abb se montra, parat-il, trs gai . On ramena Reugny tout son petit bien, qu'il partagea avant son dpart, entre ses frres et surs. Il ne se rserva qu'une modeste somme d'argent. Quant ses chers livres, il les distribua entre un sminariste de Ruages et un sminariste de Saint-Benin-d'Azy. Il dut quitter Reugny le lundi. Son frre Pierre-Marie attela (taitce le fameux cheval blanc de Reugny ?), et accompagna le partant la Trouillre ou Guipy ; l'abb monta seul dans le tacot qui l'emporta vers Nevers d'o, par Lyon, il gagnerait la Suisse et la Valsainte.

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II. PROFES DE LA VALSAINTE(28 aot 1916 10 dcembre 1928) Grce quelques confidences, il nous est possible de suivre comme pas pas les dbuts de Maxime Guillerand dans la vie cartusienne et, ce qui est infiniment plus intressant, de saisir quelque chose de sa vocation. Vers la Valsainte Voici d'abord dans quelles conditions s'opra le trajet de Reugny Bulle, dernire tape avant la Valsainte. N'oublions pas que nous sommes en 1916, c'est--dire en pleine guerre franco-allemande et que la Suisse s'efforce de garder une difficile neutralit entre les belligrants. Me voil presque au but. Avec un peu de courage et d'audace j'aurais pu aboutir ce soir, mais il aurait fallu faire six kilomtres pied la tombe de la nuit, trouver l'entre de la Valsainte en pleine obscurit, et je craignais, outre la pluie trs menaante, que mon bon ange gardien me fasse expier, en me laissant perdre, ce qui et t une imprudence. J'ai fait escale dans une charmante petite ville nomme Bulle, dix kilomtres du monastre, rattache l'abbaye par un petit train sur deux kilomtres et, pour le reste, par une voiture publique. J'y ai trouv une chambre parfaite 2.50, une bonne brosse linge, des gens d'une politesse exquise... et qui parlent le franais ravir ; tout autour, des montagnes superbes et un air dj trs vif qui m'excite fausser compagnie la voiture et m'appuyer les 10 kilomtres pied, une fois dcharg de mes bagages. Tout le voyage s'est d'ailleurs effectu aisment, sans encombres. Les difficults de passeport sont insignifiantes quand on est en rgle. Ledit passeport m'a t remis la prfecture (4) mardi matin, sans autre forme de procs. On lui a donn une dure de 45 jours au lieu de 30 que j'avais demande (ce qui est sans importance) et en le faisant partir du 30. 13 h 15, je prenais l'express de Lyon qui me dposait Perrache 8 h 39 (5). L, un groom de l'Htel Bristol se saisissait de mon sac, et moyennant 4 francs m'indiquait une chambre et un bon lit o, aprs un rapide4 5

Bellegarde, crmonie de la douane, du passeport... Lire : 20 h. 39.

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potage, j'avais hte de m'installer (je m'tais couch la veille 11 h). Je me suis repos pour mes 4 francs, mais 4 h 30 on me tirait de mon sommeil sur ma demande. Je tenais dire ma messe Fourvire, et comme il n'y avait encore ni tram ni funiculaire, j'en tais rduit me dbrouiller entre 5 et 7 h 15 ou 7 h 20 pour monter pied Fourvire, dire ma messe, redescendre Perrache et m'embarquer. J'ai russi, mais je me demande encore comment. J'ai rat un ou deux trams de retour, j'ai pos la consigne o j'avais laiss mes bagages, je me suis rsign au moins trois fois attendre l'omnibus de 10 heures ou midi et perdre une journe... enfin, une seconde avant le dpart du train j'tais en place travers deux ou trois bonnes figures de bonnes surs qui se rendaient Modane. Premires impressions Le 1er septembre, il crit de l'htellerie de la Valsainte o selon la coutume cartusienne, le candidat sjourne avant d'tre admis la postulance. Ce sont des jours de retraite, o lui-mme et les suprieurs de l'Ordre tudient encore une fois les lments de la vocation, avant l'entre en cellule. Au moment de mettre ma lettre la bote, j'apprends que l'unique leve est faite et qu'elle ne partira pas avant demain soir vers 4 heures... J'en profite pour allonger la sauce. Je suis arriv par le brouillard et de temps en temps la pluie. Vers le soir, la temprature s'est tout coup et trs sensiblement refroidie, le ciel s'est clairci et je me demande s'il n'a pas gel un peu ce matin. Mais en consquence la matine est magnifique. J'aperois de ma fentre toute une srie de sommets qui ont reu du soleil une heure avant moi et qui avaient l'air contents d'tre dans la lumire. Ils ne sont pas trs levs : quelques centaines de mtres au-dessus de nous ; je pense que les religieux doivent les escalader de temps en temps le jeudi. Ma vie actuelle est trs douce ; elle ne se rapproche pas du tout du rgime chartreux ; la table, le lit, le rglement, tout est fort acceptable. Je ne puis donc pas prvoir, d'aprs ce que je fais maintenant, mes impressions de la semaine prochaine. En tout cas, je demeure trs calme et, au fond, trs heureux d'avoir tent mon exprience. J'ai confiance dans le bon Dieu qui sait mieux que moi ce qui me convient et ce qui nous convient tous et qui saura bien, si nous ne nous y opposons pas, tout diriger pour le mieux. 23

Il ajoute d'ailleurs un peu plus loin : Je n'ai pas agi sans rflexion. Ainsi commence apparatre ce qui va caractriser sa vocation jusqu' sa profession solennelle : une grande maturit de rflexion spirituelle, mais aussi une hsitation, soit de lui-mme, soit de ses suprieurs, hsitation qui retardera de six mois sa profession temporaire et de six mois encore sa profession perptuelle. La cause de cette hsitation est claire : raison de sant , c'est--dire que, ds le dbut, vont peser sur sa vocation et sur sa vie religieuse sa nervosit et, consquence de cette nervosit, une difficult particulire s'adapter aux exigences cnobitiques, communautaires, de la vie cartusienne. Il en souffrira profondment, lui le premier, et il souffrira de faire souffrir les autres ; cette croix, il la portera courageusement, on peut mme dire certains moments, hroquement ; mais il la portera aussi dans un abandon total, filial, la volont de son Pre des Cieux. L'incertitude mme de son aptitude pour ainsi dire naturelle, ou physiologique, la vie cartusienne, le conduira approfondir son attrait personnel vers Dieu, tout en se pliant avec rigueur aux observances de la Rgle. De l viendra sa pense, ses paroles, ses crits, cet accent original, cette note tonnante d'intriorit ardente qui, aujourd'hui encore, nous frappe et nous sduit. Volont de fidlit la Rgle et abandon total la Providence du Pre des Cieux, nous allons voir se prciser ces deux vertus, parmi les incertitudes des premiers jours. Le Molson a son chapeau de brouillard et je crois bien qu'il vient de chez vous. Rsultat pratique : il fait un temps trs noir et assez frais, et je crains bien que vous ne soyez pas mieux servi que nous. Malgr ce temps, je suis redescendu hier Bulle pour quelques courses. Je vous rappelle que Bulle est la jolie petite ville o j'ai pass une nuit en arrivant. J'ai trouv l deux soldats franais interns revenus d'Allemagne aprs blessure et maladie et j'en ai rencontr un certain nombre d'autres qui sont installs dans les villages environnants et qui se promnent loisir entre les repas... Un autre rsultat de ma course Bulle, c'est que je n'ai pas pu vous crire. Je suis rentr pied l'heure o notre unique courrier partait. Je le regrette, parce que probablement dans quelques jours je vais me mettre au rglement de la maison et commencer vraiment mon exprience de vie religieuse et, partir de l, mes lettres vont devenir beaucoup plus rares. Je les remplacerai par de nombreuses prires et si l'effet n'est pas le mme en apparence, dans la ralit il est bien prfrable.24

Je ne sais rien de plus sur la Chartreuse. On vit dans un vaste appartement dont vous avez une ide, on ne donne son estomac que ce qui lui est ncessaire sans le charger inutilement, on se lve la nuit, on s'exerce le corps par un peu de travail manuel, on s'exerce surtout l'me par la prire. Tout cela est arrang, organis, rglement depuis huit cents ans de faon ce que ceux qui sont faits pour ce genre d'existence puissent s'en bien trouver. Je saurai dans quelques mois, une anne ou deux au plus, si j'appartiens ce groupe. Le postulant Le 6 septembre le retraitant va devenir postulant. Chauss de laine blanche et revtu d'un ample manteau noir sans manches, le postulant est introduit l'glise dans le chur des moines ; il prendra part dsormais aux exercices conventuels. Il n'habite plus l'htellerie, mais en cellule comme tous les chartreux. Le 6 septembre, l'abb Guillerand annonce sa famille que son entre en cellule aura lieu le soir mme : c'est avec prudence, et mme avec une certaine rserve, qu'il va franchir ce pas. Je dois entrer ce soir dans ma cellule de chartreux ; je ne serai pas chartreux pour cela, d'ailleurs : il faut cinq ans pour faire un religieux de cet Ordre ; je serai simplement ce qu'on nomme un postulant, c'est-dire quelqu'un qui demande se faire chartreux et qui veut essayer cette vie. Au bout d'un an cependant, on commence tre un peu fix et voir clair. Pour mon compte, je ne le suis aucunement et je tiens beaucoup ne pas m'emballer. Je ne sais pas quel est le rglement des postulants pour la correspondance. Mais il est possible qu'on leur demande (sans les y obliger, car ils sont libres compltement encore) de se conformer la manire de faire des religieux. Il se peut donc qu' partir de cette lettre je ne vous crive qu'une fois par mois. Je tcherai d'crire la premire le plus tt possible et je vous donnerai tous les dtails de ma vie. Je n'aurai ma disposition que de petites plumes qui m'obligeront crire trs fin. Ce sera terrible pour moi, mais plus encore pour mes correspondants s'ils veulent me dchiffrer. Quatre pages alors vaudront plus de huit d'aujourd'hui. Ce ne sera d'ailleurs pas trs intressant ; les nouvelles la Chartreuse sont rares, et quand je vous aurai dcrit mes murs blancs, mon lit sommaire, ma table troite, mon rgime peu somptueux, je pourrai polycopier cette lettre-l une centaine d'exemplaires et vous en25

adresser un le premier de chaque mois. A moins qu'un beau jour je m'en aille trouver le Pre Prieur (c'est le suprieur de la maison) et que je lui dise : `Mon Pre, j'en sais assez maintenant, je m'en vais aller tudier ailleurs. Alors je vais lui rendre ses trois paires de souliers et son costume blanc et je vais reprendre la route de Reugny. On m'a en effet, hier, apport trois paires de souliers, des bas blancs et un manteau noir que je vais mettre partir de ce soir pour aller aux offices. Les bas sont diviss en deux parts : le chausson en laine blanche qui ne prend que le pied, et une jambe de mme toffe qui descend jusqu'au talon et s'embote dans le chausson. La jambe est retenue par une attache en toffe qui passe sous le pied. C'est assez trange au premier abord, mais on s'y habitue comme tout le reste. Le novice Le postulat proprement dit dure au moins un mois, ce fut exactement le dlai impos l'abb Maxime Guillerand. Ce mois achev, le postulant est prsent la communaut runie au chapitre : les Pres dlibrent sur l'admission et votent. Si le vote est favorable, le nouveau novice reoit l'habit cartusien de laine blanche ; aux exercices conventuels, il portera en outre une ample chape noire. Il reoit aussi, s'il le dsire, un nom nouveau. Cette crmonie eut lieu, pour l'abb Guillerand, le 5 octobre 1916 : ce jour-l, il recevait l'habit de l'Ordre et le nom d'Augustin. Aucun cho de ses sentiments ne nous est parvenu. Ce silence n'est d sans doute qu'au seul fait que le nouveau novice, ne devant crire sa famille que rarement, avait choisi d'envoyer de ses nouvelles un peu avant l'Avent. Comment trouvez-vous mes lettres depuis tantt deux mois ? Vous ne leur refuserez pas, du moins, la qualit (si c'est une qualit) d'tre rares comme les beaux jours... Si je ne profitais pas des trois derniers quarts d'heure libres qui me sparent du ler dimanche de l'Avent, vous vous morfondriez bel et bien sans nouvelles du moine jusqu' Nol... C'est ainsi qu'en Carme probablement il faudra vous attendre un silence non moins profond et qu'en temps ordinaire, si je passe la limite mensuelle dont je vous avais parl, il ne faudra pas trop vous inquiter. Dites-vous : 10 h 30 du soir ( moins que vous ne dormiez, ce qui est mieux encore), le moine se prpare 'jouper' bas du lit pour se rendre Matines ; 2 heures du matin, il regagne sa cellule ; 6 heures il se remet prier son oratoire ; 7 heures, il va chanter la messe de communaut ;26

8 heures, il va en servir une autre ; 8 h 30, il commence la sienne et il jette un rapide regard du ct de Reugny et du ct de ceux qui nous attendent l-haut, etc., etc., etc. Je crois bien que je vous ai dj fait connatre toute la srie qui, avec quelques variantes, se renouvelle tous les jours et que je demande au bon Dieu de pouvoir raliser toute ma vie, et que je vous demande de demander avec moi qu'elle se continue... Je rappelle L... (ou plutt je le lui demande officiellement) qu'elle me rendra service en me gardant en bonne place ma petite rente annuelle de Reugny (si elle peut tre servie) qui peut m'tre utile dans le cas o je devrais rentrer. Si je ne rentre pas, elle en fera l'usage qu'elle voudra, c'est--dire qu'elle en deviendra lgitime propritaire. Si cela lui dit d'offrir sur cette somme des plerinages de Lourdes aprs la guerre : ainsi soit-il. L'Avent 1916 s'achve. Et Dom Augustin sort de son silence pour crire aux siens. L'incertitude semble demeurer sur son aptitude l'existence cartusienne, mais il se livre loyalement cette exprience et il abandonne de plus en plus son avenir spirituel la main paternelle de Dieu. L'Avent est termin et nous reprenons nos droits une correspondance non pas frquente (cela n'est pas de rgle en Chartreuse), mais un peu moins rare... J'ai donc l'autorisation, ce soir, de rompre le silence dont vous vous plaignez. Or, je suis dj tellement fait ce silence que je sais peine que vous dire... ... Ce n'est pas que la runion ici-bas ne soit impossible. Tout d'abord, il faut envisager une obligation militaire, un conseil de rvision, un appel quelconque que la prolongation de la guerre rend assez probable. En dehors de l, il est bien entendu que, pendant cinq ans, et surtout pendant la premire anne, on fait une exprience. En ce moment je fais la mienne. Je tiens la faire trs srieusement. Jusqu' prsent il me semble et on me dit (ce qui est plus important) que je suis ma place. Mais les indications peuvent varier. Or, il est arrt clairement en mon esprit que le jour o on me dira que je n'ai pas la vocation religieuse, je reprendrai ma place tranquillement parmi vous. En attendant, je vis bien calme, au jour le jour, plein de confiance dans le Pre qui est aux cieux et qui sait (heureusement) mieux que moi ce qui me convient et ce qui me conviendra demain, et qui saura parfaitement me le dcouvrir. Faites comme moi, et vous n'imaginez pas comme la vie devient plus simple et la mort moins redoutable. 27

La menace du conseil de rvision n'tait pas illusoire. La convocation dut en parvenir Reugny, et Reugny, inquiet, a fait suivre. Le 14 mars 1917, Dom Augustin poste Reugny ce simple billet : Dormez en paix. J'ai crit, en temps voulu, l'ambassade de Berne et au prfet de la Nivre pour leur faire connatre ma situation. J'attends des ordres. J'ai demand passer ma rvision au consulat. Si cela m'est accord, je ne partirai qu'au moment de l'incorporation. En fait, c'est Pontarlier que Dom Augustin fut convoqu par les autorits franaises. Il dut donc repasser la frontire... Me revoil sur terre franaise, mais pour quelques instants seulement. Je suis arriv ce matin Pontarlier et ce soir 9 heures j'ai d m'exhiber la mairie pour me conformer la fameuse loi sur les exempts et rforms. Quand la loi suivante sur le mme sujet passera, vous m'avertirez. Je me prsenterai de nouveau, et cette fois avec assurance ; car je constate de plus en plus qu'on veut se passer de mon concours pour expulser les Allemands. Je m'attendais beaucoup plus d'exigence. Malgr la prsence de quatre majors (deux assis et deux debout) et de tout un jury trs important de pkins, la plupart des gens de mon espce ont t maintenus dans leur situation militaire. Le Bon Dieu me veut donc dcidment la Chartreuse. Ou du moins, il ne veut pas profiter de la circonstance pour m'en carter. J'en suis trs heureux. J'ai pass l depuis septembre dernier de bons mois. L'existence de la Valsainte est certainement la plus conforme mes gots que j'aie rencontre jusqu' prsent... Problmes de sant l'automne de 1917, une preuve tait rserve Dom Augustin. Au bout de son anne de noviciat (le noviciat ne durait alors qu'un an), il tait inform qu'il n'tait pas admis la profession en raison de sa sant , et que son noviciat tait prolong de six mois. Ainsi, en cette fte de saint Bruno 1917 (6 octobre), sa destine cartusienne reste-t-elle encore trs incertaine. Il ne semble pas qu'il ait fait part aux siens de cette dception, sans doute pour qu'ils ne s'inquitent pas. Mais sa lettre du ler janvier 1918 se colore, malgr qu'il en ait, d'une certaine mlancolie : il est vrai que les circonstances politiques sont lourdes et sombres. Mais on notera trs particulirement car c'est l une des confidences majeures de Dom Augustin, un des plus importants coups de lumire28

jet sur sa psychologie spirituelle et sur sa grce personnelle : Je demeure dans ma disposition de dpart : tout prt rester ici, si on m'estime capable de mener ce genre de vie et fait pour lui, tout prt aussi vous revenir et faire un ermite indpendant dans les anciennes carrires ou sous les sapins, si on ne me trouve pas les forces suffisantes pour continuer la vie d'ici ; tout prt aussi n'tre ni chartreux ni ermite indpendant, et faire tout ce qu'on voudra. Je m'acharne n'avoir plus de dsirs... Il faut sentir quel pas spirituel cet ajournement de sa profession fait franchir Dom Augustin. Mais il ne faut pas minimiser davantage le contrecoup de cette preuve : ce novice qui, sans nourrir aucune objection contre l'aspect cnobitique du chartreux, n'allait pourtant qu' contrecur au spaciment c'est--dire la promenade de dtente hebdomadaire, se sent comme rejet vers la solitude. La solitude est ma grce , aurait-il confi un jour vers cette poque un de ses pnitents : pour un chartreux, cette grce, ce got de la solitude, doit s'quilibrer d'une autre grce, l'acceptation franche, sinon le got, d'une part de vie cnobitique... Cette lettre du 1er janvier 1918 doit tre cite : Je vous cris au premier jour de 1918, et je viens peine de m'en apercevoir. Les annes passent si vite quand on a franchi la quarantaine qu'on les voit se succder sans y faire attention. Et puis, cette pauvre anne 1918 se prsente sous un aspect si peu riant qu'on n'a pas le courage de la saluer avec beaucoup de joie... ... Je ne dsire qu'une chose, c'est que le Bon Dieu me donne la sant voulue pour continuer ne plus connatre d'autre existence. Je pense que je serai peu prs fix cet gard dans les premiers mois de cette anne. J'ai pu jusqu' prsent suivre sans -coup le rglement de la Chartreuse. Je suis debout constamment, comme je l'tais dans le monde. Est-ce suffisant pour faire profession ? Je ne le sais pas. Je m'en remets mes suprieurs qui me le diront. Je demeure dans ma disposition du dpart : tout prt rester ici, si on m'estime capable de mener ce genre de vie et fait pour lui, tout prt aussi vous revenir et faire un ermite indpendant dans les anciennes carrires ou sous les sapins, si on ne me trouve pas les forces suffisantes pour continuer la vie d'ici, tout prt aussi n'tre ni chartreux ni ermite indpendant, et faire tout ce qu'on voudra. Je m'acharne n'avoir plus de dsirs et je donnerais ma tte couper que c'est la seule voie du bonheur, mme ici-bas. Quoi qu'il en soit et en attendant que je sache si ma demeure de la29

terre doit tre la Valsainte ou l'ombre frache et encore trs aime de nos grands sapins, ou quelque coin solitaire (ah ! solitaire srement!!) que j'ignore, je vous resouhaite une bonne anne, de la sant autant que le bon Dieu voudra bien vous en donner, du courage plus que jamais et surtout le courage le plus difficile et le plus vrai qui s'appelle la patience, et enfin le rendez-vous dfinitif o il est bien entendu (n'est-ce pas) que personne ne doit manquer l'appel, le grand paradis... o il fera bon dans toute la mesure o il fait mauvais ici-bas, et infiniment plus encore. Un appel sous les drapeaux ne viendra-t-il pas, vers cette poque, interrompre l'essai cartusien de Maxime Guillerand ? Notre moine rform en est menac, mais ne s'en inquite pas l'excs et rassure son frre qui, de France, s'est charg de lui constituer son dossier de rforme : Merci de la pice envoye ; merci des recherches pour me procurer la seconde. Si elles n'aboutissent pas, demeure en paix ; j'crirai au consul franais pour lui exposer le cas et lui demander la marche suivre. Il est trs bien dispos. Il s'agit d'ailleurs d'une pice trs simple, un certificat sur papier libre attestant que le conseil de rvision de Pontarlier m'a exempt de tout service le 12 avril 1917. La mairie de Limon m'en avait dlivr un aprs la visite de dcembre 1916 ; et je l'ai envoy Berne tout hasard : peut-tre suffira-t-il. Encore une fois, sois tranquille, tout s'arrangera, mme si tu ne trouves rien Cosne.

Premire profession Dom Augustin avait raison : l'Arme le laissa sa Chartreuse, et le 19 mars 1918, en la fte de saint Joseph, il tait admis enfin faire sa profession temporaire, c'est--dire prononcer pour trois ans les veux de stabilit, d'obissance, de pauvret, de chastet et de conversion des murs, selon la Rgle de saint Bruno. Ainsi que tous les jeunes profs , il quitte alors la chape noire du novice, et revt la grande cuculle , sorte de scapulaire dont les bords sont runis par une troite bande de laine. Il y a dix-huit mois qu'il est entr la Valsainte.30

1918-1921 Le profs des veux temporaires (1918-1921) C'est pour trois ans que le jeune profs chartreux s'engage par ses vaux l'gard de Dieu et de l'Ordre. Trois ans au terme desquels, si l'Ordre le juge apte la vie cartusienne et si lui-mme sent en soi l'appel de Dieu et la grce, il fera profession solennelle et dfinitive. Pendant ces trois ans, Dom Augustin ajoute aux obligations de la vie rgulire, des confessions, quelquefois une prdication , et ses frres en religion qui font leurs tudes ecclsiastiques il enseigne la philosophie. Cet ensemble constitue une existence finalement trs occupe. Il semble pourtant que la lutte spirituelle et les pnibles incertitudes sur son avenir cartusien ne lui furent pas pargnes, malgr sa profession temporaire. Le 28 aot 1920, il crit sa famille cette lettre qui n'est pas sans mlancolie, et dont le sourire est voulu : de nouveau s'exprime ce sentiment qu'au-del de son dsir, si fervent soit-il, de vivre en chartreuse, une vocation plus profonde encore existe en lui : la vocation de faire la volont de Dieu, quelle qu'elle soit, et de s'abandonner, les yeux ferms, l'amour de son Pre des Cieux : Saint Augustin, priez pour nous. Notre-Seigneur ne prche que la paix, l'union fraternelle, l'amour. Et quand il semble demander quelque sacrifice, c'est pour rendre au centuple ce qu'on lui sacrifie. Je vous dis cela aprs 1460 jours d'exprience, et pas un seul de ces jours ne m'a rvl le contraire. Vous devinez ainsi que je ne suis aucunement dcourag de ma vie religieuse, et bien dcid la continuer, si le Bon Dieu le veut. Je souligne ces mots, parce que ce qu'ils expriment, je l'aime encore bien mieux que la Chartreuse. Je n'aime que cela, je ne veux de plus en plus que cela. Voil la vraie source de toute paix et joie. Et si le Bon Dieu me disait : ce soir, quatre heures, il faut reprendre la voiture de Bulle, le train de GenveLyon-Nevers (ou quelque autre direction), je vous arriverais dans trois jours, la lvre fleurie de tous les sourires dont je suis encore capable... Par une concidence qui ne semble pas un hasard, les quelques lettres que nous possdions de cette priode ne cessent de rpter aux autres : Courage ! Courage ! , de leur rappeler que l'existence est brve, que la vraie vie approche et qu'elle se prpare dj travers nos travaux, nos joies et nos souffrances quotidiens. On dirait que Dom Augustin ne31

parle si bien aux autres que pour s'exhorter lui-mme. Courage ! Courage ! Voil ce qu'il y a de mieux. Il faut tre plus fort que n'est lourd le poids soulever. Et cela, on le peut toujours condition de se faire aider par celui qui est la Force Infinie et qui met cette Force Infinie notre disposition. Il n'y a qu' demander. Comme c'est simple ! Et il ajoute encore avant de terminer : Une fois de plus courage ! Ne nous trompons pas d'ailleurs sur le sens de ce courage : ce n'est pas celui de s'vader de nos peines et de nos souffrances familires pour usurper prmaturment la paix du ciel ! Non, c'est le courage d'accomplir en perfection la besogne de chaque jour. Par ce courage chrtien, tout illumin de foi et soutenu par la prire, la vie se transfigure : Du courage ! Encore du courage ! Et toujours du courage ! Nous n'avons pas le droit de dire ni mme de penser que la vie est triste. La vie est une chose magnifique ; seulement il faut l'envisager sous son vrai jour. Si vous la regardez dans la ralit prsente, avec sa succession d'ennuis, de sparations, de deuils, etc., etc., etc., il est vident que c'est le plus atroce tissu de misres qu'on puisse imaginer. Mais si vous la regardez comme une marche vers la maison du Pre qui est aux cieux, vers le foyer de famille,... et si vous songez que chaque minute et chaque preuve sont les moyens fixs par Celui qui sait tout, qui peut tout et qui nous aime pour nous acheminer au terme, alors vous ne songerez plus vous plaindre, vous serez plutt tents de dire : `Mon Dieu, encore des jours tristes, encore des peines... tout ce que vous voudrez, pour que nous nous retrouvions l o on ne se quitte plus. Cela ne supprime pas la souffrance, cela n'empche pas de la sentir, parfois bien rudement, mais cela lui donne un aspect qui la fait accepter avec bien plus de courage, et parfois qui la fait aimer. Est-ce seulement vers cette poque qu'il lut la vie et les crits de Sur lisabeth de la Trinit, cette Carmlite de Dijon, morte 27 ans, en 1906, et dont les Souvenirs publis ds 1909 exeraient un si vif attrait sur les mes contemplatives ? Les indices ne manquent pas pour le croire, sans que l'on puisse pourtant l'affirmer. Ce qui est sr, c'est que vers ce temps la pense spirituelle de Sur lisabeth faisait sur lui une profonde impression et le confirmait dans une voie o il ne demandait qu' avancer. Il en rsume la vie en une de ces courtes biographies dont32

il avait le got ; il fait de ses penses un florilge, et ses choix sont significatifs. En voici quelques exemples : C'est l, tout au fond de moi, dans le ciel de mon me, que j'aime trouver le bon Dieu, puisqu'il ne me quitte jamais... Il est tellement l qu'un lger voile seulement semble nous sparer... La prire est un repos ; on vient tout simplement Celui qu'on aime ; on se tient prs de Lui comme un petit enfant dans les bras de sa mre, et on laisse aller son cur... Je crois que le secret de la paix est dans l'oubli, la dsoccupation de soi-mme, ce qui ne consiste pas ne plus sentir ses misres physiques ou morales... Il vous parat peut-tre difficile de vous oublier. Ne vous en proccupez pas. Comme c'est simple ! Voil mon secret. Pensez ce Dieu qui est en vous... Peu peu, on s'habitue... Il faut rayer le mot `dcouragement de votre dictionnaire... La profession solennelle Voici Dom Augustin parvenu au terme de ses trois ans de profession simple. La date approche o il aura faire sa profession solennelle et dfinitive. 1921 : nous voudrions le suivre pas pas au cours de cette anne dcisive. la fin de dcembre 1920, il lui faut renouveler son permis de sjour en Suisse ; il crit Reugny et, son accoutume, du simple vnement il s'lve et lve les mes vers des penses spirituelles. L'administration suisse m'offre le plaisir de vous adresser un rapide bonjour. Elle rclame, pour me renouveler mon permis de sjour sur son territoire : 1o un extrait de naissance ; 2o un certificat d'exemption ou de situation militaire. Je n'ai aucune de ces pices et j'ai recours vous pour me les procurer. Ni ne vous troublez, ni ne vous pressez. Il ne faut jamais le faire, mais dans la circonstance, moins que jamais. On ne me jettera pas par la fentre avant que je n'aie pris, sans courir, les moyens voulus pour rgulariser cette situation. Le ferait-on, que je continuerais d'tre, comme vous et comme tous, l'enfant sur lequel le Bon Dieu veille, en bon Pre,33

depuis 43 ans, et sur lequel il continuera de veiller... Dieu, par les vnements, oriente son me vers un abandon toujours plus total. Sa profession solennelle aurait pu avoir lieu le 19 mars 1921, elle n'eut lieu que le 6 octobre 1921. De nouveau six mois de retard : pourquoi ? Raison de sant ? Il ne semble pas. Ce n'est qu'aprs Pques qu'il annoncera sa famille, et encore ne prsentera-t-il pas la nouvelle comme absolument certaine qu'il fera sa profession solennelle le 6 octobre. Il lui faut donc prparer sa renonciation : avant de prononcer le vu solennel de pauvret dans l'Ordre, le chartreux doit disposer en pleine libert et en faveur de qui il veut, de tous les biens meubles et immeubles qui lui appartiennent. Je vous avise tout d'abord que j'aime bien ceux qui aiment le Bon Dieu et que si vous avez pass de bonnes ftes de Pques avec communion fervente et bonnes rsolutions de recommencer le plus souvent et le mieux possible, je vous fais place dans la plus haute cime de mon cur. Je vous avise en second lieu que grce aux pices que vous m'avez diligemment envoyes, je suis en rgle (pour cinq ans je crois) avec toutes les autorits constitues de ce pays et de mon pays, et je puis, en observant les lois, y faire tranquille et pieux sjour... Je vous avise en troisime lieu que le 6 octobre prochain, si le Bon Dieu le veut (et s'il ne le veut pas, ce sera tout ce qu'il voudra avec le mme plaisir et la mme paix) je ferai ma profession solennelle, et qu' cette date il faut que mon titre et mes droits de propritaire soient passs de vie trpas. Or, ici encore, je compte sur vous pour que vous me conseilliez fraternellement. Voyez, tant donn les circonstances, ce qui vous parait le plus simple, le plus sr et le moins onreux. Bien entendu je vous donne tout. Il s'agit donc de vous assurer les meilleures conditions de `prise . Je ne raliserai d'ailleurs ce projet qu'au mois de septembre. Si je m'y dcide dfinitivement, je vous enverrai ce moment toute procuration ncessaire. En attendant, songez ce que je vous demande, et ds que vous aurez envisag une solution pratique vous me la ferez connatre. Si je m'y dcide , le mot reviendra encore dans une lettre qui date trs probablement du mois de septembre, et qui mriterait d'tre tudie fond. Que l'accs de Dom Augustin la profession solennelle soit encore incertain, c'est vident. Mais d'o vient cette incertitude ? Il semble bien, cette fois, qu'elle lui soit imputable : Si je m'y dcide , dit-il.34

Par contre, ce que dit en clair cette lettre, c'est qu'il se dpouille de tout selon la loi civile, sauf d'une certaine somme qu'il garde en rserve pour un ventuel retour Reugny. Quel projet pouvait-il bien avoir alors en tte ? Il est impossible de le dfinir... Et pourtant, il parle de la vie du chartreux aprs la profession solennelle, comme s'il n'envisageait pas d'autre avenir pour lui ! On sent, travers l'humour, j'allais dire le badinage, du ton, qu'en ces jours qui prcdent le don de soi sans rticence ni possibilit de retour en arrire, l'me de Dom Augustin se dbat dans une incertitude trs douloureuse. Son existence, en ce qu'elle a la fois de plus charnel , comme dirait Pguy, et de plus spirituel, se joue l. Les problmes de sant et les problmes d'me se mlent troitement en ces jours de lutte extrme. Donc, vers le 23 septembre, il adresse une lettre au notaire de Bulle qui bien que non valable lgalement, affirmait suffisamment (sa) volont (de renoncer tous ses biens) et pouvait suffire provisoirement . cette lettre d'affaires, il ajoute une autre lettre pour sa famille ; c'est de cette lettre-l que nous parlions plus haut : J'ajoute un petit mot commun la lettre d'affaires qui me donne ma libert. Merci encore une fois de vous tre prts avec tant de bonne volont l'arrangement. Il reste une somme dont je ne sais gure le montant qui se rattache des droits de btiments, etc... Je vous dirai aprs la profession (le 6) quelle destination je dsire lui donner (6). Pour le moment, je la rserve et si quelque obstacle surgissait qui m'empcht de faire profession, elle me servirait reprendre place parmi vous. Pour tout le reste, usez-en votre aise. Que je fasse profession ou que je revienne, je me dpouille. Pensez bien moi le 6 octobre. Comment se tira-t-il de son angoisse ? Par quels sentiments ? Sous quelle lumire intrieure ? Nous ne le savons gure. Peut-tre son secret se cache-t-il dans cette confidence son frre :6

Si j'tais sur place, crira-t-il quelques jours aprs sa profession, et que je puisse me rendre compte de ce qui peut vous tre ncessaire ou vraiment utile, et si vous me disiez que ces quelques centaines de francs ne vous sont pas indispensables pour assurer votre pain quotidien, je vous dirais : Eh bien ! donnons-les nos morts sous forme de messes et de bonnes uvres. Il ne convient pas que dans cette distribution ils soient oublis. Dom Augustin tait trs fidle prier pour ceux qu'il appelait nos morts . 35

Avec cela, ne regrettons rien. La vie n'est pas un rve qu'on arrange son gr ; c'est une ralit dont il faut accepter la plus grande partie comme elle se prsente, sans chercher changer ce qui n'est gure changeable. Ce dont nous disposons ce sont nos sentiments. C'est (cela) qu'il faut arranger et cultiver avec soin. Quoi qu'il en soit, l'issue de sa lutte est certaine ; l'attitude de son me est franche et nette. Quatre jours avant la profession, arrive la Valsainte la pice officielle qui lui permet de rendre sa renonciation lgale et effective : il la signe rsolument. La pice nouvelle me place donc dans une situation dfinitive. Il ajoute, s'adressant son frre : Encore une fois merci. Demeurons unis dans la prire. Je recommande tout spcialement la journe de jeudi. J'crirai plus longuement la semaine prochaine. Et en effet, quelques jours aprs la crmonie du 6 octobre o Dom Augustin s'tait li pour toujours Dieu et l'Ordre de saint Bruno, une lettre parvenait Reugny. Document capital qui claire rtrospectivement les cinq annes dernires, mais qui jette aussi une grande lumire sur les annes venir. Il faut peser les mots de Dom Augustin, ils sont prophtiques. Il prvoit, sous la lumire du Saint-Esprit, que son existence cartusienne connatra encore difficults et souffrances. J'espre mme, avec la grce du Bon Dieu (qui ne manque jamais) arriver les aimer comme le trsor de la vie. Oui, il y parviendra. Dj rsonne ici le mot de son agonie Comment tant de joie et tant de souffrance peuvent-elles s'accorder ce point ? Pour le moment, il mise, les yeux ferms, sur la grce : On y va corps perdu ! La vie sera-t-elle pour lui longue ou courte ? Peu importe. Ce qui compte, c'est l'instant qui passe, c'est la minute prsente... c'est l'amour infini que Dieu a mis dans chacune de ces minutes. Lorsque nous l'entendrons dvelopper cette spiritualit de l'instant, il conviendra de nous rappeler cette lettre de sa profession solennelle : Bien chers, Eh bien ! cette fois, me voil bien dfinitivement religieux chartreux. Et pour ne pas l'oublier vous aurez demander M. le cur de Dompierre de noter le fait aux registres de baptme. J'en suis trs heureux, vous le devinez bien. C'tait, de ma part, une volont bien arrte d'essayer et de faire mon possible, quand je vous ai quitt il y a cinq ans. Mais je n'esprais qu' demi russir. Je voyais de graves difficults,36

moins graves dans la ralit pratique que dans les livres o j'avais tudi le genre de vie, mais srieuses nanmoins. Le bon Dieu a voulu que ces difficults s'arrangent dans une mesure suffisante pour que, aprs cinq annes d'exprience, je pusse faire profession. Je n'entends pas dire par l que je sois au bout de mes peines. Non ! Il y en a ici comme ailleurs, pas plus cependant. Mais je ne suis pas venu pour les viter. J'espre mme, avec la grce du bon Dieu (qui ne manque jamais), arriver les aimer comme le trsor de la vie : ce qui ne veut pas dire qu'on n'en souffre pas, mais on les sait pleines d'avantages suprieurs, et on y va corps perdu, comme le moissonneur qui, sous le dur soleil, lie ses gerbes parce qu'elles seront sa richesse. Notre richesse nous, c'est la souffrance. Nous aimons semer dans les larmes pour moissonner dans l'allgresse ! Que le temps des semailles est court ! Et la moisson sera sans fin ! Et puis, un tel tat d'me a l'avantage de mettre de la douceur dans ce qu'il y a de plus pnible. Voil pourquoi je suis heureux d'avoir fait profession, de m'tre donn plus compltement et plus dfinitivement Dieu, d'avoir renonc tout, de n'tre plus beaucoup de la terre et de dsirer n'en tre plus du tout. Maintenant je trouve que tout est grand et beau, parce que c'est de l'ternit. Avoir froid ou chaud, cela ne compte plus. Une seule chose compte, c'est l'instant qui passe, c'est la minute prsente, ce sont toutes les circonstances varies qui la caractrisent, c'est l'amour infini que Dieu a mis dans chacune de ces minutes et dans chacune de ces circonstances par lesquelles il veut m'unir Lui et me combler de sa joie jamais. Tout le reste, ce que ces minutes ou ces circonstances ont de joyeux ou de pnible, cela passe, passe sans cesse, n'a pas de ralit et par consquent ne compte pas pour un religieux. Et mme pour vous, il faut, si cela compte encore, que Dieu compte plus que tout. Lui avant tout. Voil la vie vraie pour nous tous... Je joins un mot pour rgler la dernire question financire.

1921-1929 volution spirituelle Le 31 dcembre 1921, trois mois donc aprs sa profession, Dom Augustin enverra Reugny ses veaux de Nouvel An. travers ses nouvelles , on peut percevoir le travail qui s'est fait dans son me et la ma37

nire dont il lutte contre ses difficults. Cette lutte ira en s'exasprant pendant les huit annes qui vont venir : il souffrira, lui le premier, de cet tat nerveux, et il en souffrira d'autant plus qu'il aura conscience de faire souffrir les autres ; mais il ne cessera pas de lutter courageusement, avec patience ... Je ne vous donne pas de mes nouvelles. Je suis aujourd'hui ce que j'tais hier. Mes penses, mes sentiments, mes occupations, ma sant ne varient pas. Nous sommes un peu plongs dans le monde de l'ternit o il n'y a plus de levers ni de couchers de soleil, ni de jours qui se suivent, ni de saisons qui se succdent et apportent de la varit dans la vie. Tout se ressemble ou peu prs. Et vous savez que j'aime beaucoup cela. Je l'aime de plus en plus. Est-ce que je me prpare aller bientt au pays de l-haut o c'est bien vraiment et pour toujours l'immuable ternit ? Je n'en sais rien et je ne veux pas le savoir. Il me suffit que la minute o je trace ces lettres, et les lettres elles-mmes que je trace, et le mouvement un peu trop rapide (car elles ne sont gure lisibles) qui les trace, et la pense et le sentiment qui les dictent... il me suffit que tout cela soit bien ce que Dieu veut pour que je sois au comble de mes vux... Il semble qu'en ces annes 1921-1922, le sentiment de la prcarit et de la rapidit de l'existence humaine se soit encore accru, et comme exacerb en lui. Tout vnement, une naissance, un deuil, un dpart, lui fait percevoir de faon aigu, ce qu'il appelle le mouvement perptuel des tres. Le mot est retenir ; car il deviendra, chaque jour davantage, pour Dom Augustin, un mot d'me : ce mouvement , ce flux perptuel des personnes et des choses, il opposera en lui le mouvement de Dieu, le don rciproque du Pre et du Fils dans la Trinit, le don de Dieu l'homme et son invitation reproduire en soi, en y participant, le mouvement trinitaire. Pour chapper ce mouvement phmre, ou du moins pour lui donner un sens, il ne voit de recours que dans le Mouvement ternel et pour ainsi dire immobile de Dieu. Or, ce point est d'une importance capitale : on risque, ne pas le comprendre, de faire un contresens grave sur cette retraite silencieuse o Dom Augustin se replie lorsqu'il peroit jusqu' en avoir le vertige, le mouvement perptuel des choses d'ici-bas : sa retraite silencieuse n'est pas un refuge, ce n'est pas un exil o il dserte nos terrestres combats. Ainsi qu'il le dit magnifiquement : Ce dtachement... est tout simplement une forme nouvelle et plus durable d'attachement , c'est--dire que son me et, pourquoi craindre le mot ? son cur, dci38

dment fixs, amarrs en Dieu, n'aiment, ne dsirent, ne se souviennent, ne projettent, ne jugent que selon Dieu. Je ne suis pas devenu l'ennemi de la nature humaine , affirme-t-il ; mais cette nature humaine, il la voit dans sa destine ternelle, il en intgre le temps dans l'ternit. Que cette vision s'accompagne pour Dom Augustin d'un sentiment trop vif et d'ailleurs illusoire de sa mort prochaine, cela semble indniable ; mais qui le reprochera ce moine de quarante-cinq ans, qui a t longtemps un malade et le demeure ! Les tmoignages de ceux qui vivent avec lui la Valsainte cette poque concordent : Dom Augustin se montre religieux de trs fidle observance, il aime la Rgle et la pratique, ses directives en confession sont toujours trs apprcies ; on continue de sentir chez lui une prfrence marque pour la solitude et un manque d'attrait spontan pour toute rencontre communautaire, encore qu'il s'y montre trs vite, une fois qu'il se retrouve avec ses frres, enjou, surnaturel, causeur agrable. Si se manifeste chez lui quelque nervosit, ce ne doit pas tre trs grave : car, la visite canonique de 1923, il est nomm, le 25 juin, vicaire de la Valsainte. Cette responsabilit est grave dans une Chartreuse. Cette charge le mettait en contact plus frquent et plus troit avec le Pre Prieur, mais aussi avec tous les moines. Ces obligations auraient d normalement arer son existence ; il semble que trs vite au contraire elles le fatigurent et que son tat nerveux empira. 1924 ramne en France des lections, dont les observateurs politiques s'accordent pour prvoir qu'elles seront graves. Dans une lettre qu'il crit ses surs au dbut de l'anne, Dom Augustin fait allusion cette situation dlicate. Nos prires obtiendront-elles que les lections soient bonnes et que nous puissions rentrer en France ? Aidez-nous. Il est vrai que beaucoup d'entre nous devraient rester pour soutenir les maisons actuelles.., et il est vrai aussi que tous les lieux sont bons quand on y trouve le Bon Dieu. Conclusion pratique et dernire : ne nous attachons donc qu' Celui qui ne manque jamais. Cette anne de vicariat dut tre bonne et donner satisfaction aux responsables de l'Ordre. Car au chapitre gnral de mai 1924 on adjoignit la charge du vicaire la charge de coadjuteur. Cette fois, le poids tait trop lourd pour la sant de Dom Augustin. Sur ses propres instances, le 14 septembre 1924, il obtenait misricorde de ses deux charges, c'est--dire qu'on les lui enlevt.39

Crise de sant De cette priode qui s'tend de la fin de 1924 jusqu'au dpart de D