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A N N A L E S D ' O T O L A R Y N G O L O G I E E T D E C H I R U R G I E C E R V I C O - F A C I A L E 1 2 4 ( 2 0 0 7 ) S 3 9 – S 4 4
A R T I C L E I N F O
Mots clés :
Douleur orofaciale
cervicale et épaule
Post-traitement du cancer
Neuropathique
Myofascial
Keywords:
Orofacial, cervical,
and shoulder pain
Cancer posttreatment
Neuropathic
Myofascial
R É S U M É
Les standards de traitement des tumeurs pharyngolaryngées se sont modifiés afin d’éviter
la mutilation laryngée (chirurgie partielle, endoscopique, radiothérapie séquentielle, chi-
miothérapie). Les douleurs induites sont fréquentes et varient en fonction des traitements.
Ainsi, la chimioradiothérapie induit moins de douleur, souvent plus sévère, puisque 20 %
ne sont pas contrôlées par des opioïdes forts. La douleur des mucites, bien que non spéci-
fique au cancer ORL, est plus fréquente et plus sévère et la prévention et le traitement res-
tent encore mal définis. Celles des nécroses post-radiothérapiques (mandibule, cartilage
laryngé…) sont moins fréquentes, tardives et extrêmement sévères. Les douleurs cervicales
et de l’épaule sont présentes chez plus d’un tiers des patients et de mécanismes multiples
(myofasciale articulaire). Elles sont secondaires à la radiothérapie, à la chirurgie (lésion de
la XIe paire crânienne lors des curages, reconstruction par lambeau). Enfin, la douleur
coexiste avec les perturbations des fonctions essentielles (parole, déglutition…) et le han-
dicap générés par les traitements. La prise en charge globale de la douleur, de la souffrance
et de l’impact psychosocial est essentielle.
© Publié par Elsevier Masson SAS.
A B S T R A C T
The standards of pharyngolaryngeal tumor treatment have changed over the years in an
attempt to prevent laryngeal mutilation (partial surgery, endoscopic surgery, sequential
radiotherapy, and chemotherapy). Pain induced by these treatments is frequent and va-
ries from one treatment to another. Chemoradiotherapy induces less pain but often more
severe pain, since 20% of these situations are not controlled by strong opioids. Pain from
mucositis, although nonspecific to otolaryngic cancer, is more frequent and more severe,
and prevention and treatment remain poorly defined. Pain from postradiotherapeutic
necrosis (mandibula, laryngeal cartilage, etc.) is less frequent, delayed, and extremely
severe. Cervical and shoulder pain is present in more than one-third of patients and
stems from a number of mechanisms (myofascial and articulatory). It is secondary to
radiotherapy or surgery (XIth cranial nerve lesions during curage or flap reconstruction).
Finally, pain coexists with disturbances of basic functions (speech, swallowing, etc.) and
the disability generated by treatments. Management of pain, suffering, and the psycho-
social impact is essential.
© Publié par Elsevier Masson SAS.
Douleur des cancers ORL au stade des séquelles
Otolaryngological cancer pain at the after-effects stage
M.-L. Navez
CETD, CHU de Saint-Étienne–Bellevue, 25, boulevard Pasteur, 42055 Saint-Étienne cedex, France
Adresse e-mail : [email protected] (M.-L. Navez)
S40 A N N A L E S D ' O T O L A R Y N G O L O G I E E T D E C H I R U R G I E C E R V I C O - F A C I A L E 1 2 4 ( 2 0 0 7 ) S 3 9 – S 4 4
La sphère ORL est le siège de fonctions essentielles pour la
survie de l’individu (alimentation, respiration), mais aussi
pour sa vie de relation et de communication (la parole, le
regard, la mimique). L’atteinte de cette sphère par la maladie
cancéreuse et l’altération de tout ou partie de ces fonctions
justifient qu’elle soit individualisée. La douleur va alors s’ins-
crire d’emblée dans un tableau beaucoup plus large intégrant
une atteinte sensorielle, psychique et sociale, définissant le
concept de douleur globale.
La douleur est souvent à l’origine de la découverte du can-
cer. Elle est décrite comme sévère dans plus de 50 % des cas
[1]. Ses causes sont multiples et liées soit à une récidive dans
35 % des cas, aux séquelles des traitements dans 30 %, d’étio-
logie mixte dans 25 %, et inconnue chez 10 % des patients.
Associés à la douleur, l’atteinte esthétique, la dysphagie et les
troubles salivaires sont les plaintes les plus fréquemment
rapportées et rendent compte de la souffrance psychique et
sociale de ces patients [1].
1. Douleurs séquelles de traitement curatif du cancer ORL
Pendant longtemps la chirurgie radicale et la radiothérapie
ont été les standards de traitement des tumeurs pharyngo-
laryngées. Les douleurs secondaires étaient fonction de
l’importance du délabrement postchirurgical. Actuellement,
les progrès de la chirurgie partielle, endoscopique et ceux de
la radiothérapie ont permis d’éviter la mutilation laryngée.
La chimiothérapie (5FU–cysplatine et plus récemment les
taxanes) occupe une place de choix dans ces stratégies de
préservation et en cas de récidive locale ou à distance. La
radiochimiothérapie séquentielle (chimiothérapie d’induc-
tion puis radiochimiothérapie) permet dans certains cas de
sauver l’organe avec des résultats équivalents à la laryngec-
tomie suivie de radiothérapie. La toxicité aiguë de ces proto-
coles, en particulier avec le risque de survenue de mucites,
est élevée mais la toxicité tardive ne semble pas majorer [2].
Les différentes études [1–5] retrouvent une prévalence de
la douleur variant entre 82 et 100 %. Dans la série de Chua et
al., 52 % des patients ont une douleur sévère avec une EVA
supérieure à 7 sur 10, 35 % de ces douleurs sont liées à une
récidive et 30 % secondaires aux traitements. Globalement, la
prévalence des douleurs séquelles des traitements varie entre
20 [6] et 28 % [5].
Le type et le mécanisme de ces douleurs sont variables.
Elles sont le plus souvent mixtes, à la fois nociceptives et neu-
ropathiques, chez trois quarts des patients dans la série de
Vetch et al. [6], 10 à 15 % sont de mécanisme myofascial. La
localisation de la douleur est cervicale et scapulaire (30 % des
cas) et au niveau oromandibulaire (environ 50 %). Si 82 % des
patients se plaignent de dysphagie douloureuse, 60 % d’entre
eux vont répondre aux analgésiques non opiacés. Associée à
cette douleur somatique, 87,5 % de patients font état d’une
souffrance psychologique liée à l’altération des fonctions de
déglutition, du langage, de la ventilation et de l’image corpo-
relle.
La prévalence des douleurs séquellaires est fonction du type
de traitement curatif proposé (Tableau 1). La chimioradiothéra-
pie comparée à la laryngectomie–radiothérapie induit 67 con-
tre 83 % de douleur sévère, mais les douleurs postchimiothéra-
pie sont souvent d’apparition souvent plus précoce et plus
intenses puisque 20 % ne sont pas contrôlées par des opioïdes
forts contre 3 % seulement dans l’autre cas [7]. Les douleurs
scapulaires sont essentiellement décrites après chirurgie oro-
pharyngolaryngée avec curage. Ces séquelles douloureuses
varient en fonction des traitements curatifs du cancer ORL,
mais équivalentes en termes d’altération de la qualité de vie,
elles sont détaillées dans le Tableau 1 [8,9].
Certains facteurs apparaissent comme déterminants dans
la survenue de ces douleurs comme la présence ou non d’une
trachéostomie ou d’une gastrotomie, la réalisation d’un
curage ganglionnaire, l’association de différents traitements.
2. Douleurs neuropathiques
Les douleurs neuropathiques, séquelles des traitements du
cancer ORL, peuvent être secondaires à la chirurgie, à la radio-
thérapie ou à la chimiothérapie. Elles seront soit focalisées au
territoire opéré ou irradié, soit distale et bilatérale après chi-
miothérapie [10].
Les douleurs focales intéressent essentiellement la région
cervicofaciale avec atteintes des branches du nerf trijumeau,
le nerf glossopharyngien (IX), la branche du nerf laryngé supé-
rieur, ou le plexus cervical, plus rarement brachial.
La douleur neuropathique est décrite comme une brûlure,
des dysesthésies, quelquefois des décharges électriques.
L’examen clinique retrouve une zone d’hypoesthésie dans le
territoire du nerf concerné, parfois une allodynie déclenchée
par le frottement de la zone. Le patient pourra décrire des sen-
Tableau 1 – Principales séquelles douloureuses en fonction du traitement du cancer ORL [8,9]
Type de traitement
Type de douleur
Radiothérapie Chirurgie ± lambeau ± curage Chimiothérapie
Oropharyngée
Dysphagie
Mucites
Dysphagie
Dysphagie Mucites dysphagie
Dl neuropathique Si > 60 Grays Lésions nerveuses Atteintes distales
Att musculocutanée Fibrose muscles
Trismus
Lambeau musculaire
Att XI, curage
Douleur dentaire,
os cartilage
Caries, ostéoradionécrose mandibule,
art. costoclaviculaire
Cartilage laryngé
Articulation temporomandibulaire
Colonne cervicale
Dysfonctions Déglutition, parole, image corporelle
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sations fantômes en particulier au niveau maxillaire. Un
questionnaire d’évaluation qualitative de la douleur avec dix
items simples (brûlure, fourmillements, allodynie, hypoes-
thésie…) permet d’individualiser assez facilement le carac-
tère neuropathique de la douleur [11].
Les douleurs peuvent être paroxystiques ou continues. Au
niveau cervical l’entrapement du nerf transverse cervical
(rameau de C3) est responsable de douleurs à type de déchar-
ges lors des mouvements du cou mettant en tension ce nerf
souvent comprimé par les éléments musculotendineux
séquelles de la chirurgie (buccopharyngectomie avec recons-
truction, curage ganglionnaire) ou de la radiothérapie cervi-
cale.
Les douleurs continues à type de brûlures sont liées à des
lésions de démyélinisation postchirurgicale ou post-radiothé-
rapique dès que l’on a dépassé une dose de 60 Grays. Elles sont
décrites essentiellement au niveau du territoire mandibulaire
et mentonnier après buccopharyngectomie et au niveau cervi-
cal lors de l’atteinte du plexus cervical [12], la topographie est
alors volontiers en hémipèlerine. Le diagnostic différentiel
avec une récidive locale, en particulier ganglionnaire, peut être
difficile et doit faire appel à l’examen clinique et aux explora-
tions paracliniques (imagerie, endoscopie). Le syndrome de
Claude-Bernard–Horner, lié à l’atteinte du sympathique cervi-
cal lors de la dissection chirurgicale, est témoin de l’atteinte
plexique. Une fois lésé, il est permanent et apparaît très tôt en
postopératoire. Sa survenue tardive peut signifier une reprise
évolutive [12].
L’atteinte du plexus brachial peut être secondaire à un
envahissement tumoral de contiguïté, ou à une évolution
ganglionnaire. Les racines hautes sont les premières atteintes
(C5–C6) avec une projection de la douleur au niveau du moi-
gnon de l’épaule [12].
Les douleurs neuropathiques distales bilatérales sont
décrites après chimiothérapie (sels de platine et plus récem-
ment taxol). Elles intéressent les extrémités avec une topo-
graphie dite en chaussette ou en gant. Elles surviennent, en
général, après plusieurs cures de traitement.
Le traitement des douleurs neuropathiques associe les
antiépileptiques (gabapentine et pregabaline), les antidé-
pressseurs tricycliques (amitriptyline) et plus récemment cer-
tains inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la nora-
drénaline (venlafaxine ou prochainement la duloxetine). Les
douleurs neuropathiques focales et en particulier celles ou les
phénomènes d’allodynie sont présents, répondent aux traite-
ments topiques proposés sous forme de compresse de lido-
caïne, de crème Emla®, voire de préparation à la capsaïcine
[13].
L’efficacité de ces traitements est évaluée par la mesure du
number need to treat (NNT, nombre de patients à traiter pour
obtenir 50 % d’amélioration) la gabapentine a un NNT à 3,2,
les antidépresseurs tricycliques ont un NNT inférieur mais la
tolérance de ces médicaments est souvent médiocre et le ris-
que d’arrêt pour effets indésirables élevé.
3. Douleurs musculoarticulaires secondaires au traitement du cancer ORL
Les douleurs séquellaires localisées à la région cervicale et
scapulaire sont présentes chez plus d’un tiers des patients.
Les mécanismes sont multiples, neuropathique déjà évoqué,
myofasciale liée à la fibrose postradique ou lors des recons-
tructions par lambeaux myocutanés, enfin articulaire au
niveau cervicale, scapulaire ou temporomandibulaire [10].
La paralysie du nerf accessoire (XIe paire crânienne), nerf
moteur des muscles trapèze et sternocléidomastoïdien, est
décrite après lésion lors des dissections pour curage. La fré-
quence et la sévérité de l’atteinte sont fonction du type de
curage, plus importante dans les dissections postérolatérales
(66 %) [9,14].
La douleur scapulo-humérale est sévère, mécanique. La
gêne fonctionnelle est importante, par déséquilibre de la cein-
ture scapulo-humérale. On assiste à une limitation de
l’abduction inférieure à 90 degrés, une chute de l’épaule, un
décollement de l’omoplate. La douleur est liée à l’étirement
du muscle angulaire et au conflit sous-acromial pouvant réa-
liser au maximum un tableau de capsulite rétractile [14].
Le type de dissection lors du curage va conditionner la
douleur et la fonction cervico-scapulaire. Si la chirurgie épar-
gne le XI et est limitée dans le triangle postérieur (stade IV, V)
la fonction de l’épaule, la douleur, les sensations constrictives
au niveau du cou, et la qualité de vie sont correctes. En revan-
che, le sacrifice du muscle sternocléidomastoïdien et du XI est
responsable d’une altération importante de l’activité quoti-
dienne corrélée au degré de dysfonction du membre supé-
rieur et de l’abduction [14,15].
L’importance de cette dysfonction peut être évaluée à par-
tir de test d’abduction de l’épaule, une valeur inférieure a 90
degrés est corrélée à l’importance de la douleur et de l’altéra-
tion de l’épaule [16]. En revanche, on note peu ou pas de cor-
rélation entre les données électro-, myo- et neurographique
et la qualité de vie [14]. Le sacrifice de la veine jugulaire et la
radiothérapie complémentaire sont des facteurs qui aggra-
vent encore le pronostic douloureux et fonctionnel.
Le traitement est essentiellement rééducatif, entrepris très
précocement sous couvert d’antalgiques, associant niveau 1
et 2 le plus souvent, et anti-inflammatoires. Le but est de
maintenir une mobilité passive afin d’éviter une capsulite
rétractile et une fibrose musculaire [9]. Lors des dysfonctions
sévères, des orthèses ont été proposées [17]. Ce traitement
peut être complété par des techniques plus spécifiques
comme les infiltrations des points trigger musculaire, du
muscle angulaire [12], d’utilisation de toxines botuliques [18],
voire de chirurgie de ré-innervation.
Les douleurs après chirurgie de reconstruction sont pré-
sentes chez un tiers des patients [19]. Elles sont le plus sou-
vent mixtes, à la fois neuropathiques et musculoarticulaires.
On décrit des douleurs cervicales liées au remaniement du
muscle sternocléidomastoïdien, comprimant les branches
C2–C3, des douleurs à irradiation postérieure ou scapulo-
humérale secondaires aux attitudes vicieuses comme les tor-
ticolis et aux contractures douloureuses des lambeaux myo-
cutanés [12].
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Les douleurs de l’articulation temporomandibulaire (ATM)
se rencontrent essentiellement au décours des buccopharyn-
gectomies, des hémimandibulectomies ou des radiothérapies
dont le champ recoupe les ATM. Ces douleurs articulaires et
myofasciales sont sourdes, quotidiennes accompagnées d’un
trismus douloureux. Leur topographie est homolatérale en
cas de radiothérapie, controlatérale dans les hémimandibu-
lectomies. Les facteurs aggravants sont le stress, les troubles
de déglutition, les excès d’usage mandibulaire liés aux con-
tractures et à la dysfonction, le déséquilibre de l’articulé den-
taire. La prise en charge est essentiellement orthopédique et
rééducative par le biais de prescription de gouttières, de réé-
quilibration et de soins orthodontiques, l’usage de myore-
laxant voire d’infiltration myofasciale ou articulaire d’analgé-
siques [20].
4. Douleurs séquelles des traitements radiothérapiques (Tableau 2)
Les douleurs secondaires à la radiothérapie sont fréquentes et
de survenue plus ou tardives [21]. Certaines comme celles
accompagnant les mucites ne sont pas spécifiques du cancer
ORL, mais leur prévalence et leur sévérité dans ce cas sont
importantes. Dans une méta-analyse réunissant 6181
patients traités pour cancer ORL, l’incidence moyenne des
mucites est de l’ordre de 80 % avec une sévérité de grade 3–4
chez 56 % de patients traités par radiothérapie fractionnée,
34 % par radiothérapie conventionnelle et 43 % par radiochi-
miothérapie. Chez 16 % de patients une hospitalisation pour
mucite grave a été nécessaire et chez 11 % le traitement a du
être suspendu [22]. Le traitement des mucites a fait l’objet de
plusieurs études, souvent non contrôlées et avec de petits
effectifs de patients. Des protocoles variés sont proposés
comportant pour la plupart des bains de bouche (chlorhexi-
dine, polividone iodée), la lidocaïne, les boissons glacées, des
lasers basse fréquence. Les agents (benzydamine, sucralfate,
aluminum hydroxide suspension) ne se sont pas montrés
plus efficaces que le placebo. Une revue récente de la littéra-
ture, à propos de 24 études contrôlées regroupant 1292
patients [23], fait état de seulement trois études faiblement
positives avec l’allopurinol en bains de bouche, la vitamine E,
les immunoglobulines ou les extraits placentaires.
Les morphiniques restent le standard du traitement de la
douleur des mucites Dans les formes sévères elle est adminis-
trée sous mode analgésie autocontrôlée. L’efficacité analgési-
que n’est pas supérieure à l’infusion continue mais la con-
sommation d’opioïdes est moindre [23]. Ont été également
proposées, la kétamine mais son efficacité demande à être
confirmée, ainsi que la morphine en topique [24]. La préven-
tion de la mucite est essentielle en raison de son impact sur le
risque infectieux, la qualité de vie, et la poursuite du traite-
ment curatif, mais là encore les protocoles proposés n’ont pas
fait preuve d’efficacité [25].
L’incidence des nécroses post-radiothérapiques lors du
cancer ORL varie entre 5 et 15 %, dont 2 % considérées comme
sévères. Elles intéressent surtout la mandibule (86 patients
sur 3157 irradiés [26], le cartilage laryngé (16 chondrites laryn-
gées sur 3157 patients), l’os hyoïde, et l’articulation sternocla-
viculaire. L’atteinte de la base de crâne est plus rare mais
extrêmement douloureuse [27]. Les facteurs déterminants
sont la proximité tumorale de l’os, l’état de la dentition, le
type et les doses de traitement, la poursuite de l’intoxication
alcoolotabagique, le statut nutritionnel [28]. Ces douleurs sont
au premier plan intense et surviennent le plus souvent tardi-
vement à distance du geste initial faisant craindre la possibi-
lité d’une récidive [26].
Le traitement est difficile et l’efficacité incertaine. Il asso-
cie les opioïdes forts et les techniques de blocs analgésiques
du nerf mandibulaire. Il est souvent nécessaire de proposer
des gestes de propreté sous forme de débridements ou d’exé-
rèses chirurgicales. L’oxygène hyperbare est réservé aux
radionécroses sévères après hémimandibulectomie ou sur
des cavités dentaires après extraction sur terrain irradié [29].
5. Souffrance secondaire aux perturbations des fonctions essentielles comme la dysphagie, la dyspnée, les troubles de la voix, la dysmorphie faciale
Plusieurs études se sont intéressées à la qualité de vie et à
l’impact psychosocial du handicap généré par les traitements.
Globalement, les laryngectomies induisent plus de difficulté à
parler (voix de mauvaise qualité dans deux tiers des cas), de
dysfonction cervico-scapulaire, tandis que la chimioradiothé-
rapie donne plus de douleur, de difficulté à avaler [3,30].
Tableau 2 – Séquelles liées à la radiothérapie dans les cancers Tête et cou [21]
Durant radiothérapie (0 à 6 semaines) Après radiothérapie
Perte de goût Dès la dose de 10 Gy
Dès la première semaine
De 6 à 70 semaines environ
mais hypo agueusie ou dysgeusie résiduelle
Hyposialie Apparition rapide
Irréversibles des 25–40 Gy
Pendant plus de 3 mois
Hyposialie résiduelle ++
Mucites +++
Douleur +++
Dès 10 Gy
Dès la première semaine
De 6 à 10 semaines environ
Caries dentaires
Douleur
Secondaires à l’hyposialie Fin et plusieurs mois après radiothérapie
Trismus
Douleur
Fin et plusieurs mois après radiothérapie
Ostéoradionécrose douleur +++ Plusieurs mois et années après radiothérapie
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La dysphagie est fréquente (42 % de laryngectomisés, 50 %
de pharyngectomisés) et sa sévérité est corrélée étroitement
avec le niveau de qualité de vie, d’anxiété et de dépression
[31]. La dysphagie peut s’accompagner de douleur plus ou
moins importante et aggraver les troubles de déglutition,
voire empêcher toute alimentation [31]. La difficulté à manger
affecte non seulement notre état physique, mais également
mental aboutissant à l’isolement social. La prise en charge est
éducative et rééducative (orthophonie). La mise en place pro-
longée des sondes d’alimentation est de mauvais pronostic et
les capacités de coping et d’autogestion par le patient sont
essentielles à mettre en œuvre [30].
La dysmorphie cervicofaciale est secondaire à l’exérèse
mandibulaire, à la trachéostomie, aux gestes de reconstruc-
tion, à l’œdème facial, aggravée parfois par l’hypersalivation
nauséabonde. Elle affecte l’image de soi, et conduit au repli
social et à la dépression [32]. La prise en charge globale de la
douleur et de la souffrance est essentielle [3,14].
Enfin, les troubles de la voix vont affecter les relations
sociales et familiales du patient et les rapports avec son
entourage. Ces troubles sont variables et fonction du type de
laryngectomie, partielle ou totale, du statut psychosocial
antérieur du patient [33].
La prise en charge de la souffrance psychologique liée aux
séquelles du traitement est essentielle et multimodale. Elle
associe une réhabilitation des fonctions de déglutition, de la
dysphonie, des difficultés de communication, de la modifica-
tion du schéma corporel. Elle doit comporter un volet réédu-
catif spécifique (orthophonie) et psychocomportemental afin
d’éviter au patient l’isolement, le repli sur soi, la perte de
l’estime de soi et la dépression [34].
Le cancer ORL impose des traitements curatifs associant
chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie avec des risques
iatrogènes importants. Les douleurs séquelles de ces traite-
ments sont fréquentes, sévères et de mécanismes mixtes
(nociceptif, neuropathique, myoarticulaire). Leur retentisse-
ment sur la qualité de vie est important. Le diagnostic étiolo-
gique de la douleur est essentiel afin de ne pas méconnaître
une possible récidive néoplasique. La prise en charge de ces
douleurs demande une stratégie de repérage et d’évaluation
très précoce afin de mettre en place un traitement adapté qui
va selon le cas associer des antalgiques, des médicaments à
visée antineuropathique, mais également des thérapeutiques
rééducatives voire psychocomportementales.
R É F É R E N C E S
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