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1 DOSSIER DE PRESSE Paul Haim Villa Beatrix Enea Galerie Georges-Pompidou ANGLET 6 décembre 2008 - 31 janvier 2009

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DOSSIER DE PRESSE

P a u l H a i m

V i l l a B e a t r i x E n e a Galerie Georges-Pompidou

A N G L E T 6 décembre 2008 - 31 janvier 2009

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P a u l H a i m L’aventure de l’art ou l’art de l’aventure

G U I D E P R A T I Q U E

Hommage à Paul Haim (Paris, 1921- Saint Laurent de Gosse, 2006) Marchand d’art, collectionneur, commissaire d’exposition et écrivain.

Parcours En 1943, Paul Haim ouvre sa première galerie d’art au Brésil. Dès 1948, il organise de multiples expositions à travers l’Amérique latine, l’Egypte, le Liban, le Portugal, l’Allemagne et la Belgique. En 1957, de retour à Paris, il ouvre la Galerie Europe, avec Michel Couturier et expose Klee, Kandinsky, Picasso, Brancusi, Wols, Fautrier, Klein… Depuis 1962, année où il crée sa propre galerie, n’a de cesse de parcourir le monde pour faire découvrir les grands maîtres de l’art moderne dont certains sont aussi ses amis. Paul Haim fut l’un des plus grands marchands d’art du demi-siècle dernier.

Composition de L’exposition présente une centaine d’œuvres, des peintures et des l’exposition sculptures issues de la Collection Paul Haim ainsi que des réalisations de Jeannette Leroy. Villa Beatrix Enea : peintures et sculptures d’artistes amis, parmi lesquels Bordes, César, Fauquet, Giacometti, Gonzalez, Léger, Federica Matta, Roberto Matta, Mazurovsky, Metcalf, Michaux, Moore, Oteiza, Picasso, Sanejouand, Spataru, Wols, Zao Wou-Ki, Zigor… ; Galerie Georges-Pompidou : Paul Haim intime, à travers ses écrits, et les réalisations picturales de l’artiste Jeannette Leroy, son épouse.

Dates Du 6 décembre 2008 au 31 janvier 2009.

Lieux Villa Beatrix Enea et Galerie Georges-Pompidou 2 et 12, rue Albert-le-Barillier, Anglet

Horaires Du mardi au samedi, de 10h à 12h et de 14h à 18h. Entrée libre.

Organisation et Service des Affaires culturelles de la Ville d’Anglet. renseignements Tél. 05 59 58 35 60 • Fax 05 59 58 35 61 • Site : www.anglet.fr

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Paul Haim L’aventure de l’art ou l’art de l’aventure

À cause du nazisme, son destin bascule. Paul Haim délaisse ses études de médecine, s’exile au Brésil où il mène une vie de joyeux fêtard avant que l’art contemporain ne s’empare de lui corps et âme pour le plus grand bien de ses amis, familiers, artistes et compagnons sur le chemin de l’aventure. RIO DE JANEIRO, 1941

Paul Haim arrive au Brésil au tout début des années 1940. Il a quitté Paris à bicyclette en direction du Sud, fuyant l’occupation et les arrestations de Juifs, traversé l’Espagne où il est incarcéré, avant de gagner Lisbonne où il s’embarquera pour Rio de Janeiro. À la même époque, le peintre français d’origine allemande, Max Ernst, a quitté Marseille et ses amis surréalistes pour Lisbonne d’où il arrivera à l’aéroport de La Guardia, à New York, en compagnie de Peggy Guggenheim. Pour subsister au Brésil, où son père, originaire de Smyrne (l’actuelle Izmir), avait déjà séjourné au début des années 1910 avant de regagner l’Europe pour y prendre femme, Paul Haim devient, tour à tour, contrebandier en bas nylon, chorus-boy au Copacabana Palace, enfin, visiteur médical jusqu’à Petropolis, la station de villégiature favorite de la bourgeoisie carioca. Dans les années quarante, le Brésil accueille de nombreux exilés européens fuyant les persécutions nazies, comme la femme peintre Vieira da Silva et son mari hongrois Arpad Szenes, les écrivains français Romain Rolland et Georges Bernanos, le peintre expressionniste allemand Lasar Segall et le poète, écrivain, biographe et grand voyageur anglais d’origine autrichienne Stefan Zweig, dont Paul Haim fera la connaissance la veille de son suicide à Petropolis. À vingt ans, il ouvre sa première galerie

Il finit par ouvrir une galerie d’art avec son associé Georges. En hommage à ce quartier de Paris qui fut au début du XXe siècle la capitale de l’art moderne ainsi qu’un véritable creuset de l’art où régnait une extraordinaire atmosphère de liberté et où se retrouvait à la terrasse du Dôme et de la Coupole tout ce que l’art de cette époque comptait de représentants notables. La Galerie Montparnasse se situe à Copacabana, l’un des quartiers de Rio, à l’époque capitale du Brésil et dont le plan d’aménagement avait été conçu par l’urbaniste français Agache. Paul Haim a vingt ans. En tant que directeur d’une galerie d’art, il est amené à s’intéresser à l’histoire et l’actualité artistique et culturelle du Brésil. Il découvre alors un pays qui a vécu, dans le premier tiers du vingtième siècle, les diverses avant-gardes internationales et qui s’est lancé dans les expériences picturales nouvelles avec une hardiesse peu commune dont témoignera, quelques années plus tard, la création de la Biennale de São Paulo qui, avec celle de Venise, en Europe, constitue l’une des manifestations les plus durables consacrées à l’avant-garde permanente. Dans leur galerie carioca, Paul Haim et son associé Georges exposent les artistes brésiliens modernes. Pancetti, le Marquet brésilien, et surtout Cándido Portinari (1903-1962), né à São Paulo, le plus célèbre des artistes brésiliens de l’époque, qui, après avoir suivi les cours de l’École nationale des Beaux-Arts de Rio, obtient une bourse de voyage d’étude qui lui donne la possibilité de se rendre à Paris où il découvre avec admiration l’œuvre de Pablo Picasso. La galerie Montparnasse, qui est une des premières galeries d’art moderne à avoir ouvert ses portes au Brésil, bien avant la galerie Domus à São Paulo, montre aussi les œuvres d’un peintre carioca Emiliano di Cavalcanti, illustrateur pour divers périodiques et un des organisateurs de la mythique Semaine d’art moderne, en 1922, dans la riche et industrielle métropole de São Paulo. Cavalcanti réside quelque temps à Paris où il fréquente

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Picasso, Cocteau et Léger. De retour dans son pays natal, il développe une version brésilienne du modernisme tout en critiquant l’art abstrait et prônant un art national. Paul Haim fait la connaissance de Michel Couturier, personnage hors du commun qui a réuni une exceptionnelle collection de peintres français qu’il souhaite exposer à travers l’Amérique latine. Il trouve en Paul Haim le collaborateur qu’il recherchait pour une telle entreprise continentale. De retour en France, Michel Couturier se consacrera aux visites d’ateliers d’artistes, de galeries et il fréquentera les salles de l’Hôtel Drouot en vue d’acquérir des tableaux dans le but de constituer de nouvelles collections. Paul Haim organisera des expositions, en mettant en place leur logistique, à Rio, São Paulo, Buenos Aires, Caracas et La Havane. Il commence par exposer la collection de Michel Couturier dans les salons du ministère brésilien de l’Éducation nationale construit pas Oscar Niemeyer et décoré par Cándido Portinari. Quatre cents tableaux de l’école française sont proposés à l’attention d’un public d’amateurs qui transformeront cette première tentative hors les murs de la galerie Montparnasse en un succès commercial puisque la moitié des tableaux fut vendue. Cette exposition permet de faire connaître outre-Atlantique des peintres de l’École de Paris comme, entre autres, Braque, Picasso, Miro, Modigliani, Chagall, Marquet, Utrillo. Mais ce sont des jeunes peintres figuratifs de tradition française appartenant au mouvement de la « Réalité poétique », apparus plus tard sur la scène artistique parisienne qui remportent le plus grand succès. Desnoyer, Chapelain-Midy, Brayer, Rohner, Brianchon, Humblot. Les choix picturaux de Michel Couturier l’ont porté plutôt vers des artistes d’expression figurative. Paul Haim se rend ensuite à São Paulo, choisit les salons de l’hôtel Esplanade, le palace de l’époque, pour y monter une exposition de la nouvelle collection réunie par Michel Couturier, qui obtiendra un triomphe. Ce type d’exposition renforçait une fois de plus l’intérêt des Brésiliens pour la création artistique française. Quelques années plus tôt, mais en sens inverse, l’écrivain Blaise Cendrars avait révélé le Brésil aux Parisiens en organisant à la galerie Percier une exposition de peintures de Tarsila do Amaral : un monde d’Afro-brésiliennes et de palmiers, d’usines et de ponts, solidement construit, vivement coloré, qui renouvelle l’imagerie de la modernité. Le marchand de couleurs

Les premières années de sa carrière de « marchand de couleurs » représentent pour Paul Haim un moment capital dans sa connaissance du monde et la formation de sa personnalité. La modernité du Brésil réside dans la constante remise en question de son identité. Les circonstances de sa vie ont voulu que ce soit par le Brésil puis l’Argentine et le Venezuela qu’a débuté son approche artistique et humaine de l’Amérique latine. Soutenu par l’Alliance française pour l’Argentine, et après maintes tracasseries douanières qui rappellent les démêlés d’Utrillo avec la douane américaine, Paul Haim expose à Buenos-Aires, la capitale d’un pays qui accéda à la prospérité avant ses voisins, des tableaux impressionnistes à la galerie Van Riel où l’inauguration eut lieu en présence d’Evita Perón. Au Venezuela, le pays le plus prospère d’Amérique latine grâce à sa rente pétrolière, Paul Haim montre une cinquantaine de tableaux (Dufy, De Vlaminck, Marquet, Rouault, Marie Laurencin, Bonnard, Renoir) dans le cadre d’une exposition au Musée des Beaux-Arts de Caracas qui connut un succès d’estime incroyable et dont les ventes, cette fois-là, furent exceptionnellement effectuées par les gardiens dudit musée ! Plus tard, à La Havane, dans une atmosphère de musique aphrodisiaque et d’érotisme incandescent, il vit une intense romance avec la secrétaire d’État aux Beaux-Arts avec laquelle il organise une nouvelle exposition de l’École de Paris (Braque, Modigliani, Picasso, etc.) au Capitolio Nacional dont l’inauguration eut lieu en présence du romancier américain Ernest Hemingway, du peintre cubain Wilfredo Lam, du romancier vénézuélien et ancien président de la République du Venezuela Rómulo Gallegos et de l’écrivain cubain Alejo Carpentier.

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Grâce à son travail de galeriste et comme collaborateur de Michel Couturier, Paul Haim devient l’artisan de la rencontre d’artistes modernes de premier plan entre Paris et Rio de Janeiro, puis entre Paris et La Havane. Il reste bien sûr sensible au climat, aux paysages, aux distances mais surtout à la réalité humaine de l’Amérique latine, et aux rencontres diverses et variées, voire rocambolesques de personnages atypiques — et en tant que grand séducteur, à la beauté de ses femmes. Le recul du temps nous permet aujourd’hui de mieux mesurer à quel point l’évolution de ces artistes latino-américains, surtout brésiliens, qui exposèrent à la galerie Montparnasse de Rio et plus tard en d’autres pays et continents parcourus par Paul Haim, s’est révélée exemplaire puisqu’ils ont su assumer sans contradiction apparente les formes d’un langage international, universel, à partir des prémisses spécifiquement brésiliennes, argentines, vénézuéliennes et cubaines. PARIS 1948

Sept ans après son départ précipité de Paris pour Rio, via l’Espagne et le Portugal, une fois la guerre finie, Paul Haim revient en France pendant quelques semaines pour y réunir des tableaux qu’il exposera à New York et à La Havane. Ce retour à Paris, sa ville natale, tant attendu de sa part, sera l’occasion pour lui de revivre des temps forts et déchirants de son enfance et son adolescence. C’est un retour aux sources sur des lieux où il a vécu avec sa famille, son pèlerinage « jusqu’au plus douloureux de sa mémoire », empreint d’émotion intense et de tension intérieure, un itinéraire préétabli qu’il parcourt en Simca de la Butte Montmartre jusqu’à la rue Chappe où vécurent ses cousins Jo et Henri — déportés à Bergen Belsen et morts le lendemain de la libération de leur camp —, en passant par le boulevard Barbès, la rue Erckmann-Chatrian où se trouvait son école, la rue Myrha et son cinéma Barbès, la rue d’Aboukir où vécurent ses cousins bulgares qui furent déportés et moururent en camp.... Ce bref séjour parisien est aussi l’occasion pour Paul Haim et sa compagne Karen, « une Nordique à figure d’ange » rencontrée à Rio, d’assister aux divers spectacles (théâtre, musique, cinéma) à l’affiche dans la capitale et de visiter certaines galeries d’art. Un jour, déambulant seul rue Saint-Louis-en-l’Île, il entre dans la galerie des Deux-Îles et y fait la rencontre déterminante de Michel Seuphor, poète, peintre et critique d’art belge qui a déjà tout un parcours artistique derrière lui. Seuphor lui raconte comment il a fondé « Cercle et Carré » avec le peintre uruguayen Joaquin Torres-Garcia, dans le but avoué de rassembler les artistes d’esprit constructiviste pour les opposer au surréalisme. Parmi les adhérents : Léger, Kandinsky, Pevsner et Arp. Cercle et Carré revendiquait un art constructif et géométrique face au surréalisme et à l’académisme naturaliste. La découverte de l’art abstrait

Michel Seuphor lui révèle des noms d’artistes jusqu’alors inconnus de lui comme Magnelli, Taueber, Severini, Delaunay. Après avoir dit deux mots d’une exposition qu’il prépare à la galerie Maeght, qui a ouvert ses portes en 1946 avec une exposition Henri Matisse, et qui porte le titre de « Les premiers maîtres de l’art abstrait », Seuphor lui parle de son grand ami le peintre hollandais Piet Mondrian qui a été le grand initiateur de la « plastique pure » dénommée néo-plasticisme, avec Van Doesburg. Seuphor a très bien connu Mondrian à Paris où il a vécu pendant vingt-trois ans sans avoir jamais eu d’exposition particulière. Pour subsister, Mondrian avait été, pendant presque toute son existence, peintre en fleurs sur porcelaine, ce qui, peut-être, explique sa détestation de la nature. Et Paul Haim d’apprendre de la bouche de Michel Seuphor, qui avait revu Mondrian dans son exil new-yorkais où il est mort en 1944, que le Musée d’Art Moderne de New York lui a organisé, en 1945, comme une victoire posthume, la rétrospective qui lui fut refusée de son vivant. C’était la reconnaissance internationale de celui qui fut, avec Malevitch, le grand initiateur de la peinture abstraite et géométrique.

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Tout en formant Paul Haim au monde très riche de l’art abstrait, Michel Seuphor le présente à des galeristes de premier plan comme Pierre Loeb, chez qui il voit ses premiers Riopelle, Mathieu, ou Denise René qui, en 1944, avait vidé son atelier de modiste pour exposer des œuvres graphiques de Vasarely avant d’ouvrir, rue La Boétie, sa galerie de tableaux où Paul découvre un art constructif : Dewasne, Lapique, Deyrolle, Domela et Magnelli. Puis Seuphor lui parle de New York et lui indique quelques noms d’artistes américains et adresses de galeries qui lui seront bien utiles pour son imminent voyage outre-Atlantique. Il le présente maintenant à Francis Picabia qui, en 1915, à New York, rencontre Marcel Duchamp et participe au mouvement dada. Pendant ses rares temps morts, Paul Haim lit et relit les textes de Michel Seuphor sur l’art abstrait, les noms de Maeght et de Carré lui deviennent familiers, et fait la découverte d’une peinture non figurative, plus lyrique avec Staël, Lanskoy et Bazaine. L’art abstrait qui n’avait jamais fait carrière à Paris revient vers la fin des années 1940 grâce à un artiste, aux antipodes de l’abstraction froide, d’origine allemande, Hans Hartung... L’art abstrait continue sa marche ascendante avec Soulages, Schneider et Bryen. Juste avant son départ pour les États-Unis, Michel Seuphor lui fait un dernier cadeau en le présentant à Fernand Léger qui est rentré à Paris, en 1946, de son exil de 5 ans aux États-Unis. Si l’œuvre de Léger est loin d’être finie, son style, lui, est pour l’essentiel fixé. Léger leur raconte comment il a découvert outre-Atlantique une civilisation machiniste qui l’a fasciné et qu’il n’avait pu que deviner dans la vieille Europe. Sa découverte de New York fut un éblouissement. NEW YORK 1948

Paul Haim a vingt-sept ans. Si New York n’est plus la capitale européenne de l’art, il n’en est pas moins vrai que de très nombreux artistes européens y vivent et travaillent encore, quand Paul Haim y séjourne pour la première fois. Ils étaient arrivés les uns après les autres au début des années 1940. Pour certains, la migration avait commencé au début du vingtième siècle, partis de divers pays d’Europe pour Paris où la vie artistique connaissait une formidable ébullition. Puis la défaite de la France, l’occupation du pays par les nazis et les persécutions antisémites avaient contraint beaucoup d’entre eux à reprendre leur balluchon et à quitter leur patrie d’adoption. Des Français se sont mêlés à eux pour rejoindre New York, la ville qui était devenue, en ces tristes temps, le symbole de la liberté ! Tous étaient déjà célèbres en Europe... Les voici, encore au moment où Paul Haim débarque à New York, réunis en une colonie cosmopolite qui compte dans ses rangs les plus riches talents du vieux continent, dont la dernière vague d’immigrants surréalistes qu’il rencontre à la brasserie Larre’s, le jour où il invite Roland Balai, le prince des marchands, à déjeuner et qui lui présente Yves Tanguy, André Breton, Marcel Duchamp, Enrico Donati et Max Ernst. Suivant les conseils de Michel Seuphor, il se rend dans le quartier de la 57e Rue, où fourmillent les galeries et grouille le monde du marché de l’art. Il découvre que les galeries et les musées programment surtout des artistes européens, notamment français. La Sidney Janis Gallery expose Robert Delaunay, les Wildenstein Galleries montrent le maître d’Ornans, Gustave Courbet, après avoir présenté une importante exposition Cézanne de 88 tableaux du maître d’Aix, provenant des collections américaines. Paul Haim est arrivé à New York avec une nouvelle collection de tableaux (Cézanne, Seurat, Renoir, Picasso, Braque) et de sculptures (Degas, Brancusi). Il les propose à des galeries comme la galerie Knoedler dont le directeur, Roland Balai, deviendra son conseiller et ami, ou la galerie Victor Hammer où il fait la connaissance d’Helena Rubinstein à qui il vendra un dessin de Picasso intitulé « Portrait de Dora Maar ». Il entre aussi en contact avec des collectionneurs comme le boulimique Joe Hirschhorn, le roi de l’aluminium, qui avait créé sa fondation et son propre musée à Washington et qui fait l’acquisition d’une sculpture de Constantin Brancusi portant le titre de « La tête de Prométhée ».

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« Je pressentais que si le marchand était le décideur de la cote d’un tableau, le tableau pour sa part contribuait à établir la cote du marchand. » Paul Haim, Marchand de couleurs La peinture moderne

Michel Seuphor lui avait aussi parlé du renouveau de la peinture américaine qu’il pouvait découvrir en visitant les galeries les plus ouvertes à l’art contemporain. Outre Sidney Janis, Betty Parsons et Samuel Kootz avaient ouvert à de jeunes peintres américains leur galerie quand Peggy Guggenheim ferme sa célèbre galerie new-yorkaise, Art of this Century, en 1947. Ils exposent Clifford Still, Ad Reinhardt, Mark Rothko, Franz Kline, Jackson Pollock, Willem de Kooning, Robert Motherwell.... En visitant le Whitney Museum, il y retrouve les mêmes peintres américains mais il est surtout attiré par l’œuvre du peintre arménien Arshile Gorki, chassé de son propre pays par la persécution turque et immigré aux États-Unis à l’âge de 15 ans. De très graves accidents de santé et des drames privés qui s’accumulent le poussent à se donner la mort, en 1948, dans son atelier du Connecticut. Paul Haim est profondément touché par cette œuvre d’une très grande sensibilité dont la qualité et la rigueur ont été un modèle pour les jeunes peintres aux États-Unis d’Amérique. En observant l’œuvre de ces peintres américains, Paul Haim reste frappé par les fréquents rapports qu’elle entretient avec l’œuvre des surréalistes et les artistes européens toujours à New York, car la peinture de ces artistes est née de deux sources distinctes dont la fusion est un apport tout à fait original de l’école de New York : ces deux sources sont l’espace cubiste et l’automatisme psychique du surréalisme. C’est André Breton, le pape du surréalisme, qui avait mis les artistes exilés en contact avec les peintres américains. Ces peintres que Paul Haim découvre à New York, en 1948, tout en développant son travail de marchand d’art auprès des galeristes et collectionneurs, lui apparaissent comme autant d’éléments du noyau de la nouvelle peinture expressionniste américaine qui ont su porter l’activité artistique à incandescence en des tableaux qui sont des sortes de paysages intérieurs. Ces peintres, qui constituent une véritable et authentique création américaine, se veulent avant tout modernes comme l’a si bien exprimé Jackson Pollock dans la revue d’avant-garde Possibilities : « Il me semble que le peintre moderne ne peut exprimer notre époque, l’avion, la bombe atomique, la radio, à travers les formes héritées de la Renaissance ou de toute autre culture du passé. Chaque époque trouve sa propre technique ». PARIS 1957

Après avoir définitivement fermé les portes de la Galerie Montparnasse à Rio de Janeiro, Paul Haim et Michel Couturier se retrouvent à Paris, en 1957, où ils ouvrent ensemble, rue de Seine, un nouvel espace d’exposition. La Galerie de Seine présente notamment les œuvres des artistes de l’École de Paris qui se caractérisent surtout par des tendances abstraites diverses et à forte composante gestuelle. Wols, initiateur de l’art informel, occupe le devant de la scène artistique internationale. Ce peintre berlinois, arrivé à Paris en 1933, fut interné dans des camps français au début de la Seconde Guerre mondiale. Il expose rue de Seine une œuvre très marquée par ses conditions de vie très difficiles pendant l’Occupation, qui l’ont fait sombrer dans une douloureuse dépression. Intéressé par l’écriture automatique des surréalistes, Wols avait décidé de faire de sa vie une œuvre totale, en liant l’art, la science, la philosophie et la vie. Sur les cimaises de la Galerie de Seine, le visiteur peut contempler sa peinture devenue, à partir de 1942, brutale, automatique et existentielle. D’autres expositions montées par Paul Haim montrent Wols comme l’inventeur du tachisme — qui est l’équivalent européen de l’ Action Painting de Jackson Pollock.

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La Galerie de Seine expose un autre précurseur de l’art informel qui fut aussi un résistant actif. Jean Fautrier y montre des toiles lyriques, des séries de paysages dont Jean Paulhan affirme qu’ils sont « plus nus que nature ». Matta, Michaux, Klein

Lors de son premier séjour à New York, en 1948, Paul Haim avait entendu parler pour la première fois de Roberto Matta, par Roland Balai, le directeur de la galerie Knoedler. Ce peintre, né au Chili, arrivé en France en 1931 où il rencontre Dali et Breton, est devenu un grand ami de Paul Haim qui l’expose souvent dans sa galerie parisienne. Matta, qui affirme peindre « pour que la liberté ne se change pas en statue », y montre des dessins et des peintures où il explore des espaces intérieurs et définit la sensualité « comme force de connaissance du monde » tout en développant une véritable poésie. Un autre adepte du dessin automatique et des recherches surréalistes a souvent les honneurs des cimaises de la galerie de Seine. Ecrivain, poète, grand voyageur, Henri Michaux y expose ses esquisses, ses danses, ses signes plus abstraits à l’encre de Chine où il cherche à dire autrement « l’espace du dedans » qu’il crée sous mescaline et expérimente les résultats de l’altération de sa perception. Paul Haim ne cesse pas pour autant de voyager à travers le monde et de monter des expositions internationales, notamment au Japon où il participe à la fondation de musées nationaux. Un autre artiste familier de la Galerie de Seine est Yves Klein — cofondateur des Nouveaux Réalistes —, dont l’œuvre influencera les artistes des générations suivantes tant en Europe qu’aux États-Unis. Il y présente ses monochromes de couleur et, après avoir déterminé un bleu outremer profond (IBK — International Blue Klein), Yves Klein montre des tableaux dont le bleu, sans cesse réutilisé, lui permet d’exprimer, selon la mystique rosicrucienne, « l’expansion infinie de l’Univers ». En d’autres occasions, il expose aussi ce qui a toujours été sa préoccupation essentielle, c’est-à-dire le vide, l’immatériel, avant de s’engager dans de nouvelles séries où il matérialise les traces des éléments atmosphériques (l’eau, le vent, la foudre, le feu) en manipulant, tel un chaman, les forces énergétiques de l’Univers. Ces artistes importants pour l’aventure de l’art du vingtième siècle ne donnent cependant qu’une idée très partielle de la programmation générale de la Galerie de Seine. SUR L’ADOUR

Puis vient l’époque où Paul Haim et sa femme Jeannette Leroy s’installent en 1980, entre les Landes et le Pays basque. Dès son arrivée sur les bords du fleuve, Paul Haim va s’attacher à réunir une nombreuse famille de sculptures monumentales dans le vaste jardin de sa maison, conçu et entretenu par Jeannette Leroy et le maître-jardinier Gilbert. Les dizaines de sculptures qui y ont trouvé leur espace vital représentent à la fois un moment très fort de son parcours d’homme de l’art et une défense et illustration de sculpteurs maintenant historiques et d’autres plus jeunes et non moins prometteurs qu’il a rencontrés au long de sa vie romanesque. Elles présentent aussi un étonnant intérêt pédagogique, puisqu’elles couvrent plus d’un siècle de créativité sculpturale. J’étais là des négociations infinies, des marchandages, des conversations oiseuses avec des amateurs incultes auxquels je rabâchais que la peinture n’a nul besoin d’exprimer autre chose qu’elle même.

Paul Haim, Tel un fil de pourpre

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Le jardin de sculpture et l’écriture

Ce jardin de sculptures est en expansion constante du vivant de Paul Haim qui aime à ajouter de nouvelles pièces monumentales au fur et à mesure qu’il est amené à vivre de nouvelles aventures artistiques. C’est ainsi que son profond intérêt pour la culture du Pays basque va le conduire à rencontrer Chillida et Oteiza qui sont très présents dans ce jardin enchanté. Les deux grandes sculptures d’Oteiza appartiennent à la seconde phase abstraite et géométrique du maître d’Orio. Elles établissent, du fait même de leur nature spatiale prépondérante, un dialogue intime avec l’espace environnant dans lequel elles s’inscrivent. Paul Haim a toujours manifesté une attention très vive pour la vie artistique, sociale et culturelle basque, sans omettre jamais l’histoire des Landes, notamment à travers des collectionneurs de premier plan. Paul Haim rencontrait les artistes des nouvelles générations dans leurs ateliers ou à l’occasion d’expositions dans des musées ou galeries de part et d’autre de la Bidassoa. Il les invite dans sa maison, les soutient dans leur désir d’exposer, les met en contact avec des responsables culturels et éventuellement se porte acquéreur d’œuvres qui viennent compléter une collection internationale déjà bien riche. Le sculpteur américain Mark di Suvero profitera de son séjour à Bilbao où il a été invité par les institutions muséales de la ville pour rejoindre en bus Paul Haim le temps d’une visite éclair afin de placer sa propre sculpture sur ces barthes magiques. Sa demeure est aussi le lieu de réunions animées entre amis, d’artistes ou amateurs d’art, certains débarquant des quatre coins du monde pour célébrer le culte de l’amitié qui caractérise si bien la responsabilité du maître des lieux.

Les années sur l’Adour vont faire naître chez Paul Haim le désir d’écrire. Il entreprend la rédaction, dans les années 1980-1990, de plusieurs romans ou nouvelles qu’il écrit, bien souvent, à partir de son vécu, plein de rebondissements, d’homme et d’aventurier de l’art. Son Roman de Guernica allie à merveille sa passion de Picasso qui, pour lui, était le plus grand maître du vingtième siècle, et son amour du Pays basque profondément meurtri par l’attaque nazie, sur ordre de Franco, le 26 avril 1937. Ce sont aussi des années de voyages avec sa femme Jeannette, dont l’œuvre picturale est exposée au Pays basque mais aussi à Barcelone, Paris et La Havane... À chaque fois, des dizaines d’amis se regroupent pour les accompagner et faire de ces expositions des prétextes à de véritables fêtes et de nouvelles aventures artistiques.

Jean-François Larralde, Historien de l’art Octobre 2008

“L’aventure et l’art m’ont tracé une voie royale. Chaque fois que j’évoque un épisode de ma vie, le souvenir que ma mémoire restitue lève, tel un perdreau caché dans les blés, l’image d’un tableau, d’un artiste, d’une œuvre d’art. L’art et l’aventure ont été mes deux passions. Loin de se contrarier, ces passions jumelles se fortifiaient l’une l’autre, s’entrelaçaient, s’embrassaient. Ce sont elles qui ont lancé sur les routes, en quête d’un ailleurs plus insaisissable que l’horizon, le marchand de couleurs que j’étais encore.” Paul Haim, extrait de Tel un fil de pourpre (L’Harmattan, 1996)

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L’œuvre littéraire de Paul Haim Entre réel et fiction

Un peu poussé par Jeannette, Paul Haim débute son œuvre littéraire dans sa maison de l’Adour en écrivant quotidiennement plusieurs heures par jour dans un bureau minuscule en soupente, devant un fenestron qui donne sur l’Adour. Il va sceller une sorte de pacte autobiographique mêlé de quelques détours fictionnels à travers des romans qui s’inspirent de personnages réels qu’il masque quelquefois par des prénoms d’emprunts mais dont les lecteurs ne sont jamais dupes. D’autres fois, sous forme de documents, il donne la parole à des artistes, sculpteurs et peintres, pour raconter l’histoire de ces rencontres avec eux d’où ne sont jamais exclus des moments de vie intimes et des réflexions personnelles sur le commerce de l’art. D’une plume sans détour, dans un style classique, il prend une direction plus romanesque et poétique lorsqu’il s’agit d’épancher ses sentiments amoureux comme dans Soledad et Montserrat. « J’ai entretenu avec Soledad, si charnelle, aimant l’amour à en mourir, une relation amoureuse virtuelle inoubliable ». Jamais cependant, il ne s’interdit des ajouts de l’imaginaire : « Ainsi l’auteur peut-il déborder les limites du vécu, affabuler pour mieux lier la vinaigrette romanesque qui permet d’intégrer d’autres vies, des vies imaginées. Les romanciers, a-t-on coutume de dire, sont des menteurs ». En fait, Paul Haim, un peu déçu par les maisons d’éditions et n’ayant pas trouvé un éditeur digne de ce nom qui le soutienne vraiment et le conseille, a toujours hésité entre le roman et le recueil de nouvelles, troublé devant la page blanche à chaque début de nouvelle aventure littéraire. « Chaque fois que j’évoque un épisode de ma vie, le souvenir que ma mémoire restitue lève, tel un perdreau caché dans les blés, l’image d’un tableau, d’un artiste, d’une œuvre d’art. L’art et l’aventure ont été mes deux passions. Loin de se contrarier, ces passions jumelles se fortifiaient l’une l’autre, s’entrelaçaient, s’embrassaient. Ce sont elles qui ont lancé sur les routes, en quête d’un ailleurs plus insaisissable que l’horizon, le marchand de couleurs que j’étais encore » avoue-t-il d’ailleurs dans Tel un fil de pourpre publié en 1995. Mais c’est le critique Bernard Lamarche-Vadel, décédé en 2000 et qui fût lui-même un grand collectionneur acharné (Beuys, Warhol, Klein, Arman, Merz) qui semble le mieux placé pour définir l’approche littéraire de Paul Haim. Dans sa préface au livre Marchand de couleurs, il affirme : « Le romancier Paul Haim est la superbe exagération d’un grand marchand de tableaux. Un homme a décidé de s’asseoir en face de la vérité de son existence pour l’écouter s’écrire… La vie pour Paul Haim fut toujours une sorte de pari monumental en faveur de la contravention aux préjugés, grâce à quoi ce qu’il écrit est déjà l’histoire, l’aventure de l’art moderne. Car ici le cavalier au galop l’emporte sur le comptable, l’explorateur sur le conservateur et l’artiste sur le greffier ». Peu de temps avant sa mort, Paul Haim avait entamé un roman malheureusement inachevé, dans lequel il comptait faire revivre ses amis ou redonner la vie à certains de ses personnages comme Vladimir, Anton, Edouard ou Eugénia, comme le fit le brave Conan Doyle pour son cher Sherlock Holmes à la demande de ses fans. Paul Haim était alors persuadé que la vie de ses personnages devenait à travers le filtre de son imaginaire plus vraie que la vraie vie qui fût tellement extraordinaire. En allant vers eux, avec modestie et amitié, il ne fit certainement qu’aller vers lui-même.

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Jeannette Leroy Une œuvre jubilatoire

L’agilité, la souplesse, l’instinct de liberté illuminent les toiles de Jeannette Leroy, à travers une espèce d’ivresse de couleurs et de sautillements savamment contenus.

Fille d’un collectionneur, arrière petite-fille d’un graveur réputé, Jeannette Leroy a dix-huit ans lorsqu’elle étudie à la Saint Martin School puis entre à l’Académie Julian où elle remporte le Premier Prix de peinture. Elle y rencontre Soulages et Zao Wou-Ki, et fréquente musiciens et écrivains parmi lesquels Schaeffer et Ionesco. Elle épouse un peintre dont elle se sépare huit ans plus tard, et entre au journal Elle, dirigé par Hélène Lazareff dont la devise « Du sérieux dans la frivolité, de l’ironie dans le grave » correspond parfaitement à sa personnalité décalée.

Rédactrice, Jeannette Leroy se voit proposer par le directeur artistique Peter Knapp de réaliser des photographies de mode. Ainsi, jusqu’en 1974, pendant la belle époque des magazines de mode, elle devient une photographe indépendante renommée, à laquelle les grands magazines tels Mademoiselle et Seventeen

proposent des sujets sur une dizaine de pages, en toute liberté créatrice. Puis, pour des raisons de santé, elle retrouve la solitude, la concentration et la précision du dessin, poussée par un marchand d’art, Paul Haim, rencontré dans les années soixante et avec lequel elle vit librement.

S’adonnant désormais au dessin et à la peinture, étudiant en détail les objets du quotidien – natures mortes, chiffons abandonnés, vieux journaux sur un coin de table – elle tente de percer l’évidence d’un moment, la vérité cachée. Les galeries et musées lui ouvrent leurs portes. Mais, en 1996, Jeannette Leroy décide de marquer une pause. Dans son atelier installé dans une vieille ferme sur les bords de l’Adour, inspirée par le fleuve énergique et le jardin habité de sculptures, elle tend une toile blanche de 6,5 m x 2 m et y fait jaillir les couleurs. Inlassablement, elle peint les ajoncs, les coquelicots, un ponton sur l’Adour, jouant des éclats de lumière, suggérant les mouvements de l’air, un peu à la manière des impressionnistes. À la mort de Paul Haim, en quête d’une œuvre plus épurée, elle réalise des encres noires sur papier et des huiles ; elle travaille la profondeur de champ ainsi que les transparences en intégrant d’autres couleurs sombres comme le violet, le marron ou le bleu. Sa vue diminuant, elle passe les couleurs par instinct, vivant ainsi une réelle aventure au gré des humeurs et des sentiments du jour. Jeannette que je retrouve le soir au coin du feu me parle de sa peinture, de son exigence vis-à-vis d’elle-même. Jeannette qui m’a tant apporté durant des décennies d’aventures professionnelles menées de part et d’autres tambour battant à travers le monde ; Jeannette aux valeurs de la vie les plus sûres, qui a su vaincre avec tant de patience mon inquiétude de juif errant au point de me faire aimer planter des arbres puis d’en observer la croissance… Paul Haim, roman inachevé, introduction, 2005-2006

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Sensations de l’œuvre de Jeannette Leroy Par ANTONIO NIEBLA PREMIER JOUR L’autoroute de Barcelone à Biarritz se fait longue et lente. Ma mémoire s’éclaire des rayons coloriés des gouaches de Jeannette Leroy. Je ne suis pas critique d’art et j’éprouve depuis toujours le besoin d’écrire ce que je vois et ce que je sens.

Je dois à Jeannette un texte qu’elle m’a affectueusement demandé. Le rouge, le jaune, le vert m’assaillent. Le blanc, le noir ? Je pense que le noir n’habite que le cœur de l’homme. Il est possible que le regard de Leroy se nourrisse dans la forêt où la lumière vibre sur les feuilles aux centaines de verts différents, qu’elle s’alimente du chant des oiseaux, de la crête arrogante des coqs à demi sauvages de son jardin, de la rumeurs des eaux de l’Adour, ou du rouge généreux du vin dans les verres, calices et kaléidoscopes, qu’elle offre, tel un sang divin, à sa table prodigue. Il est possible que son regard s’enrichisse de l’expression des bleus timides et fragiles des violettes. C’est ainsi que cette artiste habille ses idées et ses sentiments.

Le ciel est indéfinissable, parfois ironique, provoquant et chargé d’intensité au point que son souvenir incite à la peinture. Revenons à l’atelier-maison-jardin, territoire délimité à coups de cœur où cohabitent l’art et la nature. Depuis ma première visite, j’ai senti que la nostalgie (portée par l’illusion et il n’est pas d’art sans illusion) envahissait un espace unique et inconnu de ma mémoire. Tout a surgi, simple et naturel comme les abords du fleuve et cette maison choisie et élaborée pour devenir un nid d’amour.

Je me souviens de l’atelier inondé d’une lumière zénithale et néanmoins tamisée. Près de la table où travaille Jeannette, des photographies tels des morceaux de cœur lui rappellent les êtres les plus chers. Photos couleur que la mémoire rend grises, noires et blanches pour que la lumière jaillisse, et sur les tableaux la couleur aux aguets blottie comme une vérité essentielle en attente. Le dialogue qui émane de son œuvre est chantant et optimiste. Si vous écoutez des yeux, les formes vous invitent à une promenade, à travers la perspective du tableau, vers la lumière devenue espoir de liberté.

Avec la nudité de l’amour et la tendresse d’un regard enfant, la peinture de Jeannette Leroy devient un concert végétal d’eau, de terre et de feu, un concert d’amour et de crainte, puissant et délicat à la fois, timide et téméraire sans référence à rien qui soit édifié par l’homme. Il s’agit d’une manière, faite de sagesse, de vivre l’art ; une attitude passionnée et écologiste de vie sans hâte.

Chaque œuvre est une proposition, une confrontation du spectateur avec sa conscience. Une fuite qui mène sans fin à une autre fuite comme unique porte de salut. Sans autre chemin que le temps qui se déroule sous les yeux. Une offrande d’amour et de bonté. Un retour à la nature et la terre maternelle. Un avis aux navigants sur la mer devenue peinture.

Parfois, Jeannette Leroy pose sur la toile une couleur légère comme une plume d’oiseau se détachant du nid. D’autres fois, elle manifeste son caractère par des gestes du bras énergiques et contondants, comme un non catégorique devant la barbarie et l’injustice qui nous entourent.

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Jeannette Leroy, grâce à son chant fait de simplicité et de profondeur devant la vie, nous offre un constat sans condition : le seul futur est le présent qui renaît chaque jour avec le soleil et disparaît chaque soir, pour donner naissance, la nuit, au mystère et à la fertilité de l’amour.

Nous venons d’arriver. Nous arrêtons la voiture devant la porte du « Jardin d’amour ». Jeannette et Paul nous accueillent avec le cœur et l’affabilité qui les caractérisent. À leur table, l’hospitalité de toujours, les meilleurs vins, des nourritures spécifiques et la simplicité terrienne de la culture gastronomique la meilleure. SECOND JOUR Je pense que ce passage du réalisme du dessin au crayon gris, vers cet autre réalisme inéluctable de la couleur sans dessin est dû à une quête de liberté. Pour libérer le geste ni plus ni moins. Pour bondir du geste contenu du dessin figuratif vers la liberté-horizon de la couleur. Le ciel n’a jamais été uni à la mer jusqu’à ce que l’homme, pour se sentir plus libre, invente l’horizon afin qu’ils s’aiment dans le lointain. Sans doute l’utopie nous libère-t-elle. Et une fois encore pas d’art sans utopie. Je trouve le travail de Leroy plus puissant et plus libre lorsque la couleur devient son alliée ; après que la séduction de la nature et de son environnement se fasse complice de son amour de la vie, de l’amitié et de l’anticonformisme devant ce qui lui déplaît. Je crois que ses yeux de peintre s’emplissent et se dénudent de toute histoire et regardent sans rancœur. Maintenant, devant ses œuvres, j’ai la sensation que beaucoup d’entre elles sont des fenêtres ouvertes sur le rêve, sur des moments de sa vie qui deviennent la perspective d’un chemin à découvrir parsemé de souvenirs affectueux.

Nous sortons de l’atelier pour déambuler dans le jardin, un verre de vin à la main, dont l’arôme se mêle aux fragrances des fleurs qui nous entourent. C’est le second jour du printemps. Un petit air frais et humide nous éveille l’esprit. Nous nous dégourdissions les jambes le temps d’une courte promenade que notre âme apprécie. Les images de la nature et de la vie réelle s’emparent de nous. L’art continue d’être l’autre face du miroir, la belle image de la vie qui nous est nécessaire pour comprendre et apprécier plus encore l’existence que nous menons. Demain, je m’occuperai de rédiger le texte de Jeannette. Nous verrons bien ce qu’il en sortira…

Mars 2004 Texte extrait du catalogue d’exposition Galeria Barcelona