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Données de catalogage avant publication (Canada) Noreau, Pierre Droit préventif : le droit au-delà de la loi Comprend des réf. bibliogr. ISBN 2-89400-029-4 1. Prévention juridique. 2. Prévention juridique — Québec (Province). 3. Règlement de conflits. 4. Justice — Administration. 5. Droit — Aspect social. I. Titre. K579.P73N67 1993 340’.11 C93-097059-4 Composition : Gilbert Martin Graphisme : Claude Lafrance On peut se procurer le présent ouvrage aux Éditions Thémis Faculté de droit Université de Montréal C.P. 6128, Succ. A Montréal (Québec) H3C 3J7 Téléphone : (514) 739-9945 Télécopieur : (514) 739-2910 Tous droits réservés © 1993 – Les Éditions Thémis inc. Dépôt légal : 3e trimestre 1993 : Bibliothèque nationale du Canada Bibliothèque nationale du Québec ISBN 2-89400-029-4

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Données de catalogage avant publication (Canada) Noreau, Pierre

Droit préventif : le droit au-delà de la loi Comprend des réf. bibliogr. ISBN 2-89400-029-4 1. Prévention juridique. 2. Prévention juridique — Québec (Province). 3. Règlement de conflits. 4. Justice — Administration. 5. Droit — Aspect social. I. Titre. K579.P73N67 1993 340’.11 C93-097059-4

Composition : Gilbert Martin Graphisme : Claude Lafrance On peut se procurer le présent ouvrage aux Éditions Thémis Faculté de droit Université de Montréal C.P. 6128, Succ. A Montréal (Québec) H3C 3J7 Téléphone : (514) 739-9945 Télécopieur : (514) 739-2910 Tous droits réservés © 1993 – Les Éditions Thémis inc. Dépôt légal : 3e trimestre 1993 : Bibliothèque nationale du Canada Bibliothèque nationale du Québec ISBN 2-89400-029-4

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PRÉFACE

Il n’y a que ceux et celles qui ne connaissent le droit que de loin ou de l’extérieur à penser que l’ordre juridique est statique, qu’il n’évolue pas, qu’il n’est pas constamment en changement. Surtout en ce moment, parler des transformations du droit est plus que jamais d’actualité, à l’heure où — en 1993 — tous les membres de la profession juridique — notaires, avocats, juges et même les professeurs de droit — se voient tenus de revenir en classe pour se faire expliquer le nouveau Code civil que vient de sanctionner le gouvernement du Québec.

C’est dans ce contexte de la dynamique du droit que se situent l’émergence et la diffusion de l’idée et des institutions que l’on appelle — plus ou moins justement — le droit préventif et l’intérêt croissant qu’elles suscitent dans la profession juridique et en dehors d’elle.

Cette innovation peut être vue — et sans doute aussi jugée — dans différentes perspectives. On peut y voir une voie de solutions à ce que certains évoquent sous le vocable de la «crise du droit», qui se manifeste notamment par la prise de conscience des inégalités dans l’accès à la justice, ou par les coûts sociaux toujours croissants de l’appareil judiciaire, ou par l’engorgement de la profession juridique. On peut encore y déceler une évolution de la notion même du droit, pour sortir de l’image du droit que Max Weber appelait rationnel formel, pour aller vers un droit d’une rationalité plus matérielle, c’est-à-dire qui s’en tient moins exclusivement à la seule logique juridique, pour prendre aussi en compte des considérations extrajuridiques (qui peuvent être, par exemple, d’ordre économique, politique, humanitaire ou éthique). Certains peuvent même considérer le droit préventif comme un retour en arrière, dans la mesure où il peut sembler nier les progrès de la rationalité juridique pour revenir à des formes plus sociologiques que juridiques de solution des conflits. On peut enfin voir dans le droit préventif une menace aux intérêts des membres

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VI DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

des professions juridiques, des avocats surtout, si l’on met l’accent sur la prévention des conflits et sur leur solution sans recours aux tribunaux. Mais il apparaît alors du même coup comme une mesure d’économie pour le citoyen, qui peut espérer s’épargner les frais souvent énormes et ruineux du système judiciaire.

Cette pluralité des perspectives révèle à sa manière un certain flou entourant l’idée du droit préventif. Chacun peut y loger ses analyses ou ses conclusions, ses espoirs ou ses angoisses, ses attentes ou ses déceptions. Il y a donc lieu de tenter de mieux cerner le contenu et les pourtours de ce qu’il est ou peut être.

Il se trouve que j’ai eu le privilège d’être associé aux débuts du Centre de droit préventif, à titre de membre de son Conseil d’administration. Je me souviens des premières séances de ce Conseil, où une part importante du temps était consacrée à nous interroger sur ce que nous croyions qu’était le droit préventif et comment il pouvait se réaliser dans la vie concrète des citoyens et des praticiens du droit. Fort heureusement, la direction et le Conseil d’administration s’entendaient pour donner au jeune Centre en émergence une orientation de recherche en même temps que d’action. On comprenait que l’intervention du Centre dans le milieu avait besoin d’être éclairée par des recherches et que celles-ci allaient être progressivement nourries par les actions entreprises par le Centre. Mieux encore : on s’entendait pour mettre en route des recherches théoriques tout autant que des enquêtes et des études empiriques. C’était faire preuve de beaucoup de sagesse que de savoir réfréner la hâte que l’on pouvait par ailleurs ressentir de voir au plus vite s’aligner les réalisations du Centre, ne fût-ce que pour en légitimer l’existence aux yeux de ses bailleurs de fonds.

Voilà le lieu et les circonstances qui ont inspiré, motivé, engendré et financé le projet de faire préparer ce qui devait être à l’origine un rapport interne sur la notion de droit préventif. Ce document avait pour premier but d’éclairer la direction et le Conseil d’administration du Centre de droit préventif. Par un heureux concours de circonstances, un jeune juriste, également formé en sociologie et en science politique, rentrait des universités européennes où il avait brillamment soutenu sa thèse de doctorat. Sa disponibilité, doublée d’un vif intérêt pour la question, était un

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PREFACE VII

don des dieux ! En un rien de temps, la jonction se fit et le rapport fut mis en route.

Mais qui se frotte à Pierre Noreau doit savoir qu’on ne doit pas attendre de lui une étude superficielle. Le rapport prit une belle ampleur, le manuscrit s’enrichit. Il devint bientôt évident qu’il était, peut-on dire, presque indécent qu’une étude aussi riche, aussi fouillée ne serve à l’éducation que des quelques membres et amis du Centre de droit préventif. Le rapport devenait un livre, il fallait le publier.

Fort à propos, Pierre Noreau était aussi — grâce encore au Centre de droit préventif — stagiaire post-doctoral au Centre de recherche en droit public de la faculté de droit de l’Université de Montréal. Sa réflexion sur le droit préventif s’était poursuivie dans le cadre des activités de ce Centre de recherche. Les Éditions Thémis se sont montrées empressées d’accepter et de publier ce manuscrit.

À partir de maintenant, qui voudra comprendre le droit préventif, en parler, mieux encore le pratiquer, devra avoir lu cet ouvrage de base et le garder à portée de la main. Il y trouvera —et retrouvera — l’exposé le plus large, le plus documenté et le plus éclairant que l’on puisse lire sur la question. Et comme l’on peut être assuré que le droit préventif est une idée de l’avenir, ce livre est appelé à connaître une belle longévité.

Guy Rocher

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Avant-propos

L’ouvrage offert aujourd’hui au public s’adresse à tous ceux et celles qui, juristes ou sociologues, spécialistes ou citoyens, s’intéressent à l’avenir du droit. On y trouve exposée une conception plus large du droit que celle où le maintient d’ordinaire la législation : c’est l’espace du droit préventif. Il s’agit d’un projet à la fois modeste et ambitieux. Car on ne parvient à déborder les limites traditionnelles du droit qu’en reconnaissant d’abord ce que son avènement représente dans l’histoire de nos sociétés. Cette admission étant faite, il convient cependant aussi de constater les limites trop étroites dans lesquelles on a eu tendance à circonscrire le phénomène juridique et chercher à franchir les murs où on l’a enfermé. En cela, nous ne faisons que poursuivre l’oeuvre de tous ceux qui, bien avant nous, ont cherché à cerner le véritable esprit des lois.

Une telle démarche n’est cependant jamais le fruit d’une réflexion individuelle. On le constatera à la lecture des références qui émaillent cet ouvrage. Elle doit aussi beaucoup à ceux qui y ont cru avant tout le monde. Je pense plus particulièrement ici à l’équipe du Centre de droit préventif du Québec, qui a largement contribué au soutien de la recherche. Ces remerciements vont plus spécifiquement à Me Jean-Marie Tétreault, président et directeur général du C.D.P.Q., mais également à Madame Danielle Bénard et à Me Georges Aubé, qui ont largement contribué à alimenter ma réflexion sur les problèmes actuels du droit. Leurs questions et leurs commentaires, de même que ceux des membres du conseil d’administration du Centre, m’ont constamment forcé à préciser ma pensée en me laissant toute la liberté intellectuelle que je pouvais espérer.

Je tiens aussi à remercier le Centre de recherche en droit public et les responsables de la bibliothèque de la faculté de droit de l’Université de Montréal pour leur soutien à certaines étapes clef de la recherche. Pour les mêmes raisons, mes remerciements

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X DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

vont également à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue dont j’ai récemment joint l’équipe professorale.

Toute publication comprend finalement son lot obligé d’écriture, de ratures et de relectures. S’agissant de cette publication, les Éditions Thémis ont réalisé un travail remarquable dont on appréciera ici le résultat. Je tiens plus spécifiquement à remercier Monsieur Albert Bohémier qui s’est, dès le départ, intéressé au projet, et souligner le travail avisé de Mesdames Christianne Dubreuil et Josée Martin dans toutes les opérations qui ont permis la mise en forme de l’ouvrage. Le graphiste Claude Lafrance a par ailleurs su habiller ce livre d’une jaquette qui complète bien sa personnalité.

On comprendra que la sociologie du droit n’a pu se développer au Québec que grâce au travail concerté des chercheurs de la communauté scientifique. Les sociologues du droit sont encore rares, mais ceux qui ont vocation à le devenir reconnaîtront ce qu’ils doivent à ceux qui les ont précédés. Je pense plus particulièrement, pour ma part, à Monsieur Guy Rocher de la faculté de droit de l’Université de Montréal, et à Monsieur Jean-Guy Belley de la faculté de droit de l’Université Laval, dont l’exemple a largement favorisé, chez moi, cette orientation et dont les conseils ont, à certains moments précis de la recherche, donné son sens à la démarche.

Pierre Noreau

Rouyn-Noranda, 21 septembre 1993

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L'amitié semble encore être le lien des cités et attirer le soin des législateurs, plus même que la justice. La concorde, qui ressemble en quelque mesure à l'amitié, paraît être l'objet de leur principale sollicitude, tandis qu'ils cherchent à bannir tout particulière-ment la discorde, ennemie de l'amitié. D'ailleurs, si les citoyens pratiquaient entre eux l'amitié, ils n'auraient nul besoin de la justice; mais, même en les supposant justes, ils auraient encore besoin de l'amitié; et la justice à son point de perfection, paraît tenir de la nature de l'amitié.

ARISTOTE, L'Éthique à Nicomaque, L. VIII, § I.

Si donc le droit ne repose pas sur la nature, toutes les vertus disparaissent. Que deviennent en effet la libéralité, l'amour de la patrie, le respect des choses qui doivent nous être sacrées, la volonté de rendre service à autrui, celle de reconnaître le service rendu ? Toutes ces vertus naissent du penchant que nous avons à aimer les hommes, qui est le fondement du droit.

CICÉRON, Des Lois, L. 1, § XV.

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TABLE DES MATIERES

PREFACE ................................................................................................................. V

AVANT-PROPOS .................................................................................................... IX

INTRODUCTION ......................................................................................................1

CHAPITRE 1. DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE ....................7

Section 1. Les origines du droit positif .............................................9

Sous-section 1. Le temps de la Cité : la rupture aristotélicienne ..........12 Sous-section 2. Les avancées et les reculs du droit occidental : le Moyen-Âge ................................................................14 Sous-section 3. Le renforcement de l'État ..............................................15 Sous-section 4. La sécularisation du droit ..............................................17

Section 2. L'importance historique du droit positif .....................19

Section 3. Les fonctions sociales du droit dans la société occidentale.........................................................................21

Section 4. Les principes du droit dans la société occidentale : une définition « juridique » du droit ....................................................................................30

Sous-section 1. De la nature du droit positif ..........................................34 Sous-section 2. De la nature du système judiciaire................................35 Sous-section 3. Conclusion sur la nature de notre système de droit .....37

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XIV DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

Section 5. Les problèmes actuels du droit positif ..........................38

Sous-section 1. La juridicisation : l'envahissement législatif et ses effets immédiats........39 Sous-section 2. La judiciarisation : le litige comme tendance lourde...43 Sous-section 3 Au-delà de la juridicisation et de la judiciarisation : un ensemble de problèmes nouveaux ...........................49

CHAPITRE 2. LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF..................................53

Section 1. L'inflation de droit, de recours et de pourvois : une maladie... un symptôme ? .....................................55

Section 2. Diversité du droit et pluralisme juridique : une vision sociologique du droit ....................................61

Section 3. Droit préventif et pluralisme juridique ........................74

Sous-section 1. Le droit au-delà du droit : processus d'émergence.......75 Sous-section 2. Le droit spontané : mode d'emploi... ............................79 Sous-section 3. Densité des rapports sociaux et force du droit .............81

Section 4. Droit préventif : quelques principes .............................84

Sous-section 1. Droit préventif et droit positif : une comparaison analytique ..........................................84 Sous-section 2. Le droit préventif en tant que droit ...............................88 Sous-section 3. La prévention en tant que dimension du droit..............89 Sous-section 4. Droit préventif : une certaine approche du droit ..........90 Sous-section 5. Droit préventif et droit positif : une « coupe » phénoménologique.........................................................93

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TABLE DES MATIERES XV

Section 5. L'espace du droit préventif ............................................96

Sous-section 1. Essai de définition..........................................................96 Sous-section 2. Intervention au niveau de la juridicisation ...................96

Paragraphe 1. L’intelligibilité de la législation et des contrats ..........97 Paragraphe 2. L’information et la vulgarisation des lois....................97 Paragraphe 3. L’inflation législative .................................................98 Paragraphe 4 Le contenu des législations.........................................99 Paragraphe 5. Les modalités prévues par le législateur pour le règlement des différends...........................................100

Sous-section 3. L'intervention au niveau de la judiciarisation ............101 Sous-section 4. Les différents temps de la prévention.........................102

Section 6. Droit préventif : conditions et limites .........................107

Sous-section 1. Les pièges de l'argumentation .....................................107 Sous-section 2. Les conditions d'implantation .....................................110

CHAPITRE 3. LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC ..................................................................................115

Section 1. Droit préventif et droit positif : deux approches complémentaires .........................................117

Section 2. La place de la prévention : le cas du Québec ............122 Sous-section 1. La médiation familiale : de personne à personne ......122 Sous-section 2. La protection du consommateur : de consommateur à commerçant.................................131

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XVI DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

Sous-section 3. Le Protecteur du citoyen : du citoyen face à l'institution ......................................134 Sous-section 4. L'assurance-automobile et la convention d'indemnisation directe : les rapports entre assureurs .........................................140 Sous-section 5. L'arbitrage commercial : les relations entre gens d'affaire..................................144 Sous-section 6. L'arbitrage de grief : de travailleurs à employeurs........................................151 Sous-section 7. Quelques considérations sur les rapports entre droit positif et droit préventif.............................157

Section 3. Le droit préventif en tant qu'espace multidisciplinaire ...........................159

CONCLUSION ..................................................................................................167

ANNEXE - LE CHOIX DES MOTS ...........................................................173

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE...........................................................................183

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INTRODUCTION

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Le droit, tel qu'il a évolué dans le monde occidental, fait aujourd'hui l'objet d'une suspicion qui ne rend pas toujours « justice » à ce que nous devons collectivement à son développement. Le problème de l'accès à la justice, le débat entourant l'engorgement des tribunaux et l'augmentation des coûts individuels et collectifs de notre système judiciaire; l'inquiétude que provoque l'inflation législative et réglementaire n'ont pas toujours favorisé le renouvellement de notre réflexion sur les finalités du droit, en tant qu'institution. Bien sûr, ces difficultés ont forcé le développement de toute une série d'alternatives au système judiciaire qu'on identifie aujourd'hui sous les vocables divers de médiation, conciliation ou arbitrage. Ces méthodes, dites alternatives, ont cependant souvent été élaborées en réaction au système de droit traditionnel. Ceux qui les ont promues n'ont pas toujours eu l'occasion de réaliser la portée réelle de ces initiatives; d'autres, au contraire, se sont engagés dans le vif d'une polémique qui opposait de façon draconienne, des approches du droit qui n'étaient peut-être pas si différentes qu'ils le croyaient. Cette polémique a souvent favorisé une idéalisation déraisonnable des pratiques alternatives et — en réponse à cet idéalisme — une défense purement esthétique du droit positif. Dans tous les cas, on a omis de reposer le problème du droit dans ses dimensions premières et on a suscité des attentes injustifiées.

Par ailleurs, les défenseurs de ce que nous appelons ici « le droit préventif », ont souvent limité leur réflexion aux dimensions méthodologiques de la prévention, ce qui allait considérablement réduire la perspective de leurs réflexions et alimenter la critique de ceux qui mesurèrent l'efficacité pratique de ces méthodes à l'aune de la justice formelle. Une approche strictement fondée sur la gestion alternative des litiges réduisait le processus juridique à ses dimensions congrues —celles du litige — en laissant de côté les autres fonctions du droit, entendu comme mode de régulation des rapports sociaux et processus d'ajustement mutuel des attentes et des comportements. Dans les pays occidentaux où des expériences similaires ont été tentées, on n'a pas toujours jugé bon d'expliquer, d'un point de vue historique et sociologique, en quoi le développement du droit préventif s'inscrivait dans la modernité. Cette faiblesse congénitale a souvent rendu ces projets très vulnérables, leurs initiateurs n'ayant pas en main les arguments qui leur auraient permis de justifier leur action. Dans les milieux

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4 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

académiques, l'imprécision des concepts employés condamnait ces pionniers à l'incompréhension générale et à la marginalité.

Ailleurs, l'engouement trop rapide suscité par l'efficacité supposée des pratiques dites « alternatives » a favorisé leur institutionnalisation rapide et leur récupération par le système judiciaire. On n'a cependant pas toujours respecté, dans la foulée de cette judiciarisation accélérée, l'esprit de ces initiatives.

Le texte qui suit a été rédigé à la demande du Centre de droit préventif du Québec. La démarche visait plus spécifiquement à expliquer en quoi l'évolution du phénomène juridique dans les sociétés occidentales — et la société québécoise en particulier — justifie le développement d'une nouvelle conception du droit mais, également, à établir les grandes lignes du concept de droit préventif. Nous n'avons pas voulu nous limiter aux seules dimensions associées à la pratique de la négociation, de la concilia-tion, de la médiation ou de l'arbitrage; nous avons cherché à expliquer aussi, à quelle approche du monde judiciaire, la pratique du droit préventif correspond. Quelle définition doit-on donner du droit pour qu'une réflexion sur la prévention des litiges puisse également s'y inscrire ? Il s'agit-là, nous le croyons, d'une initiative inédite.

Dans la première partie de cette investigation, nous avons cherché à établir ce qui fait la spécificité du droit positif. On pourra trouver le détour un peu long. Il nous permet cependant de situer plus facilement, par la suite, la nature du droit préventif. Un des problèmes du droit actuel vient en effet de ce qu'on n'en saisit qu'indirectement la nature. Dans ce qui suit, nous avons essayé d'en définir les contours et les fonctions. Cette approche met en évidence tout ce que nous devons au droit positif, de manière à ne pas laisser inutilement croire que le droit préventif se définit en réaction à la loi ou à l'encontre du système judiciaire, alors qu'au contraire, il constitue une façon différente et complémentaire de répondre aux mêmes besoins sociaux. Il permet également de saisir les limites nécessaires de l'institution et la nécessité d'aborder autrement à un certain nombre de questions. Ainsi, la seconde partie du texte traite plus spécifiquement du droit, en tant que phénomène social. Cette façon de réfléchir au problème de l'émergence des normes met en évidence le lieu où se développe et

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INTRODUCTION 5

se pratique le droit préventif. On y pose les balises d'une réflexion étendue sur le droit, qui pourrait servir de port d'attache à toute une série d'expériences novatrices dont on n'a pas toujours saisi le caractère commun. Enfin, la dernière partie de cette étude exploratoire est consacrée à l'analyse de certaines de ces innovations, qu'on a inscrites dans la législation ou qui sont apparues plus ou moins spontanément en marge du système judiciaire. Elles font la démonstration de la cohabitation possible — et souvent nécessaire — du droit préventif et du droit positif, mais pose aussi le problème des conditions d'une interaction où chaque dimension du droit doit trouver son compte.

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CHAPITRE 1

DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE

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Section 1. Les origines du droit positif

Le droit est né avec l'humanité elle-même comme l'expression structurée de la communauté. Ainsi, aussi loin qu'on remonte dans le temps, on trouve la trace du droit, dans les normes établies, dans les rites de don et d'échange, dans la conception que se sont fait les individus de leur rapport au groupe. Même dans les collectivités humaines où l'écriture n'existe pas encore, on compte des normes et des mécanismes de réciprocité qui visent à garantir le respect des engagements et la compensation du dommage causé à autrui 1.

Au sein des sociétés dites « traditionnelles » — groupes humains qu'on appelle plus généralement aujourd'hui du nom de « sociétés élémentaires » — alors que la plupart des fonctions sociales sont assurées par des structures peu diversifiées, comme le clan, la famille élargie, des règles souvent complexes sont établies. Des procédures de réciprocité sont fixées. Elles garantissent à la fois l'unité du groupe — sa cohérence interne — et la gestion des différends qui naissent nécessairement des activités individuelles et collectives.

L'archéologie et l'anthropologie physique modernes, nous apprennent que l'invention du langage a sans doute joué un rôle déterminant dans la survie de l'homo sapiens au cours du paléolithique et permis, il y a près de 100 000 ans, le développement structuré de la pensée humaine. Les premiers modèles culturels ont pu naître de ce processus de définition des représentations partagées. C'est l'origine de qu'on appelle « la culture ». Ces potentialités ont sans doute permis la mise en forme des premières règles de droit. Elles ont vraisemblablement favorisé, au départ, la complexification des règles de filiation

1 . C'est du moins sous cette forme de jonction entre norme et processus

que l'anthropologie juridique contemporaine cherche aujourd'hui à analyser le phénomène du droit. Norbert Rouland, L'anthropologie juridique, Paris, PUF (coll. Que sais-je ?), 1990, pp. 37-38.

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10 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

parentales qui assuraient la cohésion interne des communautés humaines 2.

La simplicité des structures sociales et l'absence de spécialisation des fonctions de chacune favorisent cependant la fusion des domaines religieux, juridique, économique et politique. Cette réalité était encore observable il y a quelques années par les anthropologues mis en contact avec certaines communautés de type traditionnel. Ainsi, les études de Marcel Mauss sur les règles régissant le don et l'échange dans les sociétés polynésiennes, celles de Claude Lévi-Strauss sur la gestion des rapports de pouvoir au sein des tribus Nambikuara d'Amazonie — qui renvoient aux travaux déjà réalisés par Malinowski sur les indigènes australiens — révèlent cette confusion de l'ordre juridique avec les autres dimensions de la vie collective 3.

Ces rapports sont cependant fondés sur un ensemble de règles qui sont moins proches des systèmes de normes hiérarchisées que nous connaissons aujourd'hui que de l'équilibre de rapports de réciprocité entre les individus et entre les groupes 4.

Ce n'est en fait qu'avec le début du Néolithique, il y a près de 10 000 ans, que le développement de l'agriculture et de l'élevage, la sédentarisation et la formation des premiers groupes humains importants ont permis une plus grande diversification des rapports sociaux et ont imposé une division plus pointue des fonctions et des structures sociales. Le système judiciaire a sans doute profité de ce processus de spécialisation. En effet, la possibilité de l'enrichissement matériel — lié à la découverte de nouvelles méthodes de stockage — et la nécessité d'une plus grande coordination et d'un plus grand contrôle du travail humain ont sans doute, dès cette époque, favorisé le développement des fonctions politiques et l'élaboration d'un système de normes

2 . « Il y a 100 000 ans, l'apparition du langage articulé de type moderne permet

à l’inventivité de l'homme de perfectionner de façon sans doute décisive les innovations juridiques accomplies antérieurement... tous (les) indices attestent, aux mêmes altitudes l'existence de ce que nous nommons le droit ». Norbert Rouland, Aux confins du droit, Paris, Éditions Odile Jacob (coll. Sciences humaines), 1991, p. 44.

3 . Voir : Marcel Mauss, Sociologie et anthropologie, Paris, PUF (coll. Sociologie d'aujourd'hui), 1950, pp. 145-173; Claude Lévi-Strauss, « La théorie du pouvoir dans une société primitive », in : B. Mirkine-Guetzévitch, Les doctrines politiques modernes, Paris, Brentano's, 1947, pp. 59-62; et Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, Paris, Plon (coll. Terre humaine), 1955, pp. 361-364.

4 . Rouland, op cit. (note 2), p. 49.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 11

comparable au système de « droit » que nous connaissons aujourd'hui. La diversification même de la société est la source d'une complexification des rapports sociaux. Elle favorise la multiplication des conflits internes et la nécessité d'un arbitrage 5.

Parallèlement, le droit passe graduellement du domaine de la nécessité au domaine de la culture. Puis, il se distingue lentement de la religion. En se diversifiant, la collectivité s'affranchit des contraintes imposées par la nature et voit se renforcer l'emprise du pouvoir politique. C'est l'origine de l'État, mais aussi celle de la contrainte juridique. En effet, alors que le pouvoir politique offre un outil de cohésion sociale rendu indispensable du fait de la diversification progressive des collectivités, le droit devient un moyen efficace dans la gestion des conflits, qui naissent de cette diversité même, et ne peuvent être résolus sur la base des rapports traditionnels. Norbert Rouland souligne que :

à partir du moment, variable dans l'espace et dans le temps, où les sociétés choisissent d'étendre la part du Droit et de l'expliciter en normes, codifiées ou non, l'apparition de formes nettement différenciées d'organisation du pouvoir politique, auxquelles on peut donner le nom d'État, suit de façon corrélative. 6

Certaines fonctions qui avaient jusque-là appartenu au domaine de la coutume ou de la tradition glissent dans l'ordre juridique. C'est cependant l'invention de l'écriture — il y 5 000 à 6 000 ans, au quatrième millénaire avant notre ère — qui allait le plus contribuer au développement du droit, à sa mise en forme et sa diffusion. Le premier Code que nous connaissions est celui d'Hammurapi, rédigé en Asie occidentale il y a plus de 3 500 ans. D'autres codifications allaient suivre. Et cet effort de formulation fut favorisé et entrepris « en raison de l'arrivée d'étrangers qui devaient apprendre ce que savaient les membres du groupe » 7 .

La codification écrite allait cependant permettre — aussi — une différenciation des fonctions de rédaction et d'interprétation de

5 . Rouland, op. cit. (note 1), p. 53. 6 . Ibid., p. 48. 7 . Bertrand de Jouvenel, De la politique pure, Paris, Calmann-Lévy (coll. Liberté

de l'Esprit), 1963, p. 82. Voir aussi Rouland, op. cit. (note 2), p. 35.

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la loi. Le texte, souligne encore Rouland, « se détache en effet de son auteur » et donne ouverture au développement d'un corps de commentateurs. C'est ainsi qu'apparaissent les premiers juristes 8.

Sous-section 1. Le temps de la Cité : la rupture aristotélicienne

Dès lors, le « système des normes » établi par le pouvoir politique s'impose en éclipsant partiellement — ou en chapeautant — les autres modes de régulation sociale. L'institutionnalisation du droit par l'élaboration d'une législation uniformément destinée à l'ensemble de la population d'un territoire — d'une cité — est une des caractéristiques de la société antique. Plus tard, l'établissement d'un système de justice formelle viendra compléter le processus de centralisation du droit. C'est l'origine du droit tel qu'on le connaît en Occident. Et, en Grèce, les premières doctrines qui fondent la légitimité de la loi balisent encore aujourd'hui notre conception du droit, compris comme système de normes hiérarchisées et sanctionnées par l'autorité publique.

La principale contribution de la civilisation hellénique vient ainsi de la capacité qu'elle a eu « d'objectiver » sa propre réalité politique et juridique, c'est-à-dire de comprendre la dynamique de ses propres institutions en dehors des procédés généralement utilisés par les autres peuples indo-européens, au sein desquels les mythes servent plus souvent de modes de justification que de procédés descriptifs ou explicatifs 9. C'est dans ce sens surtout que les philosophes de l'antiquité ont contribué au développement

8 . Rouland, op. cit. (note 2), p. 34. 9 . « Ce fut, souligne W. Friedmann, un don unique de pénétration spéculative et de

perception intellectuelle uni au sens de la tragédie et du conflit humain propre à la philosophie et à la poésie grecques qui rendit possible la contribution de la Grèce à la philosophie du droit et, en particulier au problème de la justice éternelle et du droit positif ». W. Friedmann, Théorie générale du droit, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence (Bibliothèque de philosophie du droit), 1965, pp. 6-7.

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juridique de l'Occident et ont jeté les bases intellectuelles des systèmes de droit de nos sociétés modernes 10.

L'ambiguïté qui subsistait encore entre la loi des hommes et la morale universelle est levée dès cette époque. De sorte que, aujourd'hui encore, « la distinction (établie par Aristote) entre justice distributive et justice corrective ou réparatrice forme toujours la base de toute discussion théorique sur ce sujet »; elle consacre la nécessité d'une justice formelle et fonctionnelle 11.

C'est essentiellement sur ce principe que le droit Romain fonde ultérieurement sa propre compréhension des fondements du droit. La distinction entre ce qui est « juste » et ce qui est « légal » s'impose graduellement jusqu'à fonder la base du système de droit de la période classique (milieu du IIe siècle avant J.-C. jusqu'à 284 après J.-C.) 12.

10 . La plupart des théoriciens du droit s'inspirent ainsi, encore aujourd'hui, des

préceptes d'Aristote. À l'époque homérique — au IXe siècle avant notre ère —, on confondait encore les institutions politiques et judiciaires. Cette confusion s'exprimait également dans l'identité des notions de « justice » et de « droit positif », dans la difficulté de balancer le « droit de la Cité » et « l'obligation morale », le bien et la nécessité d'un ordre humain. La distinction entre ces deux pôles est plus clairement établie à l'époque de la démocratie classique (à partir du VIe siècle avant J.C.), mais le problème se pose à nouveau à la suite de la guerre du Péloponnèse (431-404). L'affaiblissement de la démocratie grecque suscite à l'époque le développement d'une nouvelle réflexion sur les fondements de la Cité et la légitimité du droit. La confusion entre justice et droit positif réapparaît en partie dans la pensée de Platon dans La République et d'une façon différente, dans Les Lois. Le droit y est présenté comme le fruit d'une inspiration mystique et suppose l'existence d'interprètes privilégiés des volontés divines. Il implique une « connaissance exacte des Essences du Monde (épistémé) à laquelle ne peuvent accéder que les philosophes, seuls capables de sortir de la caverne ». Voir : Georges Lavau et Olivier Duhamel, « La démocratie », in : Jean Leca et Madelaine Grawitz (eds.), Traité de science politique (tome 2), Paris, PUF, 1985, p. 44. Voir également Friedmann, op. cit. (note 9), pp. 9-10.

11 . Friedmann, op. cit. (note 9), p. 11. 12 . Voir : Rouland, op. cit. (note 1), p. 54. La chose s'impose d'ailleurs malgré les

réticences de Cicéron — plus platonicien qu'aristotélicien sur cette question — qui considère que le véritable fondement des lois repose néanmoins dans le respect d'une justice naturelle immanente. Voir : Cicéron, Des Lois, Livre 1 § 15 et Livre II § VII. Voir également Friedmann, op. cit. (note 9), p. 53.

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Sous-section 2. Les avancées et les reculs du droit occidental : le Moyen-Âge

Avec l'effondrement de l'empire romain, l'Europe se retrouve sans paternité intellectuelle et, tout au cours du haut Moyen-Âge, l'élaboration du droit et la gestion de la justice reprennent des formes élémentaires. La désorganisation et la faiblesse des structures sociales et politiques favorisent l'emprise du clergé et de l'Église sur les rapports sociaux. Le problème « théologico-politique » est au centre du processus de développement des institutions politiques et juridiques. L'État — en tant que centre politique — n'a plus qu'une autonomie relative. La définition des normes est largement soumise à l'influence religieuse 13.

L'affaiblissement de la tenure féodale, la constitution de « villes franches », le développement d'une classe marchande indépendante de l'aristocratie et de toute une série de corporations artisanales autonomes allaient favoriser l'élaboration d'un droit différent de celui élaboré au cours de la période médiévale, sous l'influence du clergé et de la noblesse terrienne. La justice médiévale était en effet fondée sur des règles variables dans le temps et dans l'espace. Il s'agissait d'une caractéristique inhérente à la féodalité. La disparition presque complète de l'écriture au cours de cette période, la désorganisation des réseaux de communication et l'état de guerre plus ou moins perpétuel dans lequel vivent les paysans — constamment menacés par les invasions et l'empiétement des seigneuries et principautés voisines — favorisent l'arbitraire politique des seigneurs. Elle explique en partie que les individus les moins dépendants du lien féodal aient cherché à s'en affranchir 14.

13. Pierre Manent explique : « L'Église doit [...], en vertu de sa raison d'être, veiller

avec la plus active attention à ce que les gouvernements n'ordonnent pas aux gouvernés de commettre des actions qui mettent en péril leur salut, et même, à ce qu'ils ne leur laissent pas la « liberté » de les commettre. Ainsi l'Église a-t-elle été conduite à revendiquer le pouvoir suprême, la plenitudo potestatis. Tiré de Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme, Paris, Calmann-Lévy (coll. Pluriel), 1987, p. 21.

14 . Sur la réalité socio-politique instable de cette période particulière voir : Marc Bloch, La société féodale, Paris, Albin Michel (coll. L'évolution de l'humanité), 1989 (1ère édition 1939), 702 pages; et Georges Duby, Guerriers et paysans (VIIe-XIIe siècle), Gallimard (coll TEL), 1969, 308 pages.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 15

Les villes naissantes deviennent dès lors des lieux de rupture avec les liens du servage. Au sein des bourgs où ils se regroupent, marchands, artisans et compagnons se donnent une charte et ont rapidement tendance à établir une coutume relativement stable et un mode de gestion de leurs différends. Le développement de structures politiques urbaines autonomes va ainsi favoriser l'établissement de nouveaux systèmes de droit 15.

La classe urbaine montante (ces hommes qui s'installent dans les bourgs ou dans les faubourgs et qu'on appelle les bourgeois) allait également faire naître une nouvelle catégorie professionnelle, celle des juristes et des légistes qui favoriseront le retour du droit positif. Dans la mesure du possible, les villes affirment leur autonomie judiciaire ou cherchent la reconnaissance d'une franchise seigneuriale 16.

Au sein de ces nouveaux espaces judiciaires, la redécouverte du droit romain — par le biais du Digeste, puis des Institutes de Gaius — fournira, vers l'an 1100, un modèle pour la définition des règles de base de ce nouveau droit positif 17.

Sous-section 3. Le renforcement de l'État

La concurrence des institutions urbaines et seigneuriales force cependant l'arbitrage royal. La monarchie, qui bénéficie de l'accroissement du commerce et de l'enrichissement généré par les villes, favorise progressivement l'expansion des structures urbaines, accorde elle-même des franchises et propose l'établissement de cours de justice et d'appel. La monarchie s'entoure de juristes issus de la bourgeoisie urbaine et favorise l'établissement d'une magistrature : c'est la naissance de la noblesse de robe. La Couronne impose une législation uniforme qui permet à l'État de prendre lentement la place qu'il occupe aujourd'hui. Le droit romain servira évidemment de base à ce nouveau droit positif

15 . « Le but positif de la fraternisation par serment était d'abord l'union des

propriétaires fonciers locaux, pour l'attaque et la défense, pour l'arbitrage pacifique des différends et pour la sauvegarde d'une administration de la justice qui corresponde aux intérêts des citadins. Mais l'objectif était aussi le monopole des possibilités économiques que la ville offrait à ses habitants : seul l'associé par serment était admis à participer au commerce des citadins ». Max Weber, La ville, Paris, Aubier/Montaigne (coll. Champ urbain), 1982 (1ère édition allemande 1947), p. 71.

16 . Régine Pernoud, Histoire de la bourgeoisie en France (tome 1), Seuil (coll. Point/histoire), 1981, pp. 58-60.

17 . J.A. Clarence Smith et Jean Kerby, Le droit privé au Canada : Études comparatives, Ottawa, Presses de l'Université d'Ottawa, 1987, pp. 54 ss.

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fondée sur une législation dont la portée dépasse maintenant la frontière des bourgs francs pour s'imposer à l'ensemble du royaume 18.

Associé à l'établissement d'un système de justice unifié et stable (la nomination de baillis en France et de shérifs en Angleterre), la monarchie est elle-même rapidement associée à l'idée même de justice. L'État naissant, qui bénéficie d'avantages structuraux évidents par rapport aux modèles déjà connus de la Cité et de l'Empire, s'impose donc également comme source légitime du droit 19.

Ce faisant, il bénéficie bien sûr du système normatif développé par l'antiquité et du transfert des loyautés de la communauté féodale vers l'État mais, également, de la caution des théologiens qui, comme Saint-Thomas d'Aquin, ont cherché, dès le début du XIIIe siècle, à réhabiliter la pensée d'Aristote — et le droit antique dans son ensemble — comme expression raisonnée d'une loi naturelle d'origine divine. Toutes ces considérations allaient favoriser le renforcement de l'État monarchique 20.

Cette caution théologique et religieuse allait renforcer la légitimité du droit étatique comme système normatif dominant mais, également, favoriser le développement de l'absolutisme royal. L'affaiblissement de l'aristocratie terrienne (et la vénalité des charges), l'établissement des principes fondant la monarchie de droit divin de même que les impératifs liés à la sécurité du territoire justifieront la concentration de l'ensemble des pouvoirs

18 . Voir relativement à cette évolution : Pierre Birnbaum et Bertrand Badie,

Sociologie de l'État, Grasset (coll. Pluriel), 1982, pp. 136-137; Pernoud, op. cit. (note 16), pp. 132-166; et Joseph R. Strayer, Les origines médiévales de l'État moderne, Paris, Payot (coll. Critique de la politique), 1979 (1ère édition américaine 1970), p. 41.

19 . « Les États européens qui virent le jour après 1100 combinaient dans une certaine mesure les points forts des empires et ceux des Cités-États. Ils étaient assez puis-sants et assez étendus pour avoir d'excellentes chances de durer, certains d'entre eux existent depuis près de dix siècles, ce qui est un âge respectable pour n'importe quelle organisation humaine. En même temps, ils surent faire participer ou du moins intéresser une grande partie de leurs populations au processus politique, et réussirent à donner un sentiment d'identité commune aux com-munautés locales ». Strayer, op. cit. (note 18), pp. 24-25.

20 . Voir Rouland, op. cit. (note 1), p. 55, et sur Saint-Thomas d'Aquin, Gérard Mairet, Les doctrines du pouvoir: La formation de la pensée politique, Paris, Gallimard (coll. Idées), 1978, pp. 77-79 et Pierre-François Moreau, « Du cœur gravé au corps mystique : naissance d'un ordre juridique » in : François Châtelet (sous la direction de), Histoire des idéologies (tome 2), Paris, Hachette, 1978, pp. 170-176.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 17

entre les mains d'une hiérarchie héréditaire. État, droit, justice et sanction sont dorénavant liés dans une structure fonctionnelle spécifique. C'est l'aboutissement d'un processus qui se poursuit au-jourd'hui et qui conduit à la séparation du Jus publicum et du Jus privatum qui n'est que l'expression de la division lente de l'État et de la société civile 21.

Sous-section 4. La sécularisation du droit

La confusion des ordres politique et religieux reste cependant encore un problème important. En Angleterre, les guerres de religion provoquent — au XVIIe siècle — la révolte de Cromwell. En France, elle justifie la monarchie de droit divin qui, d'un côté, profite de la légitimité religieuse et, de l'autre, favorise le développement de l'église gallicane. La persécution des protestants après la révocation de l'Édit de Nantes tend à révéler que tous ne sont pas égaux devant la loi. Le maintien des privilèges de l'aristocratie, sous l'Ancien Régime, n'est qu'une des expressions possibles du problème posé par une certaine interprétation du droit naturel, qui tend d'abord à favoriser les groupes dominants 22.

L'égalité devant la loi supposait au contraire qu'on reconnût l'individualité du citoyen et que, pour ce faire, on remit en question les anciens statuts et les anciens privilèges de l'aristocratie, du clergé et des corporations. À plus long terme, elle impliquait, également, qu'on fonde l'autorité politique sur le suffrage universel, c'est-à-dire sur l'élection des détenteurs du pouvoir public. Mais, ce faisant, on délestait l'autorité de sa légitimité religieuse. La loi cessait dès lors d'être la simple traduction juridique de la « loi naturelle » et redevenait la « loi des hommes ». Cette révolution, qui trouve ses racines intellectuelles à l'époque de la Renaissance, constitue l'héritage intellectuel des penseurs humanistes et des philosophes libéraux. Le principe de l'égalité devant la loi impliquait finalement que l'autorité politique soit elle-même soumise au respect de la loi, ce qui allait du coup mettre fin à l'absolutisme et saper la légitimité des anciens privilèges. On

21 . Birnbaum et Badie, op. cit. (note 18), pp. 140-141 et 174-176; et Strayer, op. cit.

(note 18), 1979, pp. 33-36. 22 . Birnbaum et Badie, op. cit. (note 18), p. 178; et Manent, op. cit. (note 13), p. 27.

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passait dès lors du gouvernement des hommes au gouvernement des lois.

Des penseurs comme Grotius, Hobbes, Locke et Rousseau ont largement contribué — au cours des XVIIe et XVIIIe siècles — à justifier l'émergence d'un « droit laïc », c'est-à-dire d'un droit positif qui ne soit pas fondé sur la recherche du « souverain bien », inscrit dans la loi naturelle ou la loi divine. C'est dans la nature humaine qu'il fallait chercher les fondements du droit.

La conception traditionnelle liait étroitement l'organisation politique aux fins supérieures de la vie humaine : la loi du corps politique était une expression ou une réfraction de cette loi ultime dont l'observation définit l'humanité, la loi humaine de la loi divine. Le libéralisme récuse cette sublimité de la loi, il en abaisse délibérément le statut. Puisque précisément les hommes sont en désaccord sur le contenu de la loi supérieure et qu'ils doivent cependant vivre ensemble, c'est-à-dire selon des lois, il faut chercher à celles-ci un point d'appui non dans le ciel, mais sur la terre. 23

Cette conception des choses, ce processus de laïcisation qui est à la base d'une des plus importantes mutations subies par le droit positif occidental, détermine encore largement aujourd'hui le caractère particulier de notre système de droit. Elle met à nouveau en relief — après une longue absence — la distinction fondamentale existant entre les concepts de justice et de légalité qu'on trouve déjà chez les Grecs. Mais, ce faisant, nous n'avons fait que revenir à nous-mêmes. Si d'autres contributions intellectuelles sont venues modifier notre compréhension du droit — en posant différemment le problème de ses sources légitimes 24 — ce sont

23 . Pierre Manent, Les Libéraux (tome 1), Paris, Hachette (coll. Pluriel/Inédit), 1986,

p. 13. 24 . Une autre rupture a en effet été introduite avec le développement du

« positivisme » et la quête d'une théorie pure du droit, courant de pensée dont Hans Kelsen est le plus brillant représentant. Sa principale contribution aura été de remettre en question le postulat du droit naturel développé par l'école théologique tout autant que l'école libérale classique. Kelsen présente le développement de ces écoles comme une expression de l'animisme traditionnel et la conséquence d'une confusion des concepts de « ce qui est » et « ce qui doit être » (sein et sollen) qui constituerait elle-même une nouvelle confusion des concepts de « justice» et de « légalité ». Kelsen propose une réflexion toute différente sur la source du droit, en fonction d'une norme fondamentale postulée (c'est-à-dire non déduite par l'observation de la Nature ou de la nature humaine). Voir Hans Kelsen, Théorie pure du droit (Traduction Henri Thévenaz), Neuchâtel, Éditions de la Baconnière (coll. Être et Penser/Cahiers de philosophie), 1988; et Friedmann, op. cit. (note 9), pp. 229 ss.

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ces principes qui, dans la pratique quotidienne, déterminent encore aujourd'hui la forme et les fonctions du droit positif dans les pays occidentaux.

Section 2. L'importance historique du droit positif L'évolution du droit a ainsi accompagné toutes les grandes

mutations de la société occidentale. Depuis l'avènement des premiers mécanismes de gestion des litiges — au paléolithique — jusqu'à la distinction qui s'est lentement imposée entre la morale et la légalité — chez les Grecs de l'antiquité — se sont définies les bases de nos systèmes de droit contemporains.

Le droit positif — c'est-à-dire la législation et la réglementation en vigueur à un moment donné sur l'ensemble d'un territoire — fut un élément structurant de nos rapports individuels et collectifs. Chez les Grecs, c'est le développement du droit positif qui permet que s'exprime par la loi (Nomos) la volonté collective du peuple athénien (demos) qui fonde la Polis. Elle libère le citoyen des « âges obscurs où règne encore une parole magico-religieuse ritualisée, apanage des prêtres et des rois » 25. Elle contraint cependant largement ses membres et les soumet au poids de la volonté générale, si bien que la vertu grecque se confond graduellement au respect de la loi même et tend à englober toute la vie privée 26.

Plus tard, dans le passage du Moyen-Âge à la Renaissance, le droit positif offre un support aux aspirations nées de la liberté individuelle. Aussi, c'est la redécouverte des systèmes de droit de l'antiquité qui permet aux citadins de s'affranchir de l'arbitraire seigneurial — en les libérant des incohérences de la justice privée — et c'est lui, également, qui sert de marchepied à l'édification de l'État tel qu'on le conçoit aujourd'hui. C'est en effet parce qu'il est gardien de la loi et de la justice que le souverain

25 . Lavau et Duhamel, op. cit. (note 10), p. 43. 26 . C'est du reste la critique que Benjamin Constant adresse au modèle politique

proposé par Rousseau, trop inspiré à son goût de l'idéal de la démocratie grecque, dont les paramètres sont inapplicables aux Modernes. Voir à ce propos : Benjamin Constant, De l'Esprit de conquête et de l'Usurpation, Partie 2, chapitre 6.

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parvient à s'attirer l'appui de ses sujets, en quête d'une protection contre l'autorité de l'aristocratie terrienne 27.

Les grands philosophes politiques du XVIIe siècle sont lentement devenus des théoriciens du droit. Ils voient également dans le droit positif un puissant outil de protection contre l'absolutisme royal qui tend à s'imposer comme seul modèle politique et confine au despotisme. Aussi, le droit constitutionnel, dont l'objet premier est la protection des citoyens contre l'arbitraire politique, et le respect des lois par le législateur lui-même, n'est rien d'autre, en fait, que l'application des principes du droit positif au domaine politique 28.

Finalement, et par ce biais, le droit positif est devenu le gardien de la démocratie au sens où nous l'entendons aujourd'hui, c'est-à-dire, au sens de la démocratie libérale. Car c'est le droit positif qui, encore aujourd'hui, protège les libertés individuelles en reconnaissant l'individu comme sujet de droit et en prenant acte à la fois des effets de l'individualité dans l'évolution des rapports sociaux et de ses implications pour les institutions politiques. Cette réalité sociologique est relativement récente dans l'histoire humaine. Or, c'est cette liberté reconnue à tous et l'égalité qu'elle implique dans nos rapports réciproques qui garantissent l'égalité de chacun vis-à-vis de la loi et la protection de droits aussi élémentaires que le suffrage universel 29.

Ce que garantit surtout le droit positif, c'est la mise en place d'un certain nombre de cadres et de normes qui institutionnalisent le progrès de nos rapports sociaux et les protègent; c'est l'objet de la législation et de la réglementation. Cette garantie suppose toutefois un certain formalisme. En effet, ces principes propres aux sociétés libérales sont garantis parce qu'ils sont fixés dans le temps et empruntent une forme précise et relativement stable. Le droit

27 . Voir à nouveau : Strayer, op. cit. (note 18); et Birnbaum et Badie, op. cit.

(note 18). 28 . On trouve clairement exprimée cette évolution du droit dans les écrits de John

Locke. C'est plus spécifiquement l'objet des chapitre 11, 12 et 13 du Deuxième Traité du gouvernement civil. C'est également l'objet, chez Montesquieu, du concept de Loi politique et de celui de gouvernement modéré. Ils sont à la base de la théorie des trois pouvoirs. Voir : L'Esprit des lois, Livre XI.

29 . C'est du moins dans ce sens général que Tocqueville comprend l'idée de « démocratie » comme produit d'un certain état des rapports sociaux combinant à la fois — de façon synergique — liberté et égalité. Voir l'introduction du tome premier De la démocratie en Amérique.

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positif est ainsi en constant décalage avec la réalité et constitue de ce point de vue un processus « conservateur » 30.

Le droit positif doit par ailleurs s'exprimer à l'intérieur de procédures claires et structurées. C'est ce que permet le système judiciaire. L'existence de ces procédures impose cependant aussi une certaine rigidité dans la gestion des différends et le contrôle des contrevenants. Ces effets secondaires n'ont de sens que du point de vue des fonctions sociales exercées par le droit positif et du point de vue des principes qui rendent le droit positif « fonctionnel ». Ils posent le problème actuel de la pratique du droit. Ce sont ces fonctions et ces principes qu'il convient d'exposer maintenant.

Section 3. Les fonctions sociales du droit dans la société occidentale

Ubi Societas, Ibi jus 31 L'évolution de l'idée de droit dans les sociétés occidentales

rend compte de l'importance historique des systèmes de normes que se sont donnés nos collectivités. Elle ne nous permet cependant pas de saisir les fonctions que le droit y occupe. La lecture sélective que le juriste fait lui-même de son domaine d'activité oblitère souvent les dimensions plus « sociologiques » du phénomène.

Le problème vient de ce que le juriste confond généralement, dans la même définition, l'essence du concept et les formes dans lesquelles le droit s'exprime dans sa propre société. Dès lors, il ne saisit qu'une partie de la réalité du « droit positif » 32.

30 . C'est d'ailleurs un fait que Hans Kelsen reconnaît lui-même : « En tant que technique sociale

spécifique, le droit peut être utilisé en vue d'atteindre n'importe quel but social. Il est donc étroitement lié à l'ordre social dont il est issu et dont il désire le maintien ». Tiré de Kelsen, op. cit. (note 24), p. 74.

31 . « Là où il y a une société il y a un droit » Cicéron expose le même précepte en détail de la façon suivante, mais en inversant le sens de l'observation : « Où il y a communauté de loi, il y a aussi un droit commun, et ceux entre qui existe cette communauté doivent être regardés comme étant de la même cité; encore bien davantage s'ils obéissent aux mêmes commandements, aux mêmes pouvoirs ». Cicéron, Des Lois, Livre I, § VII.

32 . Ainsi, Domat disait des règles de droit qu'elles étaient « des expressions courtes et claires de ce que demande la justice dans les divers cas ». Tiré d'une compilation réalisée par Christian Renaud et reprise par Maurice Tancelin et Danielle Shelton, Des institutions, branches et sources du droit, Montréal, Adage, 1991 (1ère édition 1989), p. 286.

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On confond également, souvent, les dimensions objectives et normatives du concept de droit, combinant à la fois ce qu'on peut dire du droit dans sa réalité et ce qu'on voudrait qu'il soit 33. Aussi, bien des philosophes et autres théoriciens du droit se refusent à donner du phénomène juridique quelque définition que ce soit, et cherchent plutôt à circonscrire les contours du domaine 34.

La sociologie et l'anthropologie qui bénéficient d'un point de vue différent ne sont pas toujours exemptes elles-mêmes de ces imprécisions ou de ces hésitations. Chaque discipline est en effet traversée par une multitude d'écoles concurrentes 35.

Cela dit, entre deux définitions contraires qui présenteraient, d'un côté, le droit comme l'expression institutionnalisée d'un ordre social immanent et intangible et, de l'autre, comme un moyen de domination d'un groupe social sur un autre, il y a de la place pour une définition générale du droit. La définition la plus large qu'on puisse trouver stipulerait sans doute que : « le droit est l'ensemble des principes et des règles à caractère normatif régissant les rapports des individus et des groupes en société » 36.

33 . Celle de Duguit, inspirée par des préoccupations holistes et fondée sur le concept

de solidarité sociale, prévoit que : « La règle de droit est la ligne de conduite qui s'impose aux individus en société, règle dont le respect est considéré à un moment donné par une société comme la garantie de l'intérêt commun et dont la violation entraîne une réaction collective contre l'auteur de cette violation ». À l'inverse, la définition de Kant (1788) défend les idéaux de liberté individuelle et celle de Geny (1899) ceux du droit naturel. Voir Tancelin et Shelton et op. cit. (note 32), p. 286. Voir également François Geny, Méthode d'interprétation et sources en droit privé positif, Paris, A. Chevalier-Marescq (coll. Bibliothèque de jurisprudence civile contemporaine), 1899, et Émmanuel Kant, Critique de la raison pratique, Paris, Vrin, 1965, Partie 1, Livre 1 (pp. 44 et ss.).

34 . Voir à ce propos les hésitations de H.L.A. Hart. À l’égard du droit, « nous sommes tous parfois dans cette situation difficile qui est fondamentalement celle de l'homme qui dit : « Je puis reconnaître un éléphant quand j'en vois un, mais je ne puis le définir ». H.L.A. Hart, Le concept de droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaire Saint-Louis, 1976 (1ère édition britannique en 1961), p. 27.

35 . On pense au marxisme, au fonctionnalisme, au structuralisme, à l'individualisme méthodologique, à l'ethno-méthodologie, pour ne nommer que celles-là.

36 . C'est là une partie seulement d'une définition plus précise et plus longue que nous donne André-Jean Arnaud et qui se rapporte au droit positif tel qu'on l'entend généralement dans le monde occidental. Voir André-Jean Arnaud, « Doctrine », in : André-Jean Arnaud et al., Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence et É. Story-Scientia-éditions juriques et fiscales, 1988, p. 108.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 23

Ces règles reposent évidemment sur un ensemble de caractères qui, au fur et à mesure qu'on les définit, nous rapproche d'une description de ce qu'est « Le Droit » dans nos sociétés respectives. Ainsi, certains auteurs font porter leur définition sur le caractère englobant d'un seul « ordre normatif » au sein de chaque société. C'est notamment le cas de Talcott Parsons qui définit le droit comme : « le code normatif général qui sert à régler l'action et à définir la situation des unités membres d'une société » 37. Cette définition laisse cependant de côté l'existence de multiples ordres de droits concurrents dont le droit étatique lui-même tire souvent ses orientations normatives.

D'autres, pour bien marquer ce qui distingue les concepts de droit et de morale, mettent au contraire l'accent sur l'existence d'un système de contraintes institué. Ainsi, Weber considère comme faisant partie du droit un ordre dont « la validité est garantie extérieurement par la chance d'une contrainte (physique ou psychique) grâce à l'activité d'une instance humaine spécialement instituée à cet effet, qui force au respect de l'ordre et châtie la violation » 38. La définition fait cependant porter l'essentiel du droit sur le système judiciaire, c'est-à-dire sur les dimensions « mécaniques » du droit sans nous donner le sens de la notion elle-même 39.

Ceux qui ont tenté de contourner le problème du « judiciaire » ont cependant trop souvent réintroduit — c'est un autre travers normatif — la notion de « justice », trop polysémique pour générer une définition satisfaisante du droit. C'est notamment le cas de Gurvitch qui définit le droit comme :

un essai de réaliser, dans un cadre social donné, la justice (c'est-à-dire une réconciliation préalable et essentiellement variable des œuvres de civilisation en contradiction) par l'imposition d'enchaînements multilaté

37 . Talcott Parsons, Le système des sociétés modernes, Paris, Dunod (coll.

Organisation et sciences humaines), 1973, pp. 19-20. 38 . Cette définition est tirée de l'œuvre de Weber Économie et société. Voir à ce

propos l'introduction de Jacques Grosclause dans Max Weber, Sociologie du droit, Paris, PUF (coll. recherches politiques), 1986, p.17.

39 . Elle est largement critiquée par Georges Gurvitch qui lui reproche de réduire le droit à la définition qu'en donnent les juristes eux-mêmes. Georges Gurvitch, « Problèmes de sociologie du droit », in : George Gurvitch, Traité de sociologie (tome 2), Paris, PUF, 1963, p. 183-184.

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24 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

raux entre prétentions et devoirs, dont la validité dérive des faits normatifs, qui portent en eux la garantie de l'efficacité des conduites correspondantes. 40

La proposition a cependant l'avantage de ramener le problème du droit à la définition de ses fonctions essentielles. C'est sans doute, en effet, par celles-ci que le droit se laisse le plus facilement saisir. C'est du moins là l'intuition des auteurs de cet adage hérité du droit romain qui proclame que les buts du droit sont « le bon partage des biens, des honneurs et des obligations entre les membres d'un groupe social » 41.

Le procédé ne permet cependant pas toujours de faire la distinction qui s'impose entre « ce qui est » et ce qui « est souhaitable ». Il existe en effet une distinction épistémologique incontournable entre les buts que devrait idéalement poursuivre le droit et les fonctions sociales effectives du droit « tel qu'il est ». Cette dichotomie est un des héritages de la philosophie kantienne que la sociologie a ultérieurement tenté de respecter, et c'est ce que permet le concept de « fonction du droit ». Dans une recherche récente, Vicenzo Ferrari met en évidence l'existence d'au moins quatre fonctions distinctes et plus ou moins exclusives au droit : « la solution des conflits, la réglementation des conduites, la légitimation et l'organisation du pouvoir, enfin le net drive, c'est-à-dire le pouvoir d'orienter globalement une société vers des buts utilitaires » 42.

La première de ces fonctions, et la plus évidente, est la solution des conflits. Cette fonction tombe en effet sous le sens, et c'est la première à laquelle les grands philosophes libéraux se sont intéressés. Dès le milieux du XVIIe siècle, c'est sur le problème général des conflits individuels que Thomas Hobbes fonde sa justification du pouvoir politique et du droit. C'est pour préserver leur vie et mettre fin aux conflits qui les opposent dans l'état de

40 . Voir Gurvitch, ibid. p. 189. 41 . Villey nous rappelle qu'il s'agissait également là de la définition retenue par Saint-

Thomas d'Aquin qui la tirait lui-même du Digeste. Voir Michel Villey, Seize essais de philosophie du droit, Paris, Dalloz (coll. philosophie du droit), 1969, p. 90. Cicéron l'exprime d'ailleurs d'une façon à peu près similaire : « La loi, c'est le discernement des justes et des injustes, en prenant comme norme la nature... sur laquelle les lois humaines doivent se régler pour châtier les méchants, secourir et protéger les gens de bien » Cicéron, Des Lois, Livre II, § 5.

42 . Voir Vincenzo Ferrari, « Fonctions du droit », in : Arnaud et al., op. cit. (note 36), p. 162. Ces fonctions ont elles-mêmes été circonscrites à l'origine par Karl Llewellyn. Voir à ce propos Roger Cotterrell, The Sociology of Law : An Introduction, London, Butterworths, 1984, pp. 82-84.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 25

nature que les hommes acceptent la contrainte du droit 43. Pour Locke, c'est également pour jouir en paix de leur propriété que les hommes créent la société civile et se soumettent à sa loi 44. De façon un peu différente, mais en conformité avec la première fonction du droit de mettre fin aux conflits, Montesquieu considérait la loi nécessaire à la gestion des litiges que la société fait naître elle-même 45.

On sent tous les jours les conséquences de cette fonction d'arbitrage, mais également, cette autre fonction du droit visant le règlement des conduites individuelles. Par rapport à la première fonction que nous avons décrite — celle favorisant la solution des conflits — la fonction de règlement des conduites individuelles possède un caractère préventif en ce qu'elle tend justement à éviter la naissance des conflits par la définition d'un système d'attentes mutuelles 46. Elle est fondée sur des couples de réciprocité du genre « droit et obligation », « prétentions et devoirs » qui fondent encore aujourd'hui l'essentiel de l'idée qu'on se fait des rapports juridiques et, jusqu'à un certain point, des rapports sociaux eux-mêmes 47. De manière plus unilatérale, et plus restrictive aussi, certains auteurs ont également vu dans cette fonction du droit le procédé par lequel l'État s'assure du contrôle de sa population. Il

43 . C'est là la loi du Léviathan suivant laquelle les membres d'une République se

désistent du droit naturel qu'ils ont sur toute chose pour confier leur différends à l'arbitrage du pouvoir politique. «La seule façon d'ériger un tel pouvoir commun apte à défendre les gens des torts qu'ils pourraient se faire les uns aux autres... c'est de confier tout leur pouvoir et toute leur force à un seul homme, ou à une seule assemblée qui puisse réduire toutes leurs volontés, par la règle de majorité ou une seule volonté». Tiré de Thomas Hobbes, « Des causes de la génération et de la définition de la République », Léviathan, (II, § XVII).

44 . « La grande fin que se proposent ceux qui entrent dans une société étant de jouir de leurs propriétés en sûreté et en repos; ... le meilleur moyen qu'on puisse employer, par rapport à cette fin (sera) d'établir des lois dans cette société ». Locke, Traité du gouvernement civil, Livre XI, § 134.

45 . « Sitôt que les hommes sont en société, ils perdent le sentiment de leur faiblesse ; l'égalité, qui était entre eux, cesse, et l'état de guerre commence. Chaque société particulière vient à sentir sa force; ce qui produit un état de guerre entre les nations... Ces deux sortes d'état de guerre font établir les lois parmi les hommes ». Voir Montesquieu, au chapitre « Des lois positives », L'Esprit des lois, L. 1, § 3.

46 . C'est là l'angle d'analyse favorisé par Gurvitch, op. cit. (note 39), p. 189. 47 . On n'a pour s'en convaincre qu'à relire la définition classique de Weber sur les

rapports sociaux : « Nous désignons par relation sociale le comportement de plusieurs individus en tant que, par son contenu significatif, celui des uns se règle sur celui des autres et s'oriente en conséquence ». Max Weber, « L'activité sociale et les relations sociales », in : Pierre Birnbaum et François Chazel, Théorie sociologique, Paris, PUF (coll. Thémis), 1975, p. 33.

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26 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

s'agit cependant là d'un tout autre débat, celui du contrôle social exercé par le biais du droit étatique 48.

Troisième fonction reconnue au droit : celle de légitimation et d'organisation du pouvoir. Cette fonction s'exprime plus régulièrement — et de façon plus diverse — qu'il n'y paraît. Il s'agit d'ailleurs d'une fonction double qui inclut à la fois la légitimation et l'organisation du pouvoir.

1) La légitimation du pouvoir est en effet un enjeu fondamental de l'activité politique; aussi, les détenteurs du pouvoir politique institué sont-ils toujours tentés de susciter, par le biais de la législation et de la réglementation, une adhésion ferme du citoyen au caractère désirable et nécessaire de l'autorité publique 49. D'ailleurs, sur un plan plus philosophique, la théorie du droit naturel tend elle-même à justifier le caractère plus ou moins universel de la loi et, par là, des institutions chargées de la définir. Le droit — en tant que valeur transcendante cette fois — favorise ainsi la légitimation du pouvoir politique 50.

2) La compréhension du droit, comme mode d'organisation du « pouvoir », trouve également plusieurs défenseurs, notamment auprès des philosophes politiques classiques qui, comme Hobbes — et comme Montesquieu aussi — voient dans le pouvoir politique le détenteur légitime de la force

48 . Voir Alain Touraine, Production de la société, Paris, Seuil (coll. Sociologie),

1973, pp. 228-230; et Alain Touraine, La voix et le regard, Paris, Seuil (coll. Sociologie permanente), 1978, pp. 54-56 et 102. Du côté des théoriciens du droit, mais à partir d'une approche totalement différente, c'est une conception également défendue par Kelsen qui souligne que : « Envisagé quant à son but, le droit apparaît comme une méthode spécifique permettant d'amener les hommes à se conduire d'une manière déterminée... Son but est donc de les amener à une conduite déterminée en les menaçant d'un mal en cas de conduite contraire ». Kelsen, op. cit. (note 24), pp. 71-72.

49 . Jacques Lagroye, « La légitimation », in : Leca et Grawitz (eds.), op. cit. (note 10), pp. 395-467. On trouve des thèses proches de celles-ci dans les écrits de Thurman W. Arnold, The Symboles of Governement, New Haven, Yale University Press, 1935.

50 . C'est du moins là un reproche souvent fait par les tenants du positivisme juridique aux défenseurs des principes de droit naturel — d'origine chrétienne ou libérale-classique — comme fondement normatif du droit positif. Voir Hans Kelsen, « Positivisme juridique et doctrine du droit naturel », in : Mélanges en l'honneur de Jean Dabin, Bruxelles-Paris, Établissements Émile Bruylant et Sirey, 1963, pp. 141-148.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 27

physique et de la violence rassemblée de tous les citoyens 51. Mais, d'un point de vue plus sociologique, elle caractérise également la vision que certains chercheurs modernes ont eue du pouvoir politique. C'est notamment le cas de Max Weber qui voit dans l'État « la structure ou le groupement politique qui revendique avec succès le monopole de la contrainte physique légitime» 52. Cette fonction du droit — compris comme mode d'organisation du pouvoir — est plus évidente encore dans le cadre du droit constitutionnel. Le droit vient en effet — dans ce cas particulier — limiter les risques d'arbitraire et d'absolutisme. Ainsi agit-il comme mode de contrôle et par là, comme principe organisateur du pouvoir 53. Cette fonction s'exprime cependant de façon plus générale encore, dans le pouvoir des personnes ou des groupes de recourir — à certaines conditions — au soutien de l'autorité publique ou de la communauté pour l'exercice d'une prétention. Hans Kelsen, théoricien pur du droit qu'on ne peut pas soupçonner « d'obsession sociologique », reconnaît que : « comme les actes de contrainte qu'il (le droit) prescrit ou autorise impliquent l'emploi de la force, on peut dire que la fonction essentielle du droit est de régler l'usage de la force dans les relations entre les hommes » 54. Il est, dans ce sens aussi, un mode d'organisation du pouvoir.

Quatrième et dernière fonction, le droit favoriserait l'orientation globale d'une société vers des buts unitaires. Cette conception du droit trouve écho à des niveaux variables dans au

51 . Voir Thomas Hobbes, « Des causes de la génération et de la définition de la

République », Léviathan, (II, § XVII), mais aussi Montesquieu, « Des lois positives », L'Esprit des lois, L. 1, § 3.

52 . Julien Freund, Sociologie de Max Weber, Paris, PUF (coll. SUP), 1968, p. 191. 53 . C'est là l'essentiel de la pensée politique de John Locke sur l'absolutisme. Voir

J. Locke, Traité du gouvernement civil, Chapitres VII et XI. 54 . Kelsen, op. cit. (note 24), p. 74.

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moins trois traditions différentes : d'abord dans la philosophie de l'État de Hegel 55; puis dans les écrits des penseurs identifiés au socialisme utopique, qui voyaient dans la loi un puissant outil de social engineering 56; et finalement, dans la sociologie fonctionnaliste américaine, qui nous intéresse davantage ici. Celle-ci, développée en particulier par le sociologue Talcott Parsons, voit en effet le pouvoir politique comme un lieu de définition des objectifs collectifs poursuivis par une société globale. Sociologiquement, le droit trouve sa place dans l'interface du système politique et des systèmes de socialisation et d'intégration sociale. Il constitue dès lors un outil de cohésion sociale, fondé sur le contrôle et la coercition, mais, également, sur l'adhésion des membres de chaque société à la communauté sociétale. De ce point de vue particulier, le droit et les institutions juridiques sont des expressions structurées des rapports qui se développent au sein de la société. Aussi peuvent-ils être vus comme des moyens

55 . Hegel souligne ainsi que : «En face des sphères du droit privé et de l'intérêt

particulier, de la famille et de la société civile, l'État est, d'une part, une nécessité externe et civile et une puissance plus élevée; à sa nature sont subordonnés leurs lois et leurs intérêts qui en dépendent, mais d'autre part, il est leur but immanent et a sa force dans l'unité de son but final universel et des intérêts particuliers de l'individu, unité qui s'exprime dans le fait qu'ils ont des devoirs envers lui dans la mesure où ils ont en même temps des droits.» G.W.F. Hegel, Principes de la philosophie du droit, Paris, Gallimard (coll. Idées, NRF), § 261.

56 Ceux-ci trouveront chez Rousseau un précurseur. Voir Du contrat social, Livre II, § 7. Du côté des « socialistes de l'utopie », voir notamment les écrits de Henri de Saint-Simon dont la pensée est fondée sur la recherche d'une certaine harmonie sociale, mais, davantage encore, ceux de Robert Owen. Socialiste utopique, il croyait à la possibilité pour les autorités publiques d'influencer significativement l'équilibre des rapports sociaux par l'éducation et la législation. « Celui qui connaît sa nature, ses facultés et le nombre des sensations diverses nécessaires à la parfaite santé de son être, ne dépassera jamais le point de tempérance ou (de) plus grande perfection possible. Ceux qui dirigent le système social doivent former les individus de manière à ce que chacun puisse s'assurer de ce point dans son organisation, et (prendre) toutes les dispositions nécessaires pour que tous soient conduits à agir conformément à cette connaissance ». Robert Owen, tiré de D. Desanti, Les socialistes de l'utopie, Paris, Payot (coll. Petite collection), 1970, pp. 255-156. Voir également Miguel Abensour « Robert Owen » in : François Chatelet, Olivier Duhamel et Évelyne Pisier, Dictionnaire des œuvres politiques, Paris, PUF, 1989, pp. 784-797. Il convient cependant de souligner que cette conception très directive du pouvoir politique se distingue nettement du défini par Roscoe Pound au début du siècle et qui se résumait surtout à cette idée moins ambitieuse « de satisfaire le maximum d'intérêt en en sacrifiant le minimum». Voir l'article de Françoise Michaut, « sociological jurisprudence », in : Arnaud et al., op. cit. (note 36), p. 381.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 29

privilégiés — utilisés par le système politique — pour favoriser l'atteinte d'objectifs collectifs 57.

Reste à savoir si toutes ces fonctions nous intéressent également. Une des distinctions importantes apportées au concept de fonction sociale a été proposée par le sociologue Robert Merton qui suggère de tenir compte de deux types de fonctions différentes : les fonctions manifestes et les fonctions latentes 58.

On peut ainsi inclure au rang des fonctions manifestes du droit la fonction de gestion des conflits et celle de règlement des conduites individuelles, alors que les fonctions de légitimation et d'organisation du pouvoir comme celle d'orientation globale des sociétés, constituent plutôt des fonctions latentes du droit. Elles concernent surtout le droit en tant que moyen nécessaire ou utile à l'expression de processus accessoires qui sont largement liés à l'exercice du pouvoir politique. Aussi, est-ce surtout dans ses fonctions manifestes que le droit nous intéresse ici : fonctions de gestion des conflits et de règlement des conduites individuelles.

Celles-ci sont du reste exercées dans toutes les communautés humaines où les systèmes de normes et les mécanismes de gestion des différends favorisent la concorde et l'intégration sociale. C'est un point de vue qu'on trouve déjà exprimé dans les écrits de Montesquieu qui soulignait, il y a près de 250 ans que :

La loi, en général, est la raison humaine, en tant qu'elle gouverne tous les peuples de la terre; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s'applique cette raison humaine. Elles doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c'est un très grand hasard si celles d'une nation peuvent convenir à une autre. 59

57 . Pour un développement plus complet voir Guy Rocher, Talcott Parsons et la

sociologie américaine, Paris, PUF (coll. Le sociologue), 1972, pp. 90, 90, 129 et 134.

58 . Robert Merton, On Theoretical Sociology, New York, MacMillan Publishing (coll. Free Press Paperback), 1967, pp. 73-138.

59 . Montesquieu, L'Esprit des lois, Livre 1, § 3. On retrouve d'ailleurs une définition comparable chez Cicéron, Des Lois, Livre I, § XIV.

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Au-delà des orientations philosophiques qui s'expriment dans ces lignes — l'idée d'une raison universelle et d'une nature humaine fondamentale que Montesquieu, pétri d'humanités, partage avec les hommes de son temps — une intuition forte demeure : c'est qu'au sein de chaque société existe un droit qui lui est propre. C'est du reste sur cette intuition qu'est fondée la recherche anthropologique. Si celle-ci permet la comparaison des « systèmes sociaux », des traditions et des cultures différentes, elle met surtout en évidence le caractère particulier de chaque communauté humaine, car dans chacune s'exercent, sous une forme ou une autre, les fonctions reconnues au droit comme système de norme et mode de gestion des différends.

Dans la tradition occidentale, c'est dans le cadre du droit positif que ces fonctions ont surtout été exercées, nos sociétés complexes ayant favorisé une différenciation et une autonomie croissante du droit comme champ particulier de l'activité humaine. Nous avons vu plus haut (Chapitre 1, Section 1) comment il s'était développé dans nos collectivités et quel avait été l'apport du droit positif comme moyen de reconnaissance des changements sociaux et des mutations du pouvoir politique (Chapitre 1, Section 2). Ce qui nous reste à étudier, ce sont les principes par lesquels le droit positif s'est exprimé, car ces formes ont également conféré une réelle stabilité mais, également, une certaine rigidité à notre système de droit. Section 4. Les principes du droit dans la société occidentale :

une définition « juridique » du droit Chacun, selon son point de vue, trouve dans le droit ce qu'il

peut. Pour le citoyen, c'est la protection de son intérêt, parfois celle de son amour-propre; pour le moraliste, c'est la justice et pour l'homme politique, l'ordre dans la nation. Pour le sociologue, le droit est un mode de régulation des rapports sociaux et pour le professionnel du droit, une technique d'interprétation et de gestion des différends... parfois des déviances.

Le point de vue des juristes eux-mêmes est du reste du plus grand intérêt du moment qu'on entend saisir la dynamique du droit « de l'intérieur ». C'est là une chose que nous avons déjà dite (Chapitre 1, Section 3). Deux exemples suffisent pour s'en convaincre, qu'on tirera des écrits de théoriciens du droit reconnus pour leur position différente quant aux sources du droit positif : Hans Kelsen et Jean Dabin.

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[Pour Kelsen, le droit apparaît] comme un ordre social basé sur la contrainte, comme un système de normes prescrivant ou autorisant des actes de contrainte sous la force de sanctions socialement organisées. 60 [Pour Dabin,] le droit est l’ensemble des règles de conduite édictées ou, du moins reçues et consacrées par la société civile sous la sanction de la contrainte publique, à l'effet de réaliser, dans les rapports entre les membres du groupe un certain ordre – celui que postulent la fin de la société civile ainsi que le maintien de la société comme instrument voué à cette fin. 61

Au-delà des débats entourant l'existence ou non d'un ordre ou d'une finalité immanente ou extérieure à la société civile, — question dont nous n'avons pas à nous préoccuper ici — ces définitions se recoupent sur toute une série de points qui rendent compte de la spécificité du système de droit des sociétés occidentales. Chaque auteur voit en effet dans le droit un ordre fondé sur un système normatif, sanctionné socialement par une autorité organisée munie de pouvoirs de contraintes 62.

Il n'y a pas de hasard dans le fait de tant de concordances. Ces définitions réfèrent au même objet : le droit positif, qui est l'expression privilégiée du Droit dans nos sociétés. Celui-ci, dans sa forme la plus spécifique, s'exprime dans la législation. Il est administré par les agents de corps professionnels spécialisés (avocats et notaires) et trouve sa force exécutoire dans le système judiciaire; soit l'ensemble des instances chargées d'interpréter et d'appliquer le droit positif.

Nous avons dit plus haut que, pour l'essentiel, les grandes questions posées par les philosophes grecs balisaient encore aujourd'hui la réflexion des théoriciens du droit. Les réponses que les Anciens ont apportées à ces questions déterminent d'ailleurs largement notre façon de définir et d'administrer le droit. La première de ces questions concerne la distinction fondamentale qui existe entre la justice totale, fondée sur la vertu entière et la recherche de l'égalité parfaite entre les individus, et la légalité des agissements fondés sur le simple respect de la loi. C'est la question posée par Sophocle dans Antigone. On sait que, dans l'ordre de la pratique, la priorité est donnée au respect des lois de la Cité. C'est également là le choix d'Aristote qui distingue — nous l'avons vu

60 . Hans Kelsen, op. cit. (note 24), p. 71. 61 . Jean Dabin, Théorie générale du droit, Bruxelles, Établissement Émile Bruylant,

1953 (1ère édition belge 1943), pp. 16-17. 62 . Voir également, la définition type proposée par Norbert Rouland, op. cit. (note 1),

p. 36

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— la justice distributive (fondée sur l'égalité) et la justice coercitive ou réparatrice (fondée sur le respect de la loi) 63.

Notre notion de la justice tire ses origines de cette deuxième acception. Cette dichotomie comporte cependant des effets précis du point de vue de ce qu'il est convenu d'appeler « le système de droit ». La première de ces conséquences réside dans le fait qu'il existe une loi civile possédant sa légitimité propre : c'est la loi des hommes. Et celle-ci n'a de sens que dans le cadre d'un mécanisme d'administration concret qui, à défaut d'assurer à tous l'égalité complète (et la justice au sens philosophique du terme), donne ouverture à une réparation ou à une correction des inégalités causées par autrui dans la foulée des rapports sociaux. Il s'agit là des fondements de ce qu'on peut appeler la « justice formelle ». Elle repose elle-même sur le principe de l'égalité des personnes vis-à-vis de la loi. La justice réparatrice est dès lors fondée sur l'existence d'un « traitement égal de ceux qui sont égaux devant la loi ». La loi n'envisage que la nature de la faute. En conséquence, elle doit être impersonnelle et de portée générale 64.

Ces principes ont eux-mêmes déterminé l'ensemble des techniques d'administration du droit et les modes d'interprétation de la législation et de la réglementation que nous connaissons aujourd'hui. Car, fondée sur le principe voulant que « la justice corrective (est) le juste milieu entre la perte de l'un et le gain de l'autre », l'administration de la justice impliquait qu'à défaut de pouvoir s'entendre les parties puissent compter sur l'institution d'un mécanisme de définition de ce juste milieu. C'est-à-dire, la

63 . « Qu'il y ait plusieurs formes de justice et qu'à côté de la vertu entière, il y en ait

une autre différente, voilà qui est manifeste. Quelle est cette vertu ? Et de quelle nature est-elle ? Voilà ce qu'il faut chercher. Pour ce faire, nous avons déjà défini l'injuste : ce qui est illégal et inégal; le juste : ce qui est prescrit par la loi et ce qui s'accorde avec l'égalité. La forme de l'injustice dont nous avons précédemment parlé est celle qui va à l'encontre de la loi ». Aristote, L'Éthique à Nicomaque, Livre 5, chapitre II, § 7 - 9.

64 . Voir W. Friedmann, op. cit. (note 9), p. 17. À ce propos, Aristote souligne lui-même dans l'Éthique à Nicomaque (Livre 5, chapitre IV, §3) : « Peu importe que ce soit un homme distingué qui ait dépouillé un homme de rien, ou réciproquement; peu importe que l'adultère ait été commis par l'un ou l'autre de ces deux hommes, la loi n'envisage que la nature de la faute, sans égard pour les personnes qu'elle met sur un pied d'égalité. »

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 33

désignation d'un tiers impartial capable d'établir, en fonction des règles de portée générale établies par le législateur, le lieu où « chacun reconnaît ce qui lui revient » 65.

Formellement, la chose implique la définition des droits respectifs des partis, forme d'adjudication qui est à l'origine du procès et de la magistrature. Aristote était conscient du caractère impitoyable de ce mode de gestion des différends. La chose est d'autant plus évidente que l'établissement d'une règle commune à tous les citoyens implique la concordance des interprétations qui lui sont données. En effet, si tous sont égaux devant la loi, il convient que ce soit la même. La pluralité des interprétations aurait conduit — en pratique — à la pluralité des normes reconnues et au démantèlement des fondements de la justice formelle. Cela dit, Aristote considérait nécessaire qu'on pondère son exercice en tenant compte — dans chaque cas — de l'équité due aux parties 66.

De façon générale, la souplesse que ce procédé introduit dans l'interprétation des lois n'a pas trouvé d'expression organisée ou stable dans l'évolution de notre système de droit. Dans le monde anglosaxon, les instances d'equity, qui tiraient leur légitimité de sources doctrinales différentes, n'ont pas résisté à une formalisation de leurs procédures et, à plus long terme, à leur absorption par les tribunaux de droit commun 67.

D'ailleurs, de façon plus générale, en Grèce — mais c'est aussi le cas dans la plupart des sociétés occidentales — les principes de la justice formelle l'ont emporté sur les autres mécanismes de gestion des conflits. La législation elle-même porte les traces de ses finalités comme outil d'interprétation par la magistrature. Dans La Politique, Aristote en vient en effet à la conclusion que : « les simples lois sont les règles d'après lesquelles les magistrats doivent gouverner et assurer la garde de ces dispositions contre ceux qui les transgressent » 68. La loi devient ainsi elle-même un mécanisme de la justice formelle, cette justice concrète des hommes. Le droit positif est devenu la contrepartie de la justice formelle : la boucle est bouclée.

65 . Aristote, L'éthique à Nicomaque, L. 5, Ch. IV, § 8. 66 . Friedmann, op. cit. (note 9), p. 12. 67 . Clarence Smith et Kerby, op. cit. (note 17), pp. 38-40 et 52-53. 68 . Aristote, La Politique, Livre IV, § 1, art. 1289 a.

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34 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

Ce qui nous intéresse ici, c'est de comprendre les effets de ces principes sur la définition du droit positif contemporain et de saisir les formes empruntées par le système judiciaire dans les sociétés occidentales. Ils nous serviront à bien comprendre les caractéristiques propres à notre système de droit.

Sous-section 1. De la nature du droit positif

L'égalité de chacun devant la loi est la règle de base qui détermine encore aujourd'hui l'essentiel des principes qui fondent notre système de droit. C'est cette idée première qui fonde le principe de l'unicité de la règle de droit. En effet, l'égalité de tous devant la loi n'est possible que dans la mesure où — comme nous l'avons dit — la loi est la même pour tout le monde. Ce principe implique lui-même une forme d'objectivation de la règle de droit et, par conséquent, l'affirmation d'une distinction nette entre la morale personnelle — propre à chacun — et la règle de droit partagée par tous. La norme est donc extérieure aux individus. C'est la distinction fondamentale qu'on trouve dès l'antiquité entre la morale et le droit, la justice et la légalité, la foi et la citoyenneté.

Le principe de l'unicité de la règle de droit étant reconnu, elle exige également l'institution d'une source unique de droit; l'existence d'un seul principe législatif. Car la diversité des sources possibles du droit menace le principe de l'unicité. L'existence de plusieurs règles concurrentes et contradictoires ne garantit pas l'égalité des citoyens devant la loi, et l'existence d'un ordre juridique implique par conséquent la reconnaissance d'une institution légitime, détentrice de ce que nous pourrions appeler « le monopole normatif ». C'est la justification de l' État de droit 69. Il implique le monolithisme juridique.

L'unicité de la règle de droit exige incidemment une connaissance publique de cette règle. « Nul n'est sensé ignorer la

69 . Il s'agit là d'un des effets de la différenciation fonctionnelle caractéristique des

sociétés complexes. Elle conduit à la multiplication des instances spécialisées dans toutes les dimensions de la vie sociale. Ainsi, les fonctions de socialisation et d'intégration, de même que les fonctions politiques et économiques sont graduellement appelées à être assurées par des structures spécifiques au fur et à mesure que la société se complexifie. Voir, dans le même sens Norbert Élias, La dynamique de l'Occident, Paris, Calmann-Lévy (coll. Agora), 1975, 320 pages.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 35

loi ». Cette fiction, sans laquelle l'égalité devant la loi est illusoire — chacun pouvant prétendre n'avoir pas été informé de la règle applicable à son cas — implique une certaine publicité de la loi. Celle-ci consacre le caractère public de la règle de droit et cette publicité garantit à la fois la stabilité de la norme établie et sa conservation dans des formes qui rendent son contenu vérifiable. C'est l'origine des codifications et des législations écrites qui constituent, sur un autre plan, la seule protection qui soit contre l'arbitraire politique 70.

La connaissance publique et la stabilité de la législation, de même que celle de la réglementation, exigent par conséquent une certaine continuité dans l'administration des institutions. Cet état de fait détermine à la fois la primauté des institutions législatives sur les détenteurs du pouvoir politique et consacre le caractère impersonnel de la règle de droit, c'est-à-dire la définition de lois abstraites à portée générale applicable à tous les membres d'une population donnée, vivant sur le territoire sur lequel le législateur étend son autorité. Il s'agit là d'une autre caractéristique de l'État de droit et de nos systèmes de droit.

Sous-section 2. De la nature du système judiciaire

L'égalité devant la loi et l'unicité de la règle de droit impliquent finalement l'institution d'un mécanisme unique d'interprétation. Car si chacun devient l'interprète de sa propre cause, on comptera autant d'interprétations que de citoyens et autant de règles de droit que d'interprétations, ce qui rend le droit bien incertain. La loi perd dès lors son caractère général et impersonnel. Chacun devient son propre juge et l'égalité devant la loi n'existe plus.

C'est l'origine du système judiciaire et des mécanismes de la justice formelle. Leur caractère n'a d'ailleurs pas beaucoup changé depuis les premières formes qu'elles ont connues au cours de l'antiquité. Aussi, ils sont encore fondés aujourd'hui sur l'action d'un tiers-adjudicateur, sur le procès et le débat contradictoire, le

70 . John Locke considérait lui-même que la rédaction des lois était la seule garantie

offerte au citoyen contre l'arbitraire politique. « L'autorité législative ou suprême n'a point droit d'agir par des décrets arbitraires, et fondés sur-le-champ, mais est tenue de dispenser la justice, et de décider des droits des sujets par les lois publiées et établies... Un pouvoir arbitraire et absolu, et un gouvernement sans lois établies et stables, ne saurait s'accorder avec les fins de la société et du gouvernement ». J. Locke, Traité du gouvernement civil, Ch. XI, § 136 et 137.

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36 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

formalisme procédurier et le jugement, le respect du précédent, la sanction des fautifs, le monopole des moyens de la contrainte physique confié à l'autorité publique et la gratuité des services offerts par « la justice », qui garantit l'égalité des citoyens devant la loi et l'autonomie des juges. Pour l'essentiel, notre système de droit privé est fondé sur un principe de reconnaissance des prétentions d'un citoyen sur celles d'un autre. Les problèmes judiciarisés sont, par conséquent, toujours interprétés en termes de litige ou, si on préfère, de conflit entre les parties. Dans ce cadre particulier, le rôle du juge est essentiellement de désigner un gagnant et un perdant. Sa fonction consiste à assurer l'arbitrage de deux prétentions contraires. L'établissement d'un ordre de priorité est lui-même facilité par la définition d'un ordre normatif objectivé et légitimé : c'est la règle de droit. Les différends opposant les partis sont réinterprétés en fonction des catégories établies par le législateur. Le respect des deux parties est assuré par l'établissement de règles de procédures préétablies, stables et connues par les parties : c'est le formalisme judiciaire. Cette formalisation dont le sens échappe au justiciable ramène la pratique du droit — sinon le droit lui-même — au rang de « technique sociale » 71.

Nous sommes si habitués à ces systèmes de gestion des différends qu'il nous est difficile de saisir en quoi le droit pourrait être modifié par rapport à ce qu'il est déjà. Cette réflexion est d'autant plus laborieuse que notre système de droit met en rapport deux mécanismes parfaitement complémentaires : un mécanisme d'établissement des normes (c'est l'État de droit), et un mécanisme formel d'interprétation de ces normes (c'est le système judiciaire). Leur cohérence est due à la préoccupation qu'a eue le législateur de soumettre la forme de la loi aux besoins des institutions chargées de son interprétation. Et c'est par le mécanisme de la sanction que cette jonction a été rendue possible. Aussi, les théoriciens qui ont tenté d'établir ce qui caractérise et distingue le droit des autres ordres normatifs (comme la morale ou la tradition) ont vu dans cette « sanction » l'élément caractéristique de la règle de droit et, de façon plus générale, du système de droit occidental. C'est notamment le cas de ceux qui, comme Kelsen, ont tenté d'établir une théorie pure du droit, largement fondée sur l'imputation, c'est-à-dire sur cette idée suivant laquelle « pour qu'une norme appartienne au domaine du droit, il faut qu'elle définisse la

71 . C'est du moins l'expression utilisée par Hans Kelsen, op. cit. (note 24), p. 72 ss.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 37

conduite qui est la condition d'une sanction et qu'elle détermine cette sanction » 72.

Ainsi, la loi doit être rédigée sous la forme d'une norme exécutoire. Cette particularité, qui aurait pu être accessoire dans notre système de droit, fonde aujourd'hui son caractère principal. Le droit ne prend plus d'autres formes que celles de la législation et la réglementation et, celles-ci étant établies en fonction des impératifs judiciaires, le droit ne parvient plus à s'exprimer que par la voie des tribunaux et du procès. C'est la principale caractéristique de notre système de droit.

Il met en scène un certain nombre d'éléments précis caractérisés par la priorité d'un seul ordre juridique, celui de l'État de droit. Cette autonomie des mécanismes normatifs a favorisé la définition de normes extérieures aux individus qui, par conséquent, doivent s'en remettre à des tiers pour leur interprétation. La fonction de ces tiers étant la définition d'une priorité de droit, conduit chaque partie à défendre bec et ongle sa propre interprétation de la norme plutôt que la définition d'une interprétation commune. Aussi, la procédure de règlement des différends est-elle axée sur la défense des intérêts particuliers plutôt que sur la conciliation des parties et met en évidence le caractère extérieur du droit par rapport au citoyen.

Sous-section 3. Conclusion sur la nature de notre système de droit

Chaque société a sa façon particulière de gérer ses normes. Le droit prend ainsi, d'une collectivité à l'autre, des formes différentes. L'anthropologie nous apprend qu'en Extrême-Orient — on pense à la Chine ou au Japon — le recours aux tribunaux et à l'autorité de la loi est une pratique exceptionnelle. On lui préfère de loin la négociation, la conciliation et la médiation. Dans certaines contrées africaines, l'appartenance des individus à la communauté favorise le développement de processus de ritualisation des conflits. Ceux-ci visent à conjurer les tensions nées des rapports

72 . Kelsen, op. cit. (note 24), p. 74. Kelsen souligne également que : « La différence

entre le droit et la morale ... apparaît dans le contenu des propositions qui les décrivent. Dans le domaine du droit, la conséquence imputée à la condition est un acte de contrainte consistant dans le retrait de biens tels que la vie, la liberté ou quelque valeur économique ou autre. Cet acte de contrainte est appelé sanction...». Tiré de Kelsen, op. cit. (note 24), p. 70.

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entre les individus et à contourner les différends de manière à protéger la cohésion du groupe 73.

Les sociétés occidentales ont fait un choix tout différent, fondé sur l'institutionnalisation du droit et sur ce que Norbert Rouland appelle : La soumission. Nous avons en effet confié à l'État « le monopole public de la sanction juridique des litiges » 74. Bien sûr, notre droit remplit les mêmes fonctions qu'ailleurs : il favorise la gestion des conflits, et le règlement des conduites individuelles. Il le fait cependant en imposant une norme unique et un unique système de gestion des différends; un seul mécanisme de sanction des comportements.

À l'origine, le droit est un phénomène social. Dans nos collectivités, il s'est lentement affirmé comme activité autonome. Le droit y est devenu un phénomène juridique. Il se suffit à lui-même. Les normes viennent de l'extérieur de la société civile et sont traitées au sein de mécanismes institutionnels et publics particuliers par des professionnels désignés. L'inflation des lois statutaires et des règlements comme celle des poursuites judiciaires et des procès civils sont des phénomènes intimement liés à cette conception du droit, ou du moins largement associés à une certaine idéologie juridique, fondée sur le droit positif et les institutions judiciaires. Cette conception est dominante en Occident et occulte toute une série de phénomènes et de pratiques différentes. Le système « norme-jugement-sanction-contrainte » est toujours considéré comme le seul à permettre la gestion « efficace » des différends. C'est la base d'une justice formelle qui génère ses propres conditions de reproduction.

Ce que certains appellent « l'inflation de droit » peut cependant prendre au moins deux formes différentes : la juridicisation des rapports sociaux et la judiciarisation que nous allons analyser maintenant.

Section 5. Les problèmes actuels du droit positif Les rapports sociaux ont-ils un sens aujourd'hui au-delà de

celui que leur donne la règle de droit ? C'est une interrogation à laquelle le sociologue et l'anthropologue s'empressent de répondre en réintroduisant la part qui revient au « social ». La question a cependant son sens. Les critiques qu'on adresse au système

73 . Sur ces différentes traditions voir Rouland, op. cit. (note 1), pp. 57-61; et

Rouland, op. cit. (note 2), pp. 63-69. 74 . Rouland, op. cit. (note 2), p. 80.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 39

législatif et réglementaire, les doutes qu'on entretient sur la finalité du système judiciaire sont trop nombreux pour qu'on y prenne pas garde.

Trop de droit, trop de procès ? Est-ce un mal ? Et à quoi avons-nous véritablement affaire ? Peut-on sans autre précaution parler d'une forme d'inflation du droit dans les pays occidentaux ? C'est douteux. En effet, on distingue généralement deux types de problèmes : celui de la juridicisation et celui de la judiciarisation. On entendra ici par juridicisation une « extension du droit et des processus juridiques à un nombre croissant de domaines de la vie économique et sociale » 75. La judiciarisation, pour sa part, concerne surtout cette tendance des justiciables à confier au système judiciaire la gestion de tous leurs différends et le règlement de tous les problèmes sociaux. Ces distinctions ne rendent cependant pas justice à la complexité du phénomène qui s'exprime de différentes façons. Nous les étudierons ici, séparément, avant de réfléchir sur leur portée réelle. Sous-section 1. La juridicisation : l'envahissement législatif et ses

effets immédiats L'inflation législative et l'omniprésence des normes établies

par l'État est un phénomène connu dans tout le monde occidental 76. Ses effets le sont également. La surabondance des législations et des règlements vient souvent générer des effets inverses à ceux recherchés par le législateur. Pour cette raison, la nécessité de réduire la masse des normes étatiques fait à peu près l'unanimité, tant au sein de la droite conservatrice américaine qu'au sein de la nouvelle gauche européenne. Au Québec, le problème a déjà fait l'objet d'une réflexion approfondie. En 1985, on abrogeait ainsi près de 1 500 lois tombées en désuétude, 2 000 articles, 162 préambules, 22 annexes et 9 formules 77. Deux ans plus tard, une initiative du même genre conduisait à l'abrogation de 300 autres

75 . André-Jean Arnaud et Manuel Atienza, « Juridicisation », in : Arnaud et al., op.

cit. (note 36), p. 203. 76 . Céline Weiner en a fait l'étude dans une quinzaine de pays différents. Voir Céline

Weiner, La maîtrise des actes normatifs, Institut international des sciences administratives, 1985 (publié par l'institut d'administration publique de Prague). L'étude est citée par José Woehrling, « La désinflation normative au Québec : rationalisation et maîtrise du processus législatif et réglementaire », in : La Revue juridique Thémis, vol. 22, 1988, pp. 115-138.

77 . L.Q. 1985. c.37. Voir Woehrling, ibid., pp. 136-137.

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lois 78. Ces opérations de dépoussiérage ne règlent cependant pas le problème de la multiplication actuelle des normes sanctionnées. La somme des règlements elle-même a doublé entre 1972 et 1982. La refonte réalisée en 1982 rassemblait 1 881 règlements qui tiennent dans 11 volumes et quelque 9 000 pages (18 000 pages en tenant compte de la version anglaise) 79.

Cependant le véritable problème vient surtout de la méconnaissance qu'ont les citoyens des normes qui les régissent.

Une maxime non écrite, rappelle Jean Carbonnier, veut que nul ne soit censé ignorer la loi et ne soit même admis à prouver qu'en fait il l'a ignorée. Il y a un évident mépris des réalités à exiger ainsi de l'homme qu'il sache, par science infuse, ce que quatre ans de faculté et dix ans de pratique ne suffisent pas à apprendre. 80

Deux siècles avant lui, Jean-Jacques Rousseau écrivait déjà : « tout État où il y a plus de lois que la mémoire de chaque citoyen n'en peut contenir est un État mal constitué » 81. Or, c'est une situation que nous connaissons aujourd'hui et que plusieurs observateurs ont reconnue 82. Vue de près, la réalité apparaît bien sûr plus nuancée. Les études empiriques conduites sur la question révèlent en effet qu'à défaut de connaître l'ensemble des lois en vigueur dans leur propre société, les citoyens connaissent souvent une partie importante des normes qui s'appliquent à leur situation particulière 83. Cette précision étant apportée, il apparaît néanmoins évident que la multiplication des règles particulières qui se sont ajoutées au fur et à mesure que se développaient les lois statutaires, remet concrètement en question l'accessibilité de l'information juridique. La cohérence interne qui donnait son caractère particulier au Code civil s'est lentement perdue dans le flot des

78 . Ibid., p. 137. 79 . Ibid., p. 135. 80 . Jean Carbonnier, Flexible droit, Paris, Librairie générale de droit et

de jurisprudence, 1983, p. 156. 81 . C'est une citation que nous rapporte Norbert Rouland, op. cit. (note 2), p. 59. 82 . Voir notamment ce qu'en dit Guy Rocher, dans une entrevue accordée à la revue

Maîtres. Clément Trudel, « L'accessibilité à la justice », in : Maîtres, vol. 3, n° 10-11, octobre-novembre 1991, p. 6.

83 . Lire à ce sujet l'article de Philippe-Jean Hesse, « Connaissance du droit et communication de masse : Repères historiques », in : Droit et société, n° 16, 1990, pp. 272-273.

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normes spécifiques, et le juriste lui-même ne parvient pas facilement à s'y retrouver.

Par ailleurs, le développement du droit en tant que champ particulier de l'activité humaine — et l'autonomie relative de l'État vis-à-vis de la société civile — a favorisé une lente séparation du droit d'avec les réalités sociales 84. Cette constatation a largement alimenté la critique développée par l'école américaine du réalisme juridique qui proposait déjà, au début du siècle, une adaptation plus grande de la législation et de la jurisprudence aux réalités sociales contemporaines et une approche moins dogmatique du droit 85. Au siècle dernier, l'École du droit historique (d'inspiration germanique), réagissait également — à sa manière — contre une conception trop éthérée et « ahistorique » du droit. Celle-ci domine pourtant encore largement l'enseignement juridique au sein de nos universités. La Théorie pure du droit de Hans Kelsen, dont cet enseignement est inspiré, propose le développement d'une science juridique fondée sur l'imputation (plutôt que la causalité) et sur la séparation stricte des concepts de morale et de droit. Or, cette approche consacre souvent une forme de rupture du droit d'avec le sens commun 86. La législation n'y gagne pas toujours en efficacité comme en fait foi le contournement souvent constaté d'un certain nombre de lois déphasées par rapport à l'état des rapports sociaux : la législation sur l'avortement, la Loi sur les impôts, le Code de la sécurité routière, la Loi sur la sécurité du revenu, etc. 87.

84 . Il s'agit déjà d'un problème ancien. Niklas Luhmann parle plutôt pour sa part des

dimensions « auto-poiétique » et « auto-référentielle » du système juridique qui tendent à favoriser sa reproduction. Niklas Luhmann, « Le droit comme système social », in : Droit et Société, n° 11-12, 1989, pp. 53-67. Voir également André-Jean Arnaud, « Le droit, un ensemble peu convivial », in : Droit et Société, n° 11-12, 1989, p. 88. Et pour de plus amples références : Pierre Noreau, « Droit et sociologie : pour une approche globale du droit — Contribution à la définition du concept de droit préventif », in : La Revue du notariat, vol. 94, n° 7-8, mars-avril 1992, pp. 417-418.

85 . On retrouve notamment ici les contributions de K.L. Llewellyn, Thurman Arnorld et Roscoe Pound. Voir à ce propos : Stuart Henry, Private Justice : Towards Integrated Theorising in the Sociology of Law, London, Routledge & Kegan Paul, 1983, pp. 34 ss. Voir également Françoise Michaut, « Sociological Jurisprudence », in : Arnaud et al., op cit. (note 36), pp. 379-382 et, dans le même dictionnaire, la rubrique « Réalisme juridique américain » également de Françoise Michaut, pp. 341-343.

86 . Kelsen, op. cit. (note 24). 87 . Loi sur les impôts, L.R.Q., c. 1-3; Code de la sécurité routière, L.R.Q., c. C-24.2;

Loi sur la sécurité du revenu, L.R.Q., c.S-3.1.1. Pierre Rosanvallon nous rappelle qu'il s'agit là de problèmes également connus en Europe, notamment dans le domaine du travail. Voir Pierre Rosanvallon, Misère de l'économie, Paris, Seuil, 1983, pp. 35-37.

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Associée à ce phénomène, l'imperméabilité du langage juridique s'est imposée comme une conséquence du processus de spécialisation et de professionnalisation du droit. L'utilisation de formulaires types pour les fins de la procédure est en partie venue accentuer cette tendance en l'inscrivant dans la pratique quotidienne du droit 88. L'utilisation de ce langage technique dans les documents et avis que l'État expédie à ses citoyens le mystifie plus souvent qu'il ne l'informe. Tout cela rend plutôt « théorique » le principe proclamant le caractère public de la législation. L'intelligibilité de la règle de droit est affectée à cet endroit même où le praticien puise la preuve de sa légitimité...

L'expansion de la juridicisation prend cependant sa forme la plus évidente dans l'envahissement graduel de champs de l'activité sociale qui avaient été délaissés jusque-là par le législateur. Le pro-blème vient de ce que « la règle de droit peut s'approprier n'importe quelle autre règle sociale, alors que l'inverse n'est pas vrai » 89. Aussi allons-nous vers toujours plus de droit. Les questions de transport ferroviaire et de prohibition ont fait place aux problèmes de bioéthique et d'environnement. Parallèlement, on a eu tendance à multiplier les règles particulières. À l'origine, la loi qui, au sein des sociétés libérales, devait être caractérisée par ses orientations fonctionnelles, visait moins le respect de comportements prédéfinis, que l'établissement d'un certain nombre de balises au-delà desquelles le citoyen devait faire ses propres choix 90. Il est difficile d'affirmer qu'une telle loi ait jamais existé dans sa forme pure. Cela dit, il apparaît de plus en plus évident aujourd'hui que la législation et la réglementation tendent à devenir plus prescriptives que restrictives. Elles commandent davantage qu'elles n'incitent, et consacrent davantage d'injonctions que d'interdictions 91.

88 . Lire à ce propos : Jean-Claude Gemar, « La linguistique du législateur ? », in :

Revue générale de droit, vol. 22, 1991, pp. 664-665. 89 . Rouland, op. cit. (note 2), p. 57. Voir également par rapport au processus

d'étatisation du droit : Jean-Guy Belley, « L'État et la régulation juridique des sociétés globales : Pour une problématique du pluralisme juridique », in : Sociologie et société, vol. 18, n° 1, avril 1986, p. 28.

90 . Voir à ce sujet Manent, op. cit. (note 13), pp. 76-77. Voir également sur la pensée juridique de Von Hayek : Philippe Nemo, La société de droit selon F.A. Hayek, Paris, PUF, 1988, pp. 99, 101, 102 et 129. Voir également à partir du concept de fonction sociale du droit, Vincenzo Ferrari, « Fonction du droit », in : Arnaud et al., op. cit. (note 36), p. 162.

91 . Voir à ce propos : Carbonnier, op. cit. (note 80), pp. 156 et 158-159. Voir également à ce propos : Jacques Chevallier, « L'ordre juridique », in : Jacques Chevalier et al., Le Droit en Procès, (publication du Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie), Paris, PUF, 1984, pp. 28-29.

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Finalement, la multiplication des législations et des règlements favorise la définition de normes souvent contradictoires. Aussi, l'ordre social recherché par le législateur, qui devait trouver sa traduction juridique dans la suite hiérarchisée des normes étatiques, est parfois compromis 92, et on est ainsi souvent confronté à une situation de désordre juridique 93. C'est un phénomène que Carbonnier appelle « l'autoneutralisation du droit » 94. Mais il s'agit d'un problème déjà ancien, dont le Juge en chef de la Cour du Magistrat et Doyen de la faculté de droit de l'Université Laval, se plaignait dès 1939 95.

Sous-section 2. La judiciarisation : le litige comme tendance lourde

L'inflation judiciaire s'exprime pour sa part dans l'augmentation continue du recours aux tribunaux pour le règlement des différends nés au sein de la société civile.

Jusqu'à tout récemment, souligne Gary Caldwell, le pouvoir du contrôle social, que ce soit à travers les familles ou les institutions dominantes, était suffisant comme arbitre dans les mésententes entre individus ou entre individus et institutions. Pour des raisons qui ne sont sans doute pas étrangères à l'effervescence des droits individuels, à la prolifération de la réglementation et à une présence accrue des avocats, on a de plus

92 . Sur cette conception de la loi comme système de normes hiérarchisées voir :

Kelsen, op. cit. (note 24); et Weber, op. cit. (note 38), p. 41. Ce dernier souligne notamment : « Suivant nos habitudes de pensée actuelles, elle (la systématisation) signifie une mise en relation de toutes les 'prescriptions juridiques' élaborées par l'analyse de telle façon qu'elles forment entre elles un système logiquement clair, ne se contredisent pas et avant tout, en principe, (sont) sans lacune ».

93 . Dans le même sens, Simone Weil définissait l'ordre comme : « Un tissu de relations sociales tel que nul ne soit contraint de violer des obligations rigoureuses pour exécuter d'autres obligations ». Simone Weil, L'enracinement, Paris, Gallimard (coll. Espoir), 1949, p. 15.

94 . Jean Carbonnier, « L'hypothèse du non-droit », in : Archives de philosophie du droit, 1963, pp. 59-60.

95 . Voir Ferdinand Roy, L'Action catholique, 14 février 1939.

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en plus recours au droit et aux avocats comme intermédiaires et comme arbitres. 96

Cette tendance lourde est elle-même alimentée par la confiance que les citoyens accordent au système judiciaire 97. Elle conduit à ce que le Protecteur du citoyen appelle «l'inflation contentieuse» 98. Cette situation a pour conséquence première de provoquer l'engorgement des rôles et la paralysie partielle du système judiciaire.

Au niveau des instances pénales et criminelles, la chose s'explique par l'augmentation des crimes contre les personnes et contre la propriété. Au Québec seulement, 524 725 crimes ont été déclarés à la police en 1990. Ils ne représentent pourtant que 50 % des crimes effectivement commis 99. Aussi, en Chambre criminelle de la Cour du Québec, on a constaté une augmentation de 38.6 % du nombre des causes inscrites au rôle depuis quatre ans. En 1990, le délai de fixation d'une cause pour procès pouvait s'étendre jusqu'à six mois 100. En matière pénale, des délais comparables ont été enregistrés.

Il en va cependant de même au niveau des tribunaux civils. En 1991, certains justiciables avaient dû attendre jusqu'à 18 mois avant de voir leur cause traitée par la Cour du Québec. D'autres ont patienté près de 12 mois avant de voir leur cause inscrite au rôle de la Cour supérieure. Si les « délais moyens » sont moins inquiétants (7,9 mois à la Cour provinciale et 6,5 à la Cour supérieure) ils restent cependant importants 101. Des problèmes d'engorgement équivalents sont rencontrés par les tribunaux administratifs. Ainsi, à la Commission d'appel en matière de lésion

96 . Gary Caldwell, « Normes de conduite », in : Simon Langlois et al., La société

québécoise en tendances 1960-1990, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1990, p. 277.

97 . Jean-Paul Baillargeon, « Confiance dans les institutions », in : Langlois et al., op. cit. (note 96), pp. 405 et 409.

98 . Cité par Trudel, loc. cit. (note 82), p. 6. 99 . Voir Québec, Le traitement des victimes et des témoins (document de consultation

1.3 préparé en vue du Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, 1991, p. 1. Comme le souligne Jean-Paul Baillargeon dans une perspective plus étendue : « Selon les statistiques officielles disponibles, la criminalité des adultes a connu un accroissement marqué entre 1962 et 1988. Elle a crû de 3,5 fois par 100 000 habitants, passant de 2 056 à 7 228 ». Tiré de Jean-Paul Baillargeon, « Délinquance », in : Langlois et al., op. cit. (note 96), p. 591.

100 . Chiffres tirés de : Québec, Le fonctionnement du processus judiciaire (document de consultation 3.2 préparé en vue du Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, 1991, p. 7.

101 . Ibid., p. 8.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 45

corporelle, on aura reçu, pour l'année 1989-1990, 8 000 demandes de révision alors qu'on en prévoyait 2 000 102. Évidemment, certaines pratiques viennent artificiellement gonfler ces chiffres. Ainsi, les « demandes de remise » — pratique qui vise à repousser à une date ultérieure la tenue d'une audition pour procès — contribuent à l'encombrement des rôles; elles augmentent significativement les délais d'audition et constituent, pour une multitude d'intervenants, une véritable perte de temps 103. C'est cependant l'augmentation du nombre des conflits judiciarisés qui semble constituer la principale cause d'encombrement judiciaire.

Les délais provoqués par l'encombrement des rôles génèrent eux-mêmes toute une série de phénomènes connexes. Ainsi, l'accroissement significatif des délais d'audition à la Cour d'appel a favorisé la multiplication d'appels de nature dilatoire qui n'ont d'autres buts que d'imposer un veto suspensif à l'application des décisions du tribunal de première instance. En contrepartie, la congestion des rôles de la Cour d'appel incite les juges à agir d'abord en révision des décisions de première instance plutôt qu'en interprétation de la règle de droit 104. On assiste ainsi à une forme d'appauvrissement de la pratique juridique.

D'autres réalités sont associées au phénomène d'accroissement des conflits judiciaires. En effet, la judiciarisation est également accompagnée d'une augmentation du nombre des juristes. Patrice Garant rappelle ainsi que : « au Québec, entre 1982 et 1987, leur nombre est passé de 11 161 à 15 771, soit une augmentation de 41 % : il y a ainsi un juriste (avocat ou notaire) pour 424 citoyens, ce qui constitue une des plus forte moyenne au monde » 105. À l'inverse, la Chine compte 5 000 juristes pour plus de un milliard d'habitants, et — dans des proportions différentes mais comparables — on retrouve les mêmes tendances au Japon 106...

102 . Ibid., p. 9. 103 . Ibid., p. 11. 104. Québec, La juridiction des tribunaux et la procédure applicable devant eux : État

de la situation (Document de consultation 3.3 préparé en vue du Sommet de la Justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, 1991, pp. 9-10.

105 . Tiré de Patrice Garant, « Le prétoire en folie », in : Contact, vol. 5, n° 3, printemps/été 1991, p. 37.

106 . Rouland, op. cit. (note 2), p. 69.

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Au Québec, le phénomène de la judiciarisation a ironiquement trouvé des formes d'expression nouvelles dans la foulée du mouvement d'accès à la justice. En effet, la multiplication des instances spécialisées (tribunaux administratifs, Régie du logement, Petites créances) et le développement de formules juridiques innovatrices — comme le recours collectif — n'ont pas seulement facilité l'exercice de droits reconnus par la législation. Dans beaucoup de cas, en effet, la judiciarisation est apparue comme le seul processus d'expression légitime des différends. La disponibilité de ressources juridiques nouvelles a dispensé le justiciable d'avoir à chercher ailleurs des formes non contentieuses de gestion de ses conflits 107. La judiciarisation est devenue la première des hypothèses envisagées au moment où surgit un différend et le citoyen a eu de plus en plus tendance à associer, comme par automatisme, l'idée de droit et l'idée de litige 108.

Les tribunaux quasi judiciaires mis sur pied au cours des vingt dernières années étaient caractérisés par la souplesse de leurs procédures et la spécialisation de leur champ d'intervention. En quête de légitimité, ils ont néanmoins fini par reproduire le formalisme des tribunaux civils et se sont institutionnalisés 109. Traversé par les conflits de compétences, le réseau des tribunaux administratifs est aujourd'hui devenu un véritable labyrinthe 110.

La pratique du recours collectif n'a pas toujours apporté les résultats qu'on attendait d'elle, comme en fait foi l'issue récente du dossier de la MIUF. En fait, dans beaucoup de cas, le recours collectif a servi à transposer au niveau judiciaire des conflits d'ordre essentiellement politique, en déformant la nature des problèmes collectifs 111. En contrepartie, le tribunal est devenu une arène politique. De façon à peine différente, la multiplication des

107 . Voir A.T. Turk, « Law as Weapon in Social Conflit », in C.E. Reasons et R.M.

Rich, The Sociology of Law : A Conflict Perspective, Toronto, Butterworth, 1978, p. 224.

108 . Voir l'entrevue donnée par Guy Rocher à Trudel, loc. cit. (note 82), p. 8. 109 . Voir Rosalie Silberman Abella, « Canadian Administrative Tribunals : Toward

Judicialisation or Dejudicialisation ? », in : Canadian Journal of Administrative Law & Practice, vol. 2, n° 1, 1989.

110 . Voir à ce propos l'entrevue accordée par Rod Macdonald dans : Clément Trudel, « Le Sommet de la justice : Une responsabilité à partager », in : Maîtres, numéro spécial sur le Sommet de la justice, 1992, p. VI.

111 . Ce fut notamment le cas dans le dossier de la parité de l'aide sociale pour les prestataires de moins de 30 ans.

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DROIT ET SOCIETE : LE DROIT DANS LA SOCIETE OCCIDENTALE 47

griefs a souvent — dans le monde du travail — conduit à des résultats équivalents 112.

Le réflexe judiciaire a finalement favorisé le développement d'une industrie florissante. Réalisant l'augmentation accélérée des dommages exigés dans les cas de responsabilité civile et les coûts associés à une poursuite en justice, les compagnies d'assurance n'ont pas tardé à réagir et offrent aujourd'hui de tout nouveaux « produits ». Parmi ceux-ci, les assurances dites de Protection juridique consacrent l'existence d'un risque nouveau : celui d'être poursuivi en justice ou de devoir poursuivre quelqu'un... La publicité est éloquente :

La PROTECTION JURIDIQUE, en complément à votre police d'assurance habitation, c'est, sans contredit, le meilleur moyen de faire valoir vos droits sans avoir à en supporter tous les frais 113; Personne ne peut prévoir le prochain litige qui l'amènera, bon gré mal gré, vers une dispute légale. Mais pour faire face aux frais juridiques, chacun peut s'offrir une assurance individuelle et une incroyable protection pour les cas les plus divers à un coût mensuel vraiment abordable 114.

On peut évidemment se demander si la multiplication de ces programmes d'assurances ne risque pas de favoriser elle-même la traduction judiciaire de tous nos différends. Elle est surtout révélatrice de cette tendance de plus en plus poussée des « citoyens » de se transformer en « justiciables » dès lors que survient un problème.

Le réflexe judiciaire a également favorisé le développement des assurances professionnelles. C'est notamment le cas au sein des professionnels de la santé qui en viennent à éviter l'exécution de certains actes médicaux — plus difficiles à réaliser — du fait des risques de représailles judiciaires qu'ils encourent. Dans le secteur municipal, la multiplication des poursuites contre les petites municipalités et l'augmentation fantastique du coût des primes d'assurance en responsabilité a conduit celles-ci à mettre sur pied leur propre système d'assurance.

112 . Voir Guy Fréchet, « Arbitrage », in : Langlois et al., op. cit. (note 96), p. 375. 113 . La Capitale, Parce que nous croyons à l'égalité..., Encart publicitaire, 1992. 114 . Corporation d'avantages juridiques, Nous payons la note..., Annonce publicitaire,

1992.

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Tous ces épiphénomènes sont les indicateurs d'un fait culturel nouveau qui entraîne également des effets sur la pratique du droit. Car avec la spécialisation croissante du domaine juridique, on assiste également à la spécialisation de la profession juridique. L'incapacité des juristes à couvrir la totalité de leur propre domaine de pratique, les force à s'associer à des équipes toujours plus importantes. La profession prend ainsi des dimensions plus techniques et la professionnalisation vient considérablement modifier la nature des rapports qui existaient jusque-là entre le praticien et son « client ». Elle favorise une forme d'appropriation du droit par ceux qui en ont fait leur profession et cet état de fait provoque une forme de rupture entre la réalité du système judiciaire et les attentes intuitives du citoyen. Aussi, des pratiques devenues courantes, comme la négociation de plaidoyers de culpabilité (plea bargaining ), ne font pas toujours l'unanimité et jettent le discrédit sur le système judiciaire.

La judiciarisation des différends présente finalement une dernière difficulté : elle augmente significativement les coûts de « la justice ». Ainsi, pour l'année 1986-1987, le budget du ministère de la Justice du Québec s'élevait à 326 millions de dollars. Il était de 459,8 millions pour l'année 1991-1992, ce qui représente une augmentation de 41 % en 5 ans 115. Ces chiffres ne tiennent cependant pas compte des budgets que le ministère fédéral de la Justice consacre aux services offerts au Québec (93,5 millions de dollars), ni des budgets du ministère de la Sécurité publique (820,4 millions de dollars), ni des coûts de la police municipale (663 millions de dollars en 1989), ni des dépenses du ministère du Solliciteur général du Canada pour les services correctionnels (447 millions de dollars), ni des honoraires accordés aux professionnels du droit (environ 880 millions de dollars pour 1990-1991), etc. Comptabilisées entièrement, ces dépenses publiques et privées s'élèveraient ainsi à près de 3,5 milliards de dollars par année... 116

115 . Ces données sont tirées de Québec, Les aspects économiques de la justice pour le

citoyen (document de consultation 1.32 préparé en vue du Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, 1991, p. 5.

116 . Ibid., pp. 6-10. Ces données ont elles-mêmes été tirées de sources et publications assez diverses : le bulletin Juristat, du Centre canadien de la statistique juridique, Le document de travail numéro 1 de la Commission sur l'avenir politique et constitutionnel du Québec, les données fournies par Revenu Canada, etc.

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Le ministère de la Justice souligne évidemment le caractère approximatif de certaines de ces données. Elles doivent par conséquent être analysées avec prudence. Ces chiffres fournissent tout de même un ordre de grandeur qui laisse songeur, encore qu'il ne constitue qu'un indicateur, parmi d'autres, de notre mode de vie. Sous-section 3. Au-delà de la juridicisation et de la

judiciarisation : un ensemble de problèmes nouveaux

Ce que les processus de juridicisation et de judiciarisation révèlent en effet de plus fondamental, c'est la modification des rapports existant entre le droit positif et la société.

La juridicisation ne favorise pas seulement l'envahissement législatif, elle implique une forme de clientélisation du citoyen. En multipliant les catégories de justiciables, elle produit une cristallisation des rôles et des statuts sociaux et atténue le caractère social, — sinon humain — de toute une série de problèmes concrets. Les pauvres sont devenus des assistés sociaux; les chômeurs, des prestataires de l'assurance-chômage. La structure familiale a été remplacée par le « ménage », catégorie statique/statistique qui tend à niveler une réalité de plus en plus complexe et diversifiée. Une partie de ces phénomènes trouvent leur explication dans les théories sur le contrôle technocratique 117 et dans toute une série de réflexions nouvelles sur l'État et la régulation sociale 118. Il est en effet vraisemblable —encore que le processus soit complexe — qu'en « déresponsabilisant » le citoyen, on ait favorisé l'accroissement du contrôle social et l'emprise du pouvoir politique sur la société civile, si bien qu'il devient difficile de distinguer les limites respectives de l'État et de la société.

Le phénomène lui-même prend souvent des formes imprévues. La législation, en tant que moyen privilégié par l'État pour orienter les comportements individuels, régler les conflits, légitimer et organiser son propre pouvoir ou orienter la société vers quelque but

117 . C'est notamment là le point de vue des sociologues spécialisés dans l'étude des

mouvements sociaux : Alain Touraine, Alberto Melucci et Claus Offe. 118 . Habermas parlait lui-même de Legal colonization of the social life. Voir à ce

sujet : Ulrich K. Preuss, « The Concept of Rights and the Welfare State », in : Gunther Teubner, Dilemmas of Law in the Welfare State, Berlin/New York, Walter de Gruyter/Institut Universitaire européen, 1986, pp. 151-152.

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utilitaire, devient souvent l'outil de fins inattendues. La chose apparaît avec plus d'évidence lorsque la loi devient une source de financement gouvernementale. Il s'agit cependant d'une tentation ancienne. Norbert Rouland rappelait dernièrement, que « sous l'Ancien Régime, les besoins de la Marine en rameurs sont tels que plusieurs édits durcissent les peines, non pour accentuer la répression de délits punissables par les galères, mais pour assurer les effectifs de la chiourme » 119.

Autre temps autres mœurs, certains contribuables ont parfois le sentiment que le même détournement de sens se rencontre aujourd'hui. Plusieurs ont ainsi été surpris de constater la tendance des autorités municipales à resserrer la réglementation en matière de stationnement automobile, au fur et à mesure que s'exécutait le transfert de certains champs de juridiction du domaine provincial au domaine municipal... Mais ils réagissaient sans doute trop promptement à une simple coïncidence...

Le problème prend cependant des formes plus concrètes lorsque la législation vient à imposer au citoyen des rôles antagonistes. Le cas, maintes fois cité, de l'ancienne loi sur le divorce est devenu l'exemple type d'un phénomène plus courant qu'on ne le croit. Même dans le cas où les conjoints s'entendaient pour reconnaître mutuellement la simple faillite du couple, la législation forçait la désignation d'un fautif. Le divorce se devait d'être prononcé contre quelqu'un.

La judiciarisation des différends implique souvent, en effet, une déformation des conflits nés à l'occasion des rapports quotidiens. Elle favorise une réinterprétation du rôle des individus ou des groupes qui y sont engagés. Cet état de fait semble à la fois lié à l'imposition de rôles concurrents et à l'imposition de modes de règlements fondés sur la polarisation des parties (le procès). Ainsi, en banlieue, un problème sur la forme de la clôture devient rapidement une action en bornage; une chicane entre enfants, une poursuite en dommage; un préjugé, un manque de savoir vivre ou une grossièreté : une plainte en vertu de la Charte des droits. Le problème vient en partie de ce que la loi impose un nombre limité de catégories juridiques. Celles-ci permettent le traitement judiciaire du problème et favorisent la tenue d'un débat contradictoire, mais viennent souvent appauvrir la nature des rapports interindividuels. Dans beaucoup de cas, le processus

119 . Voir Rouland, op. cit. (note 2), p. 58.

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juridique déforme le sens même du litige. Il force une amplification et une dramatisation du problème des parties. Nos systèmes de justice n'offrent qu'un seul mode pour l'expression des différends : le procès. Le principe de l'adjudication, qui consacre la priorité d'une prétention sur l'autre, ne se plie pas facilement à la complexité des relations vécues par les parties. Le précodage des normes juridiques fait porter le débat sur des dimensions parfois accessoires au fond du problème. Aussi, le règlement judiciaire des différends laisse souvent les parties insatisfaites. Le jugement, prononcé sur la base de considérations étrangères à celles qui avaient présidé à son développement, ramène les parties à elles-mêmes. Le problème est d'autant plus important que le conflit judiciaire met régulièrement en présence des personnes contraintes à une certaine cohabitation : voisins, conjoints, associés de la même entreprise, parents des mêmes enfants, collègues de bureau. Quelques milliers de dollars plus tard, tous gardent du processus un souvenir amer et n'ont souvent d'autre choix que de rompre une relation qu'ils auraient eu avantage à poursuivre sur des bases différentes. Dans la plupart des cas, leur conflit se poursuit au contraire sous d'autres formes. L'institutionnalisation forcée du différend et du règlement trouve son sens dans un cadre où les dossiers se portent souvent mieux que les justiciables.

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CHAPITRE 2

LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF

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Section 1. L'inflation de droit, de recours et de pourvois : une maladie... un symptôme ?

Le droit a pris une place croissante dans nos sociétés. Il constitue un champ particulier de l'activité humaine; une œuvre de civilisation. Lentement, il s'est vu attribué un espace d'expression autonome au sein des institutions élues et des cours de justice. Cette distanciation a, d'une certaine façon, contribué à augmenter le prestige du droit et celui de « la profession ». Ce prestige a toutefois été acquis au prix d'une forme de mystification du citoyen, fasciné, comme le sont tous les profanes, par la ritualisation du processus judiciaire et la technicité de la législation et de la réglementation contemporaines 1. Dans nos facultés de droit, cette approche technicienne a largement été entretenue, et ce n'est que très récemment qu'on a pu réintroduire, dans le cursus de certaines facultés, les cours de philosophie et d'histoire qu'on avait abandonnés au cours des années soixante 2. On y a aussi ajouté des cours de sociologie et d'économie.

Le droit est néanmoins devenu une affaire de spécialistes et la segmentation des champs de pratique rend de plus en plus difficile la définition de ce que Montesquieu appelait, en son temps, L'Esprit des lois. Cet état de fait est périodiquement rappelé par les analystes les plus écoutés 3.

L'inflation législative et réglementaire et la multiplication du recours à l'arbitrage des tribunaux — la « juridicisation » et la « judiciarisation » des rapports sociaux — ont également fait

1 . On n'a, pour s'en convaincre, qu'à constater le succès des séries télévisées à saveur

juridique comme La Loi de Los Angeles ou Perry Mason. 2 . Voir à ce propos Jean-Guy Belley, « Les facultés de droit et l'accès à la justice au

Québec », in : Québec, La responsabilité partagée à l'égard de la justice : L'état de la situation (document de consultation 1.1 pour le Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, octobre 1991, annexe IV; et Ejan Mackaay, « L'ordre spontané comme fondement du droit : un survol des modèles d'émergence des règles dans une communauté civile », in : Revue Juridique Thémis, vol. 22, 1988, p. 349. C'est également une tendance dont le sociologue allemand Max Weber se plaint lui-même au début du siècle. Max Weber, Sociologie du droit, Paris, PUF (coll. Recherches politiques), 1986, pp. 228 et 234.

3 . Voir Jacques Grand'Maison, De quel droit ?, Montréal, Leméac, 1980; et Jacques Dufresne, Le procès du droit, Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1987. Lire également l'entrevue accordée par Guy Rocher à Clément Trudel, « L'accessibilité à la justice », in : Maîtres, vol. 3, n° 10-11, octobre-novembre 1991, pp. 5-11.

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56 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

l'objet de critiques sévères. Certains se sont inquiétés des coûts financiers engendrés par le phénomène 4. D'autres se sont penchés sur le hiatus qui subsiste souvent entre les intentions du législateur et les conséquences judiciaires de ses décisions. « L'inflation normative » semble souvent générer des effets imprévus, sinon opposés à ceux recherchés par les autorités politiques 5. D'autres encore, plus philosophes, ont réfléchi sur ce que l'envahissement judiciaire de la vie collective nous révélait de nous-mêmes. Vivrions-nous dans une société du conflit 6 ?

Une société malade de son droit ? La question devait-elle se poser ainsi et la chose était-elle prévisible ? La loi et la justice ont peut-être été trop mécaniquement considérées comme les causes premières d'un mal dont elles ne sont qu'un symptôme. Et les coupables ont peut-être été trop rapidement désignés. Les juristes qui vivent du contentieux ne peuvent tout de même pas être accusé d'avoir provoqué tous les litiges dans lesquels ils se trouvent engagés. En contrepartie, l'inflation législative n'implique pas nécessairement l'inflation des litiges. En France, les lois sont plutôt nombreuses, mais les poursuites judiciaires sont moins fréquentes qu'aux États-Unis où le législateur est plus discret 7.

4 . Voir Patrice Garant, « Le prétoire en folie », in : Contact, vol. 5, n° 3, printemps-

été 1991, p. 37 et Québec, Les aspects économiques de la justice pour le citoyen (document de consultation 1.2 préparé pour le Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, octobre 1991, 28 pages.

5 . Voir José Woehrling, « La désinflation normative au Québec, rationalisation et maîtrise du processus législatif et réglementaire », in : Revue Juridique Thémis, vol. 22, 1988, p. 115, mais également M. Van de Kerchove et F. Ost dans un ouvrage édité en 1988 et commenté par Guy Rocher, « Le système juridique entre ordre et désordre », in : Les Cahiers de droit, vol. 30, n° 1, 1989, pp. 275-277.

6 . Jetho K. Lieberman, The Litigious Society, New York, Basic Book Pub., 1981, 203 pages.

7 . Jacques Dufresne, « Réflexion sur la judiciarisation », in : Québec, La responsabilité partagée à l'égard de la justice : L'état de la situation (document de consultation 1.1, préparé pour le Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, octobre 1991, annexe I, p. 2. Laurent Cohen-Tanugi voit dans cet état de fait, l'expression de la supériorité du système américain sur le système français. Cela dit, vu de plus près, le remplacement du phénomène de la juridicisation par celui de la judiciarisation ne constitue qu'un déplacement du problème. Voir Laurent Cohen-Tanugi, Le droit sans l'État, Paris, PUF (coll. Quadrige), 1985, 106 pages.

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Il existe vraisemblablement un lien entre la « juridicisation » et la « judiciarisation », mais il trouve apparemment son sens dans le cadre de phénomènes sociaux plus vastes et plus complexes. D'où vient que le droit et la justice aient pris tant de place ? Les hypothèses varient à l'infini. Une première série d'explications favorise une approche phénoménologique du problème. L'inflation de droit et de litiges serait le produit de processus autogénérés dans les institutions législatives et judiciaires. Ainsi, certains auteurs voient l'origine du problème de la judiciarisation au sein même des cours de justice et associent l'ensemble du phénomène à la surenchère des dommages et intérêts imposés — notamment — en matière de responsabilité civile 8. D'autres font remonter le problème jusqu'au pouvoir législatif et voient dans l'accroissement du nombre des législations et des règlements une réponse instinctive au besoin du législateur et du pouvoir exécutif de justifier leur raison d'être 9. D'autres y voient plutôt un effet inévitable du processus d'unification juridique entrepris avec le développement de l'État moderne. L'inflation de droit serait ainsi un processus généré par l'évolution des institutions politiques occidentales 10. Cette thèse ne fait cependant pas non plus l'unanimité et d'autres attribuent l'envahissement du droit à l'avènement d'un type d'État très particulier : l'État-providence. L'inflation législative et judiciaire s'expliquerait dès lors par l'effet domino qui accompagne inévitablement la succession des législations sociales qui se justifient en cascade, les unes après les autres 11.

8 . C'est notamment le cas dans le domaine médical et hospitalier. C'est également le

cas en matière de responsabilité dans le domaine municipal. Voir Dufresne, op. cit. (note 3), pp. 22-24 et 92-98.

9 . Cette tendance serait elle-même renforcée et justifiée, philosophiquement, par la distinction kantienne entre morale et légalité. Voir U.K Preuss, « The concept of Rights and the Welfare State », in : G. Teubner, Dilemmas of Law in the Welfare State, Berlin, New York, Walter de Gruyter, 1986, p. 155. Voir également : Guy Giroux, « La responsabilité à l'égard de la justice », in : Québec, La responsabilité partagée à l'égard de la justice : L'état de la situation (document de consultation 1.1, préparé pour le Sommet de la justice 1992), Ste-Foy, ministère de la Justice, octobre 1991, annexe II, p. 13.

10 . Jacques Chevallier, « L'ordre juridique », in : Jacques Chevallier et al., Le droit en procès (Ouvrage collectif du Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie), Paris, PUF, 1984, p. 45. D'autres auteurs attribuent cette évolution au processus inverse, l'État apparaissant comme une conséquence de la place plus grande prise par le droit et la codification. Norbert Rouland, L'anthropologie juridique, Paris, PUF (coll. Que sais-je ?), 1990, p. 48.

11 . « Il s'agit de ce processus particulier par lequel à partir d'une loi particulière tout à fait désirable (exemple : l'établissement de l'Assurance maladie) on vient à justifier toute une série de lois d'empêchement visant à donner à cette première loi toute sa portée (exemple : le port obligatoire de la ceinture de sécurité, l'interdiction des annonces publicitaires favorisant le tabagisme, etc.) ». Pierre Noreau, « Droit et sociologie : pour une approche globale du droit —

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58 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

Adoptant une conception plus large des choses, plusieurs observateurs ont plutôt vu, dans l'inflation législative et judiciaire, l'expression d'une mutation d'ordre culturel. Gary Caldwell interprète ainsi l'adoption et l'utilisation juridique des chartes garantissant les droits et libertés de la personne comme la consé-quence d'une « américanisation » susceptible de provoquer une « érosion de nos bases culturelles et de l'efficacité de nos institutions juridiques » 12. Dans le même sens, Simon Langlois voit dans l'attachement croissant des Québécois au principe des droits fondamentaux la conséquence d'une mutation culturelle importante fondée sur le développement de l'individualité. L'inflation judiciaire devient dès lors une des expressions possibles de l'individualisme 13. Sous un angle différent, mais complémentaire, Jacques Dufresne associe le développement accéléré du droit à l'affaiblissement des repères normatifs qu'offraient, autrefois, la communauté et la morale 14.

L'inflation du droit et de la justice est-elle le produit de l'évolution lente des institutions politiques et judiciaires ou la conséquence d'une mutation culturelle profonde? Il n'est pas certain qu'on puisse séparer les deux phénomènes. En effet, il s'agit sans doute là de processus liés. L'État et le droit prennent d'autant plus de place que les citoyens le demandent. « L'inflation juridique, souligne Jean-Luc Pépin, suit directement la croissance de l'interventionnisme gouvernemental, lequel suit directement les inlassables demandes de la population » 15.

Contribution à la définition du concept de droit préventif », in : La Revue du Notariat, vol. 94, n° 7-8, mars-avril 1992, p. 417, note infra-paginale numéro 10.

12 . Tiré de Dufresne, op. cit. (note 3), p. 86. Robert Vandycke, dans une perspective assez semblable à celle de Caldwell, décortique le processus par lequel l'évolution des pratiques juridiques fondées sur la Charte de 1982 favorise la judiciarisation des rapports sociaux et le développement de la justice formelle au détriment du travail législatif et du parlement élu. Voir Robert Vandycke, « L'activisme juridique et les droits de la personne : émergence d'un nouveau savoir-pouvoir ? », in : Les Cahiers de droit, vol. 30, n° 4, décembre 1989, pp. 927-951.

13 . Simon Langlois, « Des valeurs pour une société nouvelle ? », in : L'Action Nationale, vol. 80, n° 7, juin 1990, p. 933.

14 . Dufresne, op. cit. (note 3), p. 75 et 89. 15 . Jean-Luc Pépin cité par J. Dufresne, op. cit. (note 3), p. 11.

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Plus finement, certains auteurs européens ont voulu comprendre par quel paradoxe étrange la montée de l'individualisme pouvait favoriser une augmentation de la demande d'État. Michel Foucault prétend pour sa part qu'il s'agit là de tendances complémentaires. La société libérale qui, d'un côté, reconnaît le principe de la liberté individuelle, fait reposer, de l'autre, la légitimité du pouvoir politique sur l'unité de la Nation. Cette ambiguïté met l'État dans une position singulière. Pour contourner cette opposition des principes de liberté individuelle et d'unité de la Nation, les autorités politiques n'ont d'autre choix que de forcer la cohésion des citoyens. Cette intervention n'est possible que par le biais du droit. L'individualité devient dès lors une des causes de l'inflation législative. Elle force le développement de ce que Foucault appelle la « gouvernementalité » 16.

Pierre Rosanvallon présente également le développement du Droit comme la conséquence normale de l'individualisme. Mais pour Rosanvallon, si le Droit prend tant de place aujourd'hui, c'est que la montée de l'individualisme est venu briser les anciennes expressions de la solidarité collective. Cette situation a favorisé l'atomisation des individus et l'affaiblissement du lien social. C'est cette situation qui a forcé l'État à intervenir en imposant des mécanismes de partage et d'intégration formalisés; ce serait la raison d'être de l'État-providence et de l'inflation législative 17.

Cela dit, ces phénomènes eux-mêmes ne trouvent-ils pas leur origine dans des mouvements historiques plus anciens ? C'est là le point de vue des premiers sociologues. Mais chacun a son explication. Émile Durkheim (1893), voit l'origine de cette

16 . Voir à ce propos le texte de Anne Barron, « Discours juridique et colonisation du

moi dans l'État moderne », in : Droit et Société, n° 13, 1989, pp. 360-361. Elle y souligne que : «En intervenant matériellement dans les vies individuelles par le déploiement de tout un ensemble de techniques disciplinaires, l'État a créé les conditions de sa propre existence, la cohésion du corps social. Ainsi, « la gouvernementalité de l'État est ... ce qui a permis à l'État de survivre ». Cette conception des choses est à la base d'une réflexion plus large sur la domination de l'État que d'autres auteurs associent au développement de la « technocratie ». Voir Alain Touraine, Sociologie de l'action, Paris, Seuil, 1965; Production de la société, Paris, Seuil (coll. Sociologie), 1973; La voix et le regard, Paris, Seuil (coll. Sociologie permanente), 1978.

17 . Pierre Rosanvallon, La crise de l'État providence, Paris, Seuil (coll. Point/Politique), 1981, pp. 113-118. On trouve une exploitation de ce point de vue particulier — associé au courant de la deuxième gauche — dans un texte de Guy Giroux préparé dans le cadre du Sommet de la Justice. Voir Giroux, op. cit. (note 9).

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mutation dans l'évolution des groupes humains. Avec l'accroissement des dimensions de la collectivité, les premières solidarités, fondées sur l'appartenance à la communauté et sur la ressemblance des membres, céderaient la place à un nouveau type de solidarité, fondé sur la diversité et la complémentarité fonctionnelle des individus. Les usages, la tradition et la coutume deviennent dès lors trop contraignants pour assurer la liberté individuelle et la souplesse qu'exige ce nouveau modèle social. Les rapports personnels prennent plus d'importance et la pratique contractuelle aussi. Pour cette raison, on assistera à un accroissement du droit civil et à une augmentation des conflits entre vifs, au fur et à mesure que les ententes privées prennent de l'importance. La liberté de contracter prend par ailleurs son sens à la condition qu'un minimum d'égalité existe entre les parties. D'autres lois sont ainsi nécessaires pour assurer l'égalité des individus et la liberté de contracter. Ainsi le droit positif est-il amené à prendre plus d'importance 18.

Max Weber (1911-1913) analyse les choses sous un angle différent et voit dans l'évolution des sociétés occidentales, une tendance croissante à la rationalisation et à la professionnalisation de tous les secteurs de la vie sociale 19. Le droit n'échappe pas à cette rationalisation qui conduit à son développement comme champ spécifique de l'activité humaine. Le développement du droit tel que nous le connaissons aujourd'hui apparaît ainsi pour Weber comme un phénomène normal, prévisible et souhaitable. Il est l'expression attendue du développement des sociétés occidentales. L'insatisfaction des profanes vis-à-vis de l'évolution du droit positif ne constitue ainsi, souvent, qu'une résistance prévisible fondée sur les modèles normatifs antérieurs établis sur la coutume, la morale et les interprétations magico-religieuses de la norme 20.

18 . Émile Durkheim, De la division du travail social (8e édition), Paris, PUF (coll.

Bibliothèque philosophique contemporaine), 1965, pp. 374-382. Voir également sur ce sujet Jean-Guy Belley, « L'État et la régulation juridique des sociétés globales : Pour une problématique du pluralisme juridique », in : Sociologie et société, vol. 18, n° 1, avril 1986, p. 22.

19 . Voir Weber, op. cit. (note 2), pp. 41-43 et 221-225. Voir également Pierre Lascoumes et Évelyne Serverin, « Le droit comme activité sociale : pour une approche webérienne des activités juridiques », in : Droit et société, n° 9, hiver 1988, pp. 165-187.

20 . On trouve également cette critique chez Von Hayek. Voir Philippe Nemo, La société de droit selon Von Hayek, Paris, PUF, 1988, 230 ss.. Tirant les conclusions qu'inspire ce processus de rationalisation et d'institution-nalisation du droit, Belley rappelle que l'histoire récente semble avoir donné raison à Weber sur Gurvitch (infra, chapitre 2, section 2) Voir Belley, loc. cit. (note 18), p. 18.

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Comment le droit a-t-il pu prendre tant de place dans nos sociétés ? On le voit ici, les explications sont nombreuses et parfois contradictoires. Un fait demeure cependant : on ne peut analyser l'objet « droit » comme un élément extérieur à la société. Car, de quelque façon qu'on s'y prenne, il est toujours le droit d'une collectivité. Pour cette raison également, une réaction intempestive ou une critique sans nuance de l'inflation législative, et judiciaire, relèvent d'une conception naïve du problème. Elle tend à cautionner cette idée trop simple qu'il n'y a de droit que celui que fonde la loi. Elle cautionne également cette perception fausse, voulant que le droit se développe en opposition à la société et laisse croire — en contrepartie— que la solution à l'inflation législative et judiciaire ne peut résider qu'à l'extérieur du droit ou en réaction au droit positif et aux mécanismes de la justice formelle. A contrario, cette approche tend à confirmer une certaine idéologie juridique fondée sur l'idée que l'État est effectivement parvenu à intégrer et à traduire formellement l'ensemble des normes sociales. Cette perception des choses confine cependant le droit à ses quartiers officiels et donne raison aux défenseurs d'une théorie pure du droit.

Une approche plus critique du problème nous permettrait de mieux saisir le droit comme production sociale. Elle permettrait surtout d'étendre les frontières du droit au-delà de l'État, jusque dans la société elle-même. Cette conception plus large, qui inclut néanmoins le droit positif, c'est celle qu'offrent aujourd'hui la sociologie et l'anthropologie du droit. Et toute entreprise de réforme du droit et de la justice, doit passer par cet élargissement du concept de droit. Section 2. Diversité du droit et pluralisme juridique :

une vision sociologique du droit Le Centre de droit préventif du Québec a entrepris une

démarche de réflexion publique sur le sens, les fonctions et les formes actuelles du droit. Il ne prétend pas fonder immédiatement toute une batterie de concepts nouveaux, utiles pour les fins de la recherche. Il faut, avant d'en arriver là, poser d'une façon nouvelle la question du droit et arrêter une « problématique » à partir de laquelle pourront ultérieurement se développer de nouveaux champs pour la recherche fondamentale et la recherche appliquée et, qui sait, une approche nouvelle de la pratique du droit.

Comme juristes, nous avons pris l'habitude de fonder notre approche du phénomène juridique sur une conception restreinte du

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droit. Nous l'avons si bien intégrée, que peu d'entre nous peuvent aujourd'hui en fournir une définition satisfaisante. Dans un article récent, la professeure Andrée Lajoie nous rappelait que Flaubert, dans son Dictionnaire des idées reçues, définit ainsi le mot « droit » dans ces termes nébuleux qui disent tout :

Le droit : on ne sait pas ce que c'est. 21

Quelques indications sur les sources du droit permettent de circonscrire le domaine. On y inclut généralement la législation, la réglementation puis, sur un mode mineur, la jurisprudence et la doctrine. La coutume constitue toujours le parent pauvre de la définition : c'est le droit en haillons... Nous avons vu plus haut ce qui caractérise nos systèmes de droit positif. Timsit nous rappelle qu'ils sont essentiellement fondés sur « la loi » et résume ainsi les trois éléments qui caractérisent le droit des juristes :

a) C'est un droit édicté d'en haut, expression de la parole divine ou, depuis que l'homme a remplacé Dieu, produit par l'État, qui est l'œuvre de l'homme. Réminiscence du Sacré. Conception théologique de la loi. b) C'est un droit euclidien, dont la méthode pénétrée de l'esprit positif et empruntée aux sciences expérimentales, permet la description systématique à partir d'un principe unique qui le fonde. Conception syllogistique de la loi. c) C'est enfin un droit rigoureusement séparé de la morale et dont les normes qui le constituent n'accèdent au rang de normes juridiques que par la sanction qui leur est apportée et qui vient en punir la violation. Conception dichotomique de la loi. 22

Mais en vérité, le monisme juridique occulte toute une partie du phénomène juridique. Il s'exprime dans des formes qui sont connues et que nous rencontrons quotidiennement, car nous vivons une multitude de situations qui ne sont d'aucune façon régies ou sanctionnées par la loi, qui sont fonction de normes qui n'ont pas été établies par la législation ou la réglementation, qui ne sont jamais prises en compte dans le cadre du processus judiciaire, mais qui ont néanmoins la même force exécutoire que la loi. En réalité, la plus grande part de nos faits et gestes trouvent leurs racines dans le flou des règles informelles que nous imposent la socialisation et l'éducation, ou qui se créent, plus simplement, dans l'équilibre des relations que nous entretenons spontanément avec les autres et qui

21 . Andrée Lajoie, « Contribution à une théorie de l'émergence du droit : Le droit,

l'État, la société civile, le public, le privé; de quelques définitions interreliées », in : Revue juridique Thémis, vol. 25, n° 1, 1991, pp. 103-143.

22 . Gérard Timsit, « Sept propositions (plus une) pour une définition systémale du droit » in : Droit, n° 10, avril 1989, p. 93. Les soulignés sont de nous.

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font la richesse — la densité — des rapports sociaux. Dans certains cas, ces normes informelles relèvent tout bonnement du sens civique. Certaines ont un caractère ad hoc, d'autres sont souvent elles-mêmes fonction de la culture interne des institutions ou des organisations auxquelles nous appartenons. Elles sont souvent forgées, tacitement, dans le cours de nos interactions. De sorte que :

Malgré ses prétentions totalisantes et sa recherche de l'exclusivité, l'ordre juridique étatique ne parvient jamais à ramener à lui et à condenser l'intégralité des phénomènes juridiques. 23

Professionnellement, on peut être tenté de ne voir là qu'une série de phénomènes marginaux. Certains parlent ainsi de droit parallèle, d'« infra-droit » ou même de « non-droit » 24.

Mais la sociologie en général a voulu voir dans ces systèmes normatifs plus souples des réalités comparables à celles que l'État privilégie dans le cadre du droit positif. Cette approche implique cependant un élargissement de l'idée que nous nous faisons généralement du droit. Le premier des chercheurs à s'être engagé dans cette voie fut le juriste autrichien Eugène Ehrlich, souvent considéré comme le fondateur de la sociologie juridique. Il fut, dès 1913, le premier à mettre en évidence ce fait simple que « le centre de gravité du développement du droit, à notre époque comme à toutes les époques, ne réside ni dans la législation ni dans la science juridique ou dans la jurisprudence, mais dans la société elle-même » 25.

La grande intuition de Ehrlich réside dans cette idée qu'il existe, au sein de chaque société, « un ordre social pacifique et

23 . Chevallier, op. cit. (note 10), p. 43. 24 . Ces différentes appellations ont tour à tour été utilisées par le juriste français Jean

Carbonnier dans sa tentative de définition du phénomène. Voir Jean Carbonnier, « L'hypothèse du non-droit », in : Archives de philosophie du droit, n° 8, 1963, et Jean Carbonnier, Sociologie juridique, Paris, PUF (coll. Thémis/Droit), 1978, pp. 218 et ss. Le concept d'infra-droit est également utilisé par Arnaud et par la plupart des sociologues français intéressés à la sociologie du droit.

25 . Tiré de Carbonnier (1978), op. cit. (note 24), p. 86.

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spontané, non contentieux, qui se forme par un libre aménagement des volontés individuelles ou collectives (celles des groupements particuliers) » 26. Aussi, hors de la sphère réduite occupée par la législation et la réglementation subsiste cette sphère particulière du droit que Ehrlich appelle : « le droit vivant » (lebendes Recht). Celui-ci se crée au sein de tous les regroupements auxquels les individus sont associés et s'exprime dans l'évolution de la coutume et dans les usages de ces organisations, sans même que ces normes et ces usages ne fassent l'objet de législation particulière. Le droit vivant fait entièrement parti du droit, pris dans son sens le plus large, et c'est lui qui domine toute la vie sociale 27.

La distinction proposée par Ehrlich entre « droit étatique » et « droit vivant » allait faire école. Sa grande force est sans doute d'avoir percé le voile des théories artificielles qui, à l'époque de Ehrlich comme aujourd'hui, concluent trop facilement au monopole normatif de l'État. Plus tard, animés par la même intuition, d'autres auteurs, comme le juriste italien Santi Romano (1917-1916), contribueront à conceptualiser davantage cette intuition forte. Ses travaux sur la question porteront surtout sur le développement du concept d'institutions : corps sociaux, dotés d'une existence concrète et d'une certaine stabilité, au sein desquels peuvent se développer un ordre juridique spécifique, différent de l'ordre juridique proposé par l'État 28.

26 . Idem. Voir également, concernant Eugène Ehrlich, Roger Cotterrell, The

Sociology of Law : An Introduction, London, Butterworths, 1984, pp. 27-31; Jacques Vanderlinden, « Le pluralisme juridique », in : John Gilissen (sous la direction de), Le Pluralisme juridique, Bruxelles, Éditions de l'Université de Bruxelles, 1972, pp. 67-68; et Stuart Henry, Private Justice, London/Boston, Routledge & Kegan Paul, 1983, p. 49.

27 . « The living law is the law which dominates life itself even though it has not been posited in legal propositions. The source of our knowledge of this law is, first, the modern legal document; secondly, direct observation of life, of commerce, of customs and usages, and of all associations, not only of those that the law has recognized but also of those that it has overlooked and passed by, indeed even of those that it has disapproved ». Eugene Ehrlich, Fundamental Principles of the Sociology of Law, Cambridge, Harvard University Press, 1936, p. 493.

28 . Santi Romano, L'ordre juridique, Paris, Dalloz, 1975, (1ère édition italienne 1918) pp. 29-31. Pour une explication plus précise du concept d'ordre juridique chez Santi Romano, on lira avec intérêt l'article de Guy Rocher, « Pour une sociologie des ordres juridiques », in : Les Cahiers de droit, vol. 29, n° 1, mars 1988, pp. 99-101.

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Pour Romano, il n'y a de production d'un ordre juridique qu'au sein de ces corps sociaux concrets et organisés. Ces institutions comprennent tout aussi bien les écoles, les académies, les établissement de tous genres, que les municipalités, provinces ou autres organismes bénéficiant d'une autonomie relative, sans emprunter nécessairement la forme des institutions corporatives. Car, quelle qu'en soit la forme, c'est l'organisation qui rend « juridique la norme » 29. Chacune de ses institutions génère un ordre juridique différent et participe au système de droit, pris dans son sens le plus large. La diversité des ordres juridiques objectifs fondent ce que Romano appellera « la pluralité des ordres juridiques » 30. Ainsi, « tout en prenant en compte les règles qui composent le droit [étatique], Romano les situe dans un contexte élargi. C'est l'intérêt du concept d'ordre juridique qui permet d'attribuer à certaines institutions sociales les mêmes fonctions normatives que l'État 31.

Cela dit, contrairement à Ehrlich, Romano n'a pas voulu mettre en opposition le droit étatique et les autres ordres juridiques. Il a plutôt tenté de donner un sens plus étendu à la notion de droit elle-même. C'est dans cette veine institutionnaliste que plusieurs chercheurs québécois comme Guy Rocher et Jean-Guy Belley semblent d'ailleurs inscrire leur propre recherche sur l'évolution juridique 32. Ce qui fait la force de ces contributions — celles de Ehrlich, mais celle de Romano aussi — c'est de mettre en évidence un fait incontournable : l'État n'a jamais parfaitement détenu le monopole des normes juridiques. Ce postulat allait être développé par d'autres chercheurs, et notamment par le sociologue français Georges Gurvitch (1932).

29 . Romano, op. cit. (note 28), p. 23, 28 et 37 et Rocher, loc. cit. (note 28), p. 19. 30 . Romano, op. cit. (note 28), pp. 77 ss. 31 . Rocher, loc. cit. (note 28), p. 101. 32 . Voir à ce propos Lajoie, loc. cit. (note 21); Rocher, loc. cit. (note 28); et Belley,

loc. cit. (note 18). Guy Rocher contribue notamment à la définition du concept d'institution (ou ordre normatif) en resserrant les critères de la définition fournie par Romano et à l'aide de la définition donnée par Weber du concept de droit. « Ce qui fait qu'un ensemble de règles appartiennent au droit, c'est qu'elles s'intègrent à un ordre juridique. Plus précisément, c'est qu'elles émanent d'un agent ou organisme autorisé, qu'elles peuvent être soumises à un agent ou organisme habilité à les interpréter, qu'elles peuvent être mises en œuvre par des agents revêtus de l'autorité nécessaire pour le faire ». Rocher, loc. cit. (note 28), p. 105.

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Gurvitch, reprenant les lignes maîtresses du modèle développé par Ehrlich, mettra en évidence le fait qu'au-delà des entités collectives qui, horizontalement, sont la source d'ordres juridiques différents (institutions, groupes sociaux, etc.), cohabitent — verticalement — une grande variété de normes graduées en fonction de leur caractère souple ou plus rigide. Contrairement à Romano, Gurvitch croit que ces normes peuvent naître spontanément au sein d'espaces de sociabilité assez relâchés (comme c'est le cas de la masse), encore que ceux-ci soient souvent plus structurés ou virtuellement capables de s'organiser, comme c'est le cas de la communauté ou de la « communion ». Dans tous les cas, ces normes favorisent cependant l'intégration sociale des individus. C'est l'origine d'un droit social autonome, c'est-à-dire, d'un droit extra-étatique né dans le cours des relations sociales :

Étant fondé sur la confiance, le droit social ne peut jamais être imposé du dehors; il ne peut réglementer que du dedans, d'une façon immanente. Le droit social est donc toujours un droit autonome, inhérent à chaque NOUS particulier, favorable à l'autonomie juridique des intéressés... La vie du droit, comme toute vie sociale, se réalise dans un étagement des couches superposées (de normes diverses), allant d'un schématisme plus ou moins rigide ... à un dynamisme et à une immédiateté accrus (dans la direction descendante) et, inversement, d'une spontanéité et souplesse à une cristallisation et conceptualisation renforcée (dans la direction ascendante) ... On peut retrouver dans tout droit un pluralisme vertical. 33

Le droit social qui cohabite en permanence avec le droit étatique peut ainsi connaître des formes plus ou moins souples en fonction des contextes et des groupes où il apparaît. Aussi, une des ruptures importantes réalisées par Gurvitch réside dans la séparation des concepts de droit et de « raison raisonnante ». Le droit peut connaître des formes très organisées, mais connaît également des expressions inorganisées, « imprégnées de l'expérience intuitive de la justice » 34. Sa production n'implique donc pas nécessairement l'action d'un pouvoir central organisé. Le

33 . Georges Gurvitch, Éléments de sociologie du droit, Paris, Aubier/Montaigne,

1940, pp. 157 et 167-168. Les soulignés sont de nous. Voir également Roger Cotterrell, « The Sociological Concept of Law », in : Journal of Law and Society, vol. 10, n° 1, été 1983, p. 245. Voir également sur les conditions structurelles nécessaires à la fondation d'un fait normatif : Venderlinden, op. cit. (note 26), pp. 74-75.

34 . Jean-Guy Belley, « Georges Gurvitch et les professionnels de la pensée juridique », in : Droit et société, n° 4, octobre 1986, p. 357.

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droit naît en fonction des diverses formes de sociabilité comme expression d'un ordre spontané. Il est de nature relationnelle et d'origine collective : « l'expérience juridique, nous dit l'auteur, consiste dans la reconnaissance collective des faits normatifs réalisant un des multiples aspects de la justice dans un cadre social donné qu'il s'agit de protéger » 35.

Les typologies complexes élaborées plus tard par Gurvitch n'ont pas favorisé la diffusion de ses propositions. Cela étant, des auteurs contemporains — souvent des juristes — ont développé des modèles de compréhension du droit qui s'en rapprochent. Nous nous référerons ici surtout aux derniers travaux des professeurs québécois Roderick A. Macdonald et Andrée Lajoie.

Tous deux favorisent une définition ouverte — sinon polysémique — du droit, définition adaptée à la diversité et la complexité des mécanismes de production normative. C'est d'abord le choix du juriste R. A. Macdonald qui propose le développement du concept de normes inférentielles et implicites. Celui-ci tire son fondement d'une réflexion sur le processus de déréglementation que Macdonald propose de voir — en fait — comme une forme différente de réglementation. En effet, le législateur peut désirer également que, dans le silence de la loi, s'imposent un certain nombre de règles implicites au fur et à mesure du développement des rapports sociaux, notamment des rapports économiques. Certaines normes sociales peuvent ainsi ne jamais être clairement explicitées, mais faire néanmoins l'objet de règles tacitement reconnues. Le point de vue de Macdonald repose ainsi sur cette idée que le législateur — qui ne parle jamais pour ne rien dire — se tait souvent pour dire quelque chose...

Dans ce schéma, l'autoréglementation même tacite des communautés et des sous-groupes deviendrait le produit d'une délégation implicite (par

35 . Georges Gurvitch, « Problèmes de sociologie du droit », in : Georges Gurvitch

(sous la direction de), Traité de sociologie (tome 2), PUF (coll. Bibliothèque de sociologie contemporaine), 1965, p. 189; italiques de l'auteur. Voir dans le même sens Belley, loc. cit. (note 34), pp. 362-362; et Belley, loc. cit. (note 18), p. 14. Jean Carbonnier évoque notamment à ce propos l'influence de Proudhon sur Gurvitch. Voir Carbonnier (1978), op. cit. (note 24), p. 90. Voir également le commentaire de Stuart Henry qui schématise le modèle typologique de Gurvitch dans Henry, op. cit. (note 26), pp. 50-55. Voir, de même, l'exposé de Vanderlinden, op. cit. (note 26), pp. 75-81. Lire enfin le commentaire de Chevallier, op. cit. (note 10), p. 39.

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retrait législatif volontaire ou retenue législative) elle-même tacite, de l'État vers les communautés, du pouvoir normatif dont elles l'avaient d'abord investi. 36

On retrouve ici, par le biais du droit étatique, des réalités que la sociologie essaie elle-même de cerner depuis longtemps. Cette jonction juridico-sociologique n'est cependant possible qu'à la condition de reconnaître l'existence de formes normatives différentes de celles que l'État fonde par le fait de la législation et de la réglementation. Cette réalité peut du reste se vivre à l'intérieur d'entités sociologiques très souples, incluant tout autant la vie de couple que les règles implicites qui régissent les rapports des individus engagés dans la même file d'attente 37.

Macdonald, établit pour sa part quatre modèles normatifs différents, définis en fonction du caractère formel ou informel, explicite ou inférentiel de la règle étudiée :

1) les normes formulées et explicites que sont les lois et les règlements;

2) les normes formulées et implicites que sont les coutumes et les usages;

3) les normes inférentielles et explicites : ce sont les décisions judiciaires, et

4) les normes inférentielles et implicites qu'on trouve exprimées dans les concepts flous du droit (comme celui des bonnes mœurs, de l'intérêt public, de bon gouvernement), mais également dans « les présupposés tacites qui servent d'assises aux communautés et aux sous-groupes sociaux. » 38

Ainsi, pour Macdonald, le premier indicateur de l'existence d'une norme valide réside dans le fait — simple à observer — qu'elle est respectée. On peut évidemment discuter du caractère académique du principe voulant que même les normes informelles et implicites (inférentielles) soient effectivement l'objet d'une délégation et fassent partie du droit étatique. La sociologie avancerait au contraire, que cette réalité révèle plutôt le fait que

36 . Lajoie, loc. cit. (note 21), p. 113. 37 . C'est du moins là les exemples que la professeure Lajoie utilise pour illustrer la

souplesse de la proposition Macdonald; Lajoie, loc. cit. (note 21), p. 140. 38 . Voir Roderick A. Macdonald, « Pour la reconnaissance d'une normativité

juridique implicite et « inférentielle », in : Sociologie et société, vol. 18, n° 1, avril 1986, p. 53; et Lajoie, loc. cit. (note 21), p. 112.

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l'État n'a jamais vraiment détenu de monopole juridique et que le monisme juridique déclaré de nos sociétés n'est en fait qu'un procédé de légitimation politique 39. La société, dans une forme d'autonomie relative vis-à-vis de l'État, produit son propre droit vivant, son propre droit social. L'artifice utilisé par Macdonald présente néanmoins l'avantage appréciable de ne pas mettre en opposition « droit étatique » et « droit extra-étatique » en présentant ces distinctions comme des « types idéaux » qui ne constitueraient, tout au plus, que les deux pôles d'un continuum comprenant des expressions plus ou moins formelles et explicites du droit.

La typologie qu'il propose se cristallise cependant autour de quatre catégories théoriques précises, ce qui tend à affaiblir cette idée qu'il existe un continuum juridique souple. En sens inverse, Gurvitch tentait d'arriver au même résultat en multipliant, presque à l'infini, les sous-catégories possibles de droit. Cette typologie conduit cependant au développement d'appareils conceptuels beaucoup trop lourds 40.

Pour pallier cet inconvénient, Andrée Lajoie a voulu pousser plus loin la réflexion de manière à inclure dans une définition, ouverte et souple, les types de normes les plus variées en fonction de leur caractère obligatoire. Pour ce faire, elle a d'abord tenté d'écarter certaines dichotomies admises trop facilement, comme la distinction classique entre société civile et État ou entre droit public et droit privé, pour mieux faire voir l'interpénétration actuelle des genres et démontrer le caractère idéologique de ces catégories 41.

39 . Belley, loc. cit. (note 18), p. 29. 40 . On compte chez Gurvitch jusqu'à 162 types de droits différents. Pour une

illustration schématique de ces typologies obtenues par croisements multivariés, voir Henry, op. cit. (note 26), p. 50-57.

41 . Se référant à la première de ces distinctions elle souligne que : « le concept de société civile apparaît ... comme un instrument idéologique destiné à revendiquer et à promouvoir un espace social libéré de la présence de l'État pour permettre, selon les lieux idéologiques d'où on l'interpelle, la résurgence d'un marché néo-libéral ou, au contraire, l'émergence d'institutions issues de modes participation-nistes de régulation sociale », et rappelle qu'en ce qui concerne la distinction privé/public elle réfère à des réalités juridiques qui s'estompent alors que : « seules demeurent efficaces, jusqu'à un certain point, les représentations idéologiques qu'elle entraîne et promeut » dans des formes qui ne sont rien de plus que la traduction juridique des distinctions entre État et société civile. Lajoie, loc.cit. (note 21), pp. 125 et 135. Voir également Belley, loc. cit. (note 18), pp. 19-20.

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Dans un deuxième temps, elle exploite les travaux de Gérard Timsit sur la définition du concept de droit. Timsit fonde en effet sa conception du droit sur la notion d'obligation. Cette notion ne trouve cependant son sens que dans l'interrelation des personnes liées par la norme plutôt que dans une référence explicite au pouvoir de contrainte de l'État (comme le font les positivistes), à l'adhésion des individus à cette norme (Macdonald) ou à l'intervention d'une institution sociale précise qui l'établirait et la ferait respecter (Romano et Rocher) 42.

Pour Andrée Lajoie, — qui reprend les catégories de Timsit — la validité d'une norme ne doit plus être considérée par rapport à sa source légitime ou en fonction des raisons qui président à son respect, mais en fonction de ces deux mécanismes de contrôle à la fois : dynamique, qui participe d'un processus de précodage (c’est-à-dire d'établissement de la norme) et de surcodage (généralement fondé sur la compétition de plusieurs principes d'intégration et d'interprétation concurrents). Dans certains cas, la norme fait l'objet d'un simple précodage plus ou moins formel, sans qu'aucun processus ne vienne en assurer l'application et l'interprétation. Sa force obligatoire est donc limitée. Dans d'autres cas, sans avoir fait l'objet d'un précodage formel, une norme peut néanmoins exister tacitement et peut être l'objet d'un surcodage. Celui-ci relève dès lors de processus plus évanescents, souvent d'ordre culturel, c'est-à-dire, fondés sur un champ de valeurs qui sert de support interprétatif à ces normes, apparues au sein de groupes ou de sous-groupes divers. Une norme peut finalement être à la fois l'objet d'un précodage et d'un surcodage plus ou moins serré (comme c'est le cas du droit positif), ou ne relever que très faiblement de ces deux mécanismes de contrôle (comme ce pourrait être le cas de beaucoup de normes tacites et informelles dont la force obligatoire est souvent plus faible) . Andrée Lajoie souligne que :

En établissant ainsi des degrés dans l'encodage et, par conséquent, dans la prédictibilité des règles, on détermine en même temps une échelle de juridicité sur laquelle s'étalent progressivement les normes sans que jamais ne soit franchi un seuil précis au-delà duquel le « véritable » droit apparaîtrait. 43

42 . Lajoie, loc cit. (note 21), p. 137. 43 . Lajoie, loc. cit. (note 21), p. 138; et Timsit, loc. cit. (note 22). Pour une

application des différentes définitions explorées par Lajoie dans le cadre de son article de 1991 [loc. cit. (note 21)], on lira avec intérêt : « La normativité

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Il s'agit là de la conception la plus souple qu'on puisse imaginer du droit; qualité largement induite par son caractère abstrait, qui la rend plus ardue. L'avantage de cette conceptualisation réside cependant dans le fait qu'elle ne prétend pas fonder une nouvelle typologie (les catégories de précodage et de surcodage pouvant faire l'objet d'une exploitation très souple), mais favorise une compréhension du phénomène-droit dans toute sa fluidité, sans s'interroger sur le support institutionnel ou les procédés d'adhésion qui rendent une norme opératoire. Les formes les plus floues, définies par le concept de normes informelles et inférentielles de Macdonald, trouveraient ainsi leur place dans un espace normatif où les règles n'ont pas spécifiquement fait l'objet d'un précodage, mais sont respectées en vertu d'un processus de surcodage parfois très souple, ou presque inexistant, comme c'est le cas des règles régissant l'interaction des individus dans une file d'attente ou la participation de milliers de personnes au jeu collectif désigné sous le nom de la vague et qui se déroule régulièrement lors des grandes assemblées publiques.

Bien sûr, nous travaillons encore ici au niveau de la problématique. Et si les catégories de Timsit, reprises par Lajoie, ne peuvent être exploitées, dans cette forme — pour les fins de la recherche empirique — elles fournissent néanmoins une conception ouverte du droit. C'est dans ces espaces que doivent se mouvoir la réflexion et la pratique du droit préventif.

Dans cet ensemble flou, il est évidemment difficile d'établir où commence et où finit le droit ? Les premiers sociologues du droit — nous l'avons vu — faisaient une claire distinction entre droit étatique et droit social. D'autres, entre droit formel et informel. Mais cette dichotomie était artificielle. Ainsi, peut-on dire que le droit de contracter, reconnu par le droit civil, fait partie du droit étatique ? Sûrement. Dans quelle catégorie faut-il alors inclure le contenu des contrats entre particuliers ? Le contrat est la loi des parties... il s'agit apparemment là — déjà — d'une forme hybride, qui montre les limites d'une typologie trop simpliste. Le règlement disciplinaire d'une corporation professionnelle fait l'objet d'une reconnaissance réglementaire précise, mais qu'en est-il des directives émises par une agence administrative ? Dans une foule de situations précises, il devient difficile de dire à quoi on a

professionnelle dans le droit : Trajets et spécificité formelle », texte non publié et rédigé dans le cadre d'un projet de recherche collectif de l'ICRA.

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affaire. Une typologie qui distingue trop nettement le droit étatique du droit extra-étatique présente les mêmes inconvénients que celle qui distingue les catégories du droit privé et du droit public ou celle de l'État et de la société civile 44.

Certains auteurs ont tenté d'établir, pour les fins de la recherche, un découpage plus précis des concepts. Guy Rocher propose ainsi une distinction opératoire entre « ordre juridique » et « ordre normatif », le premier impliquant — contrairement au second — l'existence d'une institution chargée de la définition et de gestion de la norme 45.

De façon générale cependant, les auteurs que nous avons étudiés ont cherché à éviter le problème en utilisant des appellations plus vagues : poches de non-droit (Carbonnier), foyer juridique (Chevallier), semi-autonomous field (Henry), fait normatif (Gurvitch), poches d'autonomie normative (Timsit). En effet, c'est toujours au sein d'un espace d'interaction donné (d'un espace de sociabilité) qu'une norme peut naître. Cela dit, et au-delà des mots, il convient surtout de retenir qu'il existe dans nos sociétés une forme de pluralisme juridique, fondé sur une multitude d'espaces normatifs — qui génèrent, du fait du caractère plus ou moins obligatoire de ces normes, un continuum normatif complexe — où le droit étatique trouve également sa place. C'est sans doute cette approche qui ouvre le plus de perspectives, tant du point de vue de la recherche que pour les fins d'une réflexion sur la pratique juridique. C'est du moins l'avis du sociologue britannique Roger Cotterrell qui souligne :

The conclusion to which these arguments lead is that, in general terms, a concept of law which treats state law as central to the concept of law in modern industrialised societies, but treats certain other normative systems in these societies as directly compatible and closely related theoretically within a kind of regulatory continuum is of particular utility for confronting contemporary problems posed by theory and empirical research in the sociology of law. My view, then, is that the kind of institutional concepts of law ... which avoid both exclusive concern with state law and also pure juridical pluralism, and treat state law as central to but not the exclusive concern of analysis of law in contemporay Western societies, are potentially fruitful. 46

44 . Voir encore ici Lajoie, loc. cit. (note 21). 45 . Rocher, loc. cit. (note 28). 46 . Cotterrell, loc. cit. (note 33), p. 250.

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Le problème des rapports qui peuvent s'établir entre ces différents ordres normatifs demeure lui-même une question complexe et non résolue. Certains auteurs opposent encore diamétralement le droit étatique et le droit vivant 47. Les mêmes auteurs croient d'ailleurs souvent que le droit non étatique sert de vivier au droit étatique qui tend à institutionnaliser ou à récupérer toutes les formes de droits autonomes 48. D'autres croient que les différents ordres normatifs sont plus ou moins hiérarchiquement disposés et fondent un ensemble cohérent, inclus dans un seul ordre social 49. Le droit vivant, pour peu qu'on puisse isoler le phénomène, constituerait une forme d'alter ego du droit des juristes 50. D'autres, comme Romano et Rocher mettent l'accent sur l'existence de normes concordantes entre les différents « ordres juridiques », tels que les définit Romano. Une norme est dès lors d'autant plus efficace qu'elle rencontre une règle déjà établie au sein d'autres ordres juridiques. On parlera alors de relevance juridique 51. Certains — comme Carbonnier — parlent d'internormativité 52. Finalement, certains auteurs voient entre l'ordre juridique fondé sur l'État et les autres ordres normatifs une forme de va-et-vient cyclique, qui serait fonction des époques et des contextes sociaux 53.

Mais de façon plus générale, on peut supposer, comme Anthony Giddens et Stuart Henry, qu'un rapport d'interstructuration s'établit entre les différents ordres normatifs, qu'ils soient d'origine étatique ou qu'ils soient fondés — de loin en loin — sur des modèles de sociabilité plus spontanés et, par là, plus précaires. Cette approche est du reste plus conforme à la

47 . C'est notamment le cas de André-Jean Arnaud, « Le droit, un ensemble peu

convivial », in : Droit et société, n° 11-12, pp. 86-88. 48 . Ibid. Voir aussi relativement à cette thèse Belley, loc. cit. (note 18), p. 21; et

Henry, op. cit. (note 26), p. 68. 49 . C'est notamment là la conception de Chevallier [op. cit. (note 10)] qui est

concordante avec celle de Gurvitch lui-même. 50 . « In fact [living law] becomes useful only if thought as the alter ego of lawyers'

law; the real-life parallel to the rules written in the law book ». Cotterrell, op. cit. (note 26) p. 37.

51 . Rocher, loc. cit. (note 28), p. 114; Romano, op. cit. (note 28), p. 106; Chevallier, op. cit. (note 10}.

52 . Voir Jean Carbonnier, « Les phénomènes d'internormativité », in : European Yearbook in Law and Sociology, 1977, pp. 42-52; et Rouland, op. cit. (note 10), pp. 49-50.

53 . C'est notamment là la thèse de William Evan. Voir Belley, loc. cit. (note 18), p. 26.

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compréhension souple que nous avons voulu développer du phénomène juridique. Elle respecte une conception élargie du droit, compris comme continuum de régulation normative 54.

Quant à la question posée plus haut sur la nécessité de reconnaître tous ces phénomènes comme faisant partie de la catégorie « droit », nous aurions tendance à adopter l'attitude des juristes Andrée Lajoie et Roderick A. Macdonald, et à considérer comme relevant du droit tous ces phénomènes normatifs dont la réalité sociale ne peut plus être ignorée, du moment qu'on entend favoriser une réflexion nouvelle sur le phénomène et la pratique juridique. Ce qui nous reste cependant à faire, c'est de développer de quelle façon on peut faire servir concrètement ces formes souples de droit dans le cadre d'une approche préventive de régulation des rapports normés (encodés...) et de gestion des différends. Section 3. Droit préventif et pluralisme juridique

Le droit est d'abord un phénomène social. Il peut être analysé comme le fruit d'un processus interactif et se déployer dans une multitude d'espaces de sociabilité. L'établissement des normes elles-mêmes (précodage) n'est pas toujours le fruit d'une décision formelle, et le processus d'interprétation et d'intégration associé à ces règles (surcodage) n'est pas nécessairement concentré au sein d'instances permanentes et organisées, détentrices de pouvoirs de coercition. Le droit peut naître au sein d'entités collectives parfois plus denses (associations, corporations ou institutions au sens de Romano), parfois plus lâches et spontanées (on pense aux groupes sociaux de Gurvitch). Le problème est de savoir de quelle façon

54 . Anthony Giddens, Profiles and Critiques in Social Theory, Stanford (Californie),

Stanford University Press, 1982, 310 pages; et Henry, op. cit. (note 26).

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Ces formes plus souples du continuum juridique peuvent servir à alimenter notre réflexion sur le concept de droit préventif 55.

Sous-section 1. Le droit au-delà du droit : processus d'émergence

D'une certaine façon, nous pourrions dire qu'au sein même de nos sociétés modernes, fondées sur l'individualité et l'autonomie personnelle, subsistent un grand nombre de communautés sociétales qui sont autant de lieux d'intégration et de production normative. Ce qui distingue sans doute ces formes d'appartenance contemporaines des formes anciennes de la communauté, c'est d'abord les choix individuels que nous faisons de participer à telle association, à tel club, à la vie de tel quartier, à tel groupe social, à tel couple; liberté que ne connaissaient pas les membres des communautés traditionnelles dont les appartenances (fondées sur la

55 . Il faut bien saisir la portée de ce qui précède. Lorsque — au début du siècle —

Max Weber propose de rendre compte de l'évolution des sociétés occidentales, il fonde cette évolution sur le développement de la rationalité, c'est-à-dire sur l'institution d'autorités établies sur la base d'une légitimité de type légal-rationnel. Celle-ci s'est incarnée dans le droit positif et dans l'institution du système judiciaire. Weber opposait cette conception rationnelle du droit aux pratiques irrationnelles des sociétés traditionnelles, fondées sur des procédés plus ou moins divinatoires et contrôlés par des oracles coiffés d'une légitimité de type charismatique ou traditionnel et procédant au « cas par cas » sur la base de révélations magico-religieuses. Ces deux conceptions opposées du droit accompagnent plus ou moins directement la distinction retenue par la sociologie entre la société de type moderne et la communauté de type traditionnel. La première est fondée sur l'autonomie individuelle, la seconde, sur une forme de fusion collective des membres du groupe. Nos sociétés complexes feraient partie de cette première catégorie, les communautés « élémentaires », de la seconde. Le problème de cette dichotomie trop rigide vient de ce qu'elle tend à nier l'existence, au sein même de nos sociétés, d'espaces normatifs importants, souvent spontanés et fondés sur une évolution de type relationnel. Somme toute, ces systèmes normatifs ne sont pas plus irrationnels (comme on le verra plus loin) que ceux présentés par Weber comme type idéal de nos systèmes de droit contemporain. On n'a, pour s'en convaincre, qu'à se référer à la définition même que Weber donne d'une relation sociale. Weber, op. cit. (note 2), pp. 42-43. Sur le concept de relation sociale, voir Max Weber, « L'activité sociale et les relations sociales », in : P. Birnbaum et F. Chazel, Théorie sociologique, Paris, PUF (coll. Thémis), 1975, pp. 31-36. Sur les distinctions entre société et communauté : Robert. A. Nisbet, La tradition sociologique, Paris, PUF ( coll. Sociologies), Paris, 1984, pp. 69-138.

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lignée, ou le territoire) étaient fixées par la nature des choses sans considération pour les volitions individuelles 56.

C'est une compréhension des choses que le grand Montesquieu n'aurait pas désavouée. Dans le cours de cette réflexion, il aurait d'ailleurs trouvé appui du côté des Anciens. En effet, on n'a trop souvent retenu que les aspects les plus formels de la pensée d'Aristote et de Cicéron, eux qui, au-delà des formes écrites et des règles colligées dans les lois de la Cité ou de l'Empire, élevaient au rang de phénomène juridique, les relations spontanées qui lient les citoyens entre eux, dans une forme d'amitié civique. C'est là un thème central de l'Éthique à Nicomaque où Aristote écrit :

L'amitié semble encore être le lien des cités et attirer le soin des législateurs, plus même que la justice. La concorde, qui ressemble en quelque mesure à l'amitié, paraît être l'objet de leur principale sollicitude, tandis qu'ils cherchent à bannir tout particulièrement la discorde, ennemie de l'amitié. D'ailleurs, si les citoyens pratiquaient entre eux l'amitié, ils n'auraient nul besoin de la justice; mais, même en les supposant justes, ils auraient encore besoin de l'amitié; et la justice à son point de perfection, paraît tenir de la nature de l'amitié. 57

Cicéron ne parle pas différemment dans cet extrait Des lois : Si donc le droit ne repose pas sur la nature, toutes les vertus disparaissent. Que deviennent en effet la libéralité, l'amour de la patrie, le respect des choses qui doivent nous être sacrées, la volonté de rendre service à autrui, celle de reconnaître le service rendu ? Toutes ces vertus naissent du penchant que nous avons à aimer les hommes, qui est le fondement du droit. 58

56 . C'est une chose que Weber lui-même ne nierait pas. Rocher nous rappelle en effet

que Weber fut un des premiers à reconnaître l'existence d'ordres juridiques extra-étatiques. Il n'a cependant pas tiré de cette observation toutes les conclusions, quant à l'existence d'une éventuelle pluralité des ordres normatifs, au sens où l'entend Romano. Si cette conception elle-même est plus rigide que celle que nous avons privilégiée (nous ne travaillons ici qu'au niveau de la problématique), elle lui aurait néanmoins ouvert la porte. Voir Rocher, loc. cit. (note 28), pp. 97-98.

57 . Aristote, L'éthique à Nicomaque, Livre VIII, § I. 58 . Cicéron, Des Lois, Livre I, § XV.

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Il existerait donc quelque chose au-delà du droit... Mais ces liens qui unissent les hommes et les portent à s'associer les uns aux autres ne sont-ils que l'expression d'un désir irrationnel ? Si on associe ces penchants au seul développement de l'instinct grégaire, on pourrait être tenté de croire qu'ils sont l'apanage d'une période révolue depuis longtemps et balayée par le règne de l'individualité. Ces formes de socialisation, au sein desquels peuvent se développer, assez spontanément, des ordres normatifs spécifiques ne seraient dès lors que les reliquats de modèles sociaux archaïques 59.

La sociologie contemporaine nous apprend cependant qu'il n'en est rien. Notre appartenance à l'État n'est pas la seule qui rende compte de notre identité sociale. En fait, nous définissons aujourd'hui nos lieux d'appartenance bien au-delà de ce qui nous lie à la société globale et, pour cette raison, les ordres normatifs plus ou moins formels ou contraignants auxquels nous participons sont multiples et diversifiés. Au sein de ces collectifs, le développement de règles spontanées est bien souvent fonction de l'équilibre des attentes mutuelles de chacun; c'est un processus proche de l'autorégulation. Pour reprendre une image d'Étienne Le Roy, nous pourrions dire que ces ordres normatifs parallèles appartiennent davantage au Demos (le peuple organisé) qu'au laos (la multitude informe) 60. À la limite, l'établissement d'un ensemble cohérent de normes partagées peut être compris comme le produit du calcul rationnel de chacun des membres du groupe. Il serait dès lors l'expression même de la liberté individuelle.

Dans un article récent, Ejan Mackaay parvient en effet à démontrer, à l'aide d'une habile utilisation de la théorie des jeux, comment le calcul rationnel d'individus, qui seraient membres de la même collectivité, conduit ceux-ci à s'ajuster mutuellement les uns aux autres jusqu'à l'établissement d'un ordre spontané qui pourrait constituer le fondement réel du droit. Cette hypothèse permet de saisir de quelle façon émergent les normes qui régissent la société civile. Elle tend à expliquer comment les règles d'une collectivité donnée peuvent s'établir sans l'intervention obligée

59 . On trouve une version particulière de ce point de vue chez Richard Abel,

« Mediation in Pre-Capitalist Societies », in : The Windsor Yearbook of Access to Justice, vol. 3, 1983, pp. 175-185, article dont nous reparlerons plus loin.

60 . Étienne Le Roy, « Les pratiques de médiation et le droit : spécificité de la problématique française contemporaine », in : Bulletin de Liaison du Laboratoire d'Anthropologie juridique de Paris, n° 16, juin 1991, p. 64.

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d'une autorité légitime. Elle permet par ailleurs de contourner le royaume des bons sentiments auquel nous convient Aristote et Cicéron, car leur évocation de l'amitié naturelle des hommes ne constitue pas une démonstration de leur capacité à s'entendre. D'inspiration plus sociologique, l'hypothèse de Mackaay propose une compréhension des rapports sociaux qui tient compte des attentes réciproques des individus. Ces équilibres spontanés sont généralement fondés sur des comportements de collaboration, qui sont les seuls à permettre — sur une période étendue — la maximisation des avantages de chacun. La stabilité de ces conventions conduit ceux qui les ont établies à les élever au rang de normes en leur conférant ainsi une dimension morale. Chacun est ainsi conduit à les respecter « sans faire le calcul des enjeux et lors même qu'on croit avoir intérêt à les outrepasser dans le cas concret » 61.

Le modèle d'ordre spontané développé par Mackaay est évidemment un cas limite. À l'intérieur de groupes très importants et sur une plus longue période, la définition et la gestion des normes sont souvent confiées à une agence particulière. Cette institutionnalisation partielle du processus de création et d'interprétation des normes correspond au modèle développé par Romano, Rocher et Chevallier (supra). Mais même dans ces cas particuliers, Mackaay souligne que les « institutions de justice résultent de généralisations d'expériences d'interaction vécues » 62. Il considère ainsi qu'en période d'instabilité les mécanismes de définition des ordres spontanés se remettraient inévitablement en action.

Le modèle de Mackaay, une fois dépouillé de ses postulats idéologiques individualistes, rend d'importants services en décortiquant les mécanismes interactifs par lesquels des normes de type implicite et inférentiel peuvent se développer. En effet, pour Mackaay, ces normes peuvent être le fruit d'une logique relationnelle fondée sur la succession de situations récurrentes. Ainsi, au-delà du corps des lois établies par l'autorité centrale, la plupart des sociétés humaines ont pu observer le développement parallèle de la coutume et la contrainte des usages. Rome connaissait le « droit vulgaire », forme de droit plébéien, indifférent au droit de l'Empire 63. Le Moyen-Âge a vu se

61 . Mackaay, loc. cit. (note 2), p. 382. 62 . Idem. 63 . Jacques Poumarède, « Droit vulgaire », in : André-Jean Arnaud et al.,

Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence / É. Story-Scientia, 1988, pp. 120-122.

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 79

multiplier les ordres normatifs concurrents plus ou moins formalisés 64. Et au Québec même, les Beaucerons étaient reconnus pour leur tradition juridique spécifique 65.

Sous-section 2. Le droit spontané : mode d'emploi...

Figés graduellement dans la tradition, ces corps normatifs séparés ont d'abord fait l'objet d'une élaboration spontanée. Il en va de même au sein des multiples ordres normatifs autonomes qui existent aujourd'hui. Le problème qui nous intéresse surtout ici est celui de savoir à quel type de pratique juridique cette réalité ouvre la porte ? Comment ces ordres normatifs peuvent-ils contribuer au règlement des comportements et à la gestion des différends qui apparaissent entre les membres d'une même collectivité ? Il semble, de prime abord, que le développement tacite des normes partagées par les membres d'une collectivité commande, en contrepartie, le développement de mécanismes informels de régulation et de gestion des différends qui peuvent naître entre ces membres. C'est également le point de vue de Macdonald :

Il n'y a pas de raison [dit-il] pour que les institutions soient conçues autrement que les normes. Certaines institutions sont explicites, d'autres ne le sont pas. Un tribunal peut être une institution primaire explicite, formellement établie... mais la médiation elle-même demeure un processus inférentiel. Finalement, en tenant compte de l'opinion de sa communauté, on a recours à un mécanisme d'institutionnalisation inférentiel et implicite. 66

Cette conclusion s'imposait. La reconnaissance d'espaces normatifs périphériques et autonomes suppose le développement d'un corps de pratique juridique adapté à la spécificité de ces ordres normatifs. Bien sûr, ceux-ci se développent aux limites du « non-droit ». Ce sont des faits sur lesquels la Cour n'a pas autorité à fonder ses jugements. Ils supposent une pratique juridique différente. Cette approche consacre le caractère particulier du droit préventif 67.

64 . Vanderlinden, op. cit. (note 26), p. 38. 65 . Madeleine Ferron et Robert Cliche, Quand le peuple fait la loi, Montréal,

Hurtubise, 1972, pp. 13-22. 66 . Macdonald, loc. cit. (note 38), p. 57. 67 . En effet, comme le souligne Gordon R. Woodman : « It has been argued that

there exist alternative bodies of law, in sense of non-state costumary laws. It has been argued that there exist alternative dispute resolution processes in the sense of processes established and governed by costumary laws. It has been argued that

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C'est d'ailleurs la conclusion qu'Andrée Lajoie tire elle-même de ses investigations théoriques. Évidemment, souligne-t-elle, avec l'élargissement du concept de droit :

les tribunaux et les professionnels... perdraient une facilité de repérage des règles applicables à mesure que, s'éloignant du noyau dur du droit étatique, ils s'avanceraient sur le terrain non pas tant des règles explicites des organismes socialement institués mais sur celui, de plus en plus mou, des règles implicites de ces derniers, puis des règles implicites aussi des organismes eux-mêmes implicites auxquels Macdonald se réfère quand il parle des communautés et des sous-groupes. Cela dit, les justiciables… y gagneraient en termes d'équité et de justice... 68

Les formes spécifiques de cette pratique plus souple du droit seront discutées plus loin. On sait cependant déjà qu'elles privilégient la négociation continue, la définition préalable des attentes des parties, la médiation et la conciliation plutôt que les formes traditionnelles du contentieux et de l'adjudication. C'est là l'espace du droit préventif. Avant d'en traiter spécifiquement, il convient cependant de saisir les conditions qui rendent ces pratiques opératoires.

On pourrait en effet supposer que l'exploitation de ces ordres normatifs informels, dont nous avons parlé, n'est possible qu'à l'intérieur de groupes sociaux très fermés et que, par conséquent, la pratique de ce que nous appelons ici le droit préventif ne peut s'exprimer qu'à l'intérieur de structures sociales réduites et rigides comme c'est le cas, par exemple, du milieu familial ou de la société traditionnelle. Les pratiques de conciliation et de médiation n'auraient dès lors de sens qu'à l'intérieur de la tribu 69.

not only adjudication, but also arbitration, mediation and negociation involve the application of legal norms; and that, as between different state-law modes and forms, the content of the applied laws differ. It follows that each non-state dispute resolution process involves the application of a particular body of non-state law ». Gordon R. Woodman, « The alternative law of dispute resolution », in : Les Cahiers de droit, vol. 31, n° 1, 1991, p. 24.

68 . Lajoie, loc. cit. (note 21), p. 140. 69 . C'est là le point de vue de Richard L. Abel, qui associe directement la médiation

à la dynamique des sociétés traditionnelles (i.e. précapitalistes). Pour Abel, le processus de médiation permet surtout la gestion du statut des membres du groupe. Ce sont ces statuts qui encadrent les relations au sein de la communauté. La définition des comportements et le jeu de la médiation et de la sanction passent ainsi nécessairement par un ajustement du statut des parties impliquées dans un différend, ajustement qui conduit à une forme de rééquilibre des relations sociales qui se sont trouvées bousculées par le fait du litige. Ce système, souligne Abel, n'a cependant d'effet qu'au sein de structures fondées sur un ensemble de rapports

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 81

Bien sûr, certaines conditions président au développement d'ordres normatifs plus ou moins spontanés. Ces normes, mêmes implicites ou inférentielles, ne peuvent naître qu'au fur et à mesure que se développent les relations privilégiées qu'entretiennent tantôt les membres d'un couple, tantôt les investisseurs engagés dans le cadre d'un montage financier ou les participants d'un club, d'une équipe de travail ou d'une association. Elles supposent une « relation continue » 70. Il s'agit cependant là de situations que nous rencontrons quotidiennement dans nos relations et qui font pleinement partie de la dynamique des sociétés complexes.

Sous-section 3. Densité des rapports sociaux et force du droit

Dans le cours de ces relations, un certain nombre de règles émergent donc, et c'est sur la base de ce corpus de normes induites qu'un ajustement réciproque des membres du groupe est possible et qu'un traitement élargi de leurs différends est envisageable. Cela dit, ce n'est sans doute pas suffisant. Les systèmes plus ou moins cohérents de normes qui se structurent dans le cours d'une relation sociale seront d'autant plus « effectifs» qu'ils sont fondés sur une

de type collusoire. La communauté fait dès lors office de témoin et d'agent de probation. Pour cette raison, Abel ne croit pas que le développement d'ordres normatifs plus souples ou que la pratique de la médiation puissent avoir un sens dans nos sociétés, où le statut attribué aux individus (les appartenances de classes notamment) est trop rigide pour permettre un exercice de ce type. «On the other hand, mediator in our own society may be able to intervene effectively in disputes where material values are relatively incidental, the parties are related by status, and they belong to a larger group. Therefore it is not surprising and certainly not inappropriate, that mediation has been preoccupied with family conflict, though the process also might be used within other institutional settings where disputants are linked by status relationships, for instance, disputes between members of voluntary association or fellow employees of large bureaucratic organizations (though not between employer and employee).» Abel, loc. cit. (note 59), p. 182.

70 . J. Larrue, « À propos de médiation », in : Bulletin de liaison du Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris, n° 16, juin 1991, p. 56.

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82 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

communication continue entre les membres du groupe 71. Incidemment, l'expression d'intentions déclarées — l'existence d'un contrat par exemple — favorisera la mise en forme d'une partie de ces normes 72.

Ce type de relation est plus courant qu'on peut le croire, encore qu'il convienne de pondérer la force relative des liens qui les créent. En fonction de la densité de ces relations, on pourra plus ou moins facilement exploiter les normes implicites ou inférentielles qui sont nées au sein d'un groupe social, d'une association ou de tout autre communauté sociétale. Ainsi, certaines communautés sont plus denses que d'autres et l'exploitation des systèmes normatifs développés par chaque milieu dépend de la richesse spécifique des rapports entretenus entre les individus ou les collectivités.

Ces rapports peuvent être plus ou moins encadrés. Ainsi, dans les milieux plus structurés et mieux organisés, on voit souvent apparaître des agences spécifiquement chargées d'établir et de faire respecter un certain nombre de règles minimales, qui sont souvent nécessaires au bon fonctionnement du groupe. On est alors en présence de phénomènes comparables à ceux que Guy Rocher appelle les ordres juridiques. Leur fonctionnement formel est en partie calqué sur celui de l'État. On pense — pour reprendre les exemples de Rocher — aux ordres religieux, aux ordres « ludiques » (organisations sportives, clubs de carte, etc.) ou aux organisations marginales que sont les communautés ethniques ou les milieux carcéraux. On peut également y inclure les institutions hospitalières, les centres d'accueil, les écoles, collèges et universités 73. Ce sont, dans tous les cas, des milieux relativement clos, bénéficiant d'une certaine permanence et fondés, soit sur une réalité partagée (la maladie, les études, la détention), soit sur la poursuite d'objectifs communs (le jeu, la production d'un bien ou d'un service).

71 . Voir au sujet du concept d'effectivité : Carbonnier (1978), op. cit. (note 24),

p. 368. 72 . Mackaay considère pour sa part que les stratégies de collaboration qui se

développent entre les participants à une relation sociale sont d'autant plus susceptibles de se développer que cette relation s'établit sur la base d'une bonne communication, d'un contrat ou de rapports de longue durée, susceptibles de faire naître la confiance, l'amitié ou la parenté, voire même la solidarité ou l'honneur, qui sont le propre des rapports «de longue haleine». Mackaay, loc. cit. (note 2), pp. 364-366.

73 . Rocher, loc. cit. (note 28), pp. 109-112.

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 83

Tous ces milieux peuvent générer un corpus de règles formellement établies et explicitement promues. Certaines de ces organisations sociales peuvent même établir des mécanismes précis de contrôle et de sanction. Cela dit, les participants à ces milieux organisés génèrent également une multitude de normes parallèles, non reconnues, non colligées et tacites qui ne peuvent pas, comme telles, faire l'objet d'un processus formel d'interprétation et de sanction. Ce sont ces « autres règles » qui peuvent le plus facilement favoriser une gestion non contentieuse des comportements et des différends.

Ces mêmes règles peuvent cependant se développer au sein de milieux moins bien encadrés et ne relevant d'aucune autorité disciplinaire précise. Dès lors, on parlera moins d'ordres juridiques que d'ordres normatifs. Ces ordres normatifs peuvent naître au sein de structures légalement constituées, mais ne dépendre d'aucune disposition habilitante. Ces normes sont le fruit d'équilibres relationnels spontanés ou négociés et constituent un ordre plus ou moins stable. C'est notamment le cas au sein des couples ou des familles. Ce peut être également le cas au sein de milieux de travail restreints (qui sont les plus nombreux). Ces relations peuvent également naître de simples rapports de voisinage ou de rapports de nature commerciale. Les dernières recherches du sociologue Jean-Guy Belley portent ainsi sur les mécanismes établis entre la Société Alcan et ses différents clients et fournisseurs. Au-delà des rapports prévus dans le cadre d'ententes contractuelles précises, une multitude de règles informelles enrichissent les relations de ces partenaires et favorisent le développement de systèmes normatifs très souples, mais tout aussi fonctionnels que ceux établis par les parties en vertu de leur relation contractuelle 74.

D'ailleurs, moins ces rapports font l'objet de procédés de formalisation précis et sanctionnés par une tierce-autorité, plus ils sont fonction de rapports de négociations continus et plus ils sont susceptibles de fonder un espace d'autorégulation. Ils peuvent dès lors faire l'objet de pratiques d'autointerprétation. C'est très précisément dans ces espaces autorégulés que la pratique du droit préventif prend son sens. Bien sûr, au fur et à mesure que se relâche le tissu des relations et des échanges, s'affaiblit également la densité des repères normatifs. Et, en contrepartie, plus la

74 . Voir, relativement à ce projet de recherche : GEPTUD, Document de présentation

1990-1991, Québec, Université Laval (Faculté de droit), 1991, pp. 10-11.

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négociation, la médiation ou la conciliation deviennent inefficaces. Les conditions d'exploitation des ressources offertes par ces mécanismes sont fonction de l'existence d'une relation stable entre les parties. Ainsi, dans le cas d'un différend confrontant deux inconnus issus de milieux tout à fait différents, on trouvera opportun de recourir au droit positif, car ce processus de règlement ramène les parties à la seule communauté à laquelle ils appartiennent conjointement : celle de la nationalité, de la citoyenneté et de l'État de droit. La justice formelle reste toujours le dernier recours en l'absence d'autres modes de gestion du litige. Le droit positif agit ainsi toujours « par défaut ». C'est fondamentalement là le sens des réserves de Richard L. Abel, mais également de Gordon R. Woodman qui souligne :

The homogeneity of production processes means that it is likely to be difficult to introduce new dispute resolution processes alternative to state adjudication in modern western societies. A significant number of disputes here arise between persons whose sole field of common membership is that of state law. 75

Ce sont des conditions fondamentales dont le droit préventif doit tenir compte. « Droit préventif » et « Droit positif » : la comparaison de ces modes de régulation des comportements et de gestion des différends nous permettra de mieux cerner la nature du droit préventif lui-même. C'est ce que nous verrons dans la section qui suit. Section 4. Droit préventif : quelques principes Sous-section 1. Droit préventif et droit positif :

une comparaison analytique

En fondant notre compréhension du droit sur l'idée du pluralisme juridique, que pouvons-nous dire des principes qui peuvent alimenter cette forme différente du droit que nous appelons ici : le droit préventif ? Et tout d'abord, qu'est-ce qui le distingue du droit positif du point de vue de la formation des normes, de ses finalités et de ses qualités particulières comme outil de gestion des différends ? Le droit préventif et le droit positif remplissent-ils les mêmes fonctions ?

Il convient d'abord de dire ceci. Du simple point de vue de la formation des normes, le développement de la législation ou de la réglementation et celui des ordres normatifs extra-étatiques

75 . Woodman, loc. cit. (note 67), p. 28, Abel, loc. cit. (note 59).

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 85

répondent à une rationalité fondée sur des finalités différentes. Là où le droit positif tend à favoriser le règlement des différends, les normes spontanément établies ou négociées dans le cours des rapports sociaux visent à les éviter. C'est sans doute là le sens premier du droit préventif. La chose s'explique aisément. Le droit positif, norme de dernier recours, vise à favoriser la possibilité d'un arbitrage légitime (d'un jugement) qui mette fin aux conflits éventuels. Aussi, son essence est d'abord d'ordre fonctionnel. Au contraire, issus de l'équilibre spontané — ou de l'équilibre négocié — des rapports sociaux, les autres ordres normatifs visent moins à sanctionner une faute qu'à éviter le développement de différends sans issue.

Cela dit, le droit positif et le droit social remplissent néanmoins la même mission. Ils visent tous deux le règlement des conduites individuelles, qui est une des fonctions manifestes du droit, quel que soit son fondement (chapitre 1, section 3). Cela dit, le droit préventif fait de la réglementation des conduites individuelles sa fonction première. La fonction de gestion des différends lui est assujettie. En sens inverse, le droit positif soumet la gestion des comportements individuels aux impératifs de la gestion des différends et du règlement final des litiges. Cet état de fait explique que la loi soit considérée, dans les sociétés libérales, comme un outil de limitation plutôt qu'un outil de prescription des comportements et ce, malgré la tendance de l'État moderne à intervenir toujours davantage dans le fonctionnement de la société civile. Au contraire, les ordres normatifs extérieurs à l'État tendent à favoriser certains comportements au détriment d'autres. C'est notamment le cas de ceux qui sont les moins formalisés. Aussi ces normes visent-elles surtout à orienter les comportements et sont plutôt d'ordre prescriptif. Kelsen lui-même a cependant fait voir que, de façon concrète, cette dichotomie restait artificielle. Car, en limitant certains comportements, on en prescrit toujours d'autres. De sorte que — de quelque façon qu'on s'y prenne — la fonction de gestion des comportements relève toujours immanquablement du processus normatif dans son ensemble. Le tout est question de pondération 76.

76 . « Pour amener les hommes à se conduire d'une manière déterminée, le droit

attache une sanction à la conduite contraire. La conduite qui est la condition de la sanction se trouve ainsi interdite, tandis que la conduite permettant d'éviter la sanction est prescrite ». Hans Kelsen, Théorie pure du droit, (Traduction Henri Thévenaz), Neuchâtel, Éditions de la Baconnière, (coll. Être et Penser/Cahiers de philosophie), 1988, p. 75.

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Nous avons vu que la gestion des différends constituait également une fonction manifeste du droit. Cette fonction est aussi bien remplie par la justice formelle que par la médiation ou la conciliation. Elle l'est cependant sur la base de finalités différentes suivant qu'on s'inspire du droit positif ou du droit préventif. Car si, dans le premier cas, la rationalité matérielle du processus de règlement réside dans l'application d'une norme unique en vue de la reconnaissance d'une prétention sur une autre, on favorisera, au contraire, dans le deuxième, la définition d'un règlement fondé sur la négociation et la satisfaction des parties. Ces deux finalités sont elles-mêmes soutenues par des procédés différents. Le droit positif favorise ainsi la réduction du différend aux catégories établies par la loi. La relation des parties est dès lors limitée à ses dimensions instrumentales, c'est-à-dire réduite aux éléments utiles à l'établissement d'un ordre de prétention. Au contraire, la pratique du droit préventif favorise une lecture de la relation qui tienne compte de la totalité des liens qui unissent les parties. Cette relation est ainsi abordée dans toute sa densité.

Cette distinction entre droit positif et droit préventif est elle-même fonction d'impératifs et de perceptions différentes. En effet, les principes de la justice formelle favorisent un règlement fondé sur l'extinction du litige dans un cadre qui met fin à la relation des parties. Le système judiciaire nie le rôle des parties dans la gestion de leur propre différend et, ce faisant, menace la relation qui les liait. C'est ce qu'exprime clairement le jeu concurrent des procureurs. Au contraire, le conciliateur aborde le différend qui oppose les parties comme un problème plutôt que comme un conflit. Il n'entend pas départir les acteurs de leur différend et voit son règlement comme un moment particulier dans le cadre d'une relation qui, elle, est appelée à se poursuivre par la suite 77.

Le droit positif est établi sur la base des principes d'une justice formelle. Celle-ci soumet chaque partie au principe de l'égalité devant la loi et permet à une partie d'imposer à l'autre de se soumettre à un processus d'adjudication. Il s'agit d'un procédé de

77 . « This definition is not limited to dispute over the appropriate remedies for

alleged past acts, which are the commonest subject of litigation. It extends also to expressed conflicts over the appropriate terms of continuing future relations between the parties ». Woodman, loc. cit. (note 67), p. 7. Voir également Le Roy, loc. cit. (note 60), pp. 59 et 69-71; et Hain Kötz, « Le règlement des litiges en dehors des tribunaux : synthèse et conclusions », in : Hain Kötz et Reynald Ottenhof, Les Conciliateurs, la conciliation, Paris, Économica, 1983, p. 188.

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« dernière instance ». La fin du conflit est acquise à la faveur d'une procédure qui met chaque individu en face de LA norme. Le règlement est fondé sur la réparation, c'est-à-dire sur le rééquilibre matériel des parties. Le procès étant par nature le lieu d'expression d'un conflit, il implique généralement une rupture, qui consacre le rôle du magistrat comme tiers-adjudicateur, c'est-à-dire comme intervenant « directif ». Le droit positif est ainsi fondé sur le couple : égalité-contrôle.

Le droit préventif est au contraire fondé sur un principe d'équité. En vertu de celui-ci, les parties sont amenées à tenir compte de l'ensemble de leur situation et non seulement des règles formelles sur lesquelles leur relation est censée être établie. Les parties y sont considérées en fonction de leur situation commune. Les règles explicites ou implicites, formulées ou inférentielles, qui ont jusque-là présidé à leurs rapports sont tenues en compte comme le fait d'un élément interne à la relation des parties (réalité distincte du principe d'extériorité du droit étatique). À la limite, notamment dans le cas de normes implicites et inférentielles, l'enjeu du différend peut lui-même être la définition d'une règle qui, pour n'avoir jamais été formulée, est justement cause de malentendu. La négociation de la norme devient dès lors une des issues possibles du processus de médiation et de conciliation. Elle prépare le terrain des rapports ultérieurs entre les parties 78.

Le règlement du différend est moins fonction de la réparation que des conditions de redéfinition de la relation. Dans ce sens, la médiation et la conciliation participent au processus d'autorégu-lation de la relation. Les parties sont considérées comme les premiers agents de leur relation et les premiers responsables du règlement de leur différend. Pour cette raison, le médiateur est un tiers non directif. Le droit préventif est fondé sur le couple liberté-responsabilité. Il insiste moins sur « la norme » comme absolu, que sur « le droit » comme processus de réciprocité. En évitant de fixer la norme de façon définitive et en redonnant aux parties la responsabilité de l'établir ou de la modifier, il fait du droit un processus vivant. C'est du moins dans des termes similaires que

78 . « Finally, the perspective reveals that rules need not be laws directly determining

the outcome of disputes, but may themselves be the objects of negociation, such that the whole dispute settlement process is a 'conceptual and organisational framework for competitive bargaining, transaction and compromise' ». Henry, op. cit. (note 26), p. 59.

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Macdonald concluait sa propre réflexion sur le caractère polysémique du droit :

Les structures normatives explicites et formulées ne réglementent pas et ne contrôlent pas la vie sociale; mais en contribuant à définir des aspects particuliers de l'interaction humaine (soit en limitant le choix de l'imagination, soit en établissant le mode de discours), elles créent des différends qui appellent une solution formelle. Une normativité implicite et inférentielle est inhérente à toute communauté; le processus de prise de décision juridique consiste en réalité à retrouver et reconnaître, au-delà de la manière formelle de résoudre des différends, le jeu de normes implicites et inférentielles. Pour cette raison, seules les normes implicites et inférentielles sont réellement normatives. 79

Sous-section 2. Le droit préventif en tant que droit

Synthétiquement, que pouvons-nous dire maintenant des fonctions qu'occupe le droit préventif, si ce n'est qu'elles sont les mêmes que celles qu'occupe déjà le droit positif :

1) la régulation des comportements individuels et 2) la gestion des différends qui apparaissent dans le cadre de

la vie collective. Dans ce sens particulier — c'est-à-dire d'un point de vue

fonctionnel — le droit préventif constitue effectivement une des approches possibles du « droit ». Cela dit, alors que le droit positif réalise la deuxième de ces fonctions (et y soumet la première), le droit préventif favorise la première et y soumet la seconde. Parallèlement au système de dernière instance que nous connaissons et qui trouve sa forme privilégiée dans une logique fondée sur l'imposition d'une norme extérieure, d'un jugement, d'une sanction et d'une contrainte, le droit préventif propose une logique fondée sur l'autorégulation, la négociation, la médiation et l'entente partagée. Dans un style qui rappelle la comparaison que Tocqueville faisait entre la démocratie grecque et la démocratie américaine, nous pourrions dire du droit préventif :

qu'il ne faut pas prendre l'expression dans son sens étroit. Ce qui caractérise le droit, c'est d'abord la fonction qu'il occupe socialement :

79 . Macdonald, loc. cit. (note 38), p. 58.

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favoriser la cohabitation des individus et permettre un traitement équitable des différends. Quand ces fonctions reposent sur l'équilibre des rapports interpersonnels et la négociation continue des attentes et des intérêts, lors même que ces fonctions se moulent à nos rapports quotidiens, elles ne constituent peut-être pas « le Droit » aux yeux du juriste ou du philosophe, mais elles correspondent au sens le plus profond du droit, qui existe par ses effets davantage que par ses causes. Dans le cadre du droit préventif, ce n'est pas la contrainte qui est grande, mais le consentement ou le sentiment d'obligation qui s'expriment fortement, ce qui revient au même. Ce n'est pas la sanction qui force au respect du règlement, mais la certitude de l'équité, ce qui revient encore au même. On a donc raison de parler de droit, en parlant du droit préventif.

Sous-section 3. La prévention en tant que dimension du droit

Mais en quoi cette conception du droit peut-elle être considérée comme préventive ? Nous avons déjà en partie répondu à cette question. En favorisant l'exploitation des normes qui naissent au fur et à mesure des rapports — contractuels ou spontanés — qu'entretiennent les individus, le droit préventif vise à éviter le développement des différends. Et lors même que ceux-ci apparaissent, il cherchera leur conclusion à la faveur d'un processus de conciliation plutôt que de confrontation. Car ces équilibres — négociés ou spontanés — sont fondés sur les attentes mutuelles des parties. En les utilisant, le droit préventif offre une forme de gestion des différends fondée sur l'évitement d'une polarisation inutile. En cela, il protège la relation des parties et prévient la rupture de leurs rapports. Il comporte de ce point de vue un caractère préventif. Cela dit, le droit préventif ne prétend pas répondre à tous les types de conflits. Nous avons déjà vu que certaines conditions doivent présider à toute initiative de conciliation. Celle-ci perd son sens dès lors que les parties ont accepté les résultats de l'adjudication judiciaire. Dans la mesure du possible, le droit préventif doit donc lui « prévenir ». D'ailleurs, du point de vue étymologique, le mot prévenir signifie également « action de devancer » ou, à la limite, d'aller au-devant. C'est un sens qui lui va toujours...

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Sous-section 4. Droit préventif : une certaine approche du droit Du point de vue de la pratique professionnelle, les choix du

droit préventif — nous l'avons vu — vont vers les modèles offerts par la négociation, la conciliation, la médiation et l'arbitrage. Mais à quoi tout cela réfère-t-il concrètement ? La définition que donnent les auteurs de ces quatre procédés varient souvent significativement 80.

Nous n'entendons pas fournir ici de définitions propres et novatrices de ces phénomènes mais, plus simplement, établir un certain nombre de balises. La première forme de la prévention, faut-il le rappeler, réside dans l'évitement du conflit. L'unité de base de tout processus préventif nous semble ainsi résider dans la négociation, c'est-à-dire, dans la définition des attentes réciproques des parties et l'échange des consentements. C'est en effet par un processus d'ajustement mutuel permanent que s'institue — au-delà des règles établies par une quelconque unité légitime — la définition des normes plus ou moins formelles et tacites en fonction desquelles les relations s'établissent entre les associés d'une entreprise, les membres d'un groupe, d'une association, d'un club ou d'un couple. Il s'agit d'un processus continu. Sa bonne marche s'exprime dans l'équilibre des rapports des individus engagés dans ces échanges. Tout processus qui tend à l'autorégulation dépend ainsi du bon fonctionnement de la négociation. C'est par conséquent, aussi, un processus de conciliation permanent et spontané.

Les différends surviennent lorsque cette négociation continue ne permet plus aux membres du groupe — quelle que soit sa dimension — de produire une norme satisfaisante pour tous, ou lorsqu'une mésentente survient dans le cours des activités du groupe du fait d'une interprétation différente donnée à une norme qu'on avait crue bien établie. On assiste alors à un déséquilibre des attentes mutuelles. Dans ces cas particuliers, l'intervention d'un tiers constitue un moyen de rétablir le processus de négociation rompu par l'incapacité des parties de s'entendre sur la norme qui doit présider à leur relation.

80 . Voir Woodman, loc. cit. (note 67); Le Roy loc. cit. (note 60); Dufresne, op. cit.

(note 7), pp. 16-23; Québec, Le règlement non juridique des conflits et des litiges : État de la situation, (Doc. de consultation 2.2), Ste-Foy, ministère de la Justice, 1991, p. 2; Canadian Bar Association, Report of the Canadian Bar Association Task Force on Alternative Dispute Resolution : A Canadian Perspective, Ottawa, The Canadian Bar Association, 1989, pp. 5-6.

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 91

Dans les cas où cette intervention n'implique qu'une remise en marche du processus de négociation — règlement de malentendus, remise en rapport des parties — on parlera simplement de conciliation. En effet, le tiers-intervenant ne fait que favoriser l'expression d'un principe déjà actif dans la relation des parties. Dans ce sens, le conciliateur se présente d'abord comme un catalyseur. Il n'a pas à servir d'intermédiaire entre les parties, mais facilite la gestion de leurs échanges. Ceux-ci sont en effet — tout à coup — rendus plus difficiles du fait de la rupture de ton que provoque immanquablement le développement d'une mésentente.

Dans le cas où, au contraire, leur différend ne permet plus aux parties d'échanger directement leur point de vue (c'est-à-dire de faire savoir leurs attentes mutuelles et de négocier), le rôle du tiers prend des formes plus signifiantes. On parlera de médiation 81. La médiation est un terme générique qui signifie : intervention d'un élément médian, c'est-à-dire d'un tiers se situant entre les parties. Sa fonction est de recréer les conditions de la négociation, notamment en rétablissant la communication rompue entre les individus engagés dans un différend. La communication est en effet une condition nécessaire au développement d'une interaction continue entre les parties; condition elle-même indispensable à l'élaboration de stratégies individuelles de coopération 82. Le médiateur n'est pas un juge ou un adjudicateur 83. Cette position implique que, contrairement au juge ou à l'arbitre, le médiateur soit — comme nous l'avons souligné plus haut — un tiers non directif 84. Son rôle n'est pas de donner priorité à un droit sur un

81 . Certains auteurs ne font aucune distinction entre les concepts de médiation et

conciliation. C'est notamment le cas de Woodman, loc. cit. (note 67), 12-13. La plupart reconnaissent cependant la distinction qui existe entre les deux concepts et leur donnent un sens équivalent à celui que nous proposons ici. Voir entre autres : Québec, Rapport du Groupe de travail sur l'accessibilité à la justice : Jalons pour une plus grande accessibilité à la justice, Québec, ministère de la Justice, 1991, pp. 160-161.

82 . Mackaay, loc. cit. (note 2), p. 365. 83 . Le Roy inclut dans la médiation : « Toutes les formes de règlements négociés des

conflits par l'intermédiaire d'une tierce partie n'intervenant pas en qualité de juge ». Voir Le Roy, loc. cit. (note 60), p. 59.

84 . L'intervention d'un tiers fait la particularité du phénomène juridique. C'est du moins l'avis du philosophe Kojève que commente Chevallier : « Pour Kojève, le particularisme du droit réside dans l'intervention d'un tiers impartial et désintéressé, qui s'effectue à l'occasion d'une interaction entre deux êtres humains... c'est elle qui transmet un caractère juridique à l'ensemble de la situation ». Tiré de Chevallier, op. cit. (note 10), p. 31.

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92 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

autre, ou de désigner un vainqueur mais, plus simplement, de faciliter la reprise de la négociation entre les parties 85.

La médiation est par ailleurs un processus librement consenti par les parties. De ce point de vue, il se distingue du procès qu'un demandeur peut imposer à un défendeur sans son consentement, parfois même sans sa présence (ex parte). Pour l'essentiel, elle vise la définition d'un règlement fondé sur l'entente conjointe des parties. Elle ne prétend pas par conséquent être l'expression d'une justice parfaite — incarnée par l'imposition d'une norme supposée absolue — mais favorise au contraire la définition d'un arrangement négocié qui satisfasse les parties et leur permette de poursuivre ultérieurement leur relation sur la base de normes mieux définies ou redéfinies, vis-à-vis de laquelle chaque partie se sent liée. Tout le processus est ainsi fondé sur la recherche de l'équité, c'est-à-dire sur la quête d'une solution recevable du point de vue de chaque partie. 86 Aussi, même lorsque les parties en présence autorisent le médiateur à leur soumettre des solutions auxquelles elles n'auraient pas elles-mêmes pensé, ces propositions ne sont revêtues d'aucune force obligatoire; le contenu de l'entente devant être conjointement accepté par les parties.

Certains auteurs inscrivent finalement l'arbitrage comme mode alternatif de gestion des différends. Du point de vue où nous nous situons, la chose n'a cependant de sens que dans le respect de procédures déjà négociées par les parties. En droit, le concept de « prévention » ne vise pas seulement à éviter qu'un différend naisse entre des individus au cours de leur relation mais également, qu'en cas de mésentente, le différend ne devienne pas un motif de rupture. Or, ce sont ces situations qui, en droit, sont à l'origine de ce qu'on appelle le litige ou le contentieux. Dans ce sens, l'arbitrage demandé par les parties à la suite d'une entente préalable

85 . Par conséquent, la médiation ne vise pas à reproduire le modèle du procès;

« symbole de contrôle exercé par les détenteurs du pouvoir sur l'expression des rapports conflictuels » qui est le propre du magistrat en tant que tiers-directif. Voir Belley, loc. cit. (note 18), pp. 27-28.

86 . Dans ce sens, la définition que l'Association du Barreau Canadien nous fournit de la médiation complète bien celle de Le Roy (loc. cit., note 60). La médiation se caractériserait ainsi par : « the intervention into a dispute or negociation by an acceptable, impartial and neutral third party who has no decison-making power, to assist disputing parties in voluntarily reaching their own mutually acceptable settlement of issues in dispute ». Canadian Bar Association, op. cit. (note 80), p. 5.

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 93

sur les conditions qui y donnent ouverture, peut être considéré comme une forme de gestion préventive des différends.

Les principes alors évoqués au soutien de la décision arbitrale doivent tenir compte de l'ensemble de la relation des partenaires et être fondés sur le principe de la satisfaction des entités en présence, c'est-à-dire sur des principes d'équité plutôt que de justice formelle. Car en cas contraire, on serait en présence d'un tribunal miniature (mini-trial). Or, pour des raisons que nous avons évoquées plus haut, il ne nous paraît pas opportun de considérer les procédés d'adjudication comme des pratiques pertinentes dans le cadre d'une approche préventive du droit. Au contraire, l'arbitrage, lorsqu'il est voulu et prévu par les parties à l'occasion de négociations et d'ententes antérieures, peut être considéré comme tout à fait propre à favoriser un évitement des conflits de type judiciaire (c’est-à-dire d'un litige). Sous-section 5. Droit préventif et droit positif :

une « coupe » phénoménologique Nous avons en partie défini ce qui, d'un point de vue

analytique, distingue le droit préventif du droit étatique. De façon plus descriptive et schématique, cependant, ces distinctions peuvent s'exprimer de deux façons : a) en fonction d'une conception différente du droit; b) en fonction d'une conception différente du différend.

Du point de vue de sa conception du droit, le droit préventif cherche à éviter le litige. Du point de vue de sa conception du différend, il tend à éviter la rupture d'une relation continue.

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94 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

Cette approche implique une conception particulière : 1) des rapports sociaux; 2) de la finalité (et de la fonction) du droit; 3) des rapports entre le droit et la société; 4) des fondements normatifs du droit dans la société; 5) du statut juridique des individus impliqués dans un

différend; 6) des formes que le droit peut prendre; 7) du rapport juridique des parties; 8) de la traduction juridique de leur différend; 9) des objectifs du processus de gestion de leur

différend; 10) des modalités associées à ce processus; 11) de la base d'un règlement éventuel; 12) des modes de gestion de la preuve admissible 13) du type de support apporté par un tiers-intervenant; 14) des fondements d'un éventuel règlement; 15) des fondements de son caractère applicable.

C'est ce que précise le tableau 1 sur la schématisation des distinctions entre droit préventif et droit positif (supra, p. 95).

Le droit préventif se présente comme une approche générale du droit. Aussi ne se limite-t-il pas au seul champ de la pratique du droit, mais tend à favoriser une intervention publique qui, bien au-delà du milieu professionnel, couvre tout aussi bien l’action du législateur que la gestion judiciaire des litiges eux-mêmes.

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 95

TABLEAU 1 SCHEMATISATION DES DISTINCTIONS ENTRE DROIT PREVENTIF

ET DROIT POSITIF

Droit préventif Droit étatique/judiciaire

Prévention du litige

Rapports sociaux Autonome / Réciproques Ordonnés par contrainte

Fonction première du droit

Ajustement des atteintes et des comportements Le règlement des litiges

Rapport droit / société

Droit = produit des rapports sociaux

Droit = producteur de rapports sociaux

Fondement normatif du droit

Pluralisme juridique Responsabilité / liberté

Monolithisme juridique Égalité / contrôle

Statut du citoyen Acteur / agent Client / bénéficiaire

Forme du droit Explicite et formelle, implicite et inférentielle Explicite et formelle

Conception du rapport juridique Problème / différend partagé Conflit et litige

(sur une base d'opposition)

Prévention d'une rupture de la relation

Traduction juridique du différend

Dimensions concrètes et vécues du problème

(traitement dense)

Traduction juridique d'un problème humain / social

(traitement restreint)

Objectif du processus Satisfaction des parties Victoire / défaite

Gain / perte

Modalités du processus

Négociation et entente sur la base d'une norme partagée

Débat sur la base d'une norme extérieure imposée

Base du règlement Conciliation / médiation Jugement

(Justice formelle)

Mode de la preuve

Administration des admissions et des perceptions

Administration de la preuve matérielle

Support au règlement Tiers non directif Tiers-adjudicateur

Fondement du règlement

Principe de l'intérêt commun Équilibre des intérêts

Principe des intérêts particuliers et concurrents

Fondement de son application Consentement Sanction / soumission

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96 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

Section 5. L'espace du droit préventif Sous-section 1. Essai de définition

Qu'est-ce que le droit préventif ? C'est un champ de recherche, d'analyse et de pratique fondé sur une compréhension élargie du droit. Elle nous permet d'aborder le droit comme un processus de prévention des différends. Et dans le cas où un conflit n'a pu être évité, elle lui oppose un traitement non contentieux. Le droit préventif postule l'autonomie des parties qui sont considérées comme productrices de leurs propres normes et agents de leur propre relation. Il favorise l'engagement des personnes dans le règlement négocié de leurs différends et fait reposer ce règlement sur les normes et les règles que ces parties ont établies entre elles, tout au cours de leur relation passée; ou sur la définition des normes qu'elles entendent respecter pour l'avenir. Aussi, de même que la relation dans son ensemble, le processus de règlement des différends doit être conçu comme un mécanisme d'ajustement réciproque des attentes des parties. Il favorise la poursuite de la relation plutôt que l'imposition pure et simple d'une sanction ou d'une réparation fondée sur la contrainte et la dissolution des rapports établis.

Parce qu'elle implique une vision différente du phénomène juridique, l'approche favorisée par le droit préventif ne se résume pas seulement à la promotion d'une pratique particulière, mais implique une approche différente de la législation et de l'activité judiciaire. Pour cette raison, le champ d'action du droit préventif touche à la fois les problèmes de la juridicisation et de la judiciarisation (chapitre 1, section 5). Sous-section 2. Intervention au niveau de la juridicisation

Définie schématiquement, la juridicisation est le phénomène par lequel le droit positif tend à s'imposer comme modèle à la société civile toute entière. Il emprunte de multiples formes dont nous avons parlé, et constitue une des causes — à tout le moins indirecte — de la judiciarisation des différends. La problématique de la juridicisation inspire au moins cinq types d'interventions distinctes, touchant : 1) l'intelligibilité de la législation et des contrats, 2) l'information et la vulgarisation des lois, 3) l'inflation législative, 4) le contenu des législations et 5) les modalités prévues par le législateur pour le règlement des différends.

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 97

Paragraphe 1. L’intelligibilité de la législation et des contrats

En effet, la législation, lors même qu'elle est nécessaire, doit être rédigée dans un langage accessible. Il y a là matière à prévention... En effet, la technicité du langage juridique rend celui-ci de moins en moins propre à l'entendement du commun des mortels. Il s'agit là d'un problème ancien qui a déjà fait l'objet d'importants efforts, tout au cours des années ‘70. Cette préoccupation a notamment présidé à la rédaction de lois sociales connues, comme la Loi sur la protection du consommateur 87. Il s'agit cependant là d'un exemple trop peu suivi et, dans leur forme actuelle, la plupart des législations restent inaccessibles. Cette difficulté se traduit par ailleurs dans l'aridité des communications administratives. Le juriste lui-même s'y perd régulièrement... La pratique quotidienne du droit révèle les nombreuses erreurs auxquelles cette imperméabilité donne lieu. Une partie du travail actuel des juristes consiste tout simplement à quérir des informations administratives où à traduire dans un langage accessible des informations libellées dans un langage « impropre à la consommation ». De nombreuses erreurs proviennent du caractère inaccessible de la législation. Un important travail reste à accomplir dans ce sens, et il incombe au droit préventif de s'y investir, notamment dans le cas des lois concernant les rapports entre particuliers. Le même mouvement devrait également favoriser l'épuration des ententes contractuelles qui renferment encore aujourd'hui de nombreux archaïsmes et autres formules consacrées dont le sens échappe aux parties. En entretenant le caractère hermétique du langage juridique, on entretient également — à la pièce et sous d'autres formes — le phénomène de la juridicisation des rapports sociaux. Paragraphe 2. L’information et la vulgarisation des lois

Dans le même sens, l'information sur la législation et sur la réglementation fait entièrement partie du domaine du droit préventif. Il convient cependant de bien saisir l'utilité de l'information juridique. Celle-ci doit en effet être comprise dans sa fonction préventive, c'est-à-dire en tant qu'elle permet l'ajustement réciproque des comportements, plutôt que la préparation d'un litige juridique éventuel. Prise et présentée dans sa forme classique, l'information et la vulgarisation des lois visent surtout à permettre

87 . L.R.Q., c. P-40.1.

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98 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

au citoyen de se voir conforté dans ses prétentions plutôt qu'à permettre l'évitement d'un conflit inutile. Du point du vue du droit préventif, cette information peut jouer dans deux sens à la fois :

a) en permettant l'évitement d'une décision qui pourrait déboucher sur un litige juridique et une action judiciaire; b) en servant d'élément de pression favorisant l'établissement d'une démarche de négociation et de conciliation entre deux parties aux prises avec un différend. L'état de la législation — et son éclatement — rend déjà de

plus en plus difficile une lecture intelligible de la loi. Les moyens de classification offerts par l'informatique risquent cependant d'ouvrir — au-delà du monde professionnel — de nouvelles avenues sur lesquelles le C.D.P.Q. devra se pencher. Du point de vue du droit préventif, l'information juridique implique surtout une réflexion sur l'accessibilité effective du droit dans des termes également accessibles. Certaines initiatives — on pense aux services d'information offerts par « Le téléphone juridique » — permettent déjà d'atteindre une partie de ces objectifs. La pratique plus systématique du diagnostique juridique par les professionnels du droit irait dans le même sens en fusionnant les concepts de planification stratégique et de planification juridique 88. Paragraphe 3. L’inflation législative

Le grand nombre des législations adoptées annuellement dans tous les domaines rend de plus en plus difficile la connaissance même de la loi. Cette réalité appelle également une réflexion fondée sur le droit préventif. L'inflation juridique, quelles que soient ses causes, devient ainsi un problème par lui-même. Lentement, la loi en vient à coloniser tous les aspects de la vie, sans laisser de place à l'équilibre négocié des rapports sociaux. Certaines législations ne viennent que consacrer des mécanismes de régulation déjà existants sans ajouter plus d'efficacité à ceux-ci. D'autres législations viennent carrément imposer des modes de contrôle à l'intérieur de secteurs déjà balisés par des pratiques internes, en court-circuitant ces mêmes modes de régulation plutôt qu'en les faisant servir aux fins auxquelles ils sont destinés. Le

88 . Voir relativement au concept de Diagnostic juridique : Louis M. Brown,

Lawering through Life : The Origin of Preventive Law, Fred B. Rothman, 1986; et Marianne Jennings, Avoiding and Surviving Lawsuit : The Executive Guide to Strategic Planning of Business, San Francisco (Cal.) Jossey-Bass Management Series, 1989, 240 pages.

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 99

problème qui se pose est dès lors facile à définir. Avons-nous toujours besoin d'une législation ou d'une réglementation supplémentaire dans tel domaine ou tel autre et peut-on la définir en termes généraux, de manière à laisser une certaine marge de manœuvre aux citoyens impliqués 89 ?

Une conception élargie du droit favoriserait sans doute une remise en question du « tout-État ». Une compréhension socio-logique du phénomène juridique ou, plus largement, du processus de définition des normes sociales nous éviterait sans doute l'imposition de contraintes inutiles, notamment au sein de milieux où ces contraintes existent déjà, dans les faits. Il ne s'agit évidemment pas là d'une réaction contre la législation prise dans son ensemble. Dans de nombreux secteurs de la vie sociale — notamment là où seul le lien de la citoyenneté unit les personnes comme c'est le cas de l'écologie — on ne pourra pas remplacer la loi par quoi que ce soit d'autre. Cela dit, plusieurs milieux établissent spontanément leurs propres balises éthiques. Il n'est pas toujours certain qu'on ait avantage à lutter contre ces initiatives plutôt qu'à leur donner le moyen de se développer 90. Il y a là un espace pour une réflexion de type préventif. Paragraphe 4. Le contenu des législations

Le droit préventif appelle également une réflexion élargie sur le contenu de la législation. Plus précisément, il s'agit là du problème fondamental de l'imposition, par la loi, de rôles antagonistes, notamment en matière civile et commerciale. Nous abordons ici un problème plus difficile à cerner, mais que la modification de la loi sur le divorce a permis de mettre en évidence. La loi contraint souvent les parties aux prises avec un différend à se vêtir d'attributs antagonistes. Un accident bête — une chicane d'enfants par exemple — devient rapidement une action en responsabilité. Dernièrement, les parents d'une jeune victime broyée à la suite d'un accident de train recevaient — le jour même des obsèques — une lettre de mise en demeure pour le

89 . On sait en effet actuellement que la surabondance de règlements provoque

souvent des effets contraires à ceux recherchés par le législateur (Rocher, loc. cit. note 5), et que beaucoup de lois inadaptées au milieu et aux fins auxquelles elles sont destinées sont tout bonnement boycottées par les citoyens, comme ce fut longtemps le cas de la loi sur l'avortement, et comme c'est souvent le cas aujourd'hui relativement à une multitude de loi tatillonnes.

90 . Guy Rocher donne notamment l'exemple du monde médical. Rocher, loc. cit. (note 28), pp. 116-118.

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100 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

remboursement des dommages causés à la locomotive... Il s'agit de cas rencontrés tous les jours. Les communications entre l'administration publique et le citoyen se font ainsi souvent sous la forme de mises en demeure. La traduction des rapports sociaux en termes strictement conflictuels favorise le développement de la juridicisation de ces rapports et, ultérieurement, leur traduction en termes judiciaires. Le réflexe-litige pourrait sans doute être atténué à la suite d'une réflexion plus étendue sur le processus d'imposition des rôles inscrit dans la législation. L'approche offerte par le droit préventif pourrait servir ici de base de réflexion sur la forme de la législation. Paragraphe 5. Les modalités prévues par le législateur pour le règlement

des différends Finalement, les modalités prévues par le législateur pour le

règlement des différends pourraient être également l'objet d'une intervention du Centre de droit préventif. Car, au-delà même de l'imposition de rôles antagonistes, la législation force également la judiciarisation obligatoire des différends. La chose est d'ailleurs moins due à l'intention arrêtée du législateur de multiplier les procès, qu'à l'absence d'alternative au litige judiciarisé. La conci-liation ou la médiation ne sont jamais présentées ou même suggérées comme formes possibles de gestion du différend. Aussi, après avoir plus ou moins imposé aux parties des rôles antago-nistes, le législateur leur impose également le prétoire, pour tout lieu d'expression de ces différends exacerbés.

Il n'est sans doute pas opportun de proposer aujourd'hui la reconnaissance législative d'un corps spécialisé de conciliateurs comme on en rencontre en France. Cette façon de faire institution-naliserait vraisemblablement de façon inopportune la fonction de tiers non directif. Cela dit, la conciliation et la médiation elles-mêmes pourraient facilement faire l'objet d'une reconnaissance comme étape préliminaire et facultative au litige judiciarisé. On sait, du moins à l'heure actuelle, que peu de démarches législatives ont été entreprises dans ce sens par le législateur lui-même, ce qui ouvre tout un champ d'intervention possible pour les tenants du droit préventif 91.

91 . En Europe, certains auteurs favorisent l'imposition de la médiation comme un

préalable à toute saisine de juridiction. Larrue, loc. cit. (note 70), p. 57.

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 101

Sous-section 3. L'intervention au niveau de la judiciarisation

Les deux derniers champs d'intervention que nous avons définis ici touchent cependant des questions connexes au problème de la juridicisation. Ils concernent en effet, également, le problème de la judiciarisation, c'est-à-dire de l'inflation des poursuites judiciaires. Plusieurs raisons peuvent venir expliquer cet état de fait, mais il est facilement observable dans ses différentes expressions (Chapitre 1, Section 5).

Pour contrer ce phénomène, qui touche directement l'action des juristes, on peut cependant proposer le développement d'un certain nombre de réflexes nouveaux, sinon de pratiques nouvelles, susceptibles de faire perdre à l'action des juristes ses effets potentiellement conflictuels. On pense immédiatement aux pratiques de conciliation, de médiation et d'arbitrage dont nous avons parlé auparavant (supra, Chapitre 2, Section 4). On oublie cependant trop facilement qu'une partie des différends potentiels qui naissent entre les parties peuvent être envisagés à l'avance, notamment lorsque ces parties sont conduites à rédiger une entente ou un contrat 92.

Le problème actuel vient de ce que la forme même du contrat est souvent envisagée en fonction des gains potentiels que chacun envisage faire au cours d'un conflit éventuel plutôt qu'en fonction des moyens d'éviter ces conflits. Une réflexion plus poussée sur l'application du concept de droit préventif devrait favoriser une réforme du domaine des obligations 93. Le contrat est en effet l'expression première de la loi des parties et, par là, de leur désir d'équilibrer leurs rapports potentiels. Cette approche devrait favoriser deux champs de pratique nouveaux :

92 . C'est d'ailleurs dans la pratique contractuelle que Jacques Dufresne voit

l'application la plus évidente du concept de droit préventif qui, dit-il, « consiste pour l'essentiel à rédiger de bons contrats ». Voir : Jacques Dufresne, op. cit. (note 7), p. 19.

93 . On trouve déjà dans ce sens une réflexion avancée chez les spécialistes du monde anglo-saxon. Voir notamment : Ian R. MacNeil, Contracts : Exchanges, Transactions and Relations, Mineola (N.Y.), The Fondation Press inc, (coll. University Casebook Series), 1978 (1ère édition américaine 1971), 1320 pages. Voir notamment la seconde partie de l'ouvrage intitulée Planning Contractual Relations, pp. 781-1278.

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a) un premier, visant la rédaction de formulaires et de clauses types permettant l'évitement des différends plutôt que la seule protection des parties; b) un deuxième, touchant le développement de formes d'expression contractuelles qui prévoiraient à l'avance un traitement préventif des différends (conciliation, médiation, arbitrage) et n'envisageant l'emploi de procédures judiciaires ordinaires qu'en tout dernier recours. Ici encore, le diagnostic judiciaire favoriserait, au-delà d'une information juridique qui manque souvent aux parties, un mode d'évitement des différends prévisibles.

Sous-section 4. Les différents temps de la prévention L'action préventive peut ainsi prendre différentes formes au

fur et à mesure que se déroule le fil qui conduit de la première lecture d'une législation au jugement final d'une affaire judiciarisée. Elle porte ainsi à la fois sur des actions de nature publique (sinon « politique ») et sur des dimensions relevant carrément de la pratique professionnelle.

La première mission du droit préventif est en effet d'ordre public. Tout le travail sur la législation dont nous avons fait état plus haut (problème de juridicisation) ne peut être réalisé qu'au stade de l'adoption des lois, ou au moment de l'établissement de la réglementation. Toute nouvelle législation peut, à la limite, faire l'objet d'une lecture préventive et ce, qu'elle qu'en soit l'objet. On verra ainsi à ce que la législation ne vienne pas inutilement envahir un secteur capable de se réguler lui-même. Mais on cherchera également à ce qu'elle soit accessible ou concrètement traduite dans des formes qui la rendent compréhensible pour le justiciable; on pense notamment ici à la réglementation et au traitement administratif de la législation. À ce stade, il conviendra de voir également si la loi ne crée pas artificiellement de nouvelles causes de conflit en imposant aux parties des rôles antagonistes et s'il est possible d'envisager la proposition de modes préventifs — encore que toujours facultatifs — de gestion des différends éventuels. Une fois la législation adoptée, il est également conforme à l'approche du droit préventif de faire connaître la législation adoptée, dans une optique favorisant la prévention des différends ou l'exercice d'une pression incitant les parties à la conciliation ou médiation. Sur une plus vaste échelle, la prévention des conflits inutiles pourrait faire l'objet d'importantes campagnes publiques, comparables à celles élaborées dans le domaine de la santé, de la

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 103

délinquance ou du décrochage scolaire. On pourrait ainsi poser ouvertement le problème de la judiciarisation excessive des rapports sociaux et faire la promotion d'une conception différente du droit et de la pratique professionnelle.

Dans un deuxième temps, le droit préventif devrait en effet favoriser la transformation de la pratique et de l'éthique professionnelle. La pratique préventive du droit peut en vérité trouver sa place à toutes les phases d'une relation contractuelle ou d'un processus judiciaire. Bien sûr, avant toute chose, elle favorise une modification des pratiques contractuelles. Nous en avons parlé plus haut. Le rôle du professionnel pourrait cependant s'en trouver singulièrement modifié. En effet, une approche préventive du droit devrait normalement conduire le juriste à porter toute son attention sur les faits concrets entourant une relation contractuelle et à fonder sa pratique sur le respect des objectifs réels poursuivis par les parties. La pratique courante du droit et la spécialisation lente de pans entiers de l'édifice juridique nous ont, au contraire, conduits à réduire les rapports contractuels aux dimensions restreintes que nous imposent les catégories juridiques usuelles, même lorsqu'elles ne sont pas d'application obligatoire. Le droit, qui devait servir les parties, s'impose dorénavant à eux comme une obligation. Ainsi, on assiste souvent à la déformation des intentions des parties engagées dans une entente et leur propre contrat a cessé d'être la traduction juridique de leur volonté, pour n'être plus qu'une succession de figures imposées. Les relations contractuelles se trouvent ainsi laminées dans le processus juridique. Le justiciable est trop fréquemment infantilisé dans le cours de l'opération, et le droit est graduellement devenu une simple affaire de technique. L'échange des consentements — l'intention des parties — s'est perdu dans les artifices de formes et les formules consacrées. Cet état de fait explique et justifie à la fois le manque d'imagination de trop nombreux juristes. C'est ce rapetissement du droit et de la pratique que l'approche du droit préventif cherche à combattre pour redonner au juriste sa véritable fonction sociale et restituer à la pratique une souplesse conforme aux exigences de la modernité et respectueuse de la complexité des rapports sociaux contemporains. Il faut saisir à nouveau l'essence de l'acte contractuel, qui consacre l'existence d'une relation et affirme un désir de continuité.

Cela dit, lors même qu'un conflit survient, le droit préventif trouve encore son sens. Car, le retour à l'intention initiale des parties et le règlement par le biais de la conciliation et de la

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médiation — même lorsqu'elle n'a pas été prévue par les parties — peut être favorisé à toutes les étapes d'un différend et constituer la poursuite de la démarche originale des parties, que celle-ci ait été juridiquement formalisée ou non.

1) Ainsi, avant toute procédure judiciaire, la conciliation peut être considérée comme mode de gestion des difficultés qui peuvent naître entre des personnes liées dans le cadre d'une relation donnée, notamment lorsque la chose a été prévue par les parties au tout début de leurs rapports et, plus particulièrement encore, lorsqu'il s'agit d'une relation établie sur la base d'une entente de nature contractuelle. La chose est possible du moment que chaque partie accepte de traiter de son différend avec l'autre en termes de problème commun plutôt qu'en termes de litige, et cherche une entente négociée qui permette aux parties de poursuivre, dans des cadres redéfinis, leur relation mutuelle.

2) La conciliation — ou la médiation — peut par ailleurs être appelée, à tout moment d'un procès civil, suivant en cela la pratique connue du règlement hors cours. Ce devrait toujours être le cas lorsque les parties entendent se libérer du processus régulier de l'adjudication. C'est sans doute à ce niveau surtout, que l'éthique professionnelle est mise à l'épreuve et qu'une approche nouvelle du litige doit être développée; éthique fondée sur le recours constant aux pratiques de la médiation et de la conciliation. Une telle approche mettra en application cet adage trop oublié en vertu duquel un mauvais règlement vaudrait encore mieux qu'un bon jugement 94. Dans tous ces cas, l'utilisation des dispositions du Code civil (article 1918) relativement à la transaction pourrait servir de base à un renouvellement de la perspective professionnelle, notamment du droit notarial.

3) Quoique de façon moins courante, on pourrait également s'attendre à ce que la Cour refuse de se prononcer sur les questions qu'elle considère hors du ressort de la justice et renvoie les parties à la conciliation. En effet, si les tribunaux n'ont pas le pouvoir de refuser de juger les causes qui relèvent de leur juridiction, ils sont souvent parvenus, au cours des dernières années, à contourner les problèmes provoqués par l'existence de vides juridiques en

94 . C'est Jacques Dufresne qui rappelle cette citation d'Abraham Lincoln :

« Découragez le litige. Autant que vous le pourrez, persuadez vos voisins d'accepter un compromis. En tant que pacificateur, l'avocat a plus de chance d'être un homme bon, Il y aura toujours assez de travail pour lui ». Tiré de Dufresne, op. cit. (note 7), p. 16.

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renvoyant le législateur à ses responsabilités, comme ce fut notamment le cas en matière d'avortement. Les parties se retrouvent dès lors face à elles-mêmes. Il n'est pas certain que la conciliation puisse facilement jouer dans ces cas particuliers, mais une tendance plus poussée des cours de justice dans ce sens pourrait favoriser — en le cautionnant — le développement de ces pratiques nouvelles 95. À la demande des parties ou à l'initiative de la cour, il pourra par ailleurs apparaître utile de régler par conciliation l'un ou l'autre des aspects de la cause. C'est du moins ce que propose Woodman qui souligne :

During the course of litigation directed to resolution by adjudication, various issues may be settled by agreement between counsel, on their own initiative (negociation through agents), or at the suggestion of and on terms suggested by the judge (mediation); these may occur before any adjudication has occured, or when some major issues have been adjudicated but others not, or after all the principal issues have been adjudicated 96.

Le Roy souligne également que, de fait, le magistrat est souvent appelé par la nature des choses à intervenir « en amiable compositeur, en raison de sa fonction » 97. Dans le même sens, mais de façon plus systématique, les dispositions relatives au jugement déclaratoire prévues au Code de procédure civile du Québec (article 55 et 453), favoriseraient, si elles étaient plus souvent utilisées, le développement d'un espace de pratique qui, comme la procédure de transaction, est souvent oubliée des juristes. Si la distinction entre le caractère préventif ou curatif de cette procédure — distinction qu'avaient envisagée les commissaires en 1965 — n'a pas été retenue par le législateur, l'esprit même de l'institution participe largement de celui qui préside au développement actuel du droit préventif, qui traite la question de façon moins manichéenne et réductrice que le suppose une référence trop stricte au couple curatif/préventif, à laquelle nous n'avons pas voulu céder 98. Aussi, le jugement déclaratoire

95 . On rencontre périodiquement cette situation dans le cadre de différends à ca-

ractère quasi politique, comme c'est le cas par exemple lorsque surviennent des problèmes relatifs à l'élection des cadres d'une organisation à but non lucratif.

96 . Woodman, loc. cit. (note 67), p. 14. 97 . Le Roy, loc. cit. (note 60), p. 59. 98 . Sur cette question précise, on consultera avec intérêt l'arrêt Duquet c. Ville de

Ste-Agathe-des-Monts, [1977] 2 R.C.S. 1132. Dans un article récent, Me Yves-Marie Morissette soulignait le fait que la distinction entre le caractère préventif ou curatif de la procédure prévue à l'article 453 C.P. n'avait pas été retenue par la Cour suprême. Il conclut que, de ce fait, l'utilisation juridique du concept de

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pourrait-il être l'objet d'une utilisation plus fréquente, notamment lorsque l'interprétation divergente d'une loi menace l'équilibre des relations entre deux parties intéressées à poursuivre leurs rapports antérieurs. Le jugement déclaratoire jouerait ainsi le même rôle que l'information juridique, en forçant la conciliation des parties.

4) Finalement, la négociation, la conciliation ou la médiation peuvent survenir à tout moment, à la suite d'un jugement, soit pour les fins du partage des biens entre les parties (comme c'est souvent le cas à la suite d'une action en divorce) soit, dans tous les cas où deux parties autrefois impliquées dans un conflit judiciarisé conviennent d'éviter, à l'avenir, de recourir aux instances traditionnelles. Dans le domaine matrimonial, ce pourrait être le cas pour les questions relatives à la garde des enfants ou à la cessation des paiements d'une pension alimentaire qui n'a plus d'objet. Dans le domaine des affaires, ce peut également être le cas de partenaires commerciaux qui considèrent avoir davantage à perdre dans l'exécution d'un jugement que dans l'établissement de modalités différentes, favorisant plutôt la poursuite de leurs rapports commerciaux. Le règlement hors cours (le désistement au sens des articles 262 et suivants) ou le traitement postjudiciaire

prévention est impossible. Le législateur n'ayant pas jugé bon de se référer explicitement au concept de prévention, la prévention n'aurait aucun sens dans le cadre de la pratique du droit. Il semble cependant que l'auteur ait été prisonnier de distinctions trop facilement brossées entre le caractère « curatif » ou « préventif » du droit, distinctions qu'il exploite dans une acception proche du langage vernaculaire. C'est une compréhension des choses à laquelle nous n'avons pas voulu soumettre notre définition du droit et c'est une distinction que la Cour suprême n'a pas voulu cautionner non plus. En fait, en cautionnant une interprétation large de l'article 453 C.P., la Cour a adopté — dans Duquet c. Ville de Ste-Agathe-des-Monts — une attitude assez proche de celle que nous proposons ici. Elle vise à favoriser une compréhension souple — plutôt que tatillonne ou technicienne — du droit et des rapports judiciaires. Au contraire, Morissette tend surtout à réduire sa conception du droit à ses dimensions instituées et la pratique du droit à ses dimensions techniques. Yves-Marie Morissette, « (Dé)judiciarisation et (dé)juridicisation et accès à la justice », in : La Revue du Barreau, vol. 51, n° 4, novembre-décembre 1991, p. 594. Il ne convient pas ici de polémiquer inutilement. La question de savoir, quelle est, de ces deux approches (plus ouverte ou plus formelle), celle qui doit l'emporter, n'a pas d'objet. Seule demeure cette interrogation visant à établir à quelle condition la référence à une acception plus sociologique du droit apparaît indiquée, compte tenu du besoin des parties. En cherchant à développer le concept de droit préventif, nous avons humblement cherché à comprendre quelque chose en nous libérant d'une conception esthétique et idéaliste du droit. Nous avons voulu saisir le droit en tant que processus social. Aussi, loin de s'opposer au système juridique existant, il y trouve également sa place, comme dans la pratique quotidienne des tribunaux, sans s'y opposer, lorsque la chose sert l'intérêt des parties.

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 107

d'un différend (que facilite la procédure de désistement de jugement prévu à l'article 476) sont ainsi deux expressions possibles du droit préventif. Aussi, de façon plus large, nous avons volontairement parlé ici du traitement non contentieux — plutôt que précontentieux — des différends, expression qui rend compte de l'intérêt des pratiques de médiation et de conciliation, à toutes les phases d'un différend et la nécessité de maintenir, à tous moments d'une relation, un espace pour la négociation.

Le droit préventif occupe un espace étendu. Celui-ci dépasse largement le domaine de la pratique pour s'inscrire dans une réflexion approfondie sur la nature de la législation et sa complémentarité avec le mode de gestion des différends. Sur une plus longue période, cette approche pourrait favoriser un renouvellement de l'enseignement du droit. C'est une orientation déjà prise, en partie, dans certaines universités où sont aujourd'hui dispensés des cours de formation critique et interdisciplinaire en histoire du droit, en sociologie, en économie et en philosophie du droit. La même chose peut être dite de la formation professionnelle où le développement d'une approche différente du droit pourrait trouver son fondement dans le droit préventif 99. À plus long terme, il n'est pas interdit de croire que, par effet de rétroaction, la pratique du droit préventif en vienne à s'imposer à l'ensemble de la communauté juridique. Section 6. Droit préventif : conditions et limites Sous-section 1. Les pièges de l'argumentation

On pourrait être tenté de conclure abusivement de tout ce qui précède que l'approche proposée par le droit préventif peut répondre à l'ensemble des problèmes de la « justice ». Aux États-Unis, c'est sans doute là une des erreurs qui ont conduit les défenseurs de cette approche à surestimer les possibilités offertes par toute une panoplie de « pratiques alternatives ». Dans beaucoup de cas, on a voulu réduire le droit préventif à une série de recettes ou de techniques. Souvent, on a eu tendance à oublier que le meilleur moyen de régler un différend, c'est encore d'en éviter l'apparition; sens premier de la prévention. En sens inverse, la rhétorique qui a trop souvent accompagné le développement de

99 . On trouve déjà au Canada-anglais des cours de formation professionnelle

(continuing legal education) dispensés sous l'appellation Alternative Dispute Resolution. Voir Canadian Bar Association, op. cit. (note 80).

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ce mouvement de réforme a souvent puisé à des considérations qui se sont par la suite avérées douteuses.

C'est d'abord le cas de ceux qui ont tenté de présenter le droit informel comme l'expression d'un mouvement plus large, fondé sur le principe de l'accès à la justice. Cet argument a largement entretenu la confusion des citoyens entre les prétentions du système judiciaire et les objectifs que la conciliation permet effectivement d'atteindre. La conséquence la plus directe de cette confusion fut sans doute de faire voir les modes alternatifs de gestion des différends et les centres locaux de conciliation comme des filiales bon marché du système judiciaire et, dans un deuxième temps, comme une forme de demi-justice, de justice à rabais ou de justice de deuxième classe 100.

Dans un sens différent, on a parfois cherché à fonder la pratique de la conciliation et de la médiation sur une nouvelle idéologie de l'harmonie sociale et de la bonne entente. Cette approche ouvre cependant la porte à toutes les critiques, certains considérant qu'il s'agissait là d'une utopie, d'autres, d'un retour à des modes archaïques de gestion des différends, modèles qui seraient eux-mêmes fondés sur une évocation nostalgique de la communauté traditionnelle ou villageoise. Nous avons nous-mêmes tenté de démontrer que le développement de normes extra-étatiques pouvait tout à fait se justifier à l'extérieur de postulats fondés sur la bonté présumée de la nature humaine (Chapitre 2, Section 3).

Ce sont souvent ces justifications — établies sur la recherche de l'harmonie — qui ont fondé les expériences du type Community justice ou Neighbourhood Justice. Dans le cadre de celles-ci, les promoteurs des pratiques de conciliation ont laissé supposer qu'il était possible de redonner à la communauté une responsabilité dans

100 . Voir, relativement à l'association des pratiques de conciliation au problème de

l'accès à la justice, Bernadette Demeulenaere, « La médiation et les droits des consommateurs », in : The Windsor Yearbook of Access to Justice, vol. 7, 1987, p. 122. Sur la conception des modes alternatifs de gestion des différends en tant que justice de seconde classe voir : Maurice Rosenberg, « Second Class Justice », in : The Windsor Yearbook of Access to Justice, vol. 1, 1981, pp. 294-302; Enrique Vescovi, « Le règlement des conflits hors des tribunaux », in : Hein Kötz et Raynald Ottenhof (sous la direction de), Les conciliateurs et la conciliation : une étude comparative, Paris, Économica, 1983, p. 175; et, dans le même ouvrage collectif : Mauro Cappelletti et Bryant Garth, « Settlement of Disputes Out of Court : A comparative report on the Trend toward Conciliation », pp. 8-9.

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la gestion des différends nés entre ses membres. Cette approche fait cependant bon marché de la liberté des « Modernes », et a donné l'occasion, pour tout ceux qui l'on désiré, de démontrer le caractère inapplicable des pratiques de médiation traditionnelles pour le règlement des différends nés dans les sociétés occidentales contemporaines. Paradoxalement, cet état de fait a plus ou moins permis à certains défenseurs du statu quo de présenter comme des réactionnaires, tous ceux qui entretiennent une réflexion critique sur l'évolution de nos systèmes de droit... 101

D'autres défenseurs du « droit alternatif » proposaient de voir dans ces modèles et ces initiatives une réponse aux problèmes concrets du système judiciaire lui-même. Plusieurs ont favorisé le développement de modes alternatifs de gestion des différends en réaction aux lenteurs, au formalisme, aux coûts et aux injustices du système judiciaire. Dans la plupart des cas cependant, la médiation et la conciliation n'a pas vraiment permis de répondre à ces difficultés. Ainsi, le problème de l'engorgement des tribunaux est à peu près resté le même dans la plupart des États américains où sont nés les Community Justice Centers dont nous avons parlé plus haut 102. Du fait de leur succès, ces centres ne sont pas toujours parvenus eux-mêmes à limiter l'accroissement de leurs délais d'intervention 103. Les coûts de la conciliation se sont souvent révélés tout aussi élevés que ceux de la justice traditionnelle 104 et

101 . Voir, précisément sur ce point : Abel, loc. cit. (note 59). Consulter également, sur

l'idéologie de l'harmonie sociale : Laura Nader, « The ADR Explosion — The Implications of Rhetoric in Legal Reform », in : Recueil annuel de Windsor d'accès à la justice, vol. 8, 1988, pp. 275 ss.; Demeulenaere, loc. cit. (note 100), p. 128; Anne-Marie Boisvert et Karim Benyekhlef, « Les modes alternatifs de résolution des litiges en droit criminel : considérations critiques », in : The Windsor Yearbook of Access to Justice, vol. 10, 1990, pp. 7 ss. Neelan Tiruchelvam compare même les mouvements récents en faveur de la déprofessionnalisation de l'administration de la justice aux initiatives communistes ou fascistes en faveur de l'établissement de mécanismes de justice populaires. Neelan Tiruchelvam, « The Idelogy of Popular Justice », in : Charles E. Reasons et Robert M. Rich The Sociology of Law : A Conflict Perspective, Butterworths, Toronto, 1978, pp. 263-280.

102 . Bryant Garth, « Settlement of Disputes Out of Court in the United States : The Role of Lawyers and the Recent Emphasis on Neighborhood Justice Centers», in : Hein Kötz et Raynald Ottenhof (sous la direction de), Les conciliateurs et la conciliation : une étude comparative, Paris, Économica, 1983, p. 169.

103 . Dufresne, op. cit. (note 7), p. 21. 104 . Henry, op. cit. (note 26), p. 44; Dufresne, op. cit. (note 7), p. 21; et Christine B.

Harrington, « Delegalization Reforme Movements : A Historical Analysis », in :

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le formalisme est souvent un phénomène difficile à éviter, même dans le cadre d'une pratique fondée sur ce que certains ont trop rapidement appelé le droit informel 105. Aussi, dans certains milieux, la désignation de médiateurs a plus ou moins favorisé l'établissement d'une nouvelle « aristocratie de bons citoyens »; d'une nouvelle noblesse de robe 106. Sous-section 2. Les conditions d'implantation

D'autres précautions doivent être prises de manière à éviter l'échec des tentatives d'implantation du concept de prévention au Québec. Ces précautions sont nombreuses et il convient à tout le moins d'en faire l'inventaire. Les expériences étrangères — issues des initiatives américaines notamment — ont en effet permis de faire voir que la conciliation servait souvent les intérêts de la partie bénéficiant du statut social le plus élevé ou ayant accès aux ressources institutionnelles et financières les plus importantes. C'est notamment le cas lorsqu'une personne physique se trouve confrontée aux prétentions d'une société commerciale, d'une compagnie d'assurance ou d'un employeur. Dans ces cas particuliers, la conciliation peut servir à entretenir des situations de domination très concrètes auxquelles la justice formelle pourrait répondre 107. Effet secondaire inattendu, le développement des centres de conciliation ou de médiation a périodiquement justifié la limitation ultérieure des budgets de la justice et a servi de prétexte au gel des effectifs judiciaires 108. On a parfois accusé ces centres de faire double emploi 109. Et, de façon générale, on a souvent trop attendu des pratiques de conciliation, en favorisant une exploitation de cette technique dans tous les domaines du droit substantif 110.

Richard L. Abel (ed.), The Politics of Informal Justice, New York, Academic Press, (coll. Studies on Law and Social Control), 1982, p. 62.

105 . Dufresne, op. cit. (note 7), pp. 21-22. 106 . Henry, op. cit. (note 26), p. 45. 107 . Voir notamment à ce sujet : Henry, op. cit. (note 26), p. 45; Woodman, loc. cit.

(note 67), p. 27; Vescovi, op. cit. (note 100), p. 175; et Demeulenaere, op. cit. (note 100), pp. 122-123.

108 . Voir Nelly Bonnart-Pontay, « Le règlement des litiges en dehors des tribunaux : l'expérience des conciliateurs en France », in : Hein Kötz et Raynald Ottenhof (sous la direction de), Les conciliateurs et la conciliation : une étude comparative, Paris, Economica, 1983, p. 47.

109 . Roger Matthews, « Reassessing Informal Justice », in : Roger Matthews, Informal Justice ?, Londres, Sage Publications, 1988, p. 10.

110 . Boisvert et Benyekhlef donnent l'exemple du droit criminel où les expériences de prévention n'ont pas toujours donné les résultats qu'on en attendait. Voir Boisvert

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 111

Toutes ces expériences nous font voir à l'avance deux ou trois choses très simples :

1) on ferait une erreur en cédant à l'effet de mode qui tend à promouvoir aujourd'hui — et un peu partout — l'utilisation des pratiques de conciliation et de médiation. La vogue actuelle, en faveur des pratiques dites alternatives, pourrait facilement favoriser l'inclusion, sous ce vocable — ou sous celui du droit préventif — de toute une série d'expériences improvisées. Celles-ci risquent de provoquer la remise en question d'une bonne idée, parce qu'on aura tenté de l'exploiter dans tous les secteurs à la fois. On réduit alors le concept de prévention en ne mettant en évidence que son utilité comme mode de règlement des différends.

2) On ferait également une erreur importante en limitant le droit préventif à une simple question de technique juridique. Comprise de cette façon, on aurait tôt fait de démontrer son inefficacité dans le cadre de la pratique judiciaire traditionnelle. Le droit préventif doit ainsi être promu dans sa totalité, non seulement comme pratique juridique, mais également comme approche particulière du droit, de la législation et de la relation juridique.

3) Il convient finalement de reconnaître les limites et les inconvénients réels des pratiques qu'on identifiera à l'avenir comme issues du droit préventif. Ils sont la contrepartie d'un certain nombre d'avantages associés à l'idée même de prévention. Ainsi, il est très évident que la pratique du diagnostique juridique, comme celle de la conciliation, ne permette pas la formulation de précédents judiciaires ou l'établissement de règles normatives à portée générale, chaque cas étant traité dans sa spécificité. C'est la loi du genre, puisque cette approche différente du droit ne prétend pas tirer les normes dont elle s'inspire d'institutions extérieures aux individus ni en fonder une interprétation d'application générale 111. Par ailleurs, comme le souligne Demeulenaere, la gestion des différends en fonction de leur singularité ne permet pas de localiser et d'exposer les clivages structuraux que la jurisprudence met occasionnellement en évidence. Cela dit, elle leur apporte une solution ad hoc qui en vaut bien d'autres... 112

et Benyekhlef, loc. cit. (note 101). Matthews souligne également que la médiation et la conciliation n'ont peut-être pas la même efficacité dans tous les secteurs. Voir, Matthews, op. cit. (note 109), p. 11.

111 . Demeulenaere, op. cit. (note 100), p. 125. 112 . Ibid., pp. 126-127.

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Une partie de ces limites peut néanmoins être contournée. Certaines conditions apparaissent en effet indispensables au succès des pratiques fondées sur la prévention des litiges. Il apparaît en effet de plus en plus que certains types de relations ou de différends sont plus susceptibles que d'autres de faire l'objet d'un traitement par voie d'ententes négociées ou de conciliation 113. Parmi les conditions qui rendent ces transactions possibles, on compte évidemment le consentement des parties 114, mais également, l'égalité relative des acteurs impliqués 115, l'existence, entre eux, d'une relation particulière et continue 116, l'intention des parties de poursuivre ultérieurement leur relation 117, leur bonne foi dans l'ensemble de la démarche 118, et la possibilité que conserve chacun d'en appeler aux mécanismes de la justice formelle, la gestion préventive des différends étant elle-même un processus indépendant — mais non un concurrent — du processus judiciaire 119.

Cela dit, l'ensemble de ces conditions limitent peut-être d'elles-mêmes la pratique du droit préventif à un certain nombre de champs de pratique spécifiques. On sait qu'il s'applique particulièrement bien aux domaines du droit civil et commercial. Le droit préventif peut-il également faire l'objet d'une application quelconque dans le domaine du droit administratif ? C'est ce que prétend Daniel Mockle 120. Quelques auteurs remettent pourtant en question — aujourd'hui — son utilité, même dans le domaine du droit du consommateur où il a d'abord été implanté 121. Et, alors que certains doutent de son utilité dans le domaine pénal 122, d'autres en font ouvertement la promotion 123.

113 . Rosenberg, loc. cit. (note 100), p.302. 114 . Cappelletti et Garth, op. cit. (note 100), p. 9; et Woodman, loc. cit. (note 67),

p. 22. 115 . Cappelletti et Garth, ibid., p. 8; et Demeulenaere, loc. cit. (note 100), p.131. 116 . Mackaay, loc. cit. (note 2), p.372; Abel, loc. cit. (note 59), p. 182. 117 . Demeulenaere, loc. cit. (note 100), p.131. 118 . Dufresne, op. cit. (note 7), p. 22; et Bonnart-Pontay, op. cit. (note 108), p. 47. 119 . Bonnart-Pontay, idem. 120 . Daniel Mockle, « Zéro contentieux. L'ouverture d'une troisième voie en droit

administratif par le règlement amiable des différends », in : La Revue du Barreau, vol. 51, n° 1, janvier-février 1991, pp. 45-126.

121 . Demeulenaere, loc. cit. (note 100). 122 . Boisvert et Benyekhlef, loc. cit. (note 101). 123 . Commission de réforme du droit du Canada, Étude sur la déjudiciarisation,

(document de travail n° 7), Ottawa, 1975; et Québec, La criminalité : prévention

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LE CONCEPT DE DROIT PREVENTIF 113

On verra plus loin (Chapitre 3, Section 2) que, dans les faits, le C.P.D.Q. défend une idée largement mise en pratique, déjà, dans une multitude de domaines. Il lui manquait cependant un support théorique et un mode d'évaluation que nous sommes à élaborer. Sous-section 3. Quelques questions encore...

Une multitude de questions restent d'ailleurs posées : quel est le rôle du juriste dans le développement du droit préventif ? Comment s'assurer d'une pratique conforme à un certain nombre de règles éthiques ? Quel rapport le droit préventif doit-il entretenir avec le droit positif ? Jusqu'à quel point la pratique du droit s'en trouvera-t-elle modifiée ? Quelle place prendra la conciliation aux côtés du système judiciaire ? La pratique de la conciliation devrait-elle être, dans certains cas, l'objet d'une pratique obligatoire ? La législation devrait-elle reconnaître la pratique du droit préventif ou le statut de tiers non directif ? Les ententes prises à la faveur d'une conciliation ou d'une médiation devraient-elles être homologuées ? Peuvent-elles faire l'objet d'une entente notariée et est-ce souhaitable ? La décision conjointe obtenue à la suite d'une conciliation peut-elle faire l'objet d'une exécution obligatoire ? L'accord de conciliation peut-elle être révisée ou révoquée ? Qui doit payer pour les services de conciliation ? Quelle est la part de la multidisciplinarité dans le développement d'une approche préventive du droit ? 124

Les réponses qu'on apportera à ces questions donneront sa couleur particulière au droit préventif québécois. Certaines avenues sont cependant déjà tracées, et les pages qui suivent (Chapitre 3) permettent déjà de dégager un certain nombre de perspectives utiles pour la suite de la démarche.

et mesures correctionnelles (document de consultation 2.3 préparé en vue du Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, octobre 1991.

124 . On trouve déjà une partie de ces questions posées dans les articles de Vescovi, op. cit. (note 100), pp. 181-183; de Pierre Bellet, « Les conciliateurs en France », in : Hein Kötz et Raynald Ottenhof (sous la direction de), Les conciliateurs et la conciliation : une étude comparative», Paris, Économica, 1983, p. 41; et de la Canadian Bar Association, op. cit. (note 80), pp. 53-72.

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CHAPITRE 3

LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC

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Section 1. Droit préventif et droit positif : deux approches complémentaires

À l'étranger, les premières expériences réalisées au nom du droit préventif — souvent désigné sous d'autres appellations — ont provoqué la polémique. Souvent, elles étaient l'initiative de professionnels ou d'intervenants sociaux plus sensibles que les autres au caractère directif du droit positif ou à la lourdeur de la justice formelle. Plusieurs étaient préoccupés par le problème de l'accès à la justice et réagissaient à des situations d'exclusion qu'ils jugeaient inadmissibles. Leur action en vue d'un assouplissement et d'une réappropriation du droit par le citoyen a parfois été considérée comme une provocation par les défenseurs d'une approche plus dogmatique et idéaliste du droit, entendu comme œuvre de civilisation. Le développement d'une réflexion étendue sur la nature des rapports normatifs et sur la gestion des différends représentait pour plusieurs d'entre eux une forme de retour en arrière, incompatible avec les tendances rationalistes de la société contemporaine 1.

Cette perception n'a cependant pas été retenue par l'ensemble des observateurs. Déjà, au début du siècle, les travaux de Santi Romano, puis ceux de Georges Gurvitch, témoignent de la cohabitation possible de divers ordres normatifs et de multiples formes de droit. C'est ce qu'on appelle le pluralisme juridique (Chapitre 2, Section 1). Au Québec, les travaux réalisés plus récemment par Guy Rocher ou Jean-Guy Belley révèlent la richesse des phénomènes d'internormativité par lesquels les règles issues de diverses sources cohabitent, s'interpénètrent ou parviennent à se concilier. La synthèse de ces interactions normatives oriente nos comportements et détermine notre façon de gérer nos différends. En contrepartie, même ceux qui se proposent de démontrer l'existence de mécanismes d'autorégulation et qui voient dans ces ordres spontanés le fondement du droit dans la société civile reconnaissent la légitimité de l'action normative de

1 . C'est une compréhension des choses qu'on retrouve déjà chez Max Weber, au

début du siècle : Max Weber, Sociologie du droit, Paris, P.U.F. (coll. Recherches politiques), 1986, pp. 42-43 et pp. 227-233. Sous un angle différent, on la rencontre également dans les travaux d'un auteur comme Richard Abel, « Mediation in Pre-Capitalist Societies », in : Windsor Yearbook of Access to Justice, vol. 3, 1983, pp. 175 ss.

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118 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

l'État 2. On accepte en général l'idée que : « Les rapports entre les régulations juridiques étatiques et non étatiques s'expriment davantage sous le mode de la complémentarité ou de l'interdépendance que de l'antagonisme » 3.

Ainsi, on a peut-être trop rapidement opposé des conceptions du droit qui ne sont, somme toute, que l'expression de modes de régulation sociale complémentaires. Au nom d'une conception idéale de la justice et de la législation on a eu tendance à exclure tout un ensemble de phénomènes connexes. Ainsi, chez les théoriciens du droit positif, certains vont jusqu'à opposer la législation (perçue comme outil de contrôle global) et le processus judiciaire (compris comme outil d'autorégulation) 4. Nous avons vu plus haut qu'il s'agissait cependant là de distinctions moins fondamentales qu'il n'y paraît et que le processus de judiciarisation des différends accompagne souvent — même s'il s'en distingue — le processus de juridicisation des rapports sociaux (Chapitre 1, Section 5).

Au Québec, la réflexion conduite au cours des dernières années a notamment permis de contourner les contradictions apparentes qui existaient entre différentes dimensions du phénomène juridique. Ainsi, l'opposition parfois mise en évidence entre « réglementation » et « autorégulation » trouve souvent une réponse satisfaisante dans le cadre d'une conception différente de l'intervention étatique, ouverte à l'autoréglementation et abordant de façon innovatrice (par le biais de la fiscalité par exemple) la contrainte légale 5.

2 . Voir à ce propos : Ejan MacKaay, « L'ordre spontané comme fondement du

droit — un survol des modèles de l'émergence des règles dans une société civile », in : La Revue juridique Thémis, vol. 22, 1988, pp. 347-383.

3 . Jean-Guy Belley, « L'État de la régulation juridique des sociétés globales : pour une problématique du pluralisme juridique », in : Sociologie et société, vol. 18, n° 1, avril 1986, p. 30. Voir également ce qu'en dit l'Honorable Gontran Rouleau, juge à la Cour supérieure du Québec, in : Barreau du Québec, Les méthodes alternatives de résolution de conflits, Montréal, Service de formation permanente, pp. 15-16.

4 . Voir Laurent Cohen-Tanugi, Le droit sans l'État, Paris, P.U.F. (coll. Quadrige), 1985, pp. 9-10 et 37-41.

5 . Voir notamment à ce propos le texte de Reuven Brenner, « Réglementation ou autoréglementation », in : Québec, La responsabilité partagée à l'égard de la justice : état de la situation (Document de consultation 1.1 préparé en vue du Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, octobre 1991, annexe 3.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 119

Il en va de même de la pratique du droit elle-même. Encore récemment, le ministre de la Justice du Québec endossait l'idée que, parallèlement au système judiciaire traditionnel, des mécanismes plus souples puissent favoriser une gestion simplifiée des différends au sein de la société civile 6. L'idée allait être reprise par le Protecteur du citoyen et, plus tard, par le Groupe de travail sur l'accessibilité à la justice (Commission Macdonald) 7 et par les organisateurs et les participants du Sommet de la Justice 8. En 1986, le législateur adoptait la Loi modifiant le Code civil et le Code de procédure civile en matière d'arbitrage 9. Ces innovations législatives font cependant oublier que la législation québécoise comptait déjà, à la fin du siècle dernier, une Loi concernant la conciliation (sanctionnée le 10 mars 1899) visant à diminuer le nombre des procès qui pouvaient surgir dans les campagnes et prévoyant, en matière personnelle et mobilière, des mécanismes de négociation assistée et d'ententes à l'amiable.

Dans tous les cas cependant, le principe de la complé-mentarité a été reconnu par les auteurs, les professionnels du droit et le législateur. Ainsi, le mode juridique québécois a cherché à se dissocier partiellement de l'expérience américaine qui a souvent

6 . Voir à ce propos l'article de Clément Trudel, « L'accessibilité à la justice », in :

Maîtres, octobre-novembre 1991, p. 11. 7 . Voir Groupe de travail sur l'accessibilité à la justice, Rapport : Jalons pour une

plus grande accessibilité à la justice, Montréal, ministère de la Justice, juin 1991, pp. 189.

8 . Québec, Le règlement non judiciaire des conflits et des litiges : État de la situation (Document de consultation 2.2 préparé en vue du Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, octobre 1991, p. 1.

9 . Projet de loi 91; L.Q. 1986, c. 73, sanctionnée le 11 novembre 1986. Voir les articles 1926.1-1926.6 ss. du C.C.B.C et 2623-2628 du C.C.Q.; de même que les articles 940 ss. du C.P.C.). Voir à ce propos le texte de André Dorais, « L'Arbitrage commercial — Développement législatifs », in : La Revue du Barreau, vol. 47, n° 2, pp. 273-306. On consultera également le texte de John E.C. Brierley, « Une loi nouvelle pour le Québec en matière d'arbitrage », in : La Revue du Barreau, vol. 47, n° 2, pp. 259-272.

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120 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

abordé la pratique du droit préventif comme une solution de rechange au système judiciaire 10. Cette complémentarité peut s'exprimer dans la coexistence des mécanismes judiciaires traditionnels et des pratiques de conciliation, de médiation et d'arbitrage non judiciaires. Elle doit cependant, aussi, prendre sa place dans les facultés de droit, et susciter une modification de l'enseignement juridique 11. Ces propositions sont généralement acceptées par tous.

Plusieurs de ces initiatives limitent cependant le droit préventif à une « technique » d'intervention et de gestion des différends sans poser le problème de la prévention dans son sens le plus fort. Aussi, même au sein des groupes qui revendiquent le développement d'une nouvelle compréhension du phénomène juridique, le droit est encore présenté comme un lieu d'expression des litiges 12. La fonction du droit en tant que processus de règlement et d'autorégulation des conduites est généralement oubliée, et le droit est encore saisi comme un phénomène extérieur

10 . Voir à ce propos ce qu'en dit la Commission Macdonald : « Dans le contexte

américain, les modes alternatifs ont été considérés, du moins à leur début, comme une solution de rechange au système judiciaire. Au Canada, les modes alternatifs semblent être considérés, moins comme une solution de rechange qu'un complément au système judiciaire — un ensemble de méthodes différentes, y compris le recours au tribunaux, qui peuvent être employées selon la nature du conflit et les besoins des parties ». Groupe de travail sur l'accessibilité à la justice, op. cit. (note 7), p. 173. Voir notamment dans le même sens, relativement à l'expérience américaine : « Justice privée et payante », in : Le Devoir, 20 février 1989, p. 1.

11 . Voir à ce propos la proposition n° 44 de la commission Macdonald sur l'accessibilité à la justice : « Que les universités et les chambres professionnelles, en particulier les facultés de droit, le Barreau et la Chambre des notaires sensibilisent les étudiants en droit et leurs membres, selon leur juridiction respective, aux différents modes alternatifs de règlement des litiges en intégrant notamment dans leurs programmes de formation des cours sur les modes alternatifs ». Ibid., pp. 194 et 215.

12 . Voir notamment à ce sujet, les commentaires de Guy Rocher, in : Clément Trudel, loc. cit. (note 6), p. 8, et de Jean-Guy Belley, « Les facultés de droit et l'accès à la justice au Québec », in : Québec, La responsabilité partagée à l'égard de la justice : état de la situation (Document de consultation 1.1 préparé en vue du Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, octobre 1991, p. 30.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 121

aux individus. C'est là l'ambiguïté des problématiques fondées sur le seul principe de l'accès à la justice 13.

Cette limitation est d'autant plus surprenante que le droit préventif constitue déjà, au Québec, un phénomène courant. Sa pratique est largement répandue en matière de logement locatif, de protection des droits de la personne, de santé-sécurité au travail ou d'éthique professionnelle. Toutes ces initiatives présentent un caractère complémentaire par rapport aux modes traditionnels d'adjudication des différends que nous connaissons déjà. Ceux-ci sont d'ailleurs de plus en plus perçus comme procédés de dernier recours.

Il serait fastidieux de faire ici l'inventaire de tous les lieux où l'esprit du droit préventif l'emporte sur l'approche litigieuse traditionnelle. Nous nous contenterons ici d'analyser les expériences tentées dans le domaine de l'assurance automobile, des relations du citoyen avec l'administration publique, de la médiation familiale, des échanges commerciaux, des relations de travail et de la protection du consommateur. Beaucoup de ces initiatives ont vu le jour au cours des années soixante-dix et leur existence tend à démontrer la viabilité d'une approche que nous avons tenté de définir ici dans ses dimensions paradigmatiques. Celle-ci fait déjà largement partie de nos pratiques juridiques quotidiennes et elle cohabite harmonieusement avec les pratiques judiciaires formellement reconnues par le législateur 14. De fait, nous l'avons dit, le droit préventif et le droit positif constituent deux approches complémentaires du phénomène normatif. Il manquait cependant des mots pour nommer ces réalités et ces approches qui se sont souvent développées spontanément au coup par coup, en fonction des besoins de la pratique. Nous avons surtout tenté de fournir ici

13 . Voir notamment à ce propos le reproche fait par la Chambre des notaires au

Rapport de la Commission Macdonald : Jacques Taschereau, « Lettre du 31 octobre au ministre Gil Rémillard, ministre de la Justice », in : Notaire d'aujourd'hui, vol. 4, no 6, novembre-décembre 1991, p. 34.

14 . Le Québec n'est d'ailleurs pas le seul a avoir favorisé le développement de ces formes innovatrices de l'action juridique. On lira avec intérêt la série de travaux comparatifs dirigés à l'Institut universitaire européen de Florence par Mauro Cappelletti et John Weisner (eds.), Access to Justice : Promissing Institutions, (vol. 2, Livres 1 et 2), Milan, Dott. A. Giuffrè Editor, 1978. On lira également avec intérêt la traduction française d'une de ces études : Mauro Cappelletti, Accès à la justice et État-providence, Paris, Économica, 1984.

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122 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

une définition du droit dans laquelle ces pratiques et ces intuitions pouvaient se reconnaître et se voir reconnues.

Section 2. La place de la prévention : le cas du Québec

Lors même qu'il réfère à une notion nouvelle, encore susceptible de définitions diverses, le droit préventif est déjà une réalité dans de nombreux champs de pratique. Dans beaucoup de cas, il apporte une réponse concrète aux problèmes variés que nous avons énumérés plus haut (Chapitre 1, Section 5); mais, de façon plus générale, il répond au besoin des praticiens et des citoyens d'élargir leur conception des rapports juridiques. La chose est particulièrement vraie dans le domaine familial, où la médiation a déjà pris beaucoup de place. Elle est cependant tout aussi vraie dans les rapports du citoyen avec l'administration publique, dans le secteur de l'assurance automobile, dans le domaine commercial, comme en matière de relations de travail ou de protection du consommateur ainsi que nous le verrons maintenant. Dans ces relations de personne à personne, de consommateur à commerçant, de citoyen à gouvernement, de commerçant à commerçant, de travailleurs à employeur, il existe encore un espace propre au droit préventif.

Sous-section 1. La médiation familiale : de personne à personne

C'est dans le champ du droit de la famille que la pratique de la médiation a sans doute connu son essor le plus fulgurant. Elle vise notamment à permettre aux membres d'un couple en instance de divorce ou de séparation d'établir entre eux les paramètres pratiques de leurs relations futures en matière de garde des enfants, de droits de visites et de sorties, de pension alimentaire, de répartition des biens du ménage et de partage du patrimoine familial, etc 15. Le ministère de la Justice définit la médiation comme :

15 . Voir à ce propos : ministère de la Justice, Document de consultation sur le

développement de la médiation en matière familiale, Québec, polycopié, 30 avril 1992, p. 1; Service de consultation de l'École de psychologie de l'Université Laval, « La médiation familiale : un moyen efficace pour régler les conflits », in : Au fil des événements (journal de l'Université Laval), 31 janvier 1991, p. 11; et Daniel Fines, « La médiation familiale : Pour ceux qui veulent divorcer sans se

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 123

une méthode de résolution des conflits qui permet [aux membres des] couples, qui ont intenté des procédures judiciaires l'un contre l'autre, de régler à l'amiable et sur une voie parallèle à la voie judiciaire dans laquelle ils sont engagés, les problèmes découlant de leur décision de se séparer ou de divorcer, en évitant les confrontations devant le tribunal. Cette méthode implique l'intervention d'une tierce personne neutre qui facilite le dialogue, la négociation et l'entente entre les parties. 16

Abordée sous l'angle de la pratique du droit, la médiation est régulièrement présentée comme une « méthode de résolution des conflits » 17. D'autres auteurs la définissent comme un « moyen » ou comme un « recours à une tierce partie » 18. D'autres encore parlent de « processus de coopération » 19. La majorité de ces auteurs s'entendent cependant sur la nature de la médiation familiale et les principes qui la guident : la responsabilité des parties dans la

faire imposer une entente par d'autres », in : Protégez-vous, vol. 7, octobre 1988, p. 56.

16 . Ministère de la Justice, op. cit. (note 15), p. 1. 17 . On trouve cette même conception pratique de la médiation dans les documents de

l'Association de médiation familiale du Québec. Voir ; AMFQ, Code de déontologie, Montréal, polycopié, 10 août 1988, p. 1. Cette définition est d'ailleurs reprise par plusieurs praticiens. Voir : Lisette Laurent-Boyer, « La médiation familiale : définition, cadre théorique, bienfaits pour la famille et étude de modèle », in : Lisette Laurent-Boyer (collectif multidisciplinaire sous la coordination de), La médiation familiale, Montréal, Éditions Yvon Blais, 1992, p. 5.

18 . C'est notamment le cas dans le texte de C. James Richardson, La médiation des divorces rattachée aux tribunaux dans quatre villes canadiennes : un aperçu des résultats de recherche, Ottawa, ministère de la Justice et Procureur général du Canada, 1988, p. 1. André Murray met également l'accent sur l'intervention d'une « tierce personne acceptable ». Voir André Murray, « La Médiation familiale : Une progression rapide », [1986] R.D.F. p. 32.

19 . Voir notamment la définition donnée par Joan Kelly et citée dans le texte de Richard J. McConomy, « Autres moyens de résolution de conflit », in : Lisette Laurent-Boyer (collectif multidisciplinaire sous la coordination de), La médiation familiale, Montréal, Éditions Yvon Blais, 1992, p. 151. McConomy cite également les diverses définitions fournies par Jean-François Six qui tend à voir dans la médiation un procédé de coopération plutôt qu'un simple mode de résolution des conflits, comme le prône le modèle nord-américain de la médiation. Idem. Voir également sur la position de Jean-François Six, les commentaires de Lisette Laurent-Boyer, op. cit. (note 17), p. 15.

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124 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

définition d'une solution à leurs différends 20, le rôle du médiateur comme tiers non directif 21, l'égalité des parties en présence 22, l'importance de la communication et de l'autodétermination dans l'établissement du contenu des ententes négociées 23, la circulation de l'information entre les ex-conjoints 24, la recherche de gains mutuels 25, la primauté des principes de coopération, la reconnaissance de la médiation comme mode d'interaction entre les parties, plutôt que comme processus thérapeutique 26, etc. Tous ces principes trouvent également leur place dans la définition plus large que nous avons voulu donner du droit préventif (Chapitre 2, Section 3). La médiation familiale ne vise pas uniquement à favoriser la gestion des différends. En effet, entreprise au bon moment, elle permet d'éviter qu'un questionnement légitime ne dégénère en conflit inutile.

Les avantages reconnus à la médiation familiale semblent aussi faire consensus. Au-delà des gains concrets qu'en tirent le système judiciaire et les conjoints eux-mêmes — en termes de délais et de coûts 27—, l'intérêt de la médiation réside surtout dans le fait qu'elle assure la stabilité des ententes ratifiées. En effet, comme le souligne André Murray, le régime fondé sur le débat contradictoire et l'action des procureurs ne parvient souvent qu'à exacerber les positions des parties :

Très souvent, la négociation par le biais de représentants officiels entraîne la polarisation du débat. Les parties se retranchent derrière des positions de plus en plus rigides et ont tendance à se jeter le blâme pour l'échec du mariage et à se faire des reproches. Le climat de la

20 . Voir l'article 3 du Code de déontologie de l'AMFQ 21 . Idem. 22 . Ibid., articles 9.5 et 12.3. 23 . Laurent-Boyer, op. cit. (note 17), p. 6. 24 . Ibid., p. 12. 25 . Murray, op. cit. (note 18), p. 34. 26 . Laurent-Boyer, op. cit. (note 17), p. 16. Voir également ministère de la Justice du

Canada, Un autre moyen : la médiation en matière de divorce et de séparation, Ministère de la Justice, 1988, pp. 8-9; Le ministère de la Justice du Québec, op, cit, (note 15), p. 7.

27 . Voir, notamment, concernant les avantages techniques et matériels de la médiation : ministère de la Justice, op. cit. (note 15), p. 10.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 125

négociation est largement tributaire du style adopté par les négociateurs, ainsi que des stratégies qu'ils emploient. Si on choisit de négocier sur position, chacun énonce sa position de départ, présente ses arguments en sa faveur, puis fait [parfois] des concessions en vue d'un compromis [...] La négociation sur position laisse [ainsi] une faible marge de manœuvre, « réduit la créativité et empêche souvent la flexibilité nécessaire pour générer d'autres options acceptables. » 28

Au contraire, on reconnaît généralement à la médiation le mérite de fonder des ententes plus respectueuses de l'intérêt des parties, bénéficiant ainsi d'une plus grande viabilité. Elles favoriseraient ainsi la maintien d'une relation continue et prolongée dans des cas où les parties sont précisément appelées à maintenir leurs rapports, soit en tant qu'anciens conjoints, soit en tant que parents 29. Bien sûr, toutes les causes de divorce et de séparation ne nécessitent pas l'intervention d'un médiateur. On évalue à 90 %, la proportion des causes non contestées. Les causes contestées (qui représentent ici 10 % des dossiers judiciarisés) occupent cependant 86 % du temps que la Cour supérieure consacre aux questions matrimoniales 30. Dans ces dossiers plus difficiles, on évalue à 70 %, le taux de réussite de la médiation familiale 31.

Aussi, au Québec, la médiation a-t-elle connu, depuis dix ans, un développement impressionnant 32. Dès 1981, des services

28 . Murray, op. cit. (note 18), p. 36. Voir également Richardson, op. cit. (note 18),

p. 8. 29 . Ibid. p. 31. Voir également sur la viabilité des ententes obtenues par le biais

de la médiation : Laurent-Boyer, op. cit. (note 17), pp. 6 et 7; Robert Lesage, « Déjudiciariser le conflit familial », in : Lisette Laurent-Boyer (collectif multidisciplinaire sous la coordination de), La médiation familiale, Montréal, Éditions Yvon Blais, 1992, p. 99; Fines, op. cit. (note 15), p. 57. Voir finalement, Monique Ouellette, Droit de la famille, Montréal, Éditions Thémis, 1991, pp. 324-325.

30 . Ministère de la Justice, op. cit. (note 15), p. 8. 31 . Laurent-Boyer, op. cit. (note 17), p. 14. 32 . Pour un historique de l'évolution des pratiques de médiation au Québec, on lira

avec intérêt : ministère de la Justice, op. cit. (note 15), pp. 2-3; ministère de la Justice du Canada, Un aperçu des services de médiation et de réconciliation en matière de divorce au Canada, Ottawa, ministère des Approvisionnements et Services, 1985, pp. 4 ss.; Lesage, op. cit. (note 29), pp. 101-107; et Lucile Laverdure, « La médiation familiale au Québec de 1970 à nos jours », in : Lisette Laurent-Boyer (collectif multidisciplinaire sous la coordination de), La médiation familiale, Montréal, Éditions Yvon Blais, 1992, pp. 81-90.

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126 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

publics de médiation familiale étaient offerts à Montréal, à l'initiative du juge en chef de la Cour supérieure, qui put compter sur la collaboration du ministère de la Justice et du ministère de la Santé et des Services sociaux 33. Le succès rencontré par cette initiative suscita la création de services du même type, à Québec, à partir de 1984 34. Parallèlement, les travailleurs sociaux, les psychologues et les professionnels du droit (avocats et notaires) investissaient ce nouveau champ de pratique dont on reconnaît actuellement le caractère multidisciplinaire et interprofessionnel 35. À l'initiative de certaines corporations professionnelles 36 et de l'Association de médiation familiale du Québec (fondée en 1985), de nombreux programmes de formation seront offerts aux praticiens, à partir du milieu des années 80 37, de sorte que de 300 à 400 professionnels possèdent actuellement, au Québec, une expertise en matière de médiation familiale 38. Sa légitimité est assurée par l'appui des acteurs du milieu juridique (l'Assemblée générale des juges, le Barreau du Québec, la Chambre des notaires,

33 . Il s'agit de services de médiation « totale », impliquant des discussions

sur l'ensemble des questions découlant de la rupture. Voir ministère de la Justice, op. cit. (note 15), pp. 1-2.

34 . Idem. À Québec, on pratique surtout la médiation dite « partielle », concernant des mesures accessoires précises.

35 . Sur le caractère multidisciplinaire de la médiation familiale, voir les catégories de membres définies par l'Association de médiation familiale du Québec qui accepte d'accréditer à titre de membre : « Toute personne qui détient une maîtrise en sciences humaines ou qui est membre de la Chambre des notaires ou membre du Barreau du Québec ». AMFQ, op. cit. (note 17), annexe A. Ce principe est également défendu par le ministère de la Justice du Québec, op. cit. (note 15), p. 7. Il est généralement reconnu par tous les auteurs qui se sont penchés sur le sujet. Voir, Fines, op. cit. (note 15), p. 57; Murray, op. cit. (note 18), p. 32; et Laverdure, op. cit. (note 32), p. 85-89. Dans le sens de ce qui précède, le Barreau du Québec, la Corporation professionnelle des psychologues du Québec et la Corporation des travailleurs sociaux annonçaient, le 6 février 1990, la création du Comité interprofessionnel sur la médiation, en collaboration avec l'AMFQ.

36 . « Cours sur la médiation familiale », in : Notaire d'aujourd'hui, vol. 4, n° 5, septembre-octobre 1991, p. 35; Françoise Lafortune, La médiation en situation de conflit familial et matrimonial, Montréal, Barreau du Québec (centre de documentation), mai 1987, 40 pages et bibliographie.

37 . Voir Laverdure, op. cit. (note 32), p. 86. 38 . Ministère de la Justice, op. cit. (note 15), p. 3.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 127

la commission Macdonald 39 et le Sommet de la Justice 40) mais, également, par l'ensemble des intervenants sociaux : Centre des services sociaux du Québec, Conseil de la famille, Corporation des psychologues, Corporation des travailleurs sociaux, Comité de la consultation sur la politique familiale, etc. 41.

Le législateur a également voulu reconnaître l'importance de la médiation comme mode de gestion des différends matrimoniaux. Depuis 1985, l'article 9(2) de la Loi sur le divorce prévoit :

[qu'] il incombe également à l'avocat de discuter [avec son client] de l'opportunité de négocier les points qui peuvent faire l'objet d'une ordonnance de garde et de le renseigner sur les services de médiation qu'il connaît et qui sont susceptibles d'aider les époux dans cette négociation. 42

Cette possibilité, reconnue par le législateur fédéral, accompagne les modifications permettant le divorce « sans faute » à la suite d'une séparation d'un an faisant foi de l'échec du mariage 43. L'article 22.5 des Règles de pratique de la Cour supérieure en matière familiale prévoit par ailleurs que :

39 . On lira avec intérêt les recommandations 46 à 49 de la commission qui prévoient

notamment le vœu exprimé par ses membres que des services de médiation en matière familiale soient disponibles sur l'ensemble du territoire Québécois (rec. 46); que des mesures soient prises afin d'inciter les parties au litige à recourir à la médiation (rec. 47); que parmi les mesures incitatives, le juge puisse ordonner une première séance de médiation tenant compte des circonstances de la cause (rec. 48); et que la gratuité des services de médiation en matière familiale soit maintenue, en particulier pour les personnes admissibles à l'aide juridique et pour les cas de médiation décrétés par la Cour (rec. 49). Voir : Groupe de travail sur l'accessibilité à la justice, op. cit. (note 7), pp. 197 et 215.

40 . Québec, op. cit. (note 8), pp. 5-7. 41 . Ibid., p. 5. 42 . Art. 9 (2) de la Loi sur le divorce, L.R.C. (1985), c. 3 (2e suppl.). 43 . Voir Mireille D. Castelli, Précis du droit de la famille, Québec, Presses de

l'Université Laval, 1990, pp. 332-333

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128 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

le tribunal peut, s'il est d'avis que le litige est susceptible d'un règlement, ajourner la cause et, si les parties y consentent, les référer au Service de médiation pour une période déterminée. 44.

Toutes ces dispositions tendent à reconnaître et à favoriser le médiation familiale. Elles rendent surtout compte de la cohabitation possible de ces dispositions préventives avec les pratiques et règles reconnues par le droit positif. Cette cohabitation est d'ailleurs reconnue et souhaitée par l'ensemble des intervenants. Ainsi, l'Association de médiation familiale stipule dans son code de déontologie que : « Le médiateur a l'obligation d'informer les parties de la possibilité d'obtenir des conseils juridiques indépendants et des avantages qui en découlent » 45. Dans le même sens le ministère de la Justice du Québec tient à rappeler que :

la médiation, en tant que mode de résolution des conflits, constitue un service complémentaire à la Cour Supérieure. En ce sens, elle ne remplace pas le système judiciaire, mais le complète. 46

Ce point de vue est, encore là, largement partagé par les praticiens du droit et les intervenants sociaux. Bien sûr, les uns affirment que la médiation s'exerce « à l'ombre de la loi » 47, les autres qu'elle travaille plutôt « main dans la main avec la loi » 48. Tous s'accordent cependant sur le fait qu'elle ne constitue pas un moyen de contourner la volonté du législateur, mais plutôt de rendre au droit son caractère opératoire et son sens en tant que processus d'interaction entre les individus 49. Murray souligne à ce propos que :

la médiation familiale est un processus où le pouvoir de décider du contenu des ententes est exercé par le couple après [que ses membres aient] examiné les avantages, les inconvénients ainsi que les

44 . Code de procédure civile, L.R.Q., c. C-25, a. 47. Voir sur ces articles, les

commentaires de Ouellette, op. cit. (note 29), p. 326. 45 . L'A.M.F.Q., op. cit. (note 17), article 10.3. 46 . Ministère de la Justice, op. cit. (note 15), p. 1. 47 . Richardson, op. cit. (note 18), p. 46. 48 . Laurent-Boyer, op. cit. (note 17), pp. 23-24. 49 . Voir sur le problème de la cohabitation : ministère de la Justice du Canada, op.

cit. (note 26), pp. 8-9; Lesage, op. cit. (note 29), p. 101; et Fines, op. cit. (note 15), p. 59.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 129

conséquences des différentes options. Et, bien que basée sur l'auto-détermination par le couple, la médiation reconnaît que les ententes qui en résultent doivent être soumises à l'approbation des tribunaux. 50

Cette cohabitation et cette complémentarité n'ont cependant de sens que dans le cadre d'un juste équilibre entre les apports respectifs du droit positif et du droit préventif. L'importance de la prévention est ainsi spécifiquement reconnue dans le récent projet du ministère de la Justice visant une reconnaissance institutionnelle et juridique de la médiation familiale 51. Le projet de loi prévoit notamment l'institution, dans tous les districts judiciaires, de services de médiation comparables à ceux qui existent déjà à Montréal et à Québec. Il prévoit également une modification de l'article 815.2 du Code de procédure civile prévoyant :

[qu'] à tout moment de l'instruction d'une demande contestée, le tribunal peut, s'il l'estime opportun dans l'intérêt des parties et de leurs enfants le cas échéant, rendre les ordonnances pour ajourner l'instruction de la demande et pour référer les parties au Service de médiation familiale de la Cour supérieure qui désigne un médiateur ou, à leur demande, à un médiateur qu'elles choisissent pour régler une ou plusieurs questions relatives à la garde des enfants, aux aliments dus au conjoint ou aux enfants ou au patrimoine familial et aux autres droits patrimoniaux résultant du mariage.52.

Cette orientation implique la reconnaissance législative du principe de la référence obligatoire. Or, celle-ci suppose en contrepartie une plus grande intégration de la médiation au système judiciaire : forme d'institutionnalisation — sinon de judiciarisation — de la médiation familiale. C'est du moins ce que

50 . Murray, op. cit. (note 18), p. 33. 51 . Il s'agit du Projet de loi modifiant le Code de procédure civile concernant la

médiation familiale, rendu public le 30 avril 1992, et qui n'était toujours pas adopté au début de 1993. Voir : Le ministère de la Justice, op. cit. (note 15), pp. 8 ss. Voir également, pour un compte rendu des discussions conduites sur le sujet au moment du Sommet de la Justice : Clément Trudel, « La médiation familiale gratuite partout au Québec », in : Le Devoir, 18 février 1992.

52 . Il s'agit ici du premier alinéa de l'article 815.2.1 du Projet de Loi modifiant le Code de procédure civile concernant la médiation familiale. Le libellé antérieur de l'article 815.2 C.p.c. ne prévoit pas la possibilité des parties de recourir à la médiation.

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130 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

laisse supposer le document de consultation du ministère de la Justice :

La référence obligatoire implique à la fois une intégration juridique et administrative de ce mode alternatif de résolution des conflits à la Cour supérieure... Compte tenu des impacts de la médiation sur l'administration de la justice au Québec, il est nécessaire de s'assurer de l'harmonisation de toutes les interventions reliées au déroulement du processus judiciaire, dans les scénarios de développement des services rattachés à la Cour supérieure. 53

Cette expérience d'intégration du judiciaire et du non judiciaire présente un grand intérêt. Car, au-delà de la reconnaissance institutionnelle qu'elle accorde à la médiation familiale, elle risque d'impliquer une forme de récupération judiciaire de cette approche des différends qu'on a peut-être trop rapidement confinée au rang de « méthode de gestion des litiges ». La référence « obligatoire » des parties à la médiation ne va-t-elle pas contre l'esprit même du droit préventif ? La tendance à l'institutionnalisation de tout ce qui touche le droit ne vient-elle pas menacer la souplesse et le principe du consentement des parties qui font la force de la prévention ? Bref, le « droit vivant » doit-il toujours être « aspiré » par le droit étatique; le droit préventif, par le droit positif et l'instituant par l'institué 54? La judiciarisation de la médiation ne risque-t-elle pas de faire perdre à la médiation familiale son caractère préventif et sa raison d'être ? C'est la question que se pose le Conseil de la famille qui souligne qu'une telle décision constitue une rupture avec les services de médiation familiale conçus comme des services préventifs. En rendant les services de médiation familiale accessibles et gratuits uniquement sur ordonnance de la Cour, on risquerait en effet d'aller à l'encontre de l'esprit qui doit prévaloir dans les situations de divorce et de séparation :

Les services de médiation familiale doivent être rendus accessibles avant la judiciarisation dans un esprit de prévention. La judiciarisation de cette mesure va à l'encontre du désir des parents et compromettra, dans plusieurs cas, l'entente souhaitée. En effet, une solution négociée, si

53 . Le ministère de la Justice, op. cit. (note 15), p. 7. 54 . C'est une approche largement défendue par un grand nombre de défenseurs du

positivisme juridique. Voir Marlène Cano, « La médiation familiale : attention ! / L'impossible « neutralité » dans l'arbitrage des litiges entre époux séparés », in : Le Devoir, 10 avril 1992; et Richardson, op. cit. (note 18), pp. 46-47.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 131

imparfaite soit-elle, et basée sur des compromis mutuellement acceptés, vaut mille fois une solution imposée. Donner aux parents l'occasion de s'entendre avant d'aller devant le tribunal constitue la forme la plus favorable pour le respect des mesures concernant les enfants et la plus propice à l'exercice des responsabilités parentales qui doivent continuer. 55

Il est trop tôt pour établir toutes les conditions qui pourraient favoriser la cohabitation harmonieuse du droit préventif et du droit positif. L'expérience de l'intégration des services de médiation familiale aux procédures judiciaires régulières en matière de séparation et de divorce permettra cependant de mieux comprendre les avantages et les inconvénients de la judiciarisation des pratiques issues d'une approche élargie du droit. Celle-ci pourra servir de repère — fournir des balises — aux autres champs du droit où la prévention s'est frayée une place aux côtés du droit positif, comme c'est le cas en matière de protection du consommateur.

Sous-section 2. La protection du consommateur : de consommateur à commerçant

La Loi sur la protection du consommateur, qui impliquait potentiellement une judiciarisation poussée des rapports entre le consommateur et le commerçant allait, en contrepartie, favoriser le développement d'un important champ de pratique préventive. C'est du moins ce que constatent un grand nombre d'observateurs, intéressés aux modes juridiques alternatifs 56; et c'est ce qu'affirme régulièrement lui-même l'Office de la protection du consommateur :

La prise en charge des consommateurs par eux-mêmes est demeurée une priorité pour l'Office. Le fait de les inciter à effectuer une première démarche auprès du commerçant par lequel ils pensent avoir été lésés

55 . Bernard Fortin, « Pour des services de médiation familiale de nature préventive »,

in : Si familles m'étaient contées, vol. 3, n° 3, juin 1992, p. 4. 56 . La Loi sur la protection du consommateur porte la référence L.R.Q., c. P-40.1.

Voir sur la question de la prévention : Québec, op. cit. (note 8), pp. 9-10; et Groupe de travail sur l'accessibilité à la justice, op. cit. (note 7), pp. 179-180.

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132 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

peut favoriser leur indemnisation sans qu'ils aient à recourir aux tribunaux. 57

Aussi, l'Office fait-il œuvre d'éducation en publiant et en offrant aux consommateurs insatisfaits les indications nécessaires à la rédaction d'une lettre de réclamation (c’est-à-dire de mise en demeure 58) et fournit gratuitement, lorsque cette première démarche est sans lendemain, des formulaires de plainte permettant aux consommateurs de poursuivre une démarche de négociation autonome. Plus de 30 % des différends sont ainsi réglés par la voie d'ententes directes, établies entre le consommateur et le commerçant, « sans qu'il soit nécessaire de recourir à l'appareil judiciaire » 59.

Dans le cas même où cette procédure ne permet pas au consommateur de régler le différend qui l'oppose au commerçant, l'Office offre sa médiation. Il analyse d'abord les plaintes infructueuses :

et décide s'il prendra des mesures pour favoriser l'indemnisation des consommateurs. S'il y a lieu, il intervient alors par un processus de médiation entre le consommateur et le commerçant. Cette étape constitue la plupart du temps la dernière chance qu'a le consommateur de voir reconnaître ses droits avant de les faire valoir devant les tribunaux. 60

57 . Office de la protection du consommateur, Rapport annuel 1985-1986, Québec,

Gouvernement du Québec, 1986, p. 20. On trouve des déclarations similaires dans chacun des rapports annuels publiés par l'Office.

58 . Office de la protection du consommateur, Osez vous plaindre : ça porte fruit, Québec, Gouvernement du Québec, octobre 1990, dépliant informatif.

59 . Voir, Office de la protection du consommateur, L'Office de la protection du consommateur vous aide à faire valoir vos droits, Québec, Gouvernement du Québec, septembre 1990, dépliant informatif. L'étude des résultats obtenus par cette pratique, au cours des dernières années, révèle un taux de succès croissant : 24,6 % pour l'année 1984-1985; 29,8 % pour l'année 1985-1986; 32,4 % pour l'année 1986-1987; 52.4 % pour l'année 1987-1988; 55.2 % pour l'année 1988-1989. Chiffres tirés des rapports annuels produits par l'Office.

60 . Office de la protection du consommateur, op. cit. (note 57), p. 20.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 133

Près de 55 % des dossiers sont réglés grâce à ce type d'intervention 61. Au cours de l'exercice 1990-1991, « dans 75,1 % des cas, l'intervention de l'Office a permis d'indemniser les consommateurs ayant soumis un problème » 62. Dans tous les cas, on est donc parvenu à un règlement du différend sans le recours aux tribunaux. La prévention a ainsi pris une grande importance en matière de protection des consommateurs. Dans près de 85 % des dossiers restants, les consommateurs référés par l'Office à la Cour des petites créances ont obtenu gain de cause 63. Il semble ainsi que l'OPC soit parvenu a un assez juste équilibre des modes « judiciaire » et « préventif » de gestion des différends. La judiciarisation est envisagée en tout dernier recours et n'est pas perçue comme solution nécessaire et incontournable. Le statut même du directeur de l'Office favorise cette alternative. Nicole L'Heureux rappelle que :

la nature et l'étendue des pouvoirs d'administrer des sanctions administratives attribués au président traduisent le rôle qui lui est confié pour faire respecter la loi. Il dispose de moyens préventifs mais, dans un souci de respecter les structures judiciaires existantes, le législateur ne lui accorde aucun pouvoir judiciaire. 64

L'absence de pouvoir judiciaire a favorisé la recherche de solutions originales aux problèmes des consommateurs et a contourné le risque d'une judiciarisation galopante, anticipée par les commentateurs. De façon plus spécifique encore, les pouvoirs du président de l'Office lui permettent de jouer un rôle important dans la prévention des litiges. C'est d'ailleurs cette orientation générale que les responsables de l'Office de la protection du consommateur se propose de suivre au cours des années qui

61 . En fait, les chiffres varient avec les années : 49,4 % en 1984-1985; 54,1 % pour

l'année 1985-1986; 48,8 % pour l'année 1986-1987; 48,7 % pour l'année 1987-1988; 54,8 % pour l'année 1988-1989. Chiffres tirés des rapports annuels produits par l'Office.

62 . Office de la protection du consommateur, Rapport annuel 1990-1991, Québec, Gouvernement du Québec, 1991, p. 21. Cette proportion était de 71 % pour l'année 1989-1990.

63 . Chiffre tiré de : Office de la protection du consommateur, op. cit. (note 58). 64 . Tiré de Nicole L'Heureux, Droit de la consommation, Montréal, Wilson et

Lafleur, 1986 (3e édition), p. 279. Le souligné est de nous.

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134 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

viennent 65. L'information et l'éducation du public-consommateur font entièrement partie de cette approche 66. Les interventions du président de l'Office auprès des commerçants font également partie de cette démarche. La rencontre des commerçants, l'émission d'avis officiels, la poursuite d'enquêtes sur certains cas signalés de façon récurrente par les consommateurs, l'obtention d'un engagement volontaire du commerçant en faveur de quelques mesures réparatrices ou correctives (art. 314-315)67; toutes ces interventions sont de nature à prévenir la naissance de nouveaux différends. Il en va de même des interventions de l'Office de la protection du consommateur en matière de publicité commerciale, qui visent d'abord à éviter l'entretien de malentendus susceptibles eux-mêmes de provoquer la naissance de conflits inutiles. Le dépôt de plaintes pour poursuite pénale (art. 277 et ss.) et la demande d'une injonction (art. 290 ou 316) ou d'une ordonnance particulière (en matière de publicité trompeuse, par exemple) sont toujours envisagés à titre de procédés de dernier recours.

Bien sûr, toutes ces possibilités n'ont pas pour effet de nier le droit des citoyens de recourir à la protection de la justice, mais posent la nécessité de l'action judiciaire dans une plus juste pers-pective. Là aussi, la cohabitation du droit positif et du droit préventif trouve tout son sens.

Sous-section 3. Le Protecteur du citoyen : du citoyen face à l'institution

Ce que nous avons dit des rapports entre les individus, ou entre les consommateurs et les sociétés commerciales, peut

65 . Marie Kronström, « L'OPC a vingt ans », in : Protégez-vous, juin 1991, pp. 37-44. 66 . Voir à ce propos les efforts remarquables faits par l'Office au cours des dernières

années. On consultera à cet égard les rapports annuels produits par l’Office. Cette orientation fait par ailleurs entièrement partie du mandat accordé par l'Office aux organismes qu'il finance. Voir Office de la protection du consommateur, Programme d'aide aux organismes de protection du consommateur : 1988-1989, Québec, Gouvernement du Québec, 1977, p. 9.

67 . « L'engagement volontaire peut jouer un rôle important pour assurer le respect de la loi. C'est un remède qui comporte plus de flexibilité que la poursuite pénale dont il évite les délais, les coûts et l'incertitude du résultat en plus de pouvoir assurer le remboursement aux consommateurs lésés par la pratique. Son efficacité est assurée par le fait que sa violation par le commerçant constitue une infraction (art. 277 (d)) ». Tiré de l'Heureux, op. cit. (note 64), p. 281.

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également l'être des rapports du citoyen avec l'administration publique : ils évoluent au fur et à mesure des interactions. Le problème vient de ce qu'elles mettent parfois en rapport des intervenants de force différente. C'est ce qui, au Québec, a conduit à l'institution de l'ombudsman, en vertu d'une loi adoptée en novembre 1968 : la Loi sur le Protecteur du Citoyen. Comme le rappelle le Juge Dickson :

Les facteurs qui ont contribué à l'essor de l'institution d'ombudsman sont bien connus. Depuis une ou deux générations, la taille et la complexité du gouvernement ont augmenté considérablement tant du point de vue qualitatif que quantitatif. Depuis l'avènement de l'État-providence moderne, l'ingérence du gouvernement dans la vie et les moyens de subsistance des individus a augmenté de façon exponentielle. Le gouvernement assure maintenant des services et des avantages, intervient activement sur le marché et exerce des fonctions de propriétaire, à un degré qui aurait été inconcevable il y a cinquante ans. 68

L'institution trouve ses origines en Europe, au début du 18e siècle, alors que le roi Charles XII de Suède désigne un officier chargé de la surveillance des percepteurs d'impôts, des juges et des autres officiers publics 69. Le principe allait se développer par la suite et la raison d'être de l'institution également. Ainsi, aujourd'hui, l'ombudsman répond surtout à la difficulté des Québécois de composer avec la complexité de l'appareil gouvernemental 70, complexité d'où sont issus toute une série de problèmes nouveaux qui sont autant de motifs de conflits potentiels.

Le citoyen doit, dans tous [les] cas, faire face à des monopoles. Si un différend surgit, il devra alors, pour défendre ses droits, affronter des organisations puissantes, dotées d'experts et de ressources

68 . B.C. Dévelopment Corp. c. Friedmann (Ombudsman), [1984] 2 R.C.S. 447,

p. 459. 69 . Voir Commission des Institutions, Examen du mandat, des orientations, des

activités et de la gestion du protecteur du citoyen (Rapport final), Québec, Assemblée nationale du Québec, 5 novembre 1991, p. 3.

70 . La Loi sur le Protecteur du citoyen porte la référence L.R.Q., c. P-32. Voir relativement au développement de cette institution : Secrétariat d'État, L'Ombudsman et les institutions similaires, Ottawa, Gouvernement fédéral, novembre 1981, p. 49.

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considérables. Règle générale, le citoyen est dans un état d'infériorité par rapport à ces ministères et organismes. 71

L'institution ne constitue cependant pas un nouveau tribunal et le protecteur du citoyen lui-même n'est pas un arbitre et ne possède aucun pouvoir d'adjudication. Dès 1969, le premier détenteur de la charge de Protecteur du citoyen a voulu confirmer la souplesse de l'institution. Or, celle-ci est favorisée par l'absence de pouvoir de coercition 72. Le Protecteur agit comme porte-parole des citoyens : « son rôle n'est pas de chercher des coupables ni de les faire condamner, mais d'identifier les situations inacceptables, de les dénoncer et de les faire modifier » 73. Il ne s'agit donc pas d'une institution judiciaire 74. D'ailleurs, comme le rappelle Daniel Jacoby : « L'existence du Protecteur du citoyen [...] s'explique également parce que le recours aux tribunaux ne peut répondre à toutes les situations et qu'il est parfois trop onéreux pour le citoyen » 75. Or une gestion non judiciaire des différends exige une forme d'égalité entre les parties, et il convenait que le citoyen puisse être représenté par un tiers capable d'agir en son nom d'égal à égal 76. C'est le rôle du Protecteur du citoyen qui, dans son rapport continu avec la fonction publique, associe « le citoyen à

71 . Le Protecteur du citoyen, Rapport annuel 1988-1989, Québec, 1989, p. 7. 72 . Lire notamment les extraits du premier rapport annuel du Protecteur du citoyen,

cités par la Commission des institutions, op. cit. (note 69), p. 17. 73 . Le Protecteur du citoyen, Rapport annuel 1987-1988, Québec, 1989, p. 7. 74 . Voir notamment à ce propos le mémoire déposé par le Barreau devant la

Commission des institutions. Barreau du Québec, Mémoire sur le Protecteur du citoyen, Québec, Barreau du Québec, novembre 1990, p. 10. Voir également B.C. Dévelopment Corp. c. Friedmann (Ombudsman), [1984] 2 R.C.S. 447, p. 458.

75 . Le Protecteur du citoyen, Rapport annuel 1990-1991, Québec, 1991, p. 11. Sur le même sujet, les considérations du Juge Dickson sont éloquentes : « Les limites des tribunaux sont également bien connues. Un procès peut être long et coûteux. Seuls les cas d'abus administratifs les plus graves sont donc susceptibles d'aboutir devant les tribunaux. Ce qui importe encore plus, c'est que dans un très grand nombre de cas, il n'y a tout simplement pas de recours en droit », [1984] 2 R.C.S. 447, p. 460.

76 . Le Protecteur du citoyen parle plus spécifiquement de contrepoids : « Les citoyens, lorsqu'ils s'adressent à nous, sont souvent angoissés ou frustrés. Dans ce contexte, le Protecteur du citoyen, en intervenant pour corriger des injustices, joue un rôle de contrepoids à la lourdeur et aux excès de la bureaucratie gouvernementale ». Le Protecteur du citoyen, op. cit. (note 71) p. 7.

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l'œuvre administrative » 77. S'établissent ainsi des relations propres au développement d'un cadre normatif minimum entre l'appareil administratif et le citoyen.

En cas de différend, le Protecteur du citoyen agira sur la base de règles très proches de celles du droit préventif. Ses rapports avec l'administration sont fondés sur le dialogue et la négociation continue 78. Ses pouvoirs sont d'abord des pouvoirs de recommandation 79. Les règlements négociés par lui au nom du citoyen sont surtout inspirés de l'équité et de la justice naturelle 80. Si la commission des institutions s'est interrogée, au cours des dernières années, sur la pertinence de judiciariser les interventions du Protecteur du citoyen, elle a conclu à la nécessité de maintenir son champ d'action en dehors du processus judiciaire, compte tenu de l'efficacité actuelle d'une action conduite dans un cadre plus proche de la conciliation que la confrontation :

Si l'institution du Protecteur du citoyen a été créée afin de protéger le citoyen ou la citoyenne contre les abus de l'Administration publique, elle doit le faire de façon à favoriser des rapports harmonieux entre eux, ce que le recours aux tribunaux ne permettrait pas. 81

C'est du reste un point sur lequel s'entendent l'ensemble des observateurs. Le gouvernement fédéral, qui a longtemps étudié l'hypothèse d'instituer un ombudsman canadien, souligne notamment dans une de ses études comparatives sur le sujet :

La plupart des ombudsmen constatent, dans l'expérience de leurs fonctions, qu'il est avantageux de recourir à la conciliation plutôt qu'à la confrontation [...] La majorité des ombudsmen affirment qu'ils ont eu

77 . Voir Patrice Garant, Droit administratif (tome 1), Montréal, Éditions Yvon Blais,

1991 (3e édition), p. 639. 78 . Le Protecteur parle d'un contexte de dialogue et de persuasion. Voir Protecteur du

Citoyen, op. cit. (note 71), p. 8. 79 . Voir à ce propos : Gilles Pépin et Yves Ouellette, Principes de contentieux

administratif, Montréal, Éditions Yvon Blais, 1982 (2e édition), p. 33. 80 . Voir Garant, op. cit. (note 77), p. 630; Le Protecteur du citoyen, op. cit. (note 71),

p. 8; et Secrétariat d'État, op. cit. (note 70), p. 50. 81 . Commission des institutions, op. cit. (note 69), p. 17.

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l'occasion de constater qu'une grande partie des fonctionnaires gouvernementaux sont effectivement désireux de corriger les erreurs qui leur sont signalées. L'action constructive et positive d'une partie suscite donc habituellement chez l'autre une attitude identique. 82

Médiation 83, conciliation 84, action non judiciaire, jurispru-dence quasi judiciaire, magistrature de la persuasion 85, règlement à l'amiable 86, toutes ces expressions ont été tour à tour utilisées pour rendre compte de l'action du Protecteur et de l'esprit de l'institution. Elles tendent cependant à faire voir l'action de l'ombudsman du seul point de vue de la gestion concertée des litiges, qui constitue le deuxième versant de la prévention. L'action du Protecteur s'est cependant, au cours des dernières années, orientée vers les formes premières de la prévention et, au premier chef, vers la prévention des litiges eux-mêmes.

En effet, depuis 1987, la prévention des litiges fait entièrement partie du mandat du Protecteur, en vertu de l'article 27.3 de la Loi sur le Protecteur du citoyen. Celui-ci prévoit en effet que :

Le Protecteur du citoyen peut, en vue de remédier à des situations préjudiciables constatées à l'occasion de ses interventions, pour éviter leur répétition ou pour parer des situations analogues, appeler l'attention des dirigeants d'organisme ou de gouvernement sur les réformes législatives, réglementaires ou administratives qu'il juge conformes à l'intérêt général.

Cette orientation a d'ailleurs été favorisée par la Commission des institutions qui souligne, en 1991, que : « l'augmentation considérable des plaintes au bureau du Protecteur du citoyen rend souhaitable, sinon nécessaire, une intervention à la fois préventive

82 . Canada, Rapport soumis par le Comité du concept de l'Ombudsman, Ottawa,

Gouvernement du Canada, juillet 1977, p. 7. 83 . Le Protecteur du citoyen, op. cit. (note 71), p. 8. 84 . Canada, op. cit. (note 82), p. 7; Barreau du Québec, op. cit. (note 74), p. 9. 85 . Garant, op. cit. (note 77), p. 630. 86 . Ibid., pp. 630 et 641-642.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 139

et systémique du protecteur » 87. Cette orientation est elle-même endossée par le Protecteur depuis 1988. Il soulignait ainsi dans son rapport annuel — au chapitre de l'action préventive — que :

Si [...] le Protecteur du citoyen intervenait pour faire changer la directive, le règlement ou la loi, plutôt que de ne régler qu'un seul dossier, il arriverait à prévenir des préjudices, plutôt qu'à les corriger seulement. 88

Une réflexion plus étendue sur la question l'amenait d'ailleurs à conclure qu'une gestion trop rigide et formaliste des dossiers des citoyens conduisait souvent à toute une série d'injustices incompatibles avec les objectifs recherchés par le législateur 89. Un meilleur travail sur les causes des litiges, plutôt que sur ses symptômes, constituerait ainsi une solution potentielle à la prolifération des différends 90, et une meilleure communication — de même qu'une information plus accessible — apparaissent comme les prérequis à la solution préventive de bien des problèmes 91. Tous ces modes d'intervention visent à éviter la naissance des différends ou la transformation d'un simple différend en véritable litige. Ils constituent ainsi un antidote à une judiciarisation qui favorise généralement, aux yeux du Protecteur, l'opposition des parties 92.

Dans ce sens, l'action du Protecteur est d'abord une action de nature préventive. Le modèle a d'ailleurs été repris au sein d'un

87 . Commission des institutions, op. cit. (note 69), p. 23. 88 . Protecteur du citoyen, op. cit. (note 73), p. 12. 89 . Protecteur du citoyen, op. cit. (note 71), pp. 8,9 et 11. 90 . Ibid., p. 13 91 . Ibid., p. 23. 92 . « Dans bien des cas, les lois ne permettent pas de régler les différends à l'amiable

ou dans des délais raisonnables. Elles favorisent trop souvent la radicalisation des prétentions respectives des parties et conduisent inévitablement à la judiciarisation des problèmes humains) ». Daniel Jacoby, cité par Garant, op. cit. (note 77), p. 633. Voir également le texte de Daniel Jacoby, « Plaidoyer pour la justice », in : Maîtres, vol. 1, n° 1, janvier 1989. Dans son rapport produit pour l'année 1990-1991, le Protecteur du citoyen parle du « juridisme aveugle de plusieurs ministères »; Voir : Le Protecteur du citoyen, op. cit. (note 89), p. 20.

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140 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

grand nombre d'organisations à vocation publique : dans les hôpitaux 93 et dans les universités 94. La souplesse de l'institution et son efficacité en font un outil privilégié de la prévention et une des expressions concrètes du droit préventif. L'ombudsman n'est cependant pas le seul à favoriser, sur une grande échelle, le développement des principes de la prévention. Sous-section 4. L'assurance-automobile et

la convention d'indemnisation directe : les rapports entre assureurs

Le régime d'assurance-automobile du Québec, fondé sur l'indemnisation des dommages physiques sans égard à la faute, est régulièrement cité comme une des formes les plus efficaces de la prévention 95. L'adoption de la Loi sur l'assurance automobile, en 1977, dans la foulée des recommandations du Comité Gauvin, a en effet mis fin à l'inflation des litiges qui caractérisait jusque-là la gestion judiciaire des dossiers d'accidents d'automobiles, et, dans ce sens, elle a largement contribué à diminuer l'encombrement des tribunaux civils en abolissant toute une catégorie de litiges.

Le succès de ces mécanismes d'indemnisation fait cependant souvent oublier certains aspects tout aussi singuliers du régime d'assurance automobile du Québec, et parmi ceux-ci, l'originalité et l'efficacité de la Convention d'indemnisation directe pour le règlement des sinistres automobiles, établie par les assureurs. En effet, la Loi sur l'assurance automobile, qui prévoit l'indemnisation des dommages physiques sans égard à la faute, maintient la responsabilité des automobilistes vis-à-vis des personnes ayant subi des dommages matériels à la suite d'un accident d'automobile. Cette réserve législative supposait le maintien d'un contentieux qu'on cherchait au contraire à limiter. À la suite d'un accident d'automobile impliquant plus d'un véhicule, les conducteurs risquaient en effet de devoir se poursuivre mutuellement en appelant dans tous les cas leurs assureurs en garantie. Il convenait

93 . Voir à ce sujet : Normand Grondin, « Micheline Lynch : le parti pris des

patients », in : Justice, vol. 14, n° 3, mars 1992, pp. 26-29. 94 . C'est notamment le cas — depuis 1981 — à l'Université Laval. Voir : Université

Laval, Le Protecteur universitaire, Québec, septembre 1991, dépliant informatif. 95 . La Loi sur l'assurance automobile porte la référence L.R.Q., c. A-25. Voir à ce

propos : Patrice Garant, « Le prétoire en folie », in : Contact (Le magazine de l'Université Laval), vol. 5, n° 3, printemps 1991, p. 35.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 141

d'établir un mécanisme susceptible d'éviter ces actions judiciaires croisées 96. Le premier alinéa de l'article 116 de la Loi sur l'assurance automobile prévoit ainsi que :

Le recours du propriétaire d'une automobile en raison du dommage matériel subi lors d'un accident d'automobile ne peut, dans la mesure où la convention d'indemnisation directe visée dans l'article 173 s'applique, être exercé qu'à l'encontre de l'assureur avec lequel il a contracté une assurance de responsabilité automobile.

En cas d'accident d'automobile, chaque conducteur est ainsi appelé à réclamer de son propre assureur le remboursement de ses dommages matériels lorsque ceux-ci sont causés par un autre conducteur 97. Cette disposition législative ne fait cependant que reporter au niveau des assureurs un conflit judiciaire potentiel dont l'enjeu demeure l'établissement de la responsabilité de chaque assuré. On maintenait ainsi une importante source de litige. Pour pallier cette difficulté, le législateur impose ainsi aux assureurs automobiles l'obligation d'établir un barème fixant à l'avance la part de responsabilité de chaque conducteur en fonction d'un ensemble de situations typiques, fréquemment rencontrées 98. C'est ce que prévoit l'article 173 de la L.A.A. Cette convention, rédigée par le Groupe des assureurs automobiles constitue, depuis, la base sur laquelle les assureurs établissent leur responsabilité respective vis-à-vis de leurs propres assurés. Cette exception au fonctionnement du régime d'indemnisation ne vient cependant pas « changer [...] le principe de la responsabilité, mais [vise] plutôt l'exercice des recours » 99. Elle redonne même aux automobilistes

96 . Voir Didier Lluelles, Droit des assurances : aspects contractuels, Montréal,

Éditions Thémis, 1986 (2e édition), pp. 331-343, notamment les pages 332 et 333. 97 . Plus spécifiquement, l'article 4 de la Convention établie par les assureurs prévoit

que : « L'assureur indemnise son propre assuré dans la mesure de la responsabilité des conducteurs des autres véhicules aux lieux et place de ces derniers ».

98 . Le barème actuel prévoit ainsi 21 situations types, établies par le Groupement des assureurs automobiles et fixe le contenu de la convention publiée dans la partie 2 de la Gazette officielle du Québec [G.O. II, 123: (1991)].

99 . Groupe des assureurs-automobiles, La convention d'indemnisation directe 1978-1988, Montréal, polycopié, p. 1.

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une partie de la responsabilité du processus par le biais du constat à l'amiable qui permet aux automobilistes impliqués dans une collision d'établir eux-mêmes les circonstances de leur accident. Les assureurs administrent par la suite entre eux — après entente sur la nature des faits — leur responsabilité respective en proportion de la part de responsabilité que la convention d'indemnisation reconnaît à chaque conducteur. Une étude récente révélait l'efficacité de cette procédure conventionnée :

Après plus de dix ans d'existence, la convention d'indemnisation directe a mené à terme son mandat et ce, à plusieurs niveaux : dans l'accélération des procédures de règlement et dans la diminution des coûts entre assurés et assureurs. Somme toute, un bilan plus que positif pour les assurés. 100

Cette convention a évidemment permis de rendre opératoire les objectifs du législateur dans des formes que les assureurs ont eux-mêmes pu établir, mais elle a également permis l'établissement de relations moins litigieuses entre les assureurs automobiles qui, subrogés dans le droit de leurs assurés, ont cependant convenu de renoncer — à quelques exceptions près — à l'exercice de cette subrogation les uns contres les autres 101. On est ainsi largement parvenu à limiter l'inflation judiciaire. Au surplus, les assureurs ont tenu à établir des mécanismes d'arbitrage de manière à faciliter le règlement de tout différend surgissant, entre eux, dans l'interprétation de la Convention 102. Ainsi, après avoir cherché à prévenir la naissance des différends, les assureurs ont néanmoins reconnu leur virtualité, mais ont tenu à respecter l'esprit de la Convention jusqu'à éviter la judiciarisation des litiges qui pourraient naître de l'aggravation de certains différends. Cela dit, moins de 90 dossiers ont été soumis au conseil d'arbitrage au cours de ses dix premières années d'opération, ce qui tend à révéler l'efficacité de la Convention établie entre les assureurs. Le G.A.A. rappelle d'ailleurs à ses membres « qu'aucun cas ne doit être

100 . Ibid., p. 2. 101 . Voir l'article 11 de la Convention d'indemnisation directe pour le règlement des

sinistres automobiles. Ibid. 102 . Ibid., p. 5.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 143

soumis au Conseil d'arbitrage avant que toutes les possibilités d'un règlement à l'amiable aient été épuisées » 103.

Cette entente, qui lie en priorité les assureurs automobiles, n'a cependant pas eu pour effet de nier le droit d'un assuré de poursuivre son propre assureur. Le deuxième alinéa de l'article 116 prévoit en effet :

Toutefois, le propriétaire peut, s'il n'est pas satisfait du règlement effectué suivant la convention exercer ce recours contre l'assureur suivant les règles du droit commun, dans la mesure où les articles 108 à 114 n'y dérogent pas.

On est ainsi parvenu à assurer la cohabitation du droit positif et du droit préventif. Les principes définis par la Convention d'indemnisation et les mécanismes de gestion des différends établis par les assureurs sont évidemment fonction d'un champ très spécifique de l'activité commerciale. La définition d'un barème pour l'évaluation des niveaux de responsabilité des conducteurs d'automobiles n'est possible que du fait de la récurrence d'un certain nombre de situations courantes et de la schématisation des relations des agents en présence (ici les conducteurs d'automobiles) 104. Elle suppose aussi l'existence d'une relation continue entre les parties en cause (ici les assureurs), relation que ces parties entendent poursuivre et qui favorise une forme d'équilibre entre les gains et les pertes que chaque partie peut espérer faire ou risque de subir sur une longue période. Ces conditions sont sans doute plus souvent rassemblées qu'il n'y paraît. Aussi, le modèle prévu par les assureurs pourrait-il être repris dans d'autres secteurs de la vie économique et favoriser ainsi l'élimination des « motifs » de litige, dans l'esprit du droit préventif.

103 . Groupe des Assureurs automobiles, Bulletin d'information, Montréal, Lettre

circulaire, 26 juin 1991 (ST91-04). 104 . Ainsi, la convention d'indemnisation (art. 1 de l'annexe) implique une

simplification volontaire des cas de figures. Les assureurs ont ainsi convenu d'exclure nommément toute considération relative au mouvement des piétons, à la vitesse des véhicules, aux conditions atmosphériques, à la visibilité, à l'état de la chaussée, à la présence ou à l'absence de signaux lumineux, sonores ou manuels, et à la présence ou l'absence sur la chaussée de lignes de signalisation continues ou discontinues.

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144 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

Bien sûr, les assureurs automobiles n'ont pas pour vocation de favoriser la prévention routière. À défaut de pouvoir éviter la multiplication des accidents automobiles, ils cherchent à contourner le risque de voir leurs propres conflits judiciarisés, en refusant tout simplement de reconnaître le caractère litigieux de tout un ensemble de situations récurrentes. La Société de l'assurance automobile, chargée de l'indemnisation des victimes d'accident a voulu — au contraire — prendre le problème en amont en favorisant la prévention des accidents eux-mêmes. Il s'agit cependant là d'une toute autre affaire. Son objet est de prendre de vitesse les situations potentiellement litigieuses, en favorisant l'élimination des causes mêmes du conflit. Aussi, une partie importante de son activité touche l'information et l'éducation du public. Ce faisant, la S.A.A.Q. fait également œuvre de prévention, car la diffusion d'informations visant à éviter la naissance des différends fait entièrement partie du droit préventif, et en constitue même la forme la plus élémentaire. « Une opinion publique bien informée et sensibilisée aux causes et conséquences des accidents de la route est en effet, rappelle la S.A.A.Q., une condition essentielle pour assurer la sécurité routière » 105. Cette activité prend du reste bien des formes (imprimés, vidéos, annonces télévisées, etc.) et touche toutes les dimensions du problème : de la conduite en état d'ébriété à l'utilisation de la ceinture de sécurité. Le droit préventif rejoint cependant ici les dimensions premières de la prévention — entendu dans son sens le plus large — et permet la jonction du social et du juridique; du droit avec les autres dimensions de la vie en société.

Sous-section 5. L'arbitrage commercial : les relations entre gens d'affaires

Le cas particulier de l'assurance-automobile est intéressant à plus d'un point de vue. Il met en évidence une capacité d'innovation qui manque souvent en droit. Nous avons cependant voulu mettre en évidence aussi, les conditions qui rendent possible l'élaboration de mécanismes du même type. Dans le domaine commercial, il est en effet difficile de prévoir tous les différends possibles. Il est également difficile d'établir les causes qui font qu'un simple différend risque de devenir un litige. La

105 . Société de l'assurance automobile du Québec, Rapport d'activité 1990, Québec,

Gouvernement du Québec, 30 avril 1990, p. 28.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 145

schématisation des problèmes potentiels n'est pas toujours possible. Le G.A.A. a bien saisi cette vérité en confiant à un mécanisme d'arbitrage précis, la gestion des conflits qui peuvent naître de leurs rapports commerciaux, mais dont ils espèrent éviter la judiciarisation inutile. On entend ordinairement par arbitrage : un procédé de règlement des différends fondé sur la décision exécutoire d'un tiers désigné par les parties en vertu d'une entente préalable et favorisant la définition de solutions propres à permettre la poursuite de la relation des parties, sur la base d'une entente remaniée. Il s'agit, nous l'avons vu, du mode de gestion des différends dont la forme se rapproche le plus de celle des tribunaux civils et commerciaux. Les auteurs s'entendent cependant pour reconnaître son caractère hybride : contractuel et juridictionnel 106. C'est à la suite d'une entente établie entre les parties que l'arbitrage commercial peut être engagé. Ainsi est-il fondé sur le consentement des parties et leur intention de régler leurs différends en dehors des tribunaux de droit commun 107.

Les sociétés commerciales voient d'abord dans cette procédure la possibilité d'éviter l'encombrement des tribunaux, de diminuer les coûts de gestion de leurs différends, de réduire les délais généralement associés au processus judiciaire 108, de

106 . Voir notamment le texte de Louis Marquis, « L'instance arbitrale », in : Barreau

du Québec, op. cit. (note 3), section 10, p. 2. 107 . « Contrairement à l'instance judiciaire, l'arbitrage constitue une institution dite

'mixte' ou 'hybride' en ce sens qu'il est soumis à deux influences, soit l'une juridictionnelle et l'autre contractuelle... 'La fonction juridictionnelle est assumée par l'arbitre, lequel est investi par les parties du pouvoir de trancher le différend qui les oppose. La loi reconnaît l'exclusion de la compétence des tribunaux de droit commun de tout différend couvert par une convention d'arbitrage' explique Me Marquis. Ainsi, parce qu'il bénéficie de larges pouvoirs et parce que la décision qu'il rend a autorité de chose jugée et lie les parties, l'arbitre, à ne point en douter, peut être assimilé à un juge. Par ailleurs, on peut également parler du caractère privé de la justice arbitrale puisque c'est par contrat que les parties entendent s'y soumettre. « La source de l'investiture des arbitres demeure un acte juridique et non une autorité étatique. Par conséquent, l'instance arbitrale n'échappe pas aux effets de cette influence dualiste, qui lui confère une spécificité par rapport à l'instance judiciaire » fait remarquer Me Marquis ». Tiré de Élyse Baillargeon, « Méthodes alternatives de résolution des conflits : L'instance arbitrale », in : Le Journal du Barreau, 1er décembre 1992, p. 29.

108 . Voir : Jean Guibault, « Les solutions de rechange au règlement des conflits : Une approche de vrais partenaires », in : Barreau du Québec, op. cit. (note 3), section 1.

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146 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

débattre de questions de faits ou de problèmes techniques, souvent spécifiques à l'industrie 109, de maintenir la confidentialité de la démarche — et des conclusions du règlement — ce qui garantit à la fois la confidentialité des secrets de fabrication et assure le caractère privé des opérations financières (coûts de production et structures de financement) 110. L'arbitrage évite par ailleurs l'établissement de précédents encombrants et facilite la reconnaissance des responsabilités mutuelles des sociétés commerciales concernées, dans un cadre qui assure la protection de leur image publique 111. Plus spécifiquement encore, l'arbitrage protège les liens contractuels établis entre des agents économiques complémentaires et facilite la poursuite de leurs activités commerciales 112. C'est dans ce sens particulier qu'il constitue une des formes possibles du droit préventif. Comme le souligne Jean Guibault, président de la Chambre de commerce de 1991 à 1992 :

La voie judiciaire, qui mène à l'identification d'un gagnant et d'un perdant, entraîne par le fait même la détérioration de relations commerciales parfois établies depuis longtemps et compromet toute possibilité de relations futures sans oublier, bien sûr, le risque que le jugement ne satisfasse aucune des parties, le juge ayant entendu la cause n'ayant pas saisi toutes les subtilités et la complexité d'un dossier trop technique. 113

L'arbitrage apparaît ainsi, souvent, comme un moyen d'éviter le processus judiciaire. Il s'adapte par ailleurs à tous les secteurs de l'activité commerciale, incluant le « domaine de la construction, de

109 . Les membres de la Commission Macdonald croient qu'on peut ainsi diminuer

l'encombrement des tribunaux : « La Justice serait à notre avis mieux servie si les tribunaux pouvaient être soulagés des causes techniques où plusieurs parties s'affrontent ou encore des litiges de nature répétitive où les questions de fait prédominent. En matière civile et commerciale plus particulièrement, le temps des tribunaux devrait être consacré prioritairement aux litiges qui soulèvent des questions de principe et de droit ». Le Groupe de travail sur l'accessibilité à la justice, op. cit. (note 7), p. 203.

110 . Guibault, op. cit. (note 108). 111 . Ibid. Voir également : Nabil N. Antaki, « L'utilité, les avantages et les

inconvénients de l'arbitrage », in : Barreau du Québec, op. cit. (note 3), section 9, pp. 7, 15 et 16.

112 . « Québec, ville d'arbitrage, ville internationale », in : Le Monde juridique, vol. 3 n° 4, mai 1987, p. 10.

113 . Guibault, op. cit. (note 108).

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 147

l'assurance, des contrats commerciaux, du transport terrestre et maritime, de la propriété intellectuelle, du droit d'auteur, des valeurs mobilières, de l'immobilier, etc. » 114.

La législation reconnaît actuellement l'arbitrage en tant que mode de règlement des différends. Les articles 940 à 951 C.p.c., de même que les articles 1916.1-1926.6 C.c.B.C. établissent les conditions de son utilisation. Jusqu'en 1986, l'arbitrage commercial a cependant été confiné aux relations commerciales canadiennes, le Canada n'ayant pas encore adhéré à la Convention internationale de New York de 1958 garantissant l'exécution des sentences arbitrales rendues à l'étranger 115. À la suite de cette ratification, l'adoption, par le législateur fédéral de la Loi concernant l'arbitrage commercial, inspirée de la « loi type » établie par la Commission des Nations-Unies pour le droit commercial international, et l'adoption — au Québec — d'un projet de loi modifiant le Code civil du Bas Canada et le Code de procédure civile en matière d'arbitrage (sanctionné le 11 novembre 1986) allaient favoriser l'essor de l'arbitrage commercial international.

Dès 1974, l'Institut d'arbitrage du Québec, affilié à l'Institut d'arbitrage et de médiation du Canada, offrait des services d'arbitrage ad hoc et institutionnels 116. Depuis 1987, cependant, le Centre d'arbitrage commercial national et international du Québec offre également l'encadrement de services d'arbitrage international, dans la foulée de la législation adoptée en cette matière au milieu des années 80 117. Dans tous les cas cependant, un certain nombre de règles de base sont respectées : l'indépendance de l'arbitre, le désir des parties de poursuivre ultérieurement leur relation, le consentement exprimé par les acteurs commerciaux de voir leurs différends réglés par voie d'arbitrage. Ce consentement peut s'exprimer « au coup par coup » (c'est l'arbitrage ad hoc) ou de façon « institutionnelle », ce qui exige des parties qu'elles conviennent à l'avance d'une clause compromissoire conclue dans le cadre de leurs ententes

114 . Groupe de travail sur l'Accessibilité à la justice, op cit. (note 7), pp. 203-204. 115 . Le Monde juridique, loc. cit. (note 112), p. 9. 116 . Voir à ce propos Serge Roy, « Les avocats et les méthodes alternatives de

résolution des conflits », in : Barreau du Québec, op. cit. (note 3), section 4, pp. 16-17.

117 . Le monde juridique, op. cit. (note 112); et Groupe de travail sur l'Accessibilité à la justice, op. cit. (note 7), pp. 184-185.

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148 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

contractuelles. Elle dépend de la volonté des parties de confier leurs différends à une procédure d'arbitrage préétablie, dont les conclusions sont exécutoires 118.

Le problème de la cohabitation des pratiques d'arbitrage et d'administration judiciaire traditionnelle est d'autant plus délicat, que chacune de ces pratiques est fondée sur l'adjudication. Nous avons vu plus haut que l'arbitrage se distingue cependant par la préoccupation particulière du tribunal arbitral d'assurer la « viabilité » des décisions qu'il prend. Cela dit, les droits et obligations reconnus à tous les citoyens demeurent la base des rapports juridiques des parties. L'entente en vertu de laquelle elles établissent leur rapports contractuels :

est soumis(e) aux conditions de validité de tous les contrats et notamment à celles relatives à l'ordre public, la capacité et les vices de consentement. L'article 1926.3 C.c. exige de plus la forme écrite et en fait une condition supplémentaire de validité. 119

En tout état de cause, les parties peuvent convenir d'un commun accord de ne pas référer leur cas à l'arbitrage et de soumettre le tout aux instances judiciaires traditionnelles. « Il est possible, souligne en effet Jean Guibault, que, dans certains cas, le recours aux tribunaux soit inévitable et que ce soit le seul moyen valable pour faire valoir ses droits » 120. L'article 940.1 C.p.c prévoit cependant qu'un tribunal saisi d'une question au sujet de laquelle les parties ont conclu une convention d'arbitrage, renverra

118 . Ces clauses prennent du reste des formes comparables. Celle proposée par

l'Institut d'arbitrage du Québec prévoit : « Tout différend résultant de ce contrat et qui ne sera pas réglé par les deux parties en cause, sera soumis à un arbitrage final et exécutoire. Les deux parties référeront le dossier à l'Institut d'arbitrage du Québec, qui suivra la Procédure d'arbitrage de l'Institut ». L'Institut d'arbitrage du Québec, Lettre de présentation, Montréal, polycopié, 28 novembre 1991, p. 4. Celle du Centre d'arbitrage commercial national et international du Québec prévoit pour sa part : « Tout différend ou litige qui viendrait à se produire à la suite ou à l'occasion du présent contrat sera tranché définitivement sous l'égide du Centre d'arbitrage commercial national et international du Québec, par voie d'arbitrage et à l'exclusion des tribunaux, conformément à son règlement général d'arbitrage commercial en vigueur au moment de la signature de ce contrat et auquel les parties déclarent adhérer ». Tiré de C.A.C.N.I.Q., Règlement général d'arbitrage commercial, Québec, feuillet informatif, 9 février 1988, p. 3.

119 . Antaki, op. cit. (note 111), p. 7. 120 . Guibault, op. cit. (note 108).

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 149

les parties à l'arbitrage, à la demande de l'une d'elles, ce qui tend à confirmer la primauté que le législateur a voulu reconnaître à la volonté des contractants. Les parties peuvent, à tout moment au cours des procédures, soulever une objection quant à la juridiction du tribunal arbitral 121. Par ailleurs, rien n'interdit l'exercice d'un recours judiciaire visant à obtenir des mesures provisionnelles et conservatoires, la partie demanderesse ne renonçant pas pour autant à la clause d'arbitrage 122. Finalement, les décisions prises par le tribunal arbitral étant exécutoires, rien n'interdit une partie d'en demander l'exécution, souvent à la suite d'une homologation demandée au tribunal en vertu des dispositions prévues à l'article 946.4 C.p.c. Cette procédure fait cependant perdre à la décision arbitrale son caractère confidentiel. Nabil Antaki rappelle néanmoins que dans tous les cas administrés par le Centre d'arbitrage commercial, national et international du Québec, « toutes les sentences, sauf une, ont été exécutées volontairement par les parties sans nécessiter l'intervention des tribunaux » 123. La cohabitation entre droit positif et droit préventif apparaît ainsi encore possible.

L'arbitrage commercial apparaît aujourd'hui promis à un bel avenir, notamment parce qu'il redonne aux parties l'initiative des pratiques de gestion de leurs différends, et le contrôle de la procédure et des délais en fonction desquels ces différends sont appelés à être réglés. Un sondage réalisé par le CACNIQ révèle d'ailleurs l'intérêt des milieux d'affaires pour l'arbitrage commercial :

Si on ajoute aux 38 % de dirigeants déçus du système judiciaire, les 25 % qui ont préféré l'éviter, nous obtenons le chiffre de 63 % de dirigeants qui pensent avoir été lésés dans leur droit [...] Une fois rapidement informés au cours du sondage, la moitié des dirigeants se sont déclarés intéressés par l'arbitrage contre 37 % qui ne le sont pas. 124

121 . Antaki, op. cit. (note 111), p. 13. 122 . Idem. 123 . Ibid., p. 16. 124 . Ibid., p. 2.

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150 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

Comme l'ensemble des pratiques associées au droit préventif, l'arbitrage prend appui sur une conception élargie du droit. Aussi, ne constitue-t-il le monopole d'aucune profession particulière. On trouve par exemple sur le conseil d'administration du CACNIC : des avocats, des notaires, des universitaires, des experts-comptables, des gens d'affaires, etc. Le Centre insiste lui-même sur l'importance de la multidisciplinarité 125 et l'Institut d'arbitrage du Québec déclare dans le même sens :

Nous recrutons des personnes qui ont la compétence, la réputation et l'objectivité requises pour agir comme arbitre dans un des secteurs de l'économie qui leur sont familier et nous exigeons que ces personnes possèdent aussi des connaissances sur la procédure d'arbitrage. Et ce recrutement doit se faire dans toutes les sphères d'activité. 126

Il est difficile de prévoir, sur une plus longue période, la destinée de l'arbitrage commercial. Sa nature en fait plutôt un outil de gestion des différends qu'un mécanisme permettant d'éviter la naissance des conflits. Dans ce sens, on pourrait être justifié de ne voir là qu'un autre mode alternatif de résolution des différends. Il nous apparaît cependant, à la lumière de ce que nous avons dit au chapitre précédent (Chapitre 2, Sections 4 et 5), que la pratique de l'arbitrage participe plutôt d'une conception nouvelle des rapports contractuels et qu'elle reste — pour cette raison — assez fidèle à l'idée du pluralisme juridique; surtout parce qu'elle redonne au sujet de droit sa fonction en tant qu'acteur juridique.

Cela dit, sa proximité des pratiques judiciaires traditionnelles en fait un « cas limite ». La tentation de la judiciarisation pourrait facilement provoquer l'institutionnalisation prochaine de l'arbitrage, si tant est qu'on ne voit dans cette façon de faire qu'un moyen comme un autre de régler les problèmes d'engorgement des tribunaux. On peut ainsi s'interroger sur la pertinence de référer automatiquement à l'arbitrage toutes parties déjà engagées dans

125 . Ibid., p. 10 et Le monde juridique, op. cit. (note 12), p. 11. 126 . Institut d'arbitrage du Québec, op. cit. (note 118), p. 3.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 151

une action judiciaire (tel que le propose la commission Macdonald 127). Car même si cette procédure de référence « automatique » n'était assortie d'aucune obligation de résultat, elle ferait perdre ce qui fait de l'arbitrage un processus d'autorégulation en réduisant l'intervention d'un tiers à ses dimensions techniques et instrumentales. L'arbitrage ne tarderait pas à devenir une étape obligée du processus judiciaire; et l'arbitre, un simple adjudicateur. Or, le droit préventif réside moins dans une façon de faire le droit que dans une façon de l'aborder et de penser les rapports normatifs.

Il apparaît que l'arbitrage, tel qu'il est pratiqué aujourd'hui, possède encore cette nature particulière (préventive), qu'il convient de conserver, en évitant sa judiciarisation institutionnelle trop rapide. À l'heure actuelle, le droit positif et le droit préventif y trouvent encore un point de rencontre nécessaire et une forme de reconnaissance réciproque qui prouve la cohabitation possible de diverses conceptions du droit.

Sous-section 6. L'arbitrage de grief : de travailleurs à employeurs

Peut-on dire la même chose de l'arbitrage de grief ? Tel qu'il existe aujourd'hui dans le domaine du droit du travail, il est le fruit d'une assez longue évolution et d'une lente institutionnalisation. Pour cette raison, il apparaît raisonnable de s'en servir comme indicateur (comme « analyseur ») pour l'étude d'un très grand nombre d'initiatives semblables qui, comme l'arbitrage commercial, occupent une place nouvelle aux côtés des pratiques juridiques instituées.

L'arbitrage de grief vise à régler les mésententes relatives à l'interprétation ou à l'application d'une convention collective 128. Dans l'état actuel de la législation, l'article 100 du Code du travail oblige les employeurs et les représentants syndicaux à soumettre tout grief à un processus d'arbitrage dont les conclusions sont finales et exécutoires. Il s'agit d'un acquis important dans le développement des relations industrielles. En effet, jusqu'en 1944, la législation ne prévoit aucune procédure obligatoire quant à la

127 . Voir Groupe de travail sur l'Accessibilité à la justice, op. cit. (note 7), p. 204. Voir

les recommandations 53 et 54. 128 . Voir : Robert P. Gagnon, Louis Lebel et Pierre Verge, Droit du travail, Ste-Foy,

Presses de l'Université Laval, 1991 (2e édition), p. 700.

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152 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

gestion des griefs et n'interdit pas la tenue d'une grève ou l'imposition d'un lock out, même pendant la durée d'une convention collective. La Loi des relations ouvrières de 1961 allait rendre l'arbitrage des griefs obligatoire; le législateur y reconnaît la force exécutoire des sentences arbitrales 129. Les normes complémentaires établies en 1977 en matière d'arbitrage déterminent encore aujourd'hui les règles applicables en la matière. Beaucoup d'entre elles avaient d'ailleurs été expérimentées antérieurement, de manière formelle ou informelle, au sein de nombreuses entreprises, en vue de faciliter la gestion des plaintes exprimées par les salariés 130.

L'arbitrage des griefs apparaît être, aujourd'hui encore, une procédure adaptée au contexte des relations de travail. Fernand Morin rappelle qu'elle tient compte du caractère continu des rapports au sein de l'entreprise et qu'elle n'accorde à l'arbitre qu'un statut ad hoc qui respecte l'autonomie relative que le législateur a voulu reconnaître aux parties. Il souligne également que la procédure d'arbitrage elle-même n'est pas strictement définie par la législation, que l'exercice des fonctions de représentants et d'arbitres n'exige pas de formation juridique proprement dite et que les parties conservent la liberté de se soustraire à une sentence qui les embarrasse, notamment en modifiant ultérieurement les dispositions de leur convention collective 131. Les avantages qu'on espérait tirer, à l'origine, de l'arbitrage sont par ailleurs nombreux et concordent avec ceux qu'on reconnaît aujourd'hui à l'arbitrage commercial : réduction du coût des règlements, célérité des procédures engagées, objectivité des décisions fondées sur le contenu de la convention, efficacité dans l'exécution des décisions prises, etc. 132

La complémentarité de l'arbitrage avec le système législatif et judiciaire a par ailleurs été prévue par le législateur :

L'arbitrage est retenu comme l'unique et exclusif moyen de résoudre finalement les griefs. Il en résulte deux conséquences. Premièrement, les parties ne peuvent s'entendre pour retenir un autre moyen.

129 . Voir, à ce propos, Jean-Guy Belley, et al. Les consommateurs et la justice au

Québec, Ste-Foy, Université Laval, 1983, pp. 269-270. 130 . Ibid., p. 270. 131 . Voir Fernand Morin, Rapports collectifs de travail, Montréal, Éditions Thémis,

1991 (2e édition), pp. 608-609. 132 . Ibid., pp. 609-610.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 153

Deuxièmement, une partie ne peut imposer à l'autre la négociation d'une autre manière de régler les griefs éventuels. Les deux parties ou l'une d'elles n'ont pas le choix entre l'arbitrage et le recours devant les tribunaux de droit commun. Elles ne peuvent davantage utiliser l'arbitrage pour ensuite se servir des tribunaux civils comme s'il s'agissait d'un appel. Ce caractère impératif est consacré par des dispositions expresses du Code du travail. 133

A priori donc, l'arbitrage de griefs n'a pas pour objet de s'immiscer dans le processus judiciaire puisqu'il agit à l'exclusion de celle-ci. On peut, de ce point de vue, considérer qu'il n'y a pas eu, au sens propre du terme, de « judiciarisation » de la fonction arbitrale, qui est demeurée extérieure à l'appareil judiciaire 134. La plupart des chercheurs spécialisés en droit du travail défendent cependant un point de vue différent et voient dans le travail de l'arbitre l'expression d'une véritable fonction judiciaire, assortie d'une véritable juridiction spécialisée, soumise au pouvoir de surveillance de la Cour supérieure 135 :

C'est une partie du domaine juridictionnel des tribunaux civils qui fut confiée aux arbitres pour répondre aux impératifs du régime des relations de travail. La nature de l'acte n'est pas pour cela modifiée. Cette intervention, on le sait, est imposée au Code du travail et les parties n'ont nullement le choix des moyens [...]. On ne saurait sérieusement prétendre que la participation des parties, limitée, à ce stade, à la désignation de l'arbitre pourrait affecter la nature de l'acte ni le statut juridique de l'arbitre. Enfin, l'effet de la décision est édictée au Code du travail (art. 101) et un moyen d'exécution forcée y est prévu (art. 19.1). Pour ces trois raisons, l'arbitre de griefs répond aux conditions essentielles d'un tribunal doté d'une véritable fonction judiciaire. 136

133 . Belley et al., op. cit. (note 129), pp. 272-273. 134 . C'est notamment là le point de vue de Belley et al. qui souligne par ailleurs : « Il

ressort clairement que l'État n'a pas voulu institutionnaliser le mécanisme d'arbitrage au point d'en faire un service public. Les frais d'arbitrage demeurent à la charge des parties sans distinction entre l'arbitre nommé par le ministre ou celui nommé par les parties ». Belley et al, note 129, p. 275.

135 . Voir à ce propos : Gagnon, Lebel et Verge, op. cit. (note 128), p. 709. 136 . Morin, op cit. (note 131), p. 629.

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D'une certaine façon, nous pourrions dire que la répartition stricte du travail d'adjudication entre les instances arbitrales et judiciaires n'a pas conduit à la légitimation d'une nouvelle pratique « non judiciaire » mais, par un curieux retour des choses, a plutôt favorisé sa judiciarisation « par défaut ». Cette situation confirme a contrario le caractère irremplaçable de la justice formelle, que nous avons reconnu plus haut (Chapitre 1, Section 2) et la proximité des pratiques d'arbitrage et d'adjudication judiciaire traditionnelle. Cet état de chose a d'ailleurs favorisé l'institutionnalisation des pratiques d'arbitrage : la garantie d'impartialité des arbitres désignés par les parties, le respect obligé des règles reconnues de la justice naturelle, la limitation de la juridiction confiée à l'arbitre par le législateur, le respect des chartes des droits et libertés, l'interprétation stricte de la preuve soumise à l'audience, la limitation des décisions aux seules questions soumises à l'arbitrage et le respect des délais impartis aux acteurs en présence dans chaque cas 137. Or, cette réduction des problèmes à leur dimension juridique va à l'encontre de ce que nous avons dit du droit préventif (Chapitre 2, Section 4).

Cette judiciarisation allait cependant rapidement imposer au processus arbitral les mêmes problèmes que ceux que rencontre déjà tout l'appareil judiciaire. Comme le soulignent Raymond Désilet et Pierre L'Écuyer :

En raison du formalisme et de la judiciarisation qui lui sont trop souvent imputable ainsi que des coûts et des délais appréciables qui s'y rattachent, la procédure d'arbitrage ne constitue pas en effet, pour nombre d'employeurs et de syndicats, une alternative toujours satisfaisante. Elle génère bien souvent [...] de nombreuses difficultés de part et d'autre dans l'administration de la preuve, une énergie et des coûts hors de proportion avec l'importance de la question, et le maintien entre les parties d'un état de tension larvé pouvant occasionner un conflit ouvert et l'utilisation de moyens non « conventionnels » pour accélérer le règlement. 138

137 . Ibid,, pp. 629-632. Voir également, sur cette rigidification lente de la pratique

arbitrale : Fernand Morin et Rodrigue Blouin, Arbitrage des griefs 1986, Montréal, Yvon Blais, 1986, pp. 209-210.

138 . Raymond Désilet et Pierre L'Ecuyer, « Une nouvelle approche : la médiation », in : Rodrigue Blouin, Vingt-cinq ans de pratique en relations industrielles au Québec, Montréal, Éditions Yvon Blais, 1990, p. 430 Voir également sur le même sujet : Michèle Leroux et Nicole Barsalou, « L'arbitrage de grief : l'arène des conflits de travail », in : Justice, vol. 14, n° 3, mars 1992, pp. 37-39. Les auteures soulignent : « Les délais constituent un, sinon,

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 155

La judiciarisation du processus arbitral s'est ainsi faite au prix d'une systématisation des différends et de l'imposition forcée de rôles antagonistes, qui sont les lois du genre. L'arbitrage est par conséquent devenu un lieu de confrontation et l'esprit de la fonction s'est perdu. Paradoxalement — mais est-ce si surprenant ? — cette situation a cependant provoqué, récemment, le développement d'une réflexion plus étendue sur le problème des relations patronales-syndicales et a ramené les acteurs aux sources de leurs différends et à l'esprit de leur pratique antérieure. Ainsi, on parle de plus en plus aujourd'hui d'arbitrage accéléré 139, de négociation collective continue 140, de transfert des conciliateurs du domaine de la négociation des conventions à celui de la gestion des griefs proprement dits 141.

Les plus innovateurs voient cependant dans la Médiation préarbitrale des griefs, une solution au problème provoqué par la judiciarisation précoce de l'arbitrage et une façon différente d'aborder la gestion des griefs. Dans ses orientations, elle rencontre à nouveau les principes du droit préventif :

La médiation préarbitrale des griefs constitue un mode d'intervention par lequel un tiers, non-impliqué préalablement au litige, prête assistance aux parties, à leur demande, afin de les aider à régler par elles-mêmes un ou plusieurs griefs avant qu'ils ne soient référés à l'arbitrage selon la procédure prévue dans la convention collective. Essentiellement, il s'agit donc d'une démarche qui vise à favoriser

LE problème en matière d'arbitrage. En 10 ans, le délai entre la nomination de l'arbitre et sa décision est passé de 155 à 230 jours, une augmentation de 47,6 %. Le Code du travail prévoit pourtant un délai de 90 jours ».

139 . Voir Belley et al., op. cit. (note 129), p. 281; Leroux et Barsalou, op. cit. (note 138), p. 40.

140 . Gagnon, Lebel et Verge, op. cit. (note 128), p. 731. 141 . Claudette Ross, « La conciliation, un mode de règlement encore mal connu », in :

Rodrigue Blouin, op. cit. (note 138), p. 416.

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l'émergence de compromis et de solutions qui permettront aux parties de convenir d'ententes qui leur soient mutuellement acceptables. 142

Cette démarche des parties visant à régler leurs griefs lors de séances préalables à l'arbitrage exige cependant le respect des mêmes conditions que tout autre pratique à caractère préventif : la volonté des parties, la confiance mutuelle, l'action d'un tiers non directif, la recherche de consensus et l'esprit de compromis, le contrôle de l'ensemble des tenants et aboutissants de la démarche 143. Intéressé par l'expérience, le ministère du Travail offre lui-même, depuis 1988, un service de médiation préarbitrale et constate que ce processus aura permis :

l'obtention d'ententes ou la réalisation d'autres démarches susceptibles de permettre une correction préventive des problèmes à la source de ces griefs et de favoriser l'assainissement des relations de travail entre les parties. 144

Comme c'est le cas de la plupart des pratiques nouvelles dont nous avons parlé ici, la souplesse du mécanisme semble expliquer une partie de son succès. Ainsi, au cours des deux dernières années, 75 % des 70 dossiers traités par le ministère au stade de la médiation préarbitrale ont trouvé une solution satisfaisante pour les deux parties 145.

Sur une plus grande échelle, Désilet et L'Écuyer proposent même le développement d'une forme de « médiation préventive » qui, au-delà de la gestion de différends, permettrait une gestion de l'entreprise plus susceptible de satisfaire toutes ses composantes :

142 . Désilet et L'Écuyer, op. cit. (note 138), p. 428. 143 . Ibid., p. 429. 144 . Tiré de Chantal Lamarre, « L'arbitrage de griefs : en voie de mutation », in :

Maîtres, vol. 3, n° 3, mars 1991, p. 19. Désilet et L'Écuyer soulignent dans le même sens : « En outre, l'obtention d'une telle concertation et les échanges qui permettront de préciser les causes de ces mésententes et leur règlement pourront également favoriser la détermination de solutions et de moyens susceptibles de corriger les problèmes à la source et d'en assurer la prévention ». Désilet et L'Écuyer, op. cit. (note 138), p. 429.

145 . Désilet et L'Écuyer, op. cit. (note 138), p. 431.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 157

La médiation préventive constitue pour sa part un mode d'intervention par lequel un tiers prête assistance aux parties qui le désirent afin de les aider à améliorer les relations de travail dans leur entreprise par le règlement volontaire des problèmes de fonctionnement quotidien des opérations. L'intervention ne porte pas ici sur les enjeux d'ordre monétaire ou normatif, présent lors du renouvellement du contrat de travail ou les mésententes issues de son interprétation ou de son application. Elle met surtout en cause les problèmes inhérents à l'organisation de la production, à la gestion des ressources humaines et aux interrelations entre les divers groupes d'employés, tels qu'ils sont quotidiennement vécus par tous ceux qui concourent au fonctionnement de l'entreprise. 146

On touche cependant déjà ici des dimensions qui débordent nettement les limites du droit positif, car la démarche des parties vise moins à favoriser la gestion de leurs différends qu'à éviter la naissance de problèmes inutiles. L'établissement de normes en fonction des attentes réciproques et des comportements des acteurs en présence nous ramène au niveau des équilibres dynamiques auxquels se rattache la vie en société elle-même, avec sa part d'autorégulation et de négociation continue. C'est la base du droit préventif.

Sous-section 7. Quelques considérations sur les rapports entre droit positif et droit préventif.

Tous les cas de figure analysés ici mettent en évidence la complémentarité possible du droit positif et du droit préventif. La chose est du reste observable dans une multitude de champs différents. Il s'agit cependant là d'une cohabitation à géométrie variable, parfois fondée sur l'alternance des pratiques, parfois sur la priorité séquentielle d'une approche sur l'autre, parfois sur une opposition dynamique, voulue par le législateur, entre la rigidité d'une règle et la souplesse d'une attitude, parfois sur la complémentarité de cadres législatifs et conventionnels. Le droit préventif sert ici de palliatif, et là, il constitue un substitut au droit positif. Il resterait sans doute à faire un inventaire systématique et une typologie des expressions possibles de la prévention. De même, il conviendrait de définir plus schématiquement les formes

146 . Ibid., pp. 431-432.

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possibles de cohabitation du droit préventif avec le droit positif (ou les mécanismes de la justice formelle).

Il ne s'ensuit pas que tous ces modèles se valent. Le projet d'intégration des services de médiation familiale au système judiciaire devrait ainsi être analysé à la lumière d'autres cas où la judiciarisation du droit préventif a plutôt conduit à la sclérose de pratiques qui trouvaient jusque-là leur utilité dans le fait d'une certaine souplesse. L'expérience de l'arbitrage des griefs tend par ailleurs à démontrer que la cohabitation du droit préventif et du droit positif n'est pas seulement possible, mais qu'elle est nécessaire, car la simple substitution d'une institution judiciaire par une autre (fut-elle établie au nom de la prévention) ne conduit qu'à la judiciarisation de modèles qui, dès lors, perdent leur caractère préventif. On n'a, pour s'en convaincre, qu'à analyser l'évolution récente des tribunaux administratifs 147. Et le cas de l'arbitrage des griefs démontre suffisamment que le droit préventif n'a pas à se substituer au droit positif qui doit toujours demeurer, en tant qu'institution de dernier recours. C'est un point de vue que nous avons d'ailleurs défendu tout au long de cette recherche exploratoire.

Le droit préventif s'éteint dès qu'on cherche à l'institutionnaliser. Et cette tendance a été constante au cours des dernières années. Elle est surtout alimentée par cette façon que nous avons de restreindre la problématique du droit préventif à une question de méthodes ou de techniques, dites « alternatives », en ratant, du coup, l'occasion d'une réflexion élargie sur le droit. À partir du moment où la médiation, la conciliation ou l'arbitrage sont réduits à leur dimension pratique, leur judiciarisation apparaît inévitable, car ils ne sont plus considérés qu'en tant que partie d'un système judiciaire qui leur imposera rapidement ses impératifs et ses règles du jeu. Le développement d'une conception plus ouverte du droit est sans doute ce à quoi les tenants du droit préventif devront s'affairer à l'avenir, car le développement rapide des pratiques préventives et la faiblesse actuelle de la réflexion sur la prévention risquent de conduire à la récupération de toutes les initiatives qui fondent le « droit vivant ».

147 . Lire à ce propos les observations de Guy Rocher dans : Clément Trudel,

« L'accessibilité à la justice », in : Maîtres, vol. 3, n° 10-11, octobre-novembre 1991, p. 7.

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Cela étant dit, le droit préventif lui-même demeure en tant que conception élargie du droit. L'expression la plus évidente de cet état de fait réside sans doute dans le fait qu'il constitue déjà un espace de réflexion et de pratique multidisciplinaire. Section 3. Le droit préventif en tant qu'espace

multidisciplinaire Abordé en tant qu'espace d'intervention professionnelle, le

droit préventif est un champ ouvert à toutes les expertises. Davantage, il apparaît indispensable qu'il ne fasse l'objet d'aucun monopole professionnel particulier et qu'il demeure, au-delà des expressions concrètes qu'il peut prendre dans la pratique quotidienne du droit, un lieu de connivence intellectuelle et un espace d'échange sur la nature du phénomène juridique et sur les impératifs de la normativité dans la vie de la Cité. Par l'intérêt qu'il suscite, au Québec, auprès des membres du Barreau et de la Chambre des notaires, le droit préventif constitue déjà un motif de rapprochement, encore que chaque corporation puisse aborder la question d'une façon qui lui est propre.

Dès 1989, l'Association du Barreau canadien publiait le rapport d'un groupe de travail sur les mécanismes de résolution des conflits 148. En s'inspirant du modèle américain, l'A.B.C. mettait ainsi en évidence un grand nombre d'expériences déjà réalisées dans le cadre des activités professionnelles de ses membres dans tous les secteurs du droit : relations de travail, droit familial, droit criminel, droit de l'environnement, droit commercial, droit public, etc. Le Barreau du Québec allait emboîter le pas en s'associant, au début de 1990, au Comité interprofessionnel sur la médiation familiale. En 1992, le Journal du Barreau ouvrait ses pages à une nouvelle chronique sur les Méthodes alternatives de résolution de conflits, alors que le Barreau organisait une journée de formation professionnelle sur le sujet. Au Sommet de la Justice, le Barreau du Québec s'engageait spécifiquement :

À préparer un plan d'action visant l'avancement des méthodes alternatives et complémentaires aux solutions des conflits; et

148 . The Canadian Bar Association, Report of the Canadian Bar Association Task

Force on Alternative Dispute Resolution, Ottawa, C.B.A., 1989, 97 pages.

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à encourager ses membres à connaître, à favoriser et à suggérer, lorsque la situation est appropriée, la conciliation et les méthodes alternatives et complémentaires aux solutions des conflits. 149

Cela dit, au-delà des méthodes « alternatives » reconnues, et associées à la résolution des conflits, la nécessité d'assouplir la gestion des différends et de faciliter la résolution non judiciaire des litiges s'est imposée dans la pratique quotidienne du droit. La négociation, qui représente la forme la plus courante de nos interactions quotidiennes (Chapitre 2), constitue également l'unité de base de la pratique judiciaire. Le nombre croissant des règlements hors cours fait foi de l'importance accordée, dans la pratique du moins, à la solution négociée des litiges 150.

Dans certains champs de pratique particuliers, le législateur assigne aux praticiens l'obligation de référer leurs clients à la médiation. C'est notamment le cas en matière de droit de la famille, l'article 9(2) de la Loi sur le divorce, nous l'avons vu, prescrit qu'il incombe à chaque avocat de renseigner ses clients sur les services de médiation qu'il connaît et qui sont susceptibles d'aider les époux dans la négociation des conditions accessoires au divorce. Le législateur a clairement voulu, par là, reconnaître au praticien une responsabilité de nature préventive. En matière de média-tion familiale, comme en matière de droit commercial, l'avocat

149 . Il s'agit des engagements 6 et 7, tirés de Barreau du Québec, « Les propositions et

les engagements du Barreau du Québec », in : Maîtres, numéro spécial Sommet de la Justice, février 1992, p. XVII.

150 . Voir notamment à propos de la négociation d'ententes hors cours, les commentaires des spécialistes du droit judiciaire sur le désistement avant jugement (art. 262-264 C.p.c.) : Jacques Anctil, Jurisprudence en procédure civile 1966-1986, Sherbrooke, Les Éditions Revue de droit de l'Université de Sherbrooke, 1987, pp. 496-497; Lazar Sarna, Code de procédure civile, Montréal, Édition Jewel, octobre 1992, pp. 399-404; Henri Kélada et Francine Payette, Formulaire de procédure civile, Montréal, Wilson et Lafleur/SOREJ, 1982, art. 263 et 264; Denis Ferland, Benoit Emery et Jocelyne Tremblay, Précis de Procédure civile du Québec, Montréal, Yvon Blais, 1992, pp. 224-226; Barreau du Québec, La procédure civile 1, Montréal, Yvon Blais, 1988, pp. 85-89; Hubert Reid, Denis Ferland, Code de procédure civile annoté du Québec, Québec/Montréal, Les Éditions Grégoire/Wilson et Lafleur, 1980, pp. 271-273.

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demeure d'ailleurs une référence extérieure indispensable et « les parties sont amenées à le consulter tout au long du processus » 151.

La pratique quotidienne a également amené les avocats à jouer régulièrement le rôle d'arbitre. En effet, souligne Me Serge Roy :

selon le Code de déontologie professionnelle du Barreau canadien, la règle qui exige que l'avocat soit impartial et qu'il évite les conflits d'intérêts ne l'empêche pas d'agir comme arbitre dans un différend entre deux parties qui désirent recourir à son arbitrage. 152

La pratique de la médiation et de la conciliation pourrait cependant nécessiter une modification de l'article 3.05.04 du Code de déontologie du Barreau, article en vertu duquel : « L'avocat ne peut représenter des intérêts opposés ». Le Barreau étudie présentement la possibilité d'effectuer une telle modification 153.

La Chambre des notaires du Québec s'est, elle aussi, engagée dans le sens du droit préventif. Elle le fait de façon d'autant plus déterminée que l'action préventive trouve son fondement dans l'échange des consentements, dont la forme la plus affirmée demeure le contrat. C'est en effet dans la clarification des attentes, des volontés et des perceptions des parties que la prévention trouve sa première expression et sa forme la plus claire puisque la précision des contrats signés par les parties les protège des malentendus qui sont souvent la source de conflits inutiles 154. Aussi, la fonction du notaire est-elle par essence une fonction médiatrice. En prévision de tout différend qui pourrait survenir, le notaire peut par ailleurs inciter les parties à assortir leur entente d'une clause promissoire prévoyant le recours à l'arbitrage, à la conciliation ou à la médiation, de même que les modalités en vertu

151 . Roy, op. cit. (note 116), p. 15. 152 . Ibid., p. 17. 153 . Ibid,, p. 20 et Élyse Baillargeon, « Les avocats et les méthodes alternatives », in :

Le Journal du Barreau, 1er septembre 1992, p. 27. 154 . Voir à ce propos ce que dit Guy Rocher dans l'entrevue intitulée : « Quels sont les

besoins juridiques de notre société ? », in : Notaire d'aujourd'hui, spécial congrès, juillet 1991, p. 13.

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desquelles ces recours sont possibles 155. Ce faisant aussi, il assure la stabilité des liens contractuels.

Cette vocation particulière ne conduit pas nécessairement les membres de la Chambre des notaires à méconnaître la nécessité que certains différends trouvent leur dénouement dans les cadres des procédures judiciaires traditionnelles. Dans un sondage récent, 62 % des notaires affirmaient considérer la judiciarisation comme un moyen efficace de protéger les droits des parties 156. Une proportion importante affirmait cependant considérer la « déjudiciarisation » comme un moyen efficace (68 %) et rapide (59 %) de régler les différends 157. Toujours récemment, l'intérêt porté par la Chambre à la médiation familiale, à la violence conjugale et à la pratique de l'arbitrage répond à cette orientation générale des membres 158.

Sur une plus vaste échelle cependant, la Chambre des notaires allait mettre clairement en évidence le risque que l'inflation judiciaire fait courir à l'esprit général de notre système de droit. Ainsi, en ce qui concerne la récente réforme du Code civil, la Chambre affirme :

Il faut dire non à l'inflation judiciaire. En exigeant que la réforme du Code civil mette davantage l'accent sur la prévention et l'harmonie au lieu de gérer les conflits. D'ailleurs, dans un récent sondage, 80 % des Québécois considèrent que, dans la société d'aujourd'hui, on a beaucoup trop souvent recours aux tribunaux. Dans la même proportion, ces derniers préconisent plutôt l'entente à l'amiable. 159

155 . Voir Jacques Taschereau, « Identifiez vos compétences particulières auprès de la

Chambre », in : Notaire d'aujourd'hui, vol. 4, n° 2, mars-avril 1991, p. 5. 156 . « La pratique notariale : une spécificité québécoise », in : Maîtres, vol. 4, n° 1-2,

janvier-février 1992, p. 38. 157 . Ibid., p. 39. 158 . Voir relativement à ces différents sujets, les éditions de janvier-février 1991,

mars-avril 1991 et novembre-décembre 1991 du périodique Notaire d'aujourd'hui.

159 . Tiré d'un encart publicitaire publié dans les journaux nationaux. Voir également : Jacques Beaulne, Danielle Codère, « Pour une révision de l'avant-projet dans une perspective de déjudiciarisation », in : Les Cahiers de droit, vol. 30, n° 4, décembre 1989, pp. 843-865.

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La Chambre de notaires considère en effet qu'une approche préventive du droit implique en priorité qu'on cherche à éviter la naissance des conflits. Comme le soulignait en effet Jean Lambert, ancien président de la Chambre :

L'emprise du concept de droit jurisprudentiel anglo-saxon est telle sur nos cerveaux juridiques que ceux-ci ont peine à faire abstraction du judiciaire et à imaginer autre chose qu'une justice privée et plus expéditive [l'arbitrage] ou enfin des mécanismes diffuseurs de tensions telles la médiation et la conciliation. Comprenons-nous bien, ces techniques récentes de résolution des conflits, souvent qualifiées d'alternatives au système des tribunaux judiciaires étatiques, ont leur valeur et méritent qu'on en fasse la promotion. Mais disons-le franchement, ces avenues, beaucoup plus anciennes qu'on ne le dit, demeurent essentiellement « curatives » et quelques réserves mises à part sur la conciliation, elles participent toutes de la philosophie « adversaire » du droit. L'imagination des juristes est confrontée comme jamais au défi de l'originalité, de l'inédit et de l'innovation, c'est-à-dire à celui d'élaborer un complément qui soit situé en aval du curatif, un droit vraiment préventif qui cherche à éviter les conflits plutôt qu'à les gérer 160.

C'est dans cet esprit que la Chambre des notaires créait, en juin 1991, le Centre de droit préventif du Québec, dont l'essentiel des énergies est consacré à promouvoir une façon différente de penser et de faire le droit, dans une optique visant la prévention des litiges plutôt que leur règlement ultérieur. C'est dans ce cadre particulier que la présente étude a d'ailleurs été menée. La conduite d'un certain nombre d'études empiriques sur le problème de la législation et de la justice pourrait enrichir, ultérieurement, notre compréhension du phénomène juridique et permettre que, dans le cadre d'une démarche multidisciplinaire, le concept de droit préventif trouve de nombreuses applications 161.

160 . Jean Lambert, « Le fléau de la « judiciarisation », in : Le Devoir, 14 octobre 1990. 161 . Voir à ce propos : Pierre Noreau, « Droit et sociologie : pour une approche

globale du droit : Contribution à la définition du concept de droit préventif », in :Revue du notariat, vol. 94, n° 7-8, mars-avril 1992, pp. 403-440. Voir également : Georges Aubé, « Recherche empirique en matière législative », in : Notaire d'aujourd'hui, vol. 4, n° 5, septembre-octobre 1991, p. 11.

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Dans cette quête d'innovations, les juristes ne sont d'ailleurs plus seuls. Nous avons vu, en effet, que les impératifs de la multidisciplinarité se font de plus en plus sentir et que certaines expériences antérieures ont servi de pôle intégrateur pour une multitude d'intervenants. Ainsi, la médiation familiale doit beaucoup aux sciences du comportement et l'Association de médiation familiale est fondée sur un membership issu de diverses professions. Dans le même sens, et pour les mêmes raisons, le conseil d'administration du Centre de droit préventif du Québec est également composé de professionnels, d'universitaires et de chercheurs issus de champs très différents, qui n'ont pas tous une formation juridique. Il en va de même des organismes offrant des services d'arbitrage commercial. Leur procédure de recrutement et de nomination des arbitres les autorise à puiser à tous les secteurs de l'activité économique. Le dernier Sommet de la Justice favorisait également une approche multidisciplinaire du phénomène juridique 162. Il faut d'ailleurs reconnaître qu'au sein de nombreux secteurs d'activités, la médiation ou la conciliation ont assez spontanément trouvé leur place. Certains s'étonnent ainsi d'apprendre que la Commission de déontologie policière offre des services de conciliation pour le règlement de différends survenus entre certains citoyens et policiers dans l'exercice de leurs fonctions 163. Des organisations à vocation commerciale comme l'Association du camionnage du Québec ou le Bureau d'éthique commerciale (B.E.C.) offrent également des services de conciliation, sans avoir attendu l'aval des juristes 164. Il y a dans tous ces cas, une forme de décloisonnement du droit.

C'est une nécessité à laquelle s'éveille d'ailleurs le monde universitaire. La multidisciplinarité a cependant occupé trop peu de place jusqu'ici dans les facultés de droit, ce qui n'a certainement pas contribué à l'enrichissement de la pensée juridique contemporaine.

162 . Québec, La responsabilité partagée à l'égard de la justice et le règlement non

judiciaire des conflits et des litiges : Cahier des propositions (document préparé en vue du Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, février 1992, tableau 1, synthèse n° 8.

163 . Voir à ce propos : Commission de déontologie policière, La conciliation : un mode alternatif de règlement d'une plainte, Sainte-Foy, 23 novembre 1992, 2 pages.

164 . Voir à propos du Bureau d'éthique commerciale : Groupe de travail sur l'accessibilité à la justice, op. cit. (note 7), pp. 182-183.

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LA PLACE DE LA PREVENTION JURIDIQUE AU QUEBEC 165

[Les chercheurs], souligne Jean-Guy Belley, sont unanimes à reconnaître qu'aucun progrès significatif ne pourra se faire dans la connaissance des problèmes d'accès à la justice sans l'apport de plusieurs disciplines dont le développement demeure embryonnaire. La sociologie du droit est indispensable à la connaissance des facteurs culturels et sociaux qui rendent compte de l'existence des divers modes de règlement des conflits et de leur mobilisation variable selon les types de litiges et les catégories de justiciables. La psychologie du droit est requise pour comprendre le sentiment de justice ou d'injustice qui préside au comportement des justiciables en situation de conflit, les attitudes qui structurent leur interaction avec les professionnels du droit et les effets de tel ou tel processus de résolution de conflit sur leur équilibre personnel [...] seules l'histoire et l'anthropologie du droit peuvent révéler à quel point l'évolution historique de chaque système de justice nationale le singularise au regard de l'expérience observée dans d'autres sociétés 165

La même chose peut sans doute être dite du droit préventif. Son développement n'a de sens que dans le cadre d'une approche multidisciplinaire et interprofessionnelle. C'est du moins ce que nous avons tenté de faire voir dans cette étude qui puise indifféremment aux différents champs de la connaissance et à de multiples secteurs de recherche, trop souvent indifférents les uns aux autres.

165 . Jean-Guy Belley, « Les facultés de droit et l'accès à la justice au Québec »,

in : Québec, La responsabilité partagée à l'égard de la justice : état de la situation, (Document de consultation 1.1 préparé en vue du Sommet de la justice 1992), Ste-Foy, ministère de la Justice, octobre 1991, annexe 4, pp. 6-7. En fait seules quelques investigations conduites dans le sillon des Services juridiques communautaires ont pu donner lieu à une réflexion multidisciplinaire (sociojuridique) sur le droit. Voir, relativement à cette question : Donald Poirier, Huguette Clavette, « Les services juridiques communautaires de Moncton : La formation et l'intervention sociojuridique », in : Canadian Community Law Journal, vol. 8, 1985, pp. 93-108.

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CONCLUSION

DE L’ESPRIT DES LOIS A LA SOCIETE DE DROIT

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L'histoire du monde occidental pourrait toute entière tenir dans l'histoire du droit. L'évolution de la forme juridique est un indicateur précieux de notre propre évolution. Elle est, au même titre que les arts et les sciences, une grande œuvre de civilisation et la traduction formelle des valeurs auxquelles nous avons adhéré au fur et à mesure des leçons que nous tirions de notre vie collective et des transformations qu'ont subies les rapports de l'individu avec la collectivité. Chaque groupe humain produit ainsi un droit qui lui est propre, c'est la grande intuition héritée des Anciens. Aujourd'hui, signe de notre époque, le droit protège le citoyen contre l'arbitraire politique; il défend et balise nos libertés individuelles. L'État en a fait un puissant outil d'intervention collective. Tout cela doit rester.

Parallèlement, le droit a cependant acquis une autonomie relative. En tant que champ de l'activité humaine, il a profité de la division fonctionnelle du travail et de la complexification croissante de nos rapports sociaux. Le législateur a tenté de rendre compte de toutes les mutations sociales, et le droit — en se complexifiant lui-même — est lentement devenu une affaire de spécialistes. La sécularisation du droit, puis celle de la société, a ramené les individus à eux-mêmes. L'effritement des grands modèles consensuels et des anciennes structures de contrôle social a favorisé l'expansion du droit étatique. On a dès lors eu tendance à croire que les normes établies par la loi nous serviraient à l'avenir de consensus social. Et, lentement, nous avons réduit les rapports sociaux à ceux que le législateur met en forme, en ne nous reconnaissant plus à nous-mêmes l'autorité d'établir les normes qui pourraient nous régir. Ainsi, la loi qui nous libérait des contraintes anciennes ne nous a pas appris à prendre acte des libertés qu'elle nous conférait en fait.

Il ne s'ensuit pas que la société entière se soit trouvée privée de sa vie propre. En vérité, nous complétons constamment l'œuvre du législateur, et la contournons parfois... Dans le cadre de leurs interactions quotidiennes, les individus ont continué à générer des normes qui leur servent tous les jours, et parfois plus souvent que la loi elle-même. Tout cela n'est bien sûr possible que du fait de l'autorité qu'on reconnaît toujours à la législation étatique, en tant que norme extérieure. Mais les rapports que nous entretenons spontanément sont infiniment plus riches que ceux que nous prête le législateur.

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170 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

Le problème vient de ce que nous nous autorisons de moins en moins à puiser aux sources des normes que nous établissons nous-mêmes. Plutôt que d'y référer nous préférons, par un curieux retour des choses, recourir à une norme extérieure qui nous autorise — par législation interposée — à nous poursuivre mutuellement en justice : nouvelle forme de la guerre de tous contre tous. L'État de droit, en perdant le sens et L'Esprit des lois a fait fuir la Société de droit sur laquelle il aurait dû s'appuyer. En refusant de nous référer à ces normes que nous produisons pourtant quotidiennement nous-mêmes, nous nous privons de repères qui nous permettraient sans doute d'éviter que certains problèmes naissent, avant de se transformer en différends... puis en litiges. À défaut de pouvoir éviter le conflit, nous pourrions prévenir ainsi une rupture que la justice formelle consacre presque toujours, car l'accentuation — la dramatisation — des différends est une prémisse essentielle au travail de l'adjudicateur, qui ne peut se contenter des « responsabilités partagées » qui sont le lot de nos rapports quotidiens. La fin de nos problèmes avec les autres concorde ainsi souvent avec la fin de nos relations, ce qui n'a de sens que dans une société de masse, où les rapports particuliers n'ont que peu de valeur. La réalité est cependant tout autre. Notre vie est tissée de rapports particuliers. Nous passons notre vie à choisir nos solidarités et nos relations. C'est un privilège que ne connaissaient pas nos ancêtres. Il convient de prendre la mesure de ce que cette réalité implique pour notre compréhension du phénomène juridique. Nos références constantes à la justice formelle apparaissent souvent fondées sur la difficulté que nous avons de prendre acte de nos libertés individuelles. C'est sur cette capacité de prise en charge que le droit préventif est fondé. Ce faisant, il ne propose ni la création d'une utopique société de l'harmonie — idéal d'une communauté traditionnelle qui n'a jamais existé — ni la transformation des mœurs ou la renonciation à ce que la vie contemporaine apporte. Il se propose sobrement de référer les individus à leur propre capacité d'établir et de gérer les relations qu'ils ont choisies.

Cette attitude est déjà largement partagée par certaines organisations et certaines institutions qui ont saisi l'intérêt, souvent très pratique, qu'elles avaient à exploiter des sources normatives différentes de celles qu'établit la loi étatique ou la justice formelle. Confrontées à des problèmes concrets, elles ont souvent vu dans le droit préventif, des méthodes et des techniques utiles, sans saisir que ces initiatives impliquaient une importante remise en question

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CONCLUSION 171

du monopole normatif de la législation et de la justice. Sans le savoir — sans le vouloir sans doute — elles ont élargi la conception qu'elles avaient eue jusque-là du droit. Ceux qui spontanément ont pratiqué le droit préventif ne se sont pas toujours sentis obligés de nommer les choses ou d'en prendre la mesure. La réduction de ces innovations à leurs dimensions concrètes menace cependant de faire perdre son sens à ces intuitions fortes. Réduites à leur contenu pratique, ces initiatives encore fragiles risquaient d'être rapidement rejetées, ou réintégrées dans l'espace juridique institué, sans avoir pu s'imposer dans toute leur originalité. Trop d'innovations sont ainsi tombées — ou ont été récupérées — avant d'avoir pu affirmer leur spécificité. Ceux qui défendent ces innovations voient souvent avec intérêt la reconnaissance qu'on accorde à des dimensions somme toute accessoires de leur contribution. Ces innovations sont institutionnalisées avant même qu'elles aient eu le temps d'exister pour ce qu'elles étaient. La superficialité accompagne souvent l'effet de mode et vient néanmoins à bout de bien des mouvements de fond. Les militants de la première heure ont ainsi l'impression d'avoir enfin été compris, au moment même où leurs idées sont trahies.

Il convenait donc de situer les choses. D'affirmer leur spécificité, car en refusant de nommer les innovations ou de les placer dans une perspective plus large, on risque — par manque d'audace et d'imprudence — de les confondre à ce qui existe déjà, en perdant du coup, la possibilité de changer ce qu'on croyait devoir être changé; en confondant les genres. Il existe sans doute plus d'une façon de définir le droit préventif. La proposition que nous faisons ici comporte l'avantage de poser le problème dans ses fondements mêmes. Nous avons tenté de ne pas trahir ceux qui s'y sont intéressés avant nous, souvent dans le cadre de recherches ou d'investigations théoriques portant sur tout autre chose. L'élargissement du concept même de droit implique évidemment que, pour un temps, on doive accepter de ne plus pouvoir affirmer clairement, où le droit commence et où le droit finit. C'est peut-être à compter de ce moment qu'on peut affirmer à nouveau son caractère profondément social, en le confirmant ainsi dans ses origines et en lui redonnant son sens, comme outil d'autorégulation et outil de libération plutôt que comme outil de contrainte. Nous serons ainsi passés de l'État de droit à la Société de droit.

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ANNEXE

LE CHOIX DES MOTS

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Le choix du terme « droit préventif » peut évidemment faire l'objet de critiques diverses. Il n'est pas toujours facile de nommer les choses. D'autres expressions ont été utilisées pour définir une approche plus souple du droit, mais la plupart de ces vocables causent plus de problèmes qu'ils n'en règlent.

C'est notamment le cas des vocables anglophones du type : community justice, informal justice, neighbourhood justice, alternative dispute resolution, private justice ou soft justice. Les expressions community justice ou neighbourhood justice présentent les mêmes inconvénients. Les deux termes laissent supposer que les différends nés entre les individus doivent être réglés par la communauté locale, ce qui n'a de sens que si on considère la médiation comme une reprise des pratiques utilisées par les sociétés traditionnelles. Or, nous avons rejeté cette définition du processus de médiation comme contraire à l'état des rapports sociaux dans les sociétés complexes (Chapitre 2, Sections 2 et 3) 1.

L'expression informal justice présente d'autres inconvénients 2. Elle tend à laisser croire que c'est le caractère formel du système de justice étatique qui fait problème. Or, dans notre réflexion sur la justification du droit préventif, nous avons précisément voulu dépasser ces dimensions épidermiques de la question juridique. On pourrait d'ailleurs adresser la même critique à l'expression soft justice. L'expression private justice pourra paraître plus adaptée. Elle est utilisée par Stuart Henry. Elle réfère cependant trop souvent à des pratiques très spécifiques — notamment celle de private trial — et diminue la portée du concept

1 . Voir notamment Tony F. Marshall, « Out of Court: More or Less Justice ? », in :

Roger Matthews, Informal Justice ?, Londres, Sage Publications, 1988, pp. 27 et ss.; et Bryant Garth, « Settlement of Disputes Out of Court in the United States: The Role of Lawyers and the Recent Emphasis on Neighborhood Justice Centers », in : Hein Kötz et Raynald Ottenhof (sous la direction de), Les conciliateurs et la conciliation : une étude comparative, Paris, Économica, 1983, pp. 163-172.

2 . Marshall, op. cit. (note 1); Richard Abel (ed.), The Politics of Informal Justice, New York, Academic Press (coll. Studies on Law and Social Control), 1982. Voir également Jacques Dufresne, « La judiciarisation », in : Québec, La responsabilité partagée à l'égard de la justice : L'état de la situation (document de consultation 1.1 préparé en vue du Sommet de la justice 1992), Sainte-Foy, ministère de la Justice, octobre 1991, annexe 1, p. 20-22.

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de prévention 3. Finalement, toutes ces expressions tendent à s'approprier le procédé de légitimation déjà utilisé par le système d'adjudication établi par l'État, et à se présenter comme des formes effectives ou efficientes de justice 4. Or, comme le souligne Chevallier :

le principe de justice n'est qu'un idéal très vague, dépourvu de contenu objectif et susceptible de multiples traductions; il joue plutôt comme système de légitimation de la norme juridique, qui s'inspire au demeurant d'autres considérations. 5

Le droit préventif ne prétend pas pour sa part apporter plus de justice ou d'injustice qu'un autre système, mais plus pragmatiquement, propose qu'on réfléchisse sur la place du droit au Québec et favorise le développement des modes non-contentieux de règlement et de prévention des différends.

Une autre expression, the alternative dispute resolution, en plus de poser — même en anglais — des problèmes étymologiques 6 est associée à une tendance qui, aux États-Unis, s'est radicalement insurgée contre l'inefficacité et l'injustice des institutions judiciaires. Or, le CPDQ n'entend pas partir en croisade contre notre système de droit étatique, ni s'y substituer, car il est indispensable au traitement de multiples différends qui ne peuvent pas trouver de solution ailleurs qu'au tribunal. Au sens propre du terme, le droit préventif n'est pas une alternative au droit étatique ou au mécanisme judiciaire. Il se propose de mettre en évidence des phénomènes qui sont déjà largement répandus, mais qui méritent d'être mis en évidence, d'être mieux saisis, mieux synthétisés et promus davantage.

3 . Voir Stuart Henry, Private Justice : Towards Integrated Theorising in the

Sociology of Law, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1983. 4 . Marshall, op. cit. (note 1), pp. 25-50. 5 . Jacques Chevallier, « L'ordre juridique », in : Jacques Chevallier et al., Le droit

en procès (Ouvrage collectif du Centre universitaire de recherches administratives et politiques de Picardie), Paris, Presses universitaires de France, 1983, p. 30.

6 . Car, même en anglais, on ne sait trop si c'est la dispute ou la résolution qui est alternative. Voir à ce propos Gordon R. Woodman « The alternative law of dispute resolution », in : Les Cahiers de droit, vol. 31, n° 1, 1991. L'expression est cependant celle qui, dans le monde anglo-saxon est la plus fréquemment utilisée. Voir The Canadian Bar Association, Report of the Canadian Bar Association Task Force on Alternative Dispute Resolution, Ottawa, C.B.A., 1989.

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ANNEXE 177

Finalement, on a parfois eu tendance à réduire le droit préventif à une simple technique, à une nouvelle spécialité ou à une nouvelle catégorie de la pratique du droit. Ainsi, les expressions du type mode précontentieux de gestion des conflits ou traitement précontentieux des différends ne rendent compte que d'une dimension accessoire au champ plus large du droit préventif. En vérité, le droit préventif se caractérise surtout par une conception élargie du droit. Cette approche implique à la fois une réflexion sur la législation et une autre sur le processus judiciaire. Avant d'être une pratique, elle est une approche générale (une pédagogie) du différend. Si elle propose des modèles d'intervention qui favorisent une gestion précontentieuse des différends, elle ne se réduit pas à cette seule dimension. Elle inclut aussi bien la négociation des contrats que la forme de la législation ou les rapports entretenus par les parties à la suite d'un litige judiciaire où ils ont été engagés mais dans lequel ils veulent éviter de retomber 7.

La même remarque s'applique à une foule d'autres expressions relevées par la Commission Macdonald : solutions de rechange au règlement des conflits, règlement extrajudiciaire des différends ou règlement des litiges parallèles, mécanisme alternatif de résolution (ou de règlement) des conflits, modes alternatifs de règlement des litiges. Toutes ces expressions tendent à limiter le droit préventif à une technique de règlement des différends plutôt qu'à une approche différente du droit et des rapports juridiques 8.

D'autres vocables portent à confusion parce qu'ils se réfèrent à plusieurs phénomènes différents. C'est notamment le cas du concept de déjudiciarisation. Le terme déjudiciarisation peut en effet référer à un mouvement général visant à éviter la judiciarisation des différends, ou plus spécifiquement « à faire traiter [...] certaines catégories d'affaires civiles ainsi que certains problèmes d'ordre pénal, par des institutions parajuridiques ou

7 . L'expression « mode précontentieux de gestion des conflits » est entre autres

proposée par Étienne Le Roy qui parlait de la pratique non judiciaire du droit davantage que du concept de droit préventif. Voir à ce propos Yves-Marie Morissette, « (Dé)judiciarisation et (dé)juridicisation et accès à la justice », in : Revue du Barreau, vol. 51, n° 4, novembre-décembre 1991, p. 588.

8 . Groupe de travail sur l'accessibilité à la Justice, Rapport : Jalons pour une plus grande accessibilité à la justice, Montréal, ministère de la Justice, juin 1991, pp. 159-160.

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privées, existantes ou à créer » 9. Elle réfère cependant déjà, en matière pénale, à des procédés précis visant à traiter hors des modalités régulières de la justice formelle, un certain nombre de dossiers, soit par la collectivité, soit par la police, soit par le biais de conciliations préalables au procès, soit par la cour elle-même 10.

Ces différentes acceptions du concept de déjudiciarisation peuvent évidemment trouver leur place dans la réflexion entreprise par le CPDQ. Elles doivent cependant s'inscrire dans une compréhension à la fois élargie du droit (comme c'est le cas de la problématique actuelle), mais aussi plus empirique, c'est-à-dire fondée sur l'étude d'un certain nombre de cas précis et significatifs. Le sens lui-même de l'expression déjudiciarisation mérite ainsi d'être mieux circonscrit, sinon d'être abandonné.

Il en va de même des expressions délégalisation ou déréglementation. Celles-ci trouvent en effet leur sens dans le cadre de mouvements idéologiques plus larges qui favorisent le retrait de l'État de certains champs de juridiction où la législation réglait jusque-là les priorités de droits ou les pénalités. Ce mouvement, fondé sur la demande d'un « État minimal », considère cependant que le droit positif, quelles que soient ses formes, est foncièrement pervers. Il est largement teinté politiquement 11.

Pour des raisons toutes différentes — mais également orientées idéologiquement — des penseurs libéraux d'origine américaine (promoteurs d'une idéologie de l'harmonie sociale) et des auteurs associés à la deuxième gauche européenne (dite autogestionnaire) font également la promotion d'un retour à une forme de solidarité communautaire qui suppose le développement

9 . Heleen Ietswaart, « Déjudiciarisation », in : André-Jean Arnaud et al. (sous la

direction), Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, Paris/Bruxelles, Librairie générale de droit et de jurisprudence/É. Story-Scientia, 1988, p. 94. C'est dans ce sens que cette expression est utilisée dans l'article de Jacques Beaulne et Danielle Codère, « La réforme du droit des obligations : pour une révision de l'Avant-projet dans une perspective de déjudiciarisation », in : Les Cahiers de Droit, vol. 30, n° 4, décembre 1989, pp. 843-865.

10 . Voir : Commission de réforme du droit du Canada, Étude sur la déjudiciarisation, [document de travail n° 7], Ottawa, 1975, pp. 3-16.

11 . On retrouve notamment là les thèses défendues par la droite conservatrice américaine. Voir notamment à ce propos : Garth, op. cit. (note 1), p. 169.

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ANNEXE 179

de formes plus souples de gestion des différends et — pour cette raison également — une forme de désengagement de l'État 12.

Les promoteurs du droit préventif n'entendent pas eux-mêmes être les instigateurs d'une nouvelle prophétie. Ils cherchent plus sobrement à faire voir certaines limites du droit positif et de la justice formelle, et à proposer un complément utile à la gestion des différends, plutôt qu'une alternative tous azimuts. Au fur et à mesure que le champ d'action et de recherche du C.P.D.Q. se développera, ses concepts et son vocabulaire se développeront également davantage. Certaines expressions seront ainsi utilisées de façon de plus en plus précise. Ce sera sans doute le cas des concepts de prévention : droit, médiation, conciliation, négociation, ordre juridique, ordre normatif, ordre spontané, normes, règles, règlement, entente, droit étatique, droit extra étatique, relevance juridique, institution, internormativité, tiers non directif, communauté sociétale ou groupe social, relation sociale, judiciarisation, juridicisation, etc.

12 . Voir à ce propos Christine B. Harrington, « Delegalization Reform Movement : A

Historical Analysis », in : Richard Abel (ed.), The Politics of Informal Justice, New York, Academic Press (coll. Studies on Law and Social Control), 1982; Laura Nader, « The ADR Explosion — The Implications of Rhetoric in Legal Reform », in : Recueil annuel de Windsor d'accès à la justice, vol. 8, 1988, pp. 275 ss.; et Andrée Lajoie, « Contribution à une théorie de l'émergence du droit : Le droit, l'État, la société civile, le public, le privé, de quelques définitions interreliées », in : Revue juridique Thémis, vol. 25, n° 1, 1991, pp. 103-143. On trouve au sein des promoteurs de cette tendance en Europe des auteurs comme Rosanvallon, voir Pierre Rosanvallon : La crise de l'État providence, Paris, Seuil (coll. Point/Politique), 1981, 192 pages; et Pierre Rosanvallon Misère de l'économie, Paris, Seuil, 1983, 156 pages. Voir également Mauro Cappelletti et Bryant Garth, « Settlement of disputes out of Court : A comparative report on the trend toward conciliation », in : Hein Kötz et Raynald Ottenhof (sous la direction de), Les conciliateurs et la conciliation : une étude comparative, Paris, Économica, 1983, pp. 12-15. Dans le même sens, on retrouve l'utilisation des termes justice « délégalisée » et « déprofessionnalisée » dans un texte Vescovi tiré du même ouvrage collectif : Enrique Vescovi, « Le règlement des conflits hors des tribunaux », in : Hein Kötz et Raynald Ottenhof, op. cit., pp. 175-176.

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BIBLIOGRAPHIE

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200 DROIT PREVENTIF : LE DROIT AU-DELA DE LA LOI

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