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Article original Donner son sang : un droit individuel ou lexercice dune responsabilité sociale ? Débat sur la place du donneur dans la transfusion Giving blood: an individual right or the expression of a social responsability? The donnorsposition in the debates on blood transfusion B. Bastard CSOCNRS, 19, rue Amélie, 75007 Paris, France Disponible sur internet le 07 septembre 2006 Résumé Ce débat porte sur le changement de la place faite au donneur dans le système transfusionnel. Comment les règles relatives au don du sang sont-elles élaborées et mises en œuvre ? Les participants à la discussion soulignent la nécessité de mieux communiquer sur ces règles et de les faire accepter, pour éviter que les contre-indications au don ne soient mal tolérées par les donneurs de sang. Comment rendre les refus plus tolérables ? Les contre-indications génèrent une grande angoisse chez les donneurs dont le don nest pas accepté. Alors même que la transfusion sanguine est aujourdhui plus sûre quelle ne la jamais été dans les pays riches, le donneur ne porte-t-il pas le poids des incertitudes qui continuent de peser sur cette activité ? Lapplication du principe de précaution peut conduire à des décisions qui savèrent dune grande brutalité à son égard. De telles décisions simposent aux responsables des services de transfusion, semblant parfois dictées par des considérations politi- ques et médiatiques, davantage que par un souci de rigueur scientifique ou économique. Le débat se porte sur la question de savoir quel usage peut être fait de la sélection des donneurs dans une perspective de prévention et de santé publique. Enfin, dautres questions sont encore abor- dées : le renouvellement des responsables des associations de donneurs et la question de lexclusion des homosexuels. © 2006 Publié par Elsevier Masson SAS. Abstract This debate questions the donors position within the transfusional framework. How are blood donation regulations initiated and implemen- ted? Experts called upon this question insist on the necessity to better inform about such regulations so that they can be rapidly approved and in order to keep donors from adverse reactions linked to blood donations. How to make donorsrejections more tolerable? Contra-indications are a source of anxiety for the person whose blood sample is not accepted. While blood transfusion has never been safer in the past than it is today in wealthy countries, one should ask the question whether the donor is or not the victim of doubts still weighing down on this activity. Implement- ing the precautionary principle may indeed lead transfusion supervisors to take brutal decisions detrimental to the donor, seeming rather inspired by political or media pressures than calling on scientific or economic rigorous principles. What does the donor selection aim at in terms of prevention and public health? What about the renewal of donor associationsdirectors? Where are we at with the homosexual rejection trends? Such are the issues as those induced by the current debate. © 2006 Publié par Elsevier Masson SAS. Mots clés : Don du sang ; Prélèvement ; Contre-indications au don ; Principe de précaution Keywords: Blood donation; Blood sample; Contra-indications to blood donations; Precautionary principle http://france.elsevier.com/direct/TRACLI/ Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 215225 Adresse e-mail : [email protected] (B. Bastard). 1246-7820/$ - see front matter © 2006 Publié par Elsevier Masson SAS. doi:10.1016/j.tracli.2006.07.002

Donner son sang : un droit individuel ou l'exercice d'une responsabilité sociale ? Débat sur la place du donneur dans la transfusion

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http://france.elsevier.com/direct/TRACLI/

Transfusion Clinique et Biologique 13 (2006) 215–225

Article original

A

1246doi:1

Donner son sang : un droit individuel ou l’exercice d’une responsabilité

sociale ? Débat sur la place du donneur dans la transfusion

Giving blood: an individual right or the expression of a socialresponsability? The donnors’ position in the debates on blood transfusion

B. Bastard

CSO–CNRS, 19, rue Amélie, 75007 Paris, France

Disponible sur internet le 07 septembre 2006

Résumé

Ce débat porte sur le changement de la place faite au donneur dans le système transfusionnel. Comment les règles relatives au don du sangsont-elles élaborées et mises en œuvre ? Les participants à la discussion soulignent la nécessité de mieux communiquer sur ces règles et de lesfaire accepter, pour éviter que les contre-indications au don ne soient mal tolérées par les donneurs de sang. Comment rendre les refus plustolérables ? Les contre-indications génèrent une grande angoisse chez les donneurs dont le don n’est pas accepté. Alors même que la transfusionsanguine est aujourd’hui plus sûre qu’elle ne l’a jamais été dans les pays riches, le donneur ne porte-t-il pas le poids des incertitudes quicontinuent de peser sur cette activité ? L’application du principe de précaution peut conduire à des décisions qui s’avèrent d’une grande brutalitéà son égard. De telles décisions s’imposent aux responsables des services de transfusion, semblant parfois dictées par des considérations politi-ques et médiatiques, davantage que par un souci de rigueur scientifique ou économique. Le débat se porte sur la question de savoir quel usagepeut être fait de la sélection des donneurs dans une perspective de prévention et de santé publique. Enfin, d’autres questions sont encore abor-dées : le renouvellement des responsables des associations de donneurs et la question de l’exclusion des homosexuels.© 2006 Publié par Elsevier Masson SAS.

Abstract

This debate questions the donor’s position within the transfusional framework. How are blood donation regulations initiated and implemen-ted? Experts called upon this question insist on the necessity to better inform about such regulations so that they can be rapidly approved and inorder to keep donors from adverse reactions linked to blood donations. How to make donors’ rejections more tolerable? Contra-indications are asource of anxiety for the person whose blood sample is not accepted. While blood transfusion has never been safer in the past than it is today inwealthy countries, one should ask the question whether the donor is or not the victim of doubts still weighing down on this activity. Implement-ing the precautionary principle may indeed lead transfusion supervisors to take brutal decisions detrimental to the donor, seeming rather inspiredby political or media pressures than calling on scientific or economic rigorous principles. What does the donor selection aim at in terms ofprevention and public health? What about the renewal of donor associations’ directors? Where are we at with the homosexual rejection trends?Such are the issues as those induced by the current debate.© 2006 Publié par Elsevier Masson SAS.

Mots clés : Don du sang ; Prélèvement ; Contre-indications au don ; Principe de précaution

Keywords: Blood donation; Blood sample; Contra-indications to blood donations; Precautionary principle

dresse e-mail : [email protected] (B. Bastard).

-7820/$ - see front matter © 2006 Publié par Elsevier Masson SAS.0.1016/j.tracli.2006.07.002

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De nouvelles questions de santé publique émergent cons-tamment, qui suscitent des prises de décision et l’édiction denouvelles règles quant au don du sang. Comment sont élabo-rées ces règles ? De quelle manière les établissements de trans-fusion en font-ils part au public et aux donneurs ? Les messa-ges de promotion du don font-ils place à cette question de lasécurité transfusionnelle ? Comment les donneurs perçoivent-ils la situation actuelle et l’émergence successive de nouvellesbarrières au don ? Certaines règles sont-elles vues commeinjustes ou génératrices d’exclusion ? Les praticiens de latransfusion s’organisent pour accueillir le donneur tout en luifaisant accepter les exigences de la sécurité du don, mais com-ment font-ils face au sentiment d’exclusion ? Quelles explica-tions et quels aménagements sont possibles face aux inquiétu-des et aux tensions générées par les contre-indications au don ?

Ces questions ont été abordées lors de la table ronde quisuit. Celle-ci a réuni un donneur de sang, deux représentantsd’associations de donneur1 ainsi que le Dr Nicole Coudurier,directeur de l’Établissement français du sang Rhône-Alpes, leDr Bruno Danic, coordonateur des prélèvements à l’Établisse-ment français du sang pour la région Bretagne, le Dr GuyLevy, directeur du service de transfusion de la Croix-Rougesuisse, et le Dr Martine Michel, responsable du Centre detransfusion de Genève. Elle a été animée par Benoit Bastard.

1. Les principes de la sélection des donneurs

1.1. Benoit Bastard

Abordons la question du changement de la place du donneurdans la transfusion sanguine. L’histoire du don du sang estempreinte d’une vision positive de générosité, de bonnesanté, d’altruisme, de reconnaissance sociale à l’égard du don-neur. Puis, en quelques décennies, un renversement complets’est produit. Depuis la crise qu’a traversée la transfusion, ledonneur n’est plus vu comme un héros. Au contraire, il estsuspecté et inspecté. Évoquer cette question de la place faiteau donneur amène à considérer les logiques à l’œuvre dans lesystème transfusionnel : d’un côté celle du donneur, qui juste-ment souhaite donner et, de l’autre, celle des établissements detransfusion — une logique médicale de recherche et de réduc-tion des risques. On peut engager la discussion en partant desrègles qui s’appliquent au don. Ces règles, on le sait, sontchangeantes : de nouvelles questions se posent, de nouvellescontre-indications apparaissent. Comment ces règles sont-ellesélaborées et perçues par l’ensemble des acteurs du système detransfusion, notamment par les donneurs et leurs représentants,et comment sont-elles mises en œuvre par les praticiens ?

1 Claire-Lise Gauthet, donneuse de sang au Centre de transfusion de Genèvedepuis 30 ans. Claude Pioton, président de l’amicale genevoise des donneursde sang bénévole et de la Fondation des donneurs et du mérite genevois dusang, membre de la Fédération internationale des donneurs de sang. Jean-François Séchaud, président de l’Union départementale des donneurs de sangbénévoles de Haute-Savoie, vice-président de la région Rhône-Alpe et trésorieradjoint de la Fédération française des donneurs de sang bénévoles.

1.2. Guy Levy

Dans cette assemblée, je représente le régulateur. Le servicede transfusion de la Croix-Rouge suisse que je dirige est uneassociation de droit privé à but non lucratif qui est chargée del’approvisionnement de la population suisse en sang. Treizerégions approvisionnent le service de transfusion, dont la tailleest très variable : 150 000 dons pour certaines, moins de10 000 pour d’autres. Le service de transfusion est intégré à laCroix-Rouge suisse. Mon rôle en tant que médecin directeurest d’assurer que les prescriptions tiennent compte des connais-sances et soient adaptées à l’épidémiologie, de sorte que lesang soit le plus sûr possible.

Pour amorcer notre discussion, j’évoquerai la réflexion quenous menons au service de transfusion suisse. L’épidémiologieet la façon dont les maladies infectieuses se transmettent nousinterpellent. Cette approche scientifique et épidémiologique atoujours existé, mais elle nous interpelle de façon beaucoupplus aiguë depuis 1985. À partir du moment où un donneurpotentiel a été exposé à un risque ou à une situation qui peutmettre en danger la sécurité du produit qu’il est amené à don-ner, il doit être écarté de manière transitoire ou définitive dudon du sang. Cette approche épidémiologique est indépendantedes techniques de dépistage. Celles-ci ont fait d’énormes pro-grès en l’espace de 15 ans, mais la biologie ne peut pas tout etil existe encore ce qu’on appelle la fenêtre diagnostique : lors-qu’une personne a été en contact avec un agent infectieux, il ya toujours une période pendant laquelle on ne peut pas dépistercet agent infectieux, alors que le sang peut être contaminant.

À côté de cette dimension épidémiologique, nous sommesune société de Croix-Rouge, avec une approche éthique, lebénévolat, le volontariat, l’anonymat, je n’y reviens pas.

Ensuite, un troisième élément consiste dans l’approche poli-tique, je veux parler du principe de précaution. C’est une don-née qui a été introduite dans les années 1995-1996, commel’une des conséquences des problèmes des années 1985.Selon ce principe, il n’est pas nécessaire qu’un fait scientifiquesoit prouvé pour introduire des mesures visant à protéger lapopulation d’éventuels effets secondaires. C’est ainsi que desmesures de précaution sont prises face à des maladies poten-tiellement transmissibles par le sang, la maladie de la vachefolle ou d’autres éléments infectieux dont on n’a pas véritable-ment prouvé qu’ils pouvaient être transmis par le sang. On estobligé de les prendre en considération et de dire au donneur :« On prend une mesure de précaution. Aujourd’hui, vous nepouvez malheureusement pas donner votre sang. Vous serezreconvoqués et on vous retestera ultérieurement en fonctionde l’évolution de l’état de la science. »

Enfin, il y a l’approche médiatique. La Suisse n’est pas unepetite île isolée au milieu de l’Europe ou du monde. Elle faitpartie de l’Europe. Si, une mesure de précaution est prise dansun pays voisin et que nous ne prenons pas la même mesure, laquestion est posée par les médias : est-ce que vous avez deséléments qui sont véritablement importants pour nous expli-quer pourquoi vous n’avez pas pris cette mesure ?

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1.3. Nicole Coudurier

En tant que professionnel de la transfusion, il nous fautsatisfaire à la fois la demande du donneur, qui est là pour don-ner et notre demande à nous : apporter aux malades le produitle plus sûr possible. Le médecin est en première ligne. Il luiincombe de gérer ce qui n’est pas forcément dit tout de suitedans un contexte difficile. En cabine fixe, certes, on peut avoirun endroit tranquille et un peu de temps. En collecte mobile, aucontraire, quand il y a 15 donneurs qui attendent, on n’a pastoujours le temps de mener parfaitement un entretien médical.Et puis surtout, il nous faut gérer le refus du don. C’est d’unetrès grande difficulté. On manque de temps pour le faire, encollecte mobile, en tout cas. C’est aussi un problème de forma-tion : tous les médecins ne savent pas « bien gérer » les refus.Il faut prendre le temps d’expliquer pourquoi quelqu’un qui estvenu avec la ferme intention de donner se voit refuser la pos-sibilité de le faire.

1.4. Bruno Danic

Pour que l’on puisse faire face aux difficultés que l’on ren-contre à gérer ces situations sur le terrain de la collecte, lesmesures prises doivent avoir un sens précis en termes desanté publique. Elles devraient être aussi mieux expliquées àla population. Les campagnes ont pour but de faire venir desdonneurs de valoriser le don — c’est un besoin essentiel —mais les institutions devraient communiquer davantage endirection des donneurs à propos des règles du don, y comprisquand on met en œuvre une nouvelle contre-indication.

2. Faire accepter les contre-indications au don

2.1. Benoit Bastard

N’adressez-vous pas aux donneurs un double message ?Vous leur dites : « Venez, on a besoin de votre sang », etc’est vrai. N’est-il pas difficile de leur dire en même tempsque leur sang ne sera pas forcément recueilli ? Commentgérer cette contradiction ?

2.2. Nicole Coudurier

On utilise assez fréquemment une image lors de l’entretienmédical. On explique au donneur : « Vous êtes le donneur et jesuis le médecin, mais nous ne sommes pas deux, nous sommestrois, n’oubliez pas le receveur ! C’est pour lui que vous êteslà. C’est pour lui que je suis là. Parlons ensemble des condi-tions qui vont permettre d’apporter au receveur le produit dontil aura besoin. »

2.3. Claire-Lise Gauthet

J’aimerais introduire la notion de responsabilité. En tant quedonneur ou donneuse, nous avons aussi la responsabilité de

nous présenter dans les meilleures conditions possibles. C’esttrès rassurant de savoir que nous ne sommes pas seuls respon-sables. Les médecins, de leur côté, sont responsables de l’in-troduction de leurs techniques et des questionnaires qu’ils nousfont remplir, qui nous permettent aussi d’être le plus précispossible au moment du don. Cette coresponsabilité est trèsimportante et très rassurante pour le donneur. Le fait que lemédecin puisse nous dire : « Il y a quelque chose qui ne vapas, on ne peut pas accepter votre sang », j’estime que c’estrassurant.

2.4. Jean-François Séchaux

Il faut avoir des donneurs sérieux. C’est le receveur qui vaêtre pénalisé si on ne fait pas notre travail en amont le plussérieusement possible. Au niveau des donneurs, ceux qui ontété exclus ont ressenti un mécontentement. C’est aux associa-tions, d’essayer d’aller vers le donneur et de lui expliquer cequi vient d’être dit, la question de la sécurité au niveau de latransfusion.

2.5. Martine Michel

On a des donneurs qui viennent pour la première fois et quine s’attendent à rien, puisqu’ils ne savent pas ce qui va se pas-ser. Avec eux, il est facile de discuter et de leur faire compren-dre qu’il y a des facteurs de risque pour les patients. On peutfaire comprendre à ces donneurs qu’on n’a pas le droit de pren-dre de risques pour transfuser quelqu’un. Quant aux donneursréguliers, on a parfois beaucoup plus de mal à leur faire com-prendre, après qu’ils aient donné pendant vingt ans, qu’on aune nouvelle prescription qui nous arrive d’en haut, du légis-lateur, et qu’en raison du principe de précaution, on n’a plus ledroit de les prélever. De tels donneurs se sentent exclus et on abeaucoup de mal, même si on y met les formes, à leur fairecomprendre que ce n’est pas leur comportement qui est encause, ni leur personne, mais qu’il s’agit d’une mesure de pro-tection et de précaution pour le receveur. Les techniciens quenous sommes ont beaucoup de mal à faire passer ce message àun donneur qui vient donner son cœur en toute bonne volontéet qui se fait refuser. C’est vraiment un échec de sa démarche.Il faut qu’on l’atténue.

2.6. Un responsable d’association de donneurs

Permettez-moi de vous parler de mon propre cas : j’ai donné22 fois mon sang et, tout à coup, j’ai été confronté à la ques-tion : « Avez-vous reçu de l’hormone de croissance ? » J’airépondu oui et, donc, on m’a exclu. Malgré ça, j’ai continuéd’une autre façon puisque je suis resté président d’une associa-tion de donneurs de sang bénévoles et que je continue dans ledon du sang.

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3. Quelles stratégies pour fidéliser les donneurs ?

3.1. Philippe Oliviéro

Il faut rappeler que l’acte du don est le meilleur prédicteurdu futur don. Le seul prédicteur du don, c’est le temps— depuis combien de temps on n’a pas donné. En gros, pluson donne, plus on risque de donner. Donc si on veut s’assurerde la pérennité du donneur, il faut l’entourer de toutes les pré-cautions possibles et c’est vrai que le fait de refuser, même s’ils’agit d’un refus temporaire, constitue un risque considérablepour la pérennité du don.

On peut faire des gestes symboliques — peut-être en pren-dre et puis jeter la substance, comme pour les dons de sperme ?Dans le don de sperme, le donneur ne sait absolument rien dudevenir des matériaux qu’il donne. C’est un autre modèle déci-sionnel concernant le devenir du matériau donné : on acceptel’acte du don, quoi qu’il se passe après. Il y a donc d’autrespossibilités que celle qui est utilisée actuellement pour le sang.

Il faut trouver des solutions qui sauvent la face pour le don-neur. Il y a sûrement beaucoup de situations où on a perdu desdonneurs qui étaient de bonne volonté et qu’on aurait pu, jepense, avec d’autres comportements, garder dans le système,sachant qu’une fois qu’on a un donneur, c’est celui-là qu’ilfaut garder, c’est la matière de base.

3.2. Bruno Danic

Ce n’est pas une bonne idée de prendre le sang de tout lemonde et de ne pas dire ce qu’on en fait. D’abord il y a unequestion éthique : prélever du sang à quelqu’un est un acte ensoi. On prélève un demi-litre de sang ce qui représente quandmême risque iatrogène, si minime soit-il. On ne peut pas sepermettre de le prendre, à partir du moment où on sait qu’ilne servira pas. On trompe aussi la personne qui est venue eton prend un risque supplémentaire : puisque cela n’a pas poséproblème, la fois suivante, cette personne n’évoquera pas leproblème pour lequel elle n’aurait pas dû donner. Finalement,on risque d’y perdre en termes de sécurité.

C’est vrai que les donneurs vivent très difficilement la situa-tion dans certains types de contre-indications. On pense, enFrance, à la contre-indication des personnes transfusées quisymbolise le principe de précaution. Ce n’est pas bien compriset cela laisse penser aux gens qu’ils ont peut-être quelquechose en eux — on ne sait pas quoi — qui se déclarera unjour ; c’est extrêmement angoissant. Donc c’est vrai qu’il estproposé aujourd’hui à ces personnes de participer à d’autresformes de don, en leur précisant que leur sang ne sera pastransfusé à un malade, mais servira à la préparation de réactifssanguins. Cette autre manière de participer à la transfusion peutcontribuer à les rassurer par rapport à cette mesure qui estextrêmement anxiogène.

3.3. Jean-François Séchaux

La transfusion sanguine est très sécurisée, l’une des plussécurisée au monde. C’est une image de marque qu’il fautdéfendre. Prélever quelqu’un et jeter la poche cela a un coût.Je ne crois pas que la transfusion soit prête à le supporter et jene crois que ce soit une bonne manière de valoriser l’image dela transfusion. Nous, amicale de donneurs de sang, nous allonsdans le même sens que vous pour qu’il y ait une sécurité maxi-mum. Nous n’avons pas à rougir de quelqu’un qui a étéajourné ou qui est refusé pour quelque raison que ce soit.Même si on ne peut pas donner, on peut parler du don dusang et faire venir quelqu’un d’autre à notre place. Étant pré-sident d’une association de donneurs de sang, il m’est arrivéd’être ajourné. J’avais alors participé à une émission de radiopour amener les gens à la collecte. J’avais dit clairement que jene pouvais pas donner moi-même. Or, quelqu’un est venu don-ner « à ma place », par procuration. C’est une réussite : du sanga été collecté par un autre intermédiaire, quelqu’un d’autre estvenu. C’est cela qu’il nous faut faire.

3.4. Guy Levy

Le donneur porte le poids de nos incertitudes, aussi bien surle plan biologique que clinique. La biologie ne nous donne pasdes résultats blancs ou noirs, mais parfois des résultats indéter-minés. Que fait-on dans ce cas ? D’une part, malheureusement,le produit doit être détruit ; d’autre part, on ne peut que recon-voquer le donneur pour faire ce contrôle. Il y a eu un débatimportant en Suisse : quand reconvoquer le donneur ? Fallait-il l’informer ? Une réaction indéterminée, je vous le rappelle,cela peut être simplement un banal problème technique delaboratoire. Or, il existe un avis de droit qui précise qu’il estinterdit de prélever chez un être humain, chez un donneur, unproduit dont on sait pertinemment qu’il va être ensuite détruit.

Par ailleurs, il faut mettre en avant l’énorme travail fait parla Fédération internationale en ce qui concerne le recrutementet la motivation des donneurs. On insiste sur la notion de béné-volat, de volontariat, d’anonymat. Il faut aussi insister sur lanotion de fidélisation. Avec cette notion, on n’est pas dans lemême contexte que le don de sperme. On fidélise parce qu’onva trouver chez les donneurs réguliers un sang qu’on pourraqualifier de plus sûr. Dans ce contexte-là, il y a aussi un cha-pitre qui mentionne justement la manière de gérer les refus. Ony dit très clairement que quelqu’un qui doit être refusé pourune raison ou une autre ne doit pas se démotiver, mais peutau contraire contribuer à motiver d’autres donneurs. C’estquelque chose qu’il faut estimer à sa juste valeur.

Enfin, il est clair qu’on vit dans un pays qui est sécurisé. Lerisque viral ou bactérien est de l’ordre d’un pour plusieurs mil-lions. On est dans une situation sans comparaison avec cellequi existe en Afrique, par exemple, où la prévalence du VIHest beaucoup plus importante. Dans certains pays, on a 20, 25,pratiquement 30 % de la population qui est atteinte. La notionde sécurité et de comportement à risque doit faire partie dumessage d’appel au don du sang, mais il faut faire la part des

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choses entre, d’une part, la promotion du don dans les paysdéveloppés, où tout est sécurisé et où la prévalence des mala-dies infectieuses est relativement basse et, d’autre part, ce quise passe dans les pays où on a des prévalences bactériennes,parasitaires et virales qui sont beaucoup plus importantes. Là,on ne peut pas même envisager de faire de la promotion sansen même temps diffuser un message sécuritaire.

4. L’enjeu de la responsabilisation des donneurs

4.1. Martine Michel

Le donneur est soumis à toutes sortes de pression. À côté decelles qui ont déjà été évoquées — le risque d’être refusé ou lapression de l’argent pour le donneur rémunéré — vous faitesétat de cette autre pression qui s’exerce sur ce donneur qui veutmentir, ou tout au moins qui ne veut pas qu’on sache… Notrerôle, c’est justement d’inverser les choses pour responsabiliserle donneur. Il faut arriver à lui faire comprendre les risques, ycompris ceux qu’il encoure lui-même et dont, bien souvent, iln’est pas conscient. On dit aux jeunes : « Est-ce que vous avezeu un piercing ? » et on en voit partout chez eux, mais ils n’ontabsolument pas idée qu’il peut y avoir un risque de transmis-sion d’hépatite. Donc notre rôle dans la responsabilisation desdonneurs est primordial. C’est un rôle technique et on a du malà atteindre le donneur qui se présente avec ses bons sentiments.

4.2. Xavier Coursière

On fait supporter au donneur les marges d’incertitude quisubsistent dans un système qui est très sûr dans son ensemble.Une mesure de précaution comme la contre-indication destransfusés, en France, crée une inquiétude chez les donneursréguliers. Cette inquiétude se développe, alors même qu’onn’a aucune objectivation de risque réel. Il en va de mêmes’agissant des tests de laboratoire : ils sont tellement sensiblesqu’on a parfois de très probables faux positifs. Mais ces testsont une haute valeur symbolique. Quand on doit communiqueravec un donneur de sang chez qui on a détecté, sur le test dedépistage du sida, un de ces très probables faux positifs, on nepeut pas lui dire : « On a un doute sur votre test du sida…» Ondéveloppe des communications ciblées et on lui dit : « Il y aquelque chose qui perturbe votre test… » Ou bien : « On estembêté, parce que, dans notre laboratoire, avec nos critères, il ya un petit doute sur ce test. » On peut encore prendre l’exempledes personnes qui ont vécu au Royaume-Uni dans la périodecritique. Dans toutes ces situations, on fait porter au donneurnos incertitudes scientifiques ou bien on lui fait porter les mar-ges de sécurité qu’on a prises, dans nos tests biologiques, poursécuriser le système au maximum. Il faut le savoir. Cela faitpartie de l’engagement du donneur de sang. Cela doit êtrerégulé par les équipes des centres de transfusion de manière àtenir des points d’équilibre qui soient acceptables. Celles-cidoivent faire preuve de capacités d’appréciation et d’adapta-tion : tous les donneurs ne sont pas obligés de prendre cons-

cience de la complexité des problèmes de santé publique quepose leur don !

4.3. Bruno Danic

Pour aller plus loin, dans ces situations de faux positifs, onn’a aucun doute : ils n’ont rien. Si on avait le moindre doute,on aurait une obligation de suivi de ces donneurs pour lever cedoute et on n’en a pas. Il n’y a pas de doute.

4.4. Xavier Coursière

On refait un contrôle, un mois après, pour s’assurer qu’iln’y a aucune évolution de ce qu’on a projeté. Durant cettepériode, on doit tenir un discours auprès du donneur qui,peut-être, pose des questions. On lui explique : « Eh bien,écoutez, on a un problème, parce qu’il y a quelque chose quiprobablement perturbe votre test, on va refaire le contrôle desécurité dans un mois… » On ne précise pas forcément de queltest il s’agit, pour éviter de générer une angoisse.

4.5. Bruno Danic

Quand on évoque les stratégies pour dire aux personnesqu’elles ne doivent pas donner, on est confronté au problèmede la responsabilité. Cela fait partie du don de ne pas donner.C’est quelque chose qu’on a réussi à faire avec les secouristes :leur faire apprendre d’emblée les gestes qu’il ne faut pas faire.En matière de don du sang, on devrait arriver aussi à fairesavoir qu’il y a des situations dans lesquelles il ne faut donner.Or, probablement par peur de la pénurie, ou par peur de perdredes donneurs, on a encore beaucoup de mal à tenir un tel dis-cours, qui est perçu comme négatif et antipromotionnel. Ducoup, on crée des situations dans lesquelles les donneursdécouvrent les contre-indications au moment de l’entretien etqui sont difficiles à gérer parce que ces personnes doiventensuite se justifier vis-à-vis de leur entourage et des accompa-gnants.

4.6. Claire-Lise Gauthet

Il me semble important, en tant que donneur, qu’on ait ledroit de savoir pourquoi, à un moment ou à un autre, un donest refusé. Ce droit de savoir, je comprends qu’il puisse êtrelimité, dès lors que vous-mêmes n’en savez pas nécessairementla raison. Mais je dirai qu’on a le droit d’être informé dans lamesure de vos connaissances. Il faut faire confiance aux don-neurs et aux donneuses : ils et elles ont la capacité de compren-dre et d’accepter les limites de votre science. Il faut surtoutrendre les futurs donneurs conscients du fait que leur donpourra ne pas être accepté. Il faut qu’ils soient informés dupourquoi et du comment.

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4.7. Claude Pioton

C’est normal et cela fait partie de la vie d’un donneur, qu’ilpuisse ne pas donner à un moment donné. Si on nous dit : « Cen’est pas dangereux pour toi, ce n’est pas dangereux pour celuiqui reçoit, mais tu dois t’abstenir pendant tant de mois », ons’abstient. Cela fait partie de la sécurité et c’est cela aussi êtredonneur : on ne peut pas tout le temps donner.

4.8. Un donneur

Chaque donneur est un receveur potentiel. En se mettant àla place du receveur, il peut comprendre qu’il faut vraiment lasécurité au maximum des connaissances actuelles. Il peut dire àson entourage : « On m’a refusé parce qu’il y a un doute. »Cela aide aussi à recevoir du sang par la suite : ceux qui reçoi-vent le sang ont également de grandes angoisses et des doutes.

4.9. Benoit Bastard

Peut-on conclure sur la communication avec les donneurs àpartir de ce qui vient d’être dit. Dès lors que ceux-ci se présen-tent dans une perspective altruiste, mais peuvent se voir ajour-ner, refuser ou s’entendre dire des choses qu’ils n’ont pas for-cément envie d’entendre, comment peut-on communiquer aveceux ? Peut-on continuer à leur dire « Venez donner votresang ! » ou doit-on les prévenir de la brutalité du système ?

4.10. Martine Michel

La première demande doit rester : « Venez donner votresang ». Le premier message ne peut pas être très différent.Pour se poser des questions, il faut déjà qu’il y ait une démar-che. Si on répond aux questions avant que la démarche ait eulieu, personne n’entend. Quand les gens commencent à avoirune oreille attentive, il faut pouvoir leur donner un deuxièmemessage : « Attention, tout le monde ne peut pas donner sonsang. » La difficulté tient au fait que leur donner ce message-là,revient à leur dire « Eh bien finalement, c’était bien que vousvous absteniez, vous aviez tout à fait raison. » Or les gens quiont « peur de l’aiguille », il faut les pousser pour qu’ils vien-nent… Donc c’est très difficile : on a un message ambivalent àfaire passer. On ne peut pas faire passer en même temps lesdeux aspects du message. Il faut que le « Venez » soit passési l’on veut faire passer le « Ne venez pas si… » Commentfaire ? Je n’ai pas la solution ? Sinon, on aurait plein de don-neurs.

5. Le système de transfusion est-il devenu brutal vis-à-visdes donneurs ?

5.1. Bruno Danic

On protège beaucoup les receveurs, à juste titre, mais lesystème est quand même devenu relativement violent à l’égarddes donneurs. Un exemple : en France la question avait été

posée de savoir s’il fallait, après qu’on ait diagnostiqué unemaladie de Creutzfeldt-Jacob chez un donneur, prévenir lesreceveurs des produits sanguins concernés. Quand ce donneuravait donné plusieurs fois du sang auparavant et qu’il y avaitpeut-être un risque — un risque hypothétique —, unanime-ment, les experts avaient répondu : « Non, c’est beaucouptrop angoissant ! » Cela dit, on n’a pas interrogé ces mêmesexperts quand on a décidé d’écarter du don du sang les person-nes qui avaient dans leur famille une personne atteinte de lamême maladie de Creutzfeldt-Jacob. Or, personne n’avaitjamais dit à ces gens qu’il y avait un risque que cette maladiesoit génétique. Ils l’apprenaient en venant faire un don de sang.C’est pourtant quelque chose que même les neurologues serefusent à dire, et pour cause, dans une famille, quand le diag-nostic est posé pour l’un de ses membres. On demande auxprofessionnels du don du sang, médecins ou techniciens, d’an-noncer de telles choses sans se poser la question des consé-quences. Si on a vu quelqu’un mourir d’un Creutzfeldt-Jacobdans sa famille et qu’à 20 ans on nous dit qu’on ne peut pasdonner son sang de façon définitive parce qu’on aura peut-êtrela même maladie un jour, c’est très violent.

5.2. Benoit Bastard

Madame Gauthet nous dit qu’il faut parler clairement audonneur et lui donner une explication, mais parfois cette expli-cation est génératrice d’inquiétude et de grands troubles.

5.3. Claire-Lise Gauthet

Quand vous relisez le questionnaire qu’on nous donne àremplir, à Genève en tout cas, la question — de la maladie deCreutzfeld-Jacob — est posée. On peut donc aller plus loin ense demandant : « Pourquoi est-ce que je ne peux pas donnermon sang dans cette situation-là ? » Et puis, je crois que lesgens ont le droit de savoir, mais aussi celui de ne pas savoir, dene pas poser de questions.

5.4. Martine Michel

Dans le même sens que ce qui a été dit par Bruno Danic,nous recevons des gens qui ont été refusés parce qu’ils avaientété opérés : ils avaient eu une intervention sur le cerveau et ilsvenaient donner leur sang parce qu’ils allaient bien, c’est unetumeur bénigne, etc. Ils revenaient donner leur sang, parcequ’ils l’avaient toujours fait. On leur dit : « Vous avez euune intervention sur le cerveau. Peut-être y a-t-il, qui sait, unrisque éventuel… On est désolé, on ne peut pas vousprélever. » La personne en question réalise alors qu’elle apeut-être un risque. Si quelqu’un revient d’un séjour en Angle-terre ou a passé plus de six mois en Angleterre dans les annéesde vache folle, on peut expliquer qu’on l’exclut par une mesurede grande précaution. Mais dans ces interventions sur le cer-veau, on doit dire que c’est de la précaution, mais qu’on ne saitpas… Le donneur a le droit de savoir, mais il a le droit qu’onlui présente les choses avec beaucoup de psychologie. Même

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avec beaucoup de psychologie, on n’arrive pas à tranquilliser ledonneur.

6. La transfusion face au principe de précaution

6.1. Alain Beauplet

Aujourd’hui, le gros souci c’est que le principe de précau-tion tend à s’ériger en fait juridique et que sa mise en œuvrerevêt bien plus souvent d’une angoisse mal exprimée que d’unvéritable fait scientifique.

6.2. Bruno Danic

Cela répond à un phénomène nouveau dans la prise de déci-sion politique, la prise en compte de la pression de l’opinionpublique et des médias. Aujourd’hui l’opinion publique veutêtre protégée, non seulement des risques identifiés, mais aussides dangers potentiels. Le fait d’avoir mis en cause les politi-ques, sur des processus décisionnels passés fait que plus per-sonne n’a envie de prendre de risques, dès lors que l’opinion ledemande. Les risques sont évalués plus à l’échelle de leur per-ception que de leur réalité. Je vous renvoie aux travaux deMichel Setbon.

6.3. Martine Michel

Comme le disait Guy Levy, il existe une pression politiquetrès forte. On le constate dans la mise en place du DGV (quenous appelons la PCR ou le NAT). C’est une recherche debiologie moléculaire. En Suisse, on l’a mis en place pour l’hé-patite C en 1999, puis pour le sida en 2002. En France, tout estpassé en 2001. Quand on a mis ce test en route, c’était pourréduire le risque transfusionnel. En réalité, depuis 1999, on n’aeu en Suisse aucun cas dans lequel seule la biologie molécu-laire ait été positive. Cela signifie qu’on dispose de toute uneautre batterie de tests qui permet de dépister les hépatites C. Ilest vrai que cette biologie moléculaire donne une sécurité beau-coup plus grande quant à la fenêtre qui existe entre le contactavec le virus et l’émergence de signes biologiques. Cependant,en l’état actuel des choses, en Suisse, en quatre ans bientôt, onn’a eu aucun cas. Guy Lévy peut le confirmer et cela a étépublié à la Société suisse de médecine. Cela veut dire que,pour augmenter la sécurité transfusionnelle, on a fait desdépenses de santé monstrueuses avec un bienfait minime.

On est aujourd’hui à la veille d’avoir des décisions politi-ques sur l’inactivation virale. Si un pays commence à pratiquerl’inactivation virale pour réduire le risque — de façon infinité-simale — les autres vont le faire. Cela augmente les coûts de lasanté. On ferait beaucoup mieux de se soucier de préventiondans d’autres domaines…

6.4. Benoit Bastard

Dans ces cas-là, est-ce le receveur qu’on protège ? Ou bienle décideur politique ?

6.5. Guy Lévy

Vous avez raison, le problème ne se pose plus aujourd’huiau niveau des techniciens que nous sommes, mais au niveaupolitique et médiatique. La sécurité transfusionnelle est envisa-gée de manière totalement indépendante en matière de coût/efficacité et en matière de coût de la santé. Le politique semet dans la position dans laquelle il serait s’il n’implémentaitpas telle mesure vis-à-vis de sa population, des médias, despays étrangers. À un moment donné, il dit : « Non, je ne prendspas ce risque. » Des discussions préalables ont eu lieu avec nosautorités récemment. Elles se sont positionnées très clairementvis-à-vis des nouvelles techniques en disant : « On ne prendraitpas le risque de ne pas introduire telle méthode s’il était prouvéqu’elle apporte quelque chose, même si le risque concerné estinfinitésimal. »

6.6. Nicole Coudurier

Dans un tel cas, on se pose en tant que techniciens et lepolitique en tant que politique. On pourrait aussi poser le pro-blème en tant que citoyen : si on veut tendre vers une société àrisque zéro, il faudra payer… Il n’est pas possible d’avoir toutela sécurité sans rien changer à notre système. Il faudra doncque le citoyen comprenne qu’il ne peut pas exiger la sécuritémaximale sans donner les moyens de le faire. C’est un débat defond qu’il faudra arriver à mener au moins dans la société fran-çaise.

6.7. Benoit Bastard

La sécurité presque maximale existait sans la PCR ou sansle DGV ?

6.9. Nicole Coudurier

De mémoire, on a seulement évité trois hépatites C et deuxHIV…

6.10. Alain Beauplet

La question posée est celle de savoir où nous injectons l’ar-gent. Ne sommes-nous pas en train de confisquer des ressour-ces citoyennes sur un objet précis dans lequel il n’y a plusvraiment de risques ? Si notre dispositif ultrasophistiquécoûte cinq millions de francs par année de vie économisée, nefaut-il pas mieux construire un passage à niveau qui économiseune année de vie pour 50 000 francs ?

7. La sélection initiale des donneurs reste incontournable

7.1. Bruno Danic

À courir après le risque zéro pour les risques connus et doncmaîtrisés, pour lesquels on dispose d’outils biologiques, onrisque de dévaloriser la première étape de la chaîne transfusion-

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nelle, la sélection des donneurs. Quand on ne raisonne plus quevis-à-vis des risques connus, on en vient à se demander à quoisert cette étape. Pourtant, toute l’histoire de la transfusion mon-tre que les problèmes les plus graves surviennent quand appa-raît une maladie émergente. À ce moment-là, seule la sélectiondes donneurs se révèle vraiment efficace, puisqu’on n’a pas lesautres outils. Il faut donc prendre garde au risque de se retrou-ver un jour dans une situation qu’on a déjà connue. Depuisqu’on transfuse et qu’on a dû faire face à des maladies qui setransmettent par le sang, ce sont les mêmes populations qui ontété touchées en premier au moment de leur émergence. Lemême constat se retrouve à propos du don rémunéré : lesmêmes populations sont touchées en premier par les problèmessanitaires. En leur demandant de ne pas participer au don dusang, on augmente la sécurité transfusionnelle. Le risque existeque le prochain agent émergent — il y en aura bien un dans lesannées à venir — emprunte les mêmes voies de transfusion quel’hépatite B ou le VIH. En France, on a démontré qu’en 1985,les deux tiers des personnes qui ont été dépistées VIH-plus,étaient également porteuses d’un anticorps anti-HBC, c’est-à-dire qu’elles avaient été auparavant exposées à l’hépatite B, levirus qui avait posé le problème précédent en transfusion. Ilfaut retenir les leçons du passé si on veut se prémunir d’unrisque. Il ne faut pas baisser la garde, alors même que l’outil-lage de plus en plus sophistiqué dont nous disposons permetaux pouvoirs publics d’entretenir cette idée que le risque estgéré et de faire croire à la population qu’il n’y en aura plus.

7.2. Martine Michel

On va bientôt se demander si le plus grand risque n’est pasde ne plus avoir de sang. À force d’exiger les exclusions pourtel marqueur, tel virus émergent et telle précaution, à Genève,on a d’énormes problèmes. On a exclu énormément de don-neurs avec le nouveau questionnaire de 2001, qui nous a obli-gés à exclure les personnes qui avaient fait des séjours de sixmois en Angleterre et en pays d’endémie du sida. Comme on abeaucoup d’organisations internationales et de donneurs inter-nationaux, on manque de donneurs. À mon avis, c’est unrisque aussi grand que celui de la transmission de la maladie deCreutzfeld-Jacob par quelqu’un qui aurait été en Angleterre. Ilfaudrait qu’on recentre les problèmes et qu’on sache, comme ledisait Mme Coudurier, quelle transfusion on veut avoir en tantque citoyen, en tant que donneur et en tant que service detransfusion.

7.3. Christina Martinez

Au Chili, on refuse aussi des donneurs, mais ce sont lesdonneurs de la famille, alors c’est encore plus difficile de lesrejeter. Je pense à un donneur qui était HIV positif. Quand jelui ai demandé pourquoi il n’avait rien dit lors de l’entretienmédical, il m’a dit : « Parce que je sais que les examens sontsûrs. Il fallait que ma tante soit opérée, alors pas question dedire la vérité. » Chez nous aussi, le donneur veut donner. Mais

les problèmes sont entièrement différents. Il faut être prudent ettenir compte de la sécurité des malades.

7.4. Un médecin

Pour remettre l’église au milieu du village, on peut aussirappeler ce qui se passe en Afrique. Bon nombre de donneursne viennent pas parce qu’ils craignent l’annonce potentielle duVIH. Certains centres de transfusion ont donc été amenés, dansleurs campagnes de recrutement, à faire admettre par les candi-dats donneurs qu’ils accepteraient dans tous les cas de figured’être informés des résultats des analyses pratiquées sur leursang. C’est une condition sine qua non pour donner son sangdans certains pays d’Afrique.

8. Le don du sang, opportunité pour le dépistagechez les donneurs ?

8.1. Un participant dans la salle

Je voudrais poser une question au sujet du rôle des centresde transfusion en matière de santé publique vis-à-vis des don-neurs de sang. Alors qu’on attache beaucoup d’importance auxrisques de transmission, on trouve un problème chez un rece-veur sur 2,5 millions de dons en France. Quant aux donneurs,on détecte des problèmes un problème chez 500 ou 600 d’entreeux. Que penser alors de la numération globulaire qui pourraitêtre éventuellement mise en place ?

8.2. Nicole Coudurier

Je suis partisan de faire une numération–formule sanguinesur tous les dons. On ne devrait pas se contenter de ce qu’onfait généralement sur des automates, un taux d’hématocrite. Ondevrait, selon moi, aller un peu plus loin et faire une numéra-tion–formule. Je me fonde sur l’expérience que nous avonsdans la région Rhône-Alpes, où nous testons environ 300 000dons chaque année. Depuis deux ans, on a vu défiler beaucoupde donneurs. Sur les 18 premiers mois de cette période, nousavons dépisté 6 % d’anémie, essentiellement chez des femmesbien sûr. La numération nous permet incontestablement d’arri-ver encore plus tôt qu’au moment où l’hématocrite est déjà bas.On peut intervenir précocement dans le processus. Et puis, sur-tout, du point de vue de la santé publique, on peut intervenirnon seulement par rapport au receveur, mais aussi par rapportau donneur. Est-ce une bonne nouvelle qu’on leur apporte ?C’est une autre histoire… On a dépisté aussi 25 hémopathies,dont trois graves et les autres chroniques, chez des donneursqui se sont présentés en se considérant en bonne santé. Onn’aura peut-être pas rendu service sur le coup, parce qu’illeur faut digérer la nouvelle. Mais, incontestablement, on acontribué à les mettre dans un suivi plus précoce. Du pointde vue médical, on a donc eu une action très positive enmatière de santé publique. On a dépisté des polyglobulies,qu’on ne dépiste pas facilement avec l’hématocrite, des throm-bocytémies ou encore des maladies des plaquettes. On est donc

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allé plus loin dans la démarche de dépistage. Cela mériteraitd’être validé sur le plan scientifique, parce que cela n’a pasencore été fait. Nos automates donnent non seulement le nom-bre de globules rouges, de globules blancs et de plaquettes,mais ils peuvent aussi nous donner la formule sanguine. On adonc pris une position : au-delà de 13 000 globules blancs chezquelqu’un qui, notamment, n’est pas fumeur, on considèrequ’il y a peut-être un phénomène infectieux, donc on détruitle produit. Sur le plan strictement scientifique, cela mériteraitd’être travaillé, mais, puisqu’on est dans le principe de précau-tion, on a poussé un peu plus loin. Cela fait jeter un peu deproduit, mais cela ne représente que 0,40 % du sang prélevé,donc c’est vraiment très peu et c’est une précaution supplémen-taire. Cela permet aussi d’apporter quelque chose aux don-neurs : bien sûr, on les informe et, souvent, on trouve une rai-son infectieuse. Pour ma part, je suis attaché à ce qu’on ait uneréelle information sur le plan de la santé publique. Un établis-sement de transfusion doit savoir très exactement ce qu’il y adans le produit qui va être transfusé, y compris en principesactifs, et il doit aussi rendre service au donneur qui est le pilierde notre système.

8.3. Bruno Danic

Je vais exprimer un autre point de vue. Bien sûr, il est tou-jours intéressant de bénéficier d’un examen de santé. Cepen-dant, le donneur vient pour donner son sang. Il ne vient pasfaire un bilan de santé en première intention. En Bretagne, ona donc choisi une orientation qui consiste à vérifier, avant ledon, qu’il n’y ait pas d’anémie, de manière à ne pas aggravercette anémie en prélevant une poche de sang. Il est de notreresponsabilité de s’assurer qu’on ne va pas nuire au donneur.On n’arrive pas à se faire à l’idée qu’on ne s’en rende comptequ’après coup. Éviter çà pose aussi des problèmes. Sans nierforcément l’intérêt de la démarche qui a été décrite pour lespersonnes chez lesquelles on a pu dépister les pathologies, ilme semble que ce n’est pas vraiment le rôle d’un centre detransfusion. Se pose aussi la question de savoir jusqu’où allercomme ça : en Bretagne, par exemple, on a une très forte pré-valence de l’hématochromatose génétique ; faudrait-il mettreen place le dosage de la saturation de la transferrine pourapporter encore quelque chose en plus aux donneurs ?

8.4. Guy Lévy

En suisse, le dosage de l’hémoglobine est obligatoire et sys-tématique avant le don depuis 1976 : on écarte tout donneurqui n’a pas un taux supérieur à 135 g/l pour l’homme et 125 g/lpour la femme. On n’est pas entré encore dans la probléma-tique de l’hémogramme complet, dans la mesure où le pro-blème de l’hyperleucocytose peut entraîner plus de problèmesqu’il n’en résout. Un certain nombre de services de transfusionont introduit cette mesure de leur propre initiative, sans qu’onsoit amené à faire une régulation particulière à ce propos.

8.5. Martine Michel

À Genève, on fait, comme c’est obligatoire, la mesure del’hémoglobine avant le don, sur une piqûre capillaire au boutdu doigt. Si jamais l’hémoglobine est basse, on fait une for-mule sanguine complète. On arrive ainsi à protéger les don-neurs — principalement des donneuses d’ailleurs — contrel’anémie. On les renvoie à leur médecin traitant en leur disantqu’il faut faire un bilan plus complet. On commence le bilan enfaisant déjà une ferritine et un bilan martial. Pour les donneursde plaquettes, on refuse aussi tous ceux qui ont plus de 13 000globules blancs, par précaution, pour éviter toute transmissionbactérienne au receveur. Cela nous pose certains problèmes :nous avons des signes qu’on pourrait considérer comme desanomalies et qui sont constitutionnels chez certains donneurs.On les inquiète donc pour rien, là encore. Pour moi, c’estquand même le rôle des centres de transfusion de faire unpeu de santé publique et de contribuer au dépistage. C’estaussi rendre service aux donneurs. Sans être forcément systé-matique, parce que tout a un coût, il faut qu’on le fasse le pluspossible.

9. Renforcer les associations de donneur,faire venir les jeunes

9.1. Philippe Oliviéro

Dans une étude assez importante auprès d’associations fran-çaises de donneurs de sang, réalisée il y a une dizaine d’an-nées, j’avais constaté un vieillissement des cadres. Le vieillis-sement des cadres est un phénomène marqué. Historiquement,en France, il y a eu deux grandes sources de recrutement decadres des donneurs de sang. D’un côté, la gauche tout le mou-vement socialiste, le parti communiste, les cadres qui, sortis dela résistance, ont fondé, formé, et structuré le mouvement dudon du sang après guerre sur les piliers de gratuité, d’anony-mat. Après avoir très bien fait fonctionner le système, cescadres sont aujourd’hui disparus ou vieillissants. Le deuxièmegrand pilier était constitué de cadres issus du christianismesocial. C’est l’autre source de recrutement de militants qui sesont engagés dans le mouvement des donneurs. Dans le pre-mier groupe, on trouve tout un pôle de militants athées, leparti communiste, la CGT, le mouvement syndical, qui enca-draient de gros bataillons de donneurs venant de la SNCF, dela RATP. C’était d’eux que venaient le plus grand nombre dedons de sang en France. En même temps, il y avait tout lemouvement local, avec les églises, qui organisaient les centresde transfusion. Aujourd’hui, ces corps intermédiaires, les syn-dicats, les partis et l’église s’affaiblissent de plus en plus. C’estpourquoi je pose la question aux associations de donneurs :quels vont être dans le futur les sources de vos cadres ? Lesmédecins s’appuient sur vous pour structurer la demande, maisil y faut des cadres. Votre organisation nécessite de la forma-tion, des structures. Même si elle repose sur le bénévolat, ils’agit d’un bénévolat qui doit être immensément sérieux.Donc la question, me semble-t-il, va se poser. De plus, la dis-

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cussion que nous avons eue montre que le don du sang a deseffets normatifs au niveau social. On va éliminer toutes lespersonnes qui ne sont pas conformes du point de vue du dondu sang. Or, ces contre-indications relatives au don du sang,croisent beaucoup d’autres comportements. On pense aux dro-gues, aux comportements sexuels, aux voyages. Cela conduit àlever un certain nombre de secrets. De ce fait, par un phéno-mène d’autorenforcement, les associations de donneurs ontelles-mêmes une morale très normative. Cela peut poser pro-blème auprès des jeunes. Cela ressort des dernières enquêtesque j’ai faites sur les attitudes des jeunes vis-à-vis du don dusang. Bizarrement, alors que sur d’autres comportements desolidarité, les jeunes sont en pointe, on s’aperçoit que c’est legroupe le plus réticent pour le don du sang. Il y a donc unrisque assez grave de cassure générationnelle et idéologique.Je n’ai pas fait d’analyses plus précises, mais il faut récupérercette génération-là, si elle ne veut pas s’engager dans le don dusang pour des raisons qui tiennent notamment au contrôle descomportements que celui-ci implique.

9.2. Nicole Coudurier

La dernière étude réalisée sur la générosité montre effecti-vement que les jeunes s’engagent peu dans les associations,mais elle montre qu’ils donnent ! C’est même la tranched’âge qui donne le plus !

9.3. Philippe Oliviéro

La dernière enquête que j’ai faite porte sur 1 000 personneset ne concernait que le Nord de la France, de la Loire à Lille,essentiellement la région parisienne. Sur 1 000 personnes,j’avais été étonné de constater que les jeunes constituaient latranche d’âge qui donnait le moins et cela m’avait inquiété.

9.4. Martine Michel

À Genève, on a un bon profil du donneur de sang avec unbon taux de jeunes aussi.

9.5. Un représentant d’association de donneurs de sang

Au sujet des jeunes, on a fait la « décade de mai » en Franceet on a fait des collectes exceptionnelles en Haute-Savoie. Lesjeunes venaient systématiquement au don du sang. Ils nesavent pas forcément à quelle porte il faut aller frapper pourdonner. On a beaucoup de communication à faire. En Haute-Savoie, on va faire un stage de formation des donneurs de sangoù on va parler des jeunes : comment ils fonctionnent, com-ment les aborder. Il ne faut pas sous-estimer les jeunes. Ils sontcomme nous étions à 20 ans. Nous ne pensions pas trop au dondu sang, et il n’y avait pas encore le sida… Les jeunes sontplus responsables qu’on ne le dit. On a une image du don dusang à véhiculer auprès d’eux, qui est une belle image du donde soi sans contrepartie, sans savoir à qui on donne et pour quion donne. Il faut qu’on développe cette image. En France, on

manque de quelqu’un de médiatique qui veuille bien mettre enavant le don du sang, Il faut booster le don du sang et fairequ’il soit mieux vu. C’est notre rôle d’associations de donneursde sang de montrer ce qu’est le don du sang. Les jeunes sonttrès réceptifs et ce sont nos donneurs de demain.

9.6. Un représentant des associations de donneurs de sang(Haute-Savoie)

Quand on a repris l’union départementale, il y a dix ans, onl’a rajeunie d’une moyenne de 30 ans ! On était un peu plusjeune, on s’est engagé ! Il est clair que le mouvement passerapar les jeunes. On développe le don du sang au sein des éta-blissements scolaires. Lorsque ces jeunes ont été prélevés unefois, généralement, ils retournent à une collecte dans leur vil-lage. Ils entraîneront d’autres jeunes et prendront des responsa-bilités, j’en suis persuadé. En Haute-Savoie, les associationsont bien rajeuni. Le président de Morzine, par exemple, esttout jeune et il en emmènera d’autres.

10. Les homosexuels face au don du sang

10.1. Benoit Bastard

Philippe Oliviero a souligné la dimension de normativitéprésente dans le don. La question de l’exclusion des donneursne saurait être abordée sans parler de l’exclusion des homo-sexuels, qui figurent encore comme une catégorie de personnesexclues du don du sang, ce qui suscite beaucoup de ressenti-ment. On peut évoquer cette question pour finir, malgré l’ab-sence d’un représentant de l’Association AIDES, qui devaitparticiper à cette table ronde et n’a pas pu le faire.

10.2. Bruno Danic

C’est une des situations où l’exclusion du don est ressentiefortement. Par rapport à ça, notre centre, en Bretagne a engagéun travail que je peux mentionner, puisque les intéressés nesont pas là pour en parler eux-mêmes. À Rennes, les membresde l’association AIDES-35 avaient pris contact avec nous pourdeux raisons. La première : ils s’étaient rendus compte qu’unconflit grandissait sur le thème de l’exclusion des homosexuelsmasculins, cette contestation étant relayée par le monde univer-sitaire et notamment par les populations jeunes. Une deuxièmeraison les intriguait : lorsqu’ils allaient faire de la préventiondans les milieux à risque, ils étaient étonnés de voir que leshomosexuels masculins savaient très bien qu’ils ne pouvaientpas donner et s’abstenaient de le faire ; en revanche, ils rencon-traient des personnes qui ne se considéraient pas comme homo-sexuels, qui avaient des comportements à risques et qui utili-saient le don du sang comme moyen de dépistage. Ilssouhaitaient donc en discuter avec nous et nous en informer.On s’est dit qu’il était important de travailler ensemble. Ilsnous ont proposé de servir de médiateurs pour rencontrer lesassociations identitaires pour que chacun puisse s’exprimer etexprimer son vécu. On les a rencontrés, essentiellement des

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très jeunes, entre 20 et 25 ans, qui exprimaient des réactions desouffrance. L’exclusion du don du sang est vécue sur un regis-tre très personnel. C’est une exclusion de plus, une discrimina-tion supplémentaire. De premier abord, ils ne comprenaient pasla problématique du receveur. On a donc discuté avec eux, onleur a expliqué les raisons de l’Établissement français du sanget on a essayé de leur montrer le point de vue des receveurs.On a essayé de leur faire comprendre notre logique, la plusobjective possible, qui ne peut s’appuyer que sur l’épidémiolo-gie. On a suggéré que, peut-être, leur combat n’était pas le bon.On leur a indiqué qu’aujourd’hui les données épidémiologi-ques manquent peut-être de précision et que c’était peut-êtrelà-dessus qu’il fallait qu’ils se battent. Les nouveaux question-naires, en France, nous permettront peut-être à l’avenir demieux connaître les comportements à risque à ce niveau-là etde modifier nos attitudes en conséquence, si c’est possible. On

leur a proposé de travailler ensemble sur la gestion des problè-mes posés et notamment sur les éléments de langage à utiliser— les mots à employer et à ne pas employer — en partant dupostulat que nous étions certainement maladroits dans cessituations. Il y a la question du temps dont dispose le médecinpendant la collecte. On a aussi travaillé sur les meilleuresfaçons de gérer la situation : donner la possibilité de rencontrerrapidement un médecin, à distance d’une collecte, avant que lasituation ne s’enkyste. Avec le recul, on s’est aperçu que cetravail n’a pas été poursuivi. Ils ont décidé d’arrêter la pétitionqu’ils avaient lancée et d’abandonner ce combat-là. La situa-tion leur paraît toujours inacceptable, mais du moins ils com-prennent notre point de vue et ils nous accordent que noussommes de bonne foi. Dans ce travail, on était là pour eux etils ont compris cette problématique de la sécurité des rece-veurs, à gérer le plus objectivement possible.