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Aujourd’huil’album ?Cécile BoulaireFrancine FoulquierSophie Van der LindenAnne-Laure CognetBéatrice PonceletHélène RiffMalika DorayOlivier Douzou

↗Un livre, Hervé Tullet, BayardEditions→Drôle d’oiseau, Philipe UG, Les Grandes personnes

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AVA N T- P RO P O S

Les années 2000 nous ont livré une moisson d’albumsmagnifiques qui remettent en question, à plus d’untitre, les codes traditionnels et offrent aux jeunes lec-teurs – et aux moins jeunes ! – de belles surprises.En cette époque d’interrogation sur l’avenir du livreil nous semblait important d’explorer ce secteur del’édition porteur d’une remarquable effervescencecréatrice et la nouvelle maquette de notre revue nousen offre l’occasion.

Quatre spécialistes de ce domaine, chercheurs ou cri-tiques – Cécile Boulaire, Francine Foulquier, SophieVan der Linden et Anne-Laure Cognet –, ont collaboréà la conception et à la réalisation de ce dossier, avecdes articles qui, sous des angles différents, balisent cechamp en l’inscrivant dans la continuité d’une histoiredu livre et des techniques.

Ils rendent hommage aux artistes et aux œuvresconcernés – de nombreux albums font l’objet d’uneanalyse. Ils montrent, entre autres, comment les au-teurs-illustrateurs s’inspirent de procédés et de misesen scène empruntés à d’autres formes d’expressionartistique – cinéma, théâtre, création numérique –en se jouant des contraintes propres à l’objet livre. Ils inventent ainsi des albums et des histoires que leslecteurs – petits et grands - découvrent avec un plaisirrenouvelé et qui instaurent avec ceux-ci des relationsplus dynamiques et ludiques.La question de la réception de ces livres est d’ailleursabordée à plusieurs reprises dans ces contributions.

Ce dossier s’enrichit enfin du témoignage de quelquesauteurs-illustrateurs – Béatrice Poncelet, Hélène Riff,Malika Doray et Olivier Douzou – qui nous éclairentsur leur démarche et sur leur recherche permanentede formes à chaque fois originales.

Annick Lorant-Jolly

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→Anouck Boisrobert, Louis Rigaud :Popville, Héliumphoto : Annick Schneider

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Depuis le début des années 2000 l’album pour la jeunesse semble se renouveler à travers uncertain nombre de publications très spectaculaires. Aux côtés des auteurs et illustrateurs onvoit aussi émerger aussi des créateurs d’un nouveau type, designers ou ingénieurs papier, quiutilisent toutes les possibilités offertes par les outils modernes de conception-réalisation.Cécile Boulaire esquisse les contours de ce secteur en plein développement et l’inscrit dansune histoire, déjà ancienne, du livre illustré pour enfants et du livre d’artiste.

Faire bougerles lignesde l’album

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PAR CÉCILE BOULAIRE

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Cécile Boulaire, est maître de conférence enlittérature pour la jeunesse à l’université de Tours. Elle consacre ses recherchesactuelles à l’élaborationd’une Poétique de l’album.

L e succès remarquable de l'ABC3D de Marion Bataille1, en 2008, aattiré l'attention du grand public sur un secteur resté plutôt confi-dentiel : l'album créatif à tendance pop-up. Ce livre est révélateurd'une modification brusque du paysage éditorial dans ce domaine.Une première version de l'ABC3D paraît en effet en 2006 à l'associa-

tion Les Trois Ourses, éditée à 30 exemplaires, sous le titre Op-up – vendu845euros. Les Trois Ourses œuvrent à la mise en valeur des livres artistiquespour les enfants, et ont en particulier à leur catalogue une partie de l'œuvredu designer japonais Katsumi Komagata, dont l'essentiel consiste en petitsouvrages explorant avec inventivité toutes les dimensions de l'objet livre–couleurs, formes, symboles, mais aussi matérialité et capacité à se déployerdans l'espace. Onéreux, parfois fragiles, d'une incroyable beauté plastique,ces ouvrages connaissent une diffusion réduite, souvent en dehors des circuitstraditionnels de la librairie ; ce sont des titres que les connaisseurs collec-tionnent, que quelques bibliothèques acquièrent pour leurs jeunes lecteurs,mais qui ne connaissent pas de diffusion auprès du grand public, qui seraitsans doute désarçonné par leur totale absence de narration et par la radicalitéde leur esthétique. La qualité des papiers, le raffinement des façonnages,la fragilité des éléments en relief (qu'on pense à Little tree) justifient parailleurs des prix de vente bien supérieurs à ce que l'acheteur moyen acceptede consacrer à un livre pour enfants. Le choix de l'éditeur Albin Michel, quis'empare du quasi-prototype de Marion Bataille pour en faire une co-éditioninternationale, témoigne de l'évolution du public : l'ouvrage en effet « créele buzz » avant sa sortie, des blogs d'amateurs de design signalent qu'il estdisponible en pré-commande et qu'il s'agit d'ores et déjà d'un «must-have»,et une vidéo mettant en valeur la dimension cinétique de l'ouvrage circuleintensément sur le web ; il ne coûte cette fois que 15,50 euros.

Que s'est-il passé entre 2006 et 2008 ? Comment un ouvrage fragile, non-narratif, n'utilisant que deux couleurs et mettant en œuvre une esthétique exi-geante, a-t-il pu passer du statut d'œuvre expérimentale réservée aux amateursfortunés à la tête de gondole des points de vente de livres ? Probablement grâceà une campagne de communication soigneusement orchestrée par l'éditeuraméricain, comme le suggère l'excellent site www.livresanimes.com2. Maisvraisemblablement aussi parce que le paysage de l'album change de manièreimportante dans cette première décennie du XXIe siècle. Si le pop-up, commel'appellent les anglo-saxons, ou le « livre à système » pour reprendre l'expres-sion d'origine, existe depuis la fin du XIXe siècle (on se souvient des ouvragesde Lothar Meggendorfer), il réalise depuis dix ans une percée remarquabledans l'édition d'albums pour enfants. Tout remonte probablement à Un pointrouge de David A. Carter publié par Gallimard Jeunesse en 2005. Certes, lesenfants des années 1980 se souviennent encore avec ravissement des surprisesque révélait la maison hantée de Jan Pienkowski3, mais ici la séduction estd'un autre ordre, purement plastique. S'il y a surprise, c'est dans le déploie-ment des figures et des volumes, page après page ; s'il y a étonnement, c'estdans l'inventivité et l'habileté de l'artiste –dont on apprend le titre d'« ingé-nieur papier », un terme alors inédit en édition. DavidA. Carter ne cherchepas à raconter une histoire, il n'a pas besoin du support de personnages (il

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z Pour prolonger la lecture de ce numéro, rendez-vous surle sitewww.livresanimes.com

←David A. Carter : Un point rouge,Gallimard JeunessePhoto A.S.

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Cette ouverture duchamp de l'albumvers des productionsrecourant àl'ingénierie papierpermet d'affiner laperception de cechamp, et dedistinguer au seindes « livres animés »des sous-catégoriescomme par exemplecelle, ancienne, du diorama.

a pourtant animé longtemps les aventures de Mandarine la petite souris, et desfameuses Petits Bêtes chez Albin Michel), son livre séduit par la pure fasci-nation qu'induit toujours la transgression d'un principe de base du codex :un livre, c'est normalement un support en deux dimensions. Couleurs élé-mentaires, formes géométriques simples, c'est en retournant à une esthé-tique épurée que Carter bouleverse les codes de l'album pop-up… et lui faittransgresser les frontières d'âge, puisque l'album fascine de fait les adultesautant (plus ?) que les enfants pour lesquels il est vendu. L'indisponibilitérapide du titre accroît encore son renom, comme si cette rareté avait été pré-vue. Dès lors, les nouvelles parutions de Carter sont attendues avec fébrilité,mais le succès d'Un point rouge a ouvert une brèche dans laquelle s'engouffrentles éditeurs, inondant les tables des libraires de livres de plus en plus spec-taculaires qui semblent repousser toujours plus loin les frontières génériquesde l'album pour enfants.

Ces « nouveaux territoires de l'album », qui interrogent les limites ma-térielles de l'objet, peuvent se parcourir par grandes régions –à commencerpar le domaine des pop-up, livres dont le principe est d'autoriser le déploie-ment de scènes et de figures en relief. Si le principe n'est pas nouveau, il alongtemps été cantonné à une frange réduite de la production d'albums, deslivres-joujoux pour les plus jeunes, où la manipulation du livre accompagnaitun parcours narrativo-ludique dans lequel il était surtout question d'aiderun personnage à retrouver un objet ou un autre personnage en manipulantvolets et tirettes. Le pop-up « pour le plaisir des yeux », dont l'éventuel parcoursnarratif est étroitement lié au déploiement des figures en volume, est doncune nouveauté du marché de l'album, et de grands noms s'illustrent par desréalisations impressionnantes : David A. Carter, mais aussi Robert Sabuda4,David Pelham5, Ron van der Meer6. Fait significatif, l'artiste Philippe Huger,qui signe Ug, et dont les œuvres se classent explicitement dans la catégoriedes livres d'artistes (réalisation artisanale, souvent en sérigraphie, petits ti-rages, diffusion en galeries), publie dans cette période deux ouvrages chezdes éditeurs pour la jeunesse : Tobor au Seuil (2004) et Drôle d'oiseau aux éditionsLes Grandes Personnes (2011). La BnF classe le premier avec tout le reste del'œuvre de Philippe Huger, au département des Estampes, bien qu'un exem-plaire figure aussi à Tolbiac, alors que le second est uniquement référencéà Tolbiac, signe d'un glissement dans la perception de ces ouvrages, à mi-chemin entre production artistique et édition de masse. Popville et Dans la forêtdu Paresseux7, d'Anouck Boisrobert et Louis Rigaud, eux, seront sans hésitationrangés dans les albums pour enfants, tout comme les propositions très gra-phiques d'Annette Tamarkin éditées aux Grandes Personnes8 pour les trèsjeunes enfants. C'est tout aussi efficacement que s'illustre Paul Rouiliac avecses Masques9 qui par leur puissance graphique évoquent Je fais mes masques (Flam-marion, 1931) de Nathalie Parain ou encore les Multimasques (Delpire, 1967)de Noëlle Lavaivre.

Cette ouverture du champ de l'album vers des productions recourant àl'ingénierie papier permet d'affiner la perception de ce champ, et de distinguerau sein des « livres animés » des sous-catégories comme par exemple celle,ancienne, du diorama. C'est dans ce domaine, tout aussi spectaculaire, ques'illustrent récemment Joëlle Jolivet et Gérard Lo Monaco, avec une version

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↑Katsumi Komagata : Little Tree, One Stroke/Les TroisOurses↗Thierry Dedieu : L’Arche de Noé, Seuil Jeunesse↓Philippe Ug : Drôles d’oiseaux, Éditions des GrandesPersonnes

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ELes livres-jeuxreposant autant surla fascinationvisuelle que sur la manipulation sont eux aussi, le symptôme d'unélargissement de la « marge » du domainede l'album.

en trichromie de Moby Dick10, ou encore Thierry Dedieu, qui livre trois volumesde Fables11 de La Fontaine et une version de L'Arche de Noé12 sur ce principe dutableau qui se déploie en profondeur. On pourrait ajouter ici la version duPetit Chaperon Rouge donnée par Marie Sellier et Catherine Louis chez PicquierJeunesse sous le titre Le Petit Chaperon Chinois13 : le principe du papier découpéasiatique, destiné au théâtre d'ombre, est ici réinvesti sous forme de scènesen diorama. On le voit, la frontière est mince ici entre l'album, le théâtred'ombre tel que le propose par exemple Gallimard Jeunesse dans sa collectionéponyme, ou encore le kamishibai14. D'autant que certains éditeurs fran-chissent le pas entre livre et jouet de carton, en proposant des livres qui setransforment en petits décors sur lesquels animer des personnages de papierdécoupé, comme dans Rue Lapuce15 ou encore La Maison de Tamara16, réinvestis-sant la tradition ancienne du livre-caroussel.

Ce qui est en jeu ici, c'est la distinction entre le livre, objet à lire, censéporter un contenu textuel ou iconographique en deux dimensions, et le jeuou le jouet, objet tridimensionnel qui implique un état d'esprit ludique, etactif plutôt que réceptif. Or force est de constater que les éditeurs pour lajeunesse ont beaucoup investi, ces dix dernières années, ce créneau marginaldes livres-jeux, en renouvelant l'offre par un effort esthétique autrefois inha-bituel dans ce secteur. La tradition populaire du méli-mélo (les pages, dé-coupées en plusieurs bandes horizontales, permettent de composer etrecomposer des créatures hybrides) est renouvelée par les propositions gra-phiques de Madalena Matoso dans Et pourquoi pas toi ?17, malicieuse invitationà brouiller les stéréotypes de genres, ou, dans un style très différent, par lesanimaux en pop-up d'Iris de Véricourt et son Carnaval animal18. Les jeux visuelsproposés aux enfants peuvent être beaucoup plus économes et reposer surle seul dessin, comme dans Loup y-es-tu19 de Delphine Chedru ou Grands Prix20

de Loïc Robaeys ; si le jeu graphique est aussi ancien que l'édition pour l'en-fance, il a longtemps été cantonné à la presse (notamment parce que le jeuobligeait souvent à griffonner la page : or écrire sur un livre reste longtempsun tabou), de sorte que cet investissement du secteur par des éditeurs de livres, faisant appel à de jeunes graphistes au style affirmé, peut être consi-déré comme une nouveauté.

Les livres-jeux reposant autant sur la fascination visuelle que sur la ma-nipulation sont eux aussi, me semble-t-il, le symptôme d'un élargissementde la « marge » du domaine de l'album. Qu'on songe au triomphe de Au Galop !21

aux éditions PlayBac, ou au New York en Pyjamarama22 de Frédérique Bertrandet Michaël Leblond au Rouergue, réactivant l'un comme l'autre le principetrès simple de l'ombro-cinéma – on ne peut s'empêcher de penser au très effi-cace et astucieux Ceci ou Cela ? de l'artiste tchèque Dobroslav Foll en 1964,réédité en 2010 par Les Trois Ourses, dans lequel la superposition d'un trans-parent à rayures produit la substitution fascinante d'une image à une autre.Nouvelle preuve que ces « innovations » de l'édition contemporaine ne sont…pas très nouvelles, et semblent en permanence transiter par les franges del'édition elle-même, à savoir les galeries et lieux associatifs, à la fois mémoireset incubateurs de créations artistiques destinées à l'enfance.

On pourrait allonger la liste des albums cités, détailler la cartographiede ce « nouveau » territoire de l'album, des productions très commerciales

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↑Madalena Matoso : Et pourquoi pas toi ?, Notari↑Hervé Tullet : Un livre, Bayard Éditions. →Frédérique Bertrand et Michaël Leblond : New York en Pyjamarama, Le Rouergue

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et tape-à-l'œil de Matthew Reinhart aux propositions subtilement poétiquesd'Anne Herbauts dans l'album tactileDe quelle couleur est le vent ?23, des découpagesminutieux d'Antoine Guilloppé24 ou Rebecca Dautremer25 à l'exploration inin-terrompue d'une grammaire des formes et des couleurs par Květa Pacovská26.Mais ce serait probablement inutile, car on buterait sur le même constat : au-tant l'effet de nouveauté de ces œuvres « inclassables » frappe l'acheteur égarédans les rayons « jeunesse » d'une librairie du début du XXIe siècle, autant l'ob-servateur attentif peut-il reconnaître, sous le spectaculaire des dispositifs ren-dus possibles par les techniques modernes (par exemple, la découpe au laser)et la délocalisation des tâches de fabrication, des principes anciens, et unetradition pérenne du livre pour l'enfance, qui a toujours, justement, interrogéles marges et les frontières de l'objet. Loin de diminuer le talent des artistes(graphistes, dessinateurs, plasticiens) qui s'emparent de ce créneau éditorialet commercial pour proposer des œuvres authentiques, reconnaître cette an-cienneté permet de replacer le phénomène à sa juste place. S'agit-il véritable-ment d'un élargissement du domaine de l'album, qui repousserait ses limitesgénériques et commerciales (car ces livres se vendent à des adultes, parfoisautant qu'à des enfants) ? Ou ne peut-on pas observer au sein même de l'éditiond'album un rééquilibrage des pratiques créatives ?

En effet, si dans les années 1990 l'album français s'est singularisé parune inventivité graphique et typographique sans précédent, accompagnantde fait un renouvellement des formes narratives elles-mêmes, il semble quela recherche du spectaculaire se soit tout simplement déplacée, du « cœur »de l'édition d'albums vers les « marges » qu'occupaient les « livres à systèmes»:l'album narratif « traditionnel », ainsi précisément débarrassé de la quêtede l'invention graphique tapageuse, se recentre aujourd'hui sur des re-cherches bien plus classiques en termes de style graphique, de mise en page,ou d'articulation texte-image. Ce recentrage s'accompagne, et ce n'est pasun hasard, de la redécouverte ou de la mise à l'honneur d'artistes dont l'es-thétique discrète, l'économie du trait ou la maîtrise des effets avaient étéun temps déconsidérées. L'École des loisirs s'est ainsi attelée à la réédition,en beau format, des grands livres de Tomi Ungerer, tandis que Kaléidoscoperepublie systématiquement les titres majeurs de John Burningham. On ap-précie les dessins de Komako Sakai27, dont les années 1990 auraient jugé lapalette trop triste et le trait archaïsant. Les grands succès de librairie de cesdeux dernières années sont Un livre d'Hervé Tullet28 et C'est un livre de LaneSmith29, qui reviennent avec une grande économie graphique et un esprittrès facétieux sur la fascination pour ces autres « marges » du livre que sontle jeu et l'ordinateur. Et, pour n'évoquer que des livres très récents, il n'estpas innocent de signaler que dans les albums très estimés parus ces derniersmois, comme Le Roi des oiseaux30 de Gwendal Le Bec ou Au Monde31 de Rascal,les artistes semblent revenir aux fondamentaux du dessin (parfaitementmaîtrisé dans toutes ses techniques, y compris et surtout les plus élémentaireset exigeantes, le dessin au trait par exemple), de la mise en page (claire, ma-ture, sans recherche de spectaculaire) et de l'articulation entre texte, imageet récit. Cela revient sans doute à dire que la surenchère d'inventivité plastiqueaux « marges » de l'album n'a pas développé mais plutôt rééquilibré le secteuréditorial de l'album, débarrassant les artistes d'albums « classiques » de laC

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Loin de diminuer le talent des artistesqui s'emparent de ce créneau éditorialet commercial pourproposer des œuvresauthentiques,reconnaître cetteancienneté permetde replacer lephénomène à sa justeplace.

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1. Marion Bataille : ABC 3d, Albin Michel,2008.

2.http://www.livresanimes.com/actualites/actu0807.html [consulté le 28.02.12]

3. Jan Pienkowski, La Maison hantée, Nathan,1979.

4. Robert Sabuda, Joyeux Noël,Gallimard-Jeunesse, 2006 ; Robert Sabuda,Bonjour Hiver, Milan Jeunesse, 2008.

5. David Pelham et Isabelle Repelin, Blanc,Milan Jeunesse, 2008.

6. Ron Van Der Meer, Pop ! : Le pop-up desformes, Gautier-Languereau, 2008.

7. Anouck Boisrobert, Louis Rigaud et JoySorman , Popville, Hélium, 2009. ; AnouckBoisrobert, Louis Rigaud et Sophie Strady,Dans la forêt du paresseux, Hélium, 2011.

8. Annette Tamarkin, Tout blanc (2010), Toutnoir ? (2010), Dans mon jardin il y a (2011), Dansle ciel il y a (2011) Éditions Des GrandesPersonnes.

9. Paul Rouiliac , Masques, Mango, 2011.

10. Herman Melville, Joëlle Jolivet, Gérard LoMonaco et Philippe Jaworski , Moby Dick,Gallimard Jeunesse, 2010.

11. Jean de Lafontaine, Les Fables de LaFontaine mises en scène par Dedieu, Seuil,2009.

12. Thierry Dedieu, L’Arche de Noé, Seuil, 2011.

13. Marie Sellier et Catherine Louis, Le Petitchaperon chinois, Philippe Picquier, 2010.

14. Je me permets de renvoyer à macontribution « Comment définir un livre pourla jeunesse aujourd’hui ? Essai de typologie,du livre au non-livre », dans Cécile Boulaire,Claudine Hervouët, Matthieu Letourneux(dir.), L’Avenir du livre pour la jeunesse, Paris,BnF, 2010, p. 19-30.

15. Cécile Bonbon et Arnaud Roi, Rue Lapuce,Didier Jeunesse, 2010

16. Pascale Debert, La Maison de Tamara, AlbinMichel Jeunesse, 2011,

17. Madalena Matoso, Et pourquoi pas toi ?,Notari, 2011.

18. Iris de Vericourt, Carnaval animal, Hélium,2011.

19. Delphine Chedru, Loup y es-tu ? Me vois-tu ?, Éditions Naïve, 2009.

20. Loic Robaeys, Grands prix : Livre interactifpour as du volant, Actes Sud Junior, 2012.

21. Rufus Butler Seder, Au galop ! : Le premierlivre qui bouge…, Play Bac Éditions, 2010.

22. Michaël Leblonc et Frédérique Bertrand,New York en Pyjamarama, Rouergue, 2011.

23. Anne Herbauts, De quelle couleur est levent ?, Casterman, 2010.

24. Antoine Guilloppé, Pleine lune,Gautier-Languereau, 2010.

25. Rebecca Dautremer, Le Petit théâtre deRebecca, Gautier-Languereau, 2011.

26. Květa Pacovská, Couleurs du jour,Gallimard, 2010.

27. Komako Sakaï, Ecoute-moi !, L’École desLoisirs, 2010.

28. Hervé Tullet, Un livre, Bayard Jeunesse,2010.

29. Lane Smith, C’est un livre, GallimardJeunesse, 2011.

30. Gwendal Le Bec, Le Roi des Oiseaux, AlbinMichel, 2011.

31. Rascal, Au monde, L’École des Loisirs, 2012.

question de l'emphase graphique, pour leur permettre de réinvestir les ques-tions traditionnelles du dessin, de l'illustration, et du dialogue entre le texteet l'image au sein d'un support dont la plus grande complexité est la récur-rence de la « tourne », et, parfois, tout simplement, celle du récit.●

Cet article a été réalisé avec la complicité chaleureuse des trois libraires de Libr'enfant à Tours.

La surenchèred'inventivitéplastique aux « marges » de l'albumn'a pas développémais plutôtrééquilibré le secteuréditorial de l'album.

→Anouck Boisrobert, Louis Rigaud :Dans la forêt du paresseux (détail),

Hélium. Photo : A. S.

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L’album,terraind’aventure Ce foisonnement créatif bouscule les conventions formelles de l’album pour la jeunesse. Maisil modifie également le rapport des enfants au livre et à la lecture en leur proposant un remar-quable « terrain d’aventure ». Les jeux avec l’épaisseur du papier, avec les formats, les plis etles replis, la mise en pages – mise en scène théâtralisée, l’animation des images… stimulenttous les sens du lecteur, son imaginaire et sa sensibilité. Francine Foulquier nous fait découvrirtoute la richesse et la diversité de ces propositions.

PAR FRANCINE FOULQUIER

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L a production actuelle abonde en livres aux papiers pliés, découpés,des pop-up empruntent à la sculpture, certains formats étonnantssont à la limite du livre et du jeu, des artistes signent des livresdestinés aux bébés… Ces ouvrages questionnent les limites del’album, celles du livre d’artiste ou du livre-jeu. Mais au-delà de

la forme, dans ces livres à l’architecture repensée, des structures du récitse réinventent et déplacent la position du lecteur. Ces ouvrages réclamentune lecture active, souvent ludique, toujours sans préjugé, bousculant lesconventions de lecture, rompant avec le linéaire. Doit-on faire un lien entrele foisonnement créatif de ce champ éditorial et l’influence des nouveaux mé-dias sur nos modes de lecture qui réclament mouvement et interactivité ? Oubien peut-on présumer que les progrès des techniques de fabrication élar-gissent l’espace de création ? Ou à l’inverse que les auteurs ont des exigencesnouvelles de création qui font évoluer les techniques ? Peut-on imaginer unrapprochement du grand public avec des formes neuves auxquelles l’artcontemporain familiarise petit à petit… Sans doute est-ce tout cela à la fois.

DES ORIGINES LOINTAINES Cependant cette ambition de jouer avec la surface du papier, d’animer lapage ne date pas d’aujourd’hui. Dès la fin du Moyen Âge, des manuscritsmontrent des figures anatomiques avec des languettes que l’on peut souleveret qui dévoilent l’intérieur du corps humain. En 1524 Cosmographicus liber 1 pro-pose de comprendre les mouvements célestes et la position des astres en ac-tionnant des disques mobiles. En 1677 La Confession coupée2, un petit livrepresque en format poche, facilite la confession : l’ouvrage répertorie tous lespéchés possibles, les pages sont découpées en languettes un peu à la manièredes Cent mille milliards de poèmes de Raymond Queneau3 et un système d’encochespermet de pointer les péchés et ainsi de ne rien oublier des fautes commisesdevant le confesseur. Vers 1765 naissent en Angleterre les premiers « movablebook » pour enfants, nommés « arlequinades » ou « métamorphoses ». La pagedu livre coupée à l’horizontale permet de tourner tout ou partie de la feuilleet multiplie les possibilités de récit et d’images. Ce système créé par RobertSayer connut un formidable succès en son temps et se prolonge aujourd’hui.Mais c’est au XIXe siècle que le livre à système va connaître un grand essor.Apparaîtront alors des panoramas aux pages pliées en accordéon, des livres-tunnel constitués de plusieurs plans, donnant ainsi une profondeur réelleau paysage ou à la scène, des livres à figurines mobiles à déplacer dans lelivre ou à habiller, des livres à tirette, à disques. C’est l’époque de la cameraobscura, des premiers dispositifs photographiques et cinématographiques,la révolution technologique est en marche. Tous les créateurs cherchent àanimer l’image. Lothar Meggendorfer inventera un système pour mettre enmouvement les personnages. Les éditions Albin Michel ont réédité son chef-d’œuvre Le Grand cirque international en 1996, mais il est malheureusement ànouveau épuisé.

←Joëlle Jolivet :Zoologique,Seuil Jeunesse, 2002 Photo A.S.

z Pour prolonger la lecture de ce numéro et retrouver notre rubrique « Informations»consultez notre sitehttp://lajoieparleslivres.bnf.fr

Francine Foulquier Chargée des Aides à la création littéraire au Département du Val-de-Marne, elle initie lapublication d’albumsnovateurs. Elle est membrede la Commissionscientifique de l’opération « Première Pages ». Elle intervient à titreindépendant lors deconférences et formations.

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Le livre, considérédans sa matérialité,est un objet ayantune masse, desdimensions, quiinclut des matièresdiverses, unemanipulation.

Les livres d’aujourd’hui s’inscrivent dans cette riche histoire, s’en nour-rissent et l’enrichissent. Dans la pléthore de livres animés qui paraissentaujourd’hui, certains, loin de se réduire à un jeu formel, convoquent l’espritet le corps. Le livre, considéré dans sa matérialité, est un objet ayant unemasse, des dimensions, qui inclut des matières diverses, une manipulation.Chacune des parties de ce qui le constitue peut faire l’objet de soins particulierset d’investigations. C’est ce que travailleront certains artistes et éditeursqui, considérant le livre dans sa totalité, vont faire sens de l’épaisseur dupapier, vont jouer de la reliure, de sa forme ou des dimensions.

À HAUTEUR D’ENFANTLes grands formats de Zoologique de Joëlle Jolivet (Seuil Jeunesse), Gravures debêtes de Olivier Besson (Thierry Magnier), ou Drôles de bêtes de Hellé (MeMo)décuplent l’espace de la page. Parfois, le grand format fait du livre un véritableterrain d’aventure qui invite l’enfant à entrer dans son champ et à s’y installerphysiquement. C’est la proposition que le Livre de coloriage4 d’Andy Warhol faitaux jeunes lecteurs. Sur la page surdimensionnée, écrire, tracer, devientlittéralement mettre de soi sur le papier, laisser la trace de sa corporéité.

Confisqué de David McNeil et Jean-Luc Allard5 (voir ill. pages suivantes)joue d’une toute autre manière de sa hauteur. Un mot ou une phrase en basde page convoquent les univers de l’enfance, de l’imaginaire et de l’intimesur la page géante. Livre du paradoxe – on dit souvent que le petit formatconforte l’intime alors que le grand met le lecteur à distance – ici c’est l’inversequi se produit. Dans Confisqué, les pages font la liste des joujoux un jour sous-traits. Alors bribes de souvenirs et éléments du quotidien affluent et nour-rissent les rêves du lecteur. Le récit est un passage, celui de l’épreuve de lafrustration provoquée par l’objet confisqué, mais il est également, commepour Alice, passage « de l’autre côté du miroir », il est le lieu de l’expériencelittéraire. Place est laissée au lecteur, invité à se saisir de chacun des élémentssuggérés et à construire du sens, à tricoter son histoire personnelle avec laparole des auteurs. Les images surréalistes jouent avec la perspective et avecdes rapports d’échelles inversés. La dimension ou la multitude des joujouxreprésentés nous saisissent. On mesure alors le rôle que joue le format de lapage dans ce flot de sensations. Dans le rêve l’objet confisqué accapare l’espacemental, ici il envahit celui de la feuille. Passage entre proche et lointain,entre présence et absence, ce livre ouvre un chemin vers les territoires del’émotion et entre en écho avec les paroles de Michèle Petit6 dans L’Art de lireou comment résister à l’adversité « le livre reconduit tout un chacun au cœur delui-même ». Dans cet album les auteurs et leur éditeur Patrick Couratin ontajouté la note d’humour dont ils ne se sont jamais départis. L’exigence créa-trice, la tendresse et le respect pour les jeunes lecteurs ont toujours animécet éditeur. Patrick Couratin7, illustrateur, grand affichiste (Studio Crapule),fut l’un des compagnons de route des éditions Harlin Quist dès leur création ;il s’est éteint l’an dernier, laissant derrière lui une production d’ouvragesexigeants et singuliers.

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Entre apparition et disparition, le pliquestionne autantles espaces visiblesque les espacesintérieurs, il met enscène l’intime et lespectaculaire.

Dans le secret du pli,l’auteur va se donnerà voir parfois,laissant apparaîtrele repentir, la marge.

PAGES ET PAYS ONT LA MÊME RACINELe grand format horizontal est un peu plus rare. Parmi les ouvrages d’excep-tion, on peut citer Le Livre d’Adèle de Claude Ponti 8. Cet imagier hors normespour les tout-petits met en scène une déambulation au pays des objets et despetites choses auxquels les enfants ont tôt fait de prêter existence. Dans cemonde que l’on croit aligné, classé et stable, tout est en vie et bouscule legrand ordonnancement annoncé. Pour Les Saisons oubliées de Dialiba Konaté,l’éditeur a choisi également un format paysage. Ce livre est un objet précieuxdoré sur tranches qui contraste avec l’art brut ou naïf de l’auteur. Fresquehistorique singulière, le travail exceptionnel de ce griot n’a d’égal que le soinapporté par Brigitte Morel à la réalisation de cet ouvrage9 ; Dialiba Konaté ycélèbre l’histoire de ses ascendants à coups de crayons de couleurs et de styloà bille.

Dans la famille des grands formats, mais cachant bien son jeu, on trouveaussi le leporello, du nom du valet de Dom Juan qui cachait, notée sur dupapier replié, la liste infinie des amantes de son maître. Caché, trouvé, ainsidébutent les premiers jeux de l’enfance pour ne jamais cesser.

Le livre accordéon à la manière des journaux intimes, dévoile ses trésorshors de lui. Il déroule une liste, celle des espaces, des actes, des sentimentsou d’une chronologie. Avec le dépliement, le lecteur est doublement ébahi,d’une part du secret que le pli recèle et découvre, d’autre part de ce qu’il sug-gère de l’infiniment grand.

Les cinq mètres de papier de Vues d’ici10 de Joëlle Jolivet et Fani Marceaumettent en évidence les grands espaces naturels. Le travail sur le noir et leblanc de la linogravure révèle la puissance des éléments. Les paysages sontliés par le même horizon, chaque page s’accorde avec la suivante par undétail qui chevauche les deux pages à la façon des « cadavres exquis » chersaux surréalistes. De jour ou de nuit (au verso c’est le jour, au recto c’est lanuit) le livre pointe ça et là ce qui apparaît ou disparaît selon l’heure. Il inviteà se situer dans une histoire collective et singulière, celle des hommes et dela nature.

DANS LES SECRETS DES PLISEntre apparition et disparition, le pli questionne autant les espaces visiblesque les espaces intérieurs, il met en scène l’intime et le spectaculaire.

Anne Herbauts dans Les Moindres des petites choses11 joue avec le débordementau sens littéral du terme ; les pages déployées disent l’ampleur de l’émotionqui submerge parfois et elles multiplient les possibilités de lecture selon quel’on plie ou déplie la page de gauche, la page de droite. Sur le principe de lec-ture de pages en vis-à-vis, Christian Bruel et Nicole Claveloux avaient publiéchez Être éditions Petits Chaperons loups12 dont la lecture simultanée des histoiresde loups d’un côté, de petites filles vêtues de rouge de l’autre provoquait desrencontres détonantes. Francesco Pittau et Bernadette Gervais avec Axinamuet Oxiseau13 conjuguent à la fois le grand format, les pages à déplier, le pêle-mêle, les rabats. Ici tout fait jeu et tout fait sens. Les pages dépliées renvoientle lecteur à une très grande échelle, les animaux par les trous dans la page

→Patrick Couratin :Confisqué,Éditions Panama

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Ces livres répondentà une démarche decréation innovante,familiarisentl’enfant aux formesde l’artcontemporain où le lecteur activelui-même le sens et les modes derelation au livre.

nous regardent autant qu’on les regarde et taquinent le point de vue,silhouettes et photographies couleur jouent avec l’ombre et la lumière, avecle proche et le lointain, pelages et coquilles d’œufs confrontent le lecteuravec le divers et le multiple. Le livre se termine par l’empreinte laissée dansle sol par les animaux ayant traversé l’ouvrage.

Dans le secret du pli, l’auteur va se donner à voir parfois, laissant ap-paraître le repentir, la marge. C’est dans cet écart qu’Hélène Riff travaille,déroulant ses histoires au fil des albums Le Jour où papa a tué sa vieille tante, Papase met en quatre, Le Tout petit invité14. Chaque album est une plongée dans un uni-vers aux teintes singulières et aqueuses, aux effets de transparence, aux fi-gures aériennes. Le texte se coule dans les replis de l’image, l’œil est convoquéà tous les endroits de la page en même temps, même s’il y a une narration,les codes de lecture linéaire valsent cul par dessus tête, chaque page est larencontre d’un monde inattendu où une autre logique est à l’œuvre. « Pourtoutes mes images je me remets dans ce chemin d’enfance : c’est ma me-sure. » dit Hélène Riff. Le grand écrivain Patrick Chamoiseau écrivait « dansla littérature (…) chaque mot tremble du fourmillement de siècles d’écri-tures ». Les albums d’Hélène Riff vibrent du fourmillement d’une quantitéd’histoires individuelles et familiales. Et Le Tout petit invité révélant les rapportsqui lient les personnages entre eux s’étire comme un accordéon qui s’enfle,joue avec l’air, avec le souffle et les battements.

« REGARDER TOUTE LA VIE AVEC DES YEUX D’ENFANTS » DISAIT HENRI MATISSEC’est sans doute ce qui anime auteurs et artistes plasticiens qui se retrouventà l’endroit du pli et de la découpe dans les livres mais aussi dans les domainesde l’art, du jeu, du design.

Cézanne a taillé dans le paysage, l’organisant en formes géométriques,Matisse a poussé plus loin « découpant à vif dans la couleur », supprimanttout modelé, Picasso et les cubistes découpent, collent, chacun à leur ma-nière. Le couple de designers Charles et Ray Eames éditent le jeu de cartesà emboîter « House of cards »15, pendant que Enzo Mari crée des puzzles enbois où animaux et poissons découpés s’emboîtent, ces jeux sont toujoursédités par Bruno Danese et les éditions Corraini (http://www.corraini.it/).

Bruno Munari pratiquait un art total, englobant sculpture, illustration,design. Il a créé des livres sans texte et sans image où la matière et la couleurseules prennent la parole pour dire la neige, la nuit, l’épaisseur, la légèreté,une multitude de sensations et stimuli. Ces livres répondent à une démarchede création innovante, familiarisent l’enfant aux formes de l’art contempo-rain où le lecteur active lui-même le sens et les modes de relation au livre.Ses ouvrages sont édités par les éditions Corraini. En France, les éditions duSeuil Jeunesse, lorsqu’elles étaient dirigées par Jacques Binsztok, ont publiéplus de quinze titres. Le Brouillard de Milan et Dans la nuit noire seront réédités àl’automne aux éditions des Grandes Personnes.

Katsumi Komagata, graphiste, découvre le travail de Bruno Munari auMusée d’Art Moderne à New York vers la fin des années quatre-vingts. FR

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↙Bruno Munari :Dans le brouillard de Milan, ed. Corraini(Diffusion Les Trois Ourses)↓Katsumi Komagata : Feuilles, Les Doigts Qui Rêvent - Les Trois Ourses - One Stroke -Centre Pompidou(Diffusion Les Trois Ourses)

↑Pittau et Gervais :Axinamu,Éditions des Grandes PersonnesPhoto : A.S.

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Le livre illustré estun espace hybridequi organise avecson lecteur des jeuxcomplexes entresensation et mise enmots, entre intimeet spectaculaire.

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RDe retour au Japon il va créer la série des «Little eyes» aux éditions One

Stroke à Tokyo. Plis et plans, Little Tree, Je vais naître et de nombreux autres albumsjouent avec les différentes composantes du livre. Là aussi, tous les sens sontconvoqués. Komagata interroge sans fin la structure du livre pour mieux larecomposer. Ces livres sont diffusés en France par l’association Les TroisOurses16.

AU THÉÂTRE DU MONDELe livre illustré est un espace hybride qui organise avec son lecteur des jeuxcomplexes entre sensation et mise en mots, entre intime et spectaculaire.Avec sa mise en volume, plus de plan ni de recto-verso. Sur chaque page sejoue un nouvel acte. Avec une plasticité multidimensionnelle, le livre déploieun régime spatial mais aussi temporel diversifié, il va mettre en mouvementune autre logique et la lecture s’exercera différemment.

C’est dans cette articulation de l’ailleurs et du mouvement que s’estinstallé le grand Magique Circus Tour de Gérard Lo Monaco. Dans ce livre carrouselles personnages tournent autour d’un axe central. La simplicité du procédéallié au propos renvoie au Cirque de Calder mais aussi à notre planète et auxmouvements des hommes en général, à l’itinérance, aux hommes en migra-tion. Dans cet album tout est en retournements, les acrobates du cirque commele lecteur. Celui-ci se retrouve regardeur autant qu’acteur, à lui de trouver sonéquilibre. « Le déplacement réel et imaginaire est le propre du livre. Dans cetalbum, c’est l’homme en marche qui est au centre, le sujet c’est l’autre, larencontre, le regard, l’écoute » dit Mathias Elasri17. Metteur en scène, au-jourd’hui conteur et médiateur du livre, celui-ci a conçu une remarquablecréation sonore et un spectacle pour enfants autour de ce thème et de l’expo-sition réalisée par le Conseil général du Val-de-Marne, mêlant contes, haïkus,musique, bruits de la nature et langues différentes, c’est Babel revisitée. «Pour l’espèce humaine, la migration et le récit sont peut-être la même chose» remarque Pascal Quignard, qui ajoute dans La Vie secrète « Le roman et lescontes commencent quand le personnage sort de la maison ».

Dans cet « entre-deux » complexe qu’est le livre, certains ont articulé lepapier et la scène de manière plus étroite encore et font renaître le théâtred’ombres, inscrit dans l’art séculaire de la découpe, inspiré des traditionspopulaires. Dans le papier, dans toutes les cultures, on taillait le portrait,on décorait les maisons, on faisait théâtre. L’édition actuelle offre plusieursexemples de cet art dont le plus réussi est peut-être Le Petit Chaperon chinois18

de Marie Sellier et Catherine Louis.

LIVRES MAGIQUESAinsi nomme-t-on parfois ces livres qui mêlent aux illustrations le pliage,la découpe, le collage et autres mécanismes. Les images sont mobiles, figu-ratives comme celles de Sabuda qui fait surgir Chapelier et Lièvre de Mars,flamants roses et hérissons des pages de son Alice au pays des merveilles19, oubien elles sont abstraites comme celles de David Carter et ses 600 pastilles noires,Un point rouge…,20 Prouesses techniques et succès planétaire sont au rendez-vous et comblent le besoin de merveilleux des petits et des grands.

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↑Lothar Meggendorfer :Grand Cirque International,Bernard Carant

→Gérard Lo Monaco :Magique circus tour,Hélium

↓Robert Sabuda : Alice au pays desmerveilles, Seuil Jeunesse

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En jouant, l’enfanttente de représenterces va-et-vient,entre présence etéloignement,l’enfant construitson espacepsychique et, à toutâge, ces divers jeuxavec la trace, lesigne, lui sont unauxiliaire précieux.

Le pop-up a bénéficié incontestablement des avancées technologiques.En effet, pour de tels livres, machines outils performantes et savoir-fairesont requis, les ingénieurs papier travaillent de concert avec les auteurs etles fabricants et une organisation sans faille de cette chaîne est indispensable.Les recherches de matières et de mécanismes sont expérimentales, toutesles formes nécessaires à la maquette sont réalisées à la main, la plupart desfabrications est réalisée en Chine par des ouvriers minutieux. Chez les édi-teurs exigeants, les allers-retours sont nombreux avant le « bon à tirer » etles coproductions indispensables car ces ouvrages ont un coût de fabricationélevé. La hausse du niveau de vie en Chine et celle du prix du papier pourraientgénérer des coûts de production importants et la réalisation de tels ouvragespourrait se trouver remise en question. En attendant, régalons-nous. Lescréations sont d’une virtuosité incroyable. En France, on repère de jeunesauteurs tels Iris de Vericourt, Anouck Boirobert et Louis Rigaud, Lucie Félix,Etsuko Watanabe… ABC3D de Marion Bataille a été publié21 en France et dansneufs autres pays. Citons aussi Philippe U.G 22 qui a longtemps édité deslivres d’artistes et livres animés en sérigraphie. Après avoir publié Tobor auSeuil Jeunesse en 2004, il travaille depuis 2011 aux éditions Les Grandes per-sonnes et nous annonce Big Bang Pop la naissance du soleil, un livre où le surgis-sement prendra tout son sens.

FORMES DU LIVRE ET FORMES DU RÉCITPour certains auteurs, le livre est une architecture. Malika Doray met lastructure du livre en recherche. Avec Chez les ours et Quand ils ont su23, les pagess’ouvrent par le milieu et se déplient en vis-à-vis, mettant en dialogue lespersonnages selon la volonté du lecteur. Des livres sans fin se lisent en boucle,les Livres marionnettes attendent leur lecteur-acteur. Le récit s’élabore sur l’in-tervention du lecteur.

Certains auteurs donnent aux lieux du récit des morphologies variées,rompant radicalement avec la linéarité narrative. C’est ce que propose LaMaison de Tamara de Pascale Debert24. Tamara Karsvina a existé, elle était unedanseuse des Ballets russes. Le projet éditorial est un hybride, il s’agit ducarnet intime de Tamara, auquel l’éditeur à joint un livre-maison à monter,des planches de meubles et des éléments de décoration à la réalisation raffi-née. L’enfant est invité à faire connaissance avec cette artiste, à jouer et àinvestir la maison. Mais le projet va plus loin qu’un simple livre-jeu, ilprocure un fort pouvoir émotionnel. On le sait, les journaux intimes, lesobjets, vêtements, décors rappellent la vie de l’ artiste ou celle de l’humanité,ils sont autant de traces d’une mémoire affective. La Maison de Tamara met enévidence une situation où il est question d’architecture et de corps, de videet de plein, d’absence et de présence. Me reviennent alors en mémoire lestravaux de Boltanski et quelques-unes de ses œuvres Trois tiroirs, Vitrines ou Mis-sing House, ressurgissent aussi les Capsules de temps de Andy Warhol…

En jouant, l’enfant tente de représenter ces va-et-vient, entre présenceet éloignement, l’enfant construit son espace psychique et, à tout âge, cesdivers jeux avec la trace, le signe, lui sont un auxiliaire précieux25.FR

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↑Iris de Véricourt. :Carnaval animal,HéliumPhoto A.S.

↗Květa Pacovská : Rond-Carré, le livre Jeu des formes, Seuil Jeunesse↓Květa Pacovská : Un livre pour toi,Seuil Jeunesse

↗Philippe U.G. :Big-Bang-Pop,la naissance du soleil. ProjetLes Grandes Personnes

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Avec les pages qui se déploient,avec la manipulationdes tirettes et autressystèmes quimétamorphosentl’image, le jeunelecteur agit surl’histoire et voit songeste transformersymboliquement lemonde, ou sareprésentation, dansune immédiatetéjubilatoire.

LIVRES OBJETS OU OBJETS D’ART ?Territoire de la page, territoire du récit, espace-temps, on a souvent comparéle livre à une habitation. Bien sûr, Perec a balisé les espaces, du lit au monde,déconstruisant et recomposant dans l’urgence créative une géographie enmême temps que son histoire. D’autres encore s’emparent de ces espacespour les « habiter ». C’est le cas de nombreux plasticiens.

Květa Pacovská, artiste tchèque, peintre, sculptrice est de ceux-là.Artiste polymorphe inclassable, elle travaille dans la figuration et l’abstrac-tion, dans la planéité et le sculptural, elle projette des installations, ellepeint, elle réalise des lithographies, plie, découpe, édifie. En vain les critiquesauront-ils cherché à la classer, à la ranger dans un genre, à la lier à un cou-rant. « Pour moi, il n’y a aucune frontière dans le monde de l’art, il y a unbon ou un mauvais art et alors ce n’est plus de l’art ! ». Ainsi dans ses mer-veilleux livres que sont Alphabet, Un livre pour toi, Couleurs du jour26 tout appelle àvoir et à lire, mais aussi à toucher, à ouvrir les volets pour découvrir de nou-veaux paysages colorés. « La couleur que l’on peut toucher », « On peut aussiécouter une couleur » dit l’artiste, « une sculpture peut avoir une sonorité ».Mat ou brillant des vernis sélectifs, collages, calligraphie, regorgementcoloré, feuilles raturées et dénudement cohabitent dans un joyeux pêle-mêlequi ne doit rien au hasard. Saturation et minimalité alternent, comme dansson œuvre plastique. À l’infini, Un livre pour toi, Couleurs du jour sont à la fois deslivres pour enfants, des œuvres d’art et des musées de poche. L’artiste tchèquey a mis des pans entiers de son travail. Avec les enfants, on peut tourner lespages ou les disposer comme une installation. Les images sont partout, des-sus, dessous, dedans, devant, derrière. « Pour moi le livre est une architec-ture, un espace dans lequel je joue avec les peintures, les textes, les pagesévidées » dit-elle27 . Dans les espaces habités que sont les livres de Květa Pacovská, des fenêtres s’ouvrent et donnent à voir le monde sous une autreperspective.

LE REGARDEUR À L’ŒUVRE Dans certains ouvrages, la recherche des matières, les formats, la mise enpage, les jeux de plis, la mise en mouvement participent à construire dusens. Ainsi pensée, l’image se réinvente et invite à construire une autre re-lation avec le livre. Ces ouvrages, qui sont des propositions ludiques et es-thétiques, réclament des lecteurs présents au livre, qui activent eux-mêmesle sens et restent prompts à la surprise. La perméabilité du livre aux autresformes artistiques et technologiques chahute la linéarité du récit, transformela posture traditionnelle de la lecture et questionne la place du lecteur, peut-être également celle de l’auteur qui est à la fois artiste ou inventeur auxdoigts d’or. Avec les pages qui se déploient, avec la manipulation des tiretteset autres systèmes qui métamorphosent l’image, le jeune lecteur agit surl’histoire et voit son geste transformer symboliquement le monde, ou sa re-présentation, dans une immédiateté jubilatoire. Le jeu sur les formes, lescouleurs, les correspondances placent le lecteur en position de découvreurs.

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Comme des pierres de gué, ces ouvrages relient les arts entre eux. Devantces albums qui cultivent le décloisonnement des formes et inventent de nou-velles pratiques de lecture proches des parcours artistiques et du jeu, petitset grands se régalent. L’album leur offre un espace d’investigation qui, pourcertains, devient zone d’utopie, entendu au sens premier quand imaginaireou fictif avaient plutôt pour ambition d’élargir le champ du possible, etd’abord de l’explorer28.●

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1. Cosmograficus liber, Petrus Aspianus, 1524.

2. Confession coupée, méthode facile pour sepréparer à la confession, R.P. ChristophLeuterbreuver, 1677.

3. Cent mille milliards de poèmes, RaymondQueneau, Gallimard, 1961, réed 2006.

4. Confisqué,David McNeil et Jean-Luc Allard,Patrick Couratin / Panama, 2007.

5. Le Livre des coloriages de Andy Warhol estune adaptation de The Wonderful world ofFleming-Joffe,1950s Ink, stamped ink. Il a étépublié en France par Gallimard en 1990.

6. L’Art de lire ou comment résister à l’adversité,Michèle Petit, Belin, 2008.

7. Voir l’entretien graphique de PatrickCouratin sur le site de Ricochet http://www.ricochet-jeunes.org/magazine/article/164-couratin-reprod

8. Le Livre d’Adèle, Claude Ponti, Gallimard,1986.

9. Brigitte Morel a travaillé aux éditions duSeuil, puis est devenue responsable dudépartement Jeunesse des éditions duPanama. Elle a fondé depuis 2009 les éditionsdes Grandes personnes.

10. Vues d’ici, Joëlle Jolivet et Fany Marceau,Naïve, 2007.

11. Les Moindres des petites choses, AnneHerbauts, Casterman, 2008.

12. Petits Chaperons loups, Christian Bruel etNicole Claveloux, Être éditions, rééd 2007.

13. Axinamu, 2010, Oxiseau, 2011 de FranscescoPittau et Bernadette Gervais, Les Grandespersonnes.

14. Le Jour où papa a tué sa vieille tante, 2002,Papa se met en quatre, 2004, Le Tout petit invitéde Hélène Riff, 2005, Albin Michel.

15. House of cards, disponible au Eames Officeet au MoMa, en France dans certainesboutiques de musée

16. Les œuvres d’Enzo Mari et de BrunoMunari sont également diffusées en Francepar Les Trois Ourses, librairie et galerie, 6Passage Rauch 75011 Paris.

17. Mathias Elasri est conteur, médiateur,metteur en scène, [email protected],

18. Le Chaperon chinois, Marie Sellier, PhilippePicquier, 2010.

19. Alice au pays des merveilles, Robert Sabuda,Seuil, 2004.

20. 600 pastilles noires, 2007, Un point rouge,2005, David Carter, Gallimard Jeunesse

21. ABC3D, Marion Bataille, Albin Michel,2008.

22. Philippe U.G.http://www.philippe-ug.fr/ug.html ,http://www.livresanimes.com/actualites/actu0705expoUG.html

23. Chez les ours, L’École des loisirs, 2011,Quand ils ont su, MeMo, 2011, Trois petits livresmarionnettes, L’École des loisirs, 2011

24. La Maison de Tamara, Pascale Debert, AlbinMichel, 2011.

25. Les Bienfaits des images, Serge Tisseron,Odile Jacob, 2002.

26. Couleurs du jour, Květa Pacovská, LesGrandes personnes, 2011. À l’infini, Panamaainsi que Un livre pour toi et Ponctuation auSeuil Jeunesse sont épuisés.

27. Exposition aux Libraires associés :http://chezleslibrairesassocies.blogspot.com/2010/09/exposition-pacovska-4.html

28. Exposition « Utopies », BnF,http://expositions.bnf.fr/utopie/index.htm

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Toc ! Clap ! Clic !Boum! Wizz ! L’albumillusionniste

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PAR SOPHIE VAN DER LINDEN

Les frontières entre l’album pour la jeunesse et les autres formes de création artistique sontaujourd’hui très poreuses. Les auteurs-illustrateurs actuels puisent d’ailleurs largement leurinspiration dans des procédés ou des façons de représenter propres au théâtre ou au cinémaLe multimédia – palette graphique, jeu vidéo – n’est pas en reste pour le plus grand plaisir desjeunes lecteurs. Sophie Van Der Linden en donne ici de multiples exemples.

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L’ exceptionnelle liberté formelle dont jouit l’album empêche cer-tainement de ne jamais refermer tout à fait la question de sa dé-finition. Il ne présente pas de forme traditionnelle ou régulièreet la diversité de ses réalisations paraît infinie. Car les créateursinterrogent fréquemment le support même pour le faire converger

vers leur projet narratif. En effet, le texte ou l’image ne sont pas les seules ins-tances créatrices de sens dans l’album. La mise en page, le format, la matérialitédes pages, peuvent aussi concourir à sa signification globale1.

Dans ces tentatives de recherche d’une efficacité maximale au service dela narration, les créateurs sont régulièrement amenés à emprunter des procédésou techniques appartenant à d’autres médias, parmi lesquels le théâtre, le ci-néma ou la création numérique.

TOC. TOC. TOC.Le théâtre se trouve régulièrement convoqué par les créateurs d’album, d’aborddans une perspective référentielle. Du théâtre d’ombre dans Crasse-Tignasse2 aux machineries théâtrales dans Comédie de la lune3, les exemples affluent.Ils y recourent également pour des modalités de mise en page qui empruntentà la mise en scène. Nombreux sont ceux qui considèrent la double page commela figuration d’un plateau scénique faisant entrer et sortir à loisir les personnagesde cette scène d’un genre nouveau. Claude Ponti on en a fait un usage d’uneefficacité rare dans Le Jour du Mange-Poussin4. Un décor, minimaliste, reste in-changé au fil des pages, tandis que des poussins masqués entrent successive-ment en scène. Recourant aux onomatopées, il figure par le son l’arrivée d’unmonstre d’abord tenu hors-plateau avant de le faire surgir pour dévorer (dumoins le croit-on) les poussins. Motivé par le sujet –le travestissement– l’em-prunt à la forme théâtrale prend tout son sens dans la parabole du double qu’ildéveloppe avec une impressionnante densité pour un album court destiné auxtout-petits.

Plus récemment, Ghislaine Herbera a travaillé à la fois la référence authéâtre et l’intégration d’un dispositif scénique à la conception même de sonalbum Le Livre rouge ou Les Aventures de Pépin le glouton5. L’auteur, qui collabore depuisplusieurs années avec des compagnies théâtrales pour la réalisation de scéno-graphies, costumes, masques et marionnettes, impose dès la première pageune figuration immédiatement perçue comme un plateau : espace clôt, visionfrontale, ouvertures offrant une profondeur de champ contenue, personnageshabilement répartis dans le décor et tous concentrés sur des activités différentes.De page en page, sans le renfort d’aucun texte, les personnages évoluent danscet espace, jusqu’à se concentrer sur la lecture –appelée par le titre– d’un livrerouge. L’écoulement du temps est aussi bien marqué par la succession despages, les évolutions des personnages que par l’heure indiquée sur la pendule,qui conduira bien logiquement vers un goûter à l’approche de 16h30. Sur lapage de gauche, une autre narration, correspondant au sous-titre cette fois,figure les aventures de Pépin par un texte narratif et une image dont le cadreforme un cercle. Rappelant les mises en pages d’un John Burningham avec sasérie des Marcelle notamment, le dispositif de Ghislaine Herbera revient pour-tant tout à fait au théâtre lorsqu’on s’aperçoit que Pépin rejoint l’une des ou-

Sophie Van der Linden est l'auteur de l'ouvrage Lire l'album (L'Atelier duPoisson soluble, 2006) etrédactrice en chef de larevue Hors-Cadre[s].

←David Wiesner : Les TroisCochons, Circonflexe

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Il y a également une grande évidenceà l’intérêt que les créateurs portentau cinéma qui futd’abord, à sesorigines, un artd’encre et de papier.

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ENvertures du décor de la page de gauche pour finalement y pénétrer. Les deuxnarrations constituent donc deux scènes connexes, articulées autour d’uneouverture circulaire commune.

La créatrice réussit, avec cet album, une conjugaison complexe de l’albumet du théâtre, en réfléchissant la conception même de l’objet livre à l’aulne despossibilités scéniques offertes par le théâtre.

CLAP !Il y a également une grande évidence à l’intérêt que les créateurs portent aucinéma qui fut d’abord, à ses origines, un art d’encre et de papier. Ils aimentà le rappeler fréquemment en parsemant leurs pages de fausses bandes de phé-nakistiscopes ou d’effets de flip-books jaillissant d’un effeuillage des pages dulivre. Les liens entre album et cinéma se sont d’ailleurs noués très tôt, notam-ment dans des livres-objets prenant les termes de « Cinescope », «baby-ciné »ou « Ombro-cinéma »6. Cette dernière technique connaît ainsi un véritable re-nouveau depuis le succès de Au Galop7 et la publication récente d’ouvrages deMickaël Leblond, spécialiste de la technique et de l’auteur-illustratrice Frédé-rique Bertrand, dont le récent Lunaparc en Pyjamarama8 est un festival de formes,de couleurs et de mises en mouvements jubilatoires.

Une autre démarche consiste à travailler le support même de l’album danstoute sa simplicité : un format fixe, la double-page, pour écran, et un enchaî-nement de feuilles reliées en guise de montage. Qui s’intéresse de près à l’ana-lyse de l’album aura ainsi fréquemment recours aux notions de plongée, zoomou échelle des plans.

Au niveau le plus élémentaire, il suffit de considérer le cadre de la doublepage comme le cadre d’un écran et d’organiser les figurations dans la succes-sivité des pages. David Wiesner, ce grand maître de l’album, en fait une dé-monstration époustouflante dans Les Trois cochons9, lui qui avait déjà, dansChute libre10, proposé un album uniquement constitué d’un travelling latéralformant un savant continuum imaginaire. Alors qu’il ouvre son album LesTrois cochons de manière très conventionnelle et qu’il le fait ensuite évoluervers la bande dessinée pour matérialiser la sortie du cadre de leur histoiredes trois petits cochons, David Wiesner projette enfin littéralement l’échappéebelle des frères sur l’espace entier de la double page. En tournant les pages,le lecteur spectateur assiste médusé à l’illusion d’une projection du rapide–et catastrophique– vol en avion de papier des trois sacripants par le seul jeude leurs positionnements sur l’espace de chaque double page dont l’enchaî-nement crée le mouvement.

Ailleurs, le concept sera rendu plus complexe. Ne se limitant plus à un plan-séquence, mais organisant la succession des plans, les notions de raccord ou demontage seront alors convoquées. Dans Prédateurs11, Antoine Guilloppé transformesubstantiellement le livre en un objet nouveau, hybride de l’album et du cinéma.Car si la grammaire de l’analyse filmique doit effectivement être mobilisée pourdécrire des plans d’ensemble, des inserts, des raccords regard, celle-ci n’est riensans le travail graphique et la maîtrise du récit en images fixes. Ainsi –et de tellesconsidérations pourraient être portées à chaque page– l’efficace champ-contre-champ sur la souris puis le chat est-il surtout impressionnant pour les similitudes

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↑Ghislaine Herbera : Le Livre rougeou les aventures de Pépin leglouton, Didier Jeunesse→Antoine Guilloppé : Prédateurs,Thierry Magnier.

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de compositions entre les deux images. Les formes des deux animaux, noirestoutes les deux, pourraient presque être confondues. Mais le jeu d’inversiondes fonds, la composition dont les masses se répondent en négatif / positif sè-ment le trouble en même temps qu’ils alertent sur une possible confusion.Page suivante, un somptueux et très filmique plan d’ensemble, en plongée,réunit les trois protagonistes, lesquels sont rendus identifiables malgré la dis-tance par le seul truchement d’une intervention graphique particulièrementhabile. L’emprunt au cinéma est bien là. Mais, non content de réussir uneamusante référence au film de Sergio Leone Le Bon, la brute et le truand, et de seservir des outils de la mise en scène, Antoine Guilloppé s’affirme d’abord icicomme un remarquable créateur d’albums sans texte.

CLIC !Nés dans l’Antiquité ou dans l’achèvement prodigieux du XIXe siècle, le théâtreet le cinéma sont des formes anciennes qui ont largement influencé les diffé-rents domaines de la littérature. Il n’en est pas encore de même pour le mul-timédia. Or, les créateurs d’album se montrent très tôt intrigués par lespossibilités qu’offre le numérique. L’une des plus grandes évolutions gra-phiques contemporaines dans l’illustration est certainement due à l’avène-ment du logiciel Photoshop. D’abord utilisé timidement pour la réalisationde discrets aplats par des créateurs qui trouvaient surtout pratique de ne plusavoir à procéder à de fastidieuses manipulations de la peinture, les spécificitésde la création infographique se sont bientôt imposées et ont été largementassumées au cours des années 2000. Sont ainsi d’abord apparus des contrastesaudacieux de couleurs, au Rouergue notamment, tandis que Marion Bataille12,Jean Lecointre13, Janik Coat14 ou Séverin Millet15, entre de nombreux autres,ont successivement réalisé des images qui ne cachaient plus leur procédé defabrication, révélant tout de leurs origines et assurant un lien avec la créationnumérique dans son ensemble. L’un des premiers à revendiquer cette créationest Paul Cox qui, dans un album qui fit date, Cependant…16, emplit ses grillesde dessin pixel par pixel pour composer des images à la poésie si particulière,et qui ne sont finalement pas sans évoquer un jeu bien concret, le Coloredo.

Paradoxalement, c’est un auteur qui n’use pas de l’ordinateur pourréaliser ses albums qui offrira le lien le plus fort avec le livre numérique. En2010, Un livre17, d’Hervé Tullet, s’inscrivant dans la lignée de son travail surles effets «magiques » de la lecture avec le personnage Turlututu créé au Seuilsept ans plus tôt18, réalise le premier album faussement numérique19. Alorsque les éditeurs commencent dans le même temps à transposer les albumsde leur catalogue au format numérique, ici le créateur prend à contre-piedcette évolution et invente une sorte d’Ipad papier ! L’enfant est ainsi invitéà appuyer, frotter, taper dans ses mains, secouer, souffler – autant de fonc-tionnalités utilisées dans les tablettes – pour transformer les images du livre.Et l’enchaînement des pages de se substituer de manière quasi miraculeuseà la plus fine des technologies pour, effectivement, décupler les formes oules agrandir !20

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ENLes spécificités de la créationinfographique sesont bientôtimposées et ont étélargement assuméesau cours des années2000.

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↑Paul Cox : Cependant, Le Seuil↙Janik Coat : Mon hippopotame,Autrement Jeunesse↓Hervé Tullet : Un livre, BayardJeunesse

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Ce n’est pas tantl’emprunt aux autresmédias qui est remarquable, maisplutôt l’usage qui estfait du livre mêmepour la réalisationd’une créationoriginale qui surprendpar sa capacité à tirerle meilleur effet deses ressourcespropres.

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BOUM !Toutes ces réalisations ont en commun une appréhension de l’album commeun espace à investir. Car finalement, ce n’est pas tant l’emprunt aux autresmédias qui est ici chaque fois remarquable, mais plutôt l’usage qui est fait dulivre même pour la réalisation d’une création originale qui surprend par sa ca-pacité à tirer le meilleur effet de ses ressources propres. Et cet effet est chaquefois un effet d’illusion. C’est bien le principe qui domine dans tous ces albums.

Dès lors, s’ajoute aux titres déjà cités, ceux qui, sans faire nécessairementréférence à un média précis, organisent toutes les composantes du livre autourd’une narration qui produit une illusion.Et de citer pêle-mêle, sans exhaustivité,Ouvre ! Je suis un chien21, Zoom22, Bengué dessine comme un cochon23, Le Conte du prince endeux24, Les Doigts niais25, Une fois encore !26, Le Mille-pattes27… Autant de titres quijouent l’album pour l’album, l’album tel qu’en lui-même : force de persuasionde l’association entre narrateur visuel et verbal, succession et successivité despages, jeu sur la pliure et plus généralement sur la matérialité du livre.

Ce n’est pas un hasard si, en tant qu’auteur ou éditeur, Olivier Douzouintervient ici à maintes reprises. Car son apport à l’album contemporain estdéterminant, précisément pour sa capacité à mêler la passion du livre danstoutes ses composantes et l’intérêt profond pour l’innovation. Personne n’aplus foi en l’image qu’Olivier Douzou. Et c’est parce qu’il est confiant dans lescapacités du lecteur d’image qu’il peut être audacieux.

WIZZ !Il est instructif de constater l’exceptionnelle réussite éditoriale de la plupartdes titres faisant partie de cette dynamique. Un livre s’est très bien vendu enFrance avant de rencontrer le même succès dans de très nombreux pays et NewYork en Pyjamarama a été réimprimé dès les toutes premières semaines de sasortie. Alors qu’on pourrait attendre des enfants qu’ils prennent le premierpour une tablette en panne et le second pour un fragment de cinéma préhis-torique, ils les plébiscitent et les témoignages affluent pour raconter l’immenseplaisir qu’ils prennent à leur découverte. Ces exemples encouragent à créer desliens entre le livre papier et les écrans dont rien ne justifie leur oppositioncomme c’est pourtant constamment le cas, dans la presse notamment. Tousces créateurs ont bien compris que ce qui domine pour l’enfant est l’esprit dejeu et de surprise. Faisant référence aux différents médias, ils rappellent unedonnée fondamentale : l’important n’est pas dans le support, mais dans l’actede lecture. Interpellant le lecteur, le sollicitant dans ses ressorts ludiques,créant la surprise et le jeu, ils valorisent une participation active de celui-ci.Dénonçant le jeu de l’illusion en même temps qu’ils en jouent, ces albumsrendent bien évidemment plus intelligents leurs lecteurs qui cherchent à com-prendre comment ils ont été « joués ».

L’album, particulièrement dans sa capacité à se renouveler, à inventer, àmobiliser ses ressources propres pour maintenir son attractivité, reste le lieuprivilégié d’une propédeutique de l’image. Alors que les écrans se multiplientet que l’image occupe une place croissante dans les supports, cette formations’avère de plus en plus essentielle. Par des choix critiques affirmés, par des SO

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z Pour prolonger la lecture de ce numéro retrouvez l’auteur de cet articlesur son blogwww.svdl.fr

L’important n’est pasdans le support, maisdans l’acte de lecture.

acquisitions raisonnées, par des remontées directes auprès des éditeurs et descréateurs, sans doute faut-il encourager le développement de ce travail sur l’album en tant que tel et appeler les jeunes créateurs à prendre le relais afinde nous concocter dès aujourd’hui les classiques de demain en cette voie si stimulante pour les jeunes lecteurs.●

1. Sur ces questions, voir Lire l’album, SophieVan der Linden, L’Atelier du Poisson soluble,2006.

2. Heinrich Hoffmann, L’École des loisirs, coll.« Lutin Poche », 1979 (titre original :Struwwelpeter, 1845).

3. Étienne Delessert, Gallimard Jeunesse, « Giboulées », 2010.

4. L’École des loisirs, 1992.

5. Didier Jeunesse, 2011.

6. Voir l’article de Patrick Lecoq et GraziellaAlbanèse sur le site Internet :http://www.livresanimes.com/actualites/actu0810_galop_ombrocinema.html

7. Rufus Butler Seder, Play-Bac, 2008 (titreoriginal : Gallop !, Scanimation, 2007)

8. Le Rouergue, 2012

9. Circonflexe, 2001 (titre original : The ThreePigs, Houghton Mifflin, 2001)

10. Circonflexe, 2008 (titre original : Free Fall,Harper Collins, 1988)

11. Éditions Thierry Magnier, 2007.

12. Livre de lettres, Éditions Thierry Magnier,1999.

13. Les Dents du loup, Éditions ThierryMagnier, 2002.

14. Popov et Samothrace, MeMo, 2005.

15. Méli-mêlons, Seuil Jeunesse, 2006.

16. Seuil Jeunesse, 2002.

17. Bayard Jeunesse, 2010.

18. Turlututu, C’est magique ! Seuil Jeunesse,2003

19. Ceci n’empêchant nullement le créateurde décliner ensuite son livre en uneapplication bien évidemment intitulée… UnJeu ! (Appstore, « Pépite numérique » au Salondu livre de Montreuil 2011).

20. À noter, répondant à une démarche assezsimilaire, Olivier Douzou, dans une versiontrès graphique de Boucle d’or et les trois ours(Rouergue 2011) revendique pour sa part, nonsans malice, le titre de livre numérique, aumotif d’un graphisme recourant aux chiffres !

21. Art Spiegelman, Gallimard Jeunesse, 1997(titre original : Open Me … I’m a Dog!,HarperCollins, 1997).

22. Istvan Banyai, Circonflexe, 2002 (titreoriginal : Zoom, Puffin, 1998).

23. Bénédicte Guettier, Gallimard Jeunesse «Giboulées », 2000.

24. Olivier Douzou, Frédérique Bertrand,Seuil Jeunesse, 2005.

25. Natali Fortier, Éditions du Rouergue,2001.

26. Emily Gravett, Kaléidoscope, 2011.

27. Jean Gourounas, Éditions du Rouergue,2012.

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Visages de la typographiedans l’albumcontemporainPAR ANNE-LAURE COGNET

L’inventivité typographique peut être au cœur du processus de recherche formelle. Mais ellefait rarement l’objet d’une attention particulière, parce qu’elle est le plus souvent conçue pours’effacer au profit du texte. Pourtant de nombreux auteurs-illustrateurs d’albums considèrentque la conception-réalisation d’un nouveau livre est un tout dans lequel la typographie doitjouer sa partition. Quelle est leur démarche ? Comment collaborent-ils avec les graphistes-typographes qu’ils ont choisis ? Une exploration contrastée, nourrie d’entretiens avec descréateurs.

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A ussi étrange que cela puisse paraître au regard de l’histoire dulivre illustré, tous les albums ne déploient pas une science typographique raffinée. Nombreux sont les éditeurs qui piochentdans un lot de typographies restreint, soit par efficacité, soitpar méconnaissance. La recherche d’un caractère adéquat à la

forme et au contenu du livre ne constitue en aucun cas une règle éditoriale,même dans le champ de l’album contemporain dont on s’accorde pourtantsouvent à dire qu’il est un territoire d’expériences privilégié. Pour autant,la typographie est loin d’être accessoire : son bon usage est une conditionpremière de visibilité et de lisibilité – débat auquel les éditeurs de livres dejeunesse participent depuis longtemps1.

QUELQUES JALONS POUR UNE HISTOIRE DE LA TYPOGRAPHIE DANS L’ALBUM CONTEMPORAIN Nul ne contestera la richesse du catalogue de L’École des loisirs mais nul n’as-sociera cet éditeur à une inventivité typographique, la plupart des albumsétant composée très classiquement, comme si le texte, au service de la lecture,s’effaçait. La mise en pages des albums de Claude Ponti, auteur emblématiqueconnu pour ses jeux sur la langue, est un exemple paradoxal de cette frontière:quand Claude Ponti s’amuse avec l’écriture d’un mot ou la représentationd’un dialogue, il le fait dans ses dessins. Le texte, quant à lui, s’aligne fortsagement sous l’image, et, à de rares exceptions près, sans changement decorps ou de graisse. Le parti pris radical de L’École des loisirs pourrait s’ac-compagner de nombreux autres exemples, tant la relative transparence dela typographie est une valeur partagée chez les éditeurs.

Cependant, l’histoire de l’album de ces vingt dernières années comptequelques démarches originales. Avec les années quatre-vingt-dix, la typo-graphie se fait plus ludique et plus présente. On expliquera ce changementpar une large éclosion de nouvelles maisons d’édition, par une forte créativitéartistique dans l’album, mais aussi par la généralisation de la PAO (publi-cation assistée par ordinateur) qui transforme la typographie en image. En1994, l’émergence simultanée de collections comme « Pirouette » chez DidierJeunesse ou « Paroles de conteurs » chez Syros illustre bien cette époque. L’unecomme l’autre joue sur le corps, la graisse et les couleurs pour mettre enscène l’oralité. La typographie accompagne une nouvelle recherche de lisi-bilité et d’expressivité – avec ses succès et ses ratés, d’ailleurs.

Au même moment, Olivier Douzou, en tant qu’auteur-illustrateur etdirecteur artistique de la nouvelle branche jeunesse des éditions du Rouergue,vient bousculer les habitudes : les premiers albums publiés font, en effet,une large place à une typographie cursive, fort éloignée des canons scolaires,construite à partir de son écriture et baptisée Patin Couffin… Quant auxtoutes jeunes éditions du Seuil Jeunesse, elles donnent le ton de leur catalogueen publiant deux albums du graphiste Massin en association avec les Chatspelés: Jouons avec les lettres (1993) et Jouons avec les chiffres (1994). Ces livres ouvrentla voie à toutes les recherches artistiques singulières que Le Seuil Jeunesseaccueillera jusqu’au départ de Jacques Binsztok et Brigitte Morel en 2004. Le jeu est désormais dans la place.

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←Claire Faÿ: Face and Types, ClaireFaÿ, 2001.

Anne-Laure Cognet, chargée de mission Europe,secteur International,BnF/CNLJ-La Joie par les livres.

z Pour prolonger la lecture de ce numéro, retrouvez les bibliographies des créateurscités sur notre sitehttp://lajoieparleslivres.bnf.fr

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Enfin, rappelons que certains éditeurs sont venus à la typographie parle biais du livre d’artiste (Les Trois Ourses, notamment) ou de la poésie visuelle(sur l’impulsion de poètes comme Jean-François Bory, Jean-Hugues Mali-neau…). D’autres éditeurs sont également imprimeurs. En ce cas, l’attentionaux caractères redouble, car ces maisons assument alors pleinement le rôlede gardiens d’une culture et d’un savoir-faire spécifiques. Ainsi des éditionsCheyne à Chambon-sur-Lignon (43) pour leurs collections de poésie ; ainsides éditions Colophon à Grignan (26) qui valorisent la presse typographiqueau travers d’un catalogue éditorial atypique ; ou encore d’un collectif de gra-veurs et typographes réunis à l’enseigne de l’Épluche-doigts à Propières (69).

DESSINER LA LETTRE Au-delà des lignes éditoriales, les livres porteurs d’une recherche typogra-phique sont souvent l’œuvre d’artistes qui pensent leur objet comme untout. Sans remonter aux géniaux précurseurs du livre total – El Lissitzky,Bruno Munari en tête –, citons quelques artistes dont la réflexion sur lessignes typographiques, les lettres et les chiffres ont marqué l’édition de jeu-nesse contemporaine : Anne Quesemand et Laurent Berman, Květa Pacovská,Paul Cox, Anne Bertier… Sans compter tous les abécédaires, travaux ponctuelsdans l’œuvre d’un illustrateur, mais témoins de la fascination exercée parle dessin de la lettre, comme ceux de Harriet Russel (A is for Rhinoceros, Corraini,2005), Georges Lemoine (Pinocchio l’Acrobatypographe, Gallimard Jeunesse-Gi-boulées, 2011), ou encore, Albert Lemant (L’ABC de la trouille, Atelier du poissonsoluble, 2012) – et cette courte liste assume son arbitraire…

Car le mystère de la lettre est paradoxal. Marion Bataille le souligne trèsbien : alors qu’il n’y a nulle surprise ni dans la forme ni dans l’ordre deslettres de notre alphabet, la réflexion sur ce sujet reste inépuisable. Chaquematin, elle dessine des lettres et des chiffres ; c’est un cadre à sa journée oùles formes s’associent de manière insaisissable par jeux graphiques et jeuxde mots. L’émotion naît d’une petite brèche temporelle : ce moment fugaceoù, en décryptant la lettre, elle passe de l’image au sens, puis du sens premierau sens second, et ainsi de suite, car il n’y a nulle limite à la profondeurd’une page, et un bonheur enivrant à en faire l’expérience… Ce temps de laperception nourrit la réflexion de Marion Bataille et nous permet de lire lesdeux directions de son travail. Dans Bruits (Thierry Magnier, 2005), elle sesert de typographies utilisées dans les années cinquante pour le commerceet les transforme, grâce à un travail de répétitions et de trames, en objetsdotés d’une texture, d’une matière, d’un corps. En saturant la page de lettres,d’onomatopées et de mots, jusqu’à l’illisibilité, Marion Bataille dilue le tempsde la perception. À l’inverse, avec ABC3D et 10 (Albin Michel, 2008 et 2010),le temps du déchiffrage est infime, l’immédiateté l’emporte, l’accessibilitéest reine. Mais alors pourquoi sommes-nous si attentifs à cette forme sanssurprise ? Pourquoi lire et relire ce qui est limpide? Peut-être parce que l’onrevient aux commencements : Marion Bataille nous invite à regarder le dessinde la lettre comme si c’était la première fois, à nous laisser toucher par larésonance des formes entre elles, par la circulation du blanc et du noir…

Au-delà des ligneséditoriales, les livresporteurs d’unerecherchetypographique sontsouvent l’œuvred’artistes quipensent leur objetcomme un tout.

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↑Marion Bataille : Bruits,Thierry Magnier, 2005.→Marion Bataille : ABC3D,Albin Michel, 2008.

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Pourquoi dessiner un caractère typographique aujourd’hui ? Éditeurset directeurs artistiques peuvent parcourir à loisir les banques de caractèresmises en ligne par les typographes, achetant ici ou là une typographie quis’accordera au livre en cours de création. Mais ils peuvent aussi passer com-mande d’un caractère spécifique. Ainsi, Kamy Pakdel, directeur artistiquechez Autrement Jeunesse, a fait appel à Philippe Dabasse pour dessiner latypographie de l’album philosophique L’Amour selon Ninon (texte de Oscar Bré-nifier, ill. Delphine Perret, 2011). Il s’agissait de créer un caractère imitant lacalligraphie de Delphine Perret avec un double souci : gagner en lisibilité ; etéviter à l’illustratrice la lourde charge de devoir écrire le texte dans d’autreslangues si les droits de traduction étaient vendus. Philippe Dabasse, élèvede Jean-François Porchez et Muriel Paris à l’EMSAT, construit ses caractèresen travaillant sur la trace et la densité historique des formes typographiques.Il a demandé à Delphine Perret d’écrire chaque lettre de l’alphabet plusieursfois. À partir de ce document, il a isolé les lettres les mieux dessinées pourles stabiliser en travaillant sur l’équilibre, en ajoutant de la texture, en uni-fiant les graisses, enfin, en réglant les approches entre les capitales et lesbas-de-casse ou entre deux paires de caractère – un travail classique de ty-pographe, commente-t-il… Le fait est que sa démarche, empreinte de rigueurdans le dessin et de respect pour une histoire de la typographie dont il serevendique, propose une forme légère et aérienne, en parfait accord avecle trait de Delphine Perret.

La profusion de typographies dont disposent les éditeurs occidentauxne se retrouve pas dans les pays du monde arabe où s’est développée une ré-sistance culturelle très ancienne au monde de l’imprimerie : on ne comptequ’une centaine de typographies dessinées à ce jour, en grande partie baséessur des styles de calligraphie restreints. Dans ce contexte très conservateur,Lara Assouad Khoury, graphiste et typographe de formation, sonne l’heuredes révolutions avec la publication de son premier livre pour enfant, Tabati.Ce livre est l’aboutissement de quinze années de recherche sur l’écriturearabe – son tracé, sa forme, sa traduction typographique –, commencéespendant ses études à l’Université américaine de Beyrouth avec Samir Sayegh,continuées à Nancy à l’Atelier national de recherche typographique, puis aufil de sa vie professionnelle où elle est constamment confrontée à la nécessitéde trouver des correspondances entre typographies latines et arabes2. Pour-tant, la création d’une typographie ne figurait pas dans la demande de NadineTouma, l’éditrice de Dar Onboz et auteure de cet album, lorsqu’elle a contactéLara Assouad Khoury. Au fil de la conception des illustrations, entièrementconstruites sur un jeu de formes géométriques élémentaires dans la lignéedes Constructivistes et du Bauhaus, l’idée s’est pourtant imposée. Lara s’estappuyée sur la synthèse de trois calligraphies arabes canoniques, procédantpar croquis, blocs de bois sculptés et modélisation basée sur deux formesélémentaires, le carré et le cercle. Elle a ainsi prouvé que l’on peut proposerune typographie arabe moderne et minimaliste, capable d’articuler « toutesles nuances du monde contemporain », sans rien perdre en lisibilité.

Éditeurs etdirecteursartistiques peuventparcourir à loisir lesbanques decaractères mises enligne par lestypographes,achetant ici ou làune typographie quis’accordera au livreen cours de création.Mais ils peuventaussi passercommande d’uncaractère spécifique.

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↑Différents essais de phrases typeappliquées aux personnages del’album L’Amour selon Ninon, illustrépar Delphine Perret, AutrementJeunesse, 2011

←Série de caractères écrits de lamain de Delphine Perret qui ontservi de base à la création de latypographie Ninon.

←Lettres capitales et bas-de-cassepour la typographie Ninon.

↓Lara Assouad Khoury : Tabati, Dar Onboz, 2011.

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De fait, son travail a été doublement récompensé par le prix « Excellence inType Design » 2011 du New York Type Directors et le prix « Opera Prima »2012 de la Foire du livre de Bologne. Si Tabati vient à être traduit dans d’autreslangues, on ne sera pas surpris d’apprendre que Lara Assouad Khoury a déjàcréé la typographie correspondante en caractères latins…

CHOISIR UN CARACTÈRE TYPOGRAPHIQUE Pour explorer cette relation singulière entre mots et images dans l’album,nous avons retenu quelques démarches artistiques qui permettent de mieuxcomprendre les choix sous-jacents, les effets de sens et le travail en amont,en solo ou en duo, entre un illustrateur et un graphiste.

REPRODUIRE LE RYTHME DE L’ÉCRITURE Pourquoi est-on convaincu que les livres d’Hélène Riff sont écrits de sa main,alors qu’il n’en est rien? Si deux petites phrases manuscrites se sont discrè-tement glissées dans son premier album, La Chaussette jaune (Albin Michel,1995), il faudra se contenter de cette seule trace ; tout est bel et bien affairede typographie dans ses livres et Hélène Riff réserve son écriture à ses ma-quettes. Mais habiller un texte manuscrit d’une peau typographique est unexercice périlleux. La mise en pages de son deuxième album, Le Jour où Papaa tué sa vieille tante (Albin Michel, 1997), lui donne le sentiment d’une dépos-session ; le texte, dans sa typographie trop classique, ne lui correspond pas.Elle fait alors appel à la graphiste Frédérique Daubal et, ensemble, elles re-cherchent la typographie qui s’apparentera le plus à sa manière d’écrire3.Écarts trafiqués, mots isolés, corps augmentés, Frédérique Daubal reproduitle rythme d’écriture d’Hélène. Avec Papa se met en quatre (Albin Michel, 2004),Hélène qui, entre-temps, trouve que les textes d’albums se sont tous mis àfaire des vagues sans raison fondée, refuse de participer de cet effet de modequ’elle semble avoir lancé. En compagnie, cette fois, du graphiste Cédric Ra-madier, elle revient à une typographie classique avec des pavés (presque) ré-guliers… Le Tout Petit Invité (Albin Michel, 2005) poursuit cette recherched’épure avec le choix d’une typographie qui apparaît en lettres capitales. Lacapitale qui, seule, rend son écriture manuscrite lisible, dit-elle. Preuved’une adéquation supplémentaire entre son trait et un habillage typogra-phique. Récemment sollicitée par ses élèves, elle a créé une image où dessinet texte manuscrit (en capitale) se mêlent sur la même page: une première,et un heureux présage de recherches fructueuses pour son nouvel album,provisoirement intitulé Les Clés…

Pour explorer cetterelation singulièreentre mots etimages dans l’album,[des] démarchesartistiques [...]permettent de mieuxcomprendre les choixsous-jacents,les effets de sens etle travail en amont,en solo ou en duo,entre un illustrateuret un graphiste.

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↓La table de travail d’Hélène Riffavec la maquette de son prochain livre.(voir aussi ill. p. 129)

↖Couverture de Lara AssouadKhoury pour l’album Tabati,Dar Onboz, 2011→Essais de Lara Assouad Khourypour la lettre ‘ba’ qui ont abouti à la création de la typographieTabati

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INCARNER LE CARACTÈRE Claire Faÿ, que l’on connaît aujourd’hui pour ses Cahiers de gribouillages, découvrela typographie aux Beaux-Arts de Prague : un choc émotionnel, dit-elle, devantces caractères de plomb qu’elle va rapidement utiliser en tant qu’image pourinterroger le sens des mots et leur polysémie. Ses premiers livres, qu’elle conçoitentièrement, de l’écriture à la reliure, sont tirés à quelques exemplaires ; ilfaut attendre que son travail soit édité par Paris-Musée, puis par Panama, pourque le grand public découvre son ironie redoutable et son goût de l’absurde.

Claire Faÿ recherche l’accord entre le dessin du mot et celui de l’objet,en procédant non seulement par inventaire mais aussi par association d’es-prit. Il y a, chez elle, un art du raccourci et de la synthèse qui rapproche sespropositions de la poésie visuelle. L’émotion, comme étincelle de départ, luiest nécessaire. Elle conçoit ensuite ses livres très rapidement, en quelquesjours, s’appuyant sur un travail quotidien d’inventaire graphique, puisqu’ellecollectionne avec soin bouts de lettres et de mots, arabesques, mouches etfleurs, et ce sur une lecture inépuisable, celle des dictionnaires illustrés. Lamaîtrise totale de l’objet – qu’elle conserve même quand elle est éditée –,ainsi que son art du collage, donne aux caractères typographiques force depersonnages à part entière.

UN MONDE DE RÉFÉRENCES Béatrice Poncelet est celle qui pousse le plus loin la dichotomie entre penserle caractère, son emplacement sur la page, ses effets de sens ; et confier l’exé-cution de ce qu’elle a minutieusement pensé à un maquettiste qui maîtrisel’outil informatique – ce qui n’est pas son cas. Au quotidien, elle travaille enparallèle sur une maquette du livre et sur un texte tapuscrit qui comprend,non seulement, l’histoire principale, mais aussi l’ensemble des sous-textesqui viendront parasiter le texte courant. À chaque double page de sa maquette,les blocs de texte sont matérialisés avec du faux texte – qu’elle agrandit ouréduit à la photocopieuse –, et les typographies sont précisément déterminées.On ne vient pas impunément de Suisse, pays de la typographie, et BéatricePoncelet pense par famille de caractères : ici une Égyptienne, là une Anglaise…Au maquettiste de trouver la police numérisée correspondante, de couler letexte dans le gabarit d’imposition sur la page, de résoudre les problèmes tech-niques comme, par exemple, dessiner la bonne courbe du texte qui permettrade créer l’illusion d’une page de livre qui se tourne. Les possibilités de mani-pulation du texte, offertes par les logiciels, si elles ne remplacent pas l’art dudessin, sont une aide précieuse. Quand, auparavant, il eut fallu intervenirmanuellement sur la maquette avec un pinceau et un peu de blanc pour effacerdes lettres, aujourd’hui, un simple système de calques suffit. Entre la maquette– que Béatrice Poncelet modifie pendant des années – et le livre fini, on neverra aucune différence, si ce n’est le texte lui-même. En réfléchissant seslivres en termes d’espace, de calibrage et d’expressivité du caractère typogra-phique, on comprend à quel point le projet créatif de Béatrice Poncelet naîtd’une forme lettrée de la contrainte ; une révérence à l’histoire du livre pourun objet qui est le fruit d’une relation à quatre mains et demi-mot…AN

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↖Claire Faÿ : Le Rire douce folie,Claire Faÿ, 2002.

←Béatrice Poncelet : La Véranda, L’Artà la page, 2012.

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DU FIL DANS LES IDÉES L’illustratrice Betty Bone et la graphiste Fanette Mellier concluent ce panoramade démarches artistiques. Toutes deux se connaissent depuis longtemps ; ellesont en commun le même lycée, puis des études aux Arts Décoratifs. Cetteamitié au long cours se lit dans leurs échanges artistiques, confiants et res-pectueux du travail de l’autre. Fanette invite Betty à écrire pour ses propresinstallations – c’est bien la seule fois où Betty est auteure sans être aussi il-lustratrice ; et Betty emprunte à Fanette ses typographies4 – c’est bien l’undes rares cas où Fanette autorise leur diffusion, tant parce qu’elle ne se considèrepas comme typographe au sens strict, que parce qu’elle souhaite garder unemaîtrise totale des usages qui en sont faits. Quand Fanette Mellier regardeles livres de Betty Bone, elle s’étonne de la nouvelle cohérence acquise par sestypographies. Car elle les conçoit dans une démarche de plasticienne : ses ty-pographies sont d’abord des images qui vont s’insérer dans une dynamiquede composition, où la couleur joue un rôle primordial, pour de grands supportscomme des affiches. Leur détournement par Betty bouscule son regard : il ya une forme de simplicité, dit-elle, à les retrouver non plus comme des imagesmais comme un texte, en petit corps, souvent monochrome. Par exemple, lecaractère choisi par Betty pour La Madeleine de Proust (Courtes et Longues, 2011),réinterprétation du century, a été créé pour une exposition de Maria TheresaAlves sur le déracinement. Betty Bone a trouvé dans cette typographie unepersonnalité classique, passéiste presque, qui s’accordait bien au messagesur le temps et la mémoire du texte de Proust. Dans De haut en bas (Thierry Mag-nier, 2010), Betty souhaitait un caractère que l’on remarque, joyeux, aérien,pour incarner son texte, musical, sur les changements de points de vue. Cettetypographie, avec ses deux points superposés sur les i, ne passe effectivementpas inaperçue : elle induit une manière de lire et relance, chez les prescripteurs(mais pas chez les enfants lecteurs!), la question de la lisibilité…

Du dessin de la lettre au dessin de caractère, les chemins de la mise entexte sont multiples. Accorder texte et image du texte représente une partcréative non négligeable de l’album, tantôt menée par l’éditeur, le directeurartistique, le graphiste, le typographe ou l’artiste lui-même. De cette variétéde démarche, le lecteur ne saura rien. En revanche, même inconsciemment,il restera redevable d’une heureuse typographie, si d’aventure le trait mêmede l’écriture faisait soudainement surgir une émotion… ●

1. Voir Annie Renonciat : « Typographies pourl’enfance dans l’édition occidentale ». DansLittérature de jeunesse, incertaines frontières.Sous la dir. d’Isabelle Nières-Chevrel.Association des amis de Cerisy-Pontigny,Gallimard Jeunesse, 2005, p. 64-79.

2. Pour une analyse complète de son travail,voir l’entretien en ligne réalisé par HudaSmitshuijzen AbiFares, « The Arabic script canbe minimalist and contemporary », KhattFoundation,http://www.khtt.net/page/32269/en [Consulté le 03.04.2012]

3. Ce sera la typographie «Where is Marty».Joli clin d’œil pour cette histoire où l’on passeson temps à chercher un garnement dans lapage…

4. Deux exceptions à la règle : Presque pareil(Thierry Magnier, 2005) et Bec en l’air (ThierryMagnier, 2011) dont les typographies sontsignées Grégoire Romanet.

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ETDu dessin de la lettreau dessin decaractère, leschemins de la miseen texte sontmultiples.

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↙↑Betty Bone : De haut en bas, ThierryMagnier, 2005.↓Ill. Betty Bone : La Madeleine de Proust,Éditions Courtes et Longues, 2011

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Témoignages de créateursEn écho à ces articles qui balayent sous plusieurs angles ce secteur de l’édition, il nous a sembléintéressant de faire entendre le point de vue de quelques auteurs-illustrateurs qui ont fait reculer, par leurs inlassables recherches de nouvelles formes, les frontières de ce qu’il estconvenu d’appeler l’album. Quatre d’entre eux ont accepté : Béatrice Poncelet, Hélène Riff,Malika Doray et Olivier Douzou.

Artistes et œuvres qui ont influencé ma ré-flexion, mon travail ?Je ne prendrais pas les choses comme ceci, le rap-port des autres à soi me paraissant différent…

Les influences d’abord… non pas, un ou des ar-tistes… non à l’origine un contexte, oui, certai-nement.

Élevée dans un atelier, peindre ou dessinerétaient pour moi l’évidence même. Ma réflexionalors n’allait pas au-delà.

Par ailleurs et parallèlement, entourée de livresici et là (on nous en lisait quotidiennement) toutétait à portée de main : dessins, gravures, es-tampes…

Voilà pour le contexte de ces années-là.Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai pris

conscience qu’additionner ceci à une certaineforme de culture « classique », même très partielle,acquise différemment, et m’aidait à construire lacolonne vertébrale sur laquelle je m’appuieraispour travailler.

Il faut ajouter d’autres influences, si l’on est untant soit peu curieux, apportent aussi une largecontribution : bien des artistes d’hier ou d’au-jourd’hui, dont je peux ne pas apprécier letravail,s’il correspond à mon propos du moment,

évidemment je peux aussi m’y référer. Voilà en quelques mots quelles sont les sources,

aussi contradictoires qu’elles puissent sembler,les influences qui expliquent pour une part, ce quesont mes livres.

Pour nourrir ma réflexion… c’est autre chose.Depuis longtemps, la littérature et la musique mesont tout à fait indispensables.

Parmi de nombreux livres, certaines « formes »de littérature, comme tout un chacun, me nour-rissent plus que d’autres. En l’occurrence et en de-hors de tout effet de mode, la littérature japonaise,ce que j’en connais tout au moins, certains auteursdu nouveau roman, quelques auteurs plus « radi-caux » disons… et d’autres très classiques que jedécouvre ou auxquels je reviens… mais ma curio-sité ne s’arrête pas là.

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Béatrice Poncelet

→Béatrice Poncelet : Semer en ligneou à la volée, Seuil Jeunesse1ere de couverture pour rendrecompte de la verticalité du livre et couverture à plat, BéatricePoncelet concevant toujours sescouvertures dans leur ensemble.

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La musique…C’est principalement par son biais que je comprendscomment, avec les moyens qui sont les miens, ilme faut essayer de travailler, dans quelles directionset sous quelles formes je dois tenter d’aller…

La voix me touche infiniment, l’opéra, la mu-sique dite « de chambre », les rapports entre lesvoix précisément, les êtres, les sons, la relationqui existe entre eux et la composition, les instru-ments, bref… pour moi, l’exemple même d’unematière à réflexion.

On comprendra que citer des noms, des œuvres…

Les contraintes à présent…J’ai toujours pensé (bien qu’avec le temps, on repousse les limites continuellement) qu’il fallaits’intéresser, non seulement aux nombreuses pos-sibilités offertes par le support de l’« objet-livre »,mais à ses contraintes tout autant. Si l’on veuttravailler librement… – une absolue nécessité !! –avoir les coudées les plus franches, il me paraîtindispensable face à ces « obstacles», de renverserla vapeur en les exploitant, les détournant… pourmieux servir le propos, tout simplement.

Lorsque, comme c’est le cas pour moi, le livren’est qu’un, indissociable – format, pagination,papier, techniques, images, textes, typo, etc. –tout, absolument tout doit être pensé, réfléchi,tenté surtout, essayé, choisi, rien ne doit être gra-tuit, de la première de couverture à la quatrième,quelque soit la contrainte… un travail sans conces-sion.

Pour clore ce chapitre, il n’y aurait aucun inté-rêt, à expliquer ici comment, graphiquement, jerepousse justement ces dites « contraintes », celaéquivaudrait à donner des recettes. Rien n’est plusinutile et stupide à mes yeux. Néanmoins pourme faire comprendre, prenons brievement troisexemples : pour le format, la couverture de Semer,au Seuil, toute en hauteur, croissance des fleursoblige; pour la pliure, le polar repris en plein mi-lieu ou la typo adaptée au propos où l’on voit, aufil de l’histoire, les pensées perturbées par la mu-sique ambiante de La Véranda (à L’Art à la page), ouencore la symbolique de la diminution de la mé-moire avec les chaussures de Van Gogh dans LesCubes (Seuil Jeunesse).

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Les relations de travail, avec l’édition ?Ai-je jusqu’ici eu beaucoup de chance ou est-ce laconséquence peut-être d’un travail qui tente d’êtreexigeant ?

Assez vite je me suis trouvée (chez Albin Michel)puis longtemps, et je leur dois beaucoup ! (au Seuil)et même tout récemment (à l’Art à la Page, un livrepour adultes), face à des hommes ou des femmesayant une conception du livre – de certains livres,plus précisément ! – que ma recherche n’a paslaissé indifférents.

Je leur suis reconnaissance de leur confianceabsolue, me laissant faire mon travail comme jel’entendais et le fais encore… à ma façon, à monrythme, un tout dans lequel nul ou presque nepeut s’immiscer. Je les en remercie sincèrement.Il me faut ajouter, parce que je le crois important,que, pour moi, le travail ne s’arrête pas à la ma-quette, aux originaux, que la totalité de la fabri-cation non seulement m’intéresse, mais me paraîtpartie prenante et ô combien importante de ce « métier ».

Je suis donc, de très près, l’élaboration de « l’ob-jet-livre », ce qui m’a, à chaque fois, amenée à uneétroite collaboration avec celles et ceux qui, demon travail à l’origine, feront, au final, celui quej’entend, qu’on peut avoir en mains, enfin. Les relations humaines s’y greffant – et j’y tiens!–ces moments professionnels, sont souvent plusde l’ordre de la complicité – le goût commun detendre au meilleur – que du simple travail exécuté,quelle que soit, je le précise, la place de mon in-terlocuteur, de l’éditeur en premier lieu naturel-lement, de celui ou celle – photographie si besoin,développement, à l’ordinateur, photogravure, l’im-pression… – saura devancer mes demandes ou sug-gestions… – assez nombreuses, je l’avoue !! – je leurdois à eux aussi, et à chacun, énormément.

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↑Béatrice Poncelet :Dans la véranda…, L’Art à la page

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Enfin, à quel lecteur s’adresse ce que je fais ? L’éternelle question !!

Non seulement je n’ai jamais cru, mais jem’élève, ici dans le livre, à ce « formatage » dontla finalité serait de toucher le plus de lecteurs pos-sible… la commercialisation nécessaire peut, jecrois, se résoudre différemment.

Je résumerai en disant que, pour moi, parler àl’autre, quel qu’il soit, c’est en le respectant.

Or, la démagogie, la facilité – qui n’a rien à voiravec la légèreté – dont usent parfois certains au-teurs, ne me semble guère remplir le rôle qu’ilsvoudraient jouer… C’est, je crois, tout simplementtromper le lecteur… a fortiori, souvent, l’enfant.

Tout ou presque peut être dit, oui, absolument !mais pas n’importe comment…

En conclusion, mes livres n’ont pas la préten-tion d’être des exemples, certainement pas !! Il enfaut d’autres, beaucoup, et il y en a ! légers, poé-tiques, oniriques, amusants, etc. mais tous doi-vent être de « bons livres» puisque le lecteur est,ou sera… précisément un enfant.

On lui doit, justement pour cette excellente rai-son, le meilleur dont on est capable.

Prétendre comme je le fais, parler en mêmetemps, d’une même voix, à des niveaux différents,à des adultes et des enfants ? Bien sûr, commedans une conversation. Je le revendique au prixde doutes éternels et rongeants et d’un travail ex-trêmement prenant.●

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z Pour prolonger la lecture de ce numéro voir aussi le « Tête à tête » avec Béatrice Poncelet publiédans le n°133 de La Revue deslivres pour enfants ainsi quel’article de Béatrice Gromer sur Les Cubes, publié dans len°240.À consulter en ligne sur notresite :http://lajoieparleslivres.bnf.fr

↓Béatrice Poncelet : Les Cubes, Seuil Jeunesse

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Vous avez déjà publié de nombreux albums chezdes éditeurs pour la jeunesse qui innovent parleurs formes et déplacent les frontières de cequ’on entend par album pour la jeunesse. Hélène Riff : En tout je n’ai pas fait plus que cinqlivres, comme les doigts d’une seule main. Entrechaque livre il y a du temps à ne pas faire de livres,à ne pas faire de bruit, du temps à tâtons.

Comment, dans votre travail, jouez-vous avec lesspécificités de l’objet livre pour inventer de nou-velles formes dans le rapport texte-images, leformat…?Je ne cherche pas à bouleverser quoi que ce soit,j’essaie de raconter de mon mieux une histoirequi me semble valoir le coup. C’est aussi simplequ’une façon de marcher, et difficile à expliquer.

Pour Le Tout petit invité, j’ai emprunté le formatdu petit accordéon de mon garçon. Parce qu’ils’agit de souffle : celui d’un bébé, au seuil de lamaison, toc toc, histoire de pousser lui aussi sapetite chanson à pleins poumons. Mais toutes lesmains sont pleines de la vie en long en large et entravers.

Vraisemblablement, il n’y a pas de place.Vraisemblablement, abracadabra, il en restait

encore un peu.

Le lecteur a-t-il une place dans votre jeu, et si oui,quelle est cette place et qui est le lecteur auquelvous vous adressez ?Mes histoires, je les donne à mi-voix, il faut doncla place pour que le lecteur se rapproche et s’ins-talle dans le fil.

Quels sont les artistes et les œuvres qui ont mar-qué votre réflexion et, peut-être même, votretravail ? J’ai souvent vu ma toute petite grand-mère ins-taller des paysages sur ses toiles à grands coupsde pinceau qui paraissaient d’abord n’avoir rien àvoir avec le modèle.

On s’en allait faire un tour et, un sandwich plustard, abracadabra, tout y était.

J’ai une de ses boîtes de pastels, fins comme descigarettes. De temps en temps, si je tourne enrond dans mon image, je prends au hasard unecouleur, et je donne un trait les yeux fermés surle dessin en détresse. Cet élément perturbateur,bousculateur, permet parfois d’ouvrir une piste.

Petite, pas si petite, j’ai été bouleversée de voir« Le Mystère Picasso ».(Henri-Georges Clouzot afilmé Pablo Picasso en train de peindre sur un sup-port transparent, la caméra étant dirigée vers leverso du support.) Quel bonheur pour moi de voirl’image se faire et se défaire se refaire et se redé-faire…

Comme ça va vite, j’ai l’impression que c’est lamain qui prend les devants. Quelle énergie ! Etcette faculté de changer d’avis en cours de routeparce qu’un petit élément fait de l’œil, même pé-riphérique ou bancal, un trois fois rien qui sonnele rien ne va plus, prends le dessus, se met à rayon-ner, quitte à mettre tout le reste au tapis. Tout cequ’il y de beau sous les tapis de Picasso !! des élé-ments recouverts, qui continuent à battre.

Chez tous, il y a matière à prendre, chez maGrand-mère ou Pablo Picasso et chez les voisinsd’à côté, de tous les côtés.

En ce moment, vous peignez et préparez une ex-position à Toulouse.« Mes peinturettes ». Elles sont petites, donc, dela taille de la paume d’une main, sur papier. Ellescommencent par un ciel, un grand coup avec unmédiocre pinceau. Les défauts du pinceau don-nent du relief à ce morceau bleu: ici le pinceau alâché un poil, et dans le geste de le récupérer, lacouche de peinture a été absorbée dans mon doigt,là c’est resté blanc, carrément blanc, le pinceaun’a pas pu délivrer comme ailleurs sa peinture, etici ça ressemble déjà à du vent, avec un sentier,un homme qui s’en vient, un pauvre chien qui lesuit. Parfois il suffira d’ajouter une oreille là, unbuisson qui donnera l’échelle ici, un trait pour ob-tenir un cerf-volant, une ombre pour définir lapente d’un sol, et voilà, devant moi se tient déjàtout un morceau de campagne, chuuut,

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↑Hélène Riff : Papa se met en quatre,Albin Michel Jeunesse

↓Hélène Riff : « Mes peinturettes »

z Pour prolonger la lecture de ce numéro et retrouver notre rubrique « Informations»consultez notre sitehttp://lajoieparleslivres.bnf.fr

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c’est comme une cabane, tout n’est pas dit et çatient à un fil.

Et vous avez un projet de livre en cours je crois ?Oui, « Les clefs », c’est certainement le titre de monprochain livre, ou bien « Petites histoires prisesdans un moment volé à la Sncf »

Ce sera quatre histoires.Il s’agira quatre fois pour la famille RIFF, de re-

trouver les clés. Ce sera passionnant.Pour l’instant c’est encore dans le tamis du

crayon, en train de prendre de l’élan, quel chara-bia, bon, je me tais.

Et puis, un jour, si j’y arrive, j’écrirais des chan-sons. ●

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↑Hélène Riff : Le Tout petit invité,Albin Michel JeunessePhoto : A.S.↗Malika Doray :3 petits livres spectacles, L’École des loisirs

Hélène Riff, peintures. Galerie « Le Confort des étranges », du 5 à la fin avril 2012. Le Tout petit invité, originaux. Librairie « Ombres blanches »,Toulouse

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Vous avez déjà publié de nombreux albums chezdes éditeurs pour la jeunesse qui innovent parleurs formes et déplacent les frontières de cequ’on entend par album pour la jeunesse. Quellessont les contraintes propres à ce type de créa-tion, à ce type d’édition (quelles relations se tis-sent avec vos interlocuteurs dans les maisonsd’édition)?

Malika Doray : Un projet s’il est un peu particu-lier, c’est un projet qui demande à une maisond’édition une certaine audace, mais surtout unsuivi qui prend du temps. C’est une question d’édi-teur, de maison, mais aussi de personnes au seinde cette maison.

Au départ, je viens avec des maquettes de prin-cipe, qui demandent déjà parfois à l’éditeur deprendre le temps de resserrer les choses. Et surtoutle dessin, le format, le papier ne sont déterminésqu’en fonction des discussions.

Dans une maison d’édition comme MeMo onvoit les choses en détail, pour chacun des titres:il y a des discussions autour du mode d’impres-sion, du papier, de la typographie. Chez Loulou &compagnie, Grégoire Solotareff dirige la collection,discute de chaque projet et Agnès Minoux s’occupede la fabrication, explore des solutions techniques.Dans les deux cas ça fonctionne de manière bienplus stimulante que contraignante, avec desséances en binômes autour d’une idée à réaliser.

Après, tout n’est pas possible. Un livre commeQuand ils ont su... (MeMo) n’aurait pas pu se faire sile Conseil Général du Val-de-Marne ne l’avait paschoisi pour l’offrir à tous les bébés du département.Quand un projet se construit, entre deux solutionson choisit la moins compliquée pour les commer-ciaux. Néanmoins, la marge de manœuvre resteétonnante avec des représentants qui, au milieude tous les livres qu’ils ont à défendre, ne re-noncent pas à présenter un livre pour moins detrois ans qui commence par « Si un jour tu es sanspapa et sans maman » (Si un jour…, L’École des loisirs)ou un livre qu’il faut lire une fois dans un sens etune fois dans l’autre (NON, MeMo).

Encore une fois, cela tient à des maisons et aussià des personnes. Et l’audace d’un livre ou d’un édi-teur n’est pas toujours dans le spectaculaire. Pu-blier Et après… (Didier Jeunesse) – un album pourpetits sur la mort d’une grand-mère –, en conser-vant ses 50 pages initiales c’était une forme d’au-dace. Proposer des couleurs gris et rouille, surpapier mat, aux tout-petits comme le fait MeMo(Lapin mon lapin), c’est très décalé par rapport auxstandards habituellement admis en petite en-fance.

Comment, dans votre travail, repoussez-vous,jouez-vous avec les spécificités de l’objet-livrepour inventer de nouvelles formes : rapporttexte-images, format... ?À une forme de pliage près, je n’ai pas le sentimentd’inventer grand chose. En revanche j’ai le senti-ment d’explorer des possibles.

Pour moi un livre c’est un tout : une forme, unemanipulation, un format, une matière, desimages, une mise en page, une typographie, untexte etc. Et on peut aussi bien prendre un textequ’un mode d’ouverture du livre comme point dedépart d’un projet. À partir de cette sensibilité-là

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MalikaDoray

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tous les jeux sont possibles, y compris sur des al-bums de facture très simple. Si le texte d’un projetse veut fort, on réduit au maximum le jeu autour(sur le format, les images, la typographie) pour nepas noyer le propos. Au final on a un livrepresqu’anormal dans la simplicité de sa facture.Mais ce livre est tout autant pensé, en tant qu’objet,qu’un livre en forme de lapin cartonné.

Inversement un livre en forme de lapin qui sedéplie en ribambelle n’est pas qu’un jeu de forme.Il m’intéresse parce que, dans son déploiement,il « raconte » comment on passe de l’unique aumultiple, de « tous la même forme » à « tous diffé-rents », de « tout seul » à « tous ensemble ». Dansce cas le texte est guidé par la forme, il est réduità son minimum pour l’épouser, mais il est toutautant pensé que dans un album.

Le lecteur a-t-il une place dans votre jeu, et si oui,quelle est cette place et qui est le lecteur auquelvous vous adressez ?Au départ je propose le projet parce qu’il m’inté-resse moi. Après, c’est une question de dosage, eten relecture, évidemment, on essaie de voir à quelpoint le livre est accessible au tout-petit et àl’adulte qui l’accompagne. Sur les livres ribam-belles, au début il n’y avait pas de texte et je resteconvaincue que les enfants auraient pu se passerde lui. En ajoutant une histoire écrite les imagesy ont perdu (les motifs des pyjamas des animauxont disparu pour pouvoir accueillir les textes) maison a facilité l’invitation du parent à trouver saplace dans le jeu.

Inversement pour Ce livre-là (MeMo), si on avaitjoué le jeu des standards de la petite enfance onperdait à mon sens tout l’intérêt du projet: pro-poser au tout-petit le plaisir d’appréhender unlivre visiblement fragile, lui offrir de temps entemps des mots qu’il ne comprend pas, en comp-tant sur sa relation à l’adulte pour demander (oupas) des éclaircissements.

Il n’y a pas de solution toute faite. On fait uneproposition, en essayant que ni l’adulte, ni l’en-fant ne soit totalement perdu. Parfois on invitel’adulte à imiter la démarche expérimentale dutout-petit (c’est le cas par exemple pour NON,MeMo), parfois on invite l’enfant à s’appuyersur la connaissance des mots de l’adulte, sur leson de sa voix. Et, entre les deux, il y a tous lespossibles.Quels sont les artistes et les œuvres qui ont mar-qué votre réflexion et, peut-être même, votretravail ? Quand j’étais enfant il y a eu Blanche- Neige de WarjaLavater, que j’ai vraiment appris à aimer parétapes, sur plusieurs années. Mais, dès le début,j’ai aimé ce livre accordéon modulable dans sa lon-gueur. C’est terrible mais je continue d’aimer leslivres parce qu’on a le droit de les fermer. Et puisil y avait les petits livres à fabriquer soi-même dePomme d’api. Adulte, il y a eu tout le catalogue desTrois Ourses, que j’ai beaucoup pratiqué quand jetravaillais avec les tout-petits. D’où, au-delà del’inventivité et de la limpidité des démarches quele catalogue continue de proposer, la convictionqu’on peut proposer des livres minimalistes, fra-giles, un peu élégants, aux tout-petits.●

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↓Malika Doray :Qiuand ils ont su,MeMoPhoto A. S.

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Quelles sont les contraintes propres à ce type decréation, à ce type d’édition (quelles relations setissent avec vos interlocuteurs dans les maisonsd’édition)?Olivier Douzou : Aucune contrainte en terme decréation sauf celle, sans doute, de m’imposer descontraintes – c’est-à-dire une règle du jeu avant dejouer – et de pouvoir proposer ce jeu au lecteur. Sou-vent ce jeu repose effectivement sur ce qui est ditavec le texte, avec les images, ou entre les deux…

Pour moi, faire des livres c’est résoudre un pro-blème que je me suis posé. Aucune contrainte desujet non plus, je ne m’interdis rien, ce n’est pasle lieu. Ensuite il y a nécessairement descontraintes dans la réalisation et la transmission.La réalisation repose aussi sur des modèles écono-miques, on en tient compte. Le cheminement versle lecteur est long, il passe par une chaîne deconviction «adulte », éditeur, diffuseur etc. avantd’être dans les mains du lecteur enfant.

Quant à ma relation avec les maisons d’édition,par mon propre rôle d’éditeur, j’avoue qu’elle n’estpas simple et certainement très éloignée deséchanges que peut attendre un auteur. Et s’il nem’a jamais été demandé de modifier un texte ouune image, je l’ai souvent regretté.

Comment, dans votre travail, repoussez-vous,jouez-vous avec les spécificités de l’objet-livrepour inventer de nouvelles formes : rapporttexte-images, format... ?

Le livre est un champ d’expérimentation, unespace libre, au départ si blanc qu’il ne semblerien attendre. Le livre me plaît car c’est l’objetmême parfaitement dispensable.

Je me suis toujours appliqué à ne pas reproduirema manière de raconter, j’ai des « tics » certainsmais, dans la relation entre le texte l’image, il mesemble que les histoires sont à l’infini. Le fonc-tionnement archaïque et simple du livre est enfait un réel catalyseur ; personnellement je m’entiens à cet aspect « rudimentaire » et j’aime commeil se déploie. C’est du pop-up virtuel après unegrosse compression, puis un espace que l’on peutoccuper à sa manière.

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OlivierDouzou

↑↗Olivier Douzou : Jojo la mache,

éditions du Rouergue, 1993 et

Fourmi, Rouergue, 2012↑

Olivier Douzou : Boucle d’or et les trois ours, Rouergue, 2011

↓Olivier Douzou, ill. Frédérique

Bertrand : Pierre et le l’ours, MeMo, 2007

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Le lecteur a-t-il une place dans votre jeu, et si oui,quelle est cette place et qui est le lecteur auquelvous vous adressez ?Je pense que l’on met en scène puis le jeu et l’in-terprétation nous échappent, même si les livrespossèdent des indices de lecture, de cadence deton etc. Il est impossible de savoir à qui l’ons’adresse. Le livre prémédité est un contresens,même s’il est programmé pour une réussite com-merciale. Je veux jouer avec ce lecteur qui n’a pasd’âge et qui n’est pas sensé savoir ; ce lecteur dontj’ignore totalement l’expérience, mais dont jeconnais la nature de « découvreur ». Ne s’adresse-t-on pas dans certains livres à des enfants qui nesavent pas lire ? Si mes livres sont taxés de s’adres-ser aux adultes c’est d’abord parce que j’en suisun et ensuite que j’ignore ce que peut en faire pré-cisément un enfant. Mon objectif est de faire dulivre l’objet le plus déformable ; celui qui prendtoutes les inclinaisons que lui donne chaque lec-teur pour rebondir.

Quels sont les artistes et les œuvres qui ont mar-qué votre réflexion et, peut-être même, votretravail ? Bonnard pour ses cadrages, Dubuffet qui s’évertueà oublier qu’il sait dessiner, Hergé pour la synthèseparfaite qu’il a su faire de la rencontre entre letexte et l’image. Et encore Satie, Tati, Philip Glass.J’aime tous ceux qui m’ont ouvert des champs...

Avant de rentrer par hasard dans ce livre jeu-nesse, je ne connaissais pas Sendak, j’aimais PaulKlee ou Willy Ronis pour les espaces qu’ils faisaientapparaître entre leurs œuvres et les légendes – déjàla rencontre ou l’écart entre mots et « images ».Klee le plus sûrement parce qu’il a dit un jour quele néo-primitif pouvait oublier qu’il sait. Je pensequ’un enfant sait oublier qu’il sait. Un enfant saitaussi qu’il ne sait pas tout. C’est un public idéal.J’aime aussi l’architecte Aldo Rossi pour ses bâti-ments qui rappellent les premiers assemblages del’enfance, les premiers émerveillements d’équilibreet de construction. Perec, Calvino, Queneau.

Mon goût pour les livres peut venir de tous ceux-là, qui m’ont un jour donné à leur manière uneidée de la liberté.●

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↑Olivier Douzou : Play, MeMo, 2007↑Olivier Douzou : Le Nez, MeMo,2006

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