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© Publié par Elsevier Masson SAS. ANNALES D ' OTOLARYNGOLOGIE ET DE CHIRURGIE CERVICO - FACIALE 124 (2007) S39–S44 ARTICLE INFO Mots clés : Douleur orofaciale cervicale et épaule Post-traitement du cancer Neuropathique Myofascial Keywords: Orofacial, cervical, and shoulder pain Cancer posttreatment Neuropathic Myofascial RÉSUMÉ Les standards de traitement des tumeurs pharyngolaryngées se sont modifiés afin d’éviter la mutilation laryngée (chirurgie partielle, endoscopique, radiothérapie séquentielle, chi- miothérapie). Les douleurs induites sont fréquentes et varient en fonction des traitements. Ainsi, la chimioradiothérapie induit moins de douleur, souvent plus sévère, puisque 20 % ne sont pas contrôlées par des opioïdes forts. La douleur des mucites, bien que non spéci- fique au cancer ORL, est plus fréquente et plus sévère et la prévention et le traitement res- tent encore mal définis. Celles des nécroses post-radiothérapiques (mandibule, cartilage laryngé…) sont moins fréquentes, tardives et extrêmement sévères. Les douleurs cervicales et de l’épaule sont présentes chez plus d’un tiers des patients et de mécanismes multiples (myofasciale articulaire). Elles sont secondaires à la radiothérapie, à la chirurgie (lésion de la XI e paire crânienne lors des curages, reconstruction par lambeau). Enfin, la douleur coexiste avec les perturbations des fonctions essentielles (parole, déglutition…) et le han- dicap générés par les traitements. La prise en charge globale de la douleur, de la souffrance et de l’impact psychosocial est essentielle. © Publié par Elsevier Masson SAS. ABSTRACT The standards of pharyngolaryngeal tumor treatment have changed over the years in an attempt to prevent laryngeal mutilation (partial surgery, endoscopic surgery, sequential radiotherapy, and chemotherapy). Pain induced by these treatments is frequent and va- ries from one treatment to another. Chemoradiotherapy induces less pain but often more severe pain, since 20% of these situations are not controlled by strong opioids. Pain from mucositis, although nonspecific to otolaryngic cancer, is more frequent and more severe, and prevention and treatment remain poorly defined. Pain from postradiotherapeutic necrosis (mandibula, laryngeal cartilage, etc.) is less frequent, delayed, and extremely severe. Cervical and shoulder pain is present in more than one-third of patients and stems from a number of mechanisms (myofascial and articulatory). It is secondary to radiotherapy or surgery (XIth cranial nerve lesions during curage or flap reconstruction). Finally, pain coexists with disturbances of basic functions (speech, swallowing, etc.) and the disability generated by treatments. Management of pain, suffering, and the psycho- social impact is essential. © Publié par Elsevier Masson SAS. Douleur des cancers ORL au stade des séquelles Otolaryngological cancer pain at the after-effects stage M.-L. Navez CETD, CHU de Saint-Étienne–Bellevue, 25, boulevard Pasteur, 42055 Saint-Étienne cedex, France Adresse e-mail : [email protected] (M.-L. Navez)

Douleur des cancers ORL au stade des séquelles

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A R T I C L E I N F O

Mots clés :

Douleur orofaciale

cervicale et épaule

Post-traitement du cancer

Neuropathique

Myofascial

Keywords:

Orofacial, cervical,

and shoulder pain

Cancer posttreatment

Neuropathic

Myofascial

R É S U M É

Les standards de traitement des tumeurs pharyngolaryngées se sont modifiés afin d’éviter

la mutilation laryngée (chirurgie partielle, endoscopique, radiothérapie séquentielle, chi-

miothérapie). Les douleurs induites sont fréquentes et varient en fonction des traitements.

Ainsi, la chimioradiothérapie induit moins de douleur, souvent plus sévère, puisque 20 %

ne sont pas contrôlées par des opioïdes forts. La douleur des mucites, bien que non spéci-

fique au cancer ORL, est plus fréquente et plus sévère et la prévention et le traitement res-

tent encore mal définis. Celles des nécroses post-radiothérapiques (mandibule, cartilage

laryngé…) sont moins fréquentes, tardives et extrêmement sévères. Les douleurs cervicales

et de l’épaule sont présentes chez plus d’un tiers des patients et de mécanismes multiples

(myofasciale articulaire). Elles sont secondaires à la radiothérapie, à la chirurgie (lésion de

la XIe paire crânienne lors des curages, reconstruction par lambeau). Enfin, la douleur

coexiste avec les perturbations des fonctions essentielles (parole, déglutition…) et le han-

dicap générés par les traitements. La prise en charge globale de la douleur, de la souffrance

et de l’impact psychosocial est essentielle.

© Publié par Elsevier Masson SAS.

A B S T R A C T

The standards of pharyngolaryngeal tumor treatment have changed over the years in an

attempt to prevent laryngeal mutilation (partial surgery, endoscopic surgery, sequential

radiotherapy, and chemotherapy). Pain induced by these treatments is frequent and va-

ries from one treatment to another. Chemoradiotherapy induces less pain but often more

severe pain, since 20% of these situations are not controlled by strong opioids. Pain from

mucositis, although nonspecific to otolaryngic cancer, is more frequent and more severe,

and prevention and treatment remain poorly defined. Pain from postradiotherapeutic

necrosis (mandibula, laryngeal cartilage, etc.) is less frequent, delayed, and extremely

severe. Cervical and shoulder pain is present in more than one-third of patients and

stems from a number of mechanisms (myofascial and articulatory). It is secondary to

radiotherapy or surgery (XIth cranial nerve lesions during curage or flap reconstruction).

Finally, pain coexists with disturbances of basic functions (speech, swallowing, etc.) and

the disability generated by treatments. Management of pain, suffering, and the psycho-

social impact is essential.

© Publié par Elsevier Masson SAS.

Douleur des cancers ORL au stade des séquelles

Otolaryngological cancer pain at the after-effects stage

M.-L. Navez

CETD, CHU de Saint-Étienne–Bellevue, 25, boulevard Pasteur, 42055 Saint-Étienne cedex, France

Adresse e-mail : [email protected] (M.-L. Navez)

Page 2: Douleur des cancers ORL au stade des séquelles

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La sphère ORL est le siège de fonctions essentielles pour la

survie de l’individu (alimentation, respiration), mais aussi

pour sa vie de relation et de communication (la parole, le

regard, la mimique). L’atteinte de cette sphère par la maladie

cancéreuse et l’altération de tout ou partie de ces fonctions

justifient qu’elle soit individualisée. La douleur va alors s’ins-

crire d’emblée dans un tableau beaucoup plus large intégrant

une atteinte sensorielle, psychique et sociale, définissant le

concept de douleur globale.

La douleur est souvent à l’origine de la découverte du can-

cer. Elle est décrite comme sévère dans plus de 50 % des cas

[1]. Ses causes sont multiples et liées soit à une récidive dans

35 % des cas, aux séquelles des traitements dans 30 %, d’étio-

logie mixte dans 25 %, et inconnue chez 10 % des patients.

Associés à la douleur, l’atteinte esthétique, la dysphagie et les

troubles salivaires sont les plaintes les plus fréquemment

rapportées et rendent compte de la souffrance psychique et

sociale de ces patients [1].

1. Douleurs séquelles de traitement curatif du cancer ORL

Pendant longtemps la chirurgie radicale et la radiothérapie

ont été les standards de traitement des tumeurs pharyngo-

laryngées. Les douleurs secondaires étaient fonction de

l’importance du délabrement postchirurgical. Actuellement,

les progrès de la chirurgie partielle, endoscopique et ceux de

la radiothérapie ont permis d’éviter la mutilation laryngée.

La chimiothérapie (5FU–cysplatine et plus récemment les

taxanes) occupe une place de choix dans ces stratégies de

préservation et en cas de récidive locale ou à distance. La

radiochimiothérapie séquentielle (chimiothérapie d’induc-

tion puis radiochimiothérapie) permet dans certains cas de

sauver l’organe avec des résultats équivalents à la laryngec-

tomie suivie de radiothérapie. La toxicité aiguë de ces proto-

coles, en particulier avec le risque de survenue de mucites,

est élevée mais la toxicité tardive ne semble pas majorer [2].

Les différentes études [1–5] retrouvent une prévalence de

la douleur variant entre 82 et 100 %. Dans la série de Chua et

al., 52 % des patients ont une douleur sévère avec une EVA

supérieure à 7 sur 10, 35 % de ces douleurs sont liées à une

récidive et 30 % secondaires aux traitements. Globalement, la

prévalence des douleurs séquelles des traitements varie entre

20 [6] et 28 % [5].

Le type et le mécanisme de ces douleurs sont variables.

Elles sont le plus souvent mixtes, à la fois nociceptives et neu-

ropathiques, chez trois quarts des patients dans la série de

Vetch et al. [6], 10 à 15 % sont de mécanisme myofascial. La

localisation de la douleur est cervicale et scapulaire (30 % des

cas) et au niveau oromandibulaire (environ 50 %). Si 82 % des

patients se plaignent de dysphagie douloureuse, 60 % d’entre

eux vont répondre aux analgésiques non opiacés. Associée à

cette douleur somatique, 87,5 % de patients font état d’une

souffrance psychologique liée à l’altération des fonctions de

déglutition, du langage, de la ventilation et de l’image corpo-

relle.

La prévalence des douleurs séquellaires est fonction du type

de traitement curatif proposé (Tableau 1). La chimioradiothéra-

pie comparée à la laryngectomie–radiothérapie induit 67 con-

tre 83 % de douleur sévère, mais les douleurs postchimiothéra-

pie sont souvent d’apparition souvent plus précoce et plus

intenses puisque 20 % ne sont pas contrôlées par des opioïdes

forts contre 3 % seulement dans l’autre cas [7]. Les douleurs

scapulaires sont essentiellement décrites après chirurgie oro-

pharyngolaryngée avec curage. Ces séquelles douloureuses

varient en fonction des traitements curatifs du cancer ORL,

mais équivalentes en termes d’altération de la qualité de vie,

elles sont détaillées dans le Tableau 1 [8,9].

Certains facteurs apparaissent comme déterminants dans

la survenue de ces douleurs comme la présence ou non d’une

trachéostomie ou d’une gastrotomie, la réalisation d’un

curage ganglionnaire, l’association de différents traitements.

2. Douleurs neuropathiques

Les douleurs neuropathiques, séquelles des traitements du

cancer ORL, peuvent être secondaires à la chirurgie, à la radio-

thérapie ou à la chimiothérapie. Elles seront soit focalisées au

territoire opéré ou irradié, soit distale et bilatérale après chi-

miothérapie [10].

Les douleurs focales intéressent essentiellement la région

cervicofaciale avec atteintes des branches du nerf trijumeau,

le nerf glossopharyngien (IX), la branche du nerf laryngé supé-

rieur, ou le plexus cervical, plus rarement brachial.

La douleur neuropathique est décrite comme une brûlure,

des dysesthésies, quelquefois des décharges électriques.

L’examen clinique retrouve une zone d’hypoesthésie dans le

territoire du nerf concerné, parfois une allodynie déclenchée

par le frottement de la zone. Le patient pourra décrire des sen-

Tableau 1 – Principales séquelles douloureuses en fonction du traitement du cancer ORL [8,9]

Type de traitement

Type de douleur

Radiothérapie Chirurgie ± lambeau ± curage Chimiothérapie

Oropharyngée

Dysphagie

Mucites

Dysphagie

Dysphagie Mucites dysphagie

Dl neuropathique Si > 60 Grays Lésions nerveuses Atteintes distales

Att musculocutanée Fibrose muscles

Trismus

Lambeau musculaire

Att XI, curage

Douleur dentaire,

os cartilage

Caries, ostéoradionécrose mandibule,

art. costoclaviculaire

Cartilage laryngé

Articulation temporomandibulaire

Colonne cervicale

Dysfonctions Déglutition, parole, image corporelle

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sations fantômes en particulier au niveau maxillaire. Un

questionnaire d’évaluation qualitative de la douleur avec dix

items simples (brûlure, fourmillements, allodynie, hypoes-

thésie…) permet d’individualiser assez facilement le carac-

tère neuropathique de la douleur [11].

Les douleurs peuvent être paroxystiques ou continues. Au

niveau cervical l’entrapement du nerf transverse cervical

(rameau de C3) est responsable de douleurs à type de déchar-

ges lors des mouvements du cou mettant en tension ce nerf

souvent comprimé par les éléments musculotendineux

séquelles de la chirurgie (buccopharyngectomie avec recons-

truction, curage ganglionnaire) ou de la radiothérapie cervi-

cale.

Les douleurs continues à type de brûlures sont liées à des

lésions de démyélinisation postchirurgicale ou post-radiothé-

rapique dès que l’on a dépassé une dose de 60 Grays. Elles sont

décrites essentiellement au niveau du territoire mandibulaire

et mentonnier après buccopharyngectomie et au niveau cervi-

cal lors de l’atteinte du plexus cervical [12], la topographie est

alors volontiers en hémipèlerine. Le diagnostic différentiel

avec une récidive locale, en particulier ganglionnaire, peut être

difficile et doit faire appel à l’examen clinique et aux explora-

tions paracliniques (imagerie, endoscopie). Le syndrome de

Claude-Bernard–Horner, lié à l’atteinte du sympathique cervi-

cal lors de la dissection chirurgicale, est témoin de l’atteinte

plexique. Une fois lésé, il est permanent et apparaît très tôt en

postopératoire. Sa survenue tardive peut signifier une reprise

évolutive [12].

L’atteinte du plexus brachial peut être secondaire à un

envahissement tumoral de contiguïté, ou à une évolution

ganglionnaire. Les racines hautes sont les premières atteintes

(C5–C6) avec une projection de la douleur au niveau du moi-

gnon de l’épaule [12].

Les douleurs neuropathiques distales bilatérales sont

décrites après chimiothérapie (sels de platine et plus récem-

ment taxol). Elles intéressent les extrémités avec une topo-

graphie dite en chaussette ou en gant. Elles surviennent, en

général, après plusieurs cures de traitement.

Le traitement des douleurs neuropathiques associe les

antiépileptiques (gabapentine et pregabaline), les antidé-

pressseurs tricycliques (amitriptyline) et plus récemment cer-

tains inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la nora-

drénaline (venlafaxine ou prochainement la duloxetine). Les

douleurs neuropathiques focales et en particulier celles ou les

phénomènes d’allodynie sont présents, répondent aux traite-

ments topiques proposés sous forme de compresse de lido-

caïne, de crème Emla®, voire de préparation à la capsaïcine

[13].

L’efficacité de ces traitements est évaluée par la mesure du

number need to treat (NNT, nombre de patients à traiter pour

obtenir 50 % d’amélioration) la gabapentine a un NNT à 3,2,

les antidépresseurs tricycliques ont un NNT inférieur mais la

tolérance de ces médicaments est souvent médiocre et le ris-

que d’arrêt pour effets indésirables élevé.

3. Douleurs musculoarticulaires secondaires au traitement du cancer ORL

Les douleurs séquellaires localisées à la région cervicale et

scapulaire sont présentes chez plus d’un tiers des patients.

Les mécanismes sont multiples, neuropathique déjà évoqué,

myofasciale liée à la fibrose postradique ou lors des recons-

tructions par lambeaux myocutanés, enfin articulaire au

niveau cervicale, scapulaire ou temporomandibulaire [10].

La paralysie du nerf accessoire (XIe paire crânienne), nerf

moteur des muscles trapèze et sternocléidomastoïdien, est

décrite après lésion lors des dissections pour curage. La fré-

quence et la sévérité de l’atteinte sont fonction du type de

curage, plus importante dans les dissections postérolatérales

(66 %) [9,14].

La douleur scapulo-humérale est sévère, mécanique. La

gêne fonctionnelle est importante, par déséquilibre de la cein-

ture scapulo-humérale. On assiste à une limitation de

l’abduction inférieure à 90 degrés, une chute de l’épaule, un

décollement de l’omoplate. La douleur est liée à l’étirement

du muscle angulaire et au conflit sous-acromial pouvant réa-

liser au maximum un tableau de capsulite rétractile [14].

Le type de dissection lors du curage va conditionner la

douleur et la fonction cervico-scapulaire. Si la chirurgie épar-

gne le XI et est limitée dans le triangle postérieur (stade IV, V)

la fonction de l’épaule, la douleur, les sensations constrictives

au niveau du cou, et la qualité de vie sont correctes. En revan-

che, le sacrifice du muscle sternocléidomastoïdien et du XI est

responsable d’une altération importante de l’activité quoti-

dienne corrélée au degré de dysfonction du membre supé-

rieur et de l’abduction [14,15].

L’importance de cette dysfonction peut être évaluée à par-

tir de test d’abduction de l’épaule, une valeur inférieure a 90

degrés est corrélée à l’importance de la douleur et de l’altéra-

tion de l’épaule [16]. En revanche, on note peu ou pas de cor-

rélation entre les données électro-, myo- et neurographique

et la qualité de vie [14]. Le sacrifice de la veine jugulaire et la

radiothérapie complémentaire sont des facteurs qui aggra-

vent encore le pronostic douloureux et fonctionnel.

Le traitement est essentiellement rééducatif, entrepris très

précocement sous couvert d’antalgiques, associant niveau 1

et 2 le plus souvent, et anti-inflammatoires. Le but est de

maintenir une mobilité passive afin d’éviter une capsulite

rétractile et une fibrose musculaire [9]. Lors des dysfonctions

sévères, des orthèses ont été proposées [17]. Ce traitement

peut être complété par des techniques plus spécifiques

comme les infiltrations des points trigger musculaire, du

muscle angulaire [12], d’utilisation de toxines botuliques [18],

voire de chirurgie de ré-innervation.

Les douleurs après chirurgie de reconstruction sont pré-

sentes chez un tiers des patients [19]. Elles sont le plus sou-

vent mixtes, à la fois neuropathiques et musculoarticulaires.

On décrit des douleurs cervicales liées au remaniement du

muscle sternocléidomastoïdien, comprimant les branches

C2–C3, des douleurs à irradiation postérieure ou scapulo-

humérale secondaires aux attitudes vicieuses comme les tor-

ticolis et aux contractures douloureuses des lambeaux myo-

cutanés [12].

Page 4: Douleur des cancers ORL au stade des séquelles

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Les douleurs de l’articulation temporomandibulaire (ATM)

se rencontrent essentiellement au décours des buccopharyn-

gectomies, des hémimandibulectomies ou des radiothérapies

dont le champ recoupe les ATM. Ces douleurs articulaires et

myofasciales sont sourdes, quotidiennes accompagnées d’un

trismus douloureux. Leur topographie est homolatérale en

cas de radiothérapie, controlatérale dans les hémimandibu-

lectomies. Les facteurs aggravants sont le stress, les troubles

de déglutition, les excès d’usage mandibulaire liés aux con-

tractures et à la dysfonction, le déséquilibre de l’articulé den-

taire. La prise en charge est essentiellement orthopédique et

rééducative par le biais de prescription de gouttières, de réé-

quilibration et de soins orthodontiques, l’usage de myore-

laxant voire d’infiltration myofasciale ou articulaire d’analgé-

siques [20].

4. Douleurs séquelles des traitements radiothérapiques (Tableau 2)

Les douleurs secondaires à la radiothérapie sont fréquentes et

de survenue plus ou tardives [21]. Certaines comme celles

accompagnant les mucites ne sont pas spécifiques du cancer

ORL, mais leur prévalence et leur sévérité dans ce cas sont

importantes. Dans une méta-analyse réunissant 6181

patients traités pour cancer ORL, l’incidence moyenne des

mucites est de l’ordre de 80 % avec une sévérité de grade 3–4

chez 56 % de patients traités par radiothérapie fractionnée,

34 % par radiothérapie conventionnelle et 43 % par radiochi-

miothérapie. Chez 16 % de patients une hospitalisation pour

mucite grave a été nécessaire et chez 11 % le traitement a du

être suspendu [22]. Le traitement des mucites a fait l’objet de

plusieurs études, souvent non contrôlées et avec de petits

effectifs de patients. Des protocoles variés sont proposés

comportant pour la plupart des bains de bouche (chlorhexi-

dine, polividone iodée), la lidocaïne, les boissons glacées, des

lasers basse fréquence. Les agents (benzydamine, sucralfate,

aluminum hydroxide suspension) ne se sont pas montrés

plus efficaces que le placebo. Une revue récente de la littéra-

ture, à propos de 24 études contrôlées regroupant 1292

patients [23], fait état de seulement trois études faiblement

positives avec l’allopurinol en bains de bouche, la vitamine E,

les immunoglobulines ou les extraits placentaires.

Les morphiniques restent le standard du traitement de la

douleur des mucites Dans les formes sévères elle est adminis-

trée sous mode analgésie autocontrôlée. L’efficacité analgési-

que n’est pas supérieure à l’infusion continue mais la con-

sommation d’opioïdes est moindre [23]. Ont été également

proposées, la kétamine mais son efficacité demande à être

confirmée, ainsi que la morphine en topique [24]. La préven-

tion de la mucite est essentielle en raison de son impact sur le

risque infectieux, la qualité de vie, et la poursuite du traite-

ment curatif, mais là encore les protocoles proposés n’ont pas

fait preuve d’efficacité [25].

L’incidence des nécroses post-radiothérapiques lors du

cancer ORL varie entre 5 et 15 %, dont 2 % considérées comme

sévères. Elles intéressent surtout la mandibule (86 patients

sur 3157 irradiés [26], le cartilage laryngé (16 chondrites laryn-

gées sur 3157 patients), l’os hyoïde, et l’articulation sternocla-

viculaire. L’atteinte de la base de crâne est plus rare mais

extrêmement douloureuse [27]. Les facteurs déterminants

sont la proximité tumorale de l’os, l’état de la dentition, le

type et les doses de traitement, la poursuite de l’intoxication

alcoolotabagique, le statut nutritionnel [28]. Ces douleurs sont

au premier plan intense et surviennent le plus souvent tardi-

vement à distance du geste initial faisant craindre la possibi-

lité d’une récidive [26].

Le traitement est difficile et l’efficacité incertaine. Il asso-

cie les opioïdes forts et les techniques de blocs analgésiques

du nerf mandibulaire. Il est souvent nécessaire de proposer

des gestes de propreté sous forme de débridements ou d’exé-

rèses chirurgicales. L’oxygène hyperbare est réservé aux

radionécroses sévères après hémimandibulectomie ou sur

des cavités dentaires après extraction sur terrain irradié [29].

5. Souffrance secondaire aux perturbations des fonctions essentielles comme la dysphagie, la dyspnée, les troubles de la voix, la dysmorphie faciale

Plusieurs études se sont intéressées à la qualité de vie et à

l’impact psychosocial du handicap généré par les traitements.

Globalement, les laryngectomies induisent plus de difficulté à

parler (voix de mauvaise qualité dans deux tiers des cas), de

dysfonction cervico-scapulaire, tandis que la chimioradiothé-

rapie donne plus de douleur, de difficulté à avaler [3,30].

Tableau 2 – Séquelles liées à la radiothérapie dans les cancers Tête et cou [21]

Durant radiothérapie (0 à 6 semaines) Après radiothérapie

Perte de goût Dès la dose de 10 Gy

Dès la première semaine

De 6 à 70 semaines environ

mais hypo agueusie ou dysgeusie résiduelle

Hyposialie Apparition rapide

Irréversibles des 25–40 Gy

Pendant plus de 3 mois

Hyposialie résiduelle ++

Mucites +++

Douleur +++

Dès 10 Gy

Dès la première semaine

De 6 à 10 semaines environ

Caries dentaires

Douleur

Secondaires à l’hyposialie Fin et plusieurs mois après radiothérapie

Trismus

Douleur

Fin et plusieurs mois après radiothérapie

Ostéoradionécrose douleur +++ Plusieurs mois et années après radiothérapie

Page 5: Douleur des cancers ORL au stade des séquelles

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La dysphagie est fréquente (42 % de laryngectomisés, 50 %

de pharyngectomisés) et sa sévérité est corrélée étroitement

avec le niveau de qualité de vie, d’anxiété et de dépression

[31]. La dysphagie peut s’accompagner de douleur plus ou

moins importante et aggraver les troubles de déglutition,

voire empêcher toute alimentation [31]. La difficulté à manger

affecte non seulement notre état physique, mais également

mental aboutissant à l’isolement social. La prise en charge est

éducative et rééducative (orthophonie). La mise en place pro-

longée des sondes d’alimentation est de mauvais pronostic et

les capacités de coping et d’autogestion par le patient sont

essentielles à mettre en œuvre [30].

La dysmorphie cervicofaciale est secondaire à l’exérèse

mandibulaire, à la trachéostomie, aux gestes de reconstruc-

tion, à l’œdème facial, aggravée parfois par l’hypersalivation

nauséabonde. Elle affecte l’image de soi, et conduit au repli

social et à la dépression [32]. La prise en charge globale de la

douleur et de la souffrance est essentielle [3,14].

Enfin, les troubles de la voix vont affecter les relations

sociales et familiales du patient et les rapports avec son

entourage. Ces troubles sont variables et fonction du type de

laryngectomie, partielle ou totale, du statut psychosocial

antérieur du patient [33].

La prise en charge de la souffrance psychologique liée aux

séquelles du traitement est essentielle et multimodale. Elle

associe une réhabilitation des fonctions de déglutition, de la

dysphonie, des difficultés de communication, de la modifica-

tion du schéma corporel. Elle doit comporter un volet réédu-

catif spécifique (orthophonie) et psychocomportemental afin

d’éviter au patient l’isolement, le repli sur soi, la perte de

l’estime de soi et la dépression [34].

Le cancer ORL impose des traitements curatifs associant

chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie avec des risques

iatrogènes importants. Les douleurs séquelles de ces traite-

ments sont fréquentes, sévères et de mécanismes mixtes

(nociceptif, neuropathique, myoarticulaire). Leur retentisse-

ment sur la qualité de vie est important. Le diagnostic étiolo-

gique de la douleur est essentiel afin de ne pas méconnaître

une possible récidive néoplasique. La prise en charge de ces

douleurs demande une stratégie de repérage et d’évaluation

très précoce afin de mettre en place un traitement adapté qui

va selon le cas associer des antalgiques, des médicaments à

visée antineuropathique, mais également des thérapeutiques

rééducatives voire psychocomportementales.

R É F É R E N C E S

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