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Loi Macron 33 ÉCONOMIE ET POLITIQUE 724-725 NOVEMBRE - DÉCEMBRE 2014 Mettre l’État encore davantage au service de la rentabilité du capital A u titre du premier axe, on peut ranger l’allé- gement des contrôles administratifs de la conformité des projets industriels ou agricoles aux règles de protection de l’environnement (articles 26 et 28). Le projet de loi habilite également le gouvernement à prendre des mesures par ordonnances, par exemple pour limiter l’autonomie des communes en matière d’autorisations d’urbanisme. Un peu gênés, les auteurs de l’exposé des motifs protestent de l’atta- chement du gouvernement à « un niveau élevé de pro- tection de l’environnement »… mais des actes comme la promotion des transports par autocar pour les pauvres, instaurée par le même projet de loi, suffisent à juger du poids réel de ces paroles. Dans la même veine, l’article 59 habilite le gouverne- ment à simplifier par ordonnances les règles applicables en matière de concentrations économiques et à « ins- taurer une véritable procédure de transaction » devant l’Autorité de la concurrence, sur le modèle anglo-saxon, pour « remédier au manque d’attractivité pour les entre- prises du dispositif actuel » lorsqu’elles violent le droit de la concurrence… Les mesures figurant aux articles 65 à 68 en vue, par exemple, de « spécialiser les tribunaux de commerce » visent sans doute à la même « attractivité » pour garantir aux grandes entreprises que des tribunaux locaux ne prendront pas par mégarde des mesures qui feraient obstacles à leurs stratégies. La même volonté de mettre l’administration davan- tage au service de la rentabilisation du capital à base française inspire l’article 52 qui donne à l’Autorité de sûreté nucléaire la possibilité de se prononcer sur la sûreté des technologies ; il ne s’agit pas, comme un esprit naïvement progressiste aurait pu l’imaginer, de mobiliser l’avance technologique française au service de la transition énergétique mondiale, mais bien d’« amé- liorer le positionnement de la filière nucléaire française face à ses principaux concurrents étrangers ». la rentabilité des capitaux Un cocktail de mesures pour Denis Durand Comme le reste du texte, le titre II du projet de loi « pour la croissance et l’activité » comporte un grand nombre de dispositions sur des sujets variés dont la cohérence peut ne pas apparaître au premier coup d’œil. On distingue bien, cependant, que les dispositions soumises au vote du Parlement s’organisent autour de trois axes : mettre davantage l’administration au service de la rentabilisation des capitaux privés, enrôler les salariés – et leur épargne – derrière ces objectifs de rentabilité, mettre en place les bases d’une politique globale de privatisations. Enrôler les salariés dans la guerre économique Lorsque le capital règne, rien ne doit manquer à sa domination, pas même l’adhésion des salariés. C’est le sens de l’article 34 qui encourage les attributions gratuites d’actions, « puissant instrument d’intéresse- ment des salariés à l’augmentation de la valeur de leur société » (il s’agit de la « valeur » pour les actionnaires : il importe de le préciser mais les auteurs du projet de loi et de son exposé des motifs ne le font pas, tant la chose, pour eux, va de soi). En substance, les gains des salariés bénéficiaires d’actions gratuites ne seront plus imposés à l’impôt sur le revenu mais selon le régime des plus-values mobilières, plus favorable ; la contribution sociale salariale spécifique sera supprimée et le taux de cotisation patronale sera ramené de 30 % à 20 %. D’autres avantages fiscaux sont prévus pour les bons de souscription de parts de créateur d’entreprise. D’autre part, le gouvernement se réclame des travaux du COPIESAS (Conseil d’orientation de la participation, de l’intéressement régime de l’épargne salariale) pour réaménager (articles 36 à 40) le régime de l’épargne salariale en vue de favoriser le PERCO (plan d’épargne retraite collectif ) qui, contrairement au plan d’épargne d’entreprise, peut être mis en place sans l’accord des organisations syndicales. Des initiatives parlementaires sont annoncées pour introduire d’autres mesures, plus substantielles, au cours du débat à l’Assemblée natio- nale et au Sénat sur le projet de loi. Le gouvernement prétend qu’il vise à puiser dans l’épargne salariale des sources supplémentaires de financement pour l’inves- tissement et la croissance. Compte tenu de l’ampleur, non négligeable, mais encore modeste (100 milliards d’euros, à comparer aux 900 milliards de crédits ban- caires aux entreprises) des sommes en cause, ce n’est sans doute pas son objectif principal : comme dans le cas de la distribution d’actions gratuites, il s’agit de faire dépendre davantage les revenus des salariés des résultats financiers de l’entreprise et de les associer à

Dossier Loi Macron Un Cocktail de Mesures Pour La Rentabilite Des Capitaux

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Denis DurandÉconomie et politique 724-725 novembre - décembre 2014

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  • Loi Macron

    33 conomie et politique 724-725 novembre - dcembre 2014

    Mettre ltat encore davantage au service de la rentabilit du capital

    Au titre du premier axe, on peut ranger lall-gement des contrles administratifs de la conformit des projets industriels ou agricoles aux rgles de protection de lenvironnement (articles 26 et 28). Le projet de loi habilite galement le gouvernement prendre des mesures par ordonnances, par exemple pour limiter lautonomie des communes en matire dautorisations durbanisme. Un peu gns, les auteurs de lexpos des motifs protestent de latta-chement du gouvernement un niveau lev de pro-tection de lenvironnement mais des actes comme la promotion des transports par autocar pour les pauvres, instaure par le mme projet de loi, suffisent juger du poids rel de ces paroles.Dans la mme veine, larticle 59 habilite le gouverne-ment simplifier par ordonnances les rgles applicables en matire de concentrations conomiques et ins-taurer une vritable procdure de transaction devant lAutorit de la concurrence, sur le modle anglo-saxon, pour remdier au manque dattractivit pour les entre-prises du dispositif actuel lorsquelles violent le droit de la concurrence Les mesures figurant aux articles 65 68 en vue, par exemple, de spcialiser les tribunaux de commerce visent sans doute la mme attractivit pour garantir aux grandes entreprises que des tribunaux locaux ne prendront pas par mgarde des mesures qui feraient obstacles leurs stratgies.La mme volont de mettre ladministration davan-tage au service de la rentabilisation du capital base franaise inspire larticle 52 qui donne lAutorit de sret nuclaire la possibilit de se prononcer sur la sret des technologies ; il ne sagit pas, comme un esprit navement progressiste aurait pu limaginer, de mobiliser lavance technologique franaise au service de la transition nergtique mondiale, mais bien d am-liorer le positionnement de la filire nuclaire franaise face ses principaux concurrents trangers .

    la rentabilit des capitauxun cocktail de mesures pour

    denis durand

    Comme le reste du texte, le titre II du projet de loi pour la croissance et lactivit comporte un grand nombre de dispositions sur des sujets varis dont la cohrence peut ne pas apparatre au premier coup dil. On distingue bien, cependant, que les dispositions soumises au vote du Parlement sorganisent autour de trois axes : mettre davantage ladministration au service de la rentabilisation des capitaux privs, enrler les salaris et leur pargne derrire ces objectifs de rentabilit, mettre en place les bases dune politique globale de privatisations.

    Enrler les salaris dans la guerre conomiqueLorsque le capital rgne, rien ne doit manquer sa domination, pas mme ladhsion des salaris. Cest le sens de larticle 34 qui encourage les attributions gratuites dactions, puissant instrument dintresse-ment des salaris laugmentation de la valeur de leur socit (il sagit de la valeur pour les actionnaires : il importe de le prciser mais les auteurs du projet de loi et de son expos des motifs ne le font pas, tant la chose, pour eux, va de soi). En substance, les gains des salaris bnficiaires dactions gratuites ne seront plus imposs limpt sur le revenu mais selon le rgime des plus-values mobilires, plus favorable ; la contribution sociale salariale spcifique sera supprime et le taux de cotisation patronale sera ramen de 30 % 20 %. Dautres avantages fiscaux sont prvus pour les bons de souscription de parts de crateur dentreprise.Dautre part, le gouvernement se rclame des travaux du COPIESAS (Conseil dorientation de la participation, de lintressement rgime de lpargne salariale) pour ramnager (articles 36 40) le rgime de lpargne salariale en vue de favoriser le PERCO (plan dpargne retraite collectif ) qui, contrairement au plan dpargne dentreprise, peut tre mis en place sans laccord des organisations syndicales. Des initiatives parlementaires sont annonces pour introduire dautres mesures, plus substantielles, au cours du dbat lAssemble natio-nale et au Snat sur le projet de loi. Le gouvernement prtend quil vise puiser dans lpargne salariale des sources supplmentaires de financement pour linves-tissement et la croissance. Compte tenu de lampleur, non ngligeable, mais encore modeste (100 milliards deuros, comparer aux 900 milliards de crdits ban-caires aux entreprises) des sommes en cause, ce nest sans doute pas son objectif principal : comme dans le cas de la distribution dactions gratuites, il sagit de faire dpendre davantage les revenus des salaris des rsultats financiers de lentreprise et de les associer

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  • conomie et politique 724-725 novembre - dcembre 2014

    Les dossiers dconomie et Politique

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    la recherche de la rentabilit plutt qu la cration de valeur ajoute et au dveloppement de lemploi qualifi.

    Mettre en place, sans le dire, les moyens dune vaste politique de privatisationsUn aspect majeur du projet de loi rside dans lensemble des dispositions tendant favoriser les privatisations. Venant aprs celle de Toulouse-Blagnac, la privatisation des aroports de Lyon et de Nice (article 49) justifie de nombreuses critiques. Il en va de mme, dans le domaine stratgique des armements terrestres, avec la fusion, prvue larticle 47, de Nexter, filiale du GIAT, avec le groupe priv allemand KMW (Krauss Maffei Wegmann). Simultanment, la perspective de la privatisation de SNPE est confirme. Quels seront les choix stratgiques, industriels et financiers, dcids par les dirigeants de la future socit dont les considrations ne seront guides que par la rentabilit immdiate ? , interroge la CGT de Nexter. Quels sous-ensembles seront intgrs, o seront-ils fabriqus ? Pourquoi ne pas avoir garanti lavenir du blind en France ? Il faut souligner que la loi Macron inscrit ces oprations concrtes dans un contexte plus vaste. La simplification du rgime des contrats de concession par voie dordon-

    nances, prvue dans larticle 57, va dans le sens dune banalisation des services publics. Tout aussi lourd de consquences pourrait tre larticle 42 qui autorise les hpitaux crer des filiales pour faciliter leurs relations avec des partenaires industriels extrieurs . Sachant la dtresse financire actuelle de la plupart des hpitaux, on imagine le type de gestion du systme de sant qui est ainsi encourag !Tout cela est parfaitement cohrent avec la simpli-fication du cadre juridique de lintervention de ltat actionnaire prvue dans les articles 45 et 46, qui porte notamment sur le statut des membres de la Commis-sion des participations et des transferts.De fait, la loi Macron est une pice supplmentaire dans un dispositif qui met progressivement en place un vaste programme de privatisations qui ne dit pas son nom. Mais le processus est dj engag, comme le dmontre la ratification de lordonnance du 20 aot 2014.Passe relativement inaperue sa promulgation, cette ordonnance modifie la gouvernance des entreprises publiques qui ont un statut de socit anonyme ; la loi de dmocratisation du secteur public ne sapplique plus quaux tablissements publics industriels et com-

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    merciaux. Les socits anonymes dans lesquelles ltat dtient une participation (directe ou indirecte) sont maintenant soumises aux dispositions du Code de commerce. Un seuil deffectifs (50 salaris) est introduit pour la prsence dadministrateurs salaris au conseil des entreprises publiques statut de SA. Il nexistait aucun seuil auparavant. Si la rgle du tiers dadminis-trateurs salaris ne change pas, les reprsentants des salaris actionnaires sont dsormais compts dans ce tiers : ils peuvent se substituer un ou plusieurs admi-nistrateurs salaris proprement dits. Lobligation de maintien des mandats dadministrateurs salaris dans les entreprises privatises a purement et simplement t supprime, tandis que le nombre de reprsentants de ltat est rduit. Cette ordonnance aura galement pour consquences ngatives une moins bonne information et participation aux dcisions des diffrents secteurs de ltat, et un poids accru de lAgence des partici-pations de ltat, dont la mission est la maximisation des dividendes.Le projet de loi Macron ratifie lordonnance du 20 aot 2014 et apporte des complments et des dveloppe-ments supplmentaires. Ainsi, larticle 44 donne ltat les moyens doptimiser lusage des actions sp-cifiques (golden shares) dont il peut disposer dans les entreprises rcemment privatises de certains secteurs autoriss par la lgislation europenne. Ce sera un moyen de justifier des ventes dactions des entreprises publiques, ltat faisant valoir quil conservera nan-moins le pouvoir de sopposer certaines dcisions portant atteinte aux intrts essentiels du pays mme sil ne contrle pas la majorit du capital de lentreprise. Dj, la loi Florange , qui donne un double vote aux actions possdes depuis plus de 20 ans, a t utilise pour diminuer la participation financire de ltat dans des entreprises dont il est actionnaire.Les auteurs du projet de loi ne cachent pas que le pro-duit de ces privatisations est destin rduire la dette publique. Ils voquent aussi des rinvestissements dans des secteurs porteurs de dveloppement conomique ; en supposant mme que cette clause se traduise un jour par quelque ralit, ces fonds ne seraient mobiliss que pour venir au secours de linitiative prive.La logique densemble : prouver la finance que le gouvernement est son amiCet ensemble de dispositions, qui ne dparerait pas un programme libral, est, au fond, avant tout porteur dun message en direction des marchs financiers : le gouvernement fait tout ce qui est en son pouvoir pour favoriser la rentabilisation des capitaux ; ceux-ci peuvent donc sinvestir sans crainte dans les multina-tionales base franaise. En multipliant les dmons-trations de cette veine, Manuel Valls et Emmanuel Macron esprent avant tout viter que la spculation prenne la France pour cible et fasse remonter les taux dintrt, ce qui ferait plonger le dficit public et para-lyserait linvestissement. Ils continuent de soutenir quil faut faire confiance aux marchs pour que lconomie aille bien, et qu cette condition on pourra ensuite corriger les ingalits par une politique de redistri-bution fiscale. Lchec avr des politiques daustrit montre, particulirement en France mais aussi dans toute lEurope, que les choses ne se passent pas ainsi ; accepter la domination des marchs financiers rend

    illusoire toute russite dune politique sociale-librale, comme le refus de la combattre radicalement a sign limpuissance des politiques sociales-dmocrates. La prochaine crise financire ne manquera pas de le mettre en vidence quelle parte de la France ou dun autre point faible de lconomie mondiale.Dans les trois domaines traits par le titre II du projet de loi Macron, il y a au contraire des mesures prendre pour combattre la domination des marchs financiers la racine.Il y a des alternatives ! Dvelopper les services publics, dvelopper le pouvoir des salaris sur les stratgies industrielles et sur le financement de lconomie.Le rle de ltat ne peut plus tre de venir au secours de la rentabilisation du capital priv, comme dans les trente glorieuses . Il y a un besoin urgent de dvelop-per de nouveaux services publics, en nhsitant pas financer un tel investissement par la cration mon-taire de la Banque centrale europenne et des banques centrales nationales, et en favorisant la conqute, par les citoyens, de pouvoirs dintervention sur la gestion de ces services public. Plutt que dutiliser lpargne des salaris au service de la rentabilit des capitaux, il vaudrait mieux mettre en cause les privilges fiscaux exorbitants de lassurance-vie et des autres circuits qui canalisent cette pargne (y compris les diffrentes formes dpargne salariale) vers les marchs financiers. Il y a suffisamment de vastes investissements publics financer (par exemple pour dvelopper le service public de la sant ou celui de lducation) pour que ces fonds puissent sinvestir par exemple au moyen doutils comme le livret A dans de nouvelles formes de titres, exemptes du caractre spculatif de ceux qui circulent sur les marchs financiers. Surtout, il serait indispen-sable de mobiliser les crdits bancaires source de tout largent qui circule sur nos comptes pour dvelopper la cration de richesses fondes sur la scurisation de lemploi et de la formation, et sur lconomie de capital matriel et financier. Ce serait enclencher un cercle vertueux permettant daugmenter les salaires mais aussi les prlvements fiscaux et sociaux, moyens du dveloppement des services publics et dune politique efficace de lutte contre la pauvret et les ingalits.Toutes ces propositions vont videmment loppos de toute politique de privatisation. Laccueil favorable rserv par lopinion aux propositions de nationalisa-tion des autoroutes ou de la gestion de leau, dans une priode o pourtant les ides ractionnaires psent lourdement, doit encourager engager des batailles concrtes sur ce terrain, pour la constitution de ples publics aidant les citoyens tenir tte aux marchs financiers en exerant de rels pouvoirs sur les stratgies industrielles et sur le financement de lconomie.