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La ville et la question de l'habitat fait l'objet de nombreuses réflexions tant par les architectes que par les urbanistes. Des problèmes se font ressentir au XIX ème siècle concernant l'aménagement urbain. En effet, la Révolution industrielle entraîne une poussée démographique des villes ainsi qu'une transformation des moyens de production, avec l'emmergence de nouvelles fonctions urbaines. Ainsi, la question du logement et de l'urbanisme suscite l'attention. La ville devient alors une source d'observation et de réflexion, prenant parfois la dimension de l'utopie. Des projets spatiaux et des images de la ville future qualifiée de modèles voient le jour. La ville emprunte des caractéristiques spécifiques à la machine, et laisse de moins en moins de place à l'empreinte humaine. Au fil de ce mémoire, nous chercherons à mettre en évidence quand et comment la machine s'est-elle emparée de la ville ? Dans un premier temps, nous analyserons comment le phénomène de la standardisation peut être appliqué à diverses échelles de la ville, ensuite nous observerons en quoi la ville peut nous donner à voir une esthétique mécaniste. LE STANDARD, UN MODELE REPRODUCTIBLE POUR LA VILLE Tirer parti de l'échelle humaine Tout d'abord, le phénomène de la standardisation permet aux architectes et urbanistes de pouvoir construire en série. Ce caractère reproductif pourra être adapté tant à l'échelle de l'habitat privé qu'à l'habitat collectif. Pour se faire, un analyse des besoins types de l'humain fut menée dans le but de concevoir au mieux un aménagement qui se voudra humaniste. La «machine à habiter» mise au point par le Corbusier illustre totalement le terme de série. Parler de la «machine à habiter» ne fait aucunement référence au premier sens de la définition de la machine mais à un de ses aspects qui est la standardisation. L'Homme va donc être une source d'observation afin d'en déduire ses caractéristiques universelles. C'est dans la Chartes d'Athènes élaborée par Le Corbusier en 1943 que sont étudiés les besoins humains dans le cadre de quatre fonctions qui sont habiter, travailler, circuler et se cultiver le corps et l'esprit. Cet ouvrage répertorie différentes théories et travaux entrepris depuis trente ans. Les besoins type de l'homme sont peu nombreux et sensiblement identiques, ainsi ils peuvent être facilement répertoriés. Dans l'ouvrage l'Urbanisme, utopies et réalités, Françoise Choay déclare que «Nos esprits sont certes divers mais nos squelettes sont semblables, nous réalisons tous les mêmes mouvements, ainsi les dimensions et les mécanismes sont donc déterminés ». Normaliser, standardiser, mesurer et proprtionner sont les quatres étapes par lesquelles la mesure de l'homme devra passer afin d'adopter son caractère reproductible. Toutes les études liées aux habitudes et aux comportements humains, donnent naissance à un système de calcul, le modulor lié à la morphologie humaine. Maîtrise et hiérarchisation, des projets quelques peu utopiques Bien que certains urbanistes voient leur projet aboutir au stade de la réalisation d'autres quant à eux ont conserver leur réfléxion à l'état d'esquisse. C'est le cas notamment de Charles Fourier (1772-1837) qui met au point une agglomération idéale qui ne sera d'ailleurs constituée que d'une seule et même unité : le Phalanstère. Il conçoit sa ville idéale au nom de la maîtrise, de la hiérarchisation et du classement, en effet il établit une classification des “passions” qui régissent les relations entre les humains. Ce majestueux palais social réunira à la fois les lieux de vie, de travail et d'agrément. De cette construction devra émaner l'ordre, «les bruyants et les insalubres devront être excentrés». Les habitants seront logés d'une façon bien précise, les adultes dormiront au premier et deuxième étage, les enfants rassemblés à l'entre-sol et enfin les combles seront reservées aux hôtes. Géométrie, ordre et efficacité Les propositions de nouvelles villes seront souvent le résultat d'un constat mettant en avant les défauts de la ville. Les architectes et urbanistes souhaitent rompre avec les erreurs du passé et certains mettent en pratique la politique de la table rase. La ville moderne rêve de pureté et d'une architecture lisible. Des problèmes au sein des villes se font remarquer et notamment en terme d'hygiène et de désordre, une remise en question du tracé des villes sera faite. En effet, l'accumulation d'immeubles, la saleté et le bruit entraînent une insécurité. Ainsi, la ville prend un nouveau visage avec des suggestions d'aménagements urbains. L'efficacité et la géométrie guide le travail des urbanistes. Le plan de la ville-machine est géométrique, dominé par la ligne droite : canalisations, chausées, trottoirs. Elle découpe l'espace de la ville en créant des parcelles systématiques qui organisent et rythment l'espace. De nouvelles valeurs sont mises en avant pour la ville, on parle de mécanisation, standardisation, de rigueur et de géométrisme. Cette rectitude appliquée à la ville est également liée aux évolutions techniques et ceci grâce à l'intervention du verre, de l'acier et du ciment armé. En 1925, Le Corbusier abandonne l'organisation concentrique de la ville contemporaine au profit d'une organisation linéaire appelé Le Plan Voisin. Ce projet issu de l'utopie consistait en une reconstruction totale du centre en rasant le vieux Paris ainsi que les immeubles haussmaniens, et ceci dans le but d'y reconstruire dix-huit gratte-ciel destinés à loger cinq cents mille à sept cents mille personnes. L'architecte prévoyait d'appliquer ce plan, considéré comme un modèle, dans d'autres secteurs de Paris et à d'autres villes, voire d'autres pays. La voie de circulation principale de ce nouveau projet devait relier Paris d'est en ouest et mesurer 120 mètres de large. Le long de cet axe, des zones comprenant les différents secteurs d'activités devait être aménagés. DONNER A VOIR UNE ESTHETIQUE MECANISTE Mise en évidence d'une esthétique de la machine par l'hypertrophie. La ville de la fin du XX ème siècle prend un nouveau visage que l'on peut qualifier de machiniste. En effet, avec l'arrivée de nouveaux matériaux et de nouveaux savoir-faire la ville change d'aspect. Les nouvelles technologies se mêlent à l'urbain en jonglant entre réalisme et utopie. La ville nous donne désormais à voir une architecture mécanique, l'esthétique mécaniste s'empare de la ville au détriment de la pureté et de la sobriété. Ces nouvelles architectures mélangeant verre, métal et câble tendu nous renvoient une image faisant référence au monde de la machine. Ainsi, des «mecano» géant sortent de terre comme avec l'architecte Richard Rogers du mouvement high-tech et sa Centrale de Lloyd's à Londres (1979-86). Une autre architecture, à Paris cette fois, reprend une architecture aux allures mécanistes, le Centre Georges Pompidou de Richard Rogers et Renzo Piano conçu en 1977. Cet édifice est assimilé à une grande usine, une raffinerie. Un contraste fort existe entre ce bâtiment et les constructions alentour de la place Beaubourg. Sur le même principe que le bâtiment de Richard Rogers, les gaines techniques sont toutes rejetées à l'extérieur du bâtiment, on est face à une multitude de tubulures métalliques aux couleurs vives. Les différents conduits y sont classés par couleur, le rouge (circulation, communication et transports), le jaune (électricité), le vert (l'eau), et le bleu (chauffage). Cette gigantesque machine culturelle possède néanmoins un inconvénient, en effet telle une machine elle nécessite un entretien régulier vis à vis de la corrosion qui ronge les tubulures extérieures. La technique se mêle à la culture mais également à l'architecture tout entière, esthétique et technique ne sont plus a dissocier, elles ne font plus qu'un. En 1962-64, le groupe Archigram met au point Plug-in City, une ville-branchement. Cette ville est considérée comme une structure spatiale qui regrouperait des habitations, des commerces, des bureaux et les réseaux de communication. Cette ville souple et modulaire serait composée d'une immense trame sur laquelle des cellules type contenaires viendraient se greffer, une ville en constante évolution. Les blocs standards seraient transportés par voies aériennes suspendus à des héliciptères. Les contenaires pourraient se brancher, se connecter dans divers environnements, comme nous le montre le photomontage réalisé par Alain Bublex où il implante ces cellules sur un chantier en construction en Corée transformant des pilliers en béton en mini-ville, faite d'une imbrication de contenaires les uns contre les autres. Ce projet est resté au stade de l'utopie et n'a certes pas été réalisé mais les cellules contenaires sont de nos jours de plus en plus utilisées en architecture. Elles peuvent faire l'objet d'habitats temporaires sur les sites des chantiers en construction. L'aménagement urbain fut mainte fois remis en question par les architectes et urbanistes, toutefois de nombreux projets n'ont pu se réaliser et sont resté à l'état d'esquisse et classés au rang de l'utopie. Cependant, leurs réflexions et propositions ont été entendues, en effet certaines idées laissées de côté au moment du projet se mettent en application aujourd'hui. Les réflexions sur hygiène, la pureté de Le Corbusier dans son Plan Voisin peuvent être mises en parallèle avec les notions actuelles de respect de l'environnement, d'écologie. De plus, de nombreux projets d'immeubles collectifs ou de quartiers voient le jour liant matériaux standardisés et vie en communauté. Le Corbusier, lui qui ne jurait que par soleil, espace et verdure est sans doute l'un des précurseurs de cet engouement écologique au sein de l'aménagement urbain. Une silhouette humaine standardisée servira donc de modèle pour concevoir des unités d'habitation. La «machine à habiter» est régie par le modulor et repose sur le nombre d'or fixé à 1,619. Le Corbusier, en réalisant La Cité Radieuse de Marseille en 1947-53 peut alors tirer parti de l'échelle humaine pour réaliser son unité d'habitation au nom de la proportion et de l'harmonie. L'unité d'habitation devait offrir aux habitants un confort maximal dans leur espace vital. L'architecte bâtit sa Cité Radieuse dans l'optique de l'appliquer à d'autres villes, le standard et la série sont alors mis au premier plan. Les urbanistes en concevant leur projet, ne réfléchissent plus en terme de temps et de lieux puisqu'ils peuvent désormais l'appliquer à n'importe quel groupement humain. La Cité Radieuse est qualifiée de Cité idéale, en effet cet édifice est un peu plus qu'un immeuble de logement puisque le projet prévoit une multitude de services qui pourront être utiles à la communauté. Cette habitation modèle regroupe trois cents trente sept appartements dont vingt-trois types différents, ceci en fonction de la taille de la famille. Les appartements sont imbriqués tête-bêche, groupés par deux, des rues intérieures parcourent de manière longitudinale l'immeuble. Une rue marchande est mise à disposition, différents services commums y sont disponibles. En concevant cette unité, Le Corbusier a su garder en tête de satisfaire ses destinataires. Les logements types détiennent des fonctions classées dans un espace minimum, ils sont intransformables. Ainsi, l'occupant doit se plier au mode de vie que ce logement implique. Dans son ouvrage intitulé L'unité d'habitation de Marseille (1950) l'architecte fait une description systématique de la Cité Radieuse qui met en avant la notion de mesure et de standard humain «la cuisine conçue [...] en fonction des gestes de la ménagère, pour simplifier ceux-ci au maximum». L'espace ne doit pas être gaspillé. Une description des appartements du point de vue de la série est aussi faites «ces appartements sont composés à partir de trois éléments standards [...] en assemblant de diverses manières ces trois éléments de bases, en faisant jouer la série des combinaisons possibles, on atteint une grande diversité de types.» S'élevant dans un parc de trois hectares et demi, la Cité Radieuse implantée à Marseille est le premier prototype des unités d'habitation et sa Chartes d'Athènes s'inscrit dans les fondements d'une civilisation machiniste. La ville, une grande machine : entre réalité et utopie Certains artistes quant à eux voient loin et projettent la machine à l'échelle de la ville entière. Ainsi, avec le développement des perspectives ouvertes de la réalité virtuelle, des projets qui tendent entre réalité et utopie prennent forme. Certains ne sont pas sans rappeler des propositions envisagées par Le Corbusier. Ces artistes ne sont pas architectes et urbanistes et pourtant ils se préocupent de la ville. C'est donc avec le développement et l'apparition de logiciel performant que les villes ainsi imaginées pourront être visibles. C'est par le biais du photomontage ou des images de synthèse réalisés par ordinateur que ces artistes nous donnent à voir des images dignes de l'univers de la science fiction. Alain Bublex notamment emploie ces principes lorsqu'il se réapproprie le Plan Voisin de 1925 de Le Corbusier. C'est donc grâce à des images de synthèse qu'il donne à voir de manière réaliste le plan du Paris d'aujourd'hui. Désormais, il est donc possible de visualiser ce que aurait pu devenir le Paris d'hier si le Plan Voisin avait vu le jour. Ce bâtiment unitaire est un modèle d'habitation collectif en forme de , il comprend une cour centrale et des cours secondaires. Le rez-de-chaussée est interrompu par des passages qui permettront aux voitures de circuler et au premier étage, telles des rues, des galeries parcourent l'édifice en reliant les autres locaux. Ce projet, certes resté au rang de l'utopie et de l'imaginaire est à mettre en parallèle avec La Cité Radieuse de Le Corbusier, il est vrai que ce dernier s'est appuyé sur des concepts Fourieristes appliqués au Phalanstère. Des similitudes sont perceptibles. Les deux modèles d'habitation abritent le même nombre de personnes, on remarque également des rues, des galeries intérieures dans les deux projets. Toutefois, le logement familial de Charles Fourier devient chez Le Corbusier un appartement type. La vision d'avant-garde de Fourier est une évidence, on peut donc en déduire que le projet de Le Corbusier est une version modernisée du Phalanstère marquée par les progrès techniques. Fourier nous donne à voir l'esquisse et Le Corbusier la réalisation et la mise en pratique. Le projet de ville idéale de Fourier a pourtant été source de fascination dans plusieurs pays entre 1830 et 1850. Des tentatives de mise en application ont été faites ainsi, c'est sous le Second Empire que Jean Baptiste Godin conçoit le Familistère inspiré du Phalanstère. Toutefois, contrairement à Fourier, Godin n'est pas resté au stade de l'utopie puisque son projet fut réalisé. Ce projet reprend le principe du bâtiment principal comprenant trois blocs de quatre étages, ainsi que des cours et des rues intérieures. La ville est désormais considérée comme un modèle reproductible, elle est arrachée à la temporalité. Les villes nouvelles prônent l'ordre et l'organisation, ces concepts sont porteur de bienfaits, l'utopie ne peut devenir réalité que par l'organisation. Le Corbusier élabore ici un projet mettant en avant sobrièté, pureté et clareté. La ville se veut lisible et visible. Cette architecture est munie d'un plan rectangulaire de base, toutefois celui-ci n'est pas perceptible au premier abord. En effet, l'édifice est le résultat d'un empilement de volumes que l'on aurait greffés à la structure de base. Ses façades regorgent d'excroissances. La Centrale est pensée par son architecte comme une machine performante mise à nue où tous les éléments techniques et mécaniques sont exhibés à l'extérieur. C'est le cas des escaliers, des ascenceurs, des toilettes, des conduites électriques. A l'intérieur de cette tour, on trouve donc un espace totalement dégagé. S'élevant à 178,8 mètres cette architecture hypertrophiée possède sa propre grue sur le toit au cas où il faudrait changer une pièce de cette machine géante. Cette tour aux couleurs sombres nous transporte dans le monde des machines avec ses structures d'acier. De la "machine à habiter " à l'architecture technologique PROST Sophie ART HOMME MACHINE BIBLIOGRAPHIE La Cité idéale en Occident de Virgilio Vercelloni, édition Jaka Book, 1994 L'urbanisme, utopies et réalités, une anthologie de Françoise Choay, édition du Seuil, 1965 Dictionnaire des utopies de Michèle Riot-Sarcey, Thomas Bouchet et Antoine Picon, édition Larousse, 2002 Histoire de la ville de Léonardo Benevolo, édition Paranthèses, 1983 L'unité d'habitation de Marseille, Le Corbusier, 1950 ART HOMME MACHINE

DONNER A VOIR UNE ESTHETIQUE MECANISTEs4.e-monsite.com/2011/09/21/37759362le-rendu-pdf.pdf2011/09/21  · une reconstruction totale du centre en rasant le vieux Paris ainsi que les

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Page 1: DONNER A VOIR UNE ESTHETIQUE MECANISTEs4.e-monsite.com/2011/09/21/37759362le-rendu-pdf.pdf2011/09/21  · une reconstruction totale du centre en rasant le vieux Paris ainsi que les

La ville et la question de l'habitat fait l'objet de nombreuses réflexions tant par les architectes que par les urbanistes. Des problèmes se font ressentir au XIX ème siècle concernant l'aménagement urbain. En effet, la Révolution industrielle entraîne une poussée démographique des villes ainsi qu'une transformation des moyens de production, avec l'emmergence de nouvelles fonctions urbaines. Ainsi, la question du logement et de l'urbanisme suscite l'attention. La ville devient alors une source d'observation et de réflexion, prenant parfois la dimension de l'utopie. Des projets spatiaux et des images de la ville future qualifiée de modèles voient le jour. La ville emprunte des caractéristiques spécifiques à la machine, et laisse de moins en moins de place à l'empreinte humaine.

Au fil de ce mémoire, nous chercherons à mettre en évidence quand et comment la machine s'est-elle emparée de la ville ? Dans un premier temps, nous analyserons comment le phénomène de la standardisation peut être appliqué à diverses échelles de la ville, ensuite nous observerons en quoi la ville peut nous donner à voir une esthétique mécaniste.

LE STANDARD, UN MODELE REPRODUCTIBLE POUR LA VILLE

Tirer parti de l'échelle humaine

Tout d'abord, le phénomène de la standardisation permet aux architectes et urbanistes de pouvoir construire en série. Ce caractère reproductif pourra être adapté tant à l'échelle de l'habitat privé qu'à l'habitat collectif. Pour se faire, un analyse des besoins types de l'humain fut menée dans le but de concevoir au mieux un aménagement qui se voudra humaniste. La «machine à habiter» mise au point par le Corbusier illustre totalement le terme de série. Parler de la «machine à habiter» ne fait aucunement référence au premier sens de la définition de la machine mais à un de ses aspects qui est la standardisation. L'Homme va donc être une source d'observation afin d'en déduire ses caractéristiques universelles. C'est dans la Chartes d'Athènes élaborée par Le Corbusier en 1943 que sont étudiés les besoins humains dans le cadre de quatre fonctions qui sont habiter, travailler, circuler et se cultiver le corps et l'esprit. Cet ouvrage répertorie différentes théories et travaux entrepris depuis trente ans. Les besoins type de l'homme sont peu nombreux et sensiblement identiques, ainsi ils peuvent être facilement répertoriés. Dans l'ouvrage l'Urbanisme, utopies et réalités, Françoise Choay déclare que «Nos esprits sont certes divers mais nos squelettes sont semblables, nous réalisons tous les mêmes mouvements, ainsi les dimensions et les mécanismes sont donc déterminés ». Normaliser, standardiser, mesurer et proprtionner sont les quatres étapes par lesquelles la mesure de l'homme devra passer afin d'adopter son caractère reproductible. Toutes les études liées aux habitudes et aux comportements humains, donnent naissance à un système de calcul, le modulor lié à la morphologie humaine.

Maîtrise et hiérarchisation, des projets quelques peu utopiques

Bien que certains urbanistes voient leur projet aboutir au stade de la réalisation d'autres quant à eux ont conserver leur réfléxion à l'état d'esquisse. C'est le cas notamment de Charles Fourier (1772-1837) qui met au point une agglomération idéale qui ne sera d'ailleurs constituée que d'une seule et même unité : le Phalanstère. Il conçoit sa ville idéale au nom de la maîtrise, de la hiérarchisation et du classement, en effet il établit une classification des “passions” qui régissent les relations entre les humains. Ce majestueux palais social réunira à la fois les lieux de vie, de travail et d'agrément. De cette construction devra émaner l'ordre, «les bruyants et les insalubres devront être excentrés». Les habitants seront logés d'une façon bien précise, les adultes dormiront au premier et deuxième étage, les enfants rassemblés à l'entre-sol et enfin les combles seront reservées aux hôtes.

Géométrie, ordre et efficacité

Les propositions de nouvelles villes seront souvent le résultat d'un constat mettant en avant les défauts de la ville. Les architectes et urbanistes souhaitent rompre avec les erreurs du passé et certains mettent en pratique la politique de la table rase. La ville moderne rêve de pureté et d'une architecture lisible. Des problèmes au sein des villes se font remarquer et notamment en terme d'hygiène et de désordre, une remise en question du tracé des villes sera faite. En effet, l'accumulation d'immeubles, la saleté et le bruit entraînent une insécurité. Ainsi, la ville prend un nouveau visage avec des suggestions d'aménagements urbains. L'efficacité et la géométrie guide le travail des urbanistes. Le plan de la ville-machine est géométrique, dominé par la ligne droite : canalisations, chausées, trottoirs. Elle découpe l'espace de la ville en créant des parcelles systématiques qui organisent et rythment l'espace. De nouvelles valeurs sont mises en avant pour la ville, on parle de mécanisation, standardisation, de rigueur et de géométrisme. Cette rectitude appliquée à la ville est également liée aux évolutions techniques et ceci grâce à l'intervention du verre, de l'acier et du ciment armé. En 1925, Le Corbusier abandonne l'organisation concentrique de la ville contemporaine au profit d'une organisation linéaire appelé Le Plan Voisin. Ce projet issu de l'utopie consistait en une reconstruction totale du centre en rasant le vieux Paris ainsi que les immeubles haussmaniens, et ceci dans le but d'y reconstruire dix-huit gratte-ciel destinés à loger cinq cents mille à sept cents mille personnes. L'architecte prévoyait d'appliquer ce plan, considéré comme un modèle, dans d'autres secteurs de Paris et à d'autres villes, voire d'autres pays. La voie de circulation principale de ce nouveau projet devait relier Paris d'est en ouest et mesurer 120 mètres de large. Le long de cet axe, des zones comprenant les différents secteurs d'activités devait être aménagés.

DONNER A VOIR UNE ESTHETIQUE MECANISTE

Mise en évidence d'une esthétique de la machine par l'hypertrophie.

La ville de la fin du XX ème siècle prend un nouveau visage que l'on peut qualifier de machiniste. En effet, avec l'arrivée de nouveaux matériaux et de nouveaux savoir-faire la ville change d'aspect. Les nouvelles technologies se mêlent à l'urbain en jonglant entre réalisme et utopie. La ville nous donne désormais à voir une architecture mécanique, l'esthétique mécaniste s'empare de la ville au détriment de la pureté et de la sobriété. Ces nouvelles architectures mélangeant verre, métal et câble tendu nous renvoient une image faisant référence au monde de la machine. Ainsi, des «mecano» géant sortent de terre comme avec l'architecte Richard Rogers du mouvement high-tech et sa Centrale de Lloyd's à Londres (1979-86).

Une autre architecture, à Paris cette fois, reprend une architecture aux allures mécanistes, le Centre Georges Pompidou de Richard Rogers et Renzo Piano conçu en 1977. Cet édifice est assimilé à une grande usine, une raffinerie. Un contraste fort existe entre ce bâtiment et les constructions alentour de la place Beaubourg. Sur le même principe que le bâtiment de Richard Rogers, les gaines techniques sont toutes rejetées à l'extérieur du bâtiment, on est face à une multitude de tubulures métalliques aux couleurs vives. Les différents conduits y sont classés par couleur, le rouge (circulation, communication et transports), le jaune (électricité), le vert (l'eau), et le bleu (chauffage). Cette gigantesque machine culturelle possède néanmoins un inconvénient, en effet telle une machine elle nécessite un entretien régulier vis à vis de la corrosion qui ronge les tubulures extérieures. La technique se mêle à la culture mais également à l'architecture tout entière, esthétique et technique ne sont plus a dissocier, elles ne font plus qu'un.

En 1962-64, le groupe Archigram met au point Plug-in City, une ville-branchement. Cette ville est considérée comme une structure spatiale qui regrouperait des habitations, des commerces, des bureaux et les réseaux de communication. Cette ville souple et modulaire serait composée d'une immense trame sur laquelle des cellules type contenaires viendraient se greffer, une ville en constante évolution. Les blocs standards seraient transportés par voies aériennes suspendus à des héliciptères. Les contenaires pourraient se brancher, se connecter dans divers environnements, comme nous le montre le photomontage réalisé par Alain Bublex où il implante ces cellules sur un chantier en construction en Corée transformant des pilliers en béton en mini-ville, faite d'une imbrication de contenaires les uns contre les autres. Ce projet est resté au stade de l'utopie et n'a certes pas été réalisé mais les cellules contenaires sont de nos jours de plus en plus utilisées en architecture. Elles peuvent faire l'objet d'habitats temporaires sur les sites des chantiers en construction.

L'aménagement urbain fut mainte fois remis en question par les architectes et urbanistes, toutefois de nombreux projets n'ont pu se réaliser et sont resté à l'état d'esquisse et classés au rang de l'utopie. Cependant, leurs réflexions et propositions ont été entendues, en effet certaines idées laissées de côté au moment du projet se mettent en application aujourd'hui. Les réflexions sur hygiène, la pureté de Le Corbusier dans son Plan Voisin peuvent être mises en parallèle avec les notions actuelles de respect de l'environnement, d'écologie. De plus, de nombreux projets d'immeubles collectifs ou de quartiers voient le jour liant matériaux standardisés et vie en communauté. Le Corbusier, lui qui ne jurait que par soleil, espace et verdure est sans doute l'un des précurseurs de cet engouement écologique au sein de l'aménagement urbain.

Une silhouette humaine standardisée servira donc de modèle pour concevoir des unités d'habitation. La «machine à habiter» est régie par le modulor et repose sur le nombre d'or fixé à 1,619. Le Corbusier, en réalisant La Cité Radieuse de Marseille en 1947-53 peut alors tirer parti de l'échelle humaine pour réaliser son unité d'habitation au nom de la proportion et de l'harmonie. L'unité d'habitation devait offrir aux habitants un confort maximal dans leur espace vital. L'architecte bâtit sa Cité Radieuse dans l'optique de l'appliquer à d'autres villes, le standard et la série sont alors mis au premier plan. Les urbanistes en concevant leur projet, ne réfléchissent plus en terme de temps et de lieux puisqu'ils peuvent désormais l'appliquer à n'importe quel groupement humain. La Cité Radieuse est qualifiée de Cité idéale, en effet cet édifice est un peu plus qu'un immeuble de logement puisque le projet prévoit une multitude de services qui pourront être utiles à la communauté. Cette habitation modèle regroupe trois cents trente sept appartements dont vingt-trois types différents, ceci en fonction de la taille de la famille. Les appartements sont imbriqués tête-bêche, groupés par deux, des rues intérieures parcourent de manière longitudinale l'immeuble. Une rue marchande est mise à disposition, différents services commums y sont disponibles. En concevant cette unité, Le Corbusier a su garder en tête de satisfaire ses destinataires. Les logements types détiennent des fonctions classées dans un espace minimum, ils sont intransformables. Ainsi, l'occupant doit se plier au mode de vie que ce logement implique. Dans son ouvrage intitulé L'unité d'habitation de Marseille (1950) l'architecte fait une description systématique de la Cité Radieuse qui met en avant la notion de mesure et de standard humain «la cuisine conçue [...] en fonction des gestes de la ménagère, pour simplifier ceux-ci au maximum». L'espace ne doit pas être gaspillé. Une description des appartements du point de vue de la série est aussi faites «ces appartements sont composés à partir de trois éléments standards [...] en assemblant de diverses manières ces trois éléments de bases, en faisant jouer la série des combinaisons possibles, on atteint une grande diversité de types.» S'élevant dans un parc de trois hectares et demi, la Cité Radieuse implantée à Marseille est le premier prototype des unités d'habitation et sa Chartes d'Athènes s'inscrit dans les fondements d'une civilisation machiniste.

La ville, une grande machine : entre réalité et utopie

Certains artistes quant à eux voient loin et projettent la machine à l'échelle de la ville entière. Ainsi, avec le développement des perspectives ouvertes de la réalité virtuelle, des projets qui tendent entre réalité et utopie prennent forme. Certains ne sont pas sans rappeler des propositions envisagées par Le Corbusier. Ces artistes ne sont pas architectes et urbanistes et pourtant ils se préocupent de la ville. C'est donc avec le développement et l'apparition de logiciel performant que les villes ainsi imaginées pourront être visibles. C'est par le biais du photomontage ou des images de synthèse réalisés par ordinateur que ces artistes nous donnent à voir des images dignes de l'univers de la science fiction. Alain Bublex notamment emploie ces principes lorsqu'il se réapproprie le Plan Voisin de 1925 de Le Corbusier. C'est donc grâce à des images de synthèse qu'il donne à voir de manière réaliste le plan du Paris d'aujourd'hui. Désormais, il est donc possible de visualiser ce que aurait pu devenir le Paris d'hier si le Plan Voisin avait vu le jour.

Ce bâtiment unitaire est un modèle d'habitation collectif en forme de , il comprend une cour centrale et des cours secondaires. Le rez-de-chaussée est interrompu par des passages qui permettront aux voitures de circuler et au premier étage, telles des rues, des galeries parcourent l'édifice en reliant les autres locaux. Ce projet, certes resté au rang de l'utopie et de l'imaginaire est à mettre en parallèle avec La Cité Radieuse de Le Corbusier, il est vrai que ce dernier s'est appuyé sur des concepts Fourieristes appliqués au Phalanstère. Des similitudes sont perceptibles. Les deux modèles d'habitation abritent le même nombre de personnes, on remarque également des rues, des galeries intérieures dans les deux projets.

Toutefois, le logement familial de Charles Fourier devient chez Le Corbusier un appartement type. La vision d'avant-garde de Fourier est une évidence, on peut donc en déduire que le projet de Le Corbusier est une version modernisée du Phalanstère marquée par les progrès techniques. Fourier nous donne à voir l'esquisse et Le Corbusier la réalisation et la mise en pratique. Le projet de ville idéale de Fourier a pourtant été source de fascination dans plusieurs pays entre 1830 et 1850. Des tentatives de mise en application ont été faites ainsi, c'est sous le Second Empire que Jean Baptiste Godin conçoit le Familistère inspiré du Phalanstère. Toutefois, contrairement à Fourier, Godin n'est pas resté au stade de l'utopie puisque son projet fut réalisé. Ce projet reprend le principe du bâtiment principal comprenant trois blocs de quatre étages, ainsi que des cours et des rues intérieures. La ville est désormais considérée comme un modèle reproductible, elle est arrachée à la temporalité. Les villes nouvelles prônent l'ordre et l'organisation, ces concepts sont porteur de bienfaits, l'utopie ne peut devenir réalité que par l'organisation.

Le Corbusier élabore ici un projet mettant en avant sobrièté, pureté et clareté. La ville se veut lisible et visible.

Cette architecture est munie d'un plan rectangulaire de base, toutefois celui-ci n'est pas perceptible au premier abord. En effet, l'édifice est le résultat d'un empilement de volumes que l'on aurait greffés à la structure de base. Ses façades regorgent d'excroissances. La Centrale est pensée par son architecte comme une machine performante mise à nue où tous les éléments techniques et mécaniques sont exhibés à l'extérieur. C'est le cas des escaliers, des ascenceurs, des toilettes, des conduites électriques. A l'intérieur de cette tour, on trouve donc un espace totalement dégagé. S'élevant à 178,8 mètres cette architecture hypertrophiée possède sa propre grue sur le toit au cas où il faudrait changer une pièce de cette machine géante. Cette tour aux couleurs sombres nous transporte dans le monde des machines avec ses structures d'acier.

De la "machine à habiter " à l'architecture technologique

PROST Sophie

ARTHOMMEMACHINE

BIBLIOGRAPHIE

La Cité idéale en Occident de Virgilio Vercelloni, édition Jaka Book, 1994

L'urbanisme, utopies et réalités, une anthologie de Françoise Choay, édition du Seuil, 1965

Dictionnaire des utopies de Michèle Riot-Sarcey, Thomas Bouchet et Antoine Picon, édition Larousse, 2002

Histoire de la ville de Léonardo Benevolo, édition Paranthèses, 1983

L'unité d'habitation de Marseille, Le Corbusier, 1950

ARTHOMMEMACHINE