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1 Groupe ISP – Droit Civil L’actualité de la preuve Philippe Jacques

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Groupe ISP – Droit Civil

L’actualité de la preuve

Philippe Jacques

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fév. 2005

Ph. JACQUES

maître de conférences à l’Université Paris XII, faculté de droit de La Varenne

enseignant à l’Université de Savoie, faculté de droit de Chambéry

L’actualité de la preuve

Ce document d’actualisation vise à communiquer, sous forme synthétique, l’essentiel de l’actualité qui concerne la preuve en droit privé (à quelques rares incursions près dans d’autres domaines). Pour ce faire, il renvoie la grande partie des connaissances basiques, fondamentales, à vos manuels ou traités, dans lesquelles figurent «les choses que vous ne pouvez pas ne pas savoir». Ici apparaissent donc celles que «vous gagneriez à savoir», et l’intérêt de ce document peut aussi bien être de souligner celles des connaissances basiques qui vous font encore défaut. A vous, en ce cas, d’effectuer le va-et-vient entre ces deux masses d’informations.

Dans l’idée de rendre compte le mieux possible de l’actualité législative, jurisprudentielle et doctrinale de la matière, sont joints au corps du texte quelques résumés des articles, chroniques, commentaires, notes ou observations les plus riches du moment, sous le bénéfice du droit de citation. Cependant, pour alléger le style, les guillemets ne sont pas toujours employés. A vous, dans ces conditions, d’aller lire les références indiquées (au moyen d’abréviations connues de tous), afin de rendre à César ce qui lui appartient !

Bonne lecture.

* * *

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L'actualité de la preuve (sommaire)

1 -. L'actualité d'une polysémie..

I – L'actualité de la preuve en tant quelle est objet d'un Droit

A – La processualisation du droit d'obtenir une preuve

2 -. L'expertise. 3 -. L'expertise in futurum (le référé probatoire). 4 -. Quelques applications de l'expertise in futurum. 5 -. Une autre application récente de l’expertise in futurum. 6 -. Les obstacles à l'expertise in futurum. 7 -. La force probante des actes authentiques.

8 -. La force probante de l'acte authentique, obstacle à l'expertise in futurum portant sur les éléments qu'il contient.

B – La moralisation du Droit de la preuve

9 -. Nul ne peut se constituer de preuve à soi-même. 10 -. Nul ne peut administrer une preuve obtenue déloyalement. Raisons de l'apparition de cette règle et de son importance. 11 -. La moralisation du droit de la preuve pour encadrer les nouveaux procédés de preuve. 12 -. La moralisation du droit moderne de la preuve par le respect le corps humain. 13 -. La moralisation du droit moderne de la preuve par le respect des droits fondamentaux. 14 -. Droit à l'image et obtention d'une preuve en droit pénal. 15 -. La moralisation du droit moderne de la preuve par le respect des garanties procédurales. 16 -. La moralisation du Droit de la preuve par le respect des règles de procédure civile. 17 -. La moralisation du Droit de la preuve par le respect de la procédure pénale.

II – L'actualité de la preuve en tant qu'elle renvoie à un procédé

A – La modernisation des procédés de preuve des actes juridiques

1°. Le recul de l'écrit sur support papier

18 -. La date certaine à l'égard des tiers des actes sous seing privé. 19 -. L'actualité de l’ «ancienne» mention "manuscrite". 20 -. Éléments de connaissance : la loi pour l'initiative économique. 21 -. Pour aller plus loin. 22 -. L'actualité de la formalité dite du double. 23 -. L'actualité des actes authentiques. 24 -. Le relèvement du taux de l'écrit. 25 -. La liberté de la preuve en matière commerciale.

26 -. L'impossibilité morale de constituer un écrit. 27 -. Le commencement de preuve par écrit. 27 bis -. La preuve de l’exécution d’un acte juridique.

2° L'influence des sciences et des techniques sur les procédés de preuve littérale

28 -. Conventions sur la preuve des actes juridiques. 29 -. Photocopies et microfilms, informatique et télématique. 30 -. Écrit et signature électronique ad probationem : loi n° 2000-230 du 13 mars 2000. 31 -. Décret n° 2001-272, du 30 mars 2000. 32 -. Décret n° 2002-535, du 18 avr. 2002. 33 -. Arrêté du 31 mai 2002. 34 -. Décret n° 2002-1436 du 3 déc. 2002, art. 7 à 9.

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35 -. La signature électronique : jurisprudence. 36 -. L'écrit sur support électronique : jurisprudence. 37 -. L'acte authentique électronique. 38 -. L'actualité de la preuve du paiement.

B – La modernisation des procédés de preuve des faits juridiques

39 -. Une modernisation attendue. 40 -. L'expertise biologique. 41 -. L'actualité de l'aveu. 42 -. Le serment (aucune actualité particulière). 43 -. L'actualité des présomptions, outre ce qui a été dit de l'expertise biologique. 44 -. L'actualité de la notion de témoignage. 45 -. Quelques observations relatives au cachet de la poste. 46 -. La lettre recommandé avec avis de réception (support électronique).

III – L'actualité de la preuve en tant qu'elle est un résultat

47 -. L'actualité de la charge de la preuve. 48 -. Le risque de la preuve. 49 -. La confirmation du rôle joué par la charge de la preuve sur le fond du droit.

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1 -. L’actualité d’une polysémie. La preuve peut s’entendre tout à la fois d’une institution (acception théorique), d’un procédé (acception technique) et d’un résultat (acception pratique).

L’actualité qui la concerne doit donc être envisagée tout à la fois au travers de son caractère d’institution (quelle est l’actualité du Droit de la preuve ?), de procédé (quelle est l’actualité relative aux moyens de preuve ?) et de résultat (quelle est l’actualité de la preuve en tant que démonstration ?).

C’est pour ces raisons qu’il sera successivement envisagé l’actualité du droit (I), des procédés (II) et, enfin et beaucoup plus brièvement, du résultat (III), tous mots qui renvoient à la preuve.

I – L’actualité de la preuve en tant quelle est objet d’un Droit

Si l’on regarde la preuve comme faisant l’objet d’une théorie générale – la preuve en tant qu’institution (cet "objet" d’un Droit qu’évoque l’intitulé) –, deux grands mouvements s’y dessinent, qui font son actualité : d’une part, la processualisation de l’obtention de la preuve (A); d’autre part, la moralisation du Droit de la preuve (B).

A – La processualisation du droit d’obtenir une preuve

Jamais on n’a songé à soutenir que, en matière de preuve, droit substantiel et

droit processuel étaient étrangers l’un à l’autre (cf. art. 9 à 11 NCPC et 132 à 322 NCPC également). Mais, ce qui marque l’actualité, c’est leur union de plus en plus serrée.

2 -. L’expertise. Les experts sont des professionnels d’une spécialité donnée auxquels le juge, par une décision avant dire droit, confie la réalisation d’une mesure d’instruction. Sa nomination est donc judiciaire et expose les raisons de son intervention, ainsi que les chefs de la mission (prendre par ailleurs soin de distinguer les dires et l’avis, seul ce dernier renvoyant à l’office propre de l’expert).

Définition de l’expertise : (Vocabulaire juridique) "mesure d’instruction consistant, pour un technicien commis par un juge [l’expert] à examiner une question de fait qui requiert ses lumières, sur laquelle des constatations ou une simple consultation ne suffiraient pas à éclairer le juge; l’expertise consiste à donner un avis purement technique sans porter d’appréciation d’ordre juridique

art. 263s. NCPC : (renvoi)

3 -. L’expertise in futurum (le référé probatoire). En matière probatoire, le recours à l’expertise in futurum devient de plus en plus fréquent. Ici est sollicité d’intervenir l’art. 145 NCPC (voy., par ex., Cass. com. 28 avr. 2004, JCP éd. E &A 2004, 1861, note Ch. CARON).

Principe : "s’il existe un motif légitime de conserver ou d’établir avant tout procès le preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige, les

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mesures d’instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé". Cette disposition est indissociable de l’art. 10 Cciv. ("chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité") et de l’art. 11, al. 1er NCPC ("les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus").

L’article 145 NCPC permet d’ordonner, à la demande de tout intéressé, les mesures d’instruction propres à conserver ou établir avant tout procès la preuve des faits dont pourrait dépendre la solution d’un litige [on dépasse ainsi largement l’idée d’une preuve confinée au seul procès, d’une preuve uniquement judiciaire].

Com. 13 mai 2003 RDC 2004-2, p. 376, note Ph.DELEBECQUE (prescription, action probatoire)

"l’action purement probatoire fondée sur l’article 145 du NCPC n’est pas une action née du contrat de transport au sens de l’article L. 133-6 du Code de commerce".

L’enjeu et la décision : la prescription annale des transports terrestres couvre "toutes les actions auxquelles le transport peut donner lieu" (article L. 133-6 Ccom.). L’arrêt rapporté considère que l’expertise in futurum de l’article 145 du NCPC (en l’espèce, il s’agissait de réclamer des justificatifs, le montant de factures étant plus important que la valeur des livraisons) est une action purement probatoire, distincte des actions de fond (paiement, responsabilité.). En cela, elle échappe à la prescription annale des actions auxquelles le contrat de transport donne lieu.

Le commentaire : le commentateur approuve la solution, tout en faisant valoir que ce n’est pas leur origine qui permet de distinguer ces actions (celle née du contrat de transport et l’action en référé probatoire), car elles naissent toutes deux du contrat, mais plutôt leur visée : il n’y a aucune raison de faire prévaloir la protection du transporteur sur la recherche de la vérité.

4 -. Quelques applications de l’expertise in futurum. Résumé d’un article de M. A. RAYNOUARD, Defrénois 15 janv. 2004, actualité du droit des nouvelles technologies, p. 47 (Informatique. Courrier électronique. Vie privée. Mesures d’instruction in futurum. Autorisation judiciaire. Contrôle du juge)

L’auteur regroupe trois décisions qui traitent de la question déjà soulevée par l’arrêt Nikon rendu par la Chambre sociale de la Cour de cassation, le 2 oct. 2001. On se souvient que l’employeur qui cherche à démontrer au moyen de courriers électroniques le fait fautif de son employé afin de justifier un licenciement pour cause réelle et sérieuse, doit, s’il ne veut pas porter atteinte au respect de sa vie privée, passer par le juge et obtenir une autorisation de procéder à la recherche et à la sauvegarde des éléments de preuve, dans des conditions préservant les droits et garanties fondamentales de l’employé.

Ainsi, deux ordonnances de référé témoignent de la judiciarisation de la preuve en ce domaine : le juge des référés est saisi d’une mesure d’instruction in futurum dont la seule condition particulière (entendre : outre les conditions propre à tout référé) est l’existence d’un motif légitime. Le juge vise expressément le

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risque de destruction des éléments de preuve, même si l’on sait que la plupart des fonctions de suppression d’un logiciel n’effacent pas les données informatiques, se bornant à modifier la structure du disque dur, de telle sorte qu’une part non négligeable de celles-ci est récupérable.

Par ailleurs, un arrêt inédit de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, du 23 avr. 2003, rendu en matière de preuve de la contrefaçon (A. L. 615-5 CPI) souligne que l’autorisation judiciaire est spéciale : si elle a été sollicitée pour parer au refus du propriétaire de l’ordinateur de donner son code d’accès, elle ne peut justifier une saisie visant à la restauration des données effacées. Les juges du fond, approuvés par la Cour de cassation, ont alors ordonné la restitution du disque dur, celui-ci ayant été saisi sans autorisation.

Pour creuser ce thème, on lira aussi avec profit :

Rouen, 21 oct. 2003 D. 2004, jur., p. 2527, note I. CORPART

5 -. Une autre application récente de l’expertise in futurum

Limoges, Ch. soc., 13 sept. 2004 D. 2004, I.R., pp. 2621 Pas de mesure d’instruction in futurum avant la contestation en justice d’un licenciement

Faits et procédure : un salarié licencié pour faute grave saisit la formation de référé d’un conseil de prud’hommes, pour ordonner sous astreinte à son employeur de remettre les éléments de preuve des faits qui lui ont été reprochés dans la lettre de licenciement (art. 145 NCPC). Il est débouté en première instance et en appel.

Discussion : l’article 145 sert à la recherche et à la conservation des preuves sans qu’il puisse permettre de découvrir un fondement juridique pour une demande en justice postérieure ni servir la fixation ou la détermination d’un fondement juridique de l’action que le demandeur se propose d’engager. De ce fait, le juge ne peut pas procéder à des investigations forcées ou à des immixtions dans les affaires d’autrui alors que le cadre et les limites d’une éventuelle saisine du juge du fond ne sont ni établis ni déterminables. Pour le licenciement économique, l’exigence de motifs résulte des articles L. 122-14-2 et L. 122-14-3 C.trav. Le premier de ces articles concerne l’exigence d’exposer les motifs dans la lettre sans autre obligation et, notamment, l’employeur n’a pas – rappellent les juges d’appel – à recueillir des preuves du bien-fondé des motifs allégués, au moins tant que le licenciement n’est pas contesté. Le second de ces articles exige, en cas d’action en justice, de l’employeur qu’il justifie le licenciement prononcé en délivrant les documents qui prouvent les faits reprochés au salarié licencié. En la matière, en effet, la charge de la preuve ne repose sur aucune des parties, mais l’employeur doit alléguer les faits sur lesquels il fonde le licenciement. Le juge apprécie les faits allégués par les parties et ce n’est qu’à ce moment qu’il peut juger opportun d’ordonner des mesures d’instruction.

Si on utilisait l’art.145 NCPC on violerait le contenu de l’art. L. 122-14-2 qui n’exige que l’exposé des motifs au sein de la lettre de licenciement et rien d’autre.

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6 -. Obstacles à l’expertise in futurum. Le secret bancaire et la procédure d’inscription de faux sont, actuellement, deux des principaux obstacles au référé probatoire.

Le secret bancaire. Selon les art. :

10 Cciv. :

"Chacun est tenu d’apporter son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. Celui qui, sans motif légitime, se soustrait à cette obligation lorsqu’il en a été légalement requis, peut être contraint d’y satisfaire, au besoin à peine d’astreinte ou d’amende civile, sans préjudice de dommages et intérêts"

et 11 NCPC :

"Les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus. Si une partie détient un élément de preuve, le juge peut, à la requête de l’autre partie, lui enjoindre de le produire, au besoin à peine d’astreinte. Il peut, à la requête de l’une des parties, demander ou ordonner, au besoin sous la même peine, la production de tous documents détenus par des tiers s’il n’existe pas d’empêchement légitime"

Ainsi, en cas de "motif" ou d’ "empêchement légitime", une partie peut refuser son concours à la justice en vue de la manifestation de la vérité. Que représente, concrètement, un tel motif ou un tel empêchement légitime ?

Le secret bancaire est de principe en droit français : art. L. 511-33 CMF, dont la violation est pénalement sanctionnée : art. L. 226-13 et 14 C.pén.; seules exceptions à ce secret : une demande émanant de la Commission bancaire, de la Banque de France, de la DGCCRF (art. 13 et 16 de la loi MURCEF du 11 déc. 2001), de l’autorité judiciaire agissant dans le cadre d’une procédure pénale, d’une commission départementale de surendettement (art. L. 333-4, C.consom.), sans oublier que le client peut, lui-même, délier la banque ni, non plus, que ce secret n’est pas opposable au tuteur, à l’administrateur légal ou judiciaire d’un client, ainsi qu’à ses héritiers ou légataires universels (idée de continuation de la personne).

C’est ainsi que ce secret est, depuis une décision du 13 juin 1995 de la Chambre commerciale de la Cour de cassation, un "motif légitime" faisant échec au référé probatoire, "même dans l’hypothèse où la banque est défenderesse à l’action et non plus simple tiers confident" (D. CHEMLA et E. BOURETZ, "Référé probatoire et secret bancaire : un secret bien gardé. État de la jurisprudence récente", Rev. dr. bancaire et financier 2004-3, p. 205s.)

Faits de l’arrêt de 1995 : des héritiers non continuateurs (tout est là) de la personne du tireur d’un chèque sollicitent la communication de deux chèques tirés sur un établissement bancaire. N’obtenant copie que du recto, ils saisissent le juge des référés pour obtenir communication de l’intégralité du chèque

La décision : cassation de l’ordonnance leur ayant fait droit, "le secret professionnel auquel la banque est tenue constituant un empêchement légitime"

Portée : confirmation par la jurisprudence postérieure

D’autres décisions de la Cour de cassation sont en ce sens ou à rapprocher :

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• 16 janv. 2001, à propos de la communication de relevés de compte et d’ordres d’opérations ("le juge ne peut ordonner qu’une mesure légalement admissible", ce qui ne saurait être le cas s’agissant de mettre en échec le secret bancaire)

• 10 déc. 2002 : communication d’un dossier de prêt interne à la banque

• 25 fév. 2003 (D. 2003.1162, note V. AVENA-ROBARDET) : demande de référé probatoire aux fins d’obtenir la communication du nom des personnes ayant fait fonctionner un compte, se heurtant au motif légitime du secret bancaire (extension du profit du secret bancaire au-delà des titulaires du compte). Précisons cette décision.

Faits : la caisse nationale d’assurance vieillesse avait continué à verser les arrérages d’une pension de retraite pendant 9 mois après le décès de son bénéficiaire, sur son compte bancaire; agissant en répétition de l’indu, art. 1235 et 1375, cette caisse demande au juge des référés d’obliger la banque à lui indiquer le nom de ceux qui ont continuer à faire fonctionner la convention de compte; or, le secret bancaire ne cède pas avec le décès de celui qui en bénéficie et s’étend au cercle de ceux qui ont le pouvoir de faire fonctionner ce compte, peu important, du reste, la nature des éléments de preuve réclamés : état du compte, de ces mouvements ou titulaires de celui-ci

• 8 juill. 2003 : le banquier du bénéficiaire peut légitimement refuser de remettre au tireur lui-même qui est son propre client le verso des chèques qu’il a émis (en délivrant cette information, la banque aurait manqué au secret bancaire qu’elle doit au bénéficiaire du chèque)

• 13 nov. 2003 : le secret bancaire ne cesse pas du seul fait que cet établissement est partie à un procès, dès lors que son contradicteur n’est pas le bénéficiaire du secret qui l’en aurait délié (on fera néanmoins observer qu’une banque ne peut se prévaloir du secret bancaire lorsqu’elle est partie à un procès intenté contre elle)

Justification générale de toute cette jurisprudence : "la justice civile comme le secret bancaire concernent des intérêts privés, en sorte qu’il n’y a aucune raison de faire prévaloir la première sur la seconde" (Th. BONNEAU).

La procédure d’inscription de faux. Outre le secret bancaire, un autre motif légitime fait actuellement souvent échec au référé probatoire (expertise in futurum). Il réside dans l’existence d’une procédure particulière à la contestation des éléments portés par un acte authentique (procédure d’inscription de faux). La force probante propre aux actes authentiques fait ainsi échec à la possibilité d’obtenir une expertise in futurum. Pour le démontrer, il faut revenir sur la force probante des actes authentique (n° 7) et en tirer les conséquences qui s’imposent en ce qui concerne la possibilité d’une expertise in futurum d’éléments mentionnés dans ces actes (n° 8).

7 -. Sur la force probante des actes authentiques

Cass. com. 11 févr. 2004 JCP éd. G 31 mars 2004.IV.1700; Rev. dr. banc. & fin. 2004-3, p. 181, n° 113, obs. D. LEGEAIS

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Faits : dans le cadre d’un plan de redressement, le gérant d’une SARL est invité à la barre à se porter caution, le tribunal ordonnant la poursuite de l’activité et "prenant acte de ce que le gérant s’engageait à se porter caution de l’exécution du plan à hauteur d’une somme déterminée".

Litige : pour échapper au paiement qui lui est plus tard réclamé, le gérant invoque l’inobservation des art.1326 et 2015 C.civ.

L’arrêt : l’art. 1326 C.civ. n’est pas applicable au cautionnement du dirigeant de l’entreprise donné devant le tribunal de commerce et constaté par le jugement autorisant la poursuite de l’activité dont les mentions font foi jusqu’à inscription de faux.

Justification : l’art. 457 NCPC signale que les mentions du jugement relatives aux déclarations faites par les parties devant le tribunal font foi jusqu’à inscription de faux.

Conséquence : la procédure d’inscription de faux propre à la preuve contraire au contenu des actes authentiques fait obstacle à la possibilité d’une expertise in futurum (specialia generalibus derogant).

Remarque : l’arrêt pose néanmoins comme condition que la caution se soit engagée "en connaissance parfaite de cause", ce qui emporte que, dans le jugement, la portée de l’engagement soit clairement précisée. C’est là que l’on peut estimer que, en comparaison d’un cautionnement constaté par notaire, existe une grande différence entre ces deux formes (aucun devoir de conseil ne pesant sur le juge consulaire…).

Autre remarque : même ainsi constitué, le cautionnement est soumis aux dispositions de la loi du 1er août 2003, d’application générale (soumission au principe de proportionnalité le cas échéant; obligation d’information annuelle du créancier; cf. infra, n° 21 s.; exemple immédiat : Rennes, 19 déc. 2003, Rev. dr. banc. & fin. 2004-3, p. 182, n° 115, obs. D. LEGEAIS : l’art. L. 341-1 C.consom. s’applique aux cautionnements en cours au 1er août 2003, ce qui est conforme à la loi ayant déclaré, par exception aux autres dispositions qu’elle comportait, cet article d’application immédiate; cependant, il pouvait être conçu que ce texte s’applique immédiatement aux seuls cautionnements conclus après le 1er août 2003, choix qui n’est pas neutre en ce que le principe de proportionnalité admis par la loi est distinct de celui que la jurisprudence admettait jusqu’alors et que la sanction se trouve désormais dans la décharge de la caution, non dans l’octroi de dommages-intérêts).

8 -. La conséquence de la force probante de l’acte authentique quant à la possibilité d’une expertise in futurum concernant les éléments qui y sont consignés

Cass. civ. 1ère, 11 juin 2003 Defrénois 2003.1174, note J.-L. Aubert; Cass. civ. 1ère 11 juin 2003, RTD civ. 2003.503, obs. J. MESTRE et B. FAGES

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Faits : remise en cause d’une procuration par acte authentique par les demanderesses sur le fondement de l’art. 145 NCPC. Précisément, par acte authentique, un couple a donné mandat à un neveu et son épouse de gérer leurs biens présents et à venir. Après leur décès, contestation par les petites-filles de l’authenticité de la signature apposée devant notaire qui demandent en référé et à titre préventif une expertise sur le fondement de l’art. 145 du NCPC.

L’arrêt : les dispositions spéciales et d’ordre public des art. 306 et 314 NCPC relatives à l’inscription de faux contre les actes authentiques excluent l’application de l’art. 145 de ce même code

Commentaire de M. J.-L. AUBERT : l’auteur approuve totalement cet arrêt, qui souligne la force probante propre aux actes authentiques : certes l’art. 145 NCPC n’est pas limité à la conservation des preuves et peut tendre aussi à leur établissement. Mais précisément, cela souligne l’incompatibilité de ce procéder avec l’inscription de faux : admettre cette démarche probatoire reviendrait à nier ab initio l’autorité de l’acte authentique. La procédure d’inscription de faux, qui est établie spécialement pour les actes authentiques en considération de leur particularisme, exclut toute autre voie de preuve.

Commentaire de MM. MESTRE et FAGES : ces auteurs approuvent aussi cette solution sans précédent connu, avançant plusieurs justifications dans le sens de la décision :

>>> une expertise in futurum aurait pu le cas échéant être admise comme préalable à la procédure d’inscription en faux, mais on ne voit pas quelle urgence il y aurait à procéder à l’expertise graphologique d’un individu déjà décédé. En outre l’acte authentique n’est précisément pas la type d’acte pour lequel la conservation pose problème, et il est prévu que le notaire peut exceptionnellement se dessaisir de l’original de l’acte authentique dans l’hypothèse d’une poursuite en faux et être entendu par le juge (art. 304 NCPC).

>>> il y a lieu de préserver de toute concurrence la procédure d’inscription de faux que le législateur a précisément souhaité dissuasive (le demandeur qui succombe est condamné à une amende civile de 15 à 1500 euros, sans préjudice des DI qui seraient réclamés). Il y va de la force probante de l’acte authentique.

>>> la solution ne vaut que pour les énonciations de l’acte, qui font pleine foi jusqu’à démonstration contraire au moyen de l’inscription de faux, à l’exclusion des faits qui n’ont pas été constaté personnellement par l’officier public. Pour ces derniers, le droit commun de la preuve retrouve son empire, et avec lui l’expertise de l’art. 145 du NCPC.

L’admission et le développement de l’expertise in futurum marque bien le passage d’un droit pour prouver à un droit de savoir : l’expertise pouvant avoir lieu sans contentieux, on comprend que ce besoin de vérité est fort et, plus il est fort, plus la nécessité de l’encadrer se manifeste. D’où l ‘idée consécutive de moralisation qui traverse le droit de la preuve.

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B – La moralisation du Droit de la preuve

Cette moralisation est traditionnelle pour partie, plus moderne pour une autre partie. Traditionnelle, dans l’affirmation selon laquelle "nul ne peut se constituer de preuve à soi-même" (n° 9); plus moderne, en ce sens que sont particulièrement importantes les conditions de l’obtention d’une preuve, conditions qui commandent très souvent sa recevabilité (n° 10s.). Mais on va voir que ces deux principes sont relatifs.

9 -. Nul ne peut se constituer de preuve à soi-même

Intérêt ancien : EDF, GDF (compteur certifiés), France Telecom (mais prérogatives exorbitantes du droit commun). Quid lorsque cette preuve constituée à soi-même, autrement dit sans aucun respect de l’idée de contradictoire, est réalisée par une personne, physique ou morale, de droit privé ?

Par analogie, cf. :

art. 1329 : "Les registres des marchands ne font point, contre les personnes non marchandes, preuve des fournitures qui y sont portées, sauf ce qui sera dit à l’égard du serment"

art. 1330 : "Les livres des marchands font preuve contre eux; mais celui qui en veut tirer avantage, ne peut les diviser en ce qu’ils contiennent de contraire à sa prétention"

art. 1331 : "Les registres et papiers domestiques ne font point un titre pour celui qui les a écrits. Ils font foi contre lui : 1º dans tous les cas où ils énoncent formellement un paiement reçu; 2º lorsqu’ils contiennent la mention expresse que la note a été faite pour suppléer le défaut du titre en faveur de celui au profit duquel ils énoncent une obligation"

Sur la règle "nul ne peut se constituer de preuve à soi-même", cf. par ex., RTD civ. 1997, 136; RTD civ. 1999, p. 402, ainsi que Soc., 11 mai 1999, JCP éd. G 2000, II, 10269, note C. PUIGELIER ; aj., plus précisément :

Limoges, 18 nov. 1999 RTD civ. 2000, p. 839, obs. J. MESTRE et B. FAGES Limitation à la règle selon laquelle nul ne peut se constituer une preuve à lui-même

Cadre : alors que la Cour de cassation fait une application généralisée de cette règle, qu’elle étend à la preuve des faits juridiques pourtant soumis au principe de liberté (Cass. civ. 1ère, 2 avr. 1996, RTD civ. 1997, p. 136, obs. J. MESTRE et B. FAGES), certains juges du fond ont plus de discernement

Faits : le passager d’un train est écrasé en traversant la voie ferrée après être descendu d’un autorail. Ses héritiers, agissant en responsabilité civile contre le transporteur, contestaient la recevabilité du témoignage d’un employé de la SNCF

Arrêt : "aucune disposition n’interdit à un partie d’invoquer les déclarations de ses préposés au soutien de ses prétentions et il n’appartient qu’au juge d’apprécier leur caractère probant, eu égard aux circonstances"

Apport : limitation de la règle à la seule preuve des actes juridiques

Cass. civ. 1ère, 7 mars 2000 RTD civ.; 2000, p. 333, obs. J. MESTRE et B. FAGES

Faits : un abonné se plaint devant le juge des référés de la décision de France Telecom de placer son accès au réseau téléphonique en service restreint, à la suite de son refus d’acquitter des factures dont il contestait le montant. Débouté, il forme un pourvoi, motif pris de la violation par les juges du fond des art. 1315, 1341 C. civ. et 809 NCPC

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Décision : rejet du pourvoi; "par une exacte application de l’art. 1315, al. 2, [les juges ayant retenu] que l’abonné qui se bornait à contester certains liaisons téléphoniques alors qu’il n’était pas le seul à utiliser sa ligne téléphonique, n’apportait la preuve d’aucun élément de fait de nature à mettre en doute la présomption établie par le relevé des communications"

Rappr. : Cass. civ. 1ère, 28 mars 1995, RTD civ. 1996, p. 173, obs. J. MESTRE et B. FAGES, statuant dans le même sens à propos d’une autre facture de téléphone, mais non publié au Bulletin et pour un montant inférieur à 5 000 francs.

Discussion : si le fournisseur d’accès à un réseau téléphonique doit prouver l’existence et le montant de sa créance (1315, al. 1er C. civ.), il bénéficie pour ce faire d’une présomption résultant du relevé des communications. Le risque de la preuve contraire pèse ainsi sur l’abonné, preuve qu’il peut néanmoins administrer par tous moyens. Cette présomption s’applique, lors même que son montant dépasse le taux légal (5 000 francs de l’époque). L’explication tient à cela qu’il est ici question de prouver l’exécution d’un contrat (un fait juridique), non ce contrat lui-même, dans son existence ou ses clauses (rappr., déjà en ce sens à propos d’une facture d’eau, Cass. civ. 1ère, 31 mars 1999, RTD civ. 1996, p. 173, obs. P.-Y. GAUTIER).

Réflexion : MM. MESTRE et FAGES se demandent si la présomption ici admise n’est pas subordonnée par la réalisation, à la charge du créancier, d’une expertise technique préalable permettant de conclure au bon fonctionnement des appareils de mesure. Qui plus est, dans la mesure où la présomption dont il s’agit est judiciaire, l’arrêt n’est pas contraire au principe selon lequel une partie se serait constitué une preuve à elle-même (à quoi l’on ajoutera que, s’agissant d’un fait juridique à prouver, la règle ne devrait pas s’y étendre…). Enfin, pour faire échec au jeu de cette règle, on aurait pu aussi songer à faire valoir une convention sur la preuve, résultant des conditions générales du fournisseur (France Telecom, compagnie de distribution des eaux, voire établissement de crédit, etc.); rappr. Paris, 19 déc. 1996, CCC 1997, comm. n° 140, obs. G. RAYMOND). Dès lors, et pour toutes ces raisons, la créance n’était pas sérieusement contestable et le rejet du pourvoi fondé sur l’art.809 du NCPC s’explique également.

Cass. civ. 1ère, 24 sept. 2002 D. 2002, jur., p. 2777; Dr. & patr. n° 11, janv. 2003, comm. n° 3202, obs. Ph. BONFILS

"nul ne peut se constituer une preuve à lui-même; en conséquence, doit être cassé pour violation de l’art. 1315 du Code civil le jugement qui, pour reconnaître un maître de l’ouvrage débiteur d’une association et le condamner à lui payer une somme, retient, après avoir constaté l’intervention d’ouvriers de l’association demandée par l’entrepreneur, exclusivement une facture émise par elle sur le maître de l’ouvrage pour le montant indiqué".

Observation : la formule a l’apparence d’un grand et vieux principe, sinon celle d’un adage de l’Ancien Droit. Elle est pourtant récente et sa signification est peu claire.

L’origine récente de ce principe : la première application de ce principe semble, selon M. Ph. BONFILS, être le fait de deux arrêt de la Chambre commerciale, du 9 nov. 1993 (CCC 1994, comm. n° 1, obs. L. LEVENEUR) et du 6 déc. 1994 (CCC, comm. n° 67, obs. L. LEVENEUR). Il a ensuite été repris par la première Chambre civile de la Cour de cassation, le 2 avr. 1996 (Bull. civ. I, n° 170; D. 1996, somm. p. 329, obs. Ph. DELEBECQUE; CCC 1996, comm. n° 119, obs. L. LEVENEUR; RTD civ. 1997.136, obs. J. MESTRE). Puis, à partir d’un arrêt du 23 juin 199 (Bull. civ. I, n° 220; CCC 1998, comm. n° 141, obs. L. LEVENEUR;

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RTD civ. 1999.401, obs. J. MESTRE), sa formulation évolue : "on ne peut se constituer un titre à soi-même.

Les fondements possibles de ce principe : il paraît découler, dans sa logique, des art. 1323, 1326, 1329, 1331 et 1347 du C. civ., bien plus que de l’art. 1315 comme le retient cet arrêt (en ce que cet adage concerne davantage l’obtention que la charge de la preuve). Néanmoins, dans la mesure où l’art. 1315 est le premier des art. du C.civ. à concerner la preuve et représente une disposition fondamentale, le rattachement textuel opéré par l’arrêt se comprend.

La signification obscure de ce principe : c’est le caractère général de la formule qui appelle les première réserves, en ce qu’elle ne distingue pas la preuve des actes et celle des faits juridiques; ces derniers se prouvant par tous moyens, le principe ici exposé ne trouverait pas à s’y appliquer. En revanche, en matière d’actes juridiques, ce principe est justifié et semble découler de l’exigence d’une preuve préconstituée. On ajoutera que, ici, on ne saurait non plus occulter l’influence du principe du contradictoire, qui semble justifier une telle règle, même si son application aux faits juridiques est moins fondée qu’en matière d’actes juridiques.

Cass. civ. 1ère, 13 juill. 2004 JCP 29 sept. 2004.IV.2961; D. 2004, jur., p. 2524, note N. LÉGER; aj. Fr. GARRON, « Quand le listing informatique vient éclairer le principe ‘nul ne peut se constituer une preuve à soi–même’», RLDC déc. 2004, chr. n° 441, p. 13

Faits : une cour d’appel est approuvée d’avoir décidé que le listing informatique produit par une compagnie aérienne pour prouver l’heure de présentation d’un passager n’est pas un document unilatéral insusceptible de constituer une preuve mais vaut comme présomption simple.

Discussion : rappr. de l’adage "nul n’est témoin idoine dans sa propre cause" (l’antinomie entre les qualités de partie et de témoin est si évidente qu’elle n’est proclamée nulle part dans les textes).

10 -. Nul ne peut administrer une preuve obtenue déloyalement. Raisons de l’apparition de cette règle et de son importance

"Comment, au pays de Descartes, résister aux attraits de la certitude pour se complaire au charme de la probabilité ?" fait-on remarquer d’une part (Mme DREIFFUS-NETTER). Mais, d’autre part, n’objecte-t-on pas que "l’utilité n’est rien sans la justice" (Mme DREIFFUS-NETTER encore) ? Toute l’ambivalence de la modernité en droit de la preuve (droit longtemps considéré comme vieilli : Carbonnier, Introduction) se révèle en confrontant ces deux propositions. L’arrivée et la prise en compte de nouveaux procédés scientifiques ou techniques ont entraîné une véritable modernisation du droit de la preuve. Mais le "rajeunissement" de ce droit, parce qu’il passe par sa libéralisation, peut légitimement inquiéter.

Que l’on s’explique : en 1804, on ne peut dire que la manifestation judiciaire de la vérité n’était pas juridiquement bornée. Mais, ces bornes existaient et elles étaient, assez naturellement, techniques, matérielles (impossibilité de tout prouver). Or, l’évolution des sciences et des techniques ont repoussé ces limites matérielles. La question a donc été ouverte de savoir si, lorsque, techniquement, presque tout peut être prouvé, il convenait d’admettre toute preuve, de la déclarer recevable, quelque soit son mode d’obtention. La réponse fut négative et, si la limite n’est plus technique, elle est devenue éthique. Ainsi, la modernisation du droit de la preuve par l’admission de nouveaux procédés s’est

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accompagnée, parallèlement, d’un effort de moralisation de ce droit, afin d’encadrer les nouveaux procédés qui y sont admis.

11 -. La moralisation du droit de la preuve pour encadrer les nouveaux procédés de preuve. Jamais, on a autant évoqué la moralisation du droit de la preuve, la loyauté des procédés de preuve et celle qui doit gouverner leur obtention. On évoque même l’éthique de la preuve et, parfois même, la nécessité de respecter la paix des familles. Cette volonté de moraliser le droit de la preuve s’explique car si tout est techniquement possible, seule une valeur supérieure (ou plusieurs) peut borner les moyens de faire se manifester la vérité. C’est en ce sens que sont invoqués, pour encadrer les récents progrès des procédés de preuve, la nécessité que l’obtention d’une preuve se soit faite dans le respect des droit fondamentaux de la personne (n° 12s.). C’est dans le même esprit que les garanties procédurales sont ici fréquemment invoquées (n° 15s.), même si, dans les deux cas, on peut mesurer une certain décalage entre le discours et la réalité

12 -. La moralisation du droit moderne de la preuve par le respect le corps humain

intégrité du corps humain, limite à la recherche des preuves scientifiques ; lois de 1994 : art. 16-3, 16-10 et 16-11 C.civ. et, avec les lois propres à la démonstration de la filiation de 1955, 1972 et 1993 (on les reverra, infra, n° 53), idée de respect de la paix des familles; cependant, il est difficile de résister à l’idée d’obtenir une preuve scientifique…

Paris, 6 nov. 1997, (Montand c. Drossart)

Décision qui ordonne l’exhumation d’un cadavre, aux fins de faire procéder à un prélèvement propre à établir des empreintes génétiques. Certes, le de cujus s’était opposé à un tel prélèvement lorsqu’il le pouvait encore, mais les ayants-droit du défunt avaient, eux, fait connaître qu’ils ne s’opposaient pas à une analyse génétique après exhumation de leur auteur si elle était estimé nécessaire mais pas protection après la mort

Discussion : selon les art. 671-7 à 671-9 CSP, portant, depuis 1994, les dispositions relative s au prélèvement d’organes sur les personnes décédées (raisonnement analogique), le consentement de la personne à un prélèvement post-mortem est présumé lorsqu’elle n’a pas fait connaître, de son vivant, son opposition (Loi Caillavet, 1976), pourvu que cette intervention soit pratiquée à des fins thérapeutiques ou pour établir les causes du décès. Au contraire, aucun prélèvement opéré à des fins scientifiques "ne peut être effectué sans le consentement du défunt exprimé directement ou par le témoignage de sa famille (art. 671-9 CSP). Les mêmes règles s’appliquent au prélèvement de tissus, cellules et produit humains sur une personne décédée (art. 672-6 CSP). On le voit, rien sur la finalité d’établissement d’un lien de filiation n’est prévu dans le CSP (ni, pour le mentionner, dans le cadre d’investigations policières). Avant 1994, la Cour de cassation avait admis une exhumation aux fins d’un tel établissement (Cass. civ. 1ère, 22 avr. 1975, Bull. I, n° 143). Cependant, en 1994, intervient l’art. 16-11, al. 2, C.civ., selon lequel le consentement de l’intéressé est nécessaire à l’obtention d’une preuve biologique.

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Attention, rédaction nouvelle des principaux articles du Code sur la question, prenant en compte les réactions suscitées par cette décision !

Article 16-10 (Loi nº 94-653 du 29 juillet 1994 art. 1 I, II, art. 5 Journal Officiel du 30 juillet 1994) (Loi nº 2004-800 du 6 août 2004 art. 4 I Journal Officiel du 7 août 2004)

L’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique. Le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l’examen, après qu’elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l’examen. Il est révocable sans forme et à tout moment.

Article 16-11 (Loi nº 94-653 du 29 juillet 1994 art. 1 I, II, art. 5 Journal Officiel du 30 juillet 1994) (Loi nº 2004-800 du 6 août 2004 art. 4 I, art. 5 I Journal Officiel du 7 août 2004)

L’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que dans le cadre de mesures d’enquête ou d’instruction diligentées lors d’une procédure judiciaire ou à des fins médicales ou de recherche scientifique. En matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides. Le consentement de l’intéressé doit être préalablement et expressément recueilli. Sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort. Lorsque l’identification est effectuée à des fins médicales ou de recherche scientifique, le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l’identification, après qu’elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l’identification. Il est révocable sans forme et à tout moment.

Discussion (pro) : la disposition de l’art. 16-11 Cciv.(attention, on évoque ici la rédaction antérieure à 2004) ne s’applique-t-elle qu’aux personnes en vie ? En ce sens, J. MASSIP, "L’insertion dans le Code civil des dispositions relatives au corps humain, à l’identification génétique…", Defrénois 1995, p. 65; en ce sens aussi :

Aix-en-Provence, 8 fév. 1996 :

"attendu (à propos d’une action en recherche de paternité naturelle) que l’identification par ses empreintes génétiques d’une personne qui, comme en l’espèce, est décédée sans jamais y avoir consenti de son vivant, ne saurait être soumise aux dispositions de l’art. 16-11, al. 2 C.civ."

Discussion (contra) : le décès ne fixe-t-il pas le statut de la personne, en ce sens qu’elle ne peut plus consentir (sous réserve de l’identification en matière pénale, soustraite au consentement) ? (D. FENOUILLET, J.-Cl. civ.). Mais, on peut y objecter qu’il ne serait pas satisfaisant de doter les morts d’un statut plus protecteur que celui appliqué aux vivants. Solution médiane, à l’instar de l’art. L. 671-9 CSP, remplacement du consentement direct de l’intéressé par le témoignage unanime de sa famille. Mais, l’analogie n’est pas forte entre le prélèvement de tissus à des fins scientifique (sur lesquels on peut imaginer un accord familial) et celui aux fins

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d’établir ou de contester une filiation (car les acteurs du conflit se trouvent au sein même de la famille !).

Discussion (encore) : peut-on tirer argument du refus de l’intéressé, manifesté de son vivant ? Rien ne permet d’être certain qu’il l’aurait maintenu. S’il était certain de ne pas être le père, pourquoi aurait-il refuser l’analyse (agression minime !) ?

Argument : au travers du principe de l’inviolabilité du corps humain, la loi protège la personne, autrement dit, il s’agit d’un droit de l’homme vivant. La mort abolit la personnalité juridique. La protection d’un corps sans vie ne procède donc pas du principe de l’art. 16-1. C’est donc aux règles de droit relatives aux cadavres qu’il faut s’attaquer, pour faire prospérer la réflexion.

Le droit applicable aux cadavres :

anc. art. 360 C. pén. réprimant la violation de tombeaux et de sépultures; depuis 1994, l’art. 225-17 C. pén. inverse la hiérarchie entre sépulture et cadavre, son premier alinéa incriminant "toute atteinte à l’intégrité du cadavre par quelque moyen que ce soit";

art. L. 671-11 CSP, à propos de l’image posthume ("les médecins ayant procédé à un prélèvement sur une personne décédée sont tenus d’assurer la restauration décente de son corps").

S’il existe bien un Droit des morts, il est délicat d’évoquer les droits des morts, les droits subjectifs n’existant que parmi les vivants. On le voit, l’intangibilité du corps humain, en tant qu’il est essentiellement saisi par un droit subjectif, ne forme qu’un obstacle limité à la recherche à tout prix d’une vérité. La moralisation du Droit de la preuve ne passe donc pas essentiellement par là. Le respect d’autres droits fondamentaux est donc sollicité aux fins de moraliser le Droit de la preuve.

13 -. La moralisation du droit moderne de la preuve par le respect des droits fondamentaux (droit à l’image, droit au respect de la vie privée, droit à la dignité du salarié).

Cass. soc., 10 déc. 1997 (Aubin c. Euromarché Carrefour)

Cadre général : première application de l’art. L. 422-1-1 C. trav., issu d’une loi du 31 déc. 1992 instituant un mécanisme d’alerte en cas d’atteinte dans l’entreprise aux droits des personnes ou aux libertés individuelles (en ce cas, les délégués du personnel peuvent saisir l’employeur, lorsqu’une telle atteinte est relevée et qu’elle n’est pas justifiée par la tâche à accomplir ni proportionnée au but recherché; en cas de conflit, saisine du bureau de jugement du conseil de prud’hommes qui statue selon les formes du référé et peut faire ordonner toute mesure susceptible de faire cesser l’atteinte.

Faits : mise en place à l’insu du personnel, d’un dispositif d’enregistrement vidéo cinématographique dans une la cabine où se trouvait la caisse d’un poste à essence. L’employeur obtient, ainsi, des éléments de preuve l’amenant à licencier certains de

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ses salariés. Le délégué du personnel agit en annulation des licenciements et en réintégration des salariés.

cour d’appel : irrecevabilité de l’action (les salariés licenciés n’ayant pas, eux-mêmes, interjeté appel), le délégué étant, selon les juges d’appel, seulement investi du droit d’engager une procédure d’alerte pour faire cesser les atteintes.

cassation : si le délégué du personnel ne peut agir en nullité des licenciements en vertu de l’art. L. 422-1-1, "ce texte lui confère le pouvoir d’agir à l’effet de réclamer le retrait d’éléments de preuve obtenus par des moyens frauduleux qu constituent une atteinte aux droits des personnes et aux liberté individuelles (observation : dans la mesure où les éléments de preuve sont illicites, l’employeur ne peut plus s’en prévaloir…).

Remarque : les salariés pourraient faire eux-mêmes directement valoir le caractère illicite des moyens de preuve utilisés (Cass. soc., 20 nov. 1991, RJS 1992-1, n° 1).

Ajouter, comme arrière-plan plus large, l’art. L. 120-2 C. trav. : "Nul ne peut apporter aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives de restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché"

On voit donc que, du conflit entre la vie privée des salariés et leur vie professionnelle, notamment à l’occasion de licenciements fondés sur leurs comportements privés, naît notamment l’idée d’une moralisation du Droit de la preuve (aj. les décisions dans le même pour ce qui est des filatures d’un salarié demandées et utilisées, ensuite, par son employeur). Cette idée de moralisation du Droit de la preuve est suffisamment générale pour dépasser le simple cadre des relations de travail.

Cass. com., 25 février 2003 CCC 2003, comm. n° 104, obs. L. LEVENEUR principe de loyauté en matière de preuve : le concessionnaire ne peut prouver l’abus dans la rupture au moyen d’un entretien téléphonique enregistré à l’insu de son concédant

Faits : un concessionnaire avait enregistré une conversation téléphonique qu’il avait eue avec son concédant, et entendait prouver grâce à cet enregistrement le caractère abusif de la rupture de la relation contractuelle tenant, selon lui, à ce que le concédant lui aurait faussement miroiter la perspective de la conclusion d’une nouvelle convention. Cependant cet enregistrement avait été réalisé à l’insu du correspondant : pour cette raison la cour d’appel, approuvée par la Cour de cassation, l’écarta des débats.

Discussion : aucun texte ne semble prohiber l’enregistrement d’une conversation téléphonique entre deux commerçants (cpr., pour la vie privée, art. 9 C. civ. et 226-1 C. pén.). Néanmoins, selon l’art. 9 NCPC, un moyen de preuve n’est pas admissible lorsqu’il est prohibé par la loi ou lorsqu’il contrevient à un principe général (tel la loyauté de la preuve).

Observation : cet arrêt est intéressant car aucun texte ne paraît prohiber expressément l’enregistrement d’une conversation d’affaires entre deux commerçants [liberté de la preuve !] (à comparer avec la protection de la vie privée et les articles 9 du Code civil et 226-1 du Code pénal). Si l’enregistrement

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est ici écarté, c’est parce qu’il contrevient à cette exigence de loyauté en matière probatoire.

A conserver : l’arrêt commenté fournit une illustration de l’exigence de loyauté de le preuve dans les relations d’affaires.

Limoges, 23 septembre 2003 D., 2003, I.R., p. 2411 l’enregistrement d’une communication téléphonique à l’insu d’une personne n’est pas une preuve recevable

"En vertu de l’art. 9 C.civ., une preuve ne peut être admise que si la partie qui s’en prévaut l’a obtenue dans des conditions exemptes de fraude, ce qui exclut tout procédé de nature à surprendre la volonté de son adversaire et à l’empêcher de mesurer la portée de ses paroles; L’enregistrement d’une communication téléphonique à l’insu d’une personne, qui n’était donc pas en mesure de mesurer l’incidence des propos qu’elle tenait et ignorait que son interlocuteur entendait en retirer la preuve de l’existence d’une obligation à son encontre, ne peut être retenu et doit être écarté des débats"

Le respect de ces limites est imposé par le juge civil, dans l’idée que la vérité ne doit pas se faire au détriment de la confiance. La solution avait déjà été appliquée par d’autres juges du fond :

TI Épernay, 20 avr. 2001

n’est pas recevable l’enregistrement clandestinement réalisé par un fournisseur d’accès de conversations de son client sur un forum, aux fins de justifier une résolution unilatérale du contrat d’abonnement

Cass. civ. 2e, 7 oct. 2004 D., 2004, dernière actualité, p. 2662

L’enregistrement d’une conversation téléphonique privée, effectué et conservé à l’insu de l’auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue

Autre est l’attitude, nettement moins regardante en ce domaine, du juge répressif.

14 -. Droit à l’image et obtention d’une preuve dans le cadre du droit pénal. Loi n° 95-23, du 21 janv. 1995, d’orientation et de programmation relative à la sécurité, qui organise et réglemente les enregistrements visuels de vidéosurveillance.

De tels enregistrements sont parfois invoqués afin de prouver un fait, l’art. 10-II de cette loi consacrant clairement ce moyen pour permettre "la constatation des infractions aux règles de la circulation". Néanmoins, et d’une manière générale, le troisième alinéa de cet article signale que "les opérations de vidéo surveillance de la voie publique sont réalisées "de telle sorte qu’elles ne visualisent pas les images de l’intérieur des immeubles d’habitation ni, de façon spécifique, celles de leurs entrées". On voit là la marque du nécessaire respect de la vie privée, à concilier avec l’éventuelle réalisation d’une preuve.

Le respect du à la vie privée, le droit à l’image, le secret des correspondances, etc., peuvent donc parfois utilement emporter l’irrecevabilité d’une preuve obtenue en contravention avec ces droits de la personnalité. En ce sens, certains ont interprété l’art. 1er, al. 1er de la loi du 10 juill. 1991, dans le cadre pourtant peu propice des écoutes téléphoniques comme la marque renouvelée droit subjectif au secret. Selon cet article, en effet, "le secret des correspondances émises par la voie des télécommunications est garanti

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par la loi" (législation prise pour mettre le Droit français en conformité avec l’art. 8 Conv. EDH., lequel avait jugé en contradiction avec cet art., par l’arrêt Kruslin, Cour. EDH, 24 avr. 1990).

Néanmoins, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a parfois une lecture restrictive de la notion d’écoute téléphonique :

Cass. crim., 4 avr. 1999

le fait, pour les policiers, de lire les messages reçus par une personne interpellée sur un appareil tatoo qu’ils avaient saisi n’est pas constitutif d’une interception au sens de l’art. 100 du CPP

Sens : le critère de l’interception est celui du branchement. Toute conversation surprise sans branchement ne relève pas d’une interception, au sens de l’art. 100 CPP. On voit donc que, dans la recherche de la vérité en droit pénal, l’idée de moralité de la preuve est relativement moins présente qu’en matière civile. La raison en est à trouver dans les enjeux et dans une vision très utilitariste du droit pénal et de la procédure pénale, beaucoup plus qu’en droit civil. La moralisation du droit de la preuve s’efface ainsi relativement rapidement lorsqu’il est question de réprimer (droit pénal). Là, seules semblent demeurer les exigences processuelles, afin de moraliser le droit moderne de la preuve

* * *

15 -. La moralisation du droit moderne de la preuve par le respect des garanties procédurales de l’individu. D’une manière générale, le degré de cette moralisation est distinct selon que l’on envisage la procédure civile ou pénale, parce que les fins ne sont pas les mêmes et l’idée d’éthique ne peut y être entendue pareillement.

16 -. La moralisation du Droit de la preuve par le respect des règles de procédure civile

Fondement en procédure civile : art. 9 NCPC ("Il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention", duquel la doctrine extrait un devoir de prouver conformément à la loi)

Application :

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Cass. soc., 20 nov. 1991 D. 1992.73 (Neocl. Spaeter)

Faits : un employeur dissimule une caméra pour observer les comportements de ses salariés. Une vendeuse est enregistrée la main dans la caisse, prononçant "ça, c’est pour ma pomme !". Ce vol devait justifier un licenciement, objet d’un procès.

Solution : cassation de l’arrêt ayant admis le procédé, au visa de l’art. 9 NCPC : "si l’employeur a le droit de contrôler et de surveiller l’activité de ses salariés pendant le temps de travail, tout enregistrement, quels qu’en soient les motifs, d’images ou de paroles, à leur insu, constitue un mode de preuve illicite".

Rapprocher : solution identique, au même fondement, s’agissant du constat d’adultère (cf. Huet-Weiller, Traité de droit civil, vol. 2, n° 204). Par ailleurs, il avait été déjà, depuis fort longtemps, jugé qu’aucun élément de preuve ne pouvait être tiré d’un enregistrement audio phonique opéré à l’insu de la personne visée, seule la preuve préconstituée d’accord entre les intéressés échappant au grief de déloyauté (MIMIN, "La preuve par magnétophone", JCP 1957.I.1370; Civ. 2e, 18 mars 1955, D. 1955.573, note R. SAVATIER); on ajoutera ici également le nécessaire respect de l’art. 16 NCPC.

Le devoir procédural de prouver "conformément à la loi" exclut donc des débats les enregistrements faits à l’insu des intéressés. L’idée dominante est donc que le juge ne peut forger sa conviction qu’avec des preuves régulièrement recueillies et légalement administrées. On aura donc soin de comprendre que ce n’est pas le procédé de preuve lui-même qui est exclut, mais le mode d’obtention de cette preuve (ce qui participe d’une vision réaliste, utilitariste et pragmatique du Droit : ne pas écarter tel procédé par principe; se réserver d’exclure la preuve qu’il véhicule, à l’occasion, en considération des conditions de son obtention).

Remarque : hors la procédure, dans le droit substantiel, possibilité d’invoquer l’article 1134, al. 3 Cciv., afin de moraliser l’obtention de preuves et d’opérer un tri entre celles qui sont recevables et les autres.

Cette moralisation du Droit de la preuve par le recours aux règles de la procédure est nettement moins marqué en matière pénale.

17 -. La moralisation du Droit de la preuve par le respect de la procédure pénale

Les fondements légaux d’une telle moralisation ne manquent pas :

fondement possible en droit substantiel : L’anc. art. 368 anc. C. pén. (devenu art. 226-1) punit l’atteinte à l’intimité de la vie privée et la captation de la parole ou de l’image d’une personne sans son consentement dans un lieu privé

fondement possible en droit pénal processuel : art. 427 CPP (liberté de la preuve, mais exigence d’une preuve faite conformément à la loi, également)

Malgré l’existence de fondements possible à l’exigence de loyauté de la preuve en droit pénal, le principe de la liberté de la preuve ainsi que les enjeux du procès répressif modifient la perception de cette loyauté. On relèvera du reste, sans plus attendre, que, «lors de l’élaboration de la loi du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes, l’existence d’un principe de loyauté de la preuve pénale fut

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discutée mais, finalement, rejeté. Ainsi, la loyauté ne figure pas dans le CPP et, notamment, pas dans l’article préliminaire fixant les principes directeurs de la procédure pénale». Le principe de la liberté de la preuve pénale semble l’emporter, au détriment de celui de loyauté de cette preuve.

Cass. crim., 30 mars 1999

Par cette décision, il est admis que le juge d’instruction puisse verser au dossier une preuve obtenue de manière illégale, en l’occurrence des enregistrements à charge obtenus de manière frauduleuse (enregistrement privé de communications téléphoniques effectué à l’insu de ses interlocuteurs).

Justification : la décision de verser une pièce au dossier serait un simple acte d’administration, laquelle n’est donc pas susceptible de recours; en outre, le principe du contradictoire purgerait tout (art. 427, al. 2 : principe de liberté de la preuve – 427, al 1er, intime conviction –, mais le juge ne peut fonder cette intime conviction que sur des éléments ayant fait l’objet d’un débat contradictoire)…

Critique : on voit mal comment la libre discussion sur tel élément de preuve ferait disparaître le vice d’illicéité l’infectant…En outre, la décision oublie un peu vite l’article 81 CPP, selon lequel le juge d’instruction doit accomplir "conformément à la loi" les actes nécessaires à la manifestation de la vérité.

Remarque : néanmoins, cette jurisprudence n’est pas contraire à la Conv. EDH : absence de violation de l’art. 6 selon la jurisprudence de la Cour EDH (12 juill. 1988, arrêt Schrenck, 27 sept. 1990, arrêt Kostovski, 19 déc. 1990, arrêt Delta), à la condition d’être conduite par un juge loyal, précise la Cour EDH. La Convention EDH "ne saurait exclure par principe et in abstracto l’admissibilité d’une preuve recueillie de manière illégale (seule condition : information du prévenu et principe du contradictoire).

La liberté de la preuve est donc large, la seule réserve étant le respect du contradictoire, lequel est censé permettre de purger les preuves des vices affectant leur obtention (la fin justifie alors pleinement les moyens, selon Th. GARÉ, qui n’abonde pourtant pas en ce sens). Le principe est pleinement à la manifestation de la vérité, presque à tout prix. Demeurent néanmoins les règles qui gouvernent l’enquête policière

Cass. crim., 16 déc. 1997 Bull. crim. n° 427; D. 1998, IR, p. 81; Rev. gén. procédures 1998, chr., p. 327, note D. REBUT; Procédures 1998, comm. n° 98, obs. J. BUISSON

"l’enregistrement effectué de manière clandestine par un policier agissant dans l’exercice de ses fonctions des propos qui lui sont tenus, fut-ce spontanément par une personne suspecte, élude les règles de procédure et compromet les droits de la défense. La validité d’un tel procédé ne peut être admise"

Sens : application de l’exigence de loyauté de la preuve, en matière pénale, pourvu que cette preuve soit obtenue par des autorité de poursuite ou d’instruction.

Limite : ce exigence de loyauté, dans le cadre des règles de procédure pénale, ne s’appliquent pas si c’est une partie civile qui fournit la preuve, obtenue par un enregistrement à l’insu du prévenu :

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Cass. crim., 6 avr. 1993 JCP éd. G. 1993, II, 22144, note crit. M.-L. RASSAT

Faits et solution : enregistrement à l’insu des accusés de leur conversations téléphoniques par l’épouse de l’un d’eux, partie civil (enregistrement au sein d’un couple, pour obtenir un aveu extra judiciaire); rappr. Cass. crim., 6 avr. 194, Bull. crim., n° 136 (admission d’une preuve vidéographique pour fonder une condamnation, l’enregistrement ayant été effectué par une personne privée à l’insu pourtant des intéressés.

Cass. crim., 11 juin 2002 RJ Personnes & famille oct. 2002, p. 13, note E. PUTMAN; RTD civ. 2002.498, obs. J. MESTRE et B. FAGES; D. 2002, jur., p. 2657; Dr. & patr. n° 111, janv. 2003, comm. n° 3201, obs. Ph. BONFILS

Faits : établissement de la preuve d’une discrimination (art. 225-1s. C.pén.) à l’entrée d’une discothèque (opération de testing). Cette preuve est établie et la justice saisie.

cour d’appel : relaxe les prévenus au motif, essentiellement, de l’exigence de loyauté de la preuve pénale.

Cassation : "aucune disposition légale ne permet aux juges répressifs d’écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale; il leur apparient seulement, en application de l’art. 427 CPP, d’en apprécier la valeur probante, après les avoir soumis à discussion contradictoire".

En conséquence, la preuve par ‘testing’, opération destinée à établir d’éventuelles pratiques discriminatoires à l’entrée des discothèques, est admise.

Portée : solution désormais classique (Crim., 28 avr. 1987; 11 fév. 1992 et 23 juill. 1992, D. 1993, somm., p. 206, obs. J. PRADEL; Cass. crim., 6 avr. 1993, préc.).

Justification : le principe de loyauté pourrait aisément paralyser l’établissement de la vérité (rappr. A. LEBORGNE, "L’impact de la loyauté sur la manifestation de la vérité ou le double visage d’un grand principe", RTD civ. 1996.535, sp. p. 544s.).

Discussion : doit-on tout sacrifier au nom de l’utilité, du souci d’efficacité ? La loyauté de la preuve s’impose aux agents public, aux autorités de poursuite et d’instruction. Se trouvent ainsi prohibées les provocations policières. Mais, quid au-delà ? Dans un État de droit, on peut douter que des particuliers puissent légitimement se constituer des preuves par des pratiques (provocation, enregistrement pirate, etc.) qui seraient condamnées si elles émanaient d’autorités de poursuite. S’il est légitime d’accueillir pleinement les victimes au sein du procès pénal, de leur accorder un droit à l’information et un pouvoir d’intervention, ne peut-on craindre cette affranchissement par les victimes de toute exigence de loyauté probatoire ? En outre, par sa généralité, cette solution peut inquiéter, puisqu’elle admet tant tels procédés obtenus de manière déloyale que de manière illicite (fruit d’une infraction !).

Conclusion : recevabilité, en droit pénal, de preuves obtenues par des moyens modernes mais en commettant une infraction pénale

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Cass. crim., 11 mai 2004 (2 arrêts) JCP G 2004.II.10124, note C. Girault soustractions de documents d’entreprise par les salariés en vue de se défendre en justice

Mise en perspective : un conflit opposait la Chambre sociale et la Chambre criminelle, sur le point de savoir quelle qualification donner à la soustraction par un salarié de documents appartenant à son employeur, dans le seul but de permettre l’exercice de droits de la défense dans le cadre d’une instance prud’homale. Traditionnellement, la soustraction de documents pour préparer une défense future est une infraction; peu importe le mobile, seuls les éléments matériel et moral devant être réunis (le mobile ne sert qu’à la personnalisation des peines). Pourtant, la Chambre sociale juge sur le fondement de l’article 1315 du Code civil (Soc., 2 déc. 1998) que "le salarié peut produire en justice, pour assurer sa défense dans le procès qui l’oppose à son employeur, les documents de l’entreprise dont il a la connaissance à l’occasion de l’exercice de ses fonctions". Cette solution a suscité quelques interrogations car, en droit du travail, l’administration de la preuve repose sur un principe de loyauté (Cass. soc., 20 nov. 1991; 4 fév. 1998) à l’inverse du droit pénal qui ne comporte pas un tel principe parmi les principes directeurs du procès pénal (Cass. crim., 6 fév. 1994 : "les juges répressifs ne peuvent écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu’ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale").

L’intérêt de ces deux arrêts : la Chambre criminelle prend une position novatrice puisqu’elle juge que, en vertu des droits de la défense, le salarié pouvait s’emparer de documents appartenant à l’employeur.

Les arrêts :

Dans les deux espèces, des salariés ayant soustrait des documents à leurs employeurs avaient été relaxés du chef de vol par des cours d’appel.

dans la première affaire, pour échapper à sa responsabilité pénale, un salarié invoquait l’erreur de droit en raison de l’incertitude de la jurisprudence de la Chambre criminelle qui n’était pas celle de la Chambre sociale. La cour d’appel a retenu cette erreur de droit (art. 122-3 C. pén.), mais non la Cour de cassation (cassation au visa de l’art. 122-3 et "du principe du respect des droits de la défense". Cependant, la Cour de cassation, même si elle censure les juges du fond (l’erreur de droit n’était pas invincible à ses yeux), admet la licéité de ce mode de preuve à condition que cela soit strictement nécessaire à l’exercice des droits de la défense. Or, elle reproche à la cour d’appel de ne pas avoir procédé à une telle vérification.

dans la seconde affaire, les juges du fond n’ont pas retenu l’infraction en raison de l’absence d’élément moral ("aucune autre intention que celle de se préserver légitimement des preuves et de les faire valoir dans le cadre de l’instance prud’homale n’est caractérisée, pas plus que l’intention de nuire ou de porter préjudice"). La Cour de cassation ne se situe pas sur ce terrain et préfère relever le caractère "strictement" nécessaire de l’appréhension pour l’exercice des droits de la défense. Elle établit de la sorte (selon certains auteurs) un nouveau fait

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justificatif, une nouvelle cause d’irresponsabilité pénale dont le fondement doit être précisé

Portée : revirement par rapport à sa jurisprudence (Cass. crim., 24 octobre 1990 et 16 mars 1999 et 27 mai 1999) et s’aligne sur la position de la Chambre sociale (Cass. soc., 2 décembre 1998 et Cass. soc., 30 juin 2004).

Discussion : comment réfuter le caractère délictueux de l’appréhension ? Certains juges du fond avaient pourtant trouvé certains stratagèmes : l’erreur de droit, art. 122-3 C.pén. (en raison du conflit au sein de la Cour de cassation), l’absence de l’élément moral ou matériel de l’infraction (pas de vol car la soustraction ne prive pas l’employeur de sa qualité de propriétaire : pourtant habituellement la photocopie d’un document suffit à établir l’élément matériel du vol et la conscience d’agir à l’insu de l’employeur devrait suffire à constituer l’élément moral).

Valeur de la solution : quelle justification donner à la primauté accordée à la protection des droits de la défense ?

L’état de nécessité : la finalité probatoire pour justifier une infraction est un procédé connu (Douai, 25 octobre 1951 : "on ne saurait refuser à qui que ce soit le droit de se défendre, et celle liberté essentielle ne peut être mise en échec par les règles du secret professionnel"). Cette solution vaut pour les médecins ou avocats et est très utile aux journalistes poursuivis en diffamation qui peuvent produire des éléments de preuve pourtant protégés par le secret de l’instruction. Il y a toujours cependant un contrôle de proportionnalité (nécessaire à l’exercice des droits de la défense). La proportionnalité et la juste mesure ont certes la prétention d’êtres des éléments objectifs d’appréciation, mais recouvrent une part importante d’imprévisibilité. En outre, s’il s’agit d’état de nécessité, les circonstances sont assez strictes : "le danger qui créé l’état de nécessité ne peut résulter que d’un événement précis accidentel, exceptionnel, momentané, bref, mais absolument pas d’une situation permanente, stable, prolongée, qui s’étale dans le temps" (J.-Y. Chevallier). Or, pour un salarié comme un journaliste, il peut y avoir anticipation et dans ce cas le fondement de l’état de nécessité n’est pas adéquat.

L’invocation d’un droit fondamental : selon la CEDH (Foucher c/ France, 18 mars 1997), l’égalité des armes implique notamment "l’obligation d’offrir à chaque partie une possibilité raisonnable de présenter sa cause, y compris ses preuves, dans des conditions qui ne la placent pas dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire". Pour ce faire, il existe : l’art. 145 NCPC et les mesures d’instruction in futurum sur requête (à l’insu de l’adversaire si la "nécessité le commande") ou en référé. En cours d’instance, le salarié pourrait user de l’art. 11 NCPC pour que le juge enjoigne l’une des parties à produire des pièces utiles à la manifestation de la vérité (impératif repris aux art. R. 516-18 et R. 516-23 C. trav.).

Cass. crim., 11 mai 2004 et soc., 30 juin 2004, D., 2004.2326, note H. KOBINA GABA

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(production en justice d’un document de l’entreprise par le salarié pour assurer sa défense)

Première précision : qu’entendre par "documents de l’entreprise strictement nécessaires à l’exercice des droits de la défense" ? L’auteur souligne que le fondement de l’art. 1315 du C.civ. n’est pas retenu mais seulement le principe de respect des droits de la défense. Selon lui, le principe de spécialité ainsi que l’autonomie du droit pénal expliquent cette exclusion. Il doit s’agir de documents de l’entreprise même si l’entreprise qui n’est pas une personne morale ne peut juridiquement en être la propriétaire. A ce titre, un des deux arrêts de la Chambre criminelle opère une distinction entre document de l’entreprise et document personnel, non obligatoire, non officiel et instrument de travail du salarié. L’auteur définit le document de l’entreprise comme «tous les documents quel que soit leur support, y compris évidemment les données informatiques, les enregistrements vidéo sonores…». Les documents faisant l’objet d’un droit de propriété intellectuelle sont aussi concernés.

Deuxième précision : «Strictement nécessaire» suppose que les documents soient aptes à résoudre le litige. La proportionnalité suppose à mon sens que la production du document soit utile, nécessaire (pas d’autres moyens) et pas de conséquences excessives pour l’employeur.

Voilà pour ce qui fait l’actualité de la preuve en tant qu’elle est saisie par un droit. Plus techniquement, on peut désormais aborder l’actualité des procédés de preuve.

II – L’actualité de la preuve en tant qu’elle renvoie à un

procédé

Le droit français admet cinq procédés de preuve, est-il classiquement enseigné : preuve littérale (authentique, sous seing privé); preuve testimoniale; les présomptions; l’aveu; le serment. Dans cette liste relativement fermée doivent donc entrer tous les procédés que l’avancée des sciences ou des techniques a offert aux fins de prouver. Néanmoins, la difficulté de cette intégration n’est pas identique en matière de preuve des faits et de preuve des actes juridiques. En principe, la preuve des faits juridiques est libre, alors que celle des actes juridique ne l’est pas. Aussi s’étonne-t-on moins que les progrès scientifiques et techniques aient apporté leur lot d’innovation en matière de preuve des faits juridiques (B) qu’en matière de preuve des actes juridiques (A).

A – La modernisation des procédés de preuve des actes juridiques

Avant de relever les éléments les plus récents relatifs à la notion d’écrit électronique, il est nécessaire d’évoquer le "papier agonisant". L’état des exceptions à l’art.1341 Cciv. était tellement développé que le prétendu principe qu’il portait n’offrait

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plus grande résistance. L’évolution récente ne dément pas cette prédiction… rétrospective ! Pour en prendre conscience, il sera effectué un panorama du recul de l’écrit sur support papier, recul qui ne prendra de sens qu’à la condition d’avoir d’abord rappelé les règles les plus classiques qui gouvernent la matière, au travers de leurs applications récentes (car il en demeure !) (1°), avant d’exposer le renouvellement de la notion d’écrit sous l’influence des techniques les plus modernes (2°).

1°. Le recul de l’écrit sur support papier

Si la place de l’écrit, entendu au sens classique d’un titre manuscrit, recule, il serait inexact de dire que cet écrit n’a plus aucune importance. Aussi commencera-t-on par rappeler les principales règles classiques qui trouvent encore à s’appliquer en la matière – au travers des décisions les plus récentes les concernant –, avant d’enregistrer le recul généralisé de l’écrit sur papier requis ad probationem.

18 -. La date certaine à l’égard des tiers des actes sous seing privé

Cass. civ. 3e, 20 déc. 2000 RTD civ. 2001, 365, obs. J. MESTRE et B. FAGES levée d’option par simple courrier et date certaine

Faits : Un bailleur commercial délivre congé à ses locataires, avant de faire valoir son droit de repentir (art. L. 145-58 C.com.), dans l’idée d’éviter le paiement d’une indemnité d’éviction. Mais, cette faculté "ne peut être exercé qu’autant que le locataire est encore dans les lieux et n’a pas déjà loué ou acheté un autre immeuble destiné à sa réinstallation". Or, en l’espèce, un litige naît de ce que les preneurs se prévalait du caractère tardif de l’exercice de ce droit de repentir, ayant précédemment levé l’option pour l’acquisition d’un terrain, conformément à une promesse unilatérale de vente conclue avec un tiers sous la forme authentique.

Litige : comment déterminer la date de la levée de l’option ? Selon la cour d’appel, le caractère authentique de la promesse rendait inutile l’application de l’art. 1328 (loi nº 2000-230 du 14 mars 2000, JO 14 mars 2000 : "Les actes sous seing privé n’ont de date contre les tiers que du jour où ils ont été enregistrés, du jour de la mort de celui ou de l’un de ceux qui les ont souscrits, ou du jour où leur substance est constatée dans les actes dressés par des officiers publics, tels que procès-verbaux de scellé ou d’inventaire").

Cassation : "l’option avait été levée par simple courrier" et l’acte authentique de vente n’ayant été signé que postérieurement au repentir du bailleur

Explication (J. MESTRE et B. FAGES) : le fait que l’option a été consentie dans une promesse passée en la forme authentique ne suffit pas à conférer à sa levée une date certaine. "Celle-ci ne s’acquiert qu’en cas d’acceptation donnée tout spécialement devant notaire, de décès du bénéficiaire ou, au plus tard, lors de la signature de l’acte de vente en la forme authentique".

Remarque : l’exigence de d’une date certaine ne vaut qu’à l’égard des tiers. Inter partes, l’art. 1328 ne trouve à s’imposer que si les parties en sont convenues, le principe étant que, normalement, dans ces relations-là, cet article ne s’applique pas (Cass. civ. 3e, 24 mars 1993, RTD civ. 1994, p. 585, obs. J. MESTRE et B. FAGES). Une telle application distinctive de l’art. 1328 est justifiée, dans la mesure où il vise à protéger les tiers contre toute falsification de la date d’un acte sous seing privé. L’arrêt du 20 déc. 2000 apporte alors cette précision que peu

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importe que l’acte dont la date est discutée soit unilatéral ou qu’il soit le fait d’une partie liée avec le tiers qui conteste la date en vertu d’un autre contrat.

19 -. L’actualité de l’ «ancienne» mention manuscrite (art. 1326 C. civ.)

Cass. civ. 1ère, 19 nov. 2002 CCC avr. 2003, comm. n° 54, p. 13, obs. L. LEVENEUR

Faits : une personne signe une reconnaissance de dette, pour la somme de 100 000 francs, qu’elle ne rédige qu’en lettres. Elle s’oppose à la demande en paiement de cette dette, au motif que les exigences de l’article 1326 ne sont pas respectées (loi nº 80-525 du 12 juillet 1980, JO 13 juillet 1980; loi nº 2000-230 du 14 mars 2000, art. 1 et art. 5, JO 14 mars 2000 : "L’acte juridique par lequel une seule partie s’engage envers une autre à lui payer une somme d’argent ou à lui livrer un bien fongible doit être constaté dans un titre qui comporte la signature de celui qui souscrit cet engagement ainsi que la mention, écrite par lui-même, de la somme ou de la quantité en toutes lettres et en chiffres. En cas de différence, l’acte sous seing privé vaut pour la somme écrite en toutes lettres").

cour d’appel : accueille néanmoins la demande en paiement

État de la jurisprudence antérieure :

Cass. civ. 1ère, 19 déc. 1995 CCC 1996, comm. n° 37, obs. L. LEVENEUR; RTD civ. 1996, p. 620, obs. J. MESTRE

L’omission de la mention de la somme en chiffres exigée par l’art. 1326 n’a pas pour effet de priver l’acte de sa force probante, décision qui "privait de force obligatoire l’exigence légale pourtant claire d’une double mention;

Cass. civ. 1ère, 13 nov. 1996 Bull. civ. I, n° 393; CCC 1997, comm. n° 25, obs. L. LEVENEUR; RTD civ. 110, obs. J. MESTRE

Modification de la solution : "en l’absence de mention de la somme écrite en chiffres, l’acte sous seing privé est irrégulier et ne peut constituer qu’un commencement de preuve par écrit; solution suivie par Cass. civ. 2e, 27 juin 2002, D. 2002, somm., p. 3333, obs. L. AYNÈS. C’est de cette jurisprudence orthodoxe (en ce sens qu’elle est conforme à la loi) que se prévaut ici le pourvoi.

Pourvoi : l’absence de mention écrite de la somme en chiffres fait dégénérer l’instrumentum en simple commencement de preuve par écrit

Cour de cassation : rejet du pourvoi (!), "l’omission de la mention manuscrite [NOUS SOMMES AVANT 2004, d’où la formule "manuscrite"…] en chiffres […] n’a pas pour effet de priver l’écrit de sa force probante dès lors qu’il comporte la mention de la somme en toutes lettres"

Discussion : l’exigence légale s’explique par la volonté d’attirer l’attention du débiteur sur l’étendu de son engagement. D’où la double exigence. Et cet avertissement est manqué si l’une des deux mentions fait défaut. Certes, en cas de discordance, l’art. 1326 donne prévalence à la mention en lettres, car il faut bien une solution en ce cas; mais on ne saurait en déduire que si la mention en chiffres est jugée moins apte que la mention en lettres à attirer l’attention du débiteur sur l’étendue de son engagement, on ne saurait en déduire que cette mention est sans importance (moindre importance ne signifiant pas absence d’importance; si tel était le cas, le législateur ne l’eût pas requise…). Or, l’arrêt de 2002, comme celui de 1995, aboutit à dispenser d’une telle mention, ce qui est une modification de l’art. 1326. La seule solution conforme à la loi est la dégénérescence de l’instrumentum, qui ne peut plus valoir, à défaut de la double mention, que comme un éventuel commencement de preuve par écrit (art. 1347). A défaut, l’inobservation de la loi est dépourvue de sanction…

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Sur le thème, aj. Cass. com., 27 mai 2003 Dr. & patr. déc. 2004, comm. n° 3597, obs. B. SAINT-ALARY

20 -. Éléments de connaissance : la mention écrite de la caution dans la loi pour l’initiative économique. Ici, on posera les bases d’un éventuel commentaire qu’il vous serait demandé de faire de ces articles.

Selon le nouvel art. L. 341-2 C.consom. (à partir du modèle déjà existant s’agissant du cautionnement en matière de crédit à la consommation et de crédit immobilier, art. L. 313-7 C.consom.) : "toute personne physique qui s’engage par acte sous seing privé envers un créancier professionnel doit, à peine de nullité, faire précéder sa signature de la mention manuscrite suivante et uniquement celle-ci : "en me portant caution de X, dans la limite de la somme de… couvrant le paiement du principal, des intérêts et, le cas échéant, des pénalités ou intérêts de retard et pour la durée de …, je m’engage à rembourser au prêteur les sommes dues sur mes revenus et mes biens si X… n’y satisfait pas lui-même".

Éléments de commentaire de cet article :

erreur que de mentionner le prêteur (tenant à un décalque mal pensé…) dérogation à l’encadrement et à l’admission de l’écrit électronique (manuscrit, non

écrit !) exigence d’un cautionnement limité dans sa durée et son montant sanction : nullité du cautionnement (relative ou absolue ?) domaine d’application quant aux cautions : toute personne physique, même celle qui

agit pour les besoins de son commerce ou encore le dirigeant d’une société qui cautionne les engagements de celle-ci

domaine d’application quant aux créanciers : tous créanciers professionnel (exit le bailleur individuel, mais, ici, l’art. 22-1 de la loi du 6 juill. 1989 emporte la même exigence si le bail est à usage d’habitation ou mixte; exit aussi le prêteur occasionnel)

conséquence : remise en cause du cautionnement indéfini dans les rapports visés par le texte;

autre conséquence : remise en cause du cautionnement à durée indéterminée SOLUTION : recourir au cautionnement par acte authentique, mais avec encore,

s’agissant des cautionnements indéfinis, la difficulté de respecter le principe de proportionnalité (art. L. 341-4 nouveau C. consom.),

Selon le nouvel art. L. 341-3 C. consom., "lorsque le créancier professionnel demande un cautionnement solidaire, la personne physique qui se porte caution doit, à peine de nullité, faire précéder son engagement de la mention manuscrite suivante : "en renonçant au bénéfice de discussion défini à l’art. 2021 du Code civil avec X, je m’engage à rembourser le créancier sans pouvoir exiger qu’il poursuive préalablement X"

Éléments de commentaire de cet article

sanction : nullité du cautionnement, alors qu’on aurait pu seulement aboutir à une clause non écrite et une requalification en engagement simple…

jusqu’à présent, la stipulation de solidarité n’avait pas à être manuscrite (laquelle, par ailleurs, était présumée en matière commerciale)

le texte, cette fois, ne se limite pas au cautionnement formé par acte sous seing privé; s’appliquera-t-il au cautionnement authentique ? Non, si l’on insiste sur le devoir de conseil du notaire (qui suffit à éclairer la caution sur la portée de son engagement)

oubli du bénéfice de division…

Réduction à peau de chagrin du cautionnement de droit commun; donc réduction à peu des art. 1326 et 2015, sauf : • cautionnements conclus avant le 5 fév. 2004, les dispositions su la mention écrite ne s’appliquant que 6 mois après ‘entrée en vigueur de la loi…; • cautionnements souscrits par une personne morale;

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• cautionnements souscrits au profit d’un créancier non professionnel

21 -. Pour aller plus loin. Sur ce sujet, lire, avec profit, notamment : D. FENOUILLET, "Le cautionnement, Le Code de la consommation ou pourquoi et comment protéger la caution ?", RDC 2004-2, p. 304; D. HOUTCIEFF, "Propos sur un formalisme moderne : les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation", RDC 2004/2, p. 408

22 -. L’actualité de la formalité dite du double (art. 1325 C. civ.).

Cass. civ. 3e, 23 mai 2002 CCC oct. 2002, comm. n° 137, obs. L. LEVENEUR

"viole l’art. 1325 la cour d’appel qui retient que l’établissement en un seul original d’un état des lieux de sortie ôte à ce document sa valeur probante, alors qu’un état des lieux établi contradictoirement par le bailleur et le preneur se borne à constater une situation de fait".

Première justification : la règle dite du double original ne concerne que "les actes sous seing privé qui contiennent des conventions synallagmatiques". Tel n’est pas le cas d’un état des lieux dressé, certes sous seing privé, car ce document ne fait que décrire le local en indiquant son état de conservation ou de dégradation, "se borne à constater une situation de fait".

Discussion : certes, en cas de dégradation, le preneur sera tenu d’une obligation de réparation. Mais une telle obligation a sa source dans le bail (c’est ce contrat-là qui déclenche une telle obligation : art. 7, loi 6 juill. 1989), non dans l’état des lieux. Il ne constitue qu’une preuve de l’inexécution de l’obligation de conservation et d’entretien pesant sur le preneur. L’état des lieux ne contient donc pas une convention synallagmatique, faute d’être l’instrumentum d’un acte juridique créateur d’obligations réciproques.

Autre justification : l’esprit de l’art. 1325 est de fournir à chaque partie à une convention synallagmatique le moyen de soutenir une demande en exécution des obligations de son cocontractant (c’est ainsi que l’observation de la formalité du double est inutile lorsqu’une des parties a déjà exécuté ses obligations, un seul exemplaire conservé par ce dernier suffit à satisfaire les exigences de la loi : Cass. civ. 3e, 19 oct. 1993, CCC 1994.comm. n° 21; RTD civ. 1994.610, obs. J. MESTRE). Or, l’état des lieux ne sert qu’à établir une créance du bailleur, sans aucune dette de ce dernier à l’endroit du preneur.

Parmi les procédés de preuve littérale, quelle est l’actualité des actes authentiques ?

23 -. L’actualité des actes authentiques. Faire un net départ entre negotium et instrumentum, entre formalités ad validitatem et ad probationem.

Attention, pour l’arrêt qui suit : ad validitatem, non ad probationem

Cass. com., 27 juin 2000 Bull. civ. IV, n° 132; Def. 2001, p. 513, obs. J. HONORAT; RTD civ. 2001, p. 583, obs. J. MESTRE et B. FAGES De la possibilité de régulariser dans un acte authentique ce qui est nul dans un acte sous seing privé

Faits : une promesse synallagmatique de cession de fonds de commerce est formée, qui retrace l’accord des intéressés sur la chose et son prix. Néanmoins, il est prévu que le transfert propriété sera retardé au jour de la signature d’un acte authentique.

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Litige : si l’acte authentique qui est dressé comporte les mentions obligatoires exigées, dans le but d’éclairer le cessionnaire, par l’art. 12 de la loi de 1935 (art. L. 141-1 C. com.), ces mentions sont absentes de l’acte sous seing privé. Se prévalant du seul acte sous seing privé, le représentant du cessionnaire invoque la nullité de la cession

Rejet : "faute d’intérêt" (réponse procédurale), la nullité de la promesse synallagmatique sous seing privé ne pouvait être poursuivie

Discussion : dès lors que le formalisme informatif à été institué pour éclairer le consentement d’une partie et que cette partie a définitivement consentie par un acte sous seing privé, la décision est peu convaincante, qui manque l’objectif posé par la loi.

Remarque : si le second consentement en date en était vraiment un (ici, il ne visait qu’à déclencher un transfert de propriété, mais l’acte était définitif…), le raisonnement de la cour de cassation serait admissible (autrement dit, à chaque fois que la personne protégée par une nullité n’a pas encore définitivement ou irrévocablement manifesté son consentement, car place demeure pour que ce dernier soit encore éclairé à l’occasion d’un acte authentique.

Retrouvons maintenant le seul droit de la preuve (écrit ad probationem)

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Cass. com., 8 octobre 2003 D., 2003, p. 2764; Bull. Joly fév. 2004, § 33, p. 217, note D. RAUDOUX; Def. mai 2004, p. 372, note J.-L. AUBERT La validité d’un acte notarié ne tient pas à une double signature mais à une double qualité «représentant du débiteur/caution»

Faits : une banque, par acte sous seing privé, consent une garantie financière à une société. Par acte notarié, elle consent ensuite un prêt à cette même société, lequel prêt est garanti par deux cautions, dont l’une intervient à l’acte en la double qualité de représentant de la société et de caution personnelle.

Litige : pour résister à la demande en paiement du créancier (la banque), la caution excipe de la nullité de l’acte authentique et des engagements qu’il porte, argument pris de l’unicité de signature

cour d’appel : accueille la demande en paiement du créancier, motif pris de ce que l’acte précisait clairement les deux qualités en lesquelles le défendeur était intervenu à l’acte et que ce dernier avait signé une fois cet acte

Cour de cassation : rejet du pourvoi

"Après avoir relevé que l’acte notarié a précisé les deux qualités au titre desquelles l’intéressée, représentant du débiteur principal et caution, y est intervenue, une cour d’appel, qui retient que la double qualité de son intervention, représentante de la société débitrice, d’une part et caution personnelle de celle-ci, d’autre part, ne suffit pas à imposer la nécessité d’une double signature comme condition de validité à l’acte, justifie légalement sa décision de rejet de la demande de nullité"

C’est une difficulté classique en droit du cautionnement par laquelle la caution essaye d’échapper à ses obligations. Depuis de nombreuses années, à la différence de nombreux juges du fond, la Cour de cassation refuse l’exigence d’une double signature lorsque par exemple un dirigeant s’engage comme caution personnelle au profit de la société et est le dirigeant social de la société cautionnée (Cass. com., 18 mai 1999; 23 mai 2000, contra, Cass. com., 11 juillet 1995, en faveur d’une double signature voy. A. MEDINA, D., 2002, chr., p. 2787). Une seule signature suffit à engager la caution qui a pourtant une double casquette. Le risque qui en découle est moins important depuis le nouvel article L. 341-2 C. consom. qui instaure une mention manuscrite très complète (entrée en vigueur le 5 février 2004).

La particularité de l’espèce, c’est qu’il n’était pas seulement question de la force probatoire de l’acte de cautionnement à défaut de mention manuscrite complète, mais de la validité de l’acte sous la forme notariée. En effet, l’absence de signature vaut nullité absolue (Cass. 1re civ., 28 novembre 1972). Parfois, la jurisprudence admet que la nullité de l’acte instrumentaire ne remet pas en cause la validité du negotium, de l’acte juridique dont il constitue le support (Cass. 1re civ., 28 octobre 2003 : il suffit que l’acte soit revêtu de la signature du débiteur).

Comparaison : Cass. civ. 1ère, 13 nov. 2002, Bull. civ. I, n° 264. Un arrêt avait condamné une personne à payer, en qualité de caution, en vertu d’un instrumentum qu’un prétendu cofidéjusseurs avait signé tant pour lui-même que pour cette personne; cassation, au visa de l’art. 1322 ("on ne peut être obligé par un acte sous seing privé que l’on n’a pas signé, soit personnellement, soit par

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mandataire"); or, l’acte de cautionnement ne comportait aucune mention d’un mandat.

Sens des deux décisions, comparées : "dès lors que les différentes qualités dans lesquelles intervient une partie à un acte sont précisément définies par celui-ci, sans aucune ambiguïté, la signature unique de cette partie suffit" à satisfaire aux exigences probatoires

Cass. civ. 1ère, 28 oct. 2003 Bull. civ., Def. mai 2004, p. 374, note R. LIBCHABER Dégénérescence d’un acte authentique

Faits : un prêt, constaté par acte notarié, est souscrit. Mais l’acte ne comporte pas la signature du prêteur

Procédure : une décision, devenue définitive, retient la nullité de l’acte authentique. L’emprunteur en tire argument pour soutenir qu’il n’aurait pas à restituer le capital prêté. Une cour d’appel le condamne à cette restitution et la Cour de cassation rejette le pourvoi formé contre cette décision.

Motivation : la nullité prononcée ne concernait que l’instrumentum, en tant qu’acte authentique. Restait le negotium, susceptible d’exécution pourvu qu’il soit prouvé. Or, la nullité de l’acte authentique l’a fait dégénérer en commencement de preuve par écrit. La preuve du prêt était complétée par d’autres éléments.

Discussion :

est-on assuré que l’acte authentique méritait l’annulation (même si les juges, ici, prennent les choses comme elles leur arrivent, et que, sur ce point, une décision définitive s’imposait à eux…) ? Selon les art. 11 du décret du 26 nov. 1971, "les actes sont signés par les parties, les témoins et le notaire…" et, selon l’art. 23 du même décret, la sanction de l’absence de signature tient à cela que "l’acte fait en contravention de l’art. 11 […] est nul, s’il n’est pas revêtu de la signature de toutes les parties".`

Certes, l’absence de signature du notaire est un vice entachant, à coup sûr, l’acte d’irrégularité (on peut penser, alors, que les parties n’ont pas comparu devant lui, qu’il n’a pas recueilli leur consentement, etc.). En ce cas, l’acte ne vaut que comme acte sous sein privé; rappr. art. 1316-4 C.civ. : quand la signature est apposée par un officier public, elle confère l’authenticité à l’acte".

Mais, cette exigence de signature se retrouve-t–elle à l’identique en la personne des parties ? La signature du notaire ne suffit-elle pas à attester que son consentement s’est exprimé et a été recueilli ? L’authenticité, qui s’applique à des circonstances de fait, peut-elle être étendue aux volontés des parties ? Il faudrait semble-t-il refuser de le croire, car, alors, la volonté interne serait ramenée à son extériorisation. ADMETTONS DONC QUE l’acte authentique était irrégulier en la forme, ce que confirme une décision récente que l’on exposera avant de revenir à la discussion que le présent arrêt peut ouvrir…

*

* *

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Cass. civ. 1ère, 6 juill. 2004 Rev. Lamy dr. civ. oct. 2004, comm. n° 376, p. 29, obs. A. DECOUX Validité de l’acte authentique dressé à titre de preuve

Faits : pour le financement d’une acquisition, un prêt et des cautionnements sont souscrits, mais deux des cinq cautions n’ont pas signé le cautionnement. La banque agit en réparation contre le notaire qui a instrumenté. L’issu de cette demande est d’autant moins assuré que trois cautions avaient valablement signé cet acte. Motif pour lequel une cour d’appel avait débouté le créancier de son action en réparation.

Cour de cassation : censure. L’acte authentique qui n’a pas été signé par toutes les parties dégénère [art. 1318], ce qui est de nature à fonder la responsabilité du notaire Remarque : excès de précaution du créancier, car, s’il n’avait pas choisi la forme authentique, l’acte, quoi que non signé par certaines parties, n’aurait pas dégénéré…

* * *

Retour à l’arrêt du 28 oct. 2003. Quelle est la sanction d’une telle irrégularité ? L’arrêt y voit un commencement de preuve par écrit. Si l’apparence est en ce sens, on peut y réfléchir à deux fois avant de suivre les juges sur ce terrain. Pour ce faire, on suivra d’abord le raisonnement apparent (qui combine trois articles); ensuite, on pourra trouver à y redire…

art. 1318 C.civ. (loi nº 2000-230, 13 mars 2000, art. 1, JO 14 mars 2000) : "L’acte qui n’est point authentique par l’incompétence ou l’incapacité de l’officier, ou par un défaut de forme, vaut comme écriture privée, s’il a été signé des parties". Ici, le prêt ne l’ayant pas été de toutes les parties, il ne peut donc valoir acte authentique; du même coup, il ne peut davantage valoir acte sous seing privé (absence de signature);

non respect de l’art. 1326, le prêt, pour cette seconde raison, ne pouvant encore être un acte sous seing privé valable…

Mais, l’acte est signé par l’emprunteur, ce qui justifie le jeu de l’art. 1347 (la signature ne manifeste plus, en tant que telle, le consentement; elle se borne à indiquer une provenance, en ce cas).

Néanmoins… Tout, ici, tourne autour de l’absence de la signature du prêteur. On a vu pourquoi elle était exigée, sur le terrain de l’acte authentique. Mais, l’est-elle encore en matière d’acte sous seing privé ? L’art. 1326 exige-t-il la présence de cette signature ? Si l’on oublie, pour le moment, la mention écrite de l’engagement, on doit admettre que la signature du seul emprunteur aurait suffit à la validité de l’instrumentum sous seing privé. Le prêt demeure un contrat unilatéral (en outre, même si l’on tient compte de l’évolution du prêt en jurisprudence, il reste que, ici, ce n’est pas l’emprunteur qui invoque le défaut de remise, mais le prêteur qui se plaint d’un non remboursement. Seule compte donc la preuve de l’obligation de restituer)

Ainsi, en vertu de l’art. 1326 l’instrumentum n doit porter que la signature de celui qui s’oblige ("celui qui souscrit cet engagement", précise cet article). "Ce n’est pas parce qu’on contracte à deux qu’il faut être deux pour pré constituer la

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preuve. Il importe peu, si l’on admet que l’on prouve toujours contre, contre la partie qui refuse d’exécuter, par exemple, que l’instrumentum soit signé par celui qui s’en prévaut.

Mais, alors, c’est l’application de l’art. 1318 qui laisse à désirer. L’acte, qui ne vaut pas acte authentique, peut encore valoir acte sous seing privé, s’il "a été signé des parties" dit le texte.

Première remarque : la réception par notaire permet de faire abstraction de l’art. 1326;

Seconde remarque, surtout : signé par la seule partie qui était tenu de l’obligation querellée, l’acte valait pleinement acte sous seing privé.

* * *

Une fois décrit le maintien de certaines règles classiques propres à la preuve littérale (aj., presque pour le folklore, V. PERRUCHOT-TRIBOULLET, "Article 1333 : "les tailles corrélatives à leurs échantillons font foi entre les personne qui sont dans l’usage de constater ainsi les fournitures qu’elles font ou reçoivent en détail", RLDC juill.-août 2004, p. 63), il convient aussi d’en marquer le recul, le reflux. Ce dernier se manifeste de nombreuses manières.

24 -. Le relèvement du taux de l’écrit. L’écrit, exigé à titre de preuve en matière d’actes juridiques, vient de connaître une évolution récente s’agissant du taux à partir duquel il est exigé : le décret n° 2004-836 du 20 août 2004 portant modification de la procédure civile relève ce taux de 800 à 1500 euros.

Ce changement est symptomatique du reflux de l’écrit, qu’il prend en considération et ne peut qu’accélérer. Mais un tel recul était déjà largement entamé s’agissant de l’écrit papier, tant les exceptions à l’art. 1341 sont multiples :

liberté de la preuve en matière commerciale; impossibilité morale de constituer un écrit; notion souple et large de commencement de preuve par écrit

25 -. La liberté de la preuve en matière commerciale. Ancien art. 109 C.com., désormais L. 110-3 C.com. : "à l’égard des commerçants, les actes de commerce peuvent se prouver par tous moyens, à moins qu’il n’en soit disposé autrement par la loi".

Cass. civ. 1ère, 18 mai 2004 JCP E & A 8 juill. 2004, n° 28-29, pan. p. 1126, n° 1024

Faits : une société anonyme se porte caution solidaire d’emprunts souscrits par une autre société. Des salariés et actionnaires de la société emprunteuse contre garantissent la caution à hauteur d’une somme fixée à 50 000 fr. Après avoir exécuté son engagement de caution, la société anonyme assigne en garantie ses contre garants. Ces derniers, pour leur défense, vont valoir que la mention portée par l’art. 1326 faisait défaut dans les instrumentum portant leurs engagements.

cour d’appel : condamne les contre garants, motif pris du caractère commercial de la contre garantie (la caution trouvant dans l’opération un intérêt personnel de

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nature patrimoniale, intérêt distinct de celui de la société dont ils étaient actionnaires et salariés, "leur activité, leur emploi même étant en jeu". Partant, la caution était recevable à prouver librement les engagements de contre garantie.

Cassation, mais seulement en ce que la cour d’appel aurait du vérifier la qualité de commerçant de chacun des souscripteurs, pris séparément

26 -. L’impossibilité morale de constituer un écrit.

Art. 1348 C.civ. : "Les règles ci-dessus reçoivent encore exception lorsque l’obligation est née d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit, ou lorsque l’une des parties, soit n’a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l’acte juridique, soit a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale, par suite d’un cas fortuit ou d’une force majeure"

Bourges 1er juill. 2004 JCP 14 avril 2004.IV.1827

L’arrêt admet l’impossibilité morale pour la banque d’exiger un ordre de virement écrit de son client, en raison des relations de confiance existant entre le client et son banquier; jugé, en conséquence, que la preuve de l’ordre pouvait se faire par présomptions (dont les indices sont ici tirés de l’absence de protestations et de l’utilisation des fonds dans l’intérêt du client).

Aj. J.–R. BINET, "L’application de l’article 1348 du Code civil à la perte du testament olographe", RLDC juin 2004, act., p. 43

27 -. Le commencement de preuve par écrit

Cass. com., 11 juin 2003 CCC, nov. 2003, p. 18, obs. L. LEVENEUR cautionnement. commencement de preuve par écrit : contrôle sur la nature des compléments de preuve et appréciation souveraine de leur force probante

"Les juges du fond apprécient souverainement les éléments invoqués par une partie pour compléter un commencement de preuve par écrit. La cour d’appel, qui a retenu que la caution était porteur de parts majoritaire de la société cautionnée, et que cette qualité jointe à la fourniture par cette personne des documents nécessaires pour l’inscription de l’hypothèque légale du Trésor, constituait les éléments extrinsèques rendant parfaite la preuve du cautionnement, a légalement justifié sa décision"

Commentaire : lorsqu’il entre dans le champ d’application de l’article 1326 du Code civil, ce qui suppose désormais que le seuil de 1500 euros soit dépassé et que l’engagement ne constitue pas un acte de commerce émanant d’un commerçant, le cautionnement est soumis à l’exigence de la mention écrite prévue par ce texte. Cependant cette mention vaut ad probationem et non ad validitatem : si la mention fait défaut, l’acte sous seing privé incomplet peut constituer tout de même un commencement de preuve par écrit susceptible d’être complété par des éléments probatoires extrinsèques (art. 1347 C.civ.). Quels peuvent être ces éléments et qui les apprécie ?

La Chambre commerciale de la Cour de cassation, comme la première Chambre civile, reconnaît sur ces éléments un pouvoir souverain aux juges du fond, cette question portant sur des faits : il s’agit d’établir que la caution a bien eu connaissance, au moment où elle s’est engagée, de l’étendue de l’obligation principale qu’elle a acceptée de payer en cas de défaillance du débiteur.

Cependant, ce pouvoir souverain coexiste tout de même avec un certain contrôle de la base légale (cf. "a légalement justifié sa décision") : celui-ci porte

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sur la nature des éléments extrinsèques retenus par les juges pour forger le complément de preuve. La Chambre commerciale ayant déjà considéré que la qualité d’associé majoritaire ne suffisait pas (à la différence de la qualité de dirigeant qui, elle, peut suffire), elle prend le soin de remarquer, ici, que les juges du fond avaient aussi mentionné le fait que la caution avait fourni les documents nécessaires pour l’inscription de l’hypothèque légale du créancier, le Trésor.

Cass. civ. 1ère, 5 mai 2004 D. 2004, act. jur., p. 1592; D. 2004, somm. p. 2708, note Ph. SIMLER; CCC 2004, comm. n° 105, obs. L. LEVENEUR; RLDC juin 2004, comm. n° 238, p. 29, obs. A. DECOUX

Faits : une caution se borne à signer l’acte d’un cautionnement, indiquant "bon pour caution solidaire dans les termes ci-dessus". Une double mention en chiffres et en lettres du montant de l’engagement qui figure dans l’acte n’a pas été portée de la main de la caution. Cette dernière, appelée à garantir le débiteur principal, se prévaut de cette irrégularité, sans pour autant dénier la signature qu’elle a apposée aux côtés de cette mention.

cour d’appel : déduit la connaissance de l’engagement de caution des énonciations imprimées sur l’acte.

Discussion : l’absence de mention écrite par la caution elle-même équivaut à l’absence d’une telle mention, ce qui est conforme à la justification de l’art. 1326 (attirer l’attention de la caution elle-même). Partant, l’instrument irrégulier au sens de l’art. 1326, s’il est signé de la main de celui auquel on l’oppose, peut seulement valoir commencement de preuve par écrit [adminicule : "élément de preuve qui, rendant vraisemblable le fait à prouver sans en constituer un procédé de preuve parfait, est exigé par la loi à titre préalable pour rendre admissible d’autres procédés de preuves imparfaits), lequel ouvre la voie à des preuves testimoniales ou indiciaires"].

Reste à savoir si un tel complément peut être trouvé dans l’instrument irrégulier lui-même. Normalement, un tel élément doit être "extrinsèque" et il n’est fait exception qu’en apparence à cette exigence, lorsqu’un même instrumentum sert de support à d’autres negotium (par ex., dans un même écrit sont réunis un prêt et un cautionnement; alors, ce qui concerne le prêt peut servir à compléter ce qui fait défaut dans l’instrument de preuve du cautionnement : Cass. civ. 1ère, 15 janv. 2002, 2 arrêts, D. 2002, act. jur., p. 720; RTD civ. 2003, p. 122 et 2004, p. 121, obs. P. CROCQ; JCP éd. G. 2002.I.162, n° 5, obs. Ph. SIMLER; JCP éd. E 2002, p. 592, note D. LEGEAIS).

État de la jurisprudence antérieure : assouplissement de la conception de l’élément extrinsèque

Cass. civ. 1ère, 12 mars 2002 (Bull. civ. I, n° 87; D. 2002, act. jur., p. 1344) : "une cour d’appel retient à bon droit que la mention incomplète portée par la caution au pied de l’acte définissant précisément l’engagement du débiteur constituait l’élément extrinsèque propre à compléter le commencement de preuve par écrit" (si l’on comprend bien, la formule incomplète semble elle–même valoir complément !); aj. Cass. civ. 1ère, 15 janv. 2002 et 26 nov. 2002, tous deux parus au Bulletin…

Cass. com., 1er oct. 2002, Bull. civ. IV, n° 132; D. 2002, somm., p. 3333, obs. Ph. SIMLER; RTD civ. 2003, p. 122 et 2004, p. 121 : la décision admet que les éléments complétant l’instrumentum incomplet soient trouvés dans les mentions même de l’acte irrégulier !

Appréciation : ruine des exigences de l’art. 1326 !

L’arrêt : cassation (retour à l’orthodoxie), pour violation des art. 1326 et 1347, au motif que "les éléments extrinsèques susceptibles de compléter le commencement

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de preuve constitué par l’acte de cautionnement irrégulier ne peuvent être puisés dans les autres énonciations de l’acte" (dans le même sens : Cass. com., 29 avr. 2003, JCP éd. G. 2003, I, 176, obs. Ph. SIMLER et Ph. DELEBECQUE)

Discussion : encore faut-il savoir ce qu’il s’agit de prouver. S’il s’agit de la connaissance du quantum de la dette, les énonciations imprimées auraient dû suffire. S’il s’agit, en revanche, de prouver la conscience, chez la caution, de l’étendue de son engagement, on voit mal comment remplacer la mention inexistante… D’où l’un des intérêts de la loi Dutreil du 1er août 2003 (art. L. 342-1 C.consom.), qui érige, de manière certes sévère mais simple à mettre en œuvre, la mention manuscrite en condition de validité (non plus seulement de preuve).

C’est dans ce mouvement de recul généralisé, de repli, de l’exigence d’une preuve écrite des actes juridiques que s’inscrit, cause et conséquence tout à la fois, l’avènement de l’écrit sur un support électronique, de l’écrit ad probationem dématérialisé.

2° L’influence des sciences et des techniques sur les procédés de preuve

littérale

Cette influence est ancienne mais elle n’a pas encore fini de se faire ressentir.

28 -. Conventions sur la preuve des actes juridiques. Influence du secteur bancaire… Renvoi, ici, à tous les manuels et traités, lesquels consacrent de larges développements à ce thème.

29 -. Photocopies et microfilms, informatique et télématique. Cf. la loi nº 80-525, du 12 juill. 1980, JO 13 juillet 1980, introduisant dans le Code civil un art. 1348, spécialement son al. 2 :

"Les règles ci-dessus reçoivent encore exception lorsque l’obligation est née d’un quasi-contrat, d’un délit ou d’un quasi-délit, ou lorsque l’une des parties, soit n’a pas eu la possibilité matérielle ou morale de se procurer une preuve littérale de l’acte juridique, soit a perdu le titre qui lui servait de preuve littérale, par suite d’un cas fortuit ou d’une force majeure. Elles reçoivent aussi exception lorsqu’une partie ou le dépositaire n’a pas conservé le titre original et présente une copie qui en est la reproduction non seulement fidèle mais aussi durable. Est réputée durable toute reproduction indélébile de l’original qui entraîne une modification irréversible du support"

Cass. civ. 1ère, 25 juin 1996 (photocopie) Bull. civ. I, n° 270; JCP éd. G. 1996, IV, 1940; CCC 1996, comm. n° 183, obs. L. LEVENEUR

"la photocopie produite aux débats étant une reproduction fidèle et durable d’un mandat […] ce document ne constitue pas un commencement de preuve par écrit, mais fait pleinement la preuve de l’existence du contrat de mandat […], conformément à l’art. 1348, al. 2 C. civ."

Discussion : durable reproduction, la photocopie l’est; mais est-elle fidèle ? La précaution, ici, est de mise (Cass. civ. 1ère, 14 fév. 1995, JCP éd. G. 1995, II, 22402, note Y. CHARTIER; D. 1995, jur., p. 340, note S. PIEDELIEVRE). L’écrit qu’exige la loi est normalement l’original; les copies ont à peine force probante, arg. art. 1334 C. civ. :

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"Les copies, lorsque le titre original subsiste, ne font foi que de ce qui est contenu au titre, dont la représentation peut toujours être exigée"

A ce principe, il est fait exception en cas de commencement de preuve par écrit, permettant d’achever la preuve par tous moyens. Telle était, jusqu’alors, la qualification que pouvaient, éventuellement, recevoir les photocopies (Cass. civ. 1ère, 14 fév. 1995, préc.; 9 mai 1996, Bull. civ. I, n° 190; JCP éd. G. IV, 1423; RTD civ. 1997, p. 163, obs. P.-Y. GAUTIER). L’avantage de cette solution tait de laisser les juges libres d’apprécier la force probante de la photocopie qui leur était présentée. Or, ici, les juges attachent une pleine force probante et par principe à la photocopie.

Cass. com., 2 déc. 1997 (télécopie) JCP éd. G. 1999, II, 10 097; D. 1998, jur. p. 192; D. 1999, act. p. 905

L’arrêt apériteur : la télécopie est placée parmi les supports de l’écrit (art. 1334, implicitement ?) et, même si elle n’est pas représentée, il suffit, pour faire preuve, que son contenu ne soit pas contesté ni son auteur dénié (mais décision rendue à propos de l’art. 6 de la loi Dailly, qui n’exige pas l’acceptation par écrit à titre de preuve, mais… de validité ! Seule la LCEN peut modifier la validité du support exigé à peine de nullité du negotium). En revanche, on relèvera que, ici, la Cour de cassation n’emploie pas les termes durable et fidèle (l’art. 1348, al. 2 supposant, dans l’esprit du législateur, qu’un écrit préexiste…).

Cass. civ. 1ère, 28 mars 2000 (télécopie, contestation)

"La télécopie qu’une société entendait utiliser comme preuve d’un acte de cautionnement étant contestée par le défendeur qui soutenait que celle-ci était un montage, c’est par une appréciation souveraine que la cour d’appel a décidé que a preuve du cautionnement n’était pas rapportée"

D’évidence, ici, le créancier n’avait pas conservé d’original (rappr. art. 1334) ! Il ne disposait que d’une télécopie et la charge de la preuve de l’obligation pèse sur lui. La preuve n’étant pas libre, quid de l’art. 1348 ? Le procédé est alors imparfait et sa force probante ne lie pas le juge. Et tel est le cas ici, une simple contestation suffisant à dénier toute valeur probante à la télécopie (il suffit que le défendeur invoque une falsification pour que le risque de la preuve tourne contre le demandeur; d’où la faiblesse de ce procédé de preuve-là). Reste l’art. 1347

Néanmoins, faiblesse de la force probante ne veut pas dire inutilité; ainsi, un tel procédé, dès lors qu’il n’est pas contesté, peut servir à faire la preuve d’un acte juridique.

Cass. com., 17 déc. 2003 (télécopie) D. 2004, jur. p. 137, obs. A. LIENHARD Validité des déclarations de créances par télécopie

"Ni les articles 50 et 51 de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, devenus les art. L. 621-43 et L. 621-44 C. com., ni l’art. 67 du décret n° 85-1388 du 27 décembre 1985 ne prévoient la forme que doit revêtir la déclaration des créances, ce dont il résulte que la déclaration faite par télécopie n’est pas, en soi, irrégulière; une cour d’appel, qui relève que le représentant des créanciers a accusé réception de la déclaration de créances dans le délai de trois jours, ce dont il ressort qu’elle lui est bien parvenue, peut décider que la créance a été régulièrement déclarée".

Il n’en reste pas moins l’incontestable faiblesse probante de procédés modernes de preuve des actes juridiques que sont la télécopie ou la photocopie. Mais l’évolution légale devait modifier cet état.

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30 -. Écrit et signature électronique ad probationem : loi n° 2000-230 du 13 mars 2000. A son propos, lire : A. RAYNOUARD, Def. 2000, art. 37174, p. 591s.; J. ROCHFELD, RTD civ. 2000, p. 423; CHARBONNEAU et PANSIER, "Le droit de la preuve est un totem modern", Gaz. Pal. 31 mars–1er avr. 2000; E. CAPRIOLI, "La loi française sur la preuve et la signature électronique dans la perspective européenne", JCP éd. G. 2000, I, 224 et "La loi du 13 mars 2000", Rev. dr. banc. et fin. 2000, n° 3, p. 165; E. PASSANT, " La loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve", Cah. Lamy dr. de l’informatique, n° 125, mai 2000, p. 7; P.-Y. GAUTIER et X. LINANT de BELLEFONDS, "De l’écrit électronique et des signatures qui s’y attachent", JCP éd. G. 2000, I, 236; J. DEVEZE, "Vive l’article 1322 ! Commentaire critique de l’article 1316-4 du Code civil", Mélanges offerts à P. Catala, Litec, 2001, p. 529; Fr. SCHWEBER, "Réflexions sur la preuve et la signature dans le commerce électronique", CCC déc. 2000, chr., n° 16, p. 4; J. HUET, "Vers une consécration de la preuve et de la signature électronique", D. 2000, doct., p. 96; P.-Y. GAUTIER, "Le bouleversement du droit de la preuve : vers un mode alternatif de conclusion des conventions", Petites affiches, 7 fév. 2000, p. 9; Th. ABALLÉA, "Signature électronique, quelle force pour la présomption légale ?", D. 2004, act., p. 2235

Voici, accompagnées d’un commentaire succinct, les principales dispositions de la loi transposant, parfois a minima, parfois a maxima la Directive communautaire du 13 déc. 1999, sans compter l’influence de celle du 20 mai 1997 sur les ventes à distance.

Article 1316 : "La preuve littérale, ou preuve par écrit, résulte d’une suite de lettres, de caractères, de chiffres ou de tous autres signes ou symboles dotés d’une signification intelligible, quels que soient leur support et leurs modalités de transmission"

Rupture avec les règles gouvernant le droit de la preuve des actes juridiques depuis 1804, puisque le support cesse d’être central; sous l’angle de cet texte, tous les supports se valent. Reste la condition, déjà posée par la Cour de cassation (Cass. com., 2 déc. 1997), que l’intégrité et l’imputabilité du contenu à un auteur aient été vérifiés ou ne soient pas contestés.

Article 1316-1 : "L’écrit sous forme électronique est admis en preuve au même titre que l’écrit sur support papier, sous réserve que puisse être dûment identifiée la personne dont il émane et qu’il soit établi et conservé dans des conditions de nature à en garantir l’intégrité"

Mais qu’est-ce que cette "intégrité" ? L’intégrité du contenu (immutabilité) ou intégrité du support (inaltérabilité) ou les deux (se demande Mme SCHWEBER) ? En tout état de cause, M. HUET lance ici une critique fondamentale : l’écrit sur support électronique "n’est pas assimilable à l’écrit sur support papier; l’information portée sur ce support, contrairement à celle posée sur le papier, n’est pas imprimée de manière irréversible et donc elle demeure, quelques soient les précautions prises ou les techniques utilisées, manipulable d’une manière ou d’une autre par celui qui sait comment procéder".

Article 1316-2 : "Lorsque la loi n’a pas fixé d’autres principes, et à défaut de convention valable entre les parties, le juge règle les conflits de preuve littérale en déterminant par tous moyens le titre le plus vraisemblable, quel qu’en soit le support"

Comme le relève M. GAUTIER, "il y a ainsi une hiérarchie des normes (la loi, à défaut, la convention, à défaut le juge) mais pas de hiérarchie des écrits : le papier ne l’emporte pas sur le numérique"

Article 1316-3 : "L’écrit sur support électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier"

Article 1316-4 : "La signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie celui qui l’appose. Elle manifeste le consentement des parties aux obligations qui découlent de cet acte. Quand elle est apposée par un officier public, elle confère l’authenticité à l’acte.

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Lorsqu’elle est électronique, elle consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État"

Il s’agit là du seul article sur la signature, quant trois articles sont consacrés à l’écrit. Cet article consacre tout à la fois la fonction de la signature en général (al. 1er), mais aussi la, définition et l’exigence de fiabilité du procédé à l’origine de la signature électronique (al. 2). L’essentiel est peut abordé, à savoir les moyens d’assurer la fiabilité d’une telle signature; la loi édicte simplement une présomption, "dont le factum probans doit être déterminé par décret (!)" (selon l’observation de M. DEVEZE)

(extrait de la pensée de M. DEVEZE) La loi ne pose pas une définition générale de la signature, qu’il n’envisage qu’à l’occasion des actes juridiques (quid des lettres missives électroniques, des objets de propriété intellectuelle, tel un logiciel ?). Il y a plus gênant : le législateur unit ici instrumentum ("la signature nécessaire à la perfection d’un acte [le consentement au negotium peut se manifester tout autrement, notamment par le commencement d’exécution d’une offre…], elle lui confère l’authenticité" : la formule est trop sèche la signature étant loin de suffire à la validité d’un acte authentique) et le negotium ("elle manifeste le consentement"), la signature étant, à la différence de l’écriture, tout à la fois manifestation de volonté et preuve de celle-ci. La signature est un acte juridique, qu’il faut pourtant distinguer de l’acte signé (simple instrumentum, lui).

Selon la loi, la signature manifeste le consentement aux obligations qui découlent de l’acte : formule surprenante ! L’acte, ici, ne peut être que le negotium; par ailleurs, le consentement est donné au negotium, non forcément aux obligations qui en découlent (dont, qui plus est, la stipulation dans l’instrumentum n’est pas nécessaire à l’engagement d’une personne si l’on songe aux contrats nommés par ex.).

La signature identifie-t-elle réellement celui qui l’appose ? Cette vertu d’identification est discutable, "la signature pouvant être parfaitement détachée du patronyme et son graphisme peut être illisible ou étranger à toute structure alphabétique" (et la pratique de présentation d’une pièce d’identité atteste le caractère insuffisant d’une simple signature pour identifier une personne).

N’y a-t-il q’une forme de signature électronique ? Si sa recevabilité est subordonnée à une procédure de fiabilité prévue par décret, que va-t-il advenir des codes bancaires, par ex ? Seule une convention expresse des parties pourrait-elle leur donner désormais droit de cité ? Non, prévoit l’art. 1316-4, qui semble seulement les écarter du bénéfice de la présomption qu’il impose.

Quid de la fiabilité du procédé de signature électronique ? Jusqu’à présent, le Code civil n’avait jamais requis pareille exigence de fiabilité à propos de la signature sur papier, bien qu’elle n’en présente guère plus que celle sur support électronique ! Cette exigence nouvelle s’expliquerait ainsi par cela que le procédé, lui-même nouveau, ne serait pas tangible ni durable. Entre tracer sa signature sur une feuille et se fier à la touche d’un clavier, la différence est réelle, car dans le second cas, il faut se fier à la sortie écran.

Quid de la présomption de fiabilité de la dernière phrase de l’art. 1316-4 ? Elle ne jouera que si les conditions posées par décret seront respectées, ce qui ne sera pas le cas dès lors qu’elles sont complexes, facteur de lenteur ou de surcoût; elle ne jouera pas non plus pour les actes solennels. Jouera-t-elle pour les actes authentiques ? La nécessaire présence due l’officier public qui "reçoit" l’act pourrait amener à voir les choses autrement. Elle ne jouera pas non pus en cas de reconnaissance d’écriture (art. 1322). Ainsi, elle ne jouera qu’en présence d’un système de clés numériques et asymétriques, c’est-à-dire précisément lorsque le risque d’une falsification sera le moins élevé ! Néanmoins, la présomption étant simple, elle pourra être renversée (ce qui remet en cause la prétendue protection que le système envisagé organisera…). En outre, la partie qui dénierait sa signature imposerait, en vertu de l’art. 1322, à l’autre partie de faire procéder à sa vérification : la présomption est, alors, sans aucun intérêt ! Il faudrait

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alors, pour éviter cela, que la présomption équivaille à une vérification, ne laissant alors à celui dont elle est censé émaner que la voie de l’inscription de faux (mais ce serait traiter de manière radicalement différente signature électronique et signature manuscrite, au rebours de tout l’esprit de la loi nouvelle) !.

La seule contestation de cet instrumentum à l’occasion d’une action en justice, ne suffit pas, à provoquer immédiatement un incident d’écriture. Il incombe, avant cela, à celui qui conteste la sincérité de cet instrumentum de renverser la présomption simple, par ex. en démontrant la défaillance du système de certification (P. CHEVALIER et T. MOUSSA, JCP éd. G., n° 4, 22 janv. 2003, act., p. 113).

Article 1317 : "L’acte authentique est celui qui a été reçu par officiers publics ayant le droit d’instrumenter dans le lieu où l’acte a été rédigé, et avec les solennités requises. Il peut être dressé sur support électronique s’il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État"

La loi nouvelle a donc consacré l’acte authentique électronique. Il ne s’agirait pas de modifier le formalisme de l’acte authentique; il faudra distinguer le support utilisé de la forme de l’acte. L’acte authentique continuera d’être établi avec les formalités requises, mais pourra être admis en forme de preuve s’il est établi sur support électronique (donc, la présence de l’officier public demeure nécessaire, ainsi que celle de la ou des personnes concernées par cet acte).

La loi du 13 mars 2000 a, depuis son entrée en vigueur, modifié un certain nombre de règles et elle a été complétée par tout un arsenal de texte visant à en assurer la mise en œuvre.

31 -. Décret n° 2001-272, du 30 mars 2000 Pris pour l’application de l’art. 1316-4 C. civ. JO 31 mars 2000, p. 5070; Rev. dr. banc. et fin. 2001, n° 3, comm. 105, p. 155, E. CAPRIOLI

32 -. Décret n° 2002-535, du 18 avr. 2002 Évaluation et certification de la sécurité offerte par les produits et les systèmes des technologies de l’information Dr. & patr. n° 112, fév. 2003, p. 115

33 -. Arrêté du 31 mai 2002 Reconnaissance de la qualification des prestataires de certification électronique et l’accréditation des organismes chargés de l’évaluation JO 8 juin 2002, p. 10223; Dr. & patr. n° 112, fév. 2003, comm. n° 3234, p. 116, E. CAPRIOLI

34 -. Décret n° 2002-1436 du 3 déc. 2002, art. 7 à 9 Adaptation du droit de la preuve aux technologies de l’information JCP 2003, 22 janv., n° 4, act. p. 113

Ce décret tire les conséquences de l’admission au même titre de l’écrit sous forme électronique que l’écrit sur support papier, s’agissant de la vérification d’écriture. Les art. 287 et 288 NCPC sont modifiés et est créé un art. 288-1 :

"Lorsque la signature électronique bénéficie d’une présomption de fiabilité, il appartient au juge de dire si les éléments dont il dispose justifient le renversement de cette présomption"

Pour que le juge puisse, saisi d’un incident de vérification d’écriture, opérer un contrôle de sincérité véritable et efficace de l’acte écrit ou signé sous forme de support électronique, l’al. 2 de l’art. 288, prenant acte de la jurisprudence qui s’était déjà établie sans texte, l’autorise à comparer l’écrit avec tous documents utiles provenant de l’une des parties, même s’ils n’ont pas été émis à l’occasion de l’acte litigieux :

"Il appartient au juge de procéder à la vérification d’écriture au vu des éléments dont il dispose après avoir, s’il y a lieu, enjoint aux parties de produire tous documents à lui comparer et fait composer, sous sa dictée, des échantillons d’écriture.

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Dans la détermination des pièces de comparaison, le juge peut retenir tous documents utiles provenant de l’une des parties, qu’ils aient été émis ou non à l’occasion de l’acte litigieux"

Ces différents points doivent désormais être développés ou éclairés sous un jour pratique.

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35 -. La signature électronique : jurisprudence

Aix-en-Provence, 1er octobre 2003 D., 2003, jur., p. 2716 Signature informatique d’une déclaration de créance par préposé

"Dès lors que la signature de la déclaration de créance a été apposée au moyen d’un procédé informatique, et qu’il n’est pas prouvé par la personne morale créancière que le titulaire de la signature avait seul la maîtrise de son apposition et qu’il en est personnellement l’auteur, que le procédé, qui ne répond pas aux exigences de la loi n° 2000-230 du 13 mars 2000 qui n’était pas en vigueur à l’époque, a pu être utilisé par tout exécutant dépourvu de pouvoir régulier, la preuve n’est rapportée ni de l’identité de l’exécutant qui a mis le procédé en œuvre, ni de son habilitation à cette fin"

Besançon, Ch. soc., 20 oct. 2000 Def. 2002, p. 1394, note A. RAYNOUARD; JCP éd. G. 2001, II, 10606, note E. CAPRIOLI et P. AGOSTINI; Droit & patr., n° 112, fév. 2003, comm. n° 3230, p. 113, obs. E. CAPRIOLI

Faits : une déclaration d’appel d’un jugement prud’homal décidant qu’un licenciement était sans cause réelle et sérieuse est faite par le conseil de l’appelant, mais l’acte d’appel ne porte qu’une signature informatique de l’appelant, réalisée à l’aide d’un scanner à partir de sa signature manuscrite. Le salarié, prétendument intimé, objecte que la cour d’appel n’est pas en mesure d’identifier le signataire de l’acte d’appel (ainsi que l’absence de pouvoir spécial donné au conseil pour signer la déclaration au nom et pour le compte de son client).

Cour d’appel de Besançon : déboute l’appelant, pour deux raisons :

s’agissant d’un tel procédé de signature, sa "validité n’était pas reconnu au moment de l’acte litigieux" [antérieur au 13 mars 2000]. La loi nouvelle est jugée inapplicable en l’espèce, d’autant plus que le décret destiné à préciser les conditions de fiabilité d’identification d’une personne qui appose une signature électronique n’a pas encore paru au moment que la cour d’appel statue (on notera qu’un pourvoi a frappé cette décision);

la cour estime, par ailleurs, être dans l’impossibilité d’apprécier la fiabilité du procédé à l’origine de cette signature; néanmoins, malgré cette affirmation, les juges se prononcent sur la recevabilité et la force probante de l’acte litigieux. Ils retiennent à cette occasion que l’identification de l’appelant est "très incertaine", motif pris de ce que la signature scannée n’est pas fiable et n’établit ni le lien de la signature avec l’acte, ni l’intégrité de celui-ci (la scannérisation pourrait être réalisée par toute personne et pas seulement par l’avocat de l’appelant).

Discussion : s’il appartient bien au juge d’apprécier la fiabilité d’un procédé de preuve donné, est-il certain qu’il revienne à ce même juge d’estimer que seule une loi spéciale et son décret d’application garantissent l’efficacité juridique d’un acte et d’une signature électronique ? Décortiquons l’arrêt…

Droit applicable : l’acte d’appel ayant été établi avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 mars 2000, cette loi ne peut s’y appliquer, retiennent ici les juges du fond. Il retiennent le principe en vertu duquel lorsqu’une loi nouvelle modifie une condition de réalisation d’un acte, la régularité de cette acte s’apprécie au regard de la loi qui était en vigueur au jour de sa formation. Mais la loi du 13 mars 2000 est-elle, sur le thème de la signature électronique, réellement nouvelle ? A défaut de l’être, si une loi consacre une solution ancienne non écrite ou ne fait que préciser le droit positif en l’interprétant, elle a un effet naturellement rétroactif (absence d’atteinte, en ce cas, aux prévisions des intéressés et à la sécurité juridique). "Or (fait remarquer M. Raynouard), si la loi du 13 mars 2000 introduit véritablement des exigences nouvelles en matière de validité de la signature électronique, elle n’introduit pas la possibilité d’utiliser une signature

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électronique ou un acte électronique en droit français". Cette possibilité existait déjà, antérieurement; simplement, elle n’était pas encadrée par une loi spéciale. En ce sens, la loi du 13 mars 2000 "est simplement venue supprimer une liberté". Partant, s’il est normal que les juges n’aient pas appliqué cette loi, il est particulièrement discutable qu’ils aient tiré argument de ce qu’elle ne s’appliquait pas pour débouter l’appelant ! Quant à la question de la fiabilité de la signature scannée sur un acte d’appel, elle doit être aussi discutée.

Nature de l’acte d’appel (qualification) : tantôt, il se rattache à un acte sous seing privé (déclaration dans les procédures sans représentation obligatoire, courrier simple ou avec avis de réception), tantôt à un acte authentique (signification par voie d’huissier, enregistrement au greffe, intervention d’un avoué…). Mais sa validité est-elle subordonnée à la signature de l’appelant et, en cas de réponse affirmative, à quel type de signature ?

Droit applicable : selon l’art. 901 NCPC, la signature de l’avoué est exigée, mais la jurisprudence a établi (Cass. civ. 2e, 8 avr. 1992, RTD civ. 1992, p. 639, obs. R. PERROT) que l’irrégularité d’une mention exigée pour la forme de la déclaration (ou son omission) n’entraîne sa nullité que si la preuve d’un grief est rapportée, grief lié par un rapport causal avec l’irrégularité ou l’omission (quid en l’espèce ? L’acte est signé par l’avoué…).

Qui plus est, les art. 931s. NCPC, relatifs aux mentions obligatoires de la déclaration d’appel n’exigent, à aucun moment, la signature de l’appelant (nom, prénoms, domicile, profession de l’appelant, selon l’art. 933; nulle trace de signature exigée…); quant à l’art. R. 517-7 C. trav., précisant les conditions d’appel des jugements des conseils des prud’hommes, il ne mentionne pas plus la signature de l’acte par l’appelant parmi les conditions procédurales requises.

Mais il y a mieux : la signature litigieuse constituait-elle une signature électronique ? En l’occurrence, il s’agissait d’une signature scannérisée; autrement dit, il s’agissait d’une copie d’une signature initialement manuscrite, signature donc originale. S’agit-il, au sens de la loi nouvelle, d’une signature électronique ? Quoi qu’il en soit, les deux exigences de l’art. 1316-4, al. 1er étaient-elles satisfaites ?

D’une part, il faut qu’elle identifie celui qui appose la signature; nul doute, en l’occurrence, dès lors que l’arrêt signale que "les parties s’accordent pour reconnaître que la signature apposée au bas de la déclaration est la signature informatique de Me F".

D’autre part, elle doit manifester son consentement aux "obligations" qu découlent de l’acte ? Mais cette exigence est sans intérêt, source d’arguties judiciaires : le consentement est donné à un acte, pas nécessairement aux obligations qui en découlent dont, de plus, l’instrumentum n’est en rien nécessaire à l’engagement de la partie ! En outre, ici, les obligations découlent de la loi et y consentir est inutile… et nul ne contestait la volonté d’interjeter appel !

Par ailleurs, les exigences de l’art 1316-4, al. 2 étaient-elles respectées (lien fiable, grâce au procédé employé, entre la signature et l’acte sur lequel elle est apposée) ? Probablement pas, mais l’absence de garantie d’un lien technique entre la signature et le document n’a aucune importance "dès lors que le signataire ne conteste pas ce lien" !

arg. art. 1322 : "L’acte sous seing privé, reconnu par celui auquel on l’oppose, ou légalement tenu pour reconnu, a, entre ceux qui l’ont souscrit et entre leurs héritiers et ayants cause, la même foi que l’acte authentique"

36 -. L’écrit sur support électronique : jurisprudence

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Paris, 15e ch. A., 20 janv. 2004 Communication, commerce électronique mai 2004, comm. 60, p. 39, obs. L. GRYNBAUM

Faits : un donneur d’ordres, titulaire d’un compte titres ouvert auprès d’une société prestataire fournissant des services directs via Internet (société de courtage en ligne), reprochait à cette société d’avoir commis une faute en le mettant en demeure de reconstituer sa couverture (afin de régulariser la position de son compte) par voie de courrier électronique, avec un intitulé "insuffisance de couverture" l’invitant à corriger sa situation avant une date limite. Cet envoi est corroboré par l’enregistrement de deux messages sur le répondeur téléphonique du client

Droit applicable : pour les opérations d’acquisition ou de vente de titres, un donneur d’ordre doit obligatoirement fournir une couverture à son mandataire (art. 4-I-35-1 règlement CMF). A défaut d’une telle couverture, le mandataire est fondé, juridiquement (et selon le règlement CMF encore) à réaliser les engagements ou positions de son client. Avant d’en arriver là, l’art. 8, al. 2 d’une décision du Conseil des marchés financiers précisait que "le prestataire met en demeure par tous moyens le client de compléter ou de reconstituer sa couverture dans le délai d’un jour d’ouverture du marché".

Décision : déboute le donneur d’ordre de son action en réparation, en l’absence de tout formalisme de la mise en demeure exigée par le CMF.

Appréciation : en outre, la décision est conforme au droit traditionnel de la preuve en matière de mandat; par ex., il est constant que la réception d’un avis d’opérer sans contestation présume l’acceptation de l’opération; en outre, conformité avec le principe des services enligne (mise en demeure électronique); enfin, conformité avec l’art. 1316-3, selon lequel l’écrit sur support électronique a la même force probante que l’écrit sur support papier"; or, ici, l’existence même d’une mise en demeure n’étant pas déniée, cette similitude de force probante devait jouer.

37 -. L’acte authentique électronique.

Source du résumé : M. GRIMALDI et B. REYNIS, "L’acte authentique électronique", Defrénois 2003, p. 1023.

Cadre général : La loi du 13 mars 2000 a introduit dans le Code civil l’acte instrumentaire sur support électronique. Elle a admis, après quelque hésitation, que pussent être dématérialisés non seulement les actes sous seing privé mais aussi l’acte authentique. L’article 1317 du Code civil comporte désormais un second alinéa suivant lequel l’acte authentique "peut être dressé sur support électronique s ’il est établi et conservé dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État". Cependant l’effectivité de l’acte authentique sur support électronique n’est pas facile à assurer car de nombreuses dispositions relatives au support papier sont en porte-à-faux dès lors que l’on raisonne sur un support électronique. Dès lors on peut s’interroger, en s’en tenant aux actes notariés, sur l’établissement et la conservation d ‘un tel acte.

L’établissement de l’acte. Ici, la question est de savoir s’il faut maintenir les contraintes de l’authenticité traditionnelle ou prendre le risque d’une authenticité renouvelée.

Cerner l’authenticité. L’acte authentique se définit comme un acte instrumentaire, comme un écrit qui constate un acte juridique : en général, il n’est qu’un instrument de preuve, sa fonction n’étant que de pré constituer la preuve de la convention qu’il renferme. Cependant, parfois il est nécessaire à la formation même de la convention et

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devient alors, par dérogation au principe du consensualisme, une condition de forme nécessaire à sa validité. Cette première définition, distinguant l’authenticité ad probationem et l’authenticité ad validitatem, est insuffisante pour distinguer l’acte authentique de l’acte sous seing privé. En effet, ce dernier est requis tantôt ad probationem tantôt ad validitatem (ex : contrat de promotion immobilière relatif à un immeuble à usage d’habitation art. L. 222-3 CCH).

Ce qui fait la spécificité de l’acte authentique, c’est la signature de l’officier public. Le notaire est un témoin officiel, une personne qui tient de l’État la mission de constater les conventions des particuliers, de les authentifier. C’est un service public de l’authenticité dont la mission est de prévenir le contentieux (complémentarité du notariat et de la magistrature). C’est la qualité de « témoin privilégié » (Planiol) du notaire qui confère à l’acte authentique sa force probante (ne peut être combattu que selon la procédure d’inscription en faux) et sa force exécutoire (cf. CEDH 21 avril 1998 Estima Jorge : l’acte authentique, doit, comme la décision de justice, être exécuté dans un délai raisonnable, sous peine de violer le droit à un procès équitable). Il n’y a donc pas d’acte authentique sans officier public (un acte signé par un avocat n’a pas cette force) ni témoignage véritable, ce qui implique une présence physique des parties devant le notaire.

Dans cette conception traditionnelle, l’acte électronique, s’il est fait à distance, suppose le concours de deux notaires qui, chacun situé au lieu où se trouve l’une des parties, recueillent leur consentement respectif (voie intermédiaire entre la thèse trop stricte qui exclut l’acte authentique à distance et celle trop laxiste qui admet qu’un seul notaire instrumente). Cela suppose donc un notaire instrumentaire et un notaire distant connectés au réseau intranet REAL, la signature électronique du notaire instrumentaire intervenant en dernier et conférant valeur authentique à l’acte. Cette procédure ne remet pas en cause l’authenticité traditionnelle liée à la présence physique de chacune des parties. La minute est détenue par un seul des notaires. Peut-on cependant renouveler l’authenticité et s’affranchir de la présence physique des parties ?

Vers un renouvellement de l’authenticité ? La question récurrente (cf. déjà J. FLOUR, "Vers une notion nouvelle de l’authenticité", Def. 1972, p. 977). M. CATALA a pu observer que l’acte authentique et l’article 1317 du Code civil ont résisté à l’électricité, aux transmissions sans fil, au télégraphe, au téléphone, au télex et aux liaisons radios. Aujourd’hui la réflexion peut être conduite de lege lata et de lege ferenda.

De lege lata, deux éléments peuvent être avancés contre l’analyse traditionnelle de l’authenticité, contre la nécessité de la présence physique des parties :

le recours fréquent aux procurations sous seing privé, en matière de vente immobilière. Cette objection est dénuée de pertinence car, précisément, lorsque l’une des parties est représentée par un mandataire muni d’une procuration sous seing privé, l’acte n’est pas authentique à son égard, faute que le notaire ait été témoin de son consentement : ni la force probante, ni la force exécutoire ne pourront lui être opposées.

contre la nécessité de la présence physique des parties, ne pourrait-on pas tirer argument de l’institution des clercs habilités ? Depuis un décret du 26 nov. 1971, remplacé par une loi du 25 juin 1973, un acte peut être authentique bien que le

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consentement ait été recueilli par un clerc habilité à cet effet, et non par le notaire qui simplement y appose sa signature. Mais, selon MM. GRIMALDI et DEYNIS, cette objection peut être écartée dans la mesure où les clercs habilités constituent une singularité enfermée dans des conditions assez strictes et non une institution permettant de reconstruire l’authenticité en posant le principe général suivant lequel le notaire ne serait plus un témoin privilégié.

De lege ferenda, on pourrait considérer que l’acte notarié tire sa force non de la foi du témoignage d’un officier public qui a vu et entendu les parties, mais du statut du notariat (numerus clausus, responsabilités strictes etc). En réalité cela paraît téméraire, et la suppression de la présence physique amputerait le devoir d’authentification. On ne peut pas davantage expliquer la force probante de l’acte authentique par la compétence et le devoir de conseil du notaire.

En résumé, à l’heure où la valeur de l’acte authentique se trouve reconnue dans un nombre croissant de pays et consacrée au niveau européen (cf. CJCE 17 juin 1999 Unibank), il serait malvenu de la fragiliser. Les auteurs souhaitent donc que l’avènement de l’acte authentique ne soit pas l’occasion d’une imprudence : il ne faudrait pas que, pour éluder les contraintes qu’implique le fondement traditionnel de l’authenticité, à commencer par la présence physique des parties, on lui en substituât un nouveau qui, en même temps qu’il supprimerait ces contraintes, ne justifierait plus que l’on reconnût aux actes faits par des notaires la double force probante et exécutoire.

Ceci étant dit de l’établissement de l’acte authentique sur support électronique, il reste à s’interroger sur sa conservation.

La conservation de l’acte authentique sur support électronique. La conservation de l’acte est une obligation légale (art. 1er, ord. du 2 nov. 1945). Elle n’est pas limitée dans le temps : simplement, la responsabilité en est transférée au delà de cent ans aux archives publiques (les autres officiers ministériels ont une obligation de conservation de 30 ans). Cette obligation a pour corollaire l’impossibilité pour le notaire, sauf décision judiciaire, de se dessaisir de l’original de l’acte, de sa minute. Il ne peut qu’en délivrer, selon des règles strictes, des copies authentiques ou expéditions, revêtues, le cas échéant, de la formule exécutoire. Les notaires doivent tenir un répertoire en deux exemplaires au jour le jour de tous les actes qu’ils reçoivent, un exemplaire étant déposé chaque année au greffe du TGI du ressort de l’office notarial. Dans le cas d’actes notariés sur support électronique, trois obstacles doivent être surmontés pour en assurer une bonne conservation :

l’altérabilité des supports autres que le papier; l’évolution des techniques de lecture de supports électroniques le risque d’altération du document lors d’une migration de son support électronique

vers un autre support, électronique ou papier.

Cette difficile conservation suscite une vive inquiétude des notaires, tandis que les pouvoirs publics demeurent silencieux sur ce sujet. Seule une recommandation du Conseil de l’Europe s’est penchée sur ce problème et plaide en faveur de la création d’autorité et de politiques d’archivage. Il convient, sur le modèle de la signature

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électronique REAL propre au notariat français, de mettre en place une structure d’archivage, c’est-à-dire un minutier central.

En outre, un archivage électronique est d’autant plus sûr que l’on pratique, pour un même document, des enregistrements multiples : sur différents types de supports et sur plusieurs serveurs situés en des lieux distincts. Cette conservation (pendant un délai peut-être abrégé à 50 ans), permettra la délivrance de copies. A suivre donc, en attendant la publication du décret annoncé par la loi et la réaction de la pratique notariale…

* * *

Lire aussi : A. RAYNOUARD, "Sur une notion ancienne de l’authenticité : l’apport de l’électronique", Defrénois, 2003, p. 1117

De la preuve des actes juridiques et de son actualité, il ne reste qu’un mot à dire, concernant la preuve du paiement.

38 -. L’actualité de la preuve du paiement.

Civ. 1ère 6 janv. 2004 D. 2004, I.R., p. 325; RLDC, févr. 2004, p. 10, note S. DOIREAU; CCC mars 2004, comm. n° 37, obs. L. LEVENEUR Présomption irréfragable de l’article 1282 du Code civil

Faits : actionné en remboursement par un préteur, un emprunteur ne dénie pas l’existence d’un prêt, mais prétend avoir déjà exécuté son obligation de restitution. Sur lui, en vertu de l’art. 1315, al. 2, pèse la charge de la preuve ("celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation"). Normalement, une quittance est établie à cette fin. Mais rien de tel n l’espèce. Néanmoins, la quittance n’est pas le seul procédé de preuve d’un paiement. Il se trouve que, en l’occurrence, le prêteur avait volontairement restitué à l’emprunteur la reconnaissance de dette établie par ce dernier lors de la remise des fonds prêtés.

L’arrêt :

"Aux termes de l’article 1282 du Code civil, la remise volontaire du titre original sous signature privée, par le créancier au débiteur, fait preuve de la libération; Justifie légalement sa décision la cour d’appel qui, pour débouter le prêteur de ses demandes en remboursement d’un prêt, relève que le prêteur a volontairement restitué à l’emprunteur la reconnaissance de dette établie par ce dernier lors de la remise des fonds prêtés, cette remise valant présomption irréfragable de libération du débiteur"

Remarque : cette présomption vaut également en matière commerciale (Cass. com., 17 déc. 1991). Elle suppose : une remise volontaire (premier indice); que l’acte soit sous seing privé.

Cass. civ. 1ère, 6 juill. 2004 JCP 22 sept. 2004.IV.2866

"la preuve du paiement, qui est un fait, peut être rapportée par tous moyens"

Discussion : le paiement est l’exécution volontaire d’une obligation; il éteint l’obligation par la satisfaction qu’il donne au créancier. Si l’on oppose le paiement à l’exécution forcée, le premier apparaît comme l’œuvre de la volonté du débiteur. Il est logique d’y voir, alors, un acte juridique. En France, la doctrine dominante y

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voit une convention (les italiens y perçoivent un acte unilatéral), l’accord du créancier étant nécessaire pour vérifier la conformité de l’exécution avec l’obligation elle-même (cf. MARTY, RAYNAUD et JESTAZ, Les obligations., 2e éd;, t. 2, Le régime, Sirey, 1989, n° 194s.). Mais cette qualification est discutée : Mme CATALA, dans sa thèse de doctorat, observant que le paiement pouvait intervenir à l’insu de son débiteur (lorsqu’il est le fait d’un tiers) ou qu’il peut être imposé à son créancier (les offres réelles), niant l’importance de la volonté dans le paiement, y a vu un fait juridique. On pourrait y ajouter le paiement par prélèvement automatique qui, s’il est con par principe de son débiteur, lui est ignoré dans chacune de ses interventions. Mais tout cela se discute : si le paiement intervient entre un tiers et le créancier, là est la convention ! Le paiement peut ne pas être rapporté à une conception unitaire; mais l’arrêt ici rapporté ne distingue pas…

Contra, du reste :

Cass. civ. 1ère, 19 oct. 1999 RJDA 1999, n° 1397; RTD civ. 2000, p. 116, obs. J. MESTRE et B. FAGES Paiement par communication téléphonique d’un numéro de carte bancaire

Cette décision retient, classiquement, la nature conventionnelle (acte juridique) du paiement, fut-il effectué à distance, ce qui est d’autant plus remarquable que cette qualification intervient à propos d’un paiement par carte bancaire (matière où le rôle de la volonté semble des plus effacés). Mais, ainsi que le relèvent les annotateurs, peu importe le sentiment juridique des intéressés; seule compte la "volonté juridique".

Après l’actualité des procédés de preuve des actes juridiques, on s’intéressera désormais à celle des procédés de preuve des faits juridiques.

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B – La modernisation attendue des procédés de preuve des faits

juridiques

39 -. Une modernisation attendue. De la facilité technologique à la certitude scientifique, toutes les ressources de la modernité ont été sollicitées afin d’obtenir une preuve indiscutable en matière de faits juridiques (liberté de la preuve !), qu’il s’agisse de la commission d’une infraction, de l’inexécution d’un contrat ou encore de la filiation. On rappellera pour mémoire, ici :

la profusion des innovations techniques qui permettent de aisément prouver des faits juridiques : vidéo surveillance publique ou privée (caméra de surveillance d’un magasin), enregistrement photographique, enregistrement téléphonique, enregistrement numérique de discussions virtuelles…;

aussi le développement des découvertes scientifiques qui permettent de prouver des faits juridiques, avec lesquelles on passe des possibilités à des certitudes. Ainsi, en matière de filiation, il a d’abord été possible, grâce aux progrès du groupage sanguin puis de la connaissance de l’ADN et des empreintes génétiques, d’exclure l’existence d’un lien de filiation puis, plus récemment, de permettre son établissement (de la suppression des fins de non-recevoir à la libéralisation, grâce aux progrès techniques, de l’action en recherche de paternité naturelle : lois de 1955, 1972 et 1993). Ceci aboutit, en matière de filiation, à dresser la vérité biologique (celle à laquelle les progrès de la science permettent d’accéder) contre la réalité sociologique (la possession d’état).

40 -. L’expertise biologique.

Cadre général : La loi du 8 janv. 1993 a modifié profondément le régime juridique de l’action en recherche de paternité naturelle. Tout d’abord enchâssée dans les cinq cas d’ouverture de l’art. 340 anc. C. civ., l’action est aujourd’hui libérée :

"la paternité hors mariage peut être judiciairement déclarée. La preuve ne peut en être rapportée que s’il existe des présomptions ou des indices graves"

Se retrouve, ici, l’écho de l’art. 311-12 selon lequel "les tribunaux règlent les conflits de filiation pour lesquels la loi n’a pas fixé d’autre principe, en déterminant par tous les moyens de preuve la filiation la plus vraisemblable. Mais, dans la quête d’une vérité biologique qui meut désormais le droit de la filiation, l’intégrité due au corps humain dresse un obstacle.

art. 16-10 C. civ. :

"L’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ne peut être entrepris qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique. Le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l’examen, après qu’elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l’examen. Il est révocable sans forme et à tout moment"

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art. 16-11 C. civ.

"L’identification d’une personne par ses empreintes génétiques ne peut être recherchée que dans le cadre de mesures d’enquête ou d’instruction diligentées lors d’une procédure judiciaire ou à des fins médicales ou de recherche scientifique. En matière civile, cette identification ne peut être recherchée qu’en exécution d’une mesure d’instruction ordonnée par le juge saisi d’une action tendant soit à l’établissement ou la contestation d’un lien de filiation, soit à l’obtention ou la suppression de subsides. Le consentement de l’intéressé doit être préalablement et expressément recueilli. Sauf accord exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée après sa mort. Lorsque l’identification est effectuée à des fins médicales ou de recherche scientifique, le consentement exprès de la personne doit être recueilli par écrit préalablement à la réalisation de l’identification, après qu’elle a été dûment informée de sa nature et de sa finalité. Le consentement mentionne la finalité de l’identification. Il est révocable sans forme et à tout moment"

La règle posée est donc celle du consentement, à défaut duquel il ne saurait y avoir d’atteinte portée à l’intégrité du corps humain

Néanmoins, dès 1981 (Paris, 24 nov. 1981, D. 1982, jur., p. 325, note J. MASSIP), il avait été jugé que, lorsqu’une personne refuse d’apporter son concours à une mesure d’instruction légalement requise qui met en jeu son intégrité physique, le juge a la faculté de tirer toutes les conséquences d’un tel refus, par application de l’art. 11 NCPC ("Les parties sont tenues d’apporter leur concours aux mesures d’instruction sauf au juge à tirer toute conséquence d’une abstention ou d’un refus). En cas de refus d’une partie de participer à la manifestation de la vérité, le juge est libre d’en tirer tout conséquence, comme d’en inférer la réalité du fait qu’il s’agissait de prouver et à la démonstration duquel aucun concours n’a été apporté. L’attitude de refus n’est donc pas sans risque pour l’intéressé, s’il existe par ailleurs des indices sérieux de sa paternité possible. Mais, en ce cas, que reste-t-il du consentement requis par les art. 16-11 et 12 du C. civ. ?

Cass. civ. 1ère, 28 mars 2000 JCP éd. G 2000, II, 10409, concl. PETIT, note MONTSALLIER-SAINT MIEUX; RJFP 2000, n° 5, p. 38, note J. HAUSER; RTD civ. 2000, p. 304, obs. J. HAUSER; Dr. famille 2000, comm. n° 72, obs. P. MURAT

Faits et procédure : un enfant naît, dont la paternité naturelle est reconnu par un homme. Quelques mois plus tard, la mère de l’enfant intente une action en contestation et sollicite une expertise sanguine. Une cour d’appel la déboute, la preuve du caractère mensonger de la reconnaissance n’étant pas rapportée et "une expertise médicale ne pouvant être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve" (conception classique, étroite de l’expertise sanguine et conforme au respect du à l’intégrité du corps humain). En somme, les juges appliquait ce principe dégagé depuis 1993, selon lequel le juge n’était jamais tenu d’ordonner l’expertise sollicitée (soit qu’il estimait disposer de déjà suffisamment d’éléments pour forger sa conviction, soit que les conditions de l’expertise, par exemple à raison du décès de certaines parties, se présentaient sous un jour tel que le résultat de l’examen aurait de fortes chances de n’apporter aucun éclaircissement valable (Cass. civ. 1ère, 14 mars 1995, Bull. civ. I, n° 126; D. 1995, somm., p. 122, obs. F. GRANET-LAMBRECHTS; Cass. civ. 1ère, 6 janv. 1999, Defrénois 1999, p. 938, obs. J. MASSIP; 8 juin 1999, Dr. famille 1999, comm. n° 123

Décision : cassation, au visa des art. 339 et 311-12 C. civ.

"attendu que l’expertise biologique est de droit en matière de filiation, sauf s’il existe un motif légitime de ne pas y procéder"

Valeur : conformité avec le principe de liberté de la preuve de la filiation

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Notion de motif légitime de ne pas y procéder ? On songe, par ex., à l’existence d’une expertise antérieure paraissant suffisante, au caractère vexatoire (un conjoint veut s’assurer que les enfants de son conjoint son bien de ses "œuvres"…) ou dilatoire de la demande d’expertise (inutilité ou inopportunité). Mais comment prouver ces buts détestables ? La seule absence d’autre preuve permet-elle d’inférer le caractère dilatoire ou vexatoire d’une demande d’expertise ? Lu a contrario, la première décision ayant précisé cette notion de motif légitime ne permet pas de l’exclure (même si, la filiation étant, par définition, un élément caché, on peut trouver une telle lecture réductrice et peu conforme avec la matière)

Cass. civ. 1ère, 12 juin 2001 RJPF 2001, n° 10, p. 35; Defrénois 2001, p. 1035, note J. MASSIP; Dr… famille 2002, comm. n° 2, obs. P. MURAT

Est un motif légitime l’existence d’une précédente analyse qui a suffit à éclairer le juge

Cass. civ. 1ère, 5 fév. 2002 RJPF 2002, n° 5, p. 38

Constitue un motif légitime de ne pas procéder à une expertise biologique l’existence de suffisamment d’éléments de faits démontrant ou excluant le lien de filiation

Confirmation en est rapidement donnée :

Cass. civ. 1ère, 24 sept. 2002 JCP éd. G 2003, II, 10053, note Th. GARE

Faits : un homme, avait vécu avec la mère d’un enfant durant la période légale de conception et avait écrit des lettres dans lesquelles il regrettait n’avoir pu assister à l’accouchement

La décision :

"l’existence de présomptions et d’indices graves, estimés suffisants par les juges du fond pour établir la paternité naturelle d’une personne décédée rend inutile la recherche d’autres éléments de preuve; les juges ont ainsi caractérisé le motif légitime de ne pas satisfaire à une demande d’expertise

Sens : le caractère superfétatoire de l’expertise constitue un motif légitime de ne pas y procéder (en ce sens, elle resterait un simple "auxiliaire" pour établir la preuve d’un lien de filiation, ce qui n’est pas conforme avec l’affirmation selon laquelle elle est de droit…)

Retour à l’arrêt du 28 mars 2000 – portée : dépasse, par l’attendu, largement le cadre de l’action en contestation de paternité naturelle. Revirement : la jurisprudence, qui brise le cadre législatif, hier simple "auxiliaire" à la discrétion du juge, l’expertise biologique est désormais "de droit". Solution réitérée : Cass. civ. 1ère, 30 mai 2000, Dr. famille 2000, comm. n° 108, obs. P. MURAT; JCP éd. G. 2000, II, 10410

Cass. civ. 1re, 17 septembre 2003 (2 arrêts) D., 2004, pp. 659-661, note J. Massip caractère obligatoire de l’expertise biologique en matière de filiation et conséquences du refus de s’y soumettre

Faits (1ère arrêt) : un enfant est reconnu par un homme en 1994 puis légitimé par mariage subséquent. En 1997, un autre homme, voulant reconnaître l’enfant, demande la nullité de la première reconnaissance (pour faire tomber la légitimation).

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Procédure : le TGI demande un examen des sangs du premier couple qui refuse. Le tribunal en tire les conséquences au profit du second homme. La cour d’appel infirme car les documents fournis par ce dernier n’étaient pas suffisants pour remettre en cause la première reconnaissance (idée de conserver la paix des familles ?).

L’arrêt :

"L’expertise biologique est de droit en matière de filiation sauf s’il existe un motif légitime

de ne pas y procéder"

L’explication : depuis l’arrêt du 28 mars 2000, l’expertise biologique est de droit sauf motif légitime. Or, ici, les juges de la cour d’appel n’auraient pas justifié l’existence d’un motif légitime. Pour M. MASSIP, la question était en réalité un peu différente, puisqu’il semblerait que la cour d’appel n’ait pas voulu procéder à une seconde expertise qui avait déjà été demandée en première instance.Néanmoins, elle aurait dû, selon l’auteur, s’expliquer sur les conséquences qu’il fallait alors tirer du refus du premier couple de se livrer à cet examen des sangs, "apprécier la valeur de la présomption résultant de ce refus" (art. 11 NCPC).

Faits (2e arrêt) : une mère donne naissance à un garçon, reconnu ensuite par un homme. La mère obtient la nullité de cette reconnaissance et réclame en justice des subsides à un autre homme avec qui elle était censée avoir eu des relations sexuelles pendant la période légale de conception.

Procédure : un tribunal de grande instance ordonne un examen du sang à l’homme auquel des subsides sont réclamés. Il s’y refuse. Les juges en tirent alors les conséquences et le condamne. La cour d’appel infirme considérant que les éléments rapportés n’étaient pas suffisamment probants.

L’arrêt :

"Le seul refus de se soumettre à une expertise sanguine n’établit pas l’existence de

relations intimes pendant la période légale de conception"

Appréciation : M. MASSIP critique la cour d’appel car, d’une part, en l’espèce, les indices et présomptions auraient dû suffire, mais, d’autre part et surtout, il considère que le refus de se soumettre à une expertise biologique sans motif légitime doit être sanctionné et les juges doivent, à moins d’établir un tel motif légitime, sanctionner celui qui refuse de contribuer à la recherche de la vérité dans le cadre d’une preuve judiciaire. Il explique également que se soumettre à une expertise biologique est banale et l’atteinte à l’intégrité du corps humain est minime (a-t-il oublié l’histoire du sang contaminé ?).

* * *

Aj, pour la preuve de l’exécution de son devoir de conseil par un notaire, qui "peut résulter de toute circonstance ou de tout document établissant l’exécution par l’officier public de son obligation", Cass. civ. 1ère, 6 juill. 2004, Defrénois 2004, p. 1411, obs. J.-L. AUBERT

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41 -. L’actualité de l’aveu. Classicisme ? Voire ! Un petit passage sur la déclaration sur l’honneur (avec aveu et serment en perspective) soulignerait (à faire !) que si ces procédés n’ont guère évolué en tant que tels, l’admission de cette déclaration est de nature à les bouleverser.

Définition de l’aveu : reconnaissance par une partie de l’exactitude d’un fait allégué contre elle, et qui est susceptible de produire à son encontre des conséquences juridiques

Aveu judiciaire :

notion : procédé de preuve parfait, faisant pleine foi contre son auteur (art. 1356, al. 2 Cciv.) et liant le juge (sauf lorsqu’il est admis dans une action d’état); la reconnaissance est ici faite au cours d’une instance (judiciaire ou arbitrale) par une partie ou son fondé de pouvoir et dont dépend le sort du procès;

régime :

• eu égard à ses conséquences, cet aveu ne peut émaner que d’une personne capable de disposer de ses droits (exit le mineur non émancipé, sauf lorsqu’il est admis à plaider seul, comme dans une action en recherche de paternité); pour la même raison, il doit émaner de celui-là même à qui on l’oppose (ainsi, si un mandataire a un pouvoir général, l’aveu émanant de lui ne fait pas foi contre le mandant, sauf pouvoir spécial; c’est ainsi que, depuis la loi du 31 déc. 1971, l’avocat étant mandataire de son client relativement aux conclusions écrites, l’art. 417 NCPC répute expressément – dans le cadre des procédures écrites – la personne investie d’un mandat de représentation investie d’un pouvoir spécial de faire un aveu; lorsqu’une plaidoirie est faite dans le cadre d’une procédure écrite, l’avocat ne peut avouer en lieu et place de son client; lorsque la procédure est orale, la Cour de cassation admet néanmoins la possibilité de l’aveu par le biais de l’avocat : Cass. civ. 1ère, 3 fév. 1993, RTD civ. 1994.106)

Cet aveu est irrévocable : pas de rétractation, inefficacité de la preuve d’une erreur de droit à l’origine de l’aveu; mais possibilité de preuve contraire (notamment, mais pas seulement, par la preuve d’une erreur de fait);

Cet aveu est indivisible selon la loi (tout ce qui est reconnu est indissociable, même un fait nouveau qui accompagnerait la reconnaissance du fait négatif), mais la jurisprudence a considérablement restreint la portée de l’art. 1356, al. 3 (indivisibilité admise lorsque l’aveu inclut la qualification de l’acte ou porte sur des éléments connexes, mais elle admet la preuve contraire ! En réalité, l’indivisibilité se résume à un renversement de la charge de la preuve. Pas d’indivisibilité pour les faits affirmés qui sont sans rapport direct avec le fait principal ou lorsqu’ils sont d’une invraisemblance grossière, ou lorsque l’aveu porte sur un fait incontesté [dans le but de prévenir une fraude facile !] ou établi par un autre mode de preuve [idem].

Cass. civ. 1ère, 20 mai 2003 RTD civ. 2004-2., obs. MESTRE et FAGES aveu judiciaire et conclusion récapitulatives

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Faits : à l’occasion de l’échange de pièces entre deux parties à un procès, l’une d’elle reconnaît sa dette à l’égard de l’autre. Néanmoins, dans ses conclusions récapitulatives d’appel, cet aveu n’est pas repris.

Question : selon l’art. 954, al. 2 NCPC (dans sa rédaction issue de la loi du 28 déc. 1998), "les parties doivent reprendre, dans leurs dernières écritures, les prétentions et moyens précédemment présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnées"

L’aveu est-il alors dissipé ?

Réponse : "un aveu judiciaire ne pouvant être révoqué, ne saurait l’être du fait qu’ayant été contenu dans des conclusions d’appel antérieures aux dernières conclusions, il ne se trouve pas dans celles-ci"; en outre, absence de preuve d’une erreur de fait

A retenir : l’art. 1356 Cciv. l’emporte sur l’art. 954 al. 2 NCPC

A retenir également : la possibilité, malgré le principe retenu ici, de faire valoir dans les conclusions récapitulatives une erreur de fait

Cass. civ. 1ère, 15 juin 2004 D. 2004, n° 28, act. jurisprudentielle, p. 2042

Dans leurs conclusions déposées devant les premiers juges, deux personnes avaient reconnu qu’elles s’étaient portées cautions solidaires d’un débiteur principal; il ne peut donc être reproché à une cour d’appel de n’avoir pas procédé à un examen de l’écrit contesté, "qu’un tel aveu judiciaire, qui faisait preuve du cautionnement litigieux, rendait inutile"

Discussion : l’aveu fait pleine foi contre celui dont il émane. Néanmoins, s’agissant d’un cautionnement, on pourrait se demander si le respect des exigences de l’art. 1326 C. civ. ne doit pas se retrouver en matière d’aveu d’u tel acte ? La première Chambre civile l’a autrefois exigé (26 mai 1993, D. 1993, somm., p. 312, obs. L. AYNES). Après la loi du 1er août 2003 et l’exigence ad validitatem de certaines mentions de la part de certaines cautions, cette exigence pourrait réapparaître

Aveu extra judiciaire : aveu fait hors la présence d’un juge, ou en justice mais à l’occasion d’une instance autre que celle au cours de laquelle cet aveu est invoqué. Cet aveu-là ne lie pas le juge.

42 -. Le serment (aucune actualité particulière).

Serment décisoire : procédé de preuve parfait (liant le juge); une partie, dans l’impossibilité de faire la preuve de sa prétention défère le serment à son adversaire. Ce dernier peut prêter serment ou refuser (ce qui vaut aveu, en ce cas, de sa part) ou référer le serment à celui qui lui a déféré

Serment supplétoire : procédé de preuve imparfait, déféré d’office par le juge à l’une des partie et ne liant pas ce juge; uniquement pour compléter une preuve déjà commencée ou pour fixer le montant d’une condamnation dont le principe est déjà acquis, quand il n’existe aucun autre moyen de parvenir à cette fixation

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43 -. L’actualité des présomptions, outre ce qui a été dit de l’expertise biologique

Lyon 22 octobre 2003 RCA 2004, n° 2, p. 22, commentaire C. RADé limites de la présomption de contamination relative à l’hépatite C

Cadre général : pour favoriser les victimes, la Cour de cassation, à la suite du Conseil d’État (CE 15 janvier 2001 Shames) et montrant ainsi la voie au législateur (loi du 4 mars 2002), a reconnu au bénéfice des victimes de contaminations transfusionnelles par le virus de l’hépatite l’existence d’une présomption de contamination (Civ. 1ère, 9 mai 2001). Cependant, il s’agit d’un allégement de la charge de la preuve et non d’un déplacement complet de cette charge. La victime doit rapporter la preuve de trois éléments :

• indemne avant la transfusion; • porteuse du virus ensuite; • ne présente aucune cause de contamination qui lui soit propre,

à charge ensuite pour le défendeur de prouver que ses produits étaient sains ou que la contamination résultait d’une cause étrangère.

L’arrêt :

"L’ensemble des circonstances permet, en l’espèce, d’écarter l’existence d’un lien de cause

à effet entre les transfusions pratiquées sur la personne du demandeur en juillet 1975 et

l’hépatite C diagnostiquée vingt-deux ans plus tard".

L’appréciation : le demandeur n’a pas réussi à rapporter les éléments permettant d’enclencher la présomption, en raison de l’ancienneté des faits mais aussi des nombreuses opérations qu’il avait subies après la transfusions et qui avaient pu l’exposer à des risques nosocomiaux sérieux. Solution donc pleinement justifiée selon l’auteur.

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44 -. L’actualité de la notion de témoignage.

Cass. crim., 23 juin 2004 D., 2004, I.R., p. 2196 Le droit de faire entendre les témoins

"selon l’art. 513 al. 2 CPP les témoins cités par le prévenu doivent être entendus dans les règles prévues aux art. 435 à 457 de ce Code, le ministère public pouvant s’y opposer si ces témoins ont déjà été entendus par le tribunal; Méconnaît le sens et la portée de l’art. 513 al. 2 la cour d’appel qui, pour rejeter la demande du prévenu tendant à l’audition de trois témoins cités par son avocat, énonce que ces derniers « n’ont pas assisté aux faits litigieux », alors que ces témoins n’avaient pas été entendus par le tribunal"

* * *

45 -. Quelques observations relatives au cachet de la poste. Preuve de la date d’accomplissement d’une formalité ou d’exécution d’une obligation (D. BOULMIER, "La crise de foi dans le cachet de la poste", JCP G 2003.I.131). Selon une instruction générale de 1868, "le timbre apposé sur les lettres, tant à l’arrivée qu’au départ, peut servir de preuve en justice" : qui en doutait ?. Le cachet de la poste :

peut faire foi de la date; peut servir de preuve en justice

On précisera seulement que ce qui, ici, est évoqué vaut tout à la fois pour la date portée sur le timbre que celle éventuellement portée sur l’avis de réception d’un courrier recommandé

Applications :

• la date d’une offre, pour admettre la validité de sa rétractation avant son acceptation • la date de première présentation du courrier est importante pour une notification valable de la fin de la période d’essai : Cass. soc., 17 oct. 2000 • fixation du point de départ du délai-congé en cas de notification d’un licenciement, selon l’art. L. 122-14-1 C.trav.), la lettre de licenciement ne pouvant valablement être adressée au salarié qu’un jour franc après sa convocation à l’entretien préalable (Cass. soc., 23 janv. et 15 nov. 1990, sur Legifrance) • en droit des assurances, la résiliation par lettre recommandée, dont le délai cour à partir de la date figurant sur le cachet de La Poste (art. L. 133-12; Cass. civ. 1ère, 7 oct. 1998, RGAT 1999.611, note F. CHARDIN) • en droit de la consommation, s’agissant de l’acceptation d’une offre de prêt (sans effet avant 10 jours après la réception, cette acceptation doit être donnée par lettre, "le cachet de La Poste faisant foi" : art. L. 133-12 C.consomm. • pour déterminer la date d’un testament olographe non daté mais rédigé sur une enveloppe (Cass. civ. 1ère, 1er juin 1994, D. 1995.sdomm.52, obs. M. GRIMALDI • en procédure : l’appel exercé par voie postale dépend non de la date de réception au secrétariat-greffe, mais de la date d’expédition (idem en cas de pourvoi par voie postale). ON NOTERA QUE LA SOLUTION EST INVERSE DANS LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF, seule étant prise en compte la date à laquelle le courrier est marqué

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comme étant parvenu à la juridiction (la possibilité en cas de forclusion – et lorsque la date figurant sur la lettre est antérieure à la date butoir mais que l’enregistrement est, lui, postérieur, étant d’agir en responsabilité administrative contre La Poste, mais le juge administratif valide parfois les recours reçu, dans ces conditions hors délai : CE, 25 avr. 2001, req. n° 211335).

Une loi du 12 avr. 2000, relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations, lui a donné un rang de certification générale dans les relations entre les usagers et l’Administration, art. 16.

"toute personne tenue de respecter une date limite ou un délai pour présenter une demande […] auprès d’une autorité administrative peut satisfaire à cette obligation au plus tard à la date prescrite au moyen d’un envoi postal, le cachet de La Poste faisant foi"

(mais, selon l’art. 1, cette règle ne s’applique pas aux juridictions administratives !).

Importance : pénalités en cas de retard dans l’acquittement d’impôts

Remarque pratique : penser à conserver l’enveloppe, du côté du destinataire qui voudrait se prévaloir de la date (la question restant ouverte de savoir si telle enveloppe concerne bien tel courrier…) !

Mais cette évolution, du moins pour ce qui est des relations entre personnes privées, paraît de faible importance et surtout de nature à être totalement balayée par l’avènement de la LRAR électronique.

46 -. La lettre recommandé avec avis de réception.

Intérêt : preuve simple de son contenu, outre l’intérêt évidente des dates de réception et même d’envoi. Aj., ce qui concerne la LRAR, désormais possible par voie électronique.

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III – L’actualité de la preuve en tant qu’elle est un résultat

A – L’actualité de la force probante des instrumentum

47 -. Renvoi supra

B – L’actualité de la charge de la preuve

Cass. com., 24 sept. 2003 JCP 2004.I .111, p. 280s., chr. droit international et européen

Cet arrêt traite d’un problème non expressément réglé par la convention : celui de la charge de la preuve du défaut de conformité. Pour le résoudre, la Cour se fonde sur l’article 7 alinéa 2 de la CVIM relatif à l’interprétation de la convention pour les questions relevant de son domaine mais non explicitement tranchée par elle. On retient généralement aujourd’hui que la charge de la preuve du défaut de conformité suit les risques : avant le transfert, la preuve incombe au vendeur; après elle incombe à l’acheteur. En l’espèce, la Cour de cassation rejette le pourvoi, rappelant que lorsque l’acheteur prouve le défaut de conformité, le vendeur peut encore prouver que ce défaut n’existait pas lors du transfert des risques, et qu’il appartient alors aux juges du fond d’apprécier souverainement les éléments de preuve débattus devant eux.

Cass. civ. 2e, 8 juill. 2004 D., 2004, I.R., p. 2474 Charge de la preuve de la faute inexcusable de l’employeur

En visant l’article 1315 C.civ., la Cour de cassation a jugé qu’il appartient au salarié, victime d’un accident du travail, de prouver que son employeur, qui devait avoir conscience du danger auquel il était exposé, n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Depuis les arrêts de la Chambre sociale du 28 fév. 2002, la faute inexcusable est caractérisée par la violation d’une obligation de sécurité et repose sur deux éléments : la conscience d’un danger et l’absence de mesures prévues pour protéger le salarié. Revirement tant en ce qui concerne la faute inexcusable qu’en ce qui concerne l’obligation de sécurité pesant sur l’employeur (art. L. 230-2 C.trav.). Un double objectif était poursuivi : indemniser les victimes d’un accident du travail de la même façon qu’en droit commun et obliger l’employeur à renforcer la sécurité. Par cet arrêt elle opère un retrait. Probablement est-ce dû à l’espèce car le salarié avait tardé à invoquer la faute inexcusable de l’employeur ne permettant plus à ce dernier de prouver que les mesures nécessaires avaient été prises.

Cass. civ. 1ère, 6 janv. 2004 RLDC, fév. 2004, p. 9, obs. S. DOIREAU Étendue des travaux : charge de la preuve incombant au garagiste

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"C’est au garagiste réparant un véhicule qu’il appartient de démontrer que le client a bien commandé ou accepté l’ensemble des travaux réalisés"

Un automobiliste confie son véhicule au garagiste afin de réparer une durite, mais

il refuse ensuite de payer les travaux de remise en état du joint de culasse. Le TI accueille la demande en paiement au motif que le garagiste a satisfait à son obligation de résultat, mais le jugement est cassé au visa de l’article 1315 alinéa 1er du Code civil, la CC considérant qu’il appartenait au garagiste d’établir que son client avait bien commandé ou accepté l’ensemble des travaux de remise en état réalisés (voir, déjà, Civ. 1ère 14 décembre 1999, BC, I, n° 344).

48 -. Le risque de la preuve

Cass. soc., 28 sept. 2004 D., 2004, I.R., p. 2624 Il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiant une inégalité de rémunération

"En application de l’art. 1315 C. civ., s’il appartient au salarié qui invoque une atteinte au principe "à travail égal, salaire égal" de soumettre au juge les éléments de fait susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, il incombe à l’employeur de rapporter la preuve d’éléments objectifs justifiants cette différence; une cour d’appel, qui a fait ressortir que les salariés rapportaient la preuve des éléments susceptibles de caractériser une inégalité de rémunération, mais que l’employeur n’établissait pas l’existence d’éléments objectifs justifiant la différence de rémunération, justifie légalement sa décision faisant droit à la demande des salariés en paiement de salaires compensant la différence invoquée"

49 -. La confirmation du rôle joué par la charge de la preuve sur le fond du droit

Cass. com. 4 fév. 2004 RDC 2004-3, p. 729, note M. Béhar-Touchais charge de la preuve du vice du consentement du distributeur et loi Doubin

"la charge de la preuve que le consentement du distributeur a été vicié suite à l’inexécution par la compagnie pétrolière de son obligation d’information fondée sur l’article 1er de la loi Doubin (aujourd’hui article L. 330-3 du Code de commerce) pèse sur cette dernière"

L’auteur se félicite de cette solution qu’elle avait appelée de ses vœux. En effet, dès lors que la loi Doubin a pour fonction de protéger le distributeur, on doit admettre qu’elle emporte une présomption simple de vice du consentement et qu’il appartient au fournisseur de prouver que le consentement du distributeur n’a pas été vicié.

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