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Rapport au Premier ministre

Du droit et des liberts

sur linternetLA CORGULATION , CONTRIBUTION FRANAISE POUR UNE RGULATION MONDIALE

Christian Paul Dput de la Nivre

Mai 2000

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Du droit et des liberts

sur linternetLA CORGULATION , CONTRIBUTION FRANAISE POUR UNE RGULATION MONDIALE

"Jtablis donc, comme une proposition contraire, que la loi qui exige la permission expresse, et par consquent la censure pralable, nous conduira toujours cet tat de lois existantes et non excutes, dans lequel la licence rgne sans que la nation ait la libert quelle est en droit de demander. "La discussion publique des opinions est un moyen sr de faire clore la vrit, et cest peut-tre le seul". MALESHERBES - Mmoire sur la libert de la presse, 1788

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Composition de la mission

Christian PAUL,dput de la Nivre, prsident

Daniel KAPLANconsultant

Jacques LOUVIERmagistrat

Jean-Philippe MOCHONauditeur au Conseil dtat

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Le Premier ministre

No 1216/99/SG Paris, le 15 novembre 1999 Monsieur le Dput, Comme vous le savez, les pouvoirs publics ont entam, dans le cadre du programme daction gouvernemental pour la socit de linformation, une rflexion sur la rgulation dans le secteur des technologies de linformation et de la communication. En effet, le caractre spcifique et profondment novateur de linternet interdit la transposition pure et simple en ce domaine des dispositifs qui ont t mis en place dans les secteurs de laudiovisuel, des tlcommunications ou de la tlmatique. Jai demand au ministre de lconomie, des finances et de lindustrie de prparer, en liaison avec la ministre de la justice et la ministre de la culture et de la communication, un projet de loi qui adaptera notre cadre lgislatif la socit de linformation. Dans ltude des questions juridiques poses par le dveloppement de la socit de linformation, que le Conseil dtat ma remise en juillet 1998, il a t propos de crer un organisme de corgulation des rseaux, associant acteurs publics et privs. Cette ide a t prcise. dans le document dorientation sur ladaptation du cadre lgislatif de la socit de linformation dont le contenu a t rendu public loccasion du colloque que vous avez organis lAssemble Nationale, le 5 octobre dernier. Le Gouvernement a dcid de constituer une mission de prfiguration, en concertation avec les reprsentants des pouvoirs publics, des diteurs de contenus, des prestataires de services en ligne, des utilisateurs et des intermdiaires techniques de linternet. Celle-ci aura pour tche de dfinir le contour exact des comptences que pourrait exercer le futur organisme de corgulation, ainsi que les modalits concrtes de sa mise en place. Je souhaite vous confier cette mission. que vous exercerez dans le cadre des dispositions prvues larticle L.O. 144 du code lectoral, en relation avec les trois ministres les plus directement concerns par les questions de rgulation des activits lies linternet : la ministre de la Justice,

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le ministre de lconomie, des Finances et de lIndustrie et la ministre de la Culture et de la Communication. Vous pourrez faire appel, en tant que de besoin, aux services de leurs dpartements respectifs. Le secrtariat de la mission sera assur par le service juridique et technique de linformation et de la communication. Je souhaite par ailleurs que vous associiez ces travaux les autres dpartements ministriels intresss par les questions que traitera le futur organisme, en particulier le ministre de lintrieur, le ministre de lducation nationale, de la recherche et de la technologie et le ministre des affaires trangres. Dans la mesure o ledit organisme devrait tre indpendant des pouvoirs publics et ne pas disposer de pouvoirs de contrainte, il convient de tenir le plus grand compte des attentes et des projets des diffrents acteurs de linternet. Une structure de corgulation ne pourra en effet tre mise sur pied quavec leur coopration active. cet gard, outre les contacts que vous prendrez directement avec les reprsentants des diffrentes parties prenantes de linternet, vous pourrez vous appuyer sur les rsultats de la consultation publique lance partir du document dorientation mentionn ci-dessus, qui devraient faire lobjet dune synthse avant la fin de lanne. Vous pourrez galement tirer les enseignements des expriences engages chez nos partenaires trangers. Je souhaite enfin que vous puissiez tirer parti des rflexions dveloppes par les autorits indpendantes qui assurent la rgulation de certains secteurs dactivit lis linternet : la Commission nationale de linformatique et des liberts, le Conseil suprieur de laudiovisuel et lAutorit de rgulation des tlcommunications. Il me serait agrable de pouvoir disposer de vos conclusions pour la fin du mois de mars 2000. Je vous prie de croire, Monsieur le Dput, lassurance de mes sentiments les meilleurs.

Lionel JOSPIN

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Avant-proposConformment au mandat du Premier ministre, les travaux de cette mission ont t nourris des dbats franais et internationaux qui se dveloppent propos des usages et des contenus sur linternet. Je veux remercier chaleureusement tous ceux qui ont accept de novembre 1999 mai 2000 de participer cet exercice lors de nombreux changes, auxquels les recommandations de ce rapport doivent beaucoup dsormais. La contribution des trois rapporteurs, venus de parcours professionnels diffrents et complmentaires, a t particulirement prcieuse la formation des points de vue exprims dans ce rapport. Jean-Philippe MOCHON, auditeur au Conseil dtat en a coordonn la rdaction avec rigueur et imagination ; Daniel KAPLAN, auquel linternet en France doit dj beaucoup a permis une apprhension prcise et sans tabous de la socit en rseaux ; et Jacques LOUVIER, magistrat, connaisseur exigeant du droit de la communication, mit au service de ces travaux une exprience confirme de la rgulation. Enfin, ma gratitude va lquipe du SJTIC et plus particulirement Axelle HOVINE et Katia OUASCA qui ont facilit jusqu son terme la conduite de cette mission, ainsi qu Antoine GREZAUD, Laurence de SUSANNE et ric SCHMIDT qui, des titres divers, nont pas mnag leurs efforts. La migration qui mne la France vers la socit dinformation vient de connatre des annes passionnantes. Que soient galement salus quelques acteurs de cette priode, dont les apports stimulants sont trs prsents dans les pages qui suivent, et plus particulirement Isabelle FALQUE-PIERROTIN, Meryem MARZOUKI, Patrick BLOCHE, Philippe CHANTEPIE, Stphane BOUJNAH, Francis LORENTZ, Grard MOINE et bien sr Jean-Nol TRONC. s

Christian PAUL

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SommaireAvant-propos Introduction..............................................................................................................

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Vers un Forum des Droits sur linternet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Linternet nest pas un monde part . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Linternet pose de rels dfis au droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Trois approches de la rgulation des usages . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . La corgulation : une mthode, non une source de droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un organisme dun nouveau type est ncessaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Pour un Forum des Droits sur linternet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Une structure ouverte et souple . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un mode de travail original, fond sur la recherche du consensus . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . Un organisme dot de moyens daction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

I La rgulation de linternet : des responsabilits partagesA La socit de linformation et sa rgulation : des questions nouvelles

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1 Comprendre linternet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 Un nouvel ge du rseau qui pose des questions indites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Une demande complexe de rgulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 Le droit sapplique sur linternet mais il doit parfois tre redfini . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 - Une rgulation mondiale de linternet doit se mettre en place . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

B La socit de linformation a vu se dvelopper des scnarios de rgulation originaux

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1 La rgulation communautaire: la netiquette et les instances de gouvernance de linternet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 La rgulation lintrieur des mcanismes de march : lautorgulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Le rle important des associations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 La perspective dune rgulation par linternaute . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

C De nouveaux dfis poss la rgulation publique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .1 De nouveaux dfis pour appliquer le droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 De nouveaux dfis pour laborer le droit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 La rgulation de la communication audiovisuelle ne doit pas tre applique linternet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 La rgulation de la tlmatique anonyme nest pas transposable linternet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 Une ncessaire coordination des instances de rgulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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II Pour favoriser la corgulation de linternet : un organisme de type nouveau . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .A Un espace dchange et de coopration entre les acteurs de la rgulation...................

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B La comptence de lorganisme : tous les contenus et les usages de linternet dans le respect des comptences des instances existantes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .1 Une comptence gnrale de rflexion et de proposition sur les contenus et usages de linternet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 Une comptence complmentaire par rapport aux rgulations sectorielles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 Des domaines dintervention privilgis . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

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C Des modes dintervention multiples . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

1 Ce que ne fait pas le Forum des Droits sur linternet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91 2 Le rapprochement des points de vue et la production de recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94 3 Une mditation entre les grandes catgories dacteurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95 4 Une mission de vigilance et dalerte . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97 5 Un rle de pdagogie sur les enjeux juridiques de linternet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 98 6 Les actions internationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99 7 Le soutien lautorgulation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 100

III Le Forum des Droits sur linternet : statut et conditions de fonctionnements . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101A Une organisation originale et ouverte, qui traduit la vocation particulire du Forum et la diversit de ses missions . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1031 Principes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103 2 Organisation : trois cercles concentriques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 103

B Un fonctionnement destin organiser les dbats et rechercher les consensus

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1 Reconnaissance dune question traiter par le Forum . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 2 Prparation du dbat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 3 Organisation du dbat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 4 Rdaction de recommandation et/ou publication de la synthse de la discussion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 111

C Un statut adapt la nature du Forum des Droits sur linternet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1131 Les principes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 113 2 Une association de la loi du 1er juillet 1901 pour crer lorganisme . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 114 3 Une association conforte par la loi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 116 4 Mode de financement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 117

D Estimation des moyens ncessaires au fonctionnement du Forum des droits sur linternet . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1191 Moyens humains . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 2 Moyens matriels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119 3 Moyens daction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 119

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 121 Annexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 125- 12 -

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IntroductionVers un forum des Droits sur linternet

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IntroductionLinternet nest pas un monde part mesure que linternet pntre dans la vie quotidienne des franais travers leurs coles, leurs lieux de travail, leur domicile, leurs associations ou leurs institutions publiques la profondeur de son impact sur la vie conomique et sociale devient plus vidente. Les questions se multiplient ; les enjeux gagnent en importance. Et linternet lui-mme change. Ses utilisateurs deviennent la fois plus nombreux, plus htrognes et moins spcialistes. Linternet les intresse moins comme concept que pour les bnfices pratiques (ou ludiques) quils peuvent en tirer. De nouveaux acteurs conomiques mergent. Les entrepreneurs du Web sont gnralement loin de partager la culture universitaire et collective des pionniers de linternet. Lutopie internet sestompe, parce que linternet est partout. Linternet est une infrastructure, sans doute linfrastructure la plus importante de la socit de linformation en mergence. Il a ses professionnels, ses rgles, mais il ne constitue pas un monde part : une infrastructure est avant tout le support dactivits humaines. Sur linternet, des personnes et des entreprises relles, situes quelque part dans le monde, mnent des activits relles. Le contrat social qui les rgit est le mme que celui qui sapplique dautres personnes trangres linternet. De nombreux rapports lcrivent, des articles le rappellent, la jurisprudence le confirme : linternet nest pas en lui-mme un vide juridique. Il ne remet pas en cause les fondements de notre droit.

Linternet pose de rels dfis au droitEn revanche, il est clair que linternet pose au droit des problmes nouveaux et multiples. Des problmes de qualification dabord : une vente aux enchres sur linternet a-t-elle les mmes caractristiques que son homonyme en salle des ventes ? Un intermdiaire technique est-il un simple transporteur doctets ou un maillon dune chane de responsabilits telle que la dcrit le droit de la presse ? Des problmes dapplication ensuite : comment retrouver derrire divers masques numriques lauteur dun dlit ? Comment obtenir dun intermdiaire technique amricain lidentit de lauteur franais dune page ngationniste, sachant que ce dlit nen est pas un aux tats-Unis ? Les questions juridiques que pose linternet ne se limitent pas, loin de l, aux contenus illicites ou prjudiciables, autour desquels sest souvent polaris le dbat sur la rgulation de linternet. Linternet est un lieu dexpression et de cration, mais aussi de travail, de commerce, de pouvoir. Dans les priodes rcentes, on a pu voir merger des dbats dans le domaine des contenus bien sr (responsabilit des intermdiaires techniques, droit limage, racisme ou ngationnisme, pdophilie), mais aussi du droit du travail (accs des syndicats lintranet de lentreprise, accs de lemployeur au courrier lectronique des employs), du droit civil (signature lectronique), du droit commercial (contrefaon, marques et noms de domaines, ventes aux enchres, informations boursires), de la protection des consommateurs

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(pratiques commerciales des fournisseurs daccs internet ou des sites de commerce lectronique, publicit, commercialisation de mdicaments interdits ou sans prescription mdicale), de la protection de la vie prive, des droits dauteur, du pluralisme voquer la rgulation de linternet, cest sintresser aux contenus, mais au-del, aux usages. Plusieurs caractristiques sont communes ces dbats rcents. Ils doivent trouver une solution rapide, soit du fait de la dynamique de ngociations internationales, soit parce que labsence de rponse dstabilise une profession, soit du fait de la pression dune partie de lopinion qui demande durgence une intervention. Mais le temps du lgislateur ou du juge nest pas et ne peut gnralement pas tre celui de linternet. Ils ncessitent, pour tre correctement instruits, la prise en compte dlments juridiques, conomiques, technologiques, sociologiques, et lcoute de trs nombreux points de vue manant dacteurs dont la reprsentativit dans un univers mergent tel que celui de linternet dcoule de leur capacit mettre des propositions construites, plutt que de critres objectifs. Ils ne peuvent tre entirement rsolus lchelle nationale, voire mme lchelle europenne. Linternet ncessite de repenser la manire de produire le droit.

Trois approches de la rgulation des usagesMais comment ? Les trs nombreuses auditions auxquelles la mission a procd, la lecture des contributions crites et des changes sur le forum en ligne, ont fait merger trois positions assez tranches. La premire, relativement minoritaire, consiste refuser toute intervention extrieure sur linternet, qui serait capable de se rguler tout seul. Elle sappuie sur le double sentiment, que le cyberespace est un territoire nouveau et dissoci de lespace physique, et que les rgulateurs et juges du monde rel sont condamns linefficacit dans ce monde fluide, sans pice didentit et sans frontires. Nous croyons cette analyse dpasse. Les internautes sont de vraies personnes qui rsident quelque part et ne sont gnralement pas prts sexpatrier pour le seul plaisir de publier les photos dnudes dune top model. Les entreprises actives sur linternet ont un sige social, des tablissements, des comptes en banque. Les changes, les actes commerciaux, les dlits y sont bien rels, avec des consquences tangibles sur des personnes relles. Et en outre, avec un peu de comptence et de coopration internationale, lexprience montre quil est le plus souvent possible de retrouver la trace dun dlinquant. Laffaire I loveYou le dmontrera-t-elle une nouvelle fois ? Un second courant considre que les tats et les institutions dmocratiques ne sont pas les mieux mme de rguler les activits sur linternet, parce quils sont trop lents, trop peu au fait des ralits techniques et commerciales, et cantonns dans leurs frontires. Il reviendrait alors aux acteurs conomiques en pratique, les entreprises, conscientes du fait que leur rentabilit terme repose sur la confiance des consommateurs de proposer, voire dimposer des codes thiques et des pratiques dautorgulation, que la loi ou la jurisprudence peuvent ensuite venir consacrer. Sans mconnatre la fcondit de telles pratiques, dont les rsultats sont gnralement considrs comme positifs dans des domaines tels que la publicit (BVP) ou la vente distance (FEVAD), il est clair que les relations sociales ne se limitent pas des relations marchandes. Dune part, il existe dautres formes de rgulation prive (individuelle, communautaire), parfois en conflit avec les formes dautorgulation marchande. Et dautre part, lintrt gnral nest pas simplement le point de rencontre entre lintrt des agents conomiques et celui des consommateurs solvables. Lautorgulation jouera un rle, mais ne saurait occuper tout lespace de la rgulation.

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La troisime attitude considre que les institutions existantes et les processus dmocratiques suffisent, et sont seuls lgitimes, traiter des questions juridiques poses par les usages de linternet. Cest la justice de trancher les cas individuels et de construire peu peu une jurisprudence, et au lgislateur de faire voluer ou clarifier les rgles l o cest ncessaire. La lenteur, limperfection, la conflictualit du processus sont la marque normale du fonctionnement dmocratique et ne doivent pas tre craints. Toute autre mthode poserait des problmes insolubles de reprsentativit, de comptence et de lgitimit, et risquerait de donner aux intrts conomiques les mieux organiss une influence disproportionne sur la dfinition des rgles ou des pratiques de rfrence. Si cette analyse est incontestable sur le fond, elle connat des limites dun point de vue pratique. Lexprience des derniers mois montre que les contraintes temps, charge de travail, moyens du lgislateur et du juge ne permettent pas aujourdhui ces deux piliers de la vie dmocratique de traiter en totalit la diversit et la complexit des questions indites poses par linternet.

La corgulation : une mthode, non une source de droitSi les institutions dmocratiques veulent remplir leur rle sans se trouver court-circuites par la ralit, elles doivent tre capables de traiter les questions poses avec la rapidit et la pertinence ncessaires. Elles doivent le faire en coutant davantage, en collaborant mieux avec lensemble des acteurs et des parties prenantes aux dbats. Elles doivent savoir se focaliser sur les sujets dont les enjeux sont essentiels et o leur intervention est dcisive, et laisser diffrentes formes pas uniquement marchandes dautorgulation sexercer l o elles suffisent rpondre aux attentes sociales. Il sagit donc, non pas de dfinir une nouvelle source de droit, une nouvelle forme de rgulation, mais de trouver une mthode adapte aux temps nouveaux. Cest cette mthode que dsigne le terme de corgulation. Elle part de lide que, compte tenu de la nouveaut des sujets traiter ainsi que de la diversit des acteurs concerns, il importe dassurer la rencontre entre les points de vue, voire, quand cest possible, de faire natre des consensus. En ce sens, la corgulation doit sappliquer permettre la rencontre difficile entre le temps de linternet et le temps des institutions. Mais, cette premire dimension, sajoute la remise en cause des tats-Nations par des rseaux mondiaux qui nient les frontires(1). Il serait hasardeux de formuler un pronostic sur lissue de cette confrontation, mme sil est demble permis de penser que la rsistance aux impratifs dune socit mondialise intgre au moyen du march (Habermas(2)) est lun des enjeux de ce temps. Pour lheure, la corgulation figure parmi les moyens de rduire la fracture entre lespace des rseaux, qui est mondial, et lespace des dmocraties qui reste national ou continental.

Un organisme dun nouveau type est ncessaireCest vrai, la suite dune priode rcente marque par une vague de drglementation est apparue la recherche dun nouveau type de droit, fond sur la rgulation. Sous la bannire de ce concept riche dacceptions multiples, on a assist en France et ailleurs des dmarches diffrentes et parfois

(1) Pour apprhender cet impact, lire les travaux fondateurs de Manuel CASTELLS, Lre de linformation, FAYARD (trois tomes, 1997-1999). (2) Aprs Ltat-Nation, Jrgen HABERMAS, Fayard, 1999.

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contradictoires(3). Ici, la drglementation, a succd la privatisation du droit. Ailleurs, au droit crit par ltat, celui prescrit par des autorits administratives indpendantes. Dans lapproche diffrente que retient ce rapport, la rgulation sera entendue comme la transposition dans la socit de linformation, lge de linternet, de principes jusquici reconnus dans les socits dmocratiques. Si des rgles doivent tre forges ou adaptes, cest bien pour assurer le respect de principes aussi incontournables que, par exemple, la libert dexpression et le pluralisme des opinions, la protection des enfants ou des consommateurs, la diversit culturelle ou le respect de la concurrence. Cest dans ce cadre que reste lgitime la rgulation publique par la loi et les juges. Cest aussi ce titre que les rgulations prives individuelles, communautaires ou conomiques doivent tre encourages. La corgulation nat de lexistence reconnue de ces deux dynamiques. Cette mthode a besoin, pour sappliquer, de lexistence dun forum permanent, dot de certains moyens daction et de fonctionnement. Il doit sagir dune entit nouvelle. Ce choix politique majeur fait par la France a t annonc par Lionel JOSPIN Hourtin en aot 1999. Tout indique que cette orientation doit tre confirme. Trs clairement, aucune des autorits administratives indpendantes existantes ne peut jouer ce rle. Ainsi lAutorit de rglementation des tlcommunications (ART) est comptente sur linternet en tant quinfrastructure, mais pas sur ses usages qui font lobjet de la prsente mission. Sagissant du Conseil suprieur de laudiovisuel (CSA), qui est dot en ltat actuel de la lgislation dune comptence de principe sur les services de linternet ne ressortissant pas de la correspondance prive, sa mission, sa composition et ses modes daction ne peuvent pas prendre en compte la ralit prsente et future de linternet. Une nouvelle modification de la loi de 1986 sera ncessaire pour exclure sans ambigut les usages de linternet y compris les usages audiovisuels de son champ dintervention. Lun des fondements de la lgitimit de lintervention du CSA est la raret structurelle des frquences, des canaux ou des oprateurs de bouquets. Cette raret, qui confre une influence particulire quiconque dispose du droit doccuper une part de lespace, cette raret disparat sur linternet. Les acteurs de linternet ne se voient pas attribuer une portion de lespace public, comme cest le cas lorsquune frquence est alloue. Enfin, il est impossible de faire la diffrence entre de rels actes de communication publique au sens de lesprit de la loi de 1986 mdias, publications, communication politique et dautre part, des sites web dont les vocations sont pourtant diffrentes : communication commerciale (boutiques en ligne, sites plaquette, sites de relation clientle), diffusion de son CV par un individu, change via le web entre les membres dune famille La rgulation par le CSA des seules communications audiovisuelles sur linternet ne fait pas plus de sens, dans la mesure o la continuit entre texte, image fixe, son et image anime deviendra de plus en plus grande. Tel site dentreprise diffusera de temps en temps un discours de son prsident, tel autre senrichira dillustrations musicales diffuses en continu, tel autre mariera troitement vido, texte et interactivit. Certains produiront, dautres diffuseront ou mettront en place de simples liens, dautres feront lun et lautre, diffrents moments de la journe(3) Cf. Mireille DELMAS-MARTY, Trois dfis pour un droit mondial, Seuil, 1998.

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Pour autant, les objectifs poursuivis, pluralisme, des opinions, accs de tous la culture, soutien la cration, protection de lenfance, demeurent valides et essentiels. Mais les moyens daction doivent changer.

Pour un Forum des Droits sur linternetAu terme de cette mission, la principale recommandation transmise au gouvernement concerne la mise en place dun Forum des Droits sur linternet, premier organisme dot dune mission dintrt gnral qui soit conu pour pouvoir fonctionner entirement en ligne. Cet organisme dun genre nouveau, qui devrait tre constitu comme une association mais pourrait voir son rle ultrieurement consacr par la loi, nest pas une autorit administrative indpendante. Il ne fixe pas de rgles, ne labellise pas de codes dontologiques et ne statue pas sur des cas individuels. Son rle est de favoriser ladaptation de lensemble du droit et de ses pratiques au contexte nouveau de la socit de linformation. Le rle de lorganisme se dfinit par consquent, non par son champ dintervention, mais par la nature de ses actions. Le champ dintervention de lorganisme couvre en effet lensemble des questions juridiques souleves par les usages de linternet : contenus, libert dexpression et pluralisme, vie prive, commerce et concurrence, protection des consommateurs, proprit intellectuelle, etc. Il exclut en revanche les questions relatives linfrastructure de linternet soi-mme, sur lesquelles la comptence de lART est pleine et entire. Il na pas sembl possible de dlimiter par avance le champ dintervention de lorganisme, tant les questions pouvant tre souleves sont vastes, diverses et appeles recouvrir de nombreux domaines. En revanche, lorganisme organisera son travail en coordination avec les autorits publiques autorits administratives indpendantes notamment susceptibles dtre concernes par les questions quil soulve. Des modalits de saisine et de demande davis seront prcises. Le Forum des Droits sur linternet est donc avant tout un espace de rencontre entre la rgulation publique et lautorgulation, entre les attentes des acteurs conomiques et des utilisateurs du rseau. Son rle est damliorer linformation des acteurs et des utilisateurs, dassurer un travail de vigilance internationale sur les questions relatives aux usages de linternet, et dorganiser le dbat sur les questions juridiques souleves en France et ltranger de manire, dune part faciliter laction du lgislateur, et dautre part favoriser lexercice des diffrentes formes dautorgulation, sous rserve que celles-ci rencontrent un large assentiment. Sa prsence permanente dans les dbats internationaux devra contribuer carter toute vision trop hexagonale des sujets voqus. Outre son rle dinformation du public et de veille, qui se traduira de manire concrte par un travail de recueil dinformation et de publication, la fonction principale du Forum consiste donc reconnatre lexistence de questions juridiques traiter, puis organiser et structurer le dbat sur ces questions, en utilisant des mthodes de recherche de consensus dj prouves sur linternet. Cette approche du dbat et du consensus est essentielle. Lampleur et la diversit des questions juridiques poses par lInternet et lmergence de la socit de linformation ne permettront pas un comit unique, aussi large soit-il, de prendre lui-mme des positions de qualit sur tous les sujets traiter. Le Conseil qui formera le noyau du Forum peut en revanche chercher faire merger un consensus ou au contraire, rendre compte de divergences au terme du dbat.

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Une structure ouverte et soupleIl nest pas possible de formuler des rgles de reprsentativit de lensemble des acteurs de linternet et de la socit de linformation, dune part, parce quil sagit potentiellement de tout le monde, dautre part, parce que certains secteurs (les professionnels, les entreprises) sont mieux organiss que dautres (les utilisateurs, les consommateurs). Lorganisme doit donc prendre la forme dune structure particulirement ouverte et souple, et ses ventuelles dcisions ou prises de position ne peuvent relever dun simple vote la majorit. Depuis son origine, linternet a connu et permis, pour des activits de standardisation par exemple, de telles formes labores de concertation permanente, y compris lchelle mondiale. Le Forum sorganiserait en trois cercles concentriques : Au centre, un Conseil de 15 membres, charg de reconnatre ou de soulever les questions traiter, dorganiser le dbat et de piloter les missions permanentes dinformation et de veille qui seront confies lorganisme. En relation constante avec les pouvoirs publics, le Conseil doit avoir galement pour mission de faciliter les changes entre les acteurs multiples de la rgulation. Le Conseil est dsign, dune part par les pouvoirs publics (4 membres) et dautre part par les membres associs, associations dacteurs conomiques, de citoyens, de consommateurs, de collectivits locales. Ces membres qui constituent un second cercle se rpartissent en deux collges (acteurs conomiques et utilisateurs) qui dsignent chacun 4 membres, selon des modalits destines assurer une trs forte lgitimit aux membres lus. Trois personnalits qualifies sont ensuite dsignes par consensus entre les 12 membres lus. Le troisime cercle est compos du rseau en gnral, cest dire de tous les citoyens et des acteurs conomiques et sociaux dsireux de prendre part aux dbats ouverts organiss par lorganisme.LE RSEAU (dbat ouvert)

MEMBRES ASSOCIS 2 collges : Acteurs conomiques Utilisateurs Personnalits qualifies (3) Pouvoirs publics (4) Membres acteurs conomiques (4) Membres utilisateurs (4) LE CONSEIL Correspondants Gouvernement Autorits administratives indpendantes

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Un mode de travail original, fond sur la recherche du consensusLorganisme peut tre saisi dune question par les pouvoirs publics, ou dcider lui-mme, de son propre chef ou suite la sollicitation dun acteur, de soulever une nouvelle question. Il organise ensuite une consultation pralable de ses membres et des autorits publiques, runit les pices du dbat, puis ouvre le dbat public. Celui-ci se droule dans la transparence, physiquement et en ligne. Au terme du dbat, qui est anim par lorganisme et fait lobjet de synthses et points rguliers, le Conseil peut, soit constater lexistence dun consensus et sen faire le relais, soit constater que des divergences subsistent entre les participants au dbat. Dans ce second cas, il ne prendra de position que sil est capable datteindre une majorit qualifie des trois quarts en son propre sein, et se fera lcho des positions divergentes. En labsence dune telle majorit qualifie, la production du Forum est une simple synthse du dbat, sans recommandation.

Un organisme dot de moyens dactionLe Forum doit avoir les moyens dagir. Seule une structure dote dune personnalit morale et dune existence concrte pourra organiser de manire large et efficace des dbats ouverts, physiquement et sur le web, jouer un rle actif dinformation du public, et assurer un travail de vigilance internationale, la production de recommandations, voire lexercice de mdiations entre catgories dacteurs. Le budget annuel ncessaire se situe aux alentours de 10 millions de francs. Le financement public constituera la meilleure garantie de lindpendance et du fonctionnement ouvert du Forum. Aussi, sil est possible de constituer rapidement le Forum sous la forme dune association, rgie par la loi de 1901, une reconnaissance lgislative deviendra certainement ncessaire.

Les propositions issues de cette mission, si le Gouvernement entend leur donner une traduction oprationnelle, ne rpondent pas, loin de l, tous les dfis dont linternet est porteur. La lutte contre la cybercriminalit, par exemple, rclame des moyens puissants qui, pour la plupart, ne relvent pas dune panoplie juridique. Mais linverse de rflexions antrieures sur la dontologie des contenus, ces propositions mettent en avant une mthode globale daction, fonde sur lobservation de la socit de linformation et la conviction que de nouvelles rgulations dmocratiques doivent sans attendre se construire. s

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La rgulation de linternet : des responsabilits partagesNi vide juridique, ni Far West o tout resterait btir, linternet pose pourtant de nouvelles questions de droit et de socit. ce jour, ces questions se rsolvent dans la pratique par un mlange dautodiscipline des acteurs et dapplication du droit commun avec quelques adaptations. Mais les spcificits de cet espace et la nouveaut des enjeux qui y apparaissent incitent un renouvellement des modes de rgulation.

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A La socit de linformation et sa rgulation : des questions nouvellesLe dveloppement trs rapide de la socit de linformation fait natre de multiples questions nouvelles de droit et de socit. Les craintes irraisonnes sur le vide juridique que constituerait linternet se sont maintenant dissipes, puisque le droit existant est applicable sur le rseau comme il lest dans la socit en gnral. On peut considrer quen France ce dbat est dsormais tranch(4). Mais on commence seulement prendre la mesure des vritables questions de rgulation et dadaptation du droit que pose un internet o apparaissent des enjeux croissants en termes de pouvoir et dargent.

1 COMPRENDRE LINTERNETLinternet doit au dpart tre analys comme une simple infrastructure de communication. Fonde sur le principe dun rseau sans tte, lide de linternet est ne dans les annes 1960 au sein de cercles lis larme amricaine(5), mais sa ralisation a t confie un groupe duniversits. Le rseau qui devait devenir linternet a dabord servi aux changes informatiques au sein de la communaut scientifique (et non aux changes militaires, comme on le dit trop souvent), avant de devenir accessible aux entreprises et au public.

Une "fdration sans tte"Comme son nom lindique, linternet (inter-rseau) est destin raccorder des rseaux informatiques. Il repose au dpart sur un simple protocole technique, dnomm TCP/IP. Comme un rseau routier, linternet est compos dun ensemble de rseaux (les routes) construits sparment les uns des autres, mais physiquement connects (croisements et changeurs), et qui utilisent un langage de communication basique (TCP pour Transmission Control Protocol) et un systme dadressage commun (IP pour Internet Protocol). Pour devenir une composante de linternet, un rseau a pour seule obligation de se connecter un autre rseau dj raccord, et dobtenir une ou plusieurs adresses qui lui permettront dmettre et de recevoir. Est connect linternet tout terminal (ordinateur, tlphone, dcodeur numrique) qui dispose dune adresse IP, qui lui permet de communiquer avec tous les autres terminaux raccords. Il nexiste donc aucune autorit centrale de linternet, si ce nest celle qui reoit la charge essentiellement administrative de superviser lallocation des adresses : lInternet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN), organisation internationale non-gouvernementale installe en Californie. Cest a posteriori que lon peut dresser une topographie de linternet, mais celle-ci ne rsulte daucune planification pralable.(4) Cette rflexion avait t bien synthtise dans le rapport du conseil dtat, Internet et les rseaux numriques, 1998. (5) Il sagissait de partager des informations et de garantir la continuit des communications mme dans le cas dune attaque sur les centres de commandement.

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Des paquets dinformation libres et gaux entre euxSur linternet, les informations quelles quelles soient (textes, programmes informatiques, images, sons, conversations tlphoniques) circulent sous forme numrique et sont dcoupes en paquets. Le rle du rseau est dacheminer les paquets vers leur destination (matrialise par ladresse IP), en les transmettant par sauts dun nud du rseau un autre. Chaque paquet est transmis de manire indpendante et peut suivre un chemin diffrent des autres, le terminal se chargeant de rassembler les morceaux reus et ventuellement de les remettre en ordre. Un tel modle prsente plusieurs avantages en termes de robustesse et de cot. Il rend pratiquement impossible la mise en place de dispositifs de contrle ou dcoute rellement efficaces(6). En revanche, il ne permet pas de garantir une qualit de service en termes de dbit (vitesse de transmission), de dlai darrive des informations, etc. Plusieurs initiatives en cours visent remdier cette limitation, sans doute au prix dune diffrenciation du service en fonction du prix pay par les utilisateurs.

Diffrencier infrastructure et usagesPure infrastructure, linternet ne possde donc pas (du moins pour linstant) dintelligence propre, au del de celle qui consiste acheminer les paquets dinformation dun point un autre. Lintelligence rside aux extrmits du rseau, dans les appareils (aujourdhui pour lessentiel des ordinateurs) qui y sont connects. Il nexiste donc, par construction, pas de diffrence fondamentale entre un serveur (qui distribue des services et des informations) et un terminal (qui accde aux services et informations) : la terminologie technique dsigne dailleurs tout appareil dot dune adresse comme un serveur (host). Tout appareil connect est donc en principe capable de se connecter avec tous les autres "serveurs", o quils se trouvent. la diffrence du rseau routier, linternet en tant quinfrastructure ne connat donc pas les frontires, ne sait mme pas quand il les franchit. Linternet ne fixe pas non plus de limite la nature des usages qui sont faits de son infrastructure. Des milliers dapplications diffrentes font usage du rseau. Les plus connues et utilises sont le courrier lectronique (e-mail), le Web et les groupes de discussion (newsgroups). Mais les usages de linternet voluent sans cesse. Il y a six ans, le Web tait un systme confidentiel pratiquement rserv aux chercheurs. Des applications telles que la messagerie instantane, la tlconfrence, lchange de fichiers musicaux, etc., ntaient mme pas imagines. Dans cinq ans, des usages que nous ne connaissons pas aujourdhui rassembleront des millions de personnes.

(6) Mme un systme aussi lourd quEchelon ne peut pas "couter" une part significative des changes sur linternet. En outre, moins la topologie de linternet donnera dimportance aux nuds dinterconnexion amricains, moins de tels dispositifs seront efficaces : la part des communications Internet entre pays europens qui transitent par les tats-Unis serait ainsi passe en un an de prs des deux tiers, moins de 40 %.

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Et demain ? Que fera-t-on sur linternet ?(7)Linternet de 2005 ressemblera peu celui que nous connaissons. Une srie de ruptures technologiques se profilent, qui transformeront en profondeur lexprience que chacun fera de linternet et donneront naissance des usages entirement nouveaux : Gnralisation des hauts dbits. Les communications tlphoniques passeront de plus en plus par linternet. Lusage de limage, du son, de la vido se gnralisera. partir dun site Web, il sera par exemple possible dentrer en communication visiophonique avec un correspondant pour changer, travailler ou commercer avec lui. Multiplication des appareils communiquants. Les appareils mnagers, les tlviseurs, les colis, les machines-outils, les distributeurs automatiques seront des terminaux internet. Lordinateur traditionnel reprsentera une part de plus en plus faible (quoiquencore importante) des usages. Le domicile sera quip dun rseau domestique reliant entre eux tous les appareils lectroniques et lectromnagers. Connexion permanente. Tous les terminaux connects au rseau le seront en permanence. Ils disposeront de leur propre page Web permettant, par exemple, de les piloter ou de les dpanner distance. Des applications dalerte, de tlmaintenance, de mise jour automatique dinformations ou de logiciels se gnraliseront. Mobilit. Des appareils mobiles aux formes et aux fonctions varies seront connects au rseau, des dbits qui permettront de marier communication tlphonique (ou visiophonique), rception audiovisuelle, services personnels (information, scurit, jeux), etc. Les entreprises pourront offrir de nouveaux services leurs clients, ou encore rester plus facilement au contact de leurs employs itinrants ou tltravailleurs. Qualit de service et scurit. Linternet sera le support dapplications vitales telles que les rseaux dentreprise multi-sites, les changes entre bureaux dtudes, la tlsurveillance, les communications de scurit, ou dautres usages ayant un besoin critique de temps rel ou de scurit. Gestion de linformation et des connaissances. Linformation sera plus facile trouver et exploiter. Des services de plus en plus personnaliss dlivreront une information adapte aux caractristiques et aux besoins de chaque utilisateur, et prendront en compte le contexte dans lequel celui-ci se trouve un moment donn : son bureau, au domicile, en dplacement

Les contenus de linternet : la chane des intervenantsTechniquement, les contenus et les usages finaux ne sont connus ni de linternet en tant que rseau, ni des acteurs intervenant dans la chane technique de fourniture du service.CONTENU Auteurs, producteurs, diteurs, distributeurs, utilisateurs...

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(7)) Tir des travaux de la Fondation Internet Nouvelle Gnration (FING, http://www.fing.org).

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On peut schmatiquement dcrire les principaux acteurs du Web (qui nest quune des formes dutilisation de linternet) comme suit sans toutefois oublier que, dans la pratique, les frontires ne sont pas clairement dfinies et que de nombreux acteurs peuvent jouer plusieurs rles : Les fournisseurs daccs Internet permettent aux utilisateurs (particuliers) et entreprises de se connecter au rseau. On distingue gnralement trois niveaux de fournisseurs daccs internet (FAI) : les dtaillants (abonns individuels ou trs petits tablissements), les grossistes (connexions dentreprises) et les colonnes vertbrales (backbones) dont les clients sont pour lessentiel les fournisseurs daccs des deux autres catgories. On peut simaginer les FAI comme des tronons du rseau routier, de taille et de porte diffrentes, relis entre eux au travers de grands nuds dinterconnexion (sortes dchangeurs ; en France : GIX, SFINX) ou daccord bilatraux (les carrefours). Les FAI connaissent les protocoles techniques utiliss par leurs abonns (http pour le Web, smtp pour le courrier lectronique), mais pas le contenu de leurs changes. Les fournisseurs de services internet (ISP, pour Internet Service Providers), qui mettent disposition les outils et services permettant de construire un site Web et soccupent de lexploitation technique du serveur, bien souvent en louant un espace sur des machines quils possdent. Le spectre des prestations est trs large et stend jusquaux serveurs de pages personnelles cres et gres par les utilisateurs euxmmes. Les crateurs et exploitants de sites, qui peuvent eux-mmes se subdiviser en auteurs, prestataires, diteurs, distributeurs, portailsDe trs nombreuses combinaisons sont possibles dans ce contexte. Le responsable dun site peut trs facilement dmnager son site dun serveur vers un autre, situ nimporte o dans le monde, y compris en conservant son adresse sil dispose de son propre nom de domaine(8). Il peut galement dcider de rcuprer son contenu sur ses propres machines, ou au contraire de recourir au relatif anonymat des serveurs communautaires qui proposent chacun de crer son propre site Web. Cette dissociation entre contenus et prestation technique prend dautant plus dimportance que le volume des informations cres et diffuses sur le Web prend des proportions considrables. On dnombre plus de 10 millions de sites Web dans le monde (et plus de 100 000 en France), compte non tenu des pages personnelles qui sont au moins aussi nombreuses. La situation est profondment diffrente de celle du Minitel, qui plafonne 25 000 services, dont pratiquement aucun nest propos par des individus.

(8) Un nom de domaine traduit une adresse Internet (compose dune suite indigeste de 12 chiffres) en un nom plus mnmotechnique, tel que masociete.com. Pour changer de serveur tout en conservant son nom, il suffit de demander au registre charg du nom de domaine de modifier ladresse IP laquelle correspond le nom.

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NOUVEL GE DU RSEAU QUI POSE DES QUESTIONS INDITES

De linternet communautaire linternet grand public : nouveaux publics, autres attentesDe ses origines, linternet conserve larchitecture dcentralise. Avec son appropriation par les scientifiques et les informaticiens, cette dcentralisation sest combine avec une pratique nouvelle dchange, de partage et de collaboration. Le modle technique est devenu un modle de comportement communautaire. Poussant le modle plus loin, certains des premiers internautes ont alors dvelopp propos de linternet une philosophie qui voit dans le cyberespace un lieu idal, dbarrass des contraintes du monde rel, totalement libre et souverain. Louverture commerciale a largi considrablement le primtre des acteurs et des utilisateurs de linternet, et diversifi la nature des usages et des contenus que celui-ci vhicule. Linternet a aujourdhui un impact majeur sur le fonctionnement des entreprises et des marchs du monde entier ; il joue un rle croissant dans linformation, lducation, la culture, les loisirs de centaines de millions de personnes ; dans plusieurs pays, il reprsente dj un puissant facteur douverture et de dmocratisation. Mais en mme temps que linternet sest dvelopp, la possibilit et lintrt dexploiter le rseau des fins illicites sont devenus galement manifestes. Louverture de linternet tous donne donc une nouvelle ampleur la question des pratiques illicites sur linternet, dont le caractre mondial, dcentralis et dmatrialis met au dfi les rponses judiciaires traditionnelles.

Linternet marchand : de nouveaux enjeuxLieu dchange dides, linternet est galement un espace dchange de biens et services, ainsi quune place de march sur laquelle se joue une partie de la guerre conomique. La commercialisation des accs aux rseaux et lirruption du grand public dune part, des entreprises de lautre, ont profondment modifi lcologie de linternet. Le dveloppement du commerce lectronique a donn naissance de nouvelles formes dincivilit, de dlinquance ou de litiges : fraude sur les moyens de paiement ou les achats, commercialisation de produits interdits, contrefaon, spam frisant le harclement (courriers lectroniques commerciaux non sollicits), etc. Sur ce nouveau march que constitue linternet, les consommateurs doivent tre protgs contre la fraude ou les commerants indlicats, et les commerants doivent pouvoir compter sur une certaine scurit juridique. Au-del de cette recherche dun cadre juridique fiable pour les transactions, il faut galement assurer les conditions dune saine concurrence au niveau mondial. Lenjeu conomique reprsent par la netconomie, qui concerne tous les secteurs conomiques et toutes les entreprises, rend crucial ce respect de la concurrence. Les alliances entre fournisseurs de contenus et daccs, symbolise par la fusion AOL/Time Warner, font peser le risque dune concentration verticale prjudiciable tant aux consommateurs quaux fournisseurs de services indpendants. La gestion de la ressource rare que constituent pour linstant les noms de domaine et le rle essentiel des portails qui rfrencent les sites prsents sur le rseau, relvent de cette mme problmatique.

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Linternet espace dune nouvelle citoyennetLusage commercial croissant de linternet ne doit pas occulter la dimension non marchande et citoyenne de linternet. Sur linternet comme ailleurs, le march ne suffit pas rguler les rapports sociaux. Pour reprendre lexpression de Jol de Rosnay(9), linternet peut en effet se dfinir comme un cosystme informationnel, cest--dire un ensemble dinterdpendances entre des millions dagents, qui ne sont pas seulement des outils techniques (rseaux, modems, ordinateurs et autres terminaux) mais aussi des intermdiaires spcialiss (fournisseurs daccs et de contenus) et, de plus en plus, chaque organisation et chaque individu. Les systmes de communication qui se multiplient ouvrent ainsi la porte un nouvel espace-temps conomique, sociologique et culturel. Ce nouvel espace-temps a vocation concerner chaque individu dans toutes ses dimensions sociales, conomiques et mme politiques. Linternet, n dans une perspective de partage dinformations entre militaires et de partage des savoirs entre chercheurs, touche dsormais tout le monde, et tous les types dactivit, marchandes ou non marchandes dinformation, de loisir, de consommation, dducation, de citoyennet Le dveloppement de linternet fait donc natre dimportants enjeux culturels et dmocratiques. Il multiplie les capacits dexpression et daction des citoyens et de leurs associations. Les groupes de discussion et le courrier lectronique favorisent la mobilisation des rseaux militants. Grce linternet, les mouvements de contestation de lAMI (Accord multilatral sur les investissements) ou de lOrganisation mondiale du commerce ont pu se dvelopper largement et rapidement et la gurilla zapatiste a pu mieux faire connatre ses positions(10). Au sein des associations ou dautres organisations citoyennes, cest sans doute dans le processus mme dlaboration collective des dcisions que lapport de linternet se fait le plus sentir. La mise en place de forums internes, le travail en commun sur un document dont les versions successives sont mises en ligne, la publication trs rapide des minutes des runions, dessinent une forme nouvelle de dmocratie laborative dans laquelle la distance entre les citoyens (ou les adhrents) et leurs reprsentants se rduit. En outre la demande croissante de transparence quexpriment les citoyens vis vis de leurs institutions trouve aujourdhui des rponses nouvelles grce la technologie. La numrisation des informations et leur disponibilit permanente sur le rseau rendent accessible chacun des documents auparavant plus difficiles daccs, comme les dbats du Parlement, les rapports gouvernementaux ou parlementaires. On discerne donc quelles possibilits nouvelles ouvre linternet pour faire vivre la dmocratie, et quel point il serait erron dy voir seulement le vecteur dune rvolution conomique, sans prendre en compte ses multiples dimensions sociales et politiques. Or, le poids des groupes de communication mondiaux se renforce, avec des fusions de premier plan comme celle dAOL et de Time-Warner. Lapparition dacteurs aussi puissants peut faire craindre pour le pluralisme et la diversit. Il nest sans doute pas de lintrt de ces acteurs dinterdire laccs de quiconque au rseau, mais ils peuvent rendre les expressions marginales de moins en moins visibles ou accessibles. Il importe donc que puissent continuer sexprimer sur linternet les principes fondamentaux du droit de la communication, et tout particulirement que le pluralisme et la diversit culturelle soient assurs.(9) Voir les articles de Jol de Rosnay : La socit de linformation au XXIe sicle : enjeux, promesses et dfis, RAMSES 2000, IFRI/Dunod, novembre 1999, La France et le Cybermonde, Le Monde diplomatique, aot 1997, et sur le site du Carrefour du futur : http://www.cite-sciences.fr/derosnay (10) Sur tous ces points, voir les dveloppements dans La France dans la socit de linformation, la Documentation franaise, 1999.

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DEMANDE COMPLEXE DE RGULATION

La question de la rgulation de linternet doit tre entendue au sens large comme concernant lensemble des rgles sappliquant aux contenus et aux pratiques, quelles rsultent de lintervention dun rgulateur public ou dautres mcanismes(11). Lenjeu de cette rgulation est la transposition des normes de comportement et des valeurs dmocratiques dans le monde des rseaux. Or, la rgulation de linternet fait lobjet de demandes complexes, voire contradictoires. Des quilibres doivent tre trouvs entre liberts et contrles pour satisfaire des aspirations trs diverses, en veillant dun ct la reconnaissance de la primaut des liberts, et de lautre la sauvegarde des droits fondamentaux (protection des mineurs, droit au respect de la vie prive et de la dignit humaine).

Une demande fondamentale : la libert dexpressionLa structure galitaire et dcentralise de linternet sest vite transforme en mtaphore dune socit idale sans contrle, sans hirarchie et sans intermdiaire. Le rseau se prte mal toute forme de hirarchie et lintervention tatique. Se dveloppant et voluant de faon autonome, linternet (en tant que rseau) nest gr par aucun organisme dot dun quelconque pouvoir rglementaire. En cela, il chappe largement dans son fonctionnement quotidien la souverainet des tats. Beaucoup dinternautes affirment un attachement trs fort la libert dexpression rige en principe fondateur. Linternet est vcu comme un espace nouveau de libert dexpression et dchange o toute vellit dintervention des tats est regarde avec mfiance. La tentation existe aussi de rcuser les rgles existantes qui nauraient pas vocation sappliquer dans le cyberespace. Sans nul doute, la libert dexpression doit tre reconnue comme un principe fondamental de linternet. Elle constitue la fois lune de ses conditions de dveloppement et lun de ses acquis. Les rticences des rgimes les moins dmocratiques vis--vis du rseau en sont le tmoignage difiant. En France, la dcision de supprimer la formalit de dclaration pralable des sites web auprs du procureur de la Rpublique et du Conseil suprieur de laudiovisuel tmoigne du caractre premier de la libert dexpression sur linternet(12). Mais la protection des liberts sur linternet nest pas seulement la protection dun acquis. Elle est aussi lobjet de dbats sur lequel des choix dmocratiques, les plus informs et les plus concerts possibles, devront tre faits. Parmi ces choix on peut citer quelques exemples : La question de lanonymat sur le web. Le temps du clbre dessin Sur linternet, personne ne sait que vous tes un chien semble sloigner de plus en plus. Les techniques de marketing utilises par les entreprises, ainsi dailleurs que les progrs de la signature lectronique, tendent une divulgation accrue de lidentit des internautes. Cette volution, qui correspond un tournant de linternet vers le grand public et les usages commerciaux, mrite dtre connue et dbattue. Des parades technologiques cette

(11) Sur les dfinitions du concept de la rgulation, voir De quelques usages du concept de rgulation , par Jacques Chevallier, in La rgulation entre droit et politique, textes runis sous la direction de Michel Miaille, LHarmattan, 1993. (12) La suppression de cette formalit de dclaration pralable est prvue dans le projet de loi en cours de discussion relatif la rforme de la loi du 30 septembre 1986 sur la libert de communication audiovisuelle.

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perte danonymat se dveloppent(13). Lenjeu reste un important lment de discussion. Lamendement BLOCHE tel quadopt en deuxime lecture lAssemble nationale reconnat dans la procdure didentification instaure par le projet darticle 43-6-4 un droit lanonymat, cest--dire en pratique le droit de ne se faire connatre au public qu travers un pseudonyme en faveur des personnes ditant un service de communication en ligne titre non professionnel. La question du pluralisme de lexpression politique. La France est dote dun dispositif trs prcis de rglementation de lexpression politique prvu par le code lectoral et larticle 14 de la loi du 30 septembre 1986. Ces dispositions encadrent la communication politique pendant et en dehors des campagnes lectorales sur les supports radiophoniques et tlvisuels, publics et privs, nationaux et locaux. On peut envisager qu terme les exigences de pluralisme politique qui fondent cette lgislation appellent une transposition dans le domaine de linternet. Il est clair que le contrle des temps dantenne na pas de sens sur le web, et que le pluralisme de la presse crite est garanti non par des contrles, mais par un dispositif de soutien conomique. En revanche, on peut imaginer des scnarios o la convergence et la concentration pourraient rendre ncessaire un suivi du pluralisme politique sur les portails gnralistes.

Une demande de scurit vis--vis des contenus illgauxDes dvoiements du rseau ont pu susciter linquitude dun certain nombre dutilisateurs. Linternet a t prsent comme le rseau de tous les dangers o prolifraient les contenus illicites : les contenus caractre pdophile, les rseaux terroristes, la vente interdite de mdicaments, crainte accrdite par les mdias qui, surtout dans les premires annes dessor du rseau, se sont fait le relais de cette vision. Sans exagrer lampleur des problmes actuellement rencontrs, ni en faire le seul enjeu dune rflexion sur la rgulation de linternet, il faut prendre toute la mesure de la diffusion des contenus illgaux sur le rseau, pour que puisse tre trouve une rponse par lintervention des autorits de police et de justice comptentes. En parallle, la question des contenus illicites et prjudiciables appelle galement une approche prventive. Lautorgulation des acteurs se trouve ainsi sollicite, ce qui prsente la fois des avantages et des risques. Ainsi, les fournisseurs dhbergement sont quotidiennement saisis de demandes qui tendent supprimer laccs des contenus illicites ou prjudiciables. Ils y font droit quand la violation de la loi ou des engagements contractuels souscrits par leurs usagers ne leur parat pas faire de doute(14). De mme, le dveloppement doffres, marchandes ou non marchandes, de dispositifs de filtrage et de lablisation, peut complter cette approche prventive.

(13) La firme canadienne Zero-Knowledge Systems, qui fournit aux internautes des pseudonymes pour naviguer, changer des courriers lectroniques ou participer des canaux de discussion, a galement dvelopp un dispositif de lettres de crances numriques . Au lieu de devoir communiquer leur identit, les internautes utilisant ce dispositif peuvent se borner rvler linformation prcise quexige le site, par exemple quils ont plus de 18 ans, quils sont citoyens amricains ou que leur banque leur a ouvert une ligne de crdit suffisante pour leur permettre de participer une vente aux enchres en ligne. (14) Dans le mois de janvier 2000, lhbergeur Multimania, qui abrite 350 000 sites, aurait, daprs son responsable Michel Meyer, coup laccs 1 000 sites (Les hbergeurs pris de svir. La loi va les obliger la vigilance sur les contenus de leurs sites, article de Florent Latrive, in Libration, vendredi 6 avril 2000). http://www.liberation.com/multi/20000403/20000406.html

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Une demande de protection de la vie priveLa facilit des intrusions ou divulgations de donnes caractre personnel est apparue comme une menace pour la vie prive, les liberts individuelles et publiques. En effet, le rseau est fond sur un principe de communication dadresse adresse qui rend possible, sinon facile, lidentification de lutilisateur. Sur le Web, des traces invisibles qui dfient les principes de la protection des donnes, permettent de dresser des profils comportementaux, un fichage de lindividu constitu partir de donnes collectes son insu(15). Lattrait de sites et de dmarches commerciales personnalises, adapts au profil du consommateur, font de linternaute lui-mme un enjeu de commerce. La protection de la vie prive est donc un important domaine de proccupation des internautes. Mme aux tats-Unis, dabord tenants de la pure autorgulation, la ncessit dune intervention publique pour la protection de la vie prive se fait jour : la Federal Trade Commission sest saisie du sujet(16) et les initiatives se multiplient au Congrs, au point que lon commence voquer lide de crer une Data Protection Agency. De mme, le Canada a adopt le 13 avril 2000 une nouvelle loi sur la protection des informations personnelles et les documents lectroniques destine entrer en vigueur au 1er janvier 2001(17). Dans ce domaine, la France dispose dun cadre lgislatif, la loi Informatique et liberts du 17 janvier 1978, et dune institution spcialise, la Commission nationale de linformatique et des liberts. Cette dernire a naturellement tendu son champ dintervention au monde des rseaux. Les sites mettant en uvre des traitements informatiss dinformations nominatives doivent souscrire une dclaration auprs de la CNIL(18). Ladaptation de la CNIL au monde des rseaux se poursuivra avec une nouvelle loi Informatique et liberts, qui transposera en droit franais la directive communautaire relative la protection des donnes caractre personnel du 24 octobre 1995. Cest une chance pour la France que de disposer dans sa lgislation et dans ses institutions dinstruments dj adapts. Les ngociations avec les tats-Unis sur le niveau adquat de protection des donnes personnelles, qui ont dbouch sur la signature le 15 mars dun accord entre la commission europenne et ladministration amricaine sur le commerce de fichiers nominatifs (Safe Harbor) ont dmontr que lEurope, et la France, disposaient dune relle avance dans la protection des donnes personnelles.

(15) Voir la rubrique Vos traces sur le site internet de la Commission nationale de linformatique, de la communication et des liberts http://www.cnil.fr (16) La FTC a charg un comit consultatif sur laccs en ligne et la scurit dtudier, pour le mois de mai 2000, la question du traitement des donnes personnelles. (17) Cf. http://e-com.ic.gc.ca/ (18) Au mois davril 2000, 4000 sites avaient rempli cette obligation. Cf. http://www.cnil.fr

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La protection des donnes personnelles et le commerce lectronique en FranceLa CNIL a rendu publique le 19 avril 2000 une enqute sur les pratiques en matire de protection de 100 sites franais importants de commerce lectronique(19) . Le bilan densemble est plutt positif : 96 % des sites marchands tudis scurisent la transmission des coordonnes bancaires et 70 % donnent des informations complmentaires sur le dispositif. Enfin, 97 % des sites qui ont la volont de cder les informations des tiers informent les internautes de leur droit de sy opposer. Pourtant des lacunes se font galement jour : 40 % de sites nindiquent pas ladresse physique du responsable du site et 55 % des sites tudis nont pas dclar leurs fichiers la CNIL. Face ces lacunes, la CNIL privilgie une approche pdagogique, en contactant les responsables des sites qui nont pas rempli leurs obligations, et souhaite juste titre une actualisation rapide de la loi Informatique et Liberts du 6 janvier 1978.

Une demande de confiance et de scurit vis--vis du commerce en ligneLe dveloppement de linternet marchand a fait natre une demande de protection visant assurer la scurit des transactions, notamment en matire de loyaut des changes et de scurit des paiements. Lessor des changes sur linternet doit saccompagner de garanties offertes aux utilisateurs, consommateurs et commerants : il ny a pas de commerce sans confiance. De nombreuses tudes tendent dmontrer quun des obstacles au dveloppement du commerce lectronique des particuliers tient lincertitude juridique ressentie par les consommateurs. Le commerce lectronique permet de mettre en relation directe le vendeur et le consommateur final, ce dernier pouvant accder une offre diversifie de services au plan mondial. Un sentiment dinscurit subsiste. Celui-ci est li aux manques dinformation sur lidentit et sur la preuve de lexistence relle de lentreprise offrante, les caractristiques du bien ou service offert, la loi applicable en cas de diffrends avec le vendeur et la valeur juridique des engagements pris en ligne. Cette inquitude est renforce par le manque de connaissances sur les risques lis lutilisation des moyens de paiement en ligne. La divulgation dun numro de carte bancaire rencontre ainsi, en labsence dun dispositif de scurisation solide, de nombreuses rticences face aux risques de piratage de ces donnes mme si lutilisateur nest pas in fine responsable de lutilisation indue de son compte bancaire. De leur ct, les commerants ne bnficient daucune garantie de paiement (sauf dans le cadre du systme de lecteur de cartes bancaires domicile Cyber-Comm) et disposent de peu de moyens daction en cas de problme intervenant au del de nos frontires. Le commerce lectronique provoque galement une mutation de marchs initialement rservs aux socits et tendus aux particuliers. Peu habitus au commerce transfrontalier, ceux-ci se trouvent confronts une absence dinterface ainsi qu une mconnaissance du droit applicable, des recours quils peuvent exercer et des garanties dont ils peuvent disposer.

(19) Cf. http://www.cnil.fr/actu/index.htm

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Des enjeux de protection de la concurrenceParmi les liberts protger sur linternet, la libert du commerce et de lindustrie nest pas la moins sensible. Les services de linternet sont en effet des services nouveaux, avec des enjeux financiers croissants, et souvent des modles conomiques qui se cherchent. Dans ce contexte mouvant, le commerce lectronique entretient des rapports ambigus avec la notion de libre concurrence : son dveloppement repose sur la mise en relation dun nombre croissant de vendeurs et dacheteurs, grce aux potentialits offertes par linternet, mais, en mme temps, chaque acteur a intrt se constituer des clientles captives. Les services que propose linternet posent de multiples questions de respect de la concurrence, sans oublier celles que posent les infrastructures mmes du rseau. On peut en citer quelques exemples. La problmatique de concurrence la plus vidente est celle des portails, qui, par les services quils offrent, entretiennent une concurrence forte, mais qui, pris individuellement, peuvent tre regards comme une forme de restriction de loffre propose aux utilisateurs. Si un portail venait acqurir une position dominante, des conditions de respect de la concurrence pourraient devoir lui tre imposes, par exemple pour la transparence du choix des prestataires(20). La frontire tracer entre informations libres et contenus soumis des droits exclusifs de retransmission peut poser des questions. Ainsi, aux tats-Unis, certaines ligues sportives, et notamment la National Football League en mars 2000, ont dcid de crer des portails afin de centraliser lexploitation des droits de retransmission sur internet, en traitant linternet comme une radio ou une tlvision, qui ferait lobjet de droits exclusifs de retransmission. Cette dmarche pose la question de laccs des autres sites internet des contenus forte audience. En France, des questions comparables pourraient se poser. un autre niveau, la libert du commerce et de lindustrie est galement mise en cause par des alliances ayant vocation constituer des monopoles. Cest le cas du rachat annonc le 7 mars 2000 de la socit Networks Solution Inc., qui a longtemps t la seule socit dlivrer des noms de domaine, et qui dtient encore la base de donnes des domaines .com, .org et .net, par Verisign, la principale entreprise de certification mondiale, qui dlivre les certificats numriques essentiels pour la signature lectronique. Il appartient aux autorits gardiennes de la concurrence, amricaines ou europennes, dexaminer la constitution dun groupe qui dtiendrait une position dominante sur toute la fonction de traduction entre lidentit des entreprises et des personnes dans le monde rel, et leur identit numrique. Au-del de lexamen dune telle opration au regard des rgles de la concurrence, cet exemple peut galement ncessiter des rflexions sur le fonctionnement du systme international en matire de noms de domaines (contrle de NSI par lICANN, Internet Corporation for Assigned Names and Numbers) et sur la certification des signatures lectroniques.

(20) propos des portails, on peut se reporter lavis rendu par le Conseil de la concurrence la demande de lAutorit de rgulation des tlcommunications concernant la cration dun Portail vocal par France Tlcom, avis n 99-A-10 du 20 juillet 1999.

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Des enjeux de droit de la proprit intellectuelleComme cest le cas dans tant dautres domaines, le droit de la proprit intellectuelle sapplique normalement sur linternet, ainsi quont su dj le rappeler de nombreuses dcisions de justice(21). Pourtant, lessor de linternet fait natre de nouvelles questions. Sagissant du versement des droits dauteur aux journalistes pour la reprise de leurs crits par voie lectronique, mais aussi du statut des liens hypertextes ou des limites du droit de citation, des tensions apparaissent au grand jour, avec des enjeux financiers qui mettent en cause la viabilit conomique de plusieurs professions ou de certains projets. Ces tensions opposent au premier chef les auteurs et les diteurs, ou diffrentes catgories dditeurs entre elles, par exemple les diteurs traditionnels reprenant leurs contenus en ligne et les diteurs lectroniques ou encore les diteurs privs et les diffuseurs de donnes publiques. Fondamentalement, ces conflits naissent de la nature de linternet, dont larchitecture mme facilite la diffusion de contenus hors du contrle de leurs propritaires. Ces conflits peuvent relever daffaires assez simples de piratage, dans lesquelles des contenus, grce la facilit des copies numriques, sont contrefaits sans paiement de droits. De rcentes affaires aux tats-Unis ont montr que ces conflits ne se limitaient pas aux titulaires de droits sur des contenus ditoriaux, mais pouvaient concerner aussi de nouveaux formats de diffusion (le MP3 pour la musique), les dispositifs permettant de lire des DVD sous Linux ou encore linterdiction faite un site canadien (iCraveTV.com) de retransmettre des missions tlvises au motif quil navait pas su mettre en place un dispositif technique empchant les utilisateurs des tats-Unis dy avoir accs. La question de la proprit intellectuelle sur linternet ne se limite pas des conflits catgoriels, mais elle met en jeu lajustement dun cadre juridique jusquici bien dfini un univers o les jeux des acteurs sont diffrents et o les contrles sont plus difficiles.

(21) Ainsi, de nombreuses dcisions de jurisprudence sont dj intervenues en France pour faire respecter le droit de reproduction dune uvre dans le cadre des rseaux numriques, par exemple dans le cas de la reproduction dcrits littraires (affaires Brel et Sardou, affaire Queneau) ou duvres journalistiques (affaire des Dernires Nouvelles dAlsace).

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DROIT SAPPLIQUE SUR LINTERNET MAIS IL DOIT PARFOIS TRE REDFINI

La rvolution numrique cre-t-elle une rvolution juridique ?(22). Lapplication du droit existant linternet, comme la rsistance des principes juridiques la socit de linformation semblent plaider pour une rforme, plutt que pour la rvolution. Pourtant des adaptations multiples sont ncessaires. Et si le droit sapplique, en pratique sa mise en uvre se heurte des difficults difficilement contournables.

Linternet ne constitue pas une zone de non-droit : lensemble des lgislations trouve sy appliquerPendant la priode initiale dmergence du rseau des rseaux, la nouveaut du phnomne ainsi que la diversit des acteurs, la dimension mondiale du rseau et la dcentralisation des activits ont pu conduire certains regarder linternet comme un vide juridique o le droit ne sappliquerait pas. Cette vision htive est aujourdhui dpasse. En effet, il faut laffirmer, le dbat est class. Comme la soulign le rapport du Conseil dtat(23) ainsi que de nombreuses dcisions de justice, le droit sapplique sur linternet comme ailleurs. Les lgislations qui sappliquent aux diverses activits humaines sappliquent ces mmes activits dans le cyberespace. Ainsi, linternet ne bouleverse pas les grandes catgories juridiques du droit civil ou du droit pnal. En matire de comportements illgaux, ce constat vaut de la mme faon : une infraction pnale demeure une infraction quel que soit le support sur lequel elle est perptre. Si le cyberespace offre aux criminels des moyens daction moderniss, il ne cre pas vritablement une criminalit fonde sur de nouvelles atteintes. Le droit positif assorti de quelques modifications est susceptible dapprhender la plupart des comportements illgaux qui pourraient avoir lieu sur le rseau et donc dapporter, du moins en principe, la garantie ncessaire au respect des valeurs et des intrts que lon entend protger. La jurisprudence est venue confirmer lapplicabilit des rgles de droit traditionnelles, par exemple celles de la protection de la proprit intellectuelle en constatant la contrefaon duvres musicales. Le juge a refus la fiction de la thorie de la virtualit et reconnu la matrialit des infractions sur un espace dactivit parfaitement apprhendable, en refusant dassimiler une page web un espace priv dont laccs consisterait une violation du domicile priv virtuel ds lors quil a t procd une mise disposition du public(24). De mme, le juge a prcis que la concurrence quun tiers fait par internet un rseau de distribution slective doit tre sanctionne en appliquant exactement les mmes rgles que si une offre concurrente de produits avait eu lieu sur un autre circuit(25).

(22) Thme des 1res Rencontres parlementaires sur la socit de linformation et linternet, organises lAssemble nationale le 3 octobre 1999, et dont les actes ont t rcemment publis. (23) Voir le rapport Internet et les rseaux numriques, 1998, disponible sur le site http://www.ladocfrancaise.gouv.fr (24) TGI Paris, 14 aot 1996. (25) CA de Versailles, 9 dcembre 1999.

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Cela ne signifie pourtant pas que linternet ne pose pas de question de droit nouvelles. Au contraire, il ncessite des adaptations du cadre lgislatif, soit pour tenir compte des particularits de lenvironnement numrique, soit pour clarifier les conditions dapplication du droit actuel au sein de ce nouvel espace.

Lenvironnement numrique doit tre pris en compte par le droitComme en tmoignent plusieurs exemples rcents, ladaptation du droit franais lenvironnement numrique est dsormais engag. Le rgime de la signature lectronique La loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de linformation et relative la signature lectronique reconnat lcrit numrique au mme titre que lcrit sur le papier. Elle rend lcrit lectronique admissible en tant que preuve devant le juge et lui confre une valeur probante identique celle du document sous seing priv (ncessaire par exemple la prservation des intrts des personnes passant des commandes en ligne). En adaptant le droit de la preuve aux nouvelles technologies, la loi ne modifie pas le rgime des preuves lgales et ne cre pas non plus un rgime probatoire propre aux transactions lectroniques. Elle se contente dtendre le champ dapplication du droit commun et concilie linnovation et la permanence des grands principes du code civil. La responsabilit des intermdiaires techniques La dlimitation des responsabilits des diffrents acteurs de linternet, identifie comme lun des points cruciaux de lencadrement juridique des rseaux, constitue un exemple de la ncessit et de la difficult dadapter le droit aux nouvelles formes dactivit qui structurent linternet. La difficult didentifier les diteurs de contenus prjudiciables a conduit les victimes a agir contre les hbergeurs afin de leur demander rparation du dommage quelles avaient subi. Face de telles demandes, les juridictions ont t amenes dfinir la norme comportementale quauraient d adopter ces professionnels pour ne pas tre regards comme fautifs. Ainsi, dans laffaire Estelle Hallyday(26) le fait dhberger de faon anonyme des sites a t considr comme tant susceptible de constituer une faute. Dans laffaire Linda Lacoste(27), il a t prcis quil appartenait lhbergeur de prendre les prcautions ncessaires pour viter de lser les droits des tiers et quil devait ce titre mettre en uvre cette fin des moyens raisonnables dinformation, de vigilance et daction. Lobligation de diligence professionnelle de lhbergeur dgage par la jurisprudence sest avre dlicate circonscrire, et au surplus inadapte au fonctionnement du rseau. Dans le cadre du projet de loi portant modification de la loi du 30 septembre 1986 relative la libert de communication, un amendement a t dpos par le dput Patrick Bloche et adopt en 1re lecture par lAssemble nationale afin dapporter une plus grande scurit juridique aux prestataires techniques en prcisant les cas o leur(26) CA de Paris, 10 fvrier 1999. (27) TGI de Nanterre, 8 dcembre 1999.

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responsabilit civile est engage. Il tait prvu que lhbergeur ou le fournisseur daccs ne pouvait voir sa responsabilit engage que sil avait lui-mme contribu la cration ou la production du contenu litigieux ou si, ayant t saisi par une autorit judiciaire, il navait pas agi promptement pour empcher laccs ce contenu. Lamendement prvoyait en outre que les hbergeurs et les fournisseurs daccs taient tenus de transmettre les lments didentification fournis par les personnes crant un site ainsi que les lments techniques susceptibles de permettre de localiser la source dune communication. Ce dispositif a t complt en deuxime l