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1 Douleur, fin de vie et soins palliatifs Claire Ribau ¹, Thierry Marmet ² 1. Doctorante en éthique médicale. Laboratoire d’éthique médicale (LEM) – Faculté de médecine Necker-Enfants malades - Paris V 2. Dr. Thierry Marmet, médecin, Chef de Service Centre Régional d'Accompagnement et de Soins Palliatifs, Hôpital Joseph Ducuing – Toulouse, chargé de cours Faculté de Médecine Toulouse Purpan. « Une tableau clinique n’est pas seulement une photographie d’un malade dans son lit, c’est une peinture impressionniste, avec autour de lui sa maison, son travail, ses parents, ses amis, ses joies, ses peines, ses espérances et ses peurs » Peabody, 1927 Préambule Pour ce travail au sein de la rubrique « Douleur », nous avions l’intention d’aborder la question de la douleur dans le contexte de fin de vie et de soins palliatifs. Nous n’avons nullement la prétention de présenter le dernier état des connaissances concernant cette thématique si vaste, mais plutôt de mettre en place une sorte de panorama qui présente les différents thèmes qui apparaissent dans la littérature. Ainsi, si ce texte permet au lecteur de trouver des pistes pour aller plus loin tant dans les textes officiels, dans les concepts, dans les enjeux…alors, la mission sera accomplie !

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Douleur, fin de vie et soins palliatifs

Claire Ribau ¹, Thierry Marmet ²

1. Doctorante en éthique médicale. Laboratoire d’éthique médicale (LEM) – Faculté de médecine Necker-Enfants malades - Paris V 2. Dr. Thierry Marmet, médecin, Chef de Service Centre Régional d'Accompagnement et de Soins Palliatifs, Hôpital Joseph Ducuing – Toulouse, chargé de cours Faculté de Médecine Toulouse Purpan. « Une tableau clinique n’est pas seulement une photographie d’un malade dans son lit, c’est une peinture impressionniste, avec autour de lui sa maison, son travail, ses parents, ses amis,

ses joies, ses peines, ses espérances et ses peurs » Peabody, 1927

Préambule

Pour ce travail au sein de la rubrique « Douleur », nous avions l’intention d’aborder la question de la douleur dans le contexte de fin de vie et de soins palliatifs. Nous n’avons nullement la prétention de présenter le dernier état des connaissances concernant cette thématique si vaste, mais plutôt de mettre en place une sorte de panorama qui présente les différents thèmes qui apparaissent dans la littérature. Ainsi, si ce texte permet au lecteur de trouver des pistes pour aller plus loin tant dans les textes officiels, dans les concepts, dans les enjeux…alors, la mission sera accomplie !

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Plan

Préambule Plan Présentation des soins palliatifs

Quelle est la définition de référence ? La douleur dans les soins palliatifs

Brève histoire des soins palliatifs Depuis 10ans… Mais bien avant cela… Cicely Saunders Quelques repères pour l’évolution des soins palliatifs… Des chiffres…

La spécificité de la douleur en soins palliatifs

Quelle conception de la douleur dans les soins palliatifs ? Le concept de « TOTAL PAIN » Cicely Saunders Quelles sont les douleurs rencontrées en soins palliatifs ?

Les douleurs par excès de nociception: Les douleurs neuropathiques

Définition Description Signes cliniques caractéristiques : Traitements

Les douleurs psychogènes Définition Description Traitement

Concrètement, les règles de prescriptions d’antalgiques…les trois paliers de l’OMS

Trois intentions primordiales en soins palliatifs pour la douleur [16] Revue des causes de non soulagement de la douleur [17]

L’évaluation de la douleur fait partie de l’évaluation de la qualité de vie

Qu’est ce que la qualité de vie ? Une définition opérationnelle et générale de la qualité de vie

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Quelques thèmes complémentaires qui peuvent être ajoutés… Le caractère subjectif de la qualité de vie Qualité de vie et soins palliatifs Evaluation de la douleur et soins palliatifs : Recommandations de l'ANAES Décembre 2002 Quels méthodes et instruments d’évaluation de la douleur ?

Représentation de la morphine : qu’en est-il du tabou morphinique ?

Cependant…

Eléments éthiques, philosophiques et … humanistes La personne comme un être vivant… en train de vivre La souffrance L’accompagnement La dernière crise existentielle Alors les soins palliatifs sont cet espace d’accompagnement

Références et liens électroniques

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Présentation des soins palliatifs Quelle est la définition de référence ?

La définition des soins palliatifs la plus utilisée est celle de la Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs (SFAP): « Les soins palliatifs sont des soins actifs dans une approche globale de la personne en phase évoluée ou terminale d’une maladie potentiellement mortelle. Prendre en compte et viser à

soulager les douleurs physiques et la souffrance psychologique, morale et spirituelle devient primordial. Les soins palliatifs et accompagnement considèrent le malade comme un vivant et

la mort comme un processus normal. Ils ne hâtent ni ne retardent le décès. Leur but est de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’à la mort. »

Cette définition met en valeur les éléments qui constituent une « philosophie des soins palliatifs », une optique de soin particulière, qui intègre les thématiques suivantes : ▪ Le fait que les soins palliatifs soient qualifiés de soins actifs, précise que ce ne sont pas des soins liés à un abandon thérapeutique. Cette précision lève l’ambiguïté qui pourrait émerger quant on définit les soins palliatifs comme un passage des soins curatifs à des soins de confort. L’OMS propose une définition (2002) dans cette perspective:

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« Les soins palliatifs sont des soins actifs pour le patient dont la maladie ne répond plus à un

traitement curatif ».

Cette définition insiste donc davantage sur le fait que les soins palliatifs ne soient ni lieu institué pour mourir, ni un arrêt des soins. Ils sont des soins dont la priorité n’est plus la guérison, mais le confort du patient.

▪ L’approche globale de la personne est le principe premier des soins palliatifs, à savoir qu’ils constituent une prise en charge de la personne dans sa maladie, mais aussi dans son vécu psychologique, dans son environnement familial, et son questionnement spirituel. Ainsi, les soins palliatifs reconnaissent l’importance et l’influence de la teneur existentielle de l’expérience de la personne en fin de vie.

▪ Les soins palliatifs, en unité ou en réseaux, prennent clairement position pour la vie : les soins palliatifs ne sont pas d’abord l’endroit où l’on meurt, mais avant tout une structure où on agit quand la médecine curative n’est plus la perspective thérapeutique la plus intéressante pour le patient. C’est pour cette raison que la définition insiste sur le fait que les soins palliatifs accueillent des personnes en « phase évoluée ou potentiellement mortelle » de la maladie, et qu’ils se placent toujours du coté de la vie. Il était important que cette définition officielle, ou du moins prise comme référence, précise cette notion de vie, de considérer toujours le malade comme un vivant, car elle est le support philosophique et éthique pour que le patient soit toujours considéré comme une personne inscrite dans une histoire, des attentes, et des projets.

▪ Enfin, autre principe essentiel de la philosophie des soins palliatifs : la définition

recadre aussi la conception de la mort comme un phénomène normal, qui appartient à la vie, et qui ne doit être ni hâtée, ni retardée. Ainsi, cette conception prévient l’instrumentalisation de l’agonie, l’acharnement thérapeutique, et bien sûr l’euthanasie. Cette introduction de la notion de normalité de la mort est intéressante car elle précise la place de l’homme à l’âge où il devient « comme maître et possesseur de la nature » [1] En effet, l’homme peut agir sur la nature et les phénomènes naturels, il a les moyens techniques de retarder ou de provoquer la mort. Cependant, affirmer le caractère normal et naturel de cette dernière, c’est dire aussi qu’elle ne dépend pas de nous. Cette perspective pourrait être prise pour une sorte de stoïcisme moderne. L’homme peut agir face à la mort, rendre l’agonie moins difficile, les symptômes plus supportable, mais tout en acceptant de ne décider de rien pour le terme de l’action. Ainsi, les soins palliatifs ont, dans le soin, cette particularité de ne pas chercher à guérir mais de tout mettre en œuvre pour assurer au malade une fin de vie confortable, dans les dimensions physiques, psychologiques, sociologiques et spirituelles. C’est en ce sens que l’Association pour le développement des Soins Palliatifs (ASP) intègrent ces soins dans une vision humaniste de la médecine.

▪ La place des bénévoles est unanimement reconnue indispensable, représentants de la société, accompagnants pratiques et spirituels, ils participent au fait que les soins palliatifs visent aussi une réintégration du social, une resocialisation de la fin de vie et de la mort (Recommandations et définition de l'ANAES Décembre 2002) .

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La douleur dans les soins palliatifs La douleur est au centre des soins palliatifs, d’une part car il est reconnu que son soulagement fait diminuer la demande de mourir que peuvent formuler les patients, et aussi parce qu’elle est le premier symptôme qui amène les malades vers les unités [2]. D’autre part, la douleur empêche de dire, de faire et de mettre en récit [3]. Son soulagement permet donc à la personne d’accomplir certaines tâches dans de meilleures conditions. Ainsi, dans le cadre des soins palliatifs, la problématique de la douleur existe en elle-même et s’intègre plus largement dans celle de la qualité de vie Par ailleurs, il est essentiel de remarquer que la douleur dans les soins palliatifs a été l’objet d’un questionnement très précoce, dès le début des premières unités, par son instigatrice Cicely Saunders, dans les années 60 en Grande –Bretagne, sous le concept de « Total Pain », ou souffrance totale. Cette conceptualisation, et cette approche de la douleur a émergé 10 ans avant la définition officielle de la douleur par l’IASP, qui définit la douleur en 1976 comme une « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable, associée à une lésion tissulaire réelle ou potentielle, ou décrite dans des termes évoquant une lésion » (IASP, 1976). Nous venons de présenter le cadre duquel nous allons partir pour aborder la question de la douleur au sein de la problématique de fin de vie. Ainsi, nous n’axerons pas ce travail sur les problématiques spécifiques aux soins palliatifs (Lien avec la rubrique "fin de vie et soins palliatifs"), mais nous tenterons plutôt de définir la place de la douleur dans les unités ou réseaux, son approche spécifique sous le terme générique de « souffrance globale » ou « total pain ». Cependant, il est important de faire une première partie sur ce que sont les soins palliatifs, sur leur émergence et leur diffusion.

Brève histoire des soins palliatifs Depuis 10ans… Depuis la création des premières unités de soins palliatifs, il semblerait qu’un changement d’optique se soit opéré concernant les soins palliatifs. En effet, durant les années 80, les soins palliatifs étaient davantage synonymes d’accompagnement de la personne en phase terminale de la maladie. Il s’est opéré un changement de discours, à partir des années 90, où les soins palliatifs sont de venus un accompagnement pour une meilleure qualité de vie, ils se situent donc du coté de la vie, vers une continuité des soins. La priorité des soins palliatifs est donc désormais la qualité de vie. Ainsi, dans les unités de prise en charge de la fin de la vie, coexistent les soins palliatifs, qui relèvent du rôle du soignant, et l’accompagnement, c’est à dire « être là » dans le support des besoins physiques, psychologiques, sociaux, spirituels et affectifs. Mais bien avant cela… Cicely Saunders

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L’instigatrice des soins palliatifs sous leur forme moderne est Cicely Saunders. Elle les a modélisés en Grande Bretagne au St Christopher’s hospice et organisés autour de deux principes :

- soigner le malade dans sa totalité, - la maladie est un phénomène complexe.

Cicely Saunders a successivement été travailleuse sociale, infirmière puis médecin, elle effectue un ensemble de recherches sur le contrôle de la douleur terminale des patients atteints de cancers. Le paradigme des soins palliatifs s’est fait en réaction à un cadre scientifique et médical. A la fin des années 60, la médecine moderne a acquis de nouvelles thérapeutiques (antibiotiques, chimiothérapie, moyens diagnostics, nouvelles technologie), et prend une forme de plus en plus technique et performante, mais avec en contrepartie, une tendance à oublier le malade [4,5]. Ainsi, elle crée en 1967 le St Christopher’s Hospice, afin de prendre en charge les patients en phase terminale de cancers. Par ailleurs, cette même période voit aussi le développement des nouveaux psychotropes, de radiothérapie palliative, de nouvelles techniques de clinique de la douleur. De plus, pendant ce temps, Kubler-Ross [6] décrit des étapes psychologiques que franchit la personne en fin de vie. Les idées forces des soins palliatifs, telles que Cicely Saunders les a mis en place, sont que :

▪ Le malade conserve sa position de sujet, c’est-à-dire qu’il reste acteur dans sa vie, capable de décision, à condition que la douleur et les symptômes soient soulagés ▪ Cette condition ne peut être accomplie que grâce à une équipe interdisciplinaire, une relation étroite entre le patient, l’équipe soignante et sa famille. L’interdisciplinarité est essentielle pour mettre en commun, confronter toutes les observations complémentaires des différentes spécialités professionnelles. Elle est une protection contre les décisions unilatérales et permet aussi d’harmoniser les comportements, de telle manière que la stratégie de soin soit, et reste adaptée et cohérente. Ces idées sont toujours aussi essentielles dans la philosophie des soins palliatifs [2,7,8].

En 1975, au Canada, plus précisément à Montréal, a été créée la première unité de soins palliatifs, au Royal Victoria, Canada. Ainsi, les soins palliatifs sont définis comme un état d’esprit. Ils ont comme objectif de soigner une personne et non de traiter une maladie. Cette conception implique que le malade soit pris comme sujet de son histoire et non pas objet de soins. Quelques repères pour l’évolution des soins palliatifs… La douleur est au centre des soins palliatifs, et l’obligation de la soulager tient avant tout d’un principe éthique :

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« On ne peut pas envisager un dialogue avec quelqu’un qui souffre. Il fallait donc au préalable traiter la question de la douleur, avant d’aborder celle de l’accompagnement d’un patient qui

va partir » Dr Lucien Neuwirth – sénateur [9]

Nous présentons ici quelques repères pour mieux comprendre l’évolution (conjointe) des soins palliatifs et de la prise en charge de la douleur. Les références ont été trouvées sur le site de l’Association pour le développement des soins palliatifs (ASP) . Nous les reprenons ici et invitons le lecteur à consulter le document original pour plus de précisions. 41986 : Mise en place et rapport (n°86/32bis) d’un groupe de travail « aide aux mourants » : étude sur les conditions de la fin de vie et propositions pour améliorer l’accompagnement 4Circulaire « Laroque » du 26 août 1986 : organisation des soins et accompagnement des personnes en phase terminale. Texte de référence qui précise les principes des soins d’accompagnement de fin de vie, leur organisation. 41987 : Ouverture de la première unité de soins palliatifs en France par le Dr Maurice Abiven, à l’hôpital International de la Cité universalité de Paris. 41989 : Regroupement des associations au sein de la SFAP (Société Française d’Accompagnement et de soins Palliatifs) 4CCNE avis n°26 du 24 juin 1991 : « Les soins palliatifs, tant par leurs progrès accomplis dans le soulagement des douleurs physiques que par l’accompagnement des familles, rendent très rares les demandes d’euthanasie. Une généralisation de la formation de médecine et d’équipes soignantes, fondée sur les études dont les soins palliatifs continuent d’être l’objet, permettra d’en réduire encore le nombre » [4a] 41991 : loi de réforme hospitalière introduisant les Soins Palliatifs dans les missions de l’Hôpital Public. 41993 : Rapport Delbecque : point sur le développement des soins palliatifs et sur la mise en application de la circulaire Laroque. 41994 : Circulaire DGS/DH 94-3 du 7 janvier 1994 relative à l’organisation des soins et à la prise en charge des douleurs chroniques 4Code de la santé publique (livre VI – art. L.710-3-1 loi 4 février 1995) : « les établissements de santé mettent en œuvre les moyens propres à prendre en charge la douleur des patients qu’ils accueillent… » 4Charte du patient hospitalisé (circulaire DGS/DH 95-22 du 6 mai 1995) comportant entre autres :

- « les établissements de santé dispensent des soins préventifs, curatifs ou palliatifs selon l’état du patient »

- « la dimension douloureuse, physique et psychologique des patients et le soulagement de la souffrance doivent être une préoccupation constante de tous les intervenants »

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- « les personnes parvenues au terme de leur existence reçoivent des soins d’accompagnement qui répondent à leurs besoins spécifiques »

4 1995 : Enseignements obligatoires concernant la gérontologie, les soins palliatifs et le traitement de la douleur (Circulaire DGES-GGS 95-15 du 9 mai 1995) 4 Code de déontologie médicale (Décret 95-100 du 6 septembre 1995):

- art. 37 « En toutes circonstances, le médecine doit s’efforcer de soulager les souffrances de son malade, de l’assister moralement et éviter toute obstination déraisonnable dans les investigations ou la thérapeutique »

- art.38 : « le médecin doit accompagner le mourant jusqu’à ses derniers moments, assurer par des soins et mesures appropriées la qualité d’une vie qui prend fin, sauvegarder la dignité du malade et réconforter son entourage. Il n’a pas le droit de provoquer délibérément la mort »

41998 : Plan d’action triennal de lutte contre la douleur (Circulaire DGS/DH n°98-586 du 24 septembre 1998). Trois axes :

- Développement de la lutte contre la douleur dans les structures de santé et réseaux de soins

- Développement de la formation et de l’information des professionnels de santé sur l’évaluation et le traitement de la douleur

- Prise en compte de la demande du patient et information du public. 4Loi 9 juin 1999 : garantie du droit à l’accès aux soins palliatifs. Définit les soins palliatifs, centres de lutte contre le cancer, le rôle des bénévoles, les soins à domicile, congé d’accompagnement d’une personne en fin de vie. Des chiffres… Selon une enquête SFAP – Observatoire Régional de la Santé Franche-Comté novembre 2003 :

- 226 équipes mobiles en place (8 départements et 2 DOMS n’ont pas d’EMSP : équipe mobile de soins palliatifs))

- 78 USP en place pour une capacité de 772 lits - 93 réseaux en place dans 58 départements.

La spécificité de la douleur en soins palliatifs Quelle conception de la douleur dans les soins palliatifs ? La définition de référence dans la littérature des soins palliatifs est celle de l’IASP (Association Internationale d’étude sur la douleur). La douleur est un phénomène polymorphe qui implique une bonne connaissance des phénomènes générateurs, des causes déclenchant et des réactions émotionnelles. Elle nécessite une bonne évaluation et une appréciation de la juste intensité des douleurs et de ses

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conséquences comportementales. Elle requiert l’association de thérapeutiques pour obtenir une antalgie satisfaisante (kiné, psychologues…), donc d’une équipe pluridisciplinaire [5]. Cependant, c’est le concept de « Total pain » qui est le référentiel dans la pratique des soins palliatifs, 10 ans avant la définition de officielle de l’IASP. Le concept de « TOTAL PAIN » Cicely Saunders Le concept de douleur globale mis en place par C Saunders en 1967, est le concept à partir duquel s’est développée la démarche des soins palliatifs. Son idée centrale est que si un facteur de la douleur ( physique, émotionnel, social et spirituel) était négligé, la douleur ne serait pas soulagée [8a]. Par contre, libéré des souffrances physiques, le patient termine sa vie en sujet, en acteur de décisions. La douleur ne le dépossède pas du temps qu’il reste à vivre. Le concept de souffrance globale a été mis en place pour illustrer le passage du « guérir » (to cure) au « soigner » (to care). La douleur est donc une expérience globale, qui nécessite une approche pluridisciplinaire [8a, 10,11]. Mary Baines [7] et Cicely Saunders déclinent la douleur totale en fin de vie en 4 composantes, qui interfèrent entre elles et qui doivent être considérées dans la prise en charge du patient.

- La « douleur mentale » se réfère aux sentiments que peut éprouver le patient, où son évaluation de la situation, ses peurs et angoisse face aux pertes, séparations et au trépas qui s’annonce. Ainsi, cette dimension peut augmenter la douleur physique et laisser le patient en détresse. Cette dimension justifie l’écoute de l’équipe soignante ou bénévole

- Les facteurs émotionnels et sociaux peuvent aussi exacerber la douleur, et de même

que par ailleurs la douleur physique entraîne anxiété et dépression. Mary Baines propose comme solution la communication entre malades et soignant, et d’aborder l’évolution de la maladie, afin que le patient sorte de ses peurs et angoisse dans tout ce qui touche au lien social. La relation à l’autre se présente comme la seule façon possible de sortir de ce cercle vicieux.

- La « douleur sociale » peut apparaître à la suite de difficultés administratives ou

professionnelles.

- La « douleur spirituelle » intervient quand le patient affronte les sentiments possibles d’absurdité, de culpabilité, de sens. C’est la détresse de l’homme croyant et pensant. C’est la question existentielle du sens de la vie, de l’expérience de la maladie et de la souffrance.

Par ailleurs, Cicely Saunders a montré, à la même époque, que l’administration régulière d’antalgiques n’entraîne pas d’accoutumance [12a]. La demande du patient d’augmenter ses doses est autant l’indice de l’avance des lésions (cancéreuses) que le signe des phénomènes physiologiques de tolérance qui n’ont ici rien à voir avec une toxicomanie. Ainsi, Cicely Saunders comprend l’importance du soulagement car le patient devient capable d’évoquer ses problèmes familiaux et personnels [13].

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Quelles sont les douleurs rencontrées en soins palliatifs ? Les mécanismes physiopathologiques de la douleur au nombre de trois :

- la douleur par excès de nociception, - les douleurs neuropathiques d'origine périphérique et centrale, - les douleurs psychogènes.

En pratique toutefois, bien des douleurs sont mixtes, et associent hyper nociception et atteinte neurologique. Nous allons présenter rapidement ces différents types de douleurs que la médecine peut rencontrer en fin de vie. Précisons cependant que cette présentation se veut volontairement succincte afin de rester dans le cadre d’un travail d’éthique médicale. Les douleurs par excès de nociception: Les douleurs nociceptives sont les plus répandues (70% des douleurs cancéreuses). Elles résultent d'une stimulation excessive du système nerveux. Ses causes sont cancéreuses, inflammatoires et traumatiques. Elles sont aiguës ou chroniques, elles ont une topographie viscérale, artérielle, ostéo-articulaire ou musculaire, et ne présentent pas de signes neurologiques. Les stratégies thérapeutiques possibles reposent sur l’échelle par palier de l’OMS et toutes les formes de coanalgésie. Les douleurs neuropathiques Ces douleurs sont plus rares (20% des douleurs cancéreuses) que les douleurs nociceptives. Elles sont liées à une lésion du système nerveux central ou périphérique, et relèvent de ce fait, de deux mécanismes différents.

Définition Elles sont secondaires à une lésion plus ou moins complète du système nerveux périphérique et/ou central. Description Elles sont l’expression d’une hyperactivité spontanée des voies de la douleur, sans stimulation nociceptive, consécutive à une lésion des voies de la sensibilité que ce soit au niveau du système nerveux périphérique ou central (signe déficitaire à l’examen neurologique). Cette lésion entraîne des perturbations complexes de l’ensemble du système nociceptif : hypersensibilité, perte de spécificité, décharges spontanées, perte des contrôles inhibiteurs, hyperactivité sympathique. Ces douleurs surviennent même en l’absence de stimulation nociceptive. Elles sont une cause fréquente mais souvent méconnue de douleur chronique car la lésion neurologique est souvent définitive. Signes cliniques caractéristiques :

L’expression de la douleur spontanée : brûlure, picotement, décharge électrique, broiement, chaud-froid.

Modification de la sensibilité lors de l’examen clinique : hypoesthésie (réponse diminuée aux stimulations qui peuvent être thermiques, tactiles ou vibratoires), anesthésie (absence de réponse à toute stimulation douloureuse ou non), dysesthésie (sensation cutanée anormale et désagréable spontanée ou provoquée), allodynie (réponse douloureuse induite par une stimulation normalement non douloureuse), hyperalgésie (réponse anormalement

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intense à une stimulation douloureuse mécanique ou thermique), hyperpathie (sensation douloureuse anormale à une stimulation répétée).

Topographie de la douleur dans un territoire correspondant à une lésion responsable d’un déficit neurologique.

Intervalle libre : les douleurs peuvent être retardées de plusieurs semaines par rapport à la lésion.

Dysfonctionnement sympathique associé possible : trouble vasomoteur, dépilation, trouble des phanères…

Traitements Les douleurs neuropathiques sont généralement peu sensibles aux antalgiques. Ils reposent sur l’activité antineuropathique de certains médicaments antidépresseurs et de certains médicaments anti-épileptiques. Ils peuvent également relever de techniques de neurostimulation soit transcutanée, soit médullaire, soit plus exceptionnellement de l’aire corticale motrice. Les douleurs psychogènes Définition Les douleurs psychogènes correspondent à la deuxième partie de la définition de la douleur proposée par l’Association Internationale de la Douleur : « Une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable associée à des lésions tissulaires potentielles ou simplement décrites en ces termes ». Description Le diagnostic de douleur psychogène est suspecté sur : Le caractère atypique de la sémiologie (description luxuriante, imaginative, discordante, trajet douloureux inexplicable, variabilité des projections…). L’importance des signes d’accompagnement (asthénie, insomnie, perte d’appétit, irritabilité ou anxiété…) évoquant une dépression infra-clinique. L’existence d’un contexte de conflit, de deuil… Ce faisceau d’argument est insuffisant. Le diagnostic est aussi psychiatrique et repose sur la confirmation d’un trouble psychopathologique (hypochondrie, conversion hystérique, somatisation d’un désordre émotionnel, dépression…). Traitement Il repose :

• Sur les traitements spécifiques des troubles psychopathologiques (anxiolytiques, antidépresseurs….).

Les techniques de supports psychologiques (comportementaliste, relaxation…)

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Au regard de leurs caractères sémiologique, étiologiques et thérapeutiques, les douleurs peuvent être mixtes. Par ailleurs, si on connaît bien la transmission du message douloureux dans son aspect physio-neurologique, on cerne encore difficilement comment ce message est interprété par le système nerveux supérieur, et comment il devient une perception douloureuse et désagréable. Ce point marque la frontière entre la physio-neurologie et les sciences cognitives qui mettent en exergue la composante comportementale de la douleur. Concrètement, les règles de prescriptions d’antalgiques…les trois paliers de l’OMS Sur le sujet de la stratégie thérapeutique stricte de la douleur, nous ne présenterons que généralement les recommandations de l’OMS, incitant le lecteur à se tourner vers la littérature spécifique à ce sujet. Le traitement de la douleur en soins palliatifs est décliné selon le même modèle que le protocole le traitement des douleurs cancéreuses, c’est à dire selon les trois paliers OMS [10], qui sont valables pour les douleurs par excès de nociception (Les douleurs par désafférentation sont traitées par d’autres voies thérapeutiques). Ces trois paliers sont:

- catégorie 1 : antalgiques non opioïdes (paracétamol, aspirine…) - catégorie 2 : antalgiques paracétamol + opioides faibles - catégorie 2b : opioïdes (administration orale) ou parentérale (qui ne sont pas à associer

à la morphine) - catégorie 3 : morphine : administration orale et injection à action immédiate ou prolongée.

Ces trois paliers sont accompagnés de recommandations pour la prescription dont les principes directeurs sont la participation active du patient (par son information et son implication), et le choix d’une perspective réaliste tant dans les objectifs du traitement, que dans sa forme [14,15]. Ces recommandations sont les suivantes [15]

- Choisir la voie d’administration la plus simple (voie orale) - Administration à horaire fixe - Prescription qui respecte l’échelle thérapeutique de l’OMS - Prescription qui corresponde à la douleur propre au patient : personnalisation

du traitement par une évaluation constante - Information du patient sur les modalités du traitement, ses objectifs et ses

limites Trois intentions primordiales en soins palliatifs pour la douleur [16] ▪ Toute douleur doit être traitée de façon spécifique aussi souvent que possible, avec une attention particulière aux détails et au diagnostic des causes d’inconfort et de douleur ▪ La souffrance ne se réduit par à la douleur physique ▪ Mieux vaut prévenir la douleur que la soulager

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Le grand principe de traitement de la douleur en soins palliatifs est de ne pas se laisser dépasser par le développement de la douleur, donc ne pas attendre qu’elle devienne insupportable pour agir plus puissamment tout en respectant une progression. Cette progression s’appuie sur un autre grand principe : la titration , c’est à dire la recherche de la plus petite dose de médicament efficace pour générer le moins possible d’effets iatrogènes. Revue des causes de non soulagement de la douleur [17] Il est intéressant de présenter les éléments qui empêchent encore aujourd’hui que la douleur soit correctement soulagée. Selon Kemp, les causes de non soulagement ou de soulagement insuffisant sont :

- Une mauvaise évaluation - Un manque de connaissances théoriques - Les peurs et mythes socioculturels de l’équipe soignante, et des patients et des

familles concernant l’usage des opioïdes, et les risques de dépendance ou de dépression respiratoire qui leurs sont associés

- Les valeurs culturelles stoïciennes, citons pour les illustrer la maxime d’Epictète « supportes, abstiens toi ! »

- La croyance en l’inéluctabilité de la douleur - Les problèmes de communication entre l’équipe ou entre équipe et patients,

qu’ils soient relationnels, culturels ou linguistiques. - Les difficultés de certains patients à exprimer leur souffrance - La non accessibilité pour tous les patients à certains médicaments ou certaines

techniques ou à des professionnels formés. Au regard de ces éléments, on peut considérer que l’évaluation de la qualité de vie doit être globale et tenir compte des valeurs que les personnes attribuant à leur expérience, valeurs qui permettront de mieux comprendre leur mode de communication, leur rapport à la douleur, leurs peurs et leurs attentes.

L’évaluation de la douleur fait partie de l’évaluation de la qualité de vie

La douleur fait partie, dans les soins palliatifs, de la question plus générale de la qualité de vie. Pour cette raison, il est important de préciser cette notion, d’autant plus que nombreuses thématiques sont communes entre les conceptualisations de la douleur et de la qualité de vie. Qu’est ce que la qualité de vie ?

Le terme de « qualité de vie » est apparu après la seconde guerre mondiale [18,19],

signifiant « La vie bonne au delà des conditions matérielles et de la sécurité financière ». En 1986, Morris a mis en place une définition opérationnelle :

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« La prévention et le soulagement de la souffrance physique et mentale, ainsi que la présence d’un réseau de soutien familial et amical ».

Cette définition inclut les dimensions du bien-être physique, psychologique, et social. On peut alors remarquer un parallèle avec la définition de l’O.M.S de la santé comme étant « un état de complet bien-être physique, mental et social et ne consiste pas en une absence de maladie ou d’infirmité ». Le développement d’études concernant la qualité de vie à partir des années 1970 s’explique par une réaction à l’introduction de la haute technologie dans la médecine, qui définit alors plutôt ses priorités en termes de «quantité de vie ». On peut remarquer au passage que la réflexion sur les soins palliatifs a commencé à cette même période. Un premier fait significatif est la diversité des définitions de la qualité de vie, et leurs applications à des pathologies spécifiques. Cependant, ce concept est unanimement reconnu comme étant global et multidimensionnel. Il est un concept large qui dépasse la seule dimension de la santé , incluant entre autres, les dimensions de l’habitat, de l’environnement, de la satisfaction privée et professionnelle…Appliquée à la santé, la qualité de vie a cette même caractéristique multidimensionnelle [20,21,22,23]. Une définition opérationnelle et générale de la qualité de vie

D’une manière quasiment unanime, la littérature étudiée évalue la qualité de vie en

abordant trois domaines principaux : - Le fonctionnement physique (symptômes, niveau d’activité, limitations physiques, capacités physiques, douleur, bien-être physique…) - La dimension psychologique de l’individu ( anxiété, humeur, dépression, santé mentale…) - La situation de la personne et son réseau social (activités, contacts, réseau de soutien …) Elles constituent la définition opérationnelle de la qualité de vie, qui permet de l’évaluer en mesurant ses composantes. Quelques thèmes complémentaires qui peuvent être ajoutés…

· La dimension spirituelle, c’est-à-dire la dimension concernant tant les croyances religieuses, que leurs conceptions ontologiques de la personne. Cette dimension peut être définie d’une manière générale comme la faculté de transcender un événement, de le penser [20,21,22]. · Le niveau d’activité et les conditions matérielles [24] sont aussi considérées comme des éléments qui influencent la qualité de vie. La prise en compte de cette dimension montre l’importance de la collaboration des travailleurs sociaux dans la prise en charge médicale. · Les perceptions générales de la santé [25] apparaissent également comme importantes afin de permettre une évaluation au plus proche des normes du patient.

Le caractère subjectif de la qualité de vie

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Le second axe de définition de la qualité de vie est la subjectivité. De nombreux écrits

étudiés font apparaître l’idée que la qualité de vie doit être définie à partir du point de vue du patient [19, 22, 23, 26,27]. Ainsi, la qualité de vie est plutôt évaluée (assessment) que mesurée, c’est-à-dire que les données recueillies ont pour fonction de décrire plutôt que de chiffrer statistiquement la situation du patient. Cette approche part des perceptions qu’ont les personnes, et présente la façon dont elles vivent cette expérience, comment la maladie influe sur leur qualité de vie. La qualité de vie est définie comme étant un continuum, et non un absolu. Elle est une évaluation par l’individu de son vécu à un moment de son existence.

Qualité de vie et soins palliatifs Selon Simon Schraub [28], l’amélioration de la qualité de vie dans un contexte de soins palliatifs doit consister dans le contrôle et la prise en charge des symptômes, surtout de la douleur. Cependant, elle inclut également le contexte du patient, et l’importance des relations familiales et sociales, l’autonomie, et la prise en compte des problématiques spirituelles et existentielles que rencontre le patient. Ces dimensions ne sont pas complémentaires, comme elles pourraient l’être dans un autre contexte médical. Par contre, concernant la fin de vie, l’évaluation de la qualité de vie doit être centrée sur le patient (confort, bien-être, cheminement du processus de deuil, prise en compte des désirs du patient), mais aussi son environnement, tant familial que spirituel. Ces critères sont centraux et unanimement reconnus comme tels dans la philosophie des soins palliatifs. L’importance reconnue à ces dimensions existentielles crée toute la difficulté de l’évaluation de la qualité de vie en soins palliatifs, où il est nécessaire d’explorer des champs très variés.

Evaluation de la douleur et soins palliatifs : Recommandations de l'ANAES Décembre 2002 Les recommandations de l’ANAES concernant la pris en charge de la douleur en fin de vie sont guidées par le principe récurrent de l’intrication entre l’angoisse de l’expérience du patient et la douleur. L’évaluation de douleur en fin de vie comprend :

- Une évaluation des causes de la douleur - Une évaluation de ses mécanismes (douleur par excès de nociception, douleur par

désafférentation, douleur mixte, douleur psychogène) - Une évaluation de la topographie de la douleur : l’utilisation du schéma est

recommandée afin d’éviter les manipulations inutiles. - Une évaluation de son intensité à l’aide de

o l’interrogatoire o l’examen clinique o un outil validé

- Le retentissement sur le comportement quotidien et l’état psychologique du patient et de son entourage, avec une attention particulière aux risques de dépression ou d’anxiété

Quels méthodes et instruments d’évaluation de la douleur ?

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Selon Salamagne et Pourchet, la première règle pour l’évaluation de la douleur du patient , quelle que soit sa situation, est de croire en sa douleur L’évaluation de la douleur en fin de vie se pose dans un premier temps selon l’alternative suivante: elle dépendra du fait que le patient puisse communiquer ou non.

Dans le premier cas : le patient peut communiquer, l’ANAES recommande l’auto évaluation, c’est à dire l’échelle d’analogique ou numérique. Par ailleurs, l’interrogatoire fournit des informations qualitatives sur le vécu, qui sont tout autant essentielles. Il peut porter sur l’histoire, le type, la localisation, les horaires, l’intensité, l’efficacité des antalgiques, le contexte dans lequel la douleur survient, les répercussions dans la vie quotidienne, l’interprétation, les autres symptômes physique, l’impact sur l’activité, l’humeur, les joies, l’existence, le sommeil, la sociabilité[7,8,11,13]. Le fait que la douleur soit un phénomène global, total, met en évidence l’importance de la communication entre soignants et patients.

Dans le second cas, le patient ne peut pas communiquer. L’ANAES recommande alors d’observer les postures, le faciès, les gémissements, l’attitude antalgique, la limitation des mouvements, l’échelle Doloplus ou ECPA. D’autres instruments peuvent être cités, comme grille d’Edmonton (évaluation des symptômes), questionnaire Saint-Antoine, la val d’Azergues. Quelle que soit la situation du patient, il est indispensable de procéder à une réévaluation régulière [11], la finalité de l’évaluation étant de reformuler les objectifs et d’adapter les actes de soin.

Représentation de la morphine : qu’en est-il du tabou morphinique ? Alors que le Rapport Neuwirth 1994 [9] mettait en avant des retards institutionnels en France, un faible consommation d’antalgiques (OMS en 1987 : 210 pays prescripteurs de 90% de morphine, mais France tient le 40è rang mondial) [4a] qu’en est-il aujourd’hui ? Peut-on encore parler d’un tabou morphinique ? La représentation de la morphine l’associe t-elle à l’abandon, de fin et de plaisir à la fois ? Il semblerait que NON. Selon Lucien Neuwirth, interrogé en 1998, on ne rencontre plus de confusion entre les débats sur la douleur et la toxicomanie [29] Longtemps objet de craintes aujourd’hui injustifiées, la morphine est un produit maîtrisé dont on connaît les règles de dosage. Les risques de toxicomanie sont faibles (3/10000). Les risques de dépression respiratoire sont rares si la posologie est respectée. Les effets secondaires (constipation, nausée, vomissements, troubles de la conscience) peuvent être prévenus et anticipés. Enfin, elle ne réduit pas la durée de vie [10]. Cependant, il mentionne l’importance des explications sur la signification du médicament et l’objectif du traitement. Cependant…

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Cependant, Didier Sicard, en 1999 dans les états généraux de la santé (douleur et soins palliatifs) [30], constate des insuffisances dans le développement des soins palliatifs, telles que :

La marginalité d’une réflexion sur l’accompagnement en fin de vie en France (500lits) La résistance culturelle: les soins d’accompagnement sont encore perçus comme un

renoncement et non comme un soin qui se prolonge L’autonomie du patient n’apparaît pas comme une priorité Le manque d’informations des familles sur la pratique et le sens des soins palliatifs

Il pose alors la question : comment réinsérer les rituels d’accompagnement et les rituels funéraires dans le champ social ?

Eléments éthiques, philosophiques et … humanistes La personne comme un être vivant…en train de vivre La question de la douleur et plus généralement de la qualité de vie, dans le contexte de soins palliatifs (et bien sur de soin en général) a une dimension éthique. En effet, le soulagement de la douleur, de la souffrance ou la recherche du confort optimal implique de tenir compte de la personnalité du patient, de son histoire, de sa spécificité. Ainsi, cette approche du soin maintient une conception et une représentation de la personne humaine comme être désirant, capable de communication réelle ou potentielle, et comme un être vivant, ancré dans la vie, porteur de projets, d’une histoire, d’envies, et ce jusqu’à la fin de sa vie. La souffrance On retrouve chez Paul Ricoeur [3, 12d] l’idée que la souffrance implique rupture d’une continuité, qu’il y a un avant et un après. Dans le contexte des soins palliatifs, cette souffrance peut relever de l’altération de l’image corporelle par la maladie, de la rupture de l’équilibre quotidien, des conséquences psychologiques, et morales, ou encore du sentiment d’humiliation du malade pouvant souffrir de sa dépendance. Cette rupture de continuité va être à la source de la démarche d’accompagnement. Accompagnement dans le soin, par la présence, par l’ « être-là » mais aussi accompagnement dans la dernière crise existentielle. L’accompagnement Plutôt que de commenter, citons ceux qui accompagnent : « Accompagner c’être auprès du malade dans une attitude d’écoute, c’est accepter d’entrer en

relation avec le malade » (1b)

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« Accompagner le malade c’est être auprès de lui là ou il en est de ses pensées et de ses angoisses, quand il le désire. C’est respecter son rythme, son cheminement. C’est lui

permettre d’exister en tant qu’être humain et non en tant qu’objet de soins » [9]

« L’accompagnement de ces personnes nous demande d’être solidaire de l’autre tout en acceptant la part de solitude de tout homme dans sa vie et aussi la notre. Accompagner

quelqu’un, c’est ne pas vivre à sa place. Accompagner, c’est savoir que l’on peut quelque chose dans la pire des souffrances, par la présence, les soins, l’écoute, mais aussi accepter

aussi le fait d’inachevé, d’imperfection, d’insatisfaction de nos attentes sans en être détruits, ni le vivre comme un échec personnel » [13]

La dernière crise existentielle La fin de vie est souvent le moment de la question du sens, sens des relations, sens de sa vie, sens de l’existence. Ce moment est souvent décrit comme étant la dernière crise existentielle, qui en tant que telle, implique remaniements, renoncements et deuils [12d]. Jeannine Pillot décrit parfaitement ces étapes. Selon elle, la crise existentielle en fin de vie a cette particularité de se jouer à tous les niveaux en même temps. La personne doit assumer certaines pertes des pertes et changement, que nous présentons ici succinctement, recommandant vivement au lecteur de se référer au texte intégral.

- perte au niveau de l’image de soi, face au corps malade, qui se modifie, sur lequel on intervient, qui touche notre identité car nous sommes ce corps, c’est par lui que nous sommes dans le monde et parmi les autres [31]

- blessure de l’identité vis à vis du corps qui « fait la loi » - perte de l’autonomie, induite par la maladie, qui crée une dépendance vis à vis des

autres - perte des rôles : qui tient à ce que nous représentons - bouleversement des relations :

Selon Jeanine Pillot, la personne en fin de vie doit faire le deuil de l’immortalité, qui est un changement dans le vécu du temps, [8] c’est à dire qu’il y a rupture de continuité, il y a un « avant » qui ne sera plus pareil et « après » qui est impossible à imaginer et difficile à réinvestir. L’approche de la fin de vie a la particularité de poser en même temps la double question de la vie et de la mort. Elle implique un travail de deuil et travail de réinvestissement dans la vie qui reste à vivre. Travail de renoncement, de résignation et enfin de remaniement. La dernière crise existentielle : moment de reconstruction de repères pour redonner un sens à la vie : passe par un sentiment de non sens, d’absurde. Selon J Pillot : la personne en fin de vie est vivante, ce qui implique qu’une relation normale soit maintenue. Si elle est souffrante, elle est aussi désirante : c’est à dire que le désir est à l’œuvre, dans le sens « voilà ce que j’ai envie de vivre », la plaisir dans la vie. Cette dimension désirante de la personne est mentionnée d’une manière quasi systématique dans la littérature. Ce phénomène n’est pas un hasard, car en extension, la prise en compte des désirs

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de la personne, renvoie en définitive à la question de son autonomie, et de son désir par rapport à sa prise en charge. Alors les soins palliatifs sont cet espace d’accompagnement Les soins palliatifs sont un espace de parole où il est possible de partager l’information, un espace d’écoute active, où un sens est recherché ensemble, dans une collaboration entre le patient, les soignants, les bénévoles, la famille. Ils sont le lieu où on entre dans une relation d’aide, d’écoute [5,15], où le rôle des bénévoles est fondamental : être à l’écoute des personnes en fin de vie sur le plan psychologique et spirituel. Ils sont représentants de la société. Nous terminerons sur ces phrases de Jeannine Pillot, qui défini ce qu’est (et ce que n’est pas) l’écoute. Cette notion correspond à ce terme si souvent utilisé, et si difficilement définissable : « être-là ». Qu’est ce qu’être-là ? Nous savons tous ce que cela évoque, sans trop pouvoir y mettre des mots. Etre là, c’est être devant cet autre que moi-même, mais en reconnaissant en lui la même humanité qu’il y a en moi. C’est être face à lui, à son visage qui me fait entrer dans un rapport éthique avec lui (Lévinas). Ecouter, c’est une manière d’ »être là » « La souffrance naît de la crise existentielle la plus profonde lorsque l’homme est confronté à sa propre mort. Elle s’exprime par une parole qui vise à l’élaboration. Entre la vie et la mort,

les renoncements et l’espoir, le deuil et le questionnement, le mourant est confronté à son destin d’être vivant. Ecouter est une position active. Ecouter ce n’est pas forcement adhérer. Ecouter, ce n’est pas être obligé de répondre ou d’agir. Ecouter ce n’est pas un piège. C’est

permettre une relation vivante où la parole s’échange et se ricoche.» [8]

REFERENCES

▪ [1]. Descartes, Discours de la méthode, §4. Paris, GF, 1966 ▪ [2] Saunders, Dame Cicely, Soins palliatifs, une approche pluridisciplinaire, sous la dir. de Cicely Saunders, Ed. Lamarre « infirmière, société et avenir », 1994 ▪ [3] RICOEUR Paul, "La souffrance n'est pas la douleur", dans Souffrances, corps et âmes, épreuves partagées, coll. "Autrement", 1994 ▪ [4] Ethique et fin de vie. Coord. Thierry Marmet, Ed. Erès « Pratique du champs social », 1997

- [4a]: C1: Ethique et nouvelles perceptions de la mort - [4b]: C3: Accompagnement et soins palliatifs

▪ [5] De Broca A., Douleur, soins palliatifs, deuil, Masson « abrégés », 2002

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▪ [6] Kubler Ross, Les derniers instants de la vie, Labor et Fides, Genève, 1975 ▪ [7] Mary Baines, Le concept de douleur globale, in Saunders, Dame Cicely, Soins palliatifs, une approche pluridisciplinaire, sous la dir. de Cicely Saunders, Ed. Lamarre « infirmière, société et avenir », 1994 ▪ [8] Pillot J, Le vécu social et psychologique de la mort aujourd’hui, in Saunders, Dame Cicely, Soins palliatifs, une approche pluridisciplinaire, sous la dir. de Cicely Saunders, Ed. Lamarre « infirmière, société et avenir », 1994 ▪ [9] Lucien Neuwirth, rapport d’information sur les soins palliatifs et l’accompagnement n°207(98-99), 1994 Disponible sur le site du Sénat : Lien vers le rapport d'information sur les soins palliatifs et l'accompagnement ▪ [10] La Marne P., Ethique de la fin de vie : acharnement thérapeutique, euthanasie, soins palliatifs , Ellipses, Paris 1999 ▪ [11] Cicely Saunders, Mary Baines et Robert Dunlop, La vie aidant la mort : thérapeutiques antalgiques et soins palliatifs en phase, trad. française [de la 3e éd. anglaise], Michelle Pradel; préf. à l'éd. française, Michèle-H. Salamagne- Paris , Arnette-Blackwell -- 1995 ▪ [12] Manuel de soins palliatifs- coord. D. Jacquemin. Dunod.2001

- [12a] : C1: Lamou M.L. « Origine et inspiration » - [12b] : C2 : Delbecque H « Le développement des soins palliatifs » - [12c] : C5 : Jacquemin D, « Place des soins palliatifs dans l’évolution de la

philosophie du soin » - [12d] : C6 : S. Richard « La souffrance globale »

▪ [13] Kemp C.E., Le malade en fin de vie- Guide des soins palliatifs. De Boeck, Bruxelles, 1997

▪ [14] Picard P, Prise en charge de la douleur chronique chez le patient cancéreux,

▪ [15] Meynadier, Douleur et…cancer, éd. phase 5,coll. « Douleur et… », 2002

▪ [16] Patrick Vespieren Père, Face à celui qui meurt : Euthanasie, acharnement thérapeutique, accompagnement, Paris , Desclée de Brouwer, 1999 ▪ [17] Abiven M, Une éthique pour la mort, Paris, Desclée de Brower, 1995 ▪ [18] Campbell A, (1981) A The sense of Well-Being in America: Recent patterns and trends.

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▪ [19] Ferrans, C, et Power M, (1985), Quality of life Index: development and psychometric

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▪ [20] Dow K, Ferrel B, (1999), The Meaning of quality of life in Cancer Survivorship.

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▪ [21] Ferrel B, Grant M, et al.(1992), The meaning of quality of life for bone marrow

transplant survivors, part 1. Cancer Nursing, 15(3), p. 153-160

▪ [22] Padilla G, Ferrel B et al. (1990), Defining the content domain of quality of life for

cancer patients with pain. Cancer nursing, 13(2), 109-115

▪ [23] Watson J (1985), Nursing: Human science and Human Care. A Theory of nursing. Etats–Unis: National league of Nursing ▪ [24] Mor V (1987), Cancer patients’ quality of life over the disease course: lessons from the

real world. Journal of Chronic Disease, 40(6), p. 535-544

▪ [25] Ware JE (1991) Measuring functioning, well-being ant other generic health concepts, in

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▪ [26] Calman KC, (1984), Quality of Life in cancer patients – an hypothesis. Journal of

medical ethics, 10, 124-127

▪ [27] Holmes, C (1989), Health Care and Quality of Life: a review. Journal of Advanced

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▪ [28] Schraub S., Qualité de vie et cancérologie, Paris, J. Libbey Eurotext , 2002 ▪ [29] Entretien avec Lucien Neuwirth, sénateur, Fondation pour la Recherche Médicale ▪ [30] Didier Sicard, Etats généraux de la santé, Douleur et soins palliatifs, Santé.Gouv ▪ [31] Merleau Ponty M., Phénoménologie de la perception, Gallimard « Tel », Paris, 1976

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Références et liens électroniques ▪ Association pour le développement des soins palliatifs ASP fondatrice ▪ Lien avec la rubrique "fin de vie et soins palliatifs" ▪ Recommandations de l'ANAES Décembre 2002 ▪ États généraux de la santé (douleur et soins palliatifs)