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Introduction générale 1. Le droit du commerce international évoque les mosaïques de Ravennes. 2. Comme une mosaïque, il rassemble des émaux de formes et de couleurs différentes. En premier lieu, les sources du droit du commerce international sont très diversifiées et se combinent pour produire des résultats parfois surprenants : droit national et droits étrangers, conflit de lois et règles matérielles de droit du commerce international, droit éta- tique ou interétatique et lex mercatoria issue de la communauté des mar- chands, principes et règles tatillonnes, règles et décisions, liberté des opérateurs et souveraineté des États... Dun point de vue académique, le droit du commerce international est donc un terrain propice à une réflexion sur les sources du droit. En second lieu, le droit du commerce international emprunte aux différentes branches du droit, bien définies dans le monde académique, mais entremêlées dans la vie des affaires : droit commercial, droit international privé, droit international public, droit des contrats, droit douanier, droit de la procédure... 3. Comme une mosaïque, le droit du commerce international fait preuve dune grande unité transcendant la diversité des éléments qui le composent. Lunité du droit du commerce international repose sur une méthode danalyse, parfois inductive, nécessaire pour appréhender les problèmes juridiques soulevés par les opérations internationales. Il faut « réunir les morceaux du puzzle, accepter dexaminer comme un ensemble ce manteau darlequin » 1 . 4. Comme une mosaïque, le droit du commerce international doit aussi savoir faire oublier sa technicité à qui le contemple. Lopérateur, accompagné par des conseils avisés, aspire en effet à la réalisation de ses projets dans des conditions raisonnables de prévisibilité et de coût. Utilisant un vocabulaire contemporain, un Européen féru de droit 1. Ph. FOUCHARD, « La conception dune nouvelle discipline » in Ph. FOUCHARD, L. VOGEL (dir.), Lactualité de la pensée de Berthold Goldman, Paris, Panthéon-Assas, 2004, p. 21 s.

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Introduction générale

1. Le droit du commerce international évoque les mosaïquesde Ravennes.

2. Comme une mosaïque, il rassemble des émaux de formes et decouleurs différentes. En premier lieu, les sources du droit du commerceinternational sont très diversifiées et se combinent pour produire desrésultats parfois surprenants : droit national et droits étrangers, conflitde lois et règles matérielles de droit du commerce international, droit éta-tique ou interétatique et lex mercatoria issue de la communauté des mar-chands, principes et règles tatillonnes, règles et décisions, liberté desopérateurs et souveraineté des États... D’un point de vue académique, ledroit du commerce international est donc un terrain propice à uneréflexion sur les sources du droit. En second lieu, le droit du commerceinternational emprunte aux différentes branches du droit, bien définiesdans le monde académique, mais entremêlées dans la vie des affaires :droit commercial, droit international privé, droit international public,droit des contrats, droit douanier, droit de la procédure...

3. Comme une mosaïque, le droit du commerce international faitpreuve d’une grande unité transcendant la diversité des éléments qui lecomposent. L’unité du droit du commerce international repose sur uneméthode d’analyse, parfois inductive, nécessaire pour appréhender lesproblèmes juridiques soulevés par les opérations internationales. Il faut« réunir les morceaux du puzzle, accepter d’examiner comme unensemble ce manteau d’arlequin »1.

4. Comme une mosaïque, le droit du commerce international doitaussi savoir faire oublier sa technicité à qui le contemple. L’opérateur,accompagné par des conseils avisés, aspire en effet à la réalisation deses projets dans des conditions raisonnables de prévisibilité et de coût.Utilisant un vocabulaire contemporain, un Européen féru de droit

1. Ph. FOUCHARD, « La conception d’une nouvelle discipline » in Ph. FOUCHARD,L. VOGEL (dir.), L’actualité de la pensée de Berthold Goldman, Paris, Panthéon-Assas,2004, p. 21 s.

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communautaire rechercherait la sécurité juridique tandis qu’un Améri-cain féru d’économie du droit2 rechercherait l’abaissement des coûts dela transaction. En d’autres termes, une ingénierie juridique sophistiquéeest souvent nécessaire pour garantir la fluidité de l’opération de com-merce international.

5. Comme une mosaïque, le droit du commerce international doit êtreobservé à bonne distance. Contemplée de trop loin, la mosaïque perdraitde sa richesse et les formes se confondraient. C’est pourquoi le droit ducommerce international se dérobe au bachotage et à la lecture rapide. Lelecteur prendra soin d’analyser les différents mécanismes ou contrats etde se reporter à la bibliographie sélectionnée figurant au fil du texte ennotes de bas de page. Mais à l’inverse, l’œil attiré par un éclat, contem-plant la mosaïque sans recul, l’observateur perdrait de vue l’architecturede l’ensemble et les différentes interactions. Un tel péril est aussi dange-reux pour l’étudiant et le praticien. C’est pourquoi ce manuel ne prétendpas à une exhaustivité de toute façon illusoire même dans une encyclo-pédie tant les monographies sont nombreuses sur chacun des sujetsabordés.

6. Comme une mosaïque, le droit du commerce international estenfin caractérisé par sa grande permanence, au-delà des modes doctrina-les, des évolutions économiques et techniques. Certes, sur un plan aca-démique, la formation de cette branche du droit est récente, sous l’impul-sion de pionniers3. Certes, selon le moment et l’angle d’observation, lesquestions apparaissent sous un nouveau jour. Mais il est rare que cesquestions, nées des pratiques commerciales, soient complètement nou-velles pour qui connaît l’histoire du droit commercial4 et du droit inter-national. Un solide raisonnement juridique et une saine compréhensiondes mécanismes techniques et commerciaux doivent permettre de trouverune solution sans céder aux sirènes de la nouveauté et du crépuscule dudroit.

7. Dans une première approche, nous examinerons trois facettes dudroit du commerce international qui contribuent à son originalité :d’abord, les sources du droit du commerce international (§ 1), ensuite,

16 Droit du commerce international

2. R.-H. COASE, La firme, le marché et le droit, Paris, Diderot éditeur, 1988 ; Le coûtdu droit, Paris, PUF, 2000.3. D’abord P. ARMINJON, Droit international privé du commerce international, Paris,Dalloz, 1948, puis Y. LOUSSOUARN, J.-D. BREDIN, Droit du commerce international,Paris, Sirey, 1969, dans une optique privatiste ; B. GOLDMAN, Droit du commerce inter-national, Paris, Les cours du droit, 1970, dans une perspective pluraliste.4. R. SZRAMKIEWICZ, Histoire du droit des affaires, Paris, Montchrestien, 1990 ;J. BART, « La lex mercatoria au Moyen Âge : Mythe ou réalité ? » in Mélanges Kahn,2000, p. 9 ; A. GOURON, « Commerce et diffusion du droit romain », ÉtudesH. Cabrillac, 1968, p. 205.

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la conciliation des intérêts dans les opérations commerciales internatio-nales (§ 2), enfin la dialectique entre actualité et permanence des ques-tions rencontrées (§ 3).

§1. Le jaillissement des sources

8. Le droit du commerce international est le cadre privilégié d’uneréflexion sur le pluralisme des sources du droit, réflexion magistralemententamée en droit interne par Geny5, avant d’être poursuivie dans l’ordreinternational par Goldman6. Dans les lignes introductives qui vont suivre,il ne saurait être question d’esquisser une hiérarchie ou même une classi-fication des sources du droit du commerce international car une entre-prise aussi ambitieuse mobilise la doctrine7 depuis plus de cinquanteans. Nous en livrerons plutôt une présentation pédagogique en opposant,selon une formule sans doute réductrice, le construit (A) et le donné (B),avant d’esquisser une méthode de combinaison (C).

9. L’opposition entre le « droit construit » d’une part, et un droitmoins formalisé constitué de principes d’autre part est une dialectiqueclassique de la théorie du droit. Tantôt le Doyen Geny8 oppose-t-il au« construit » le « donné », accueillant à la fois les fruits d’une approcheréaliste et d’une approche jus-naturaliste. Tantôt Hayek9 oppose-t-il au« droit construit » le « droit spontané », émanant cette fois de l’ordrespontané du marché, formalisé ensuite dans la loi ou resté à l’étatd’usage. Tout en soulignant les limites de cette dialectique qui n’insistepas assez sur les interactions entre ces deux corps de normes10, nous enconserverons l’approche en raison de leur valeur pédagogique.

Introduction générale 17

5. F. GENY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, Paris, LGDJ,2e éd., 1919, Reprint, 1996.6. Infra no 20.7. D. BUREAU, Les sources informelles du doit dans les relations privées internatio-nales, thèse Paris II, 1992.8. F. GENY, Sciences et techniques en droit privé positif, 4 vol., Paris, Sirey,1914-1924.9. F. VON HAYEK, Droit, législation et liberté, trad. R. Audoin, Paris, PUF, 2e éd.,1989.10. M. VILLEY, « François Geny et la renaissance du droit naturel », in Faculté de droitet de sciences économiques de Nancy, Le centenaire du Doyen François Geny, Paris,Dalloz, 1963, p. 39. Encore que Geny lui-même souligne que l’interprète doit combinerles sources du droit proprement dites et les simples autorités.

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A Le construit

10. Par droit construit, nous visons les normes élaborées dans l’en-ceinte d’une institution et revêtues, le plus souvent, de la force obliga-toire qui est leur est conférée par l’auteur de la norme.

11. Le droit étatique (lois11 et règlements tels qu’interprétés par lajurisprudence nationale) constitue bien sûr la première source du droitconstruit. Son application relève de la méthode du conflit de lois pourl’essentiel des règles de droit privé, ou de la méthode unilatérale quiconsiste à rechercher la volonté d’application d’un texte dans l’espace.Il faut ensuite distinguer les règles ordinaires de droit interne (par exem-ple le droit des contrats), les règles matérielles de droit du commerceinternational voulues par le législateur ou dégagées par le juge12, et leslois de police qui entendent régir la situation internationale en raison deson lien territorial ou personnel avec la Nation.

12. Au droit étatique, il faut lier le droit interétatique adopté par lacommunauté des États. Figurent au premier rang les Conventions inter-nationales, d’abord négociées et signées par les États, puis ratifiées. Ellesviennent alors s’insérer dans la pyramide de la hiérarchie des normes, leplus souvent à son sommet, en tout cas au-dessus de la loi13. En l’ab-sence de mécanisme donnant une compétence interprétative à une juri-diction internationale, il appartient aux juridictions nationales de l’inter-préter dans l’exercice de leur fonction juridictionnelle. Il n’est pasnécessaire que les juridictions françaises sollicitent l’interprétation gou-vernementale. Si elles la sollicitaient, elles ne seraient de toute façon pasliées par cette interprétation gouvernementale14. La jurisprudence, tant duConseil d’État que de la Cour de cassation, est en ce sens. Ainsi, la Courde cassation décide qu’« il est de l’office du juge d’interpréter les traitésinternationaux (...) sans qu’il soit nécessaire de solliciter l’avis d’une

18 Droit du commerce international

11. Il faut toutefois noter que la loi, présentée comme la source du droit par excellence,formule de moins en moins de règles de droit. Le législateur contemporain, qui cède viteà l’actualité en élaborant une « législation d’émotion », y développe parfois des déclara-tions de principe dépourvues de juridicité. A. d’ORS, Une introduction à l’étude du droit,Présentation, traduction et notes par A. SÉRIAUX, 2e éd., PUAM, 2001, § 34, p. 67, « Ledroit peut apparaître sous forme de loi, mais la loi n’est pas toujours du droit ».12. B. OPPETIT, « L’ascension des principes généraux : l’exemple du droit internationalprivé », Arch. Phil. Dr., t. 32, Sirey, 1987, p. 179.13. En France, décidant que la suprématie conférée aux engagements internationaux surles lois par l’article 55 de la Constitution ne s’applique pas dans l’ordre interne aux dis-positions de nature constitutionnelle, CE, 30 oct. 1998, Sarran, D. 2000, p. 152 ;Cass. Ass. plén., 2 juin 2000, Bull., no 4, RTD civ. 2000, obs. R. LIBCHABER.14. CE, 21 déc. 1994, Sara Garriga, Rev. crit. DIP 1995, p. 292, note P. LAGARDE.

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autorité non juridictionnelle »15. Les Conventions internationales se dis-tinguent selon l’objet des règles qu’elles formulent. Soit les Conventionsformulent des règles matérielles uniformes dans tous les États parties. Onles désigne alors sous le vocable de Conventions de droit uniforme, étantentendu qu’elles forment alors le droit national applicable et qu’elles sesubstituent aux règles internes, à moins qu’elles ne soient supplétives. LaConvention de Vienne sur la vente internationale de marchandises est leprototype de la Convention internationale de droit uniforme. Soit lesConventions formulent des règles de conflit de lois ou des règles deconflit de juridictions. La Convention de Rome sur la loi applicableaux obligations contractuelles en constitue un bon exemple.

13. Aux droits nationaux, il faut également lier le droit originaire oudérivé des organisations d’intégration en régionale. Dans l’Union euro-péenne, au sein du cadre défini par les Traités (le droit originaire), desrègles matérielles nombreuses sont adoptées sous la forme de règlementsdirectement applicables ou de directives à transposer par les États mem-bres. Ces règles matérielles organisent notamment les libertés de circula-tion des personnes, des services, des marchandises et des capitaux. Maiselles constituent aujourd’hui une part de plus en plus importante du droitinternational privé et du droit commercial des États membres, que ce soitpar unification ou par harmonisation. Ajoutons encore que le droit del’Union concourt à l’application dans les États membres des mesuresd’embargo ou de blocage décidées par la Communauté internationale16.Sur le continent africain, il faut faire mention de l’harmonisation, trèsavancée, du droit des affaires au sein de l’OHADA, depuis le traité fon-dateur signé à Port Louis en 199317 ; l’OHADA rassemble aujourd’hui16 États.

Introduction générale 19

15. Cass. 1re civ., 19 déc. 1995, BAD c. BCCI, Rev. crit. DIP 1996, p. 468, noteB. OPPETIT.16. Règlement CEE no 2340/90 du Conseil empêchant les échanges de la Communautéconcernant l’Iraq et le Koweït, suite à la résolution 660 (190) du 6 août 1990 des NationsUnies.17. Le droit OHADA est composé de neuf actes uniformes portant sur le droit commer-cial général, le droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique etle droit des sûretés (entrés en vigueur le 1er janv. 1998), sur les procédures simplifiées derecouvrement et des voies d’exécution (entré en vigueur le 10 juill. 1998), sur l’organi-sation des procédures collectives d’apurement du passif (entré en vigueur le 1er janv.1999), sur le droit de l’arbitrage (entré en vigueur le 11 juin 1999), sur l’organisation etharmonisation de la comptabilité des entreprises (entré en vigueur le 1er janv. 2001), surles comptes personnels des entreprises et les comptes consolidés et comptes combinés,sur les contrats de transport de marchandises par route (entré en vigueur le 1er janv.2004), les sociétés coopératives (signé à Lomé en 2010) ; [en ligne], <www.ohada.com>. En général, voir B. MARTOR, N. PILKINGTON, D. SELLERS, S. THOUVENOT,Le droit uniforme africain des affaires issu de l’OHADA, Paris, Litec, 2e éd., 2009.

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14. Relèvent enfin du droit construit certains instruments dépourvusde force obligatoire propre, adoptés dans le cadre d’organisations inter-nationales. Les lois types ou modèles de la CNUDCI constituent desmodèles à la disposition des législateurs nationaux qui peuvent s’en ins-pirer pour concourir à une harmonisation mondiale du droit, tout enbénéficiant des travaux et des échanges produits entre les délégationsnationales. Il suffit de citer la Loi type sur le commerce électronique(1996) ou encore la Loi type sur les signatures électroniques. La situa-tion des Principes Unidroit sur les contrats commerciaux internationauxest plus ambiguë : d’initiative doctrinale, ils évoquent la technique duRestatement appliquée aux droits européens comparés des contrats, touten cherchant à y apporter des améliorations18 et en se réclamant de la Lexmercatoria dont ils seraient, pour partie au moins, la consolidation.

B Le donné

15. Le droit construit ne jouit pas du monopole de la normativitécomme une approche légaliste pourrait le laisser penser. Il existe, depuisla nuit des temps, un corps de pratiques, usages et règles émanant descommerçants. Les pratiques et usages connaissent une cristallisationplus ou moins avancée leur conférant ou non la force obligatoire d’unerègle. Parfois, la loi elle-même y renvoie les parties et le juge (art. 1135du Code civil français, art. 188 et 189 du Code suisse des obligations).La formule de droit spontané19 désigne ce corpus hétérogène.

16. Les modèles de contrats, formules types et contrats types consti-tuent une première forme de cristallisation des pratiques contractuelles20

sur un marché. Elles se généralisent par imitation ou grâce à l’œuvred’organisations sectorielles comme la BIMCO pour les documents detransport maritime. Stéréotypées, elles contiennent très souvent des clau-ses standards identiques ou voisines désignées sous un nom connu :Paramount Clause, Himalaya Clause, Hardship Clause, etc. Sans nierl’impact de ces clauses, la doctrine fait en général preuve de prudenceavant de considérer que leur répétition leur confère un effet normatif pro-pre. Elles ne vaudraient que dans la limite de l’autonomie de la volonté21

20 Droit du commerce international

18. B. FAUVARQUE COSSON, « Droit européen et international des contrats :l’apport des codifications doctrinales », D. 2007, p. 96.19. Voy. la remarquable thèse de P. DEUMIER, Le droit spontané, Paris, Economica,2002 (préf. J.-M. Jacquet) ; Ph. JESTAZ, Les sources du droit, Paris, Dalloz, 2005.20. Voy. E. LOQUIN, « Les règles matérielles internationales », Rec. cours La Haye,t. 322, spéc. p. 199 (2006).21. P. DEUMIER, op. cit., § no 107, p. 93.

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ou « d’une répétition ferme susceptible de donner prise à un usage »22.Indiscutable sur un plan théorique, la réserve liée à l’autonomie de lavolonté se heurte toutefois aux hypothèses où les parties ne négocientpas les conditions générales rédigées par l’offrant, soit qu’elles ne lepuissent pas faute d’un pouvoir de négociation suffisant23, soit qu’ellesne le veuillent pas. Les conditions contractuelles constituent alors aumoins la loi du marché.

17. Les usages conventionnels constituent le prolongement des prati-ques contractuelles. Le Doyen Geny les définit ainsi :

« Il s’agit de ces pratiques, quelques-unes générales, la plupart locales etprofessionnelles, qui enveloppent tacitement la formation des actes juridiques,spécialement des contrats, et, qu’en vertu du principe d’autonomie de lavolonté, purgé d’un vain formalisme et dominé par la bonne foi (Treu undGlauben des Allemands), on sous entend dans tous les actes, même sauf quel-ques réserves, dans les actes solennels, pour interpréter ou compléter lavolonté des parties ou celle de l’auteur de l’acte »24.

Leur rôle est limité puisqu’ils n’ajoutent pas de façon substantielle àla volonté des parties et ne la contrarient pas. Ils suggèrent simplement« une intention non exprimée » de sorte qu’ils ne sauraient être assimilésà la coutume faute d’opinio juris.

18. Des usages conventionnels, il faut distinguer les usages du com-merce international25 à proprement parler, pourvus pour leur part d’uncaractère normatif. En d’autres termes, il s’agit d’usages règles qui sesituent à la lisière de la coutume. Leur consolidation et leur adaptationpar une institution représentative du milieu concerné concourt certaine-ment à renforcer la qualification de règle. Aussi, les Règles et usancesrelatives au crédit documentaire sont-elles considérées par une fractionde la doctrine et par les juridictions françaises comme des usagesrègles26. De même, la Cour de Justice a-t-elle récemment considéré queles Incoterms, périodiquement modélisés et adaptés par la CCI, sontconstitutifs d’usage du commerce international. Cette reconnaissancemontre bien d’ailleurs ce qu’une classification des sources du droit du

Introduction générale 21

22. J.-M. JACQUET, Ph. DELEBECQUE, S. CORNELOUP, Droit du commerce interna-tional, Paris, Dalloz, 2010, § no 33.23. A. BOGGIANO, International Standard Contracts ; the price of fairness, Dordrecht,Martinus Nijhoff, 1991.24. F. GENY, Méthode d’interprétation et sources en droit privé positif, op. cit., t. 1,p. 418 ; E. LAMBERT, « Sources du doit comparé ou supranational, Législation uni-forme et jurisprudence comparative », in Études François Geny, Paris, Duchemin, 1934,t. 3, p. 478.25. Cl. M. SCHMITTHOFF, International Trade Usage, Paris, 1987, CCI.26. E. CAPRIOLI, Le crédit documentaire : évolutions et perspectives, Paris, Litec,1992, § no 260 s., p. 190 s.

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commerce international peut avoir d’artificiel : de l’usage contractuel (lavente FOB est décrite en Angleterre dès le XIXe siècle), on passe aucontrat-type généraliste, « règle modélisée » par la CCI. Les règles modé-lisées « se distinguent des pratiques contractuelles et du droit spontanépar le fait essentiel qu’elles ne sont pas le pur produit de la rencontredes volontés individuelles et qu’elles ne sont pas la seule expression durapport de force existant entre les parties qui adhèrent à leurcontenu »27. Finalement, la Cour de Justice reconnaît à ces règles modé-lisées la valeur d’un usage du commerce international, au sens du Règle-ment CE no 44/200128. S’il s’agit bien de règles, ce sont des règles sup-plétives29 qui peuvent être écartées par la volonté des parties adoptantune clause contraire.

19. Les principes généraux du droit du commerce international doi-vent être bien distingués des usages, car ils procèdent d’avantage d’unedémarche de droit comparé ou de droit international public que de lacristallisation de pratiques. En cela, les principes généraux du droit ducommerce international, parfois visés par les arbitres, relèvent finalementdu droit construit plus que du droit spontané. Un auteur les définit ainsi :

« Par principes généraux du droit du commerce international, on entendratoutes les règles qui ne sont pas tirées d’un seul ordre juridique étatique maisqui sont dégagées soit de la comparaison des droits nationaux, soit directementdes sources internationales, telles que les conventions internationales, envigueur ou non, ou la jurisprudence des tribunaux internationaux »30.

20. Au début des années 1960, Goldman31 et Schmitthoff32 soutien-nent, respectivement en France et en Angleterre, que les règles de droitspontané, dont l’existence est généralement admise, s’agencent en unensemble cohérent adapté aux opérations du commerce international,ensemble qu’ils proposent de dénommer Lex mercatoria (pour loi desmarchands). L’expression connaît une importante fortune doctrinale.Alors que Schmitthoff y voit seulement l’agrégat de normes de source

22 Droit du commerce international

27. E. LOQUIN, « Les règles matérielles internationales », Rec. cours La Haye, t. 322,spéc. p. 106 (2006)28. CJUE, 9 juin 2011, aff. no C-87/10, Electrosteel Europe SA c. Edil Centro Spa,D. 2011, p. 1694.29. Ph. FOUCHARD, « L’État face aux usages du commerce international », Trav. Com.fr. DIP 1977, p. 71 ; in Écrits, droit de l’arbitrage, droit du commerce international,CFA, 2007, p. 531 s.30. E. GAILLARD, « La distinction des principes généraux du droit et des usages ducommerce international », Études P. Bellet, Litec, 1991, p. 203.31. B. GOLDMAN, « Frontières du droit et lex mercatoria », Arch. Phil. droit, 1963,p. 320.32. C.-M. SCHMITTHOFF, The sources of the Law of International Trade, InternationalAssociation of Legal Science, London, Stevens and Sons, 1964 consécutif à un colloqueorganisé au King’s College de Londres.

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internationale adaptées au droit du commerce international, Goldmansoutient l’idée qu’il s’agit d’un ordre juridique autonome, à tout lemoins d’un ordre en formation. Chacune de ces deux thèses fait écoleet suscite le débat. À la thèse qui fait de la lex mercatoria un label ouune bannière regroupant des règles spécialement adaptées, on objecteque ces règles, peu nombreuses, sont au nombre de vingt33. Il est permisde répondre que la Constitution des États-Unis comporte seulement28 amendements ! À la thèse qui fait de la lex mercatoria un ordre juri-dique propre, il est reproché de s’appuyer sur le postulat non démontréd’une société cohérente des marchands et de proposer au mieux un ordrejuridique incomplet, comportant de nombreuses lacunes34. Mais la nou-velle théorie des sources du droit, qui délaisse le paradigme de la pyra-mide pour adopter celui du réseau35 de normes et d’ordres interdépen-dants permet à la fois d’expliquer l’incomplétude et l’imbrication de lalex mercatoria dans les ordres étatiques et international, sans remettre encause l’approche systémique.

C Éléments de méthode

21. L’originalité des opérations du commerce international tient àleur rattachement potentiel à plusieurs ordres juridiques : États avec les-quels l’opération entretient des liens juridiques et économiques, maisaussi « le tiers ordre »36 du droit international et de la lex mercatoria.Et il serait vain de chercher une Grundlegung, c’est-à-dire un ordre

Introduction générale 23

33. Lord Justice MUSTILL, « The New Lex Mercatoria : the first twenty five years »,1988 Arb. Int. 86 s. : 1o pacta sunt servanda, 2o rebus sic stantibus, 3o théorie de l’abusde droit, 4o culpa in contrahendo, 5o bonne foi dans l’exécution du contrat, 6o nullité descontrats de corruption, 7o obligation pour l’État d’honorer son engagement de se soumet-tre à l’arbitrage, 8o Extension de la clause compromissoire dans les groupes de société,9o obligation de négocier de bonne foi en cas de hardship, 10o validité de la Gold Clause,11o résolution unilatérale du contrat en cas de contravention essentielle de l’autre partie,12o impossibilité de se prévaloir d’une inexécution à laquelle on a soi-même concouru13o qualification souveraine du contrat par les tribunaux, 14o réparation limitée aux dom-mages prévisibles, 15o obligation pour le créancier de mitiger ses pertes,16o calcul des dommages pour défaut de livraison par référence au prix du marché et auprix de remplacement, 17o obligation de défendre promptement ses droits sous peine derenonciation, 18o, 19o interprétation des contrats selon le principe ut res magis valeatquam pereat, 20o le défaut de réponse d’une partie vaut consentement.34. P. LAGARDE, « Approche critique de la lex mercatoria », in Études Goldman, op.cit., p. 125 s. ; Ch. PAMBOUKIS, « La lex mercatoria reconsidérée », in Études Lagarde,Paris, Dalloz, 2006, p. 635.35. F. OST, M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau, pour une théorie dia-lectique du droit, Publications des Facultés universitaires Saint Louis, Bruxelles, 2002,p. 197 s.36. M. VIRALLY, « Un tiers droit ? Réflexions théoriques », in Études Goldman, Paris,Litec, 1987, p. 374 s.

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juridique de base37. Alors comment régler cette situation de concurrencethéorique et pratique ? Plusieurs paramètres doivent être combinés : lavolonté des opérateurs, l’invocabilité de la norme, la volonté d’applica-tion de la norme, la combinaison des normes applicables, l’autoritéinvestie du pouvoir juridictionnel et la perspective de soumission au pou-voir de coercition de l’État.

22. Le choix des opérateurs constitue un paramètre essentiel car l’ap-préhension du risque juridique est un élément de la stratégie commer-ciale. En matière contractuelle, les parties stipuleront souvent une clausede choix de loi applicable liant le juge et l’arbitre ; elles choisiront aussiles États d’établissement de leurs filiales ou succursales et de localisationde leurs actifs en fonction de l’attractivité du système juridique (bilansocial, fiscal, etc.). Et dans les matières où l’autonomie de la volonté nesaurait s’exprimer, elles se livreront parfois à un raisonnement inductifpour satisfaire les conditions d’application du texte qui leur convient lemieux, sans que cela soit nécessairement une fraude à la loi38.

23. La volonté des opérateurs risque de se briser sur la revendicationdes États dont les juridictions réclament une compétence exclusive ou,au moins, dont les lois de police internationalement impératives récla-ment leur application conformément à la volonté du législateur. De lamême façon, elle risque de se briser sur la revendication de compétencedes autorités de marché en vertu de la loi qui les a instituées. L’intensitéde ce risque dépend de l’exposition, immédiate ou future, de l’opérateurà la coercition de l’État dont la compétence est frustrée. S’il disposed’actifs sur le territoire, s’il y envisage un développement commercialfutur, s’il a besoin d’y faire reconnaître et exécuter un jugement ou unesentence, l’opérateur ne pourra ignorer la revendication de compétenceétatique. Si au contraire, il ne dispose d’aucun actif et ne nourrit aucuneperspective d’activité future, l’opérateur n’a rien à redouter. La jurisdic-tio n’est crédible que si elle est prolongée par un imperium. En mettant àpart les fors exorbitants et les lois dont le champ d’application est trèslarge (les Long Arm Statutes aux États-Unis39), il est probable que l’as-sertion de compétence d’une juridiction ou d’une loi étrangère soit fon-dée sur un élément de rattachement qui expose l’opérateur à la coercitionde l’État.

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37. P. MAYER, « Le mythe de l’ordre juridique de base », in Études Goldman, op. cit.,p. 199 s.38. B. AUDIT, La fraude à la loi en droit international privé, Paris, LGDJ, 1974 (Préf.Y. Loussouarn).39. A. MIRANDES, La compétence interétatique et internationale des tribunaux en droitdes États-Unis, Paris, Economica, 2002, thèse Paris II (Préf. B. Audit).

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24. L’invocabilité processuelle de la règle de droit est une questionsymétrique à celle de sa volonté d’application. Il s’agit d’un changementde point de vue : à supposer vérifiées les conditions d’application d’unenorme, un opérateur ou un particulier peut-il l’invoquer devant les juri-dictions nationales ou internationales pour obtenir la réalisation de sesdroits subjectifs ? Peut-il invoquer les règles de droit communautaire40

ou les accords de l’OMC pour bénéficier des libertés garanties et péné-trer un marché ? Ou bien doit-il attendre que l’État endosse sa réclama-tion en saisissant l’Organe de Règlement des Différends41 ? Ainsi, denotre point de vue, la distinction entre le droit du commerce internationalet le droit international économique ne réside pas dans la nature préten-dument privatiste ou publiciste des normes. Elle réside dans le point devue adopté pour considérer et mettre en œuvre la règle de droit : point devue de l’État ou des organisations internationales avec des considérationsgénérales et macro-économiques, point de vue des opérateurs avec desconsidérations particulières et microéconomiques, tendues vers la réali-sation des droits subjectifs. À ce titre, l’invocabilité de la règle de droitdevant le juge ou l’arbitre constitue l’un des éléments saillants de la dis-tinction académique des disciplines.

25. Le choix du juge investi de la mission de trancher le différend estdécisif à deux égards. D’abord, il permet d’identifier les dispositionsimpératives qui seront appliquées tant au fond qu’à la procédure. Lejuge national ne sera tenu qu’à l’application de ses propres lois de police.Ensuite, le choix du juge décide de la palette des normes applicables etdu mode de désignation de la loi applicable. Le juge devra mettre enœuvre les règles de conflit de lois et les règles processuelles du for. Lessources de droit spontané interviendront dans la mesure permise par laloi applicable d’une part et par la volonté des parties d’autre part.

26. La stipulation d’une convention d’arbitrage offre plus de libertéau tribunal arbitral pour désigner les règles applicables sous réserve de lastipulation d’une clause d’electio juris par les parties, des règles de l’or-dre public véritablement international et de la perspective d’exécution dela sentence. N’ayant pas de for, le tribunal arbitral choisira sa proprerègle de conflit pour désigner un droit étatique ou procédera à une dési-gnation directe comme l’article 1511 du Code de procédure civile et lesprincipaux règlements d’arbitrage l’y autorisent. Il pourra aussi adopterune démarche syncrétique retenant les principes communs aux droits

Introduction générale 25

40. F. SCHMIED, « L’accès des particuliers au juge de la légalité – L’apport de l’arrêtUnibet », JTDE 2007, p. 166.41. Par ex. H. RUIZ-FABRI, P. MONNIER, « OMC – Chronique du règlement des diffé-rends 2004 », obs. ss Organe d’appel, 7 avr. 2005, WT/DS285/AB/R, États-Unis, Mesu-res visant la fourniture transfrontières de services de jeux et paris (plainte d’Antigua etBarbuda), JDI 2005, p. 916.

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potentiellement applicables42. Il pourra également procéder à l’applica-tion directe d’une convention internationale, des principes généraux dudroit du commerce international, des usages ou de tout élément de la lexmercatoria dans la mesure permise par les parties et par le règlementd’arbitrage43.

27. Ces éléments invitent finalement à mettre en exergue la dimen-sion méthodologique44 de lex mercatoria plutôt qu’à adopter une appro-che dogmatique. L’ensemble des règles de droit spontané et des règles dedroit construit d’origine internationale est maintenant désigné par les par-ties et par les arbitres sous l’appellation de lex mercatoria. L’arbitre lesapplique lorsqu’il en a reçu le mandat des parties, mais aussi parfois horsde ce mandat, au soutien de son raisonnement ou par nécessité, parce quele rattachement à un ordre étatique plutôt qu’un autre ne s’impose pas45.Quant au juge étatique, il en a reconnu la juridicité au motif qu’un arbitreayant appliqué la lex mercatoria avait ainsi statué en droit46. La lex mer-catoria, entendue comme méthode de combinaison des normes de droitspontané et de droit international, est donc indissociablement liée à l’ar-bitre. Mais elle est bien plus que l’émanation de la fonction juridiction-nelle de l’arbitre. Car l’arbitrage commercial international se développeavec la coopération des États qui la consacrent ainsi indirectement. Sansdoute la lex mercatoria rejoint-elle finalement la doctrine du droit naturelclassique décrite par Michel Villey : « une doctrine non totalitaire, maisqui cherchait à mesurer les parts respectives de la loi et des autres sour-ces ; dans le droit ce qui est posé et ce qui ne l’est point »47.

§2. La conciliation des intérêts

28. Les opérations du commerce international concernent aussi bienles opérateurs que l’État et des acteurs de la société civile. La concilia-tion des intérêts particuliers et de l’intérêt général s’exprime non seule-ment dans le conflit entre ces acteurs, mais aussi dans la position défen-due par chacun d’entre eux. L’étude des intérêts de l’État (A) devancera

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42. Ph. FOUCHARD, L’arbitrage commercial international, thèse Dijon, 1965, p. 423 s.43. Le Règlement CCI invite ainsi le juge à appliquer les règles de droit et à tenircompte des usages.44. E. GAILLARD, « Transnational Law : A Legal System or a Method of DecisionMaking », 17, Arb. Int., 59.45. Sentence CCI no 2321 (1974), JDI 1975, obs. Y. DERAINS.46. Civ. 22 oct. 1991, JDI 1992, p. 177, note B. GOLDMAN, à propos de la sentenceCCI no 5953 (1988), Rev. arb. 1990, p. 702.47. M. VILLEY, in « Geny et le droit naturel », op. cit., p. 55.

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celle des intérêts du commerce international (B) et de la sociétécivile (C).

A Les intérêts des États

29. Dans une perspective positiviste et étroitement légaliste selonlaquelle « Rien n’est possible ou valable que par la loi »48, l’État est leseul à incarner l’intérêt général par l’adoption de la loi et du règlement. Ily contribue, au plan international, par sa participation aux activités desorganisations internationales et par la ratification de traités. Mais commel’observe Alvaro d’Ors, l’insuffisance d’une véritable communautémorale entre États « se découvre par le fait que les grandes puissancestâchent de s’appuyer sur ces organismes internationaux pour accroîtreleur influence. En tout cas, leurs représentants se considèrent toujourscomme les défenseurs des intérêts particuliers de chaque nation »49. Pource qui concerne l’encadrement des relations internationales de droitprivé, cette défense de l’intérêt général du for s’exprimerait donc princi-palement par l’application des lois de police, de protection ou de direc-tion et par la mise en œuvre de l’exception d’ordre public international.Sur les marchés, les autorités administratives indépendantes contribuentà la mise en œuvre de la politique étatique, largement inspirée par descritères et ratios internationaux50. Ajoutons que les intérêts de l’Étatsont parfois particularistes et que la politique étrangère d’une nationpeut avoir d’importants effets sur le commerce international, avec parexemple les lois d’embargo51. Cependant, une vision exclusive est tropétroite car d’autres que l’État revendiquent, comme nous allons le voir, ladéfense et la promotion de l’intérêt général. De plus, certains considèrentque la souveraineté même des États est menacée, à tout le moins ignoréepar les opérateurs privés.

30. L’État est aussi un opérateur du commerce international, que cesoit pour des activités qui touchent à sa souveraineté (comme l’achatd’armement) ou pour des activités industrielles et commerciales. Le

Introduction générale 27

48. R. CARRE DE MALBERG, La loi, expression de la volonté générale, Paris, Sirey,1931.49. A. d’ORS, Une introduction à l’étude du droit, Présentation, traduction et notes parA. SÉRIAUX, 2e éd., PUAM, 2001, § 86 et 87, p. 135, développant l’idée que la recher-che, louable, de la paix et de la prospérité économique ne suffit pas à surmonter les inté-rêts égoistes des États.50. I. STIBBE, Les autorités administratives indépendantes en droit du commerce inter-national, thèse Paris II, 2001 (dir. Ph. Fouchard).51. B. STERN, « Vers la mondialisation juridique ? Les lois Helms-Burton etD’amato-Kennedy », RGDIP 1996, p. 979.

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vecteur traditionnel en est le contrat d’État52, mais les législations récen-tes assurent la promotion du partenariat public privé. Le contrat deconcession, inspiré du droit administratif français, connaît un fort déve-loppement international avec les contrats de B.O.T. (Build OperateTransfer) rédigés et conçus dans une logique internationale et privatiste.L’intervention de l’État comme cocontractant le conduit souvent à renon-cer l’application de son propre droit et à s’en remettre à l’arbitrage enacceptant la stipulation d’une clause compromissoire. Il s’agit d’unexemple de soumission de l’État aux usages du commerce internatio-nal53. Mais cette renonciation n’est pas sans limite car l’État peut invo-quer, dans des circonstances bien définies, son immunité de juridictionou son immunité d’exécution.

B Les intérêts du commerce international

31. L’expression de «mise en jeu des intérêts du commerce interna-tional » est d’abord apparue en jurisprudence pour caractériser l’inter-nationalité des contrats et valider les clauses compromissoires qui yétaient stipulées54. Le Code de procédure civile l’a ensuite accueillie àl’article 1504. Elle répond à une approche matérielle ou économique del’internationalité du contrat et déclenche l’application d’un régime plusfavorable à la validité du contrat international55, que ce soit en matièred’arbitrage ou en matière de paiement avec l’admission des clauses d’in-dexation ou de paiement en monnaie étrangère. Elle se distingue de l’ap-proche juridique qui risque d’internationaliser artificiellement un contratdu fait de la présence d’un élément d’extranéité dépourvu de pertinence.Ainsi présentée, la notion de mise en cause des intérêts du commerceinternational justifie une plus grande tolérance, mais se dérobe au raison-nement juridique56 pour entrer dans la sphère de l’économie ou de lasociologie.

32. Une présentation simpliste conduirait à conclure que l’absence deréglementation nationale impérative entravant les échanges sert les inté-rêts et les besoins du commerce international. Mais à la suite du

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52. Ch. LEBEN, « La théorie du contrat d’État et l’évolution du droit international desinvestissements », Rec. Cours La Haye, 2003, T. 302.53. Ph. FOUCHARD, « L’État face aux usages du commerce international », op. cit.,p. 543 s.54. Cass. civ., 19 févr. 1930, Mardelé, S. 1931, I, p. 1 note J.-P. NIBOYET ; Cass. civ.,27 févr. 1931, Dambricourt, S. 1933, I, p. 1 note J.-P. NIBOYET.55. J.-M. JACQUET, Principe d’autonomie et contrats internationaux, Paris, Econo-mica, 1984.56. V. HEUZÉ, « La notion de contrat en droit international privé », Trav. Com. fr.DIP 1995-1998, p. 319 s.

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Professeur Fouchard57, il faut souligner la richesse de l’expression de«mise en cause des intérêts du commerce international » qui contienten germes « le développement des échanges économiques » maispeut-être aussi « le développement durable » et « la mondialisation ».Les codes de conduite privés58 adoptés par certaines entreprises multina-tionales illustrent que l’intérêt du marché rejoint parfois l’intérêt général.Il en résulte en tout cas que « la mise en cause des intérêts du commerceinternational » renvoie à un intérêt collectif apprécié sous l’anglemacro-économique. Elle n’est donc au service des parties au procès quede façon médiate en ce qu’elle donne plein effet à l’exercice de l’autono-mie de la volonté.

C Les intérêts de la société civile

33. La régulation du commerce international et les activités des opé-rateurs sont désormais scrutées par le regard vigilant d’acteurs de lasociété civile qui prétendent représenter l’intérêt général mieux que lesÉtats eux-mêmes, accusés de complaisance ou d’impuissance face auxinvestisseurs étrangers. Ces acteurs de la société civile sont des associa-tions, les plus puissantes d’entre elles ayant le statut d’organisation nongouvernementale (ONG). Ce statut, conféré par l’article 71 de la Chartedes Nations Unies (et par d’autres conventions de bases d’organisationsinternationales), leur donne la possibilité d’être consultées par les orga-nisations intergouvernementales lors des conférences et à l’occasion duprocessus de l’élaboration des normes. L’action de ces associations etONG préfigure peut-être le modèle hétérarchique et spontané que cer-tains auteurs59 appellent de leurs vœux pour faire contrepoids à la logiquedu marché. Toujours est-il que ces organisations disposent d’un véritablepouvoir d’influence. Un auteur l’explique ainsi :

« Plusieurs facteurs expliquent la montée en puissance sur la scène mon-diale : une grande capacité de mobilisation de moyens humains et financiers,une excellente connaissance des terrains d’action, la flexibilité et rapidité deleurs interventions sont autant de raisons de succès. Certaines de ces ONG(on pense notamment à Amnesty International, Greenpeace, le WWF, MSF et

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57. Ph. FOUCHARD, « La CNUDCI et la défense des intérêts du commerce internatio-nal », Petites affiches no 252, 18 déc. 2003, p. 36 s. ; Ph. LEBOULANGER, « La notiond’“intérêts” du commerce international », Rev. arb. 2005, p. 487.58. G. FARJAT, « Réflexions sur les codes de conduite privés », in Études Goldman,Paris, Litec, 1987, p. 63 s. ; « Nouvelles réflexions sur les codes de conduite privés », inLes transformations de la régulation juridique, Paris, LGDJ, 1998, p. 151.59. G. TEUBNER, « Un droit spontané dans la société mondiale », in Ch. A. MORAND(dir.), Le droit saisi par la mondialisation, Bruylant, Helbing & Lichtenhahn, 2001,p. 196 s., spéc. p. 205 ; D. HELD, Cosmopolitan Democracy, Cambridge, Polity Press,1995.

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la Croix Rouge...) ont acquis par ailleurs une expertise exceptionnelle qui enfait des groupes de pression très écoutés à l’occasion des conférences interna-tionales »60.

Ce pouvoir s’exerce au travers d’actions diverses dont il faut mainte-nant donner un aperçu.

34. Les actions militantes constituent un premier moyen de pressioncapable de perturber sérieusement des négociations entre États ; l’échecde l’Accord Multilatéral sur les Investissements l’illustre bien. Mais ellespeuvent aussi perturber les activités d’une société donnée qui ne respec-terait pas certaines valeurs et refuserait tout dialogue avec l’ONG Cesactions, parfois illicites, font l’objet de poursuites pénales ou d’actionsen responsabilité civile. Il suffit de citer l’arrachage de plans de maïstransgéniques61, l’appel au boycott62 ou les campagnes de presse paro-diant la marque de la société cible. Aux yeux de l’opinion toutefois, lespoursuites judiciaires exercées contre les auteurs de ces actions renfor-cent parfois leur légitimité, au nom d’une prétendue désobéissancecivique63. Au contraire, l’excès et les débordements de l’action militantefinissent par réduire sa légitimité.

35. Les actions judiciaires64 introduites par les associations consti-tuent un second moyen de pression. D’abord, les droits nationaux recon-naissent souvent une action d’intérêt collectif permettant aux associa-tions de demander non seulement la réparation des dommagesindividuels causés à leurs membres, mais aussi la réparation de l’atteinteà l’intérêt collectif qu’elles ont pour objet de défendre, serait-ce par lavoie de la réparation du préjudice moral65. Ces dispositions de droit pro-cessuel relatives à l’intérêt pour agir ont donc instauré un véritable rap-port de force au profit du tissu associatif. En droit de l’environnement

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60. F. OST, M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau, Pour une théorie dia-lectique du droit, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint Louis, 2002,spéc. p. 176 s.61. Refusant l’excuse de l’état de nécessité, Cass. crim., 7 févr. 2007, no 06-80108,D. 2007, p. 574, obs. A. DARSONVILLE ; Cass. crim., 19 nov. 2002, no 02-80788, inédit,D. 2003, p. 1315, note D. MAYER.62. Cass. 2e civ., 29 nov. 2001, no 98-20529, Bull. no 176, dans le cadre d’une campagnecontre les mines anti-personnel ; CA Paris, 30 avr. 2003, [en ligne], www.legalis.net,dans le cadre d’une campagne contre la politique sociale d’un groupe de sociétés.63. Le théoricien en est l’américain H. D. THOREAU, Civil Disobedience, 1849. Face àune loi injuste, l’alternative serait celle de l’exil, dernier ressort de la liberté individuelledans le monde antique, ou de la désobéissance civique dans le monde moderne.64. C. KESSEDJIAN, « Les actions civiles pour violation des droits de l’Homme. Aspectde droit international privé », Trav. Com. fr. DIP 2002-2004, p. 151.65. G. VINEY, « L’action d’intérêt collectif et le droit de l’environnement », in Les res-ponsabilités environnementales dans l’espace européen, Point de vue Franco-Belge,Bruylant, LGDJ, 2006, p. 217 s.

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par exemple, de nombreuses associations peuvent agir simultanémentpour la réparation du même préjudice, né d’un même événement.Ensuite, dans les arbitrages transnationaux opposant un investisseur àl’État d’accueil, les associations s’appuient sur la publicité des débatset sur le principe de transparence découlant de l’article 1105 del’ALENA66. Dans deux sentences, elles ont même été admises par lesarbitres à produire un mémoire d’amicus curiae67.

§3. La permanence des questions

36. Une analyse superficielle pourrait laisser croire que le droit ducommerce international se résume à des questions perpétuellement nou-velles, liées à un état instantané de l’économie, de la technique et desrelations internationales. Ainsi, le droit du commerce internationalconnaîtrait son plein achèvement avec la victoire du modèle libéral et ladématérialisation des échanges entre des acteurs rationnels et informés.En réalité, il faut souligner la permanence des questions morales (A) etpolitiques (B).

A Les questions morales

37. Aujourd’hui, l’évocation de la morale dans le commerce interna-tional a quelque chose d’incongru. Les travaux de l’économiste Hayekreposent ainsi sur le postulat que la règle de droit ne vaut que pour autantqu’elle s’inspire de la loi du marché. L’économiste renvoie dos-à-dos lesconstructivistes rationalistes, avec Descartes, et les philosophes ou lesmoralistes. «De fait, dans la plupart des régimes du monde, le dévelop-pement d’une économie de marché ouverte a longtemps été empêché parces morales prêchées par les prophètes et les philosophes, même avantque les mesures gouvernementales aient eu le même effet... Lorsque pro-phètes et philosophes, de Moïse à Platon et à Saint Augustin, de Rous-seau à Marx et à Freud, ont protesté contre la morale courante, il estclair qu’aucun d’eux n’avait la moindre idée du degré auquel les prati-ques qu’ils condamnaient avaient contribué à la civilisation dont ils

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66. Sentence Métaclad c. Mexique, 30 août 2002, JDI 2002, p. 233, obs. E. GAILLARD ;en général, G. A. ALVAREZ, W. PARK, « The New face of Investment arbitration :NAFTA Chapter 11 », Yale Journal of International Law, [2003], vol. 28, no 2, p. 366.67. B. STERN, « L’entrée de la société civile dans l’arbitrage entre un État et un inves-tisseur privé », Rev. arb. 2002, p. 329.

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faisaient partie »68. Pourtant, s’il répudie sèchement les philosophes etmoralistes, Hayek fait bien référence à une morale courante, qui, denotre point de vue, ne saurait se résumer au comportement individuelde défense de ses libertés et de ses intérêts.

38. Contrairement à ce que soutient Hayek, les opérateurs du com-merce international sont attachés à « la part de l’idéalisme »69 qui faitbonne mesure au positivisme et aux intérêts du commerce international.Les illustrations en sont nombreuses et peuvent être rangées sous les ban-nières de la vertu et de l’équité70. L’équité trouve d’abord sa concrétisa-tion dans le contrat, par la recherche de l’intérêt commun des parties,seul garant de la pérennité des relations d’affaires. L’obligation de négo-cier de bonne foi, le devoir de loyauté et de coopération jusqu’à mitigerses propres pertes, l’adaptation du contrat en cas de modification, consti-tuent autant d’émanations du principe de bonne foi consacré en droitcomparé et dans la lex mercatoria. Si un litige survient, l’équité trouveensuite sa concrétisation dans le comportement des parties au cours duprocès étatique ou arbitral : interdiction de se contredire au détrimentd’autrui (estoppel), respect du principe du contradictoire et de l’égalitédes armes ou, comme le disent les Common Lawyers, respect du DueProcess of Law. L’équité est même érigée en « système juridique spéci-fique »71 lorsque les parties chargent l’arbitre, amiable compositeur, detrancher le différend en équité, c’est-à-dire de modérer les effets inéqui-tables de l’application de la loi.

39. L’exigence morale dépasse la sphère des parties au contrat ou auprocès. Si l’autorité du droit est bien fondée sur une conception positiveet sur des choix assumés par le législateur au nom de la Nation, il fautnéanmoins faire appel à la morale dans l’élaboration des règles juridi-ques72. C’est ainsi que la morale irrigue le droit du commerce internatio-nal et le droit international économique. Ainsi, la clause de la nation laplus favorisée, qui oblige à accorder à tous ses partenaires les avantagesconsentis à l’un d’entre eux, trouve sa source dans les travaux du domi-nicain Francisco de Victoria, considéré comme le fondateur du droitinternational public73 et comme l’un des inspirateurs de l’École de Sala-manque en économie. Lors de cette première mondialisation qui

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68. F. VON HAYEK, Droit, législation et liberté, trad. R. Audoin, Paris, PUF, 2e éd.,t. 3, 1989, p. 198.69. B. OPPETIT, Philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1999, § 93 s.70. Ph. FOUCHARD, « Droit et morale dans les relations économiques internationales »,Rev. des sciences morales et politiques, 1997, p. 33.71. B. OPPETIT, Philosophie du droit, Paris, Dalloz, 1999, § no 111.72. G. RIPERT, La morale dans les obligations civiles, Paris, 1949, § no 13.73. C. BARCIA TRELLES, « Francisco de Victoria », Rec. Cours La Haye, t. XVII,1927, t. 2.

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accompagne l’essor de l’empire espagnol, Victoria défend à la fois lesdroits des Indiens d’Amérique et la légitimité du commerce international,instrument de paix. Les droits et avantages concédés à une nationdevraient l’être aux autres « en sauvegardant les droits des voisins etdes habitants du pays ».

40. Aujourd’hui comme hier, la morale conduit les législateurs et lescocontractants à faire des choix, parfois difficiles. Il importe de définir cequi est dans le commerce et ce qui ne l’est pas. C’est ici que l’éthiquerejoint le droit du commerce international. Les questions de bioéthiqueen constituent illustration la plus évidente. L’admission de la brevetabi-lité du vivant (corps humain, éléments et produits, végétaux) conduirait àadmettre sa mise dans le commerce international, par exemple sousforme de cession de brevets. Il n’est pas sûr qu’un droit spontané de labioéthique, fait d’usage et de bonne pratiques, suffise à faire obstacle auxdérives des biotechnologies74. L’affirmation de la non-commercialité etde la non-brevetabilité du corps humain par le législateur est donc néces-saire75.

B Les questions politiques

41. Le droit du commerce international intéresse d’abord les opéra-teurs, pris individuellement, qui souhaitent organiser leurs activités etleurs relations contractuelles. Il intéresse ensuite, et de la même façon,des groupes d’opérateurs comme les associations professionnelles. Maisil intéresse aussi l’État et ses organes, soit que le commerce internationaldoive être soutenu ou découragé par une politique, soit que le commerceinternational soit l’instrument d’une politique. La politique, et parfoismême l’idéologie, ne sont pas étrangers au droit du commerce internatio-nal. Ayant défini l’action politique « comme une action en vue d’unbut », le Doyen Batiffol voit « dans l’action politique une “matière”que le droit “informe” ou “structure” sans l’absorber ». Constatant lacomplexité des interactions entre ces deux systèmes et rejetant le panju-risme qui voit du droit partout, Batiffol conclut : « En ce sens on peutsouscrire à la formule que le droit serait une charnière, une médiationentre l’éthique et la politique »76. Deux exemples permettent d’illustrerl’influence de la politique sur le commerce international.

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74. C. BYK, « Le droit international de la “bioéthique” : “jus gentium” ou “lex merca-toria” », JDI 1997, p. 913.75. En France, art. 16 à 16-9 du Code civil.76. H. BATIFFOL, « Problèmes de frontières : droit et politique », in H. Batiffol, Choixd’articles rassemblés par ses amis, Paris, LGDJ, 1976, p. 435 s.

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42. Le premier exemple tient à la tension doctrinale entre un « inter-nationalisme théorique et libéral »77 d’une part, et une réaction particu-lariste et territorialiste d’autre part. Le courant internationaliste et libéral,qui prospère à la fin du XIXe siècle, recherche les points de convergenceentre les systèmes juridiques. Il est favorable à leur harmonisation dansdes Conventions uniformes de droit matériel, telles que la Conventiond’Union de Paris sur les droits de propriété industrielle. Le courant par-ticulariste, pour ne pas dire nationaliste, soutient pour sa part qu’il estimpossible d’unifier le droit matériel et de supprimer le conflit de lois78.Et dans cette optique, les règles de conflit de juridictions et de loisdevraient être conçues pour défendre les intérêts et la souveraineté dufor. On retrouve cette tension de façon épisodique à l’époque contempo-raine quand il s’agit de constater que l’interprétation nationale de laConvention de Vienne sur la vente internationale de marchandisesmine l’uniformité qu’elle poursuit. On la retrouve encore quand il s’agitd’admettre puis de refuser le chef de compétence exorbitant du forumarresti ou bien quand il s’agit de saper l’efficacité et l’opposabilité desclauses de juridiction et d’arbitrage parce qu’elles soustraient les litigesau juge étatique dépositaire de la souveraineté nationale.

43. Le second exemple tient à la tension entre un libéralisme quiprône le laissez faire, et un interventionnisme étatique plus affirmé,sans aller jusqu’au dirigisme. Les clivages ne sont pas toujours ceuxque l’on croit, comme l’illustre, en France, l’histoire économique de laCinquième République. Pour reprendre l’expression d’un auteur, « lapolitique de la grandeur » voulue par le Général de Gaulle passait parun « refus de la sujétion technique et économique » vis-à-vis des puissan-ces étrangères, ce qui avait des répercussions sur l’accueil des investisse-ments étrangers79. En matière de commerce international, c’est par contrele libéralisme qui prédomine après 1982. Et suite aux OPA lancées surdes fleurons de l’industrie française et européenne, comme par exempleArselor, une doctrine du patriotisme économique voit le jour, qui se tra-duit notamment par des décrets anti-OPA80. En l’occurrence le patrio-tisme est bien partagé puisque le législateur allemand a mis en place undispositif analogue81. On doit encore évoquer les fonds souverains82 qui

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77. B. AUDIT, Droit international privé, § no 96 s.78. E. BARTIN, « L’impossibilité de parvenir à la suppression des conflits de lois »,JDI 1897, p. 225 s., 466 s. et 720 s.79. S. BERNSTEIN, « La France de l’expansion », in Nouvelle histoire de la Francecontemporaine, vol. 17, Le Seuil, 1989, p. 236 s.80. Loi no 2006-387 du 31 mars 2006, en part. l’art. L. 233-33 du Code de commerce.81. R. DAMMANN, U. VOLK, « Le patriotisme économique, une réalité des deux côtésdu Rhin ? », D. 2006, p. 2674.82. J.-F. BIARD, « Fonds souverains », RD bancaire et fin. 2008, comm. p. 124 ;S. SCHILLER, « Les fonds souverains : approche juridique », JCP E, 2010, étude

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désignent des investisseurs contrôlés par un régime politique et dépour-vus d’engagement contractuel vis-à-vis des épargnants individuels : ilsprennent des participations majoritaires dans les sociétés cibles, partici-pations qui peuvent conduire à un conflit entre l’intérêt social de l’entre-prise contrôlée et l’intérêt politique de l’État. Les fonds souverains peu-vent ainsi investir dans des entreprises minières ou énergétiques, ou bienencore faire l’acquisition de terres agricoles.

44. Adoptant le point de vue de l’opérateur, qui caractérise le droit ducommerce international, nous pouvons à présent aborder l’étude détailléedes questions juridiques. Il faut commencer par étudier dans quellesconditions les opérateurs peuvent accéder aux marchés (Partie 1), avantd’analyser leurs principales activités sur les marchés (Partie 2) et deconclure par des développements spécifiques sur le règlement des litigesnés sur les marchés (Partie 3). L’expression de marché, qui s’entend icides marchés géographiques, présente le grand avantage de désigner tan-tôt les marchés nationaux caractérisés par leurs contraintes propres, tan-tôt les marchés résultant d’un espace régional intégré comme la Commu-nauté européenne ou l’ALENA.

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no 1888 ; J.-M. CHEVALIER, « Les fonds souverains pétroliers », JCP E, 2010, étudeno 1887.