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Page 1
Dossier pédagogique
Jean-Antoine Watteau
Les Acteurs de bonne foi d’après Marivaux
mise en scène Jean-Pierre Vincent
Représentations du 26 au 29 janvier 2011
Dossier pédagogique réalisé par Rénilde Gérardin, service éducatif de la Comédie de Reims : [email protected]
Contacts relations publiques : Margot Linard : [email protected] Jérôme Pique : [email protected]
Page 2
D’après Marivaux
Mise en scène Jean-Pierre Vincent
Dramaturgie Bernard Chartreux
Assistés de Frédérique Plain
Décor Jean-Paul Chambas
Assisté de Carole Metzner
Costumes Patrice Cauchetier
Lumières Alain Poisson
Mouvements physiques Bernard Chabin
Maquillages Suzanne Pisteur
Avec
Annie MERCIER Madame ARGANTE
Laurence ROY Madame HAMELIN
Anne GUÉGAN ARAMINTE
Claire THÉODOLY LISETTE
Pauline MÉREUZE COLETTE
Julie DUCLOS ANGÉLIQUE
David GOUHIER MERLIN
Olivier VEILLON BLAISE
Matthieu SAMPEUR ÉRASTE
Patrick BONNEREAU Le NOTAIRE
Coproduction Studio Libre, Théâtre Nanterre-Amandiers, Théâtre National de
Strasbourg, avec la participation artistique du JTN et du FIJAD.
Page 3
Les Acteurs de bonne foi
dossier pédagogique
sommaire
Présentation de Les Acteurs de bonne foi page 4
Entretien avec Jean-Pierre Vincent page 5
Extrait de Les Acteurs de bonne foi page 7
Texte en parallèle : extrait de La Lettre de Rousseau à D’Alembert page 9
Auteur : biographie de Marivaux page 10
Extraits de notes et réflexions de Jean-Pierre Vincent page 12
Échos dans la presse page 16
Focus sur Jean-Antoine Watteau page 19
L’EQUIPE ARTISTIQUE page 21
Autres ressources page 25
Page 4
PRESENTATION
C’est une pièce (tardive, elle date de 1757) en un acte, tout comme La Dispute et
L’Epreuve, due à Pierre Carlet de Chamblain de Marivaux (né à Paris le 4 février 1688, mort
à Paris le 12 février 1763). Elle ne fut pas représentée de son vivant mais fut du moins
publiée dans Le Conservateur. L’œuvre est entrée au répertoire de la Comédie-Française en
1947, mais c’est André Barsacq qui la fit vraiment découvrir dix ans plus tard, au Théâtre de
l’Atelier.
De quoi s’agit-il dans Les Acteurs de bonne foi ? Madame Hamelin, veuve richissime,
accorde à son neveu, l’autorisation d’épouser Angélique, jeune fille de province peu
fortunée et titrée. Cette Madame Hamelin, au demeurant femme d’esprit non dépourvue
d’un certain cynisme, entend faire payer cher son acquiescement à ce qu’elle considère
comme une mésalliance. Elle exige donc qu’une représentation théâtrale se déroule chez la
plus académique belle-mère du neveu, Madame Argante, laquelle ne peut décemment
refuser. Cela doit être interprété par les valets, sous la houlette de Merlin, qui s’adresse
d’abord à Lisette puis parvient à convaincre Colette et Blaise, deux paysans l’un à l’autre
promis, d’entrer dans le jeu. Il va se passer que deux des comédiens improvisés vont
accepter la fiction tandis que les deux autres, Lisette et Blaise, en seront dupes sous l’effet
de la jalousie... De fait, Merlin a imaginé une pièce à canevas (soit le résumé d’une intrigue,
utilisé comme partition pour l’improvisation, notamment dans la Commedia dell’arte), ce qui
renvoie d’emblée à une sorte d’hommage du vieux Marivaux à la troupe des Comédiens
Italiens qui avaient créé, quelque quarante ans plus tôt, de ses pièces entre toutes
devenues fameuses, Arlequin poli par l’amour, La Surprise de l’amour et La Double
inconstance. Les Acteurs de bonne foi relèvent du théâtre dans le théâtre, une forme qui
implique le va-et-vient entre la scène et la réalité. Si le souvenir des Italiens induit
sensiblement un jeu corporel, la langue en vigueur demeure suavement chatoyante,
orchestrant de façon savante le bal des mots dits. Ladite « bonne foi », laquelle se trouve à
l’origine de la confusion entre fiction et réalité, est inéluctablement liée aux personnages
patauds ou naïfs au parler paysan, quand bien même, de son côté, la fine Lisette tombe, de
façon imprévisible, dans le panneau du faux-semblant.
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ENTRETIEN avec Jean-Pierre VINCENT
Du Marivaux en concentré
Jean-Pierre Vincent revient au Théâtre Nanterre-Amandiers (CDN qu’il a dirigé de 1990
à 2001) avec les Acteurs de bonne foi. Une pièce de Marivaux avec laquelle le metteur
en scène entretient « depuis (presque) toujours une relation de travail excitante et
jubilatoire ».
Quelle relation particulière vous lie aux Acteurs de bonne foi ?
Jean-Pierre Vincent : Il y a des pièces qui vous accompagnent secrètement toute la vie.
Vous les montez, une fois ou davantage, ou même vous ne les montez pas. Elles sont des
compagnes, des amies, des repères auxquels viennent se confronter les autres pièces…
Pour moi, Les Acteurs de bonne foi fait partie de ce petit cercle. J’ai mis en scène cette
œuvre en 1970, j’y suis revenu souvent dans des stages de sélection pour les grandes
écoles, mais bien plus : j’y pense en silence assez souvent. Cette pièce n’est peut-être
qu’une esquisse, mais entre les lignes on peut déceler une réserve de thèmes actifs, un
terrain de recherche privilégié pour les acteurs : comment, par quels moyens en montrer
tout le sous-texte ? Chaque mot pèse lourd. Théâtre et réalité, amour et désamour, jeux de
pouvoir entre femmes, riches et pauvres, c’est du Marivaux en concentré ; et c’est très
virtuose.
La langue de Marivaux structure et détermine la matière théâtrale de ses pièces. De
quelle façon souhaitez-vous que les comédiens appréhendent cette langue ?
J.-P. V. : « Toute pièce est écrite dans une langue étrangère qu’il nous appartient de
comprendre et de traduire ». C’est Edward Bond, je crois, qui disait cela, en substance. Oui,
il y a un étrange parfum, un rythme vital unique dans la langue de Marivaux. On peut
chercher à expliquer, rationaliser, cerner cette langue, mais c’est beaucoup une affaire
d’instinct et de musicalité de la part de l’acteur. Je crois que ce dernier doit d’abord
s’appliquer à jouer l’une après l’autre, très concrètement, les pensées du personnage, qu’il
doit en guetter les contradictions, les trous noirs. La langue viendra d’elle-même : la
musique n’est pas écrite. Chaque acteur a aussi la sienne ! Et puis, voyez cette fameuse
langue : elle n’est pas la même selon que Marivaux écrit pour les Français ou pour les
Italiens, pour la merveilleuse Silvia, par exemple. Elle n’est pas la même non plus selon que
la pièce est en cinq actes ou en un acte. Chaque œuvre de Marivaux a aussi sa sous-
langue…
Page 6
« Il y a un étrange parfum, un rythme vital unique dans la langue de Marivaux. »
Vous envisagez Les Acteurs de bonne foi comme « un chef d’œuvre dont les
perspectives historiques et la violence latente n’ont d’égal que la transparence
lumineuse »…
J.-P. V. : Un peu de marxisme ne fait jamais de mal ! Cette pièce traduit une réalité
historique connue : les alliances multiformes entre l’aristocratie parisienne et les
bourgeoisies de tous étages, de toutes provinces. Dans Les Acteurs de bonne foi, ces
alliances se nouent entre les richissimes parisiens et les populations moins fortunées des
campagnes, populations qui sont à pied d’œuvre pour faire travailler les paysans et faire
régner l’ordre. Il y a des tensions entre fractions de la classe riche - en particulier sur le plan
culturel - et fractions de la domesticité citadine, de la paysannerie… Marivaux n’est pas
Zola, mais il n’ignore pas le monde où il vit.
Dans cette œuvre, Marivaux explore également les relations qui se jouent entre
l’illusion et le réel. Mettre en scène cette pièce, en 2010, revient-il pour vous à
interroger, à mettre en perspective la complexité de telles relations dans le monde
d’aujourd’hui ?
J.-P. V. : Interroger ? Oui, mais pas pour le seul plaisir d’interroger : interroger pour élucider.
Si cette fable peut servir en 2010, c’est justement dans l’écart, et non dans un illusoire
rapprochement avec aujourd’hui. Si mise en perspective il y a, elle est historique. Quand je
monte une pièce du passé, je le fais en homme d’aujourd’hui, avec des femmes et des
hommes d’aujourd’hui, mais en tant que femmes et hommes historiques. Nous sommes
des êtres historiques, on a trop tendance à oublier, voire à nier cette vérité. Cela va
d’ailleurs avec la négation de la mort, dans le même mouvement. Nous ne sommes pas nés
de la dernière averse : nous sommes les produits d’une Histoire. Et dans cette Histoire, bien
des choses évoluent et changent plus ou moins rapidement ; d’autres ne changent pas, ou
pratiquement pas. Certaines s’améliorent, d’autres se dégradent. Certaines meurent puis
reviennent… Assister à une pièce du passé - forcément revue aujourd’hui, nous ne sommes
pas des archéologues - c’est recevoir ce qu’elle a à nous dire. Et une pièce actuelle est
forcément déjà un peu du passé…
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat, La Terrasse, Septembre 2010.
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EXTRAIT DE LES ACTEURS DE BONNE FOI SCÈNE PREMIÈRE
ÉRASTE, MERLIN
MERLIN
Oui Monsieur, tout sera prêt, vous n'avez qu'à me faire mettre la salle en état, à trois heures
après midi, je vous garantis que je vous donnerai la comédie.
ÉRASTE
Tu feras grand plaisir à madame Hamelin, qui s'y attend avec impatience ; et, de mon côté, je
suis ravi de lui procurer ce petit divertissement ; je lui dois bien des attentions, tu vois ce qu'elle fait
pour moi, je ne suis que son neveu, et elle me donne tout son bien pour me marier avec Angélique
que j'aime. Pourrait-elle me traiter mieux, quand je serais son fils ?
MERLIN
Allons, il en faut convenir, c'est la meilleure tante du monde, et vous avez raison, il n'y aurait pas
plus de profit à l'avoir pour mère.
ÉRASTE
Mais, dis-moi, cette comédie dont tu nous régales, est-elle divertissante ; tu as de l'esprit, mais
en as-tu assez pour avoir fait quelque chose de passable ?
MERLIN
Du passable, Monsieur, non, il n'est pas de mon ressort, les génies comme le mien ne
connaissent pas le médiocre : tout ce qu'ils font est charmant, ou détestable ; j'excelle ou je tombe, il
n'y a jamais de milieu.
ÉRASTE
Ton génie me fait trembler.
MERLIN
Vous craignez que je ne tombe, mais rassurez-vous, avez-vous jamais acheté le recueil des
chansons du Pont-Neuf ? Tout ce que vous y trouverez de beau est de moi. Il y en a surtout une
demi-douzaine d'anacréontiques, qui sont d'un goût...
ÉRASTE
D'anacréontiques, oh ! Puisque tu connais ce mot-là, tu es habile, et je ne me méfie plus de toi.
Mais prends garde que madame Argante ne sache notre projet, madame Hamelin veut la surprendre.
MERLIN
Lisette, qui est des nôtres, a sans doute gardé le secret, mademoiselle Angélique votre future,
n'aura rien dit, de votre côté, vous vous êtes tu ; j’ai été discret, mes acteurs sont payés pour se
taire, et nous surprendrons, Monsieur, nous surprendrons.
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ÉRASTE
Et qui sont tes acteurs ?
MERLIN
Moi d'abord, je me nomme le premier pour vous inspirer de la confiance, ensuite Lisette, femme
de chambre de mademoiselle Angélique, et suivante originale, Blaise, fils du fermier de madame
Argante, Colette, amante dudit fils du fermier, et fille du jardinier.
ÉRASTE
Cela promet de quoi rire.
MERLIN
Et cela tiendra parole, j'y ai mis bon ordre ; si vous saviez le coup d'art qu'il y a dans ma pièce.
ÉRASTE
Dis-moi donc ce que c'est.
MERLIN
Nous jouerons à l'impromptu, Monsieur, à l'impromptu.
ÉRASTE
Que veux-tu dire à l'impromptu ?
MERLIN
Oui. Je n'ai fourni que ce que nous autres beaux esprits appelons le canevas, la simple nature
fournira les dialogues, et cette nature-là sera bouffonne.
ÉRASTE
La plaisante espèce de comédie ! Elle pourra pourtant nous amuser.
MERLIN
Vous verrez, vous verrez ; j'oublie encore à vous dire une finesse de ma pièce, c'est que Colette
doit faire mon amoureuse, et moi qui dois faire son amant, nous sommes convenus tous deux de voir
un peu la mine que feront Lisette et Blaise, à toutes les tendresses naïves que nous prétendons nous
dire, et le tout, pour éprouver s'ils n'en seront pas un peu alarmés et jaloux, car vous savez que
Blaise doit épouser Colette, et que l'amour nous destine Lisette et moi l'un à l'autre. Mais, Lisette,
Blaise et Colette vont venir ici pour essayer leurs scènes, ce sont les principaux acteurs, j'ai voulu
voir comment ils s'y prendront, laissez-moi les écouter, et les instruire, et retirez-vous, les voilà qui
entrent.
ÉRASTE
Adieu ; fais-nous rire, on ne t'en demande pas d'avantage.
Marivaux, Les Acteurs de bonne foi, scène première.
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TEXTE EN PARALLELE Extrait de La Lettre de Rousseau à D’Alembert
[…]
Qu'est-ce que le talent du comédien ? L'art de se contrefaire, de revêtir un autre
caractère que le sien, de paraître différent de ce qu'on est, de se passionner de sang-froid,
de dire autre chose que ce qu'on pense aussi naturellement que si on le pensait réellement,
et d'oublier enfin sa propre place à force de prendre celle d'autrui. Qu'est-ce que la
profession du comédien ? Un métier par lequel il se donne en représentation pour de
l'argent, se soumet à l'ignominie et aux affronts qu'on achète le droit de lui faire, et met
publiquement sa personne en vente. J'adjure tout homme sincère de dire s'il ne sent pas au
fond de son être qu'il y a dans ce trafic de soi-même quelque chose de servile et de bas.
Vous autres philosophes, qui vous prétendez si fort au-dessus des préjugés, ne mourriez-
vous pas tous de honte si, lâchement travestis en rois, il vous fallait aller faire aux yeux du
public un rôle différent du vôtre, et exposer vos majestés aux huées de la populace ? Quel
est donc, au fond, l'esprit que le comédien reçoit de son état ? Un mélange de bassesse,
de fausseté, de ridicule orgueil, et d'indigne avilissement, qui le rend propre à toutes sortes
de personnages, hors le plus noble de tous, celui d'homme qu'il abandonne.
Je sais que le jeu du comédien n'est pas celui d'un fourbe qui veut en imposer, qu'il
ne prétend pas qu'on le prenne en effet pour la personne qu'il représente, ni qu'on le croie
affecté des passions qu'il imite, et qu'en donnant cette imitation pour ce qu'elle est, il la
rend tout à fait innocente. Aussi ne l'accusé-je pas d'être précisément un trompeur, mais de
cultiver pour tout métier le talent de tromper les hommes, et de s'exercer à des habitudes
qui ne pouvant être innocentes qu'au théâtre, ne servent partout ailleurs qu'à mal faire. Ces
hommes si bien parés, si bien exercés au ton de la galanterie et aux accents de la passion,
n'abuseront-ils jamais de cet art pour séduire de jeunes personnes? Ces valets filous, si
subtils de la langue et de la main sur la scène, dans les besoins d'un métier plus
dispendieux que lucratif, n'auront-ils jamais de distractions utiles ? Ne prendront-ils jamais
la bourse d'un fils prodigue ou d'un père avare pour celle de Léandre ou d'Argan ?
[…]
Jean-Jacques Rousseau, Lettre à d'Alembert sur les spectacles, 1758.
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BIOGRAPHIE DE L’AUTEUR Marivaux
Du théâtre du XVIIIème siècle, qui ne manquait pas d’auteurs, seul surnage quasi exclusivement, au côté
de Beaumarchais, celui de Marivaux (1688-1763). Grands par ailleurs, Diderot et Voltaire restent, sauf de
rares exceptions, dans la bibliothèque, tandis que lui continue d’être assez abondamment interprété en
scène.
Le père de Marivaux appartenait à l’administration des finances. Il y servit à Riom puis à Limoges. On
suppose que la famille jouissait d’une courte aisance.
Dès Limoges, le jeune Marivaux est attiré par la littérature. Il goûte peu Molière mais s’imprègne de
Racine. A dix-huit ans, suite à un défi, il rédige une comédie en un acte et en vers, Le Père prudent et
équitable, dans laquelle, derrière les maladresses, se profilent les idées qu’il va plus tard développer
dans tout son théâtre fondé sur l’exploration du sentiment d’amour. Lorsqu’il perd ses parents, il monte à
Paris. En 1710, le voici habitué du salon de la marquise de Lambert. On sait qu’il fréquente le monde du
théâtre. Il plaît, il a du charme. Il se lie avec Fontenelle (1657-1757) et La Motte-Houdar (1672-1731) dont
il partage les conceptions littéraires. Il se range à leurs côtés dans la relance de la fameuse querelle dite
des anciens et des modernes. Marivaux défend les « modernes », soit, en gros, ceux qui estiment devoir
faire fi de l’héritage gréco-latin. Dans le même mouvement, Marivaux met allègrement en boîte les
œuvres qui avaient enchanté les précieuses, entre autres celles de La Calprenède (1609-1663) ou
d’Honoré d’Urfé (1557-1625, auteur de L’Astrée, ce roman qui inventa la délicatesse des rapports
amoureux). Le jeune Marivaux, au nom de la vraie vie, prend donc un malin plaisir à brocarder les tenants
de la « Carte du Tendre » dans des romans sarcastiques aux titres évocateurs : Pharamon ou les folies
romanesques (composé en 1712, publié en 1737), Les Aventures de *** ou les effets surprenants de la
sympathie (1713) et pour finir La Voiture embourbée (1713). Bien qu’ignorant le grec, cet ardent
« moderne » écrit en 1717 L’Iliade travestie et, dans la foulée, Le Télémaque travesti. Il donne aussi des
articles au Nouveau Mercure, grâce à quoi les lecteurs lettrés le comparent volontiers à La Bruyère.
Le 7 juillet 1717, Marivaux convole en justes noces avec une demoiselle Colombe Bologne. Vers 1720
naît une fille, Colombe-Prospère. Marivaux tente alors de vivre de sa plume. Le 17 octobre 1720, les
Comédiens Italiens recueillent un franc succès en jouant son Arlequin poli par l’amour. Deux mois plus
tard, ce sont les Comédiens Français du Roi qui interprètent la seule tragédie écrite par Marivaux,
Annibal. Elle n’est jouée que trois fois. Il faudra attendre 1747 pour que Mlle Clairon la reprenne, cette
fois avec succès.
Le 3 mai 1722, les Comédiens Italiens présentent une comédie en trois actes, La Surprise de l’amour. Un
triomphe. Les plus brillants éléments de la troupe - Silvia, Flaminia, Lelio, Thomassin... - font partie de la
distribution. Le 6 avril 1723, rebelote dans le triomphe, avec la création, toujours par les Comédiens
Italiens, de La Double inconstance. L’exquise Silvia y est encore au centre. C’est pour elle, désormais,
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que Marivaux conçoit les œuvres qu’il destine aux Italiens. Avant comme après son veuvage, en 1723,
les comédies d’amour de Marivaux procèdent d’un élan vigoureux qu’on pourrait qualifier de coup de
foudre, lequel doit s’assumer contre vents et marées dans le mariage.
Il est un autre souffle, dans l’inspiration de Marivaux, qui mérite un sort à part. Il s’agit de ces pièces
impliquant de manière directe des préoccupations sociales, morales, philosophiques, voire politiques.
C’est en 1725 qu’il donne d’abord aux Comédiens Italiens puis aux Comédiens Français L’Ile des
esclaves. Dans cet acte, créé au Théâtre-Italien, l’auteur en arrive à prouver que les antagonismes de
classes s’effacent dans la société quand s’y fait jour l’amour du prochain... Ce type de réflexions
constituait déjà la matrice du Spectateur Français, dont on a pu dire que certaines pages annonçaient
quasi Le Contrat social (1762) de Jean-Jacques Rousseau, lequel, d’ailleurs, viendra consulter Marivaux
en 1742. C’est aux Comédiens Français que Marivaux confie les trois actes de L’Île de la raison, une
œuvre au fond stupéfiante quant à la révolution des mœurs de son temps qu’elle suppose. N’y est-il pas
en effet question de la libération des femmes et de l’apologie de l’union libre ? En 1729, dans La Colonie,
créée par les Italiens, les mêmes thèmes sont remis sur le métier. Il y a en particulier cet échange
dialogué, qui en dit long sur la teneur provocatrice de la pièce : « Le mariage, tel qu’il a été jusqu’ici,
n’est plus aussi qu’une servitude que nous abolissons... - Abolir le mariage ! Et que mettra-t-on à sa
place ? – Rien. »
Le temps passant, après l’échec public de La Colonie, dans laquelle il plaidait expressément en faveur
du droit à l’égalité civique et politique pour les femmes, il ne s’attarda pas sur le sujet mais en revint aux
comédies d’amour (Le Jeu de l’amour et du hasard, Les Fausses confidences, etc.) où l’on peut voir des
jeunes filles ou des veuves décidées à disposer de leur cœur, donc de leur corps, comme elles
l’entendent et sans plus obéir aux injonctions des familles. Quant à l’éducation, l’auteur de La Dispute,
ce terrible conte philosophique sur l’hominisation accélérée d’enfants sauvages longtemps tenus à
l’écart du monde par caprice princier, Marivaux s’avère partisan de l’indulgence et non du jugement
sévère. « Qu’un enfant est mal élevé, écrit-il, quand pour son éducation, il n’apprend qu’à trembler
devant son père. »
En 1757, Marivaux et sa compagne s’installent derrière le Palais-Royal dans un immeuble modeste,
depuis démoli. C’est là qu’il meurt, le 12 février 1763, à trois heures du matin.
Il fallut les pré-romantiques puis les romantiques pour redécouvrir le théâtre de Marivaux, lequel en son
temps ne fut le plus souvent considéré que comme l’artisan de brillants divertissements. C’était là faire fi
du philosophe de la réalité et du penseur considérable qu’il fut, à côté de son théâtre en quelque sorte,
quand bien même sa vision de la société irrigue en permanence ses dialogues de façon sous-jacente.
N’a-t-il pas déclaré ceci, entres autres sentences bien frappées : « L’homme qui pense beaucoup
approfondit les sujets qu’il traite : il les pénètre, il remarque des choses d’une extrême finesse, que tout
le monde sentira quand il les aura dites, mais qui, de tout temps, n’ont été remarquées que de très peu
de gens » ?
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EXTRAITS DES NOTES ET REFLEXIONS DE JEAN-PIERRE VINCENT
Printemps / Automne 2009
« Faudra-t-il un scénario, comme pour Le Jeu de l’amour et du hasard et Ubu ? A priori, ce n’est
pas du tout la même nécessité. Pour Le Jeu de l’amour et du hasard, le scénario servait à décoller
la pièce de sa gangue académique. Pour Ubu, c’était pour donner du corps à une faible fable. »
« L’ajout de la scène « Rousseau/D’Alembert » comporte déjà une sorte d’« effet scénario ». Mais
peut-être n’est-il pas inutile de songer à un « récit second ». Il permettrait peut-être de densifier le
propos. Et à moi, il permettrait de prendre un peu de recul par rapport à ce texte que je connais (ou
crois connaître) sur le bout des doigts, et qui peut me devenir trop familier. Verfremdung (qu’on
pourrait traduire ici par mise à distance, NDLR) comme disait Brecht !
Le lieu
« Extérieur ou intérieur ? La cause semble entendue, pour Marivaux, dès la première réplique : il
faut «mettre la salle en état». Salle ? Grand salon ? Mais à côté de cela, la répétition peut avoir lieu
n’importe où ailleurs que dans le lieu où la chose sera présentée... Marivaux imaginait sans doute
un grand salon (rez-de-chaussée de la demeure), dont on bouleverse l’ordonnance pour les
besoins du divertissement : la scène y serait un tapis débarrassé de son mobilier habituel.
Préparation pour un impromptu de salon avec des chaises regroupées/rangées pour l’assistance ;
par les portes-fenêtres, ce salon donne sur la nature, le jardin d’abord, puis la campagne et le
village (et le clocher !) au loin... Salon réel, envahi par comédies et tragédies tout aussi réelles, par
les paysans, etc. »
« En 1970, l’enjeu pour le lieu était politique (sic) : trouver par exemple un détournement (pour les
besoins du loisir des riches) des « outils de production » agricoles... J’aurais voulu que la scène - le
théâtre dans le théâtre de Merlin - soit constituée de bottes de paille remisées pour l’hiver. Dans
une grange, ou un auvent en plein air, il y aurait eu un amoncellement de bottes en parallélépipèdes
(cela existait-il à l’époque ? Moissonneuses). Et l’on aurait sacrifié une vingtaine de ces bottes pour
en faire un praticable en paille, monter dessus et jouer, d’où gaspillage des produits du labeur, etc.
Mais nos moyens ne nous permettaient pas d’ignifuger tout ça, ni d’imaginer de fausses bottes en
déco. Il fallut donc trouver autre chose. Et ce fut, en plein air, au pied d’un saule mort, une série de
praticables/étendoirs mis côte à côte pour fabriquer une scène de fortune. Les pommes (rouges !)
étaient dans deux grands paniers. Dans sa révolte finale, Blaise bazardait toutes les pommes (la
récolte !) sur le plateau gris clair qui devenait ... ROUGE ! Tout juste si Mao n’entrait pas à cet
instant ! »
« Pas question, évidemment, de reprendre cette vieille idée. Mais l’idée de détournement de la
Page 13
nature, ou des éléments du travail, peut rester sous-jacente. Marivaux détournait un salon, nous
détournions une récolte. »
« Mon premier sentiment, il y a un an, était de partir de l’idée de grange, d’une écurie, d’une salle
dans les communs ; l’intérêt étant la beauté rustique du lieu, des lumières entrant par les portails et
les lucarnes, la paille et le sol de terre battue, le soleil qui change... »
« Puis est venue (le 16 avril 2009) l’idée de repartir de notre Jeu de l’amour et du hasard, qui se
déroulait donc dans une salle de bal de château, désertée depuis la mort de la mère, désaffectée.
C’était l’endroit secret de Silvia, son endroit des larmes solitaires, où tout le monde venait
l’envahir. »
« A propos de détournement, on pourrait ainsi prolonger/renverser le jeu. La salle de bal (avec
mur/miroir piqueté, fresque, petite scène...) serait si désaffectée cette fois qu’on y aurait remisé des
outils, récents ou vieux, des bouts de charrue, voire des parts de récolte. »
« Nous servirons-nous de la petite scène qui existait dans le décor du Jeu de l’amour et du hasard
? Si l’on s’en sert pour la scène de répétition, elle risque d’être un peu éloignée, sauf si le décor est
moins profond. Mais alors il sera moins fort. De plus, durant la scène de répétition, cela dispose de
dos les deux personnages qui assistent et ne sont pas sur scène. Solution possible : il y a une
scène (encombrée) ; on ne s’en sert pas pour la répétition ; on ne s’en occupe pas, sauf Mme
Argante qui monte en scène et bazarde tout ce qui traîne... Pour la répétition on jouerait sur le tapis
central : si tout est au même niveau, les moments de jeu et de hors-jeu, cela peut renforcer les
effets de confusion entre réel et fiction. »
« Si l’on revient à la simple grange - qu’il faudrait débarrasser de son naturalisme - j’ai repéré dans
L’Encyclopédie des gravures de granges ou d’ateliers dont un côté est ouvert, sans mur. Il faudrait
aussi penser à désaxer un tel décor : pas les trois murs bébêtes. Mais alors on tombe sur un
problème de cyclorama (qu’est-ce qu’on voit par cette béance ?). Et nous devons penser à
l’élasticité nécessaire de notre espace ».
Les personnages de veuves
« Mme Hamelin et Araminte peuvent être veuves de banquiers, mécènes culturelles, comme celles
qui aujourd’hui auraient « leur » festival. Mme Argante, veuve de propriétaire agricole (céréalier de la
Beauce) ? Pourquoi viennent-elles marier le petit ici ? C’est qu’il y a aussi du pognon, non pas
forcément à rafler, mais à accumuler : jonction bien connue à l’époque entre bourgeoisie et
grandes familles dans les mariages (ou même, ici, aristocratie d’argent : Mme Amelin). Mais il y a
encore qu’Angélique doit être fort jolie. Le jeune homme est fondu d’amour : on lui fait un beau
cadeau. »
Page 14
Janvier 2010
L’arrière-plan philosophique
« Si Mme Argante se met à emprunter et incarner - plus ou moins - les idées de Jean-Jacques
Rousseau, ses raisons de refuser le théâtre prennent corps et du sérieux (pas même besoin de
parler de « protestantisation »). Elle n’est plus la ridicule de campagne, celle qui n’aurait qu’une
lubie phobique. Elle est une personne réellement agressée par la présence du théâtre dans son
mode de vie (choix de vie). Elle exprime alors une vraie résistance à la culture mondaine. Elle
défend une vision de la société moderne telle qu’elle la veut : morale et économique. »
« Alors, aussi, le différend Paris/Province prend de la hauteur et s’élève au-dessus de la sphère
privée. Et le différend également entre deux fractions de la classe possédante : les bosseurs et les
jouisseurs, les riches arrivés et ceux qui font tout pour arriver. Ne sait-on pas que, dans la
bourgeoisie française moderne, l’élu local est plus soucieux de l’ordre au quotidien que le
responsable central, surtout dans le domaine culturel ? »
Rousseau, Lettre à D’Alembert : « Jamais dans une monarchie l’opulence d’un particulier ne peut
le mettre au-dessus d’un prince ; mais dans une République elle peut le mettre au-dessus des lois.
Alors le gouvernement n’a plus de force et le riche est toujours le vrai « souverain ». Etc. (Garnier-
Flammarion, page 171). « C’est bien avant « les eaux glacées du calcul égoïste » de Karl Marx. Mais
devant cette Mme Argante-là, on peut penser qu’elle défend (encore...) la fameuse « idylle » dont
Marx dit qu’elle a été brisée par l’avènement de la bourgeoisie et la suprématie de l’argent. En tout
cas, elle le vit ainsi, son paternalisme productiviste, à la fois passéiste et réformateur... »
Espace et décor
« Grande légèreté, simplicité, ne pas compliquer », dixit Jean-Paul Chambas (lequel est peintre
et œuvre de concert, depuis longtemps, avec Jean-Pierre Vincent quant aux décors et à la
scénographie de ses spectacles, NDLR). Ici, Jean-Pierre Vincent note : « C’est juste ! » avant de
développer ainsi sa pensée : « Il faut que cela estomaque d’évidence limpide, de beauté plastique à
partir de presque rien et d’élégance coloristique. »
« Un lieu inhabité, pas utilisé depuis un certain temps. Vide, en tout cas. Cela pourrait être, après
tout, comme une salle paroissiale aux usages épisodiques, jouxtant la maison de maître : la
demeure de Mme Argante peut aussi bien se situer dans le village. En tout cas, une impression de
vide quand cela commence : un lieu qui va devoir être habité, arrangé, nettoyé (...). Watteau est
fascinant, mais c’est une poésie, une imagerie beaucoup plus « Régence » qui pourrait avoir un lien
très fort avec les premières pièces, les « fééries » de Marivaux. Ici, des années ont passé. Même si
Marivaux n’est pas naturaliste, le temps et l’espace théâtraux se sont rapprochés du réel. »
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« Une salle vide et pas très clean, donc. Avec un peu, très peu de gravas par terre (chute de staff
ou de plafond). Ligne rouge ou bleue Chambas courant sur le mur à un mètre de haut. Bout de
fresque à peine encore visible ? (Pas compliqué !) Cheminée cassée avec miroir fendu au-dessus ?
Et au fait, un PLAFOND ? Chiant en tournée, mais... ça change tout. »
L’enjeu
« On reste à chaque lecture frappé par la cruauté des manipulations marivaudiennes (c’est-à-
dire celles de l’humanité...). Il faudra passer par cette phase cruelle avant d’y retrouver la comédie.
Car il y a évidemment comédie dans tout cela, comme il pourrait y avoir tragédie. Ces deux
versants du théâtre inventé par les Grecs ont au fond le même sujet, le même ressort, mais vu d’un
angle différent. Ils avaient inventé en même temps la tragédie pour dire aux « mortels » que leurs
ennuis c’était bien plus grave qu’ils ne le pensaient ; et la comédie pour leur dire que c’était
beaucoup moins grave qu’ils ne le pensaient ; et que c’est dans le voyage entre ces deux extrêmes
que nous menons notre barque, individuelle et collective, inclinant tantôt d’un côté, tantôt de
l’autre. »
« De fait, le « marivaudage », style d’interprétation daté, n’a été que le refoulement ou la censure
de la réalité marivaudienne. Refoulement des bien-pensants, censure des adultes envers les
enfants (« Marivaux, c’est charmant, «spirituel», cela ne parle de rien, circulez... »). Alors que la «
métaphysique » de Marivaux est tempérée dans le réel des sentiments et donc du sexe, de l’argent,
du pouvoir de l’un sur l’autre, d’une classe sur les autres. Il faut toujours le lire à tous ces niveaux
en même temps. En ce sens, curieusement, il est le plus shakespearien de nos auteurs français. »
� Pour une étude précise, des réflexions et des pistes pédagogiques concrètes proposées à partir de
l’entretien et des notes de Jean-Pierre Vincent, se référer au dossier pédagogique réalisé par Amandine
Georges pour le Théâtre Dijon Bourgogne et accessible à l’adresse :
http://www.tdb-cdn.com/images/stories/dossiers-accompagnements/Daacteurs.pdf
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ECHOS DANS LA PRESSE
Tours et détours des «Acteurs de bonne foi»
[…] un Marivaux drôle et savant, mis en scène par Jean-Pierre Vincent.
Rien de tel que le théâtre pour semer la zizanie. Dans les Acteurs de bonne foi, il
ébranle même l’ordre social. Valets et servantes qui, sur la suggestion de Madame Hamelin,
répètent un impromptu, manquent de s’étriper en confondant leur rôle avec la réalité. Pire,
le théâtre est le sujet d’une controverse qui est à deux doigts de faire capoter aussi le
mariage des maîtres. Tout s’arrange à la fin, mais comme toujours chez Marivaux, on se
demande si ce happy end - chacun avec sa chacune - n’est pas une gigantesque
supercherie.
Rire et doute sont au rendez-vous de la mise en scène de Jean-Pierre Vincent, en
pleine forme dans ce registre. Sur la scène des Amandiers de Nanterre, il associe quatre
jeunes acteurs à trois comédiennes d’expérience qui ne s’amusent pas moins qu’eux.
Jeu de rôles ou jeu de dupes, il y a du guignol dans le plaisir que provoque la
représentation, qui prend les spectateurs à témoin des ficelles et des finesses. Entre
Madame Hamelin la Parisienne (Laurence Roy), qui entend bien s’amuser, et Madame
Argante la provinciale (Annie Mercier) qui, par bienséance, refuse qu’on joue la comédie
chez elle, le bras de fer est aussi drôle que savant : Jean-Pierre Vincent y glisse des extraits
de la controverse entre Rousseau et d’Alembert à propos des spectacles. Elle est
postérieure de dix ans à la pièce mais qu’importe.
Dans le rôle du rabat-joie, Rousseau s’y pose en adversaire résolu du théâtre : «L’on
croit s’assembler au spectacle, et c’est là que chacun s’isole ; c’est là qu’on va oublier ses
amis, ses voisins, ses proches, pour s’intéresser à des fables […] ou rire aux dépens des
vivants.» A quoi d’Alembert rétorque : « Le spectacle est au contraire celui de tous nos
plaisirs qui nous rappelle le plus aux autres hommes, par l’image qu’il nous présente de la
vie humaine, et par les impressions qu’il nous donne et qu’il nous laisse.»
René Solis, le 16 octobre 2010, in Libération.
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Le classicisme de Jean-Pierre Vincent pousse au sommet l'art de
Marivaux
Construction, lumière, décors, comédiens : avec Les Acteurs de bonne foi,
pièce tardive de l'auteur, le metteur en scène livre, à Nanterre, un spectacle raffiné et
captivant.
Pourquoi les pièces de Marivaux procurent-elles un plaisir si vif, et si profond, du
moins quand elles sont aussi bien servies que ces Acteurs de bonne foi, dont Jean-Pierre
Vincent signe, aux Amandiers de Nanterre, la mise en scène tout en finesse et en élégance
? « Je suis un homme d'aujourd'hui, enfoncé comme tout un chacun dans les difficultés et
les bêtises qui nous assaillent, écrit le metteur en scène dans la bible du spectacle. Mais je
trouve chez Marivaux une sorte de consolation, d'énergie, pour me battre. »
C’est encore Marivaux, celui du Jeu de l’amour et du hasard qui, on s’en souvient,
permettait, dans L’Esquive, le beau film d’Abdellatif Kechiche, l’épanouissement, la sortie
hors de leur gangue, d’adolescents d’une cité HLM de banlieue. Alors ? Certes, Marivaux
n’a pas son pareil pour, du bout de sa plume à la finesse de touche inégalée, déshabiller
avec légèreté ce que l’existence a de plus grave et de plus cruel – les rapports de
domination entre classes, entre sexes, l’amour piégé par la machine sociale et
matrimoniale. Comme le disait Sainte-Beuve à son propos, on peut être philosophe perçant
sous la mine coquette, ce que notre époque semble avoir presque complètement oublié.
C’est déjà beaucoup mais ne suffit pas encore à expliquer le plaisir purement
théâtral qu’offrent les pièces de Marivaux. Le théâtre, chez lui, est à la fois l’objet et le sujet,
le miroir qui ne piège pas seulement « la conscience du roi », comme dans Hamlet, mais
celle de tout un chacun, dans ses difficultés pour devenir un être humain authentique, au
milieu des pesanteurs sociales et des aveuglements intimes.
C’est cette dimension ontologiquement théâtrale de Marivaux qui a particulièrement
intéressé Jean-Pierre Vincent et explique son choix de cette courte pièce, méconnue et
tardive, vraisemblablement écrite un peu avant 1750, alors que l’auteur des Fausses
confidences atteint la soixantaine. Courte et tardive veut dire, ici, que Marivaux y livre une
sorte de quintessence de ses thèmes et de son art, tout en poussant au plus loin les effets
d’emboîtement du « théâtre dans le théâtre ».
On y voit donc une riche dame de Paris, Madame Hamelin, venue à la campagne
pour marier son charmant neveu, Eraste, à la jeune, jolie mais nettement moins argentée,
Angélique, fille de Madame Argante, propriétaire campagnarde. Pour faire plaisir à sa tante
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à qui il doit tout, Eraste charge son valet de chambre, Merlin, de composer une comédie.
Celui-ci imagine le « canevas » suivant : il jouera lui-même les amoureux transis auprès de
Colette, la fille du jardinier, qui dans la « vraie » vie est promise à Blaise, le fils du fermier,
alors que lui, Merlin, est engagé auprès de Lisette, la suivante d’Angélique.
Les répétitions de ce nouveau jeu de l’amour et du hasard provoquent une belle
pagaille, la plupart des « acteurs » ayant du mal à s’y retrouver entre la fiction et la réalité.
Alertée par le vacarme, Madame Argante fait cesser toute l’affaire, trouvant ridicule que l’on
joue la comédie chez une femme de son âge. Piquée, Madame Hamelin décide de lui jouer
un bon tour, avec l’aide de son amie Araminte, riche et séduisante veuve. Un bon tour
théâtral, évidemment. On ne le racontera pas.
Jean-Pierre Vincent a eu la bonne idée d’ajouter, dans le dialogue où s’affrontent
Madame Hamelin et Madame Argante, des extraits de la querelle sur le théâtre de Rousseau
et de D’Alembert. Cela coule de source, dans cette représentation qui ose un raffinement
classique et bienvenu. Beauté des lumières et du décor faussement naturaliste de Jean-
Pierre Vincent, avec touches à la Greuze ou à la Fragonard, bottes de foin et grande toile
peinte représentant une main (celle de Marivaux ?). Beauté des costumes d’époque,
vraiment d’époque, mais oui, de Patrice Cauchetier.
C’est surtout merveilleusement joué, par une troupe où se mêlent de jeunes
« acteurs de bonne foi », vifs et frais, et trois ma^tresses femmes, maîtresses actrices, qui
se régalent littéralement de ce festin marivaudien, et nous avec elles : Laurence Roy
(Madame Hamelin), Annie Mercier (Madame Argan) et Anne Guégan (Araminte).
Qu’est-ce qui fait que des classes entières de lycéens, un soir à Nanterre, restent
captivées de bout en out par une représentation de facture classique, quand tout, dans leur
environnement habituel, les encourage à adhérer à certains discours de plus en plus
prégnants sur l’obsolescence supposée du théâtre ? C’est l’effet Marivaux, qui montre à
ces jeunes qui sont à l’âge où tout se joue que, dans la vie, il peut toujours y avoir du jeu.
Fabienne Darge, le 9 octobre 2010, in Le Monde.
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Jean-Antoine WATTEAU
À la fin du XVIIème s. en France, les
disputes entre les partisans de
Poussin et ceux de Rubens s’étaient
terminées par le triomphe du
Rubénisme, concrétisé par l’élection à
l’Académie, en 1699, de Roger de
Piles, défenseur et biographe de
Rubens. Le triomphe artistique de
Rubens se manifeste chez les peintres
décoratifs du XVIIIème s., et plus
particulièrement chez Jean-Antoine
Watteau (1684-1721). Watteau naquit
à Valenciennes, ville flamande qui
venait de devenir française, et
l’impression que fit sur lui la série des
« Marie de Médicis » de Rubens,
lorsqu’il arriva à Paris en 1702, sans
amis et sans le sou fut énorme.
Jean-Antoine Watteau, Pierrot dit autrefois Gilles.
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Outre l’influence de Rubens, il subit
celle de d’un autre grand peintre
décoratif, Véronèse. Pourtant, l’œuvre
de Watteau qui en résulta fut très
différente par le genre et par la
dimension des tableaux – grands,
vigoureux et joyeux – de celle de ses
deux prédécesseurs. Tuberculeux dès
sa jeunesse, il eut une existence agitée
et insatisfaite ; la mélancolie marque
jusqu’à ses œuvres les plus gaies, et
ses portraits de clowns et d’acteurs
ambulants (Pierrot, dit autrefois Gilles,
Le Mezzetin) témoignent d’une
profonde sympathie pour les laissés-
pour-compte et les rebuts de la
société.
Lui-même n’eut pas à souffrir d’un tel
rejet, ayant des amis dévoués, et il
devint membre de l’Académie de
peinture […]. L’exécution [de ses]
tableau[x] est, comme celle de
Rubens, proche de la technique de la
miniature, avec la touche soyeuse sur
les habits et le feuillage [...].
Jean-Antoine Watteau, Le Mezzetin.
Michael Levey, De Giotto à Cézanne, Une histoire de la peinture, extrait, pp. 211-212.
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L’EQUIPE ARTISTIQUE Jean-Pierre Vincent, metteur en scène
Le parcours de Jean-Pierre Vincent, c'est celui de toute une génération : celle
formée à l'école du groupe théâtral du Lycée Louis-le-Grand. C'est là qu'il rencontre Michel
Bataillon, Jérôme Deschamps mais surtout Patrice Chéreau, en 1959. Il joue dans les
premiers spectacles de Patrice Chéreau : L'Affaire de la rue de Lourcine de Labiche,
L'Héritier de village de Marivaux, Les Soldats de Lenz.
Ensemble, ils s'installent à Sartrouville. En 1968, Jean-Pierre Vincent quitte
Sartrouville et rencontre Jean Jourdheuil avec qui il fondera la Compagnie Vincent-
Jourdheuil, Théâtre de l'Espérance en 1972.
Ils montent un spectacle qui fait date, La Noce chez les petits bourgeois de Brecht
au Théâtre de Bourgogne en 1968, Le Marquis de Montefosco d'après Goldoni au Grenier
de Toulouse, La Cagnotte d'après Labiche à Strasbourg au T.N.S., Capitaine Schelle,
Capitaine Eçço de Rezvani au T.N.P. de Georges Wilson à Chaillot en 1971.
En 1975, après l'expérience du Tex-Pop (Théâtre Expérimental Populaire) installé au
Palace, à Paris, la Compagnie se dissout. C'est à ce moment qu'est proposée à Jean-Pierre
Vincent la direction du Théâtre National de Strasbourg. Avec sa bande de comédiens
fidèles, accompagné de metteurs en scène et de dramaturges (Bernard Chartreux, Michel
Deutsch, André Engel, Dominique Müller...), s'entourant de peintres-scénographes pour les
décors (Nicky Rieti, Titina Maselli, Lucio Fanti, Jean-Paul Chambas), il se lance dans
l'aventure à travers l'exploration de l'histoire de la France et des Français : Germinal, Vichy
fictions, Le Misanthrope, Le Palais de Justice... Autant de spectacles qui s'inscrivent dans
une même démarche, une même philosophie. Avec son travail préparatoire pour chaque
spectacle qui s'étale sur plusieurs mois, avec ses lectures, ses enquêtes, sa traque du
document, de la vérité où s'engagent dramaturges et comédiens. Avec ses rencontres, ses
visites sur le terrain, comme lorsqu'il s'agit, par exemple, de descendre dans la mine pour
Germinal. Avec, encore, son école pas comme les autres, pleinement intégrée dans la vie
du théâtre.
Il est ensuite nommé Administrateur de la Comédie-Française en août 1983, mais
choisit en 1986 de quitter l'Administration de la Comédie Française pour se livrer
entièrement à son activité de metteur en scène, mais aussi de professeur au Conservatoire
national Supérieur d'Art Dramatique. Il va de théâtre en théâtre pour monter Le Mariage de
Figaro de Beaumarchais (Théâtre National de Chaillot, 1987), 0n ne badine pas avec l'amour
d'Alfred de Musset (Théâtre de Sartrouville, 1988), Le Faiseur de Théâtre de Thomas
Page 22
Bernhard (TNP Villeurbanne, 1988), La Nuit les chats (Théâtre ouvert, 1989), Oedipe et les
Oiseaux - Trilogie (Festival d'Avignon 1989, Nanterre-Amandiers, 1989), La Mère coupable
de Beaumarchais (Comédie-Française, 1990), Le Chant du Départ d'Ivane Daoudi (Théâtre
de Nice et Théâtre de la Ville, 1990 ).
En juillet 1990, il prend la direction du Théâtre des Amandiers à Nanterre où il
présente, en octobre, Les Fourberies de Scapin de Molière (créé trois mois plus tôt dans la
Cour d'Honneur du Festival d'Avignon). Le spectacle tourne dans toute la France avant
d'être repris en juin 1991 au Théâtre Mogador à Paris.
Il alterne depuis les créations de textes contemporains : Princesses de Fatima
Gallaire (mai 1991, prix du syndicat de la critique - meilleure oeuvre francophone), Un
homme pressé de Bernard Chartreux (mars 1992) et les spectacles du cycle Musset
« Enfant du siècle » : Fantasio et Les Caprices de Marianne (octobre - novembre 1991), On
ne badine pas avec l'amour et Il ne faut jurer de rien (février - mars 1993), Woyzeck (octobre
1993), Combats dans l'Ouest de Vichnievski (avril 1994), Thyeste de Sénèque (septembre -
octobre 1994), et Violences à Vichy 2 de Bernard Chartreux (mai - juin 1995).
Après la tournée internationale du spectacle Le Jeu de l'amour et du hasard, Jean-
Pierre Vincent a mis en scène au Théâtre des Amandiers, en janvier 2000, Homme pour
Homme de Bertolt Brecht.
En juillet 2000, il a créé Lorenzaccio d'Alfred de Musset au Festival de Marseille. Ce
spectacle a été repris à la Cour d'Honneur du Palais des Papes du 26 au 30 juillet 2000,
puis au Théâtre des Amandiers en octobre et novembre 2000, avant une tournée en France.
En avril 2001, avec les Acteurs Amateurs des Amandiers, il a mis en scène Le Drame
de la vie de Valère Novarina.
En septembre 2001, L'Echange (première version de 1893) de Paul Claudel est sa
dernière mise en scène au Théâtre des Amandiers qu'il quitte le 31 décembre de la même
année.
Il fonde alors, toujours avec Bernard Chartreux, mais aussi ses compagnons de
travail Jean-Paul Chambas, Alain Poisson et Patrice Cauchetier, sa nouvelle compagnie :
« Studio Libre ». Subventionnée par le Ministère de la Culture, la compagnie entreprend des
co-productions avec les grands théâtres. Vincent et Chartreux font aussi partie du Comité
Pédagogique de l'ERAC, et consacrent une grosse part de leur activité à cette école. Ainsi,
en 2002, ils présentent un spectacle de sortie de l'Ensemble 10 au Festival d'Avignon, puis
à la MC93 de Bobigny : Le fou et sa femme ce soir dans Pancomedia de Botho Strauss.
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C'est en 2003 au Théâtre de la Colline qu'il monte pour la première fois une pièce de
Jean-Luc Lagarce : Les Prétendants (prix de la meilleure mise en scène, décerné par le
syndicat de la critique).
En 2004, après un détour chez Edward Bond avec Onze débardeurs, il monte
Derniers remords avant l'oubli de Jean-Luc Lagarce (tournée en 2004/2005). En mai 2005, il
est invité par le festival de Syracuse en Sicile à mettre en scène Les Sept contre Thèbes
d'Eschyle au théâtre grec, spectacle repris cet automne au Teatro Olympico de Vicenza.
En 2006, il met en scène Les Antilopes de Henning Mankell, accueilli au Théâtre de
La Criée.
Il est membre du Conseil d’administration du Festival d’Avignon.
Après quelques années d'absence, Jean-Pierre Vincent revient en 2008 au théâtre
classique en mettant en scène L'Ecole des femmes de Molière et offre un beau rôle à Daniel
Auteuil.
Bernard Chartreux, dramaturge
Bernard Chartreux est dramaturge, au sens d’auteur dramatique et dramaturge au
sens plus moderne du terme (il travaille ainsi aux côtés du metteur en scène et résout des
questions relatives au texte : adaptation, traduction, documentation…).
Bernard Chartreux collabora avec Jean-Pierre Vincent depuis 1974. Plusieurs de ses
pièces ont été mises en scène par ce dernier : Violences à Vichy, Dernières nouvelles de la
peste. Il a aussi collaboré à la plupart des mises en scène de Jean-Pierre Vincent telles que
celles de Le Mariage de Figaro, Le Jeu de l’amour et du hasard.
En tant que traducteur, il a travaillé sur des pièces allemandes avec Jean-Pierre
Vincent (Woyzeck, La Mort de Danton). Il participe aussi à la formation de jeunes acteurs
avec Jean-Pierre Vincent.
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Frédérique
Plain
assistante à
la mise en
scène
est comédienne et metteuse en scène. Elle a fondé sa
compagnie L’alarme à l’œil en 2008. Elle prépare
actuellement un spectacle de Musset : Il faut qu’une porte
soit ouverte et On ne saurait penser à tout qui sera joué
en avril 2011 au TDB.
Elle collabore avec Jean-Pierre Vincent depuis 2003.
Jean-Paul
Chambas
décor est peintre et réalise des décors de théâtre et d’opéra
depuis 1976. Il a collaboré avec Jean-Pierre Vincent sur
40 spectacles.
Carole
Metzner
assistante à
la réalisation
du décor
est peintre et sculpteur pour le théâtre, le cinéma et
l’opéra. Elle collabore avec Jean-Paul Chambas et donc
Jean-Pierre Vincent depuis 1992.
Patrice
Cauchetier
costumes est costumier pour le théâtre et l’opéra (90 spectacles). Il
collabore depuis plus de vingt ans avec Jean-Pierre
Vincent. Il a été nominé plusieurs fois pour le Molière du
meilleur créateur de costumes et l’a obtenu pour La Mère
coupable de Beaumarchais.
Alain Poisson lumières est éclairagiste pour le théâtre, l’opéra, pour des artistes
comiques et des défilés de mode. Il collabore avec Jean-
Pierre Vincent depuis 1985 (a éclairé presque tous ses
spectacles).
Bernard
Chabin
mouvements
physiques
est maître d’armes et cascadeur pour le théâtre, le
cinéma, l’opéra et la télévision. Il a déjà collaboré avec
Jean-Pierre Vincent en 2000 pour Lorenzaccio au festival
d’Avignon.
Suzanne
Pisteur
maquillage est maquilleuse pour le théâtre et l’opéra (après l’avoir été
pour le cinéma et la mode). Elle collabore souvent avec
Jean-Pierre Vincent et a une relation de travail privilégié
avec le costumier Patrice Cauchetier.
Et les acteurs : Annie MERCIER, Laurence ROY, Claire THÉODOLY, Patrick
BONNEREAU, Matthieu SAMPEUR, Olivier VEILLON, David GOUHIER, Julie DUCLOS,
Pauline MÉREUZE, Anne GUÉGAN
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AUTRES RESSOURCES
- P. Gazagne, Marivaux, Le Seuil, collections Microcosmes Ecrivains Toujours, 1997.
- Dans la collection Panorama d’un auteur : Marivaux, éditions Studyrama, 2005.
- Marivaux, Les Acteurs de bonne foi, Hatier, collection Classiques & Cie, 2008.
- Marivaux, Les Acteurs de bonne foi, Nathan, collection Carrés classiques, 2009.
- Un entretien filmé avec Jean-Pierre Vincent à propos de Les Acteurs de bonne foi :
http://www.youtube.com/watch?v=XgWJw8yKpIU
- Lettre de d’Alembert à M. J.-J. Rousseau sur l’article Genève, tiré du Septième
volume de l’Encyclopédie :
http://fr.wikisource.org/wiki/Lettre_de_d%E2%80%99Alembert_%C3%A0_M._J.-
J._Rousseau_sur_l%E2%80%99article_Gen%C3%A8ve
- Le site du Théâtre Nanterre Amandiers propose de nombreuses ressources sur le
spectacle :
http://www.nanterre-amandiers.com
LA COMEDIE DE REIMS Centre dramatique national Direction : Ludovic Lagarde 3 chaussée Bocquaine 51100 Reims Tél : 03.26.48.49.00 www.lacomediedereims.fr