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Dossier DOSSIER [ [ [ [ NRP Juin 2014, n°22 Culture Maroc : un violeur ne pourra plus épouser sa victime pour échapper à la prison OUVERTURE ÉCONOMIQUE, GENRE ET EMPLOI DES FEMMES EN ALGÉRIE PARUTION / DJAOUT ET LES ARTS PLASTIQUES Metteur en signes WALID BOUCHAKOUR Hedir Mouloud Mémoire LUCETTE M. Benchicou « MAGHREB : Quels droits pour quelles femmes »

DOSSIER Dossier « MAGHREB : Quels droits pour quelles femmes · autorités à adopter une loi interdisant le mariage du violeur à sa violée€; le mariage des mineurs persistent

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DossierDOSSIER

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NRP Juin 2014, n°22

Culture

Maroc : un violeur ne pourra plus

épouser sa victime pour échapper à la prison

OUVERTURE ÉCONOMIQUE, GENRE

ET EMPLOI DES FEMMES EN ALGÉRIE

PARUTION / DJAOUT ET LES ARTS PLASTIQUES

Metteur en signes

WALID BOUCHAKOUR

Hedir Mouloud

MémoireLUCETTE

M. Benchicou

« MAGHREB : Quels droits

pour quelles femmes »

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Sommaire

La NRP est la nouvelle formule de la « Revue de presse », créée en 1956 par le centre des Glycines d’Alger.

[Attestation du ministère de l’information: A1 23, 7 février 1977]

Revue bimensuelle réalisée en collaboration avec le :

Ont collaboré à ce numéro

Ryad CHIKHI, Bernard JANICOT, Leila TENNCI, Fatima-Zohra ABDLLILAH,Ghalem DOUAR,

Lamya TENNCI, Sid Ahmed ABED, Mokhtar MEFTAH, Samir REBIAI

CENTRE DE DOCUMENTATION ECONOMIQUE ET SOCIALE

3, rue Kadiri Sid Ahmed, Oran • Tel: +213 41 40 85 83 • Courriel: [email protected]

Site web: www.cdesoran.org

Culture/Médias

PARUTION / DJAOUT ET LES ARTS PLASTIQUES

Metteur en signes

WALID BOUCHAKOUR , p.11-12

COLLOQUE NATIONAL À LAGHOUAT SUR LA LITTÉRATURE

FÉMININE D’EXPRESSION FRANÇAISE :

Une écriture dérangeante ?, Arezki BOUHAMAM, p.12

MémoireJUSTE ALGÉRIENNE. COMME UNE TISSURE

Une trajectoire remarquable

SARA KHARFI, p.13

LUCETTE ,M. Benchicou, p.14

Bibliographie, p.15

Dossier

« MAGHREB : Quels droits pour quelles femmes »

OUVERTURE ÉCONOMIQUE, GENRE ET EMPLOI DES FEMMES

EN ALGÉRIE, Hedir Mouloud, p.4-5

Oui, l’Islam est compatible avec le féminisme, p.6

«Le code comme le droit musulman sont des œuvres humaines

qui peuvent être réadaptées» ,Nadia Aït Zaï, p.7

Femmes au travail :Cadres mais pas responsables !, A.B., p.8

Les tensions autour de la condition féminine en Tunisie,

Samia Ammar,p.8-9

Maroc : un violeur ne pourra plus épouser sa victime pour

échapper à la prison, p.10

Près de 40.000 mineures sont mariées chaque année au

Maroc, p.10

[email protected]

N° 22, Juin 2014

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NRP, Juin 2014, n°22

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Editorial

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NRP, Juin 2014, n°22

Fatima Zohra ABDLILLAH et Mokhtar MEFTAH

Est-ce que le principe universel des lois est parvenu à développer la situation de la femmearabe et plus précisément de la femme maghrébine ?

La question de la femme préoccupe d’abord la femme elle-même et ensuite l’Etat et les acteursde la société civile. Les sociétés occidentales ont pu protéger la femme des différents délitscommis contre elle tel que la violence, et lui ont permis d’accéder aux différents domainessociétaux. Elle a aussi obtenu des droits qui étaient monopolisés totalement par l’hommedans les postes de responsabilité politique. Si la femme occidentale a réalisé une progressionremarquable, la femme maghrébine est à la recherche d’un statut qui lui assure une viecorrespondante à ses aspirations comme un individu vivant dans la société.

Au cours de cette dernière décennie la situation des femmes maghrébines a connu deschangements permanents et profonds; les différents gouvernements algériens, tunisiens etmarocains ont tenté de réformer leur code de la famille, mais n’y sont pas parvenus. Maintesquestions nous ont poussés à proposer le sujet de la femme maghrébine et surtoutl’inadaptation des lois universelles sur une société maghrébine, arabo- musulmane. L’Algérieen tant que pays arabo-musulman doit créer des lois qui se conforment avec la nature et lestraditions de ce pays, et les développer parallèlement avec les avancées juridiques.

Les articles choisis pour ce dossier donneront à nos lecteurs la possibilité d’apercevoir lesproblèmes de la femme sur plusieurs facettes et de faire la comparaison entre les trois pays.

En Algérie, l’accession des femmes à des postes dits intéressants dans les partis politiques etl’administration fait encore débat car elle est toujours privée de rejoindre ce statut. Le problèmeréside dans la culture de l’algérien qui n’accepte pas encore la femme leader.

Quant à la Tunisie, le fameux drame de l’égalité entre l’homme et la femme est le point deconflit opposant les « extrêmes islamistes » et les « extrêmes laïcs », en dépit du fait que lanouvelle constitution a attribué à la femme les mêmes droits que l’homme.

Au Maroc, la femme subit des malaises plus qu’au passé, le viol fait contre elle, a entrainé lesautorités à adopter une loi interdisant le mariage du violeur à sa violée ; le mariage des mineurspersistent dans les zones rurales, les parents veulent marier leurs petites filles pour qu’ellesne commettent pas des pratiques « «honteuses » et qu’elles échappent au célibat.

Néanmoins, la femme maghrébine reste toujours tiraillée entre les idéologies conservatriceset modernistes, et c’est cette polémique qui aggrave de plus en plus la cause de la femme. Ilfaut mener des études dans tous les branches scientifiques intéressant les femmes, dans toutesles couches sociales. A la fin nous voulons interpeller nos lecteurs et en particulier les femmes :comment peut-on redonner à la femme sa vraie place dans la société maghrébine ? Est ce queles lois appliquées concernant la femme au Maghreb vont garantir sa situation dans le futur ?

« MAGHREB : Quels droits

pour quelles femmes»

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NRP, Juin 2014, n°22

DOSSIER

Aborder la question du lien entre li-béralisation économique et com-merciale et genre, dans le contextealgérien, est loin d’être évident. Lalibéralisation de l’économie algé-rienne, dont l’avènement a pourtantsuivi l’échec retentissant d’uneforme sommaire et incohérente degestion économique qui confondaitplanification et ukases administra-tifs, reste pourtant fortement mar-quée, à ce jour encore, par le faitqu’elle a été, dans l’esprit des algé-riens, imposée dans le cadre d’unprogramme d’ajustement structurel,par les institutions financières inter-nationales.

Pour la question du genre, la problé-matique est relativement nouvelle àtravers le monde, elle est souventmal comprise et suscite générale-ment la controverse, y compris dansles sociétés les plus développées.Malgré cela, et même en Algérie, oùla place de la femme donne lieu à desdébats souvent très vifs et où l’argu-mentation peut revêtir quelquefoisdes aspects caricaturaux, il ne paraitpas plus mal qu’une telle perspectivepuisse être abordée, ne serait-ceque pour éclairer les esprits et pourmieux percevoir, loin des clichéssimplificateurs, la nature réelle desproblèmes qui peuvent agiter notresociété.

Dans ces conditions, tenter d’établirun lienparait d’autant plus malaiséque les deuxthèmes peuventparaître à priori

complètementdisjoints. L’objetessentiel de cettecourtecontribution est de montrer qu’iln’enest rien l’avantage qu’il y a àouvrir un telchamp d’investigation,apparaît immensesitôt que l’ondépasse les premiers à prioriet quel’on commence à en mesurer lesenjeux.On mesure vite à quel pointaborderle rôle et la place de lafemme dans l’espaceéconomiqueest d’une importance majeure,nonseulement parce que deschangementsimportants y sont àl’œuvre, mais aussiparce qu’il devientpossible de s’appuyersur des repèresobjectifs et mesurables, bienloin desquerelles à caractère doctrinal,religieuxou idéologique.

Le choix de focaliser sur une optiquetelleque celle de l’emploi desfemmes en Algéries’impose alors delui-même, puisqu’il s’agitsans aucundoute d’un des aspects sanscontesteles mieux documentés austadeactuel et celui, bien sûr, quirevêt une importancetout à faitsignif icative aux yeux ducitoyencomme de l’analysteéconomique.Comme on pourra s’enrendre compte,même si ellesrestent encorelargementperfectibles, les données

chiffrées déjà disponiblesrendentcompte de réalitésassezsurprenantes et qui méritentd’être évaluées,questionnées etbeaucoup mieux mises enlumièrequ’elles ne le sont aujourd’hui.Tousces aspects sont de nature à aideràjeter les bases d’un débat qui nemanquepas d’intérêt, sur la place dela femme dansla scène économique

algérienne, mais égalementsurl’eff icacité des politiquespubliqueset leur réel impactéconomique etsocial.

- Mieux comprendre laproblématique du genre dansle champ économique :A labase, ce concept de genre faitréférenceà «l’ensemble descaractéristiques associéesauxhommes et aux femmes dansune sociétéet dans uncontexte historique donnéetqui mettent l’accent sur lesrôles sociauxqui sont appris àtravers le processus desocialisationet qui changentselon les lieux et les époques».Il part de l’observationgénéraleque les hommes et lesfemmes tiennentdes rôles etoccupent des placesdifférentesdans la société, cequi, en soi, n’est ni positifninégatif, mais a souvent commeconséquences«de favoriser oude restreindre lescapacitésd’accéder et de bénéficier desretombées dudéveloppement».Dans lapratique, en effet, ce quin’estqu’une répartition detâches entre sexes f initpar

générer des inégalitéssignificativesdans l’accès auxbénéf ices dudéveloppementéconomique,notamment parce quelesfemmes s’y retrouvent plusvolontiersisolées, qu’elles ontmoins accès à l’informationetqu’elles exercent un contrôlepluslimité sur les ressources et

OUVERTURE ÉCONOMIQUE, GENRE

ET EMPLOI DES FEMMES EN ALGÉRIE

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sur les processusde prise dedécision. L’idée essentielle quiestderrière la mise en avant del’approchegenre dans la sphèreéconomique, c’estcelle de pouvoiragir pour modif ier desrôlespurement sociaux et qui ne sontdonc pasimmuables, dans le sens dela correctiondes inégalitéséconomiques et socialesauxquellesils finissent par donnerlieu.

- Le genre dans le contexteéconomique algérien :La perceptionde l’importance des questionsdegenre et de l’influence plus oumoinsimportante qu’elles peuventjouer dans lasphère économiquereste encore très faibleen Algérie.Au-delà des réalités quecettedimension genre peut

recouvrer, qu’elle soitdu restepositive ou négative, il s’agit làduconstat sans doute le plussignif icatif. Autantles politiqueséconomiques publiques, detoutenature et dans les secteurs, sontg é n é r a l e m e n t d o c u m e n t é e s ,évaluées et commentées(assezsouvent de manière véhémente)surleurs contenus, leurs orientationsoula qualité de leurs résultats, autant lelienqui pourrait être établi entre cespolitiqueset leurs conséquencesdifférenciées sur leshommes et lesfemmes, sur les difficultés oulesdiscriminations particulières quipeuventaffecter ces dernières, demême que sur lesconséquencessociales que cela pourrait révéler,nefait pas l’objet d’attention.

Il ne s’agit pas foncièrement d’undésintérêtporté au sort des hommeset des femmesen tant quecatégories particulières;mêmequand des statistiques sur legenre sontdisponibles, lescommentaires ne fontque lessurvoler, l’analyse implicite étantqueles rapports économiques etsociauxhommes-femmes sontparfaitement solublesà l’intérieurdes rapports économiquesetsociaux, considérés de manièregénérale.

L’idée que le développementéconomiquepourrait affecterhommes et femmes demanièredifférenciée reste encore très peuoupas du tout appréhendée. On peutsansdoute inférer ici que, dans la

perspectivequi est celle del’ensemble des approches.

Emploi féminin : une dynamiqueintéressante, mais des retardsencore considérables

A ce sujet, il faut sans doutecommencerpar souligner la mise enplace, au niveaudu gouvernement,d’une base de donnéessexo-spécif ique qui a commencé àrassemblertout un ensembled’informations statistiquesjusque-làdisséminées, concernantdifférentsaspects touchant au statutdesfemmes, qu’il s’agisse d’emploi,d’éducation,d’accès aux soins ou àdifférents programmesd’aides misen place par les pouvoirspublics.

Beaucoup, sans doute, parmiles éléments ponctuels quiressortent de cetter é f l e x i o n c o n c e r n a n tnotamment la place actuelledes femmes au sein de lasociétéalgérienne peuventapparaître commerelativement connus pourcertains, discutablespourd’autres ou même relevantd’interprétations biaisées,sinon encoremaldocumentées, pourd’autres.

Il est donc difficile, à coup sûr,d’en tirer des conclusionssatisfaisantes. Néanmoins,onpeut déjà considérer quel’approche qui est celle del’analyse – genre dephénomèneséconomiquesimportants comme celui de lalibéralisation économiquedansles pays endéveloppement, est d’uneimportance certaine, dans lamesure où elleamène,notamment, à s’interroger surla f inalité des politiqueséconomiques vuesdu point devue des hommes et desfemmes auxquels elles sontcensés s’adresser.

Pour revenir au cas algérien, iln’y a pas de doute qu’il s‘agit làd’un véritable talond’Achille denos politiques publiques,depuis de longues années.Lecas examiné ici, à savoir celuides données touchant àl’emploi féminin,montred’abord que nous

avons, là, affaire à un problèmesocial de grande ampleurqui,indépendamment del’appréciation que l’on peut enavoir, mérite de remonterdansles priorités du débatéconomique et social national.Il montre également dansquelsens devraient être, à l’avenir,ajustées et orientées lespolitiques publiquesen Algérie: quelle eff icacité peuventavoir, en effet, de tellespolitiques si elles ontpour effet,en bout de course, d’ignorerune bonne moitié despersonnes auxquelleselles sontadressées ?

Mars 2014

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08 Mars 2014

Contrairement aux féminismesoccidentaux, « séculiers », lesféminismes islamiques ne sont pasdes mouvements sociaux arrimés àun mouvement de libération desfemmes dans la société. Lesféministes islamistes pensentpouvoir atteindre l’égalité homme-femme via l’exégèse religieuse,l’« itjihad », l’effort d’interprétation,qui occupe une place importancedans la tradition islamique. Unemanière pour les femmes des’approprier à leur tour l’islam –chose qui n’est possible qu’avec unecertaine démocratisation del’interprétation. En 1987, laMarocaine Fatima Mernissi jette unpavé dans la mare avec sonouvrage Le harem politique, danslequel elle critique la véracité decertains hadiths, les« dits » duProphète, parfois sujets à caution.Pourquoi, se demande-t-elle,certains d’entre eux, d’un sexismemanifeste, ont-ils été conservés etd’autres, d’un avis plus nuancé,complètement oubliés ? Ladécennie suivante va voir émergerle premier courant du féminismeislamique. A partir des années 1990,les militantes adoptent une postureradicale et réclament la lecture duCoran « dans son esprit et pas danssa lettre ». Les textes, estiment-elles,doivent être historicisés, remis dansleur contexte.

Femmes et esclaves : même combat

Ce premier mouvement est le fait defemmes pieuses qui veulent rendreles textes égalitaires. Figure centralede ce courant, celui des « militantesféministes croyantes », AminaWadud, pilier de l’islam américain.ImamE, professeure d’étudesislamiques à la VirginiaCommonwealth University, elle faitpartie du mouvement dit « pro-foi »(« pro-faith »). Cette convertie afro-américaine s’est d’abord tournéeaprès sa conversion vers une visiontrès rigoriste de l’islam. A la fin desannées 80, elle se rapproche del’association indonésienne Sisters inIslam, la première organisation deféministes musulmanes. Elle publieraen 2005 Inside the GenderDjihad (littéralement « à l’intérieurdu djihad de genre »), son ouvrage le

plus radical. Amina Wadud réfutecertains passages du Coran, pointedes problèmes de traduction,réclame une remise en contexte,rejette un verset sexiste s’il lui paraîten contradiction avec la posturemoderne de l’islam. En 2005, ellebrise un tabou et mène une prièremixte dans une mosquée de NewYork. Elle n’est pas seule dans sadémarche cependant : desassociations similaires, qui militentpour un islam« inclusif », sont déjàapparues en Amérique du Nord, enEurope et en Afrique du Sud. En

France, une association,Homosexuel(le)s musulman(e)s deFrance (HM2F), a mené ennovembre 2012 la premièreprière « inclusive » et mixte ouverteaux homosexuels. HM2F est animéepar Ludovic-Mohamed Zahed,homosexuel et ex-salafiste, auteurde l’essaiautobiographique Le Coran et lachair.

S’appuyant sur le rôle que lesfemmes ont tenu dans les mosquéesen Arabie saoudite au 7e siècle,Amina Wadud prend pour témoinl’exemplarité de la viedu Prophète et l’égalité qui régnaitdans sa maison. Le Coran, rappelle-t-elle, reconnaît les femmes dans leurdiversité. Il s’adresse à elles aupluriel, comme pour les hommes.Elle rejette parconséquent « l’essentialisation » duféminin, qui a justifié historiquementun traitement différencié – et àterme a aussi justifié les violencesconjugales, via un verset qui autoriseexplicitement les hommes à frapper

leur femme. Ce passage estrejeté par les féministesislamiques car il entre encontradiction avec la visionégalitaire qu’elle dégage dutexte saint. Elle fait pour celaun parallèle avec l’esclavage,cité dans le Coran mais abolidepuis.

L’islam n’est pas la religion duProphète

Mais souvent, ce féminismeislamique naît dans « l’islampériphérique », dans les pays àmajorité chiite, au sein de ladiaspora musulmane enOccident, ou dans des zonesdu globe telles quel’Indonésie. Dans ce dernierpays, les femmes ont lapossibilité de devenir imames– ce qui leur est en partiecontesté par les oulémas – etmême d’accéder à la fonctionde mufti, le représentant desmusulmans à l’échelle d’unpays. Mais à l’exception duLiban et de l’Egypte qui ont vuleurs « précurseuses »apparaître bien avant les

années 1990, le féminismeislamique est quasi absent despays arabes, pourtant le centrenévralgique de l’islam. Car lesféministes islamiquess’inscrivent dans la continuitédu réformisme musulman de laf in du 19e siècle. A cetteépoque, des voix s’élèvent, quiremettent en causel’existence des écolesjuridiques et proposent derevenir au texte fondateurpour moderniser le religieux enouvrant la réflexion à tous leschamps de pensée : sociologie,philosophie… Au fil du temps,le féminisme islamique vairriguer tous les courants, duplus conservateur – lewahhabisme saoudien – auxFrères musulmans, ceux quiont le plus capté cet héritage,au point de créer leur dérivé,les « Sœurs musulmanes ».

Oui, l’Islam est compatible avec le féminismeFéminisme…islamique ? Un oxymore, pour beaucoup, deux mots a priori totalement contradictoires

quand ils sont mis côte à côte. Pourtant, le mouvement existe et il est relativement ancien, qui plus est. Al’instar de ce qui se passe dans les autres monothéismes – ces femmes qui réclament le droit d’être

ordonnées prêtres ou de devenir rabbins – l’islam est lui aussi traversé par des mouvements deréinterprétation du texte coranique pour en donner une interprétation plus favorable aux femmes. Et à

l’intérieur des féminismes islamiques, Stéphanie Latte Abdallah, enseignante à l’Institut français duProche-Orient, distingue trois courants distincts, certains plus intellectuels, d’autres plus militants.

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DOSSIER

«Le code comme le droit musulman sont des œuvres humaines quipeuvent être réadaptées»

-En tant que juriste, vous avez eu àanalyser le contenu du code de lafamille avant son amendement en2005. Est-il aussi inique quecertains le pensent ?Lorsque j’ai eu à analyser le textede 1984 relatif au droit de lafamille, je n’y ai vu que descontradictions avec lesdispositions constitutionnellesaffirmant les valeurs d’égalité etde non-discrimination.L’Algérienne, citoyenne dans lasphère publique agissant en sonnom propre, disparaissait dans lasphère privée pour n’être quel’ombre d’elle-même. Le code dela famille a été une loi qui nie à lafemme algérienne sonindividualité, sa reconnaissanceen tant que sujet de droit. Lelégislateur, lui a conçu une placedans la famille la faisant passer dela tutelle du père à celle du mari…N’étant pas maîtresse de sadestinée, l’Algérienne ne l’est pasnon plus de ses enfants. Bienqu’étant celle qui les élève, leséduque, les soigne, car ce rôle luia été attribué, elle n’en est pasresponsable juridiquement : latutelle est exercée par le père.Elle ne peut pas gérer son enfantni décider de quoi que soit pourlui. Quoi de plus inique qu’un textede loi qui n’accorde aucune placeà la femme dans la famille, sinonque celle de subir une injustice quisouvent se transforme enviolence ? Les statistiques ontdémontré que 75% des femmessont violentées par leur mari. Lahiérarchisation des sexesvéhiculée par le code de la familleest source de violence.   

-Pensez-vous que lesamendements de 2005 ont mis unterme à la situation de non-droitconsacrée par ce texte ?Les amendements de 2005 ontessayé de restructurerl’architecture familiale. L’égalitéentre les époux dans la gestionfamiliale a remplacé lahiérarchisation des sexes. Lasoumission de la femme à l’époux

a été supprimée, le devoird’obéissance de l’épouse et lanotion de chef de famille ont étéabrogés. Le rôle du tuteur achangé, bien qu’il soit encoreprésent dans la conclusion dumariage. Ce n’est pas lui quiconclut l’acte, ce sont les deuxépoux par l’échange deconsentement. D’autreschangements non moinsimportants ont été apportés.L’âge du mariage a été aligné surla capacité civile : 19 ans pourl’homme et la femme. Il a étéintroduit, dans les conditions aumariage, la présentation d’uncertif icat prénuptial qui doitattester de la bonne santé ou desmaladies du couple.Mais il est dommage de constaterque dans beaucoup de localités etvilles d’Algérie, ce document s’esttransformé en certif icat devirginité, ce qui est une violationde la loi. Les préposés à l’état civil(un service public) ne doivent pascéder aux mœurs ou auxagissements des familles enacceptant ce document ou enl’exigeant. Nous avions déjàdénoncé ces agissements en1996, mais cela perdure. Lelégislateur a tenu compte desproblèmes rencontrés par lesfemmes divorcées lors del’exercice de la garde etparticulièrement de la tutelle surles enfants. La tutelle est exercée

par le père en cours demariage ; lorsque la rupturedu lien conjugal intervient, latutelle est exercée par celuiou celle qui a la garde desenfants. C’est souvent lafemme qui bénéficie de latutelle sur les enfants, c’estune grande avancée. Le pèrea, en contrepartie, un droitde visite. Par contre, lafemme divorcée qui seremarie perd la garde de sesenfants. Beaucoup dedispositions sont encore àrevoir. Des dispositions quine sont aucunementadaptées à notre siècle.

-Est-il plus juste d’abrogertoutes les dispositions ducode ou d’en amender celles jugées non conformes auprincipe d’égalité entrehommes et femmesconsacrées par laConstitution ?L’essentiel est d’avoir faitadmettre que le code n’estpas sacré, comme ne l’estpas non plus le droitmusulman. Ce sont desœuvres humaines,susceptibles d’êtremodifiées ou abrogées... Ilfaut que le code de la familles’adapte au temps actuel.Plus d’égalité, plus de justicedans les relations entremembres d’une mêmefamille… Les valeursconstitutionnelles d’égalitéet de non-discriminationdoivent en être lesfondements. Les règles dudroit musulman peuventévoluer dans ce sens, pourpeu que la volonté politiquele veuille. Cela n’est pasinterdit. L’interprétation, ouijtihad, est un outil pouvantmener à l’égalité.

Nadia Aït Zaï est juriste etdirectrice du Centre d’informationpour les droits des enfants et des

femmes (Cidef).

09 Juin 2014

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DOSSIER

La femme algérienne a, depuis l’Indépendance, par-couru un long chemin semé d’embûches certes, maiscouronné de beaucoup de succès et de satisfactions. Lehic, c’est ce paradoxe qui fait qu’aujourd’hui encore letaux des femmes instruites qui travaillent est plus élevéque celui des hommes, alors que ces derniers restentplus nombreux à occuper les postes de responsabilité.

Pour preuve, le nombre de femmes qui travaillent a plusque doublé pour atteindre 17,5% en 2013. L’accès auxpostes de responsabilité et de décision reste aujourd’hui,le seul bémol, dans l’emploi de la gent féminine. Le tauxne dépasse pas en effet les 9%.

Une scolarisation massive des filles, un recul de l’anal-phabétisme et les mutations socio-économiques queconnaît le pays, sont autant de facteurs qui concourentà une redynamisation du marché de l’emploi en généralet l’activité féminine en particulier, selon la directrice dela population et de l’emploi auprès de l’Office nationaldes statistiques (ONS). L’effectif des femmes occupéesa été multiplié par 10 en l’espace de 36 ans (1977-2013).La part de l’emploi féminin sur l’emploi total a plus quedoublé passant de 7,6% en 1977 à 17,6% en 2013, alorsqu’au lendemain de l’indépendance, ce taux ne repré-sentait que 5,2%, précise Mme Lakehal. La populationoccupée est estimée à 10 788 000 personnes, soit untaux d’occupation de 28%. Les femmes constituent 1 904000 occupées, atteignant ainsi 17,6% de la populationoccupée totale. Le taux d’emploi (rapport populationoccupée à la population âgée de 15 ans et plus) est de39% au niveau national, 63,7% chez les hommes et 13,9%chez les femmes. Le niveau d’instruction universitaireconstitue pour la femme le garant pour accéder au mar-ché de l’emploi. Les données fournies par l’ONS mon-trent, pour leur part, que le taux des femmes instruitesoccupées est plus élevé que celui enregistré chez leshommes. On apprend, ainsi que 40,3% ont un niveauuniversitaire et 25% un niveau secondaire, contre 11% et21,1% chez les hommes. Ces données statistiques confir-ment l’évolution de l’intégration de la femme dans le

monde du travail et sa présence dans le monde del’emploi, représentant 19% de la population activetotale en 2013. Ainsi, la population active a été esti-mée à près de 11 964 000 personnes dont près de2,27 millions sont des femmes, soit 19% de la popu-lation active totale en 2013, précise encore MmeLakehal.

Paradoxalement, sur ce taux d’activité économi-que féminin peu de femmes accèdent aux : les fem-mes directrices, cadres de direction postes de res-ponsabilité et gérantes ne constituent que 9% del’ensemble de cette catégorie, selon l’ONS. L’Of-fice a relevé également que la gent féminine estplus touchée par le chômage, puisque son taux aatteint 29,1% en 2013, alors que la moyenne natio-nale était de 9,8%. L’absorption de cette demandemassive de travail féminin, sous le double effet del’accroissement démographique et de l’améliora-tion du niveau d’instruction, impose, selon MmeLakehal, un débat sur l’adéquation entre la forma-tion universitaire et l’offre de l’emploi.

08 Mars 2014

Femmes au travail

Cadres mais pas responsables !A.B.

Les tensions autour de la condition féminine en Tunisie

Pour expliquer la position et le combat des femmestunisiennes dans ce processus mouvant de la révolutionde janvier 2011, il est nécessaire de faire quelques rappelssocio-historiques. Il est de notoriété publique que laTunisie a toujours été à l’avant-garde des pays arabes etmusulmans en matière des droits des femmes…Pourtant le mouvement féministe semble devoir, depuisson existence, faire un choix de modèle de société:modèle à référence religieuse valorisant tradition etappartenance arabo-musulmane ou modèle s’inspirantdes valeurs universelles? La réponse est plutôt unefluctuation et interconnexion  entre les deux…

Conservatisme et modernitéLa femme a évolué (et évolue encore) dans deuxdirections qui s’affrontent, se confrontent, et parfois secomplètent. Il faut distinguer en Tunisie entre tradition

et conservatisme. Si dans le milieu rural le modèlede société est plus de l’ordre du traditionnel, c’estle conservatisme qui domine dans le milieu urbain.Dans le milieu rural et semi-nomade la femme atoujours travaillé, essentiellement dans les champs.Son habit de type bédouin, la ‘fouta’ la ‘melya’ etc., était adapté à son travail. Dans les villes les femmesdes notables ne travaillaient pas. Leur habit étaitd’influence orientale (ottomane), et quand ellesortait elle portait le ‘sefséri’ (voile blanc) et le‘khimar’, voilette qui cachait le visage, réminiscencedes harems (le harem étant la possession d’unmaitre, il ne se partage pas). Notons ici que le mot‘hAram’ veut dire ‘épouse’ et ‘H’ram’ veut dire‘interdit’ ou ‘pêché’. Les couches populairesurbaines, elles, souvent issues du milieu rural -servantes, femmes travaillant au marché, etc ..- 

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DOSSIERportaient également des vêtements de type urbain, maissans se voiler le visage.

Dans les années 70, on est en présence, d’un côté d’unesociété, du moins en ville, où les femmes sont en jupecourte, fument et s’installent librement dans les bars etles cafés, elles sont féministes et jouissent de droitségaux avec les hommes (à peu d’exceptions) ; d’un autrecôté existe une société ne se référant plus seulementau mode traditionnel mais à un mode identitaire serevendiquant de l’Islam. Avec les concessions faites auxIslamistes par le parti au pouvoir et l’autorisation deBourguiba de la diffusion de l’islam afin de contrecarrernotamment une gauche syndicale et politique, s’estouverte une brèche dans laquelle est née une notionidentitaire panislamique vis-à-vis duquel Bourguiba amanifesté publiquement son aversion.

On voit brusquement le voile intégral (de type afghan ouiranien) apparaître,comme signe opposé au‘sefséri’, connotétraditionnel. A cepropos, des scènes trèscélèbres des années 60montrant Bourguibaôtant lui-même le voiled’une femme ont étélargement médiatisées.Il accompagnait le gestede ces paroles:«pourquoi te caches-tu?de quoi as-tu honte? tues belle et libre».

Par effet d’autodéfense peut-être, lesfemmes, ouvrières etintellectuelles, se sontde plus en plus alliées au mouvement syndical (rappelonsque l’UGTT a joué et joue encore un rôle dominant). Leparadoxe est que d’une part, on a libéré la femme en lasortant d’une économie familiale et informelle et en luidonnant le statut de salariée, mais d’autre part, par lefait des concessions faites, à des fin politiques auxIslamistes on a recommencé à lui rappeler sonappartenance à une société arabo-musulmane, avectoutes ses implications quant au statut de la femme…

La femme a donc petit à petit, pris une place trèsimportante dans la vie économique, et ce dans tous lesdomaines (de récentes statistiques parlent d’environ 41%dans la fonction publique, de 18.000 femmes chefsd’entreprises ...), avec toutefois des discriminationssexistes, comme le travail à mi-temps imposé auxfemmes ou, surtout dans les régions rurales, unerémunération inégale pour un travail égal à l’homme.

Le rôle de la femme dans la révolution ‘du jasmin’Des acquis importants, un taux de scolarisationexceptionnel dans le monde arabe, une forteparticipation dans la vie économique, une dynamique

associative : dans ces conditions il n’est pasétonnant que la femme fut au cœur du processusrévolutionnaire qui commença en 2008 avec lesproblèmes du bassin minier (*), et qui aboutit audépart de Ben Ali le 14 janvier 2011.

Il est très important de noter que cette révolutionde janvier 2011 fut MIXTE. Les femmes étaient surtous les fronts; pour preuve, toutes les icones de larévolution sont des femmes! … De nombreuxexemples témoignent du caractère combatif desfemmes même dans des conditions d’intensepression : une jeune étudiante (non partisane) adéfié les Salafistes qui ont remplacé le drapeautunisien (au fronton du bâtiment de l’université dela Manouba) par leur drapeau noir. Elle osaescalader les murs en leur présence pour retirerleur fanion et remettre le drapeau national…Aujourd’hui les femmes ont dépassé leur slogan

du temps de Tahar Haddad, « Nous pour nous-mêmes », elles luttent pour LA cause féminine!

Certes, beaucoup sont aujourd’hui désabusées etamères mais si les intimidations et les sanctionsinfligées par les Islamistes ont réussi à effrayercertaines femmes, elles n’ont fait que raviver lacombativité de beaucoup d’autres. L’expressionféministe est malgré tout en train de fleurir. Lesfemmes sont plus que jamais convaincues de leurliberté, leur droit à la parole, à l’égalité, à la vieéconomique et politique, bref, de leurs droits,même les femmes analphabètes au fin fond descampagnes. Et ça, c’est le dernier acquis, un desrares bénéf ices de cette révolution dite duprintemps, nageant en plein automne.

Samia Ammar

11 Mars 2014

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DOSSIERMaroc : un violeur ne pourra plus

épouser sa victime pour échapper à la prison

Les députés marocains ont votémercredi soir un amendement aucode pénal supprimant la possibilitépour un violeur d’épouser sa victimeafin d’échapper à la prison. Unevictoire importante pour les droitsdes femmes dans le royaume.

Au Maroc, et au-delà, l’histoiretragique de la jeune Amina Filali estencore dans toutes les mémoires.Contrainte d’épouser celui qui l’avaitviolée, cette jeune-fille de 16 anss’était donné la mort le 10 mars 2012.Mais la pratique qui permettait auvioleur d’échapper à la prison et à lafamille de la victime de sauver lesapparences est désormais aboliedans la loi. Mercredi 22 janvier ausoir, les députés marocains ont votéà l’unanimité des présents unamendement du code pénalsupprimant un alinéa décrié del’article 475.Une victoire pour lesdéfenseurs des droits de l’homme etles progressistes de tous bords quifait suite à un feu vert dugouvernement islamiste deAbdelaziz Benkirane (Parti de lajustice et du développement, PJD)et un vote positif préalable à lachambre des conseillers en mars2013. «Aujourd’hui, Amina Filali peutenfin reposer en paix. Depuis 2012,il a fallu attendre et c’est grâce à lalutte menée par les ONG et lamobilisation de certains groupesparlementaires que nous avons puaboutir», a réagi auprès la députéedu parti Authenticité et modernité(PAM), Khadija Rouissi.Mais lecombat des femmes marocaines estloin d’être terminé. F in 2012, la

ministre de la Famille, BassimaHakkaoui, avait indiqué que sixmill ions de femmes - sur unepopulation totale de 34 millionsd’habitants - étaient victimes deviolences au Maroc, dont plus de lamoitié dans le cadreconjugal.Amnesty International s’est

notamment félicité du vote desdéputés marocains, saluant dans uncommuniqué «un pas dans la bonnedirection». Mais l’ONG basée àLondres a elle aussi fait valoir lanécessité d’une «stratégie globalepour protéger les femmes et lesjeunes filles des violences».«C’est unpas très important, mais qui n’est passuff isant (...), conf irme FatimaMaghnaoui, responsable d’une ONGsoutenant les victimes de violences.Nous appelons à une révisioncomplète du code pénal pour lesfemmes», poursuit-elle.Un projet deloi devant permettre de sanctionnersévèrement leurs auteurs deviolences envers les femmes faitactuellement l’objet de vifs débats

et, face aux critiques, legouvernement a été contraintde revoir sa copie. Et mercredi,l’ONG internationale Avaaz aaff irmé avoir remis auParlement une pétition de plusd’un mill ion de signaturesexhortant les autorités àaboutir au plus vite dans cedossier.Dix ans aprèsl’adoption de la moudawana(code de la famille), lesdéfenseurs des droits desfemmes au Maroc peuvents’appuyer sur la nouvelleconstitution de 2011, rédigéeen plein Printemps arabe, quiconsacre «l’égalité des droits»et exhorte l’État à œuvrer pourla parité. Mais parmi lescombats qui sont menés pourles droits des femmes figurentencore l’ interdiction dumariage des mineures, permis

au Maroc par le même code dela famille à la faveur dedérogations des juges.De 30000 en 2008, le nombre de casest passé à plus de 35 000 en2010 et avoisine désormais les40 000, selon des chiffresofficiels et ceux d’ONG. «Il fautmettre fin aux dérogations. Onpousse les jeunes filles à arrêterleur scolarité et on les poussepar la même à la précarité», adéploré Khadija Rouissi.

(Avec AFP)

Près de 40.000 mineures sont mariées chaque année au Maroc

D’après des statistiques officielles.Ces mariages précoces concernentsouvent des jeunes filles âgées demoins de 15 ans, révèle Anaruz, ré-seau national des centres d’écoutedes femmes victimes de violence.

Le phénomène est très répandu auMaroc malgré l’adoption du nouveaucode de la famille (Moudawana),fixant à 18 ans l’âge légal du mariage.Toutefois le mariage de jeunes fillesmineures est encore possible dansle pays, si le juge de la famille endonne l’autorisation.

La majorité des magistrats se réfè-rent uniquement aux parents pourcontracter ces mariages de jeunesfilles mineures, dont 25% sont âgées

de 15 ans, parfois moins, lors del’authentification du mariage, relèveAnaruz.

Les hommes profitent d’une dispo-sition du code de la famille, qui leurdonne jusqu’à 5 ans pour déclarerleur mariage aux tribunaux. L’alinéa4 de l’article 16 du code la famille(Moudawana) nous apprend que«l’action en reconnaissance de ma-riage est recevable pendant une pé-riode transitoire ne dépassant pascinq ans».Plusieurs ONG de défensedes droits des femmes contactéespar nos soins, nous ont révélé plu-sieurs cas de mariage de jeunes fillesâgées de moins de 12 ans dans cer-taines régions reculées du pays.

D’après les mêmes sources, lesstatistiques officielles ne reflè-tent pas la réalité, même si el-les font état d’une hausse dunombre de mariage de mineu-res.

L’adoption du nouveau codede la famille n’a pas freinécette tendance, preuve en estles statistiques officielles, se-lon lesquelles, le nombre decas de mariage de mineures,est passé de 18.341 cas en2004 à 39.000 en 2011.

25 Décembre 2013

23 Janvier 2014

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[CULTURE/MÉDIAS]

PARUTION / DJAOUT ET LES ARTS PLASTIQUES

Metteur en signes

Poète, romancier et journaliste,Tahar Djaout était...un fin connais-seur du monde de la peinturealgérienne…Dans sa riche produc-tion de journaliste culturel…, les artsplastiques sont la discipline la mieuxreprésentée avec la littérature. En-tre son premier compte rendu d’uneexposition de Martinez dans El Mou-djahid Culturel en 1976 et ses derniersportraits de jeunes artistes dans Al-gérie Actualité à l’aube des années90’, Djaout n’a cessé de scruter lestendances, les développements etles impasses qu’a connus la scènepicturale…,tant sur les plans politi-que et économique que culturel del’Algérie. L’ensemble de cesarticles…a été regroupé en un beaulivre édité par les éditions Kalimasous le titre Une mémoire mise en si-gnes (écrits sur l’art). Un documentprécieux pour l’histoire de l’art enAlgérie…Les concepteurs del’ouvrage ont opté pour un ordrethématique…, mais la préface deHamid Nacer- Khodja et la postfacede Michel Georges Bernard, ainsique les notices biographiques desartistes cités permettent de replacerles textes dans leurcontexte…Tahar Djaout a vécu l’ef-fervescence de la peinture du signepost-Aouchem, avec ses réussites etses limites, il a analysé la crisemultifactorielle des années 80’ et aporté les espoirs de renouveau de1988. Djaout n’est certes pas un cri-tique d’art professionnel, mais soninstinct de poète et sa largeculture…lui ont permis de navigueravec assurance dans le monde desarts plastiques. Il militera pour unepeinture libérée de tous les carcans,y compris celui de «l’authenticité»…et celui de l’engagement «révolu-tionnaire» quand il se résumait à desslogans vides de sens pour artistesen mal d’inspiration. Sur la trentained’articles réunis, on notera queDjaout évoque surtout les artistesqu’il aime et qu’il admire... Son exi-gence d’honnêteté intellectuelle…l’amèneront à multiplier les entre-tiens et les enquêtes sur le terrainafin de donner l’image la plus fidèlede son sujet. Deux événements bali-sent la période que recouvrent lesarticles de Djaout… : la consécrationde Martinez par sa première rétros-

pective en 1976, et le décès deMohamed Khadda en 1991…Martinez est l’artiste le mieux repré-senté…, avec pas moins de cinq arti-cles,... Il apprécie ses recherches surle patrimoine culturel et,… les liber-tés qu’il prend à redéfinir ses élé-ments dans son œuvre… Cette affi-nité peut...s’expliquer par l’intérêtque portait Martinez à la poésie etqui se concrétisera par plusieurs il-lustrations de recueils poétiquesdont deux de Djaout. Au-delà d’unesimple collaboration entre un pein-tre et un poète, Djaout y voyait undialogue et des correspondancespossibles entre les deux disciplines

artistiques… La même aspiration àla fusion entre l’écrit et l’imagedonne naissance à L’Oiseau minéral,recueil de huit poèmes de Djaout il-lustrés par Mohamed Khadda. Cedernier donnera plus tard le mêmetitre à une œuvre inspirée de la poé-sie de Djaout,...Parmi les fondateursde la peinture algérienne moderne,Khadda est…celui dont Djaout sesentait le plus proche. Il appréciaitchez lui l’effort de réflexion…etcitait…ses écrits en guise d’éclairagedans ses articles. Il estimait égale-ment son engagement citoyen et sonmilitantisme politique. Mais l’affinitéentre les deux artistes…se situe pré-

cisément sur le plan artistique.L’auteur de L’invention du désertappréciait chez Khadda cette recher-che d’absolu à travers le dépouille-ment des formes et del’expression…Dans un autre articleà propos des pionniers de l’art mo-derne algérien…Djaout admire…larévolte de «l’écorché vif», Issiakhem,et se laisse volontiers séduire parl’enchanteresse simplicité des com-positions de Baya…S’agissant deKhadda,…Là encore, le poète trouveà lire dans la peinture… : «Le pein-tre, calligraphe et décrypteur, par-venu au terme de son alphabet et desa lecture, peut enfin exhumer etnommer les veines et les rythmes sou-terrains, les signes essentiels dumonde». Parmi les articles de Djaout,on retrouve… une interview, réali-sée en 1981 pour Algérie- Actualité,où Issiakhem se confie longuementsur ses visions artistiques et ses ju-gements sur l’évolution de la scèneartistique…fasciné par ce géant dela peinture qui se refusait à toutemystification…Le peintre revientsur les difficultés qu’il y avait à impo-ser un art pictural algérien…Ilévoque…les espoirs de l’indépen-dance et la création de l’Union natio-nale des arts plastiques…Iljuge…sévèrement l’usage abusif dusigne sous prétexte,…de quêteidentitaire et le replace comme unélément parmi d’autres dans l’évo-lution d’un artiste. Interrogé surl’évolution de son œuvre, Issiakhemrépondra avec son sens de la formulecinglante : «Avant la guerre, c’étaitla souffrance, durant la guerre, c’étaitla souffrance et après la guerre, il y aeu encore la souffrance. Il y a une con-tinuité dans mon œuvre.» Plus tard,Djaout rendra un vibrant hommageau peintre décédé en 1985 à traversun article intitulé Faire avouer auxchoses leur vérité...Djaout s’intéres-sait également aux artistes de sagénération, tels que Rachid Koraïchi,Arezki Larbi,… La sculpture et la gra-vure trouvent également leursplaces,…avec le graveur MokhtarDjaâfer…Son séjour…à Paris per-met à Djaout de connaître et de faireconnaître les artistes algériens qui yvivent, à l’ image de RachidKhimoune, Abderrahmane Ould

WALID BOUCHAKOUR

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[CULTURE/MÉDIAS]

27 Avril 2014

31 Mai 2014

Les écrivaines algériennes, uneé c r i t u r e   é m e r g e n t e   o udérangeante ; l’écriture fémininedans ce qui a été appelé «lalittérature d’urgence» dans lesannées 1990 ; l’héroïne dans lestextes romanesques, entre sourced’inspiration littéraire ou symbole durepère identitaire social… ce sont làles axes de réflexion abordés lors duColloque national sur la littératureféminine d’expression françaiseorganisé… par le département defrançais de l’université Ammar-Télidji

de Laghouat. En effet, durant deuxjours, la femme algérienne écrivaine,l’écriture féminine, la femme dans lalittérature…ont été autant dethèmes traités par d’éminentsprofesseurs venus de Ouargla,Biskra, Oran, ainsi que d’autresuniversités du pays.

La participation d’Agnès Spiquel,professeur à l’université deValenciennes, a sensiblementrehaussé les travaux de cettemanifestation dont le comitéscientifique a été présidé par le Pr

COLLOQUE NATIONAL À LAGHOUAT SUR LA LITTÉRATURE FÉMININE D’EXPRESSION FRANÇAISE

Une écriture dérangeante ?

Foudil Dahou (université Kasdi-Merbah de Ouargla).

C’est en paraphrasant Maïssa Bey,éminente femme de lettres qui aécrit plusieurs ouvrages, notammentdes romans, que les organisateursdu colloque ont choisi de mettre enrelief la problématique de la femmealgérienne dans la l ittératured’expression française. »Il a falluqu’un jour, je ressente l’urgence dedire, de ‘porter la parole’, comme onpourrait  porter un flambeau. C’étaitune nécessité devant la menace  deplus en  plus précise de confiscationde la parole. De la parole féminine,mais pas seulement. Je n’avais, je n’aiplus le droit de continuer à mecomplaire dans une contemplationtrop souvent narcissique et stérile»,disait cette écrivaine, qui a reçu lePrix des libraires algériens en 2005.

En effet, loin de l’ idéologieféministe, l’émergence d’une voixau féminin dans la l ittératurealgérienne d’expression françaisene suit pas la même cadence quecelle de la gent masculine. Sareprésentation sociale la veut pluslente, peut-être moins audible. Enbrisant la parole latente à laquelle latradition les astreint, ces femmes quidisent, se lancent dans une paroleaventureuse.

La  femme n’intervient-elle pas parsa féminité ou ce qu’elle en sous -entend pour faire valoir sa position ?Les participantes au colloque

s’accordent toutes à dire que si cesvoix qui s’élèvent de la littératuresont une évolution dans certainessociétés dans lesquelles ellesémergent, elle revêt une allure«d’indécence» dans la sociétécomme la nôtre. C’est ainsi que dansla perception qu’on pourrait avoir deleurs écrits, on détecte dans leurslectures une certaine tendance à laprovocation ou une intention de

s’imposer sur la scène littéraire pourgreffer une légitimité pourtantcontestée, parce qu’elless’extériorisent dans l’impudeur dontelles peuvent être accusées.

La reconnaissance de cette écritureprend souvent forme sur l’autre vieet n’atterrit dans la société quescellée dans une parole démunie desa charge sémantique pour uneperception plus symbolique

L’écriture au féminin continue de susciter débat et questionnements. Le colloque organisé par l’université deLaghouat ouvre des pistes de recherches et de réflexion sur la représentation de la femme dans le roman écrit

par des femmes, sur l’écriture dite féminine et sur les partis pris littéraires et artistiques des auteures.

Mohand,… ou du photographeDjamel Farès...De retour à Alger,Djaout poursuit sa prospection denouveaux talents avec des articlessur la jeune Ferial Kouadria et KarimSergoua «sur le sentier de laguerre»…Sur un plan plus large,Djaout a laissé des enquêtes degrande valeur sur l’usage de la calli-graphie en peinture (Devenir du si-gne) et sur le marché de l’artalgérien,…On lui doit égalementdeux articles de réflexion…sur ledevenir des arts plastiques. Le pre-

mier, intitulé Où en sont les arts plas-tiques ?, brosse un tableau…de laréalité de la scène artistique en 1981entre l’exclusion des fondateurs etl’étouffement des nouvelles expres-sions par des institutions soumises àl’arbitraire des décideurs…Djaoutenchaîne…une réflexion d’ensem-ble …depuis les peintures rupestresaux dernières expérimentations del’art contemporain, pour interrogerles raisons de la crise. L’article inti-tulé Une mémoire mise ensignes,…se termine par des propo-

sitions pour le plasticien tel que l’im-pératif d’une «recherche de nouvel-les sensibilités, de nouveaux langageset de nouveaux engagements pourla société dont il partage les interro-gations et les espoirs». En parcourantles articles de Tahar Djaout, nous re-trouvons les mêmes aspirations quedans ses œuvres littéraires pour unlangage renouvelé et une expression

libérée…

Arezki BOUHAMAM

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[MÉMOIRE]

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JUSTE ALGÉRIENNE. COMME UNE TISSUREUne trajectoire remarquable

SARA KHARFI

…Éveline Safir Lavalette est issued’une famille vivant en Algérie de-puis trois générations, qui a, dès sonplus jeune âge, pris conscience del’injustice du système colonial, et quis’est engagée, en 1955, pour l’indé-pendance de l’Algérie. Dans son té-moignage, Juste Algérienne.Comme une tissure (paru en juilletdernier aux éditions Barzakh),Éveline Safir Lavalette, qui a eu di-verses activités au sein du FLN, ra-conte avec beaucoup de pudeur sesannées de prison, son internement,sa réalité après l’indépendance del’Algérie, la décennie noire, l’Algéried’aujourd’hui, par le biais de textesécrits entre 1956 et 2013 (et qui n’ontété que très rarement repris). Maisla moudjahida ne se regarde pasécrire, elle ne s’embarrasse pas decommentaires ni d’explications, ellenous livre plutôt des fragments, desmorceaux épars d’une trajectoirehors du commun, et nous laisse re-constituer le puzzle, réécrire le scé-nario d’une vie à laquelle on s’identi-fie pleinement. Lorsqu’Éveline évo-que ses années de prison, et alorsqu’on s’attend à ce qu’elle nous ra-conte les tortures, les tourments etle supplice des prisonnières, on estsurpris de lire des histoires minuscu-les, des histoires du quotidien, desplendides fils d’humanité entre lesprisonnières, que rien ne pourra ja-mais rompre. Lorsqu’elle évoque ladécennie noire et la situation diffi-cile qu’elle vit -un déracinement puis-que contrainte de quitter sa maison-, elle met l’accent sur la dimensionhumaine à travers le remarquable

courage des citoyens et la solidarité.La dimension humaine atteint sonapogée. Car Éveline Safir Lavalettecélèbre la vie, c’est ce qui l’intéresseen réalité. Au fil des pages se des-sine le portrait d’une femme qui aaimé la liberté au point d’accepterde donner ce qu’elle a de plus cher,sa vie, pour cet idéal. Cependant,c’est entre les lignes, dans les non-dits qu’on arrive à déceler le sens pro-fond et intime des textes, incroya-blement bien écrits d’Éveline SafirLavalette, qui se livre et s’ouvre à seslecteurs pour partager son histoireet transmettre son témoignage. Sessilences sont saisissants. Ce qu’ellene dit pas est plus fort, troublant,bouleversant. La préfacière GhaniaMouffok note que «ce livre vientd’un long silence.» On pourrait com-pléter cette phrase en soutenantque c’est un genre de silence qu’onn’a aucunement envie de troubler,

Il y a quelque temps, l’Algérie a perdu deux grandes dames. Il s’agit d’Eveline Safir Lavalette

et de Lucette Safia Hadj Ali Larribère, f ille du Dr. Larribère d’Oran, pionnier de

l’accouchement sans douleur. Ces deux résistantes ont milité auprès du peuple algérien

durant la guerre de libération et après l’indépendance, notamment pendant la décennie

noire.

Pour ce numéro nous espérons leur rendre hommage.

LA REDACTION

10 Septembre 2013

de perturber. Il y a une force incroya-ble et désarmante, une inspiration,qui se dégage de Juste Algérienne…Mais Éveline utilise le pronom «Elle»-qu’elle alterne parfois avec le «Je»-, un jeu de rôle qui donne le senti-ment qu’Éveline parle à la fois d’uneautre personne, d’une douloureuseexpérience, qui est une part intimed’elle-même, et en même tempsune autre vie qu’elle aurait vécue.Éveline est «elle» et toutes les «el-les» à la fois. Et elle nous offre untexte remarquable d’intensité et demaîtrise littéraire. Un texte qui ex-prime à merveille la constance d’unefemme, son sens aiguisé de la justice,et son incroyable sensibilité.

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[MÉMOIRE]

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LUCETTE !

26 mai 2014

M. Benchicou

Elle m’avait appris l’histoire, la géographieet deux ou trois petites choses dont je sauraiplus tard qu’elles m’avaient servi delanternes quand dans ma vie il faisait nuit.C’était en 1971, à Alger, sous Boumediene,Lucette venait en Deux chevaux, «mabrouette pour aller chaque samedi àCherchell»…On ne savait jamais. Du reste,Lucette ne parlait ni de Cherchell, ni du PAGS,ni même de politique, seulement d’histoire,de géographie, de la pluie parfois, dumauvais temps et du bac. J’étais son meilleurélève, ce qui ne m’ouvrait droit à rien,seulement à des remontrances : «Ne dorspas sur tes lauriers !» C’était la combattantequi parlait, mais moi, en retard d’uneépoque, je parlais à la prof. Elle avait descheveux blonds, des yeux rieurs, unoptimisme exaspérant, une vitalité de jeunefille. «Tu as compris ? Ne dors pas sur teslauriers !» Non, Lucette, c’est promis ! Desyeux rieurs, un sourire éternel accroché auxlèvres d’une belle bouche. Comment y voirle portrait d’une dame à la vie si dure, auxidéaux si intransigeants ?

Lucette, moudjahida, journaliste engagée àl’hebdomadaire du Parti communistealgérien, puis à Alger Républicain en 1952.Elle ne parlait pas de cela, Lucette. Jamais.Seulement d’histoire, de géographie, de lapluie et du beau temps. Elle ne parlait pasde la guerre. Elle l’avait faite du côté du FLN.Elle ne parlait pas de torture. Ni de Bachir.Ni de Cherchell. Ni d’Ain-Sefra: «Je jure surla haine et la foi qui entretiennent la flammeque nous n’avons pas de haine contre lepeuple français». Bachir Hadj Ali écrivait-ilpour Lucette . Sans doute. « Je jure surl’angoisse démultipliée des épouses quenous bannirons la torture et que lestortionnaires ne seront pas torturés». Ellene parlait pas de cela. Non jamais.

Elle ne parlera plus de rien. Lucette estmorte. Il n’y a brusquement rien à dire. Touta été dit.

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[BIBLIOGRAPHIE]

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CameleonCameleon 2

[FILM]

Ce roman est l’histoire dedeux femmes, l’une algé-rienne et l’autre espagnole.C’est aussi une histoire dedestin, dans lequel on per-çoit les conséquences du“printemps arabe”, et lesrévolutions. Selon RachidBoudjedra, “ces révolu-tions ne le sont pas. Ce sontdes émeutes tout bête-ment, stupides dont on a vule résultat aujourd’hui”

Printemps

Rachid BoudjedraEditions : Grasset et Barzakh 2014

Le pari était risqué pour Belkacem Hadjadj. Faire unfilm sur cette grande héroïne de la résistance algé-rienne en Kabylie (1830 — 1863) n’est pas une siné-cure. Il fallait — et c'est une question de crédibilité— recourir aux grands moyens. Il fallait recruterune actrice professionnelle d’envergure pour in-carner le rôle de Lalla Fadhma surnommée dans lemilieu universitaire, la « Jeanne d’Arc kabyle ».

D’aprés l’ouvrage :

Lalla Fadhma N'Soumer

Musulmanes et laïques en révolteMonique Ayoun et Malika Boussouf

préface Malek CHEBEL

Editions Hugo-doc,2014

Elles sont tunisiennes,égyptiennes, libyennes,maliennes, syriennes,afghanes, algériennes…Elles se battent pour l’éga-lité, la laïcité et la démocra-tie. Leur combat est aussile nôtre.

Des corps et des mots. Sexuation, genre et violences conjugales

Chérifa Bouatta

Editions SARP,2014

L’ouvrage, de 375 pages, est une réflexion sur lasexuation, se fondant sur plusieurs travaux, antérieurset actuels, de l’auteure et sur des recherches de psycho-logues, psychiatres et psychosociologues.

[MUSIC]