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La lettre N° 27 Décembre 2009 Leçons inaugurales : Antoine Georges, Gérard Berry Prix Holberg 2009 : Pr Ian Hacking Fête de la Science au Collège de France Colloque de rentrée : Darwin a deux cents ans du Collège de France 27

du Collège de France · 2009-12-23 · formelle. Toutefois, la science informatique se diffé-rencie des mathématiques par les objets qu’elle étudie de façon préférentielle

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La lettre

N° 27 D é c e m b r e 2 0 0 9

Leçons inaugurales :Antoine Georges, Gérard Berry

Prix Holberg 2009 : Pr Ian Hacking

Fête de la Science au Collège de France

Colloque de rentrée :Darwin a deux cents ans

du Collège de France

27

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SOMMAIRE

Leçons inaugurales p. 5Ouverture de la chaire Informatique et sciences numériques p. 7Actualité des chaires p. 8Professeurs invités p. 11Équipe de recherche au Collège de France p. 15Inauguration de la résidence Marcelin Berthelot à Meudon p. 16Fête de la Science au Collège de France p. 17Prix Holberg 2009, Pr Ian Hacking p. 20

Actualité

Événements Colloque de rentrée : Darwin a deux cents ansVariations sur un thème humainPr Alain Prochiantz p. 22Hominisation et humanisationPr Mireille Delmas-Marty p. 23Conférence introductivePr Jean-Pierre Changeux p. 24

Dossier La bibliothèque générale du Collège de FranceMarie-Renée Cazabon p. 33

Publications p. 41

Image de couverture : Vitres auto-nettoyantes Bioclean® sous irradiation ultraviolette.

Histoire Acoustique physiologique : l’électrophysiologie de la cochléeau Collège de FrancePaul Avan p. 36

Hommage Jean DaussetPr Philippe Kourilsky p. 39

Colloques Populations, comportements et développement durablePr Henri Leridon p. 26Évaluation des politiques de développementPr Esther Duflo p. 27Atome, cavités et photonsMichel Brune et Jean-Michel Raimond p. 28L’État libanais, entre crise de régime et refondationPr Henry Laurens p. 29La République des Lettres dans la tourmente (1919-1939)Pr Antoine Compagnon p. 30

International L’Année de la France au Brésil p. 31Conférences du Collège de France à l’étranger - Madrid, Oxford, TunisOlivier Guillaume p. 32

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ÉDITORIAL

3N° 27 - LA LETTRE

C’est entendu, le monde est devenu numérique : laformule n’étonne plus personne, parce que tout lemonde côtoie et utilise quotidiennement les objets etles technologies « numériques ». Signe des temps,même les seniors s’y sont mis. Au début, ils ont eu unpeu de mal à apprivoiser Internet mais le défi decommuniquer par mail – par chat pour les plus auda-cieux – avec leurs petits-enfants l’a emporté, et commetout le monde ils se sont retrouvés à faire du numé-rique, comme Monsieur Jourdain de la prose, sans ypenser. Et voilà que désormais, dans les maisons deretraite, les consoles de jeux informatiques sont deve-nues la dernière attraction à la mode.

Une fois admis ce constat, reste à comprendre « pour-quoi et comment le monde devient numérique » :c’était précisément l’objet et le titre du cours donné auCollège de France par le professeur Gérard Berry, titu-laire en 2007-2008 de la chaire d’Innovation techno-logique - Liliane Bettencourt. Il s’agissait du premierenseignement d’informatique au Collège de France.

Le mot « informatique » a été créé en 1962 parPhilippe Dreyfus, ancien directeur du Centre nationalde calcul électronique de Bull. Selon le Dictionnairehistorique de la langue française, il désigne « la scienceet l’ensemble des techniques automatisées relativesaux informations (collecte, mise en mémoire, utilisa-tion, etc.) et l’activité économique mettant en jeu cettescience et ces techniques ». Devenu un mot du langagecourant, l’informatique désigne donc pêle-mêle unescience née dans les années 1930 de la logique mathé-matique, mais aussi les objets et techniques qui en sontissus – ordinateurs, téléphones portables, internet,GPS, DVD, télévision numérique terrestre, etc.

Ces objets sont devenus familiers, mais la science quiles sous-tend est généralement mal connue. Or lascience informatique est devenue en peu de temps unenjeu stratégique non seulement du point de vue tech-

nologique et économique, mais aussi du point de vuescientifique et sans doute aussi d’un point de vuephilosophique. Elle est au cœur de la révolution numé-rique.

Dans l’histoire des cultures humaines, l’externalisa-tion de la mémoire et l’invention de l’écriture ont étédécisives parce qu’elles permettaient de pérenniserl’information, de la conserver et de la diffuser large-ment. Inscrit sur un support matériel durable, lesavoir n’est plus dépendant de la mémoire d’unhomme et il peut être communiqué à tous, sans limitede temps. L’avènement de l’informatique au cours dela deuxième moitié du XXe siècle et le développementexplosif de ses usages ont conduit à une modifica-tion extrêmement rapide du mode d’inscriptionmatérielle et de stockage de l’information : touteinformation, quelle que soit sa forme – texte, imagefixe ou animée, son, etc. – peut être représentée,stockée, reproduite, traitée et communiquée sous uneforme codée numériquement. Ce procédé a eu desconséquences industrielles considérables et a trans-formé la vie quotidienne. Il a aussi bouleversé larecherche scientifique. L’informatique ouvre en effetpour de nombreuses autres sciences des horizons etdes territoires jusque là insoupçonnés, en démulti-pliant la puissance de calcul et en créant des possi-bilités radicalement nouvelles de simulation et demodélisation.

La science informatique est profondément liée auxmathématiques. Elle les utilise pour formaliser etétudier les problèmes spécifiques que l’on peut répartiren trois grands domaines : la théorie de l’information,qui traite du codage, du transport, du stockage et ducryptage de l’information ; l’algorithmique, qui s’in-téresse aux moyens d’effectuer les opérations decalculs de façon correcte et efficace ; la théorie de laprogrammation, qui concerne les moyens de réaliserphysiquement les algorithmes abstraits sur les

Pr Pierre CorvolAdministrateur du Collège de France

L’enseignement de l’informatique et des sciences numériques au Collège de France

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machines et les réseaux et de vérifier la correction descircuits et des programmes obtenus.

Elle conduit aussi à de nouvelles questions et à dessolutions mathématiques fondamentales dans desdomaines tels que la géométrie algorithmique, lathéorie des nombres, la théorie des modèles, la logiqueformelle. Toutefois, la science informatique se diffé-rencie des mathématiques par les objets qu’elle étudiede façon préférentielle et par la contrainte de concré-tisation effective de ses concepts.

Désormais, au même titre que les mathématiques, l’in-formatique joue un rôle essentiel dans la plupart desautres sciences, d’où la référence aux sciences numé-riques dans le titre de la chaire « Informatique etsciences numériques ». La mathématisation tradition-nelle des sciences s’appuie sur la mise en équation desphénomènes naturels et la résolution de ces équations.Ce processus est limité par les capacités du cerveauhumain. L’informatique permet de repousser ceslimites : elle étend les capacités du cerveau humain aupoint que, virtuellement, les seules limites sont cellesqui sont inhérentes au traitement de l’information ouà la calculabilité elle-même.

Au-delà du calcul, l’informatique révolutionne biend’autres aspects de la recherche scientifique. La numé-risation de l’instrumentation est devenue centrale enastronomie, en physique et en imagerie médicale. Enbiologie, la modélisation et la simulation du vivantsont des sujets en plein développement. De nouvellesapproches mixtes, les neurosciences computationnelles,impliquent des chercheurs des neurosciences et dessciences numériques pour l’étude des mécanismes desopérations et des tâches du cerveau. En médecine, lamodélisation numérique des organes se développe etapportera une aide au diagnostic et au traitement desmaladies.

L’informatique est partout. Et dans les écoles, on insisteaujourd’hui sur la nécessité de développer, à côté dulire-écrire traditionnel, ce qu’on appelle en anglais ladigital literacy, qu’on pourrait traduire par un para-doxal « alphabétisation numérique ». Le terme désignela connaissance et la maîtrise des technologies numé-riques pour, selon la définition de la version anglo-phone de Wikipedia, « localiser, organiser, comprendre,évaluer et créer de l’information ». Mais si l’on veutdévelopper une véritable culture numérique, peut-onencore se permettre d’ignorer les fondements de cettescience informatique qui est devenue si fondamentale ?

Voilà la mission du Collège de France. Nous vivons,tous, les changements du monde – chaotiques ouordonnés, brutaux ou presque imperceptibles, indiffé-

rents ou fascinants. Quelques-uns, chacun dans sondomaine, possèdent des clés qui permettent de lesdéchiffrer, de les comprendre, d’en percevoir le sens. Àceux-là, le Collège de France donne la parole. Il s’ef-force de porter leur voix vers un public aussi vaste quepossible.

L’intérêt suscité par le cours de Gérard Berry et la largeaudience qu’il s’est attirée nous ont convaincu qu’ilfallait développer cet enseignement sur l’informatique.C’est pourquoi le Collège, en partenariat avec l’Institutnational de recherche en informatique et automatique(INRIA), a créé pour cinq ans une chaire intitulée« Informatique et sciences numériques ». Elle accueillerachaque année un nouveau titulaire, de manière àprésenter les multiples facettes de cette science. Cettenouvelle chaire manifeste la reconnaissance de l’infor-matique en tant que discipline scientifique autonomeau sein du Collège de France. Elle témoigne de la volontécommune du Collège de France et de l’INRIA de diffuserune recherche et un enseignement de haut niveau dansun domaine où notre pays occupe déjà une place impor-tante au niveau international. �

Pr Pierre Corvol

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Antoine GEORGES

a donné sa leçon inauguralele 8 octobre 2009.Son cours intitulé « Des oxydes supra-conducteurs aux atomes froids : lamatière à fortes corrélations quantiques »commencera le 5 mai 2010.

Extraits de la leçon inaugurale(transcription) :« [...] Puisque le Collège de France est le lieu dela recherche en train de se faire, des savoirs entrain de se construire, je voudrais éviter dedonner à cette leçon un tour trop magistral.C’est donc plutôt comme on écoute un récit devoyage que je voudrais que vous m’écoutiez :un voyage qui, partant de l’extraordinairediversité des formes organisées que prend lamatière à l’échelle macroscopique, nousconduira jusqu’à ses constituants intimes àl’échelle de l’atome.

[...] Ce voyage débute par un émerveillementdevant la diversité des matériaux que nousprésente la nature ou que chimistes et physi-ciens parviennent à créer. L’atome de carbone,avec ses six électrons gravitant autour d’unnoyau, est l’un des atomes les plus simples quisoient, mais aussi l’un des éléments les plusessentiels au monde vivant. Lorsqu’un grandnombre de ces atomes se combinent entre eux,ils peuvent former des édifices cristallins : archi-tecture tridimensionnelle du diamant ou struc-tures constituées d’un empilement de feuilletsbidimensionnels du graphite. Quelle étonnantedifférence entre les propriétés physiques de cesdeux structures, pourtant toutes deux consti-tuées d’un seul et même élément : le diamant,transparent, d’une extrême dureté, bon isolantélectrique ; le graphite, composé lamellairefriable de couleur noire, dont on fait des minesde crayon, et qui est presque métallique ! Lecarbone peut former des structures plus remar-quables encore, découvertes ou synthétiséesrécemment. Ces grandes molécules, parexemple, qu’on appelle les Buckminsterfullerènesen hommage à l’architecte Buckminsterfuller,inventeur des dômes géodésiques : ellespeuvent comporter 60 molécules de carbone etprendre la forme d’un ballon de football. Ces

petits tubes très fins et très longs – leurdiamètre n’est que de quelques nanomètres,c’est-à-dire de l’ordre d’un millionième de milli-mètre –, les nanotubes de carbone, sontobtenus par enroulement sur lui-même d’unfeuillet unique d’atomes de carbone. Il y a cinqans, Geim et Novoselov sont même parvenusà isoler un feuillet unique de ce type forméd’un seul plan d’atomes de carbone organisésselon un réseau en nid d’abeille : c’est legraphène, qui fait l’objet de tant de travauxaujourd’hui.

Encore tous ces exemples ne sont-ils que desmatériaux formés d’une seule espèce d’atomes !Quel immense terrain de jeux s’offre alors ànous si l’on considère les innombrables combi-naisons qu’offre le tableau périodique deséléments de Mendeleïev. En témoigne cetoxyde composé de quatre atomes différents :le cuivre, l’oxygène et le lanthane ou le stron-tium, qui peuvent occuper les mêmes sites. Il ala propriété remarquable de devenir supra-conducteur au-dessous d’une certaine tempé-rature, c’est-à-dire qu’il peut transporter uncourant électrique sans aucune résistance, sansdissipation. Autre exemple, cet oxyde de cobaltoù de petits ions alcalins de lithium circulententre les feuillets d’atomes d’oxyde de cobalt :il est essentiel aux batteries de nos téléphoneset ordinateurs portables.

Il n’y a pas que le cristal parfait – cet édifice quien quelque sorte relève plus de la matière tellequ’elle devrait être que de la matière tellequ’elle est. La matière organisée que la naturenous présente ou qui naît dans le laboratoiredes chimistes adopte des formes d’une extraor-dinaire diversité : gels, mousses, cristauxliquides, et bien d’autres architectures encore[...]. Le terme de physique des solides s’étantrévélé trop étriqué pour embrasser toutes cesformes, c’est celui de physique de la matièrecondensée qui s’est imposé au début desannées 1970 pour désigner le domaine de laphysique qui étudie la structure et lespropriétés des formes organisées de la matière.Si j’ai souhaité conserver cet intitulé commetitre de la chaire, c’est pour manifester monintérêt pour cette extraordinaire variété deformes. » �

CHAIRE DE PHYSIQUE DE LA MATIÈRE CONDENSÉE

Président duDépartement de

physique de l’Écolepolytechnique de

2006 à 2009.

Médaille d’argentdu CNRS en 2007.

LEÇONS INAUGURALES

La leçon inaugurale seradisponible prochainement

aux éditions Fayard.La vidéo est disponible sur

le site internet duCollège de France.

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Gérard BERRY

a donné sa leçon inauguralele 19 novembre 2009.Son cours intitulé « Penser, modéliser etmaîtriser le calcul »a commencé le 25 novembre 2009.

Extrait de la leçon inaugurale :« La révolution numérique actuelle a pourracine le calcul informatique, c’est-à-dire lecalcul automatique sur des informations enco-dées numériquement. Fondée sur l’informa-tion et non sur la matière et l’énergie, elle estplus proche des anciennes révolutions de l’écri-ture et de l’imprimerie que de la récente révo-lution industrielle. Si ces trois révolutionsantérieures gardaient un côté matériel, visibleet palpable, qui les rendait compréhensiblespar tout un chacun, cet aspect concret et rassu-rant a disparu dans le nouveau monde numé-rique. En particulier, la notion sous-jacente decalcul automatique est invisible et reste malconnue du public. Qui se rend compte qu’im-primer un texte, regarder la télévision, télé-phoner ou piloter un avion se font parl’exécution ordonnée de milliards de calculsélémentaires, les mêmes partout ? Qui sait quemaîtriser l’informatique est fondamentalementdifficile, et demande une validation dans tousles détails de la correction des calculs réelle-ment effectués par rapport à ce qu’a pensé leurconcepteur ?

Dans cette année d’enseignement au Collège deFrance, je me concentrerai sur le calcul auto-matique comme objet de réflexion scientifiqueet technique. Je décrirai les différents principesà l’œuvre et leur réalisation dans des modèlesde calcul, objets centraux de cette réflexion. Jemontrerai comment les modèles se différen-cient et se rejoignent, comment ils peuvent etdoivent coopérer, et pourquoi il faut trans-former le calcul lui-même en objet de calcul.Sans les détailler, je présenterai les aspects clefsdes modèles de calcul les plus importants ; lelecteur trouvera plus d’information dans lesvidéos et notes du cours complet(1). Je feraiaussi quelques références à mon cours précé-dent dans lequel j’avais insisté sur l’importancede l’uniformité de la numérisation de tous les

types d’informations et présenté les grandspans de la science informatique.

Même si les modèles de calcul sont de natureconceptuelle et théorique, je les mettraitoujours en relation avec leurs impactspratiques. Dans l’industrie informatiquecomme ailleurs, les ingénieurs ne changent deméthode que lorsqu’ils y sont obligés par lessurcoûts dus à la perte de maîtrise de leur sujet.L’influence des progrès présentés ici reste donclente. Mais elle est inéluctable, tant les diffi-cultés pratiques rencontrées augmentent avecl’explosion du nombre d’applications, lacomplexité croissante des machines et réseaux,et le coût des bogues et des problèmes de sécu-rité. L’amélioration indispensable de la qualitédes processus informatisés passera par le déve-loppement de la science fondamentale décriteici.

Si modéliser le calcul est indispensablepour maîtriser les applications informa-tiques, ce n’est bien sûr pas suffisant. Il fautaussi dominer la science algorithmique et latechnologie du génie logiciel, c’est-à-direde la création et de la maintenance desprogrammes. Beaucoup des inventionsimportantes de la programmation moderne(structures de données, modules, interfaces,objets, aspects, etc.) aident significativementle développement humain des applications,mais n’ont qu’un impact limité sur lescalculs réellement exécutés. Elles ne serontdonc pas considérées ici.

La nécessité des modèlesPourquoi parler de plusieurs principes etmodèles de calcul, alors que tous les ordina-teurs actuels fonctionnent de la même façon etne semblent différer que par leur marque, leurvitesse et leur prix ? C’est qu’il convient dedistinguer immédiatement deux niveaux fortdifférents : celui de la pensée du calcul,humaine, et celui de l’exécution du calcul,mécanique. La pensée algorithmique estl’apanage de nos cerveaux lents mais pleinsd’intuition ; l’exécution est le fait de notreélectronique hyper-rapide mais totalementdénuée de jugeote. Maîtriser le chemin del’une à l’autre est difficile. » �

CHAIRE D’INFORMATIQUE ET SCIENCES NUMÉRIQUESANNÉE ACADÉMIQUE 2009-2010

Chercheur àl’Institut national de

recherche eninformatique et

automatique(INRIA), Président

de la commissiond’évaluation de

l’INRIA

La leçon inaugurale estdisponible prochainement

aux éditions Fayard.La vidéo est disponible sur

le site internet duCollège de France.

LA LETTRE - N° 276

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1. Les notes et vidéos du cours2009-2010 seront accessibles surle site internet du Collège deFrance.

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OUVERTURE DE LA CHAIRE

INFORMATIQUE ET SCIENCES NUMÉRIQUES

Personne ne peut nier l’importance del’informatique dans notre société. Notremonde devient toujours plus numérique,c’est une évidence. Pas un jour ne se passesans que chacun d’entre nous n’aitrecours, que ce soit dans sa vie privée oudans sa vie professionnelle, à un appareilou un service qui témoigne de cela. Nousévoluons dans un monde d’ordinateursou plus précisément de circuits électro-niques. Outre notre ordinateur personnelou de bureau, nous côtoyons desmachines que nous pouvons assimiler àcette grande famille. Appareils électro-ménagers, voiture, avion, téléphoneportable…sont des cousins de nos ordi-nateurs. Tous intègrent des puces électro-niques qui fonctionnent à partir delogiciels pour réaliser toute une série detâches prédéfinies.

À la longue liste d’objets intégrant desprogrammes informatiques, il faut bienévidemment ajouter les services toujoursplus nombreux dont nous bénéficions.Après l’introduction de l’ordinateurpersonnel dans les années 1980, l’appa-rition d’Internet au milieu des années1990 a donné lieu au bouleversement leplus visible en permettant à des centainesde millions de machines d’être connec-tées. Cette mise en réseau à la croissancecontinue s’est doublée d’une numérisa-tion des informations mais aussi desproduits potentiellement transférablessur Internet. Information et support nefont plus qu’un, révolutionnant complè-tement des industries comme celles dudisque par exemple.

Il s’agit là d’exemples issus de notrequotidien qui traduisent une évolutionprofonde de notre société. Car si nous

nous « divertissons »ou « consommonsnumérique », c’est aussi que nous« produisons numérique »voire « conce-vons numérique ». Rares sont les objetset procédés complexes qui ne sont pas lefruit d’une conception assistée par ordi-nateur.

Au-delà de l’ingénierie numérique, lamodélisation numérique, la simulationet la visualisation ont transformé prati-quement tous les domaines scientifiques.Les sciences numériques sont au cœurde la plupart des grands défis interdisci-plinaires de notre époque.

La révolution du numérique représentedes enjeux importants, que ce soit sur leplan économique et le plan sociétal. EnFrance, l’annonce début avril 2008 d’unfutur plan de développement de l’éco-nomie numérique capable de placer laFrance parmi les grandes nations numé-riques à horizon 2012 ou plus récem-ment encore l’écho donné aux débats surl’élaboration de la loi HADOPI sontemblématiques de ce constat. Ces deuxévénements soulignent le poids écono-mique associé aux technologies numé-riques d’un côté comme l’évolution desusages et la nécessité d’accompagner leurévolution de l’autre. On estime notam-ment à 28 % la part de recherche etdéveloppement mondiale consacrée auxsciences et technologies de l’informationet de la communication (STIC). Or, quece soit dans l’optique de créer de la valeuravec des entreprises leaders ou dans celled’accompagner les nouveaux usages liésaux nouvelles technologies afin degarantir leur acceptation, un même pré-requis s’impose : comprendre les fonde-ments de l’informatique, savoir quels

principes régissent ce monde numériquequi nous entoure. De l’ignorance naîtl’impossibilité de créer dans un cas, ladépendance voire la crainte et laméfiance vis-à-vis d’un monde inconnudans l’autre.

Expliquer la numérisation du monde,donner à nos concitoyens les clés néces-saires à une meilleure compréhension decette nouvelle société prend dès lors toutson sens. Cela conditionne leurs facultésà appréhender leur environnement devie, à l’accepter, à en devenir acteur, voirecréateur. Nous sommes convaincus quela « fracture numérique » dépasse laseule question de l’équipement, elle relèveaussi de schémas de pensée, d’une frac-ture dans la capacité à faire sienne uneautre manière de concevoir notreunivers.

En créant une chaire « Informatique etsciences numériques » au sein duCollège de France, nous franchissons uneétape dans la reconnaissance de l’infor-matique comme une discipline scienti-fique autonome et soulignons, par làmême, tout l’enjeu de lui consacrer unplus large enseignement. Il n’est plus légi-time de devoir attendre une spécialisa-tion dans le cadre d’études supérieurespour bénéficier d’une explication desfondamentaux de l’informatique. Cetenseignement doit s’étendre à des publicsplus jeunes. Depuis cette année, leprogramme de mathématiques en classede seconde intègre une des notions clésde l’informatique : l’algorithmique. C’estun premier pas, nous nous en réjouis-sons, mais il faut aller encore plus loin. �

M. Michel CosnardPrésident directeur-général de l’INRIA

Le 10 novembre dernier, le Collège de France et l’Institutnational de recherche en informatique et automatique(INRIA) ont présenté à la presse les objectifs poursuivis encréant une chaire dédiée à l’informatique et aux sciencesnumériques.

De gauche à droite : Prs Pierre-Louis Lions, Gérard Berry,Pierre Corvol et M. Michel Cosnard

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L’océan peut-il amplifier les changements clima-tiques ou les réguler ? En collaboration avec RosRickaby de l’université d’Oxford, nous venonsd’apporter quelques nouveaux éléments à cettequestion (Bard & Rickaby, 2009, Nature). Nostravaux sont focalisés sur un problème encoredébattu, mais fondamental en climatologie : la rela-tion CO2-température aux échelles de tempsglaciaires-interglaciaires et les rétroactions del’océan.Nous proposons unmécanisme d’ampli-fication lié à la « route chaude» du retour de lacirculation océanique à grande échelle, baptiséeabusivement circulation thermohaline mondialeet souvent représentée, pour la simplifier à l’ex-trême, par un énorme « tapis roulant» connec-tant les différents bassins profonds des océansAtlantique, Indien et Pacifique.

Pour ce faire, nous avons étudié le rôle de la varia-bilité spatio-temporelle du courant des Aiguilles(Agulhas Current) et de ses dépendances (rétro-flexion et tourbillons), notamment le courantmarin d’eaux chaudes et salées qui passent ensurface de l’océan Indien à l’océan Atlantique, ausud de l’Afrique. Il s’agit d’un phénomène océa-nographique assez complexe, qui prend sa sourcedans le détroit du Mozambique, entre Madagascaret le continent africain. Dans cette région, uncourant chaud de surface, le courant des Aiguilles–analogue au Gulf Stream ou au Kuroshio dansle Pacifique– descend vers le sud le long des côtes

de l’Afrique. Pour l’essentiel, il repart versl’est un peu au sud de Madagascar(courant de rétroflexion). Mais une parties’échappe vers l’ouest en se manifestantpar des tourbillons, ou anneaux, d’eauxchaudes et salées qui passent le cap deBonne Espérance et viennent se mêler auxeaux de surface de l’Atlantique Sud. Cette« route chaude» est étudiée aujourd’huipar les satellites qui observent la topogra-phie de l’océan, ainsi que ceux qui regar-dent la « couleur» des eaux de surfacepour en déduire leur température (IR) ouleur teneur en chlorophylle.

L’ouverture ou la fermeture de cette véri-table « porte » des Aiguilles est liée à laposition en latitude du front subtropical

et des vents d’ouest (« quarantièmes rugissants »).Nos travaux peuvent expliquer pourquoicertaines périodes glaciaires détiennent les recordsde froid et de volume de glaces. Pour arriver àcette conclusion, nous avons utilisé de nombreusesdonnées paléocéanographiques, permettant dereconstituer l’évolution des courants marins, de laproductivité biologique (la richesse en planctondes eaux de surface) et de l’hydrologie de cetterégion de l’Océan, en liaison avec les glaciationsdes 800 000 dernières années. Nos argumentssont fondés sur les enregistrements géochimiquesd’une carotte de sédiments marins située stratégi-quement dans le courant des Aiguilles juste avantla « fuite »vers l’Atlantique et la rétroflexion versl’océan Indien. Cette carotte a été collectée par leMarion-Dufresne, navire de l’Institut polaire fran-çais, équipé du plus puissant carottier du monde.Les analyses physico-chimiques ont été réaliséesau CEREGE d’Aix-en-Provence et à Oxford. Lessignaux de température, de productivité et demélange Atlantique-Pacifique indiquent claire-ment que la « route chaude » a subi de grandesvariations. Pendant les deux périodes glaciairesles plus froides (Marine Isotope Stages12 et 10),la porte des Aiguilles était pratiquement fermée enraison d’un déplacement de 7° vers le nord dufront subtropical, renvoyant le courant en totalitédans l’océan Indien, et affaiblissant la circulationocéanique profonde et l’arrivée d’eaux chaudes aunord de l’Europe. Cette modulation océanogra-phique expliquerait l’intensité particulière duclimat global de ces époques.

Le courant des Aiguilles et la « route chaude »ont manifestement joué un rôle climatique dansle passé. Ces phénomènes pourraient aussi inter-venir dans le climat futur qui sera marqué pourl’essentiel par le réchauffement climatiqueprovoqué par nos émissions de gaz à effet deserre. En effet, les mécanismes que nousétudions fonctionnent aussi dans l’autre sens,c’est-à-dire en réponse à une migration vers lepôle sud des vents d’ouest et du front sub-tropical. Une tellemigration est observée actuel-lement et devrait se renforcer dans le futur. Lesmodèles numériques montrent qu’une migra-tion vers le sud par rapport à la situationactuelle, induira un renforcement de la « fuite »

ÉVOLUTION DU CLIMAT ET DE L’OCÉAN

Pr Édouard Bard

Étude parue dans la revue Nature, 15 juillet 2009.

ACTUALITÉ DES CHAIRES

LA LETTRE - N° 278

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Le courant des Aiguilles entre Madagascar et l’Afrique

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des Aiguilles et donc un renforcement de lacirculation profonde Atlantique.

Cet effet contribuera par conséquent à renforcer lacirculation profonde atlantique, même si au nordde l’Atlantique d’autres mécanismes auront unetendance inverse. En effet, la circulation profondesera aussi perturbée par le réchauffement, car leschangements conjugués de la température et ducycle de l’eau seront de nature à diminuer la densitédes eaux de surface de l’Atlantique Nord, donc laplongée dans les zones de convection profonde. Lesmodèles couplés océan-atmosphèreperturbés parlesgaz à effet de serre répondent généralement parune diminution progressivede l’intensité de la circu-lation profonde. Il est possible que les mécanismesque nous étudions soient à l’origine de certainsdésaccords entre les différentes réponses desmodèles. Il faut donc faire un effort de diagnosticen comparant les simulations, mais aussi apporterdes améliorations significatives aux modèles quidoivent réellement reproduire les tourbillons et passeulement paramétriser un transport total.

Le réchauffement induirait donc une migrationvers le pôle sud du front subtropical et une inten-sification de la route chaude, ce qui contribueraità alimenter l’arrivée d’eaux chaudes versl’Atlantique Nord et, en réaction, la plongée d’eauxde surface vers les profondeurs dans les mersnordiques. Le risque de voir la circulation océa-nique profonde s’affaiblir serait donc moindre. Siles conséquences en termes de climat régional(précipitations sur l’Afrique notamment) ou sur laproductivité de cette région de l’océan (très riche enpoissons le long des côtes namibiennes) sont encoreimprévisibles, nos recherches mettent en évidenceune rétroaction océanographique négative (qui adonc tendance à stabiliser la circulation).

Alors que notre article était en phase de revuepar les pairs, notre proposition a été étayée pardes observations récentes de l’océan Austral. Lelaboratoire d’océanographie de l’université duCap vient de publier un article sur la variabilitérécente du courant des Aiguilles (Rouault et al.,2009, GRL). Cette étude d’océanographie satel-litale, instrumentale et de modélisation numé-rique indique clairement que le courant desAiguilles s’est réchauffé depuis les années 80 etque la « fuite » vers l’Atlantique a mêmeaugmenté, chaque décennie, d’environ quatremillions de mètres cubes par seconde.

Comme pour la variabilité observée récemmenten Atlantique Nord, il est encore difficile de

savoir s’il s’agit d’une fluctuation cyclique natu-relle, ou si nous voyons dans cette zone des acti-vités humaines. Il faut noter que la tendanceactuelle des vents d’ouest est attribuée d’abordà la baisse d’ozone au niveau du pôle sud.Néanmoins, les modèles climatiques montrentque le réchauffement lié aux autres gaz à effetde serre aura aussi une influence dans le mêmesens avec une migration vers le sud des ventsd’ouest et du front subtropical.

L’effet de stabilisation de la « porte»des Aiguillesest-elle une bonne ou une mauvaise nouvelle dansle contexte actuel de réchauffement mondial quidevrait se poursuivre en toute logique? Certainspourraient y voir une influence défavorable carune diminution de la circulation profonde del’Atlantique pourrait contribuer à refroidir certainesrégions de l’hémisphère nord. En fait, le problèmeest plus compliqué qu’il n’y paraît : même si lesmodèles climatiques répondent de façon similairepar une diminution de l’intensité de la circulationprofonde,il n’y a pas de consensus sur l’amplitudede cette diminution qui varie de 10 à 50% aprèsun siècle. De plus, iln’est pas complètement excluqu’à partir d’un certain seuil, la circulationbasculedans un autre état stable où elle serait encore plusaffaiblie. D’après les modèles, on n’atteindraitpasce seuil avant plusieurs siècles. Mais tout dépenddel’intensité de la perturbation anthropique etdudegré de réalisme du modèle (notamment de lamodélisation de la calotte du Groenland). Àl’échelle du siècle, si l’on ne passe pas ce seuil, leseul effet sera un réchauffement moindre dans larégion dunord de l’Atlantique. Mais si l’on atteintun point debifurcation, alors on pourrait assister,dans une Terre globalement plus chaude, à unrefroidissement localisé sur l’Atlantique Nord.

On pourrait donc voir cela d’un bon œil si l’onhabite à proximité de cette zone géographique,mais un tel événement aurait des répercussionstellement néfastes dans des zones plus éloignées(sur les températures et les précipitations ainsi quesur le pompage du CO2 par l’océan) que l’on peutencore considérer que la stabilisation de la circu-lation profonde est plutôt une bonne nouvelle pourle climat de notre planète.�

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N° 27 - LA LETTRE 9

Pour en savoir plus :Bard E., Rickaby R., « Migration of the Subtropical Front asa modulator of glacial climate », Nature, 406, 380-383, 2009.Contact chercheur :Édouard BARD (professeur au Collège de France,responsable de l’équipe Géochimie et paléocéanographiedu CEREGE) : [email protected]

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Le mouvement humain possède plusieurspropriétés remarquables : la durée d’unmouvement est quasiment indépendante deson amplitude (le principe d’isochronie), lavitesse instantanée dépend de la courburedu mouvement (propriété dont rend comptela loi de la puissance deux-tiers) et lesmouvements complexes sont composés àpartir d’éléments plus simples (principe dela composition). À ce jour, aucune théorien’a encore réussi à rendre compte de toutesces propriétés et la nature des primitivessous-jacentes du mouvement resteinconnue. Reste également inconnue lamanière dont le cerveau choisit la duréed’un mouvement. Ici, pour rendre comptedes caractéristiques temporelles du mouve-ment, nous présentons une nouvelle théoriefondée sur l’invariance du mouvement parrapport à des transformations géomé-triques. Nous proposons que la durée dumouvement et le principe de compositionrésultent de la coopération entre les géomé-tries euclidienne, équi-affine et complète-ment affine. Nous considérons plusieurstypes de transformations. Les transforma-tions euclidiennes préservent les longueurset les angles ; les transformations affines,moins contraignantes, préservent le paral-lélisme entre les droites, tandis que les trans-formations équi-affines préservent à la foisle parallélisme et les aires. Chaque géomé-trie possède une mesure canonique dedistance le long de la courbe, un paramètreinvariant de longueur d’arc. Les caractéris-tiques temporelles du mouvement sont pres-crites de manière continue par le cerveau encombinant différents « temps géomé-triques », chaque « temps » étant supposéproportionnel à la mesure de distance de lagéométrie correspondante.

Nous suggérons que pour les mouvementscontinus, la durée effective du mouvementreflète une mixture tensorielle particulièrede ces paramètres canoniques. Près dessingularités géométriques, des combinaisons

spécifiques sont sélectionnées pourcompenser l’expansion ou la compressiondu temps dans les paramètres individuels.La théorie a été formulée mathématique-ment en utilisant la méthode du repèremobile de Cartan : les mouvements sontconstruits en utilisant une série de repères(de Cartan) instantanés. Les prédictions dela théorie sont compatibles avec les obser-vations expérimentales portant sur le dessinet la marche humains. Elles ont été testéessur trois ensembles de données : le dessinde courbes elliptiques, la locomotion et ledessin de formes complexes (feuilles detrèfle, lemniscates et limaçons). Nous avonsobservé que la géométrie équi-affine jouaitun rôle dominant dans ces tâches et qu’elleétait complétée par la géométrie affine dansle dessin et par la géométrie euclidiennedans la locomotion. La théorie proposée ades implications d’une portée considérablepar rapport aux représentations neurales dumouvement, à la fois pour la production etla perception de l’action. Nous discutonsplus en détail des implications de cettethéorie : l’origine de la dominance de lagéométrie équi-affine, la possibilité que lecerveau utilise différentes mixtures de cesgéométries pour encoder la durée et lavitesse du mouvement et l’ontogénie detelles représentations.

L’idée que le cerveau travaille dans desgéométries non euclidiennes avait étéproposée pour la vision mais ici on montreles liens fondamentaux entre percevoir etagir. De plus on montre que des lois géné-rales simplificatrices sous-tendent descomportements aussi différents que dessineravec le doigt et déambuler dans l’espace.Ceci peut aussi avoir des implications aussibien en robotique que dans la compréhen-sion de pathologies des systèmes sensori-moteurs. �

Référence :Bennequin D., Fuchs R., Berthoz A., Flash T. « Movement Timing and Invariance Arise from Several Geometries », PLoS Comput Biol, 5(7): e1000426, 2009.

Les caractéristiques temporelles et l’invariance du mouvement résultentde plusieurs géométries

PHYSIOLOGIE DE LA PERCEPTION ET DE L’ACTION

Pr Alain Berthoz

séance de prise de vues pour l'analyse dumouvement, Collège de France, UMR CNRS/Collège de France

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PROFESSEURS INVITÉS

Yang Xiong (53 av. J.-C. - 18 ap. J.-C.),sujet de cette conférence, a consacrél’essentiel de son début de carrière àdécrire en détail le faste des lieuxtraversés par la Cour lors deschasses impériales et déplacementsen province. Dans ses œuvres de lamaturité, il a tourné son attentionvers un autre espace de la représen-tation : les classiques à la fois entant que refuge pour l’imaginationdans laquelle il trouvait réconfort,et en tant que fondation pour laréforme (réforme politique aussibien que redéfinition de soi). C’estYang Xiong, plus qu’aucune autrefigure dans l’histoire du premiermillénaire, qui a défini pour lesgénérations suivantes les idéauxassociés à l’idée d’« érudition clas-sique », à la culture du livre et de lalecture. Une grande partie del’œuvre de Yang présente une sériede préceptes défendant l’intelligibi-lité des Classiques et l’éminenteutilité des modèles qui en sont tirés.Aux yeux de Yang, ces textes deréférence offrent un moyen, ayantpassé l’épreuve du temps, d’entreren relation avec les anciens à traversune immersion qui encourage àadopter une vie de simplicité et decontentement. C’est ainsi qu’on estconduit à renoncer à consacrer sontemps à l’acquisition incessanted’une connaissance toujours parcel-laire, afin de se lancer dans uneentreprise ardue de développementde soi, requise par l’émulation de lavéritable grandeur, notamment dansdes époques troublées.

Comme on le sait, Yang était le pluscélèbre poète de Cour de sonépoque, et l’auteur de trois œuvresnéoclassiques écrites respectivementen imitation des Entretiens deConfucius, du Livre des mutationset du manuel didactique Cang Jiepian. Un aspect de l’œuvre de Yangqui est souvent minimisé ou malinterprété est sa participation,pendant des décennies, à un mouve-ment haogu (« amour del’Antiquité »), associé à Liu Xianget Liu Xin, deux archivistes etmembres d’une branche féminine dela lignée impériale. La plupart deshistoriens de l’époque Han fondentleurs recherches sur l’existenced’une tradition classique biendéfinie, cautionnée par l’État, etformulée de manière définitive vers136 av. J.-C., un siècle avant Yang.Or le présent exposé soutient que lareprésentation que nous nousfaisons de la politique et de lasociété Han est peut-être faussée parle fait que nous les considérons sansy réfléchir à travers le prisme duhaogu des Han orientaux. Les réfor-mateurs haogu défendaient l’idéed’un gouvernement minimaliste,déclarant que la direction fortementcentralisée et centralisatrice dudébut de la période des Han occi-dentaux avait considérablementrelâché les liens entre le trône desHan et ses sujets, éloignant lespopulations locales et mettant enquestion sa légitimité. Les guerresd’expansion et la constante prolifé-ration des cultes impériaux s’étaientrévélées ruineuses, et des impôts et

des corvées supplémentaires avaientété imposés aux plus pauvres. Il étaitnécessaire de réduire les dépenses,la frugalité étant associée (sansdoute à tort) à un retour aux tempsanciens, prétendument plus simples,dans l’esprit des réformateurshaogu. Toutefois, ces derniersavaient, outre la politique, d’autresambitions. Ils furent à l’origined’avancées spectaculaires dans lesdomaines de la cartographie, de l’as-tronomie, de la théorie musicale etdu système philosophique des cinqéléments. Ces hommes, qui avaientun accès privilégié aux collectionsimpériales des Han, ont établi lepremier catalogue de bibliothèque ;en outre, ils ont produit lespremières recensions critiques deséditions reconnues que nous utili-sons aujourd’hui, les premiersdictionnaires étymologiques etrecueils consacrés aux termes dialec-taux (fangyan), les brefs jugementssur des figures historiques et lediscours qui fait de la lecture et del’érudition classique la définitionmême de la culture chinoise. �

Michael NYLANProfesseure à l’université de Californie (Berkeley, États-Unis),invitée par l’Assemblée des professeurs sur la proposition du Pr Anne Chenga donné le 23 juin 2009 une conférence intitulée :

The birth of classicism in China(Naissance du classicisme en Chine)

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La musique a existé dans toutes lesformes de cultures depuis la préhis-toire jusqu’aux temps présents.Mais pourquoi ? Pourquoi sommes-nous une espèce musicale ?Comment notre cerveau gère-t-ilcette capacité musicale et quelles ensont les composantes essentielles ?Et comment ce fonctionnementcérébral interagit-t-il avec les autrescapacités humaines telles que lelangage ? Telles sont les questionsauxquelles je tente de répondre, enprivilégiant une approche neuro-psychologique (centrée sur lepatient), en utilisant la pathologiecombinée à la neuroimagerie et lagénétique.

Leçon 1. Neuroscience de lamélodie

Durant cette dernière décennie, larecherche a amplement démontréque l’implication musicale (voirel’instinct musical) est un trait fonda-mental de l’espèce humaine.Cependant, les bases biologiques dela musique demeurent encore peuconnues. Les toutes dernièresrecherches montrent qu’une mino-rité d’individus pourrait être privéede cet « instinct musical », et doncprivée dans une certaine mesure desbases neurobiologiques nécessairesau développement harmonieux dela capacité musicale. Ces individusont de sévères problèmes à appré-cier la musique parce que, en grandepartie, ils ne sont pas capables d’en-tendre l’organisation séquentielledes hauteurs musicales (la mélodie).Or leurs problèmes ont une origineneurogénétique. L’étude de cetrouble, qu’on appelle amusie

congénitale, représente une occasionunique d’examiner les fondementsbiologiques de la musique et d’éta-blir les liens entre gènes, environne-ment (musical et linguistique),cerveau et comportement.

Leçon 2. Neuroscience du rythme

La tendance à bouger au rythme dela musique, en battant la mesure ouen dansant, est au cœur de touteactivité musicale. Cette capacitérepose sur un vaste réseau cérébraldont on commence à saisir la natureet la spécificité. Une de ses compo-santes essentielles consiste à extrairela mesure ou la régularité (beatfinding). Cette capacité se développetôt chez l’humain et semble pouvoirs’acquérir par certaines espècesd’oiseaux. Néanmoins, de raresindividus semblent dépourvus decette capacité à suivre le rythme dela musique. L’étude des bases neuro-logiques à l’origine de cette variabi-lité permet d’isoler les circuitscérébraux au sein de la cognitionmusicale, et aussi d’en établir laspécificité à l’égard des autres fonc-tions cognitives.

Leçon 3. Neuroscience desémotions musicales

La musique, et a fortiori lesémotions musicales, sont rarementenvisagées comme des expériencescontraintes par la biologie. Larecherche de la dernière décennieillustre, au contraire, que lesémotions musicales ont une baseuniverselle et mobilisent unensemble de circuits neuronauxreconnus pour leur importance

biologique (comme l’attrait pour lanourriture ou le sexe). Nous exami-nons ici dans quelle mesure lesémotions musicales pourraientdériver de la communication vocalenon-verbale.

Leçon 4. Spécialisation et plasticitécérébrale

On attribue de nombreuses vertus àla musique. Récemment, on lui aattribué le pouvoir d’améliorer l’in-telligence, le langage et de modifierla structure du cerveau. Ici, j’ana-lyse dans quelle mesure ces phéno-mènes de transfert cognitif et deplasticité cérébrale sont compatiblesavec la notion de spécialisation ducerveau pour la musique. �

Isabelle PERETZProfesseure à l’université de Montréal (Canada),invitée par l’Assemblée des professeurs à l’initiative des Prs Stanislas Dehaeneet Christine Petita donné en novembre-décembre 2009 quatre leçons intitulées :

Neuroscience cognitive de la musique

Cf. aussi la vidéo d’Isabelle Peretz lors ducolloque de rentrée 2008

du Collège de France :« Aux origines du dialogue humain :

Parole et musique »Titre de sa conférence :

« L'échec du dialogue entre parole etmusique dans le chant »

www.college-de-france.fr (rubrique audio/vidéo)

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1ère leçon. Les lettres en typographie.Inquiétudes religieuses et modèleslinguistiques dans les manuelsépistolaires du XVIe siècle

Des années 1530 à la fin du siècle, lemarché du livre italien, et notammentcelui de Venise, est submergé par descentaines de recueils épistolaires. Lesformules éditoriales sont nombreuses,mais elles se justifient toutes de lamême façon : divulguer des modèlespour écrire des lettres en bonne languevulgaire. Dès 1538, lorsque paraissentles Lettere de l’Arétin, ce n’est qu’unesuite ininterrompue de recueils de« lettres d’auteur » et d’anthologiesd’écrivains divers.

Grâce à certains de ces recueils, onpeut reconstruire un réseau quis’étend des années 1540 aux années1560 et repose sur des rapportspersonnels et des expériences intellec-tuelles, voire religieuses. C’est ce querévèle un best-seller, Lettere volgari didiversi nobilissimi huomini, publié àVenise par Manuzio en 1542(28 éditions de 1542 à 1567).

Il semblait affleurer des recueils delettres des années 40 que le choix de lalittérature et du « bon vulgaire »n’était pas en contradiction avec laconfiance qui caractérisait le dialogueavec le monde réformé et, pourcertains hommes de lettres, avec desinflexions hétérodoxes. Ce n’est peut-être pas un hasard si les lettres dédi-catoires, à peu d’exceptions près,conservent une bonne dose d’ambi-guïté et n’ont pas dévoilé tous lesobjectifs de l’opération éditoriale ; elleslaissent planer le doute sur le fait qu’ilne s’agit pas de simples formulaires à

imiter. Les modèles rhétoriques etlinguistiques n’étaient peut-être lesseuls à devenir exemplaires, mais lesvaleurs, les expériences intellectuelleset religieuses que ces épîtres transmet-taient l’étaient aussi.

La réflexion religieuse est bien souventliée à la réflexion littéraire et, parmiles auteurs, il y a des poètes huma-nistes comme Marcantonio Flaminio,des gens de lettres comme l’évêqued’Aquino Galeazzo Florimonte, desmédecins comme Orazio Brunetto,des éditeurs experts de Cicéroncomme Paolo Manuzio. Les thèmeshumanistes, politiques, religieux,historiques se côtoient et permettentaux éditeurs de décliner toutes lesvariantes possibles du genre.

2e leçon. Les livres de lettres àl’Index. Censure, autocensure etexpurgations des textes au XVIe siècle

L’analyse des différentes éditions d’uneanthologie permet de cerner l’usagevarié que les éditeurs ont fait desrecueils épistolaires en l’espace dequelques années. On assiste, au débutdes années 1540, à une véritablecampagne de presse fondée sur un fluximportant de livres et livrets qui vontdans le sens de l’hétérodoxie, et dontles recueils de lettres ne sont que l’undes outils servant à légitimer lesdoctrines iréniques et le souci deréforme que l’Église romaine mani-feste à la veille du concile de Trente.Ces recueils subissent de profondestransformations dans les années quisuivent, alors que les positions intrans-igeantes triomphent et que le pouvoirdu Saint-Office est de moins en moinscontesté. On élimine ou on ampute les

lettres des auteurs interdits ou surlesquels l’Inquisition enquête, certaineséditions sont mises à l’Index dans l’at-tente d’être expurgées. À partir desanthologies traitant de thèmes poli-tiques, religieux et culturels et qui ontconnu plus d’une édition, on peut véri-fier les travaux de suppression et deremplacement à l’intérieur des textes.

Le changement majeur concerne laparution de recueils épistolaires qui nesont plus destinés au grand public,mais à des lecteurs en particulier : lessecrétaires. En 1564, en publiant Delsecretario, Francesco Sansovino inau-gure un nouveau type d’édition. Il nes’agit plus d’un simple recueil delettres, mais bien d’un traité sur lesfonctions et le rôle du secrétaire à lacour. De terrain fertile pour le débathumaniste, pour les valeurs laïques etreligieuses, le livre de lettres deviendra,dans les dernières décennies duXVIe siècle et pendant tout le sièclesuivant, un recueil de formules oùs’impose l’élaboration de sommairespar catégories rhétoriques et par idéesutiles en toute occasion. Il perd ainsitoute référence aux événementscontemporains et se bloque dans unelangue stéréotypée, qui n’a rien dedangereux. C’est la fin d’une saisonhumaniste où les humanae litteraeétaient intimement liées aux valeursreligieuses.

3e leçon. Les genres à grandediffusion. Textes, formes etusages des livres

En France, les livres à grande diffusionont été assimilés à un type de distri-bution (littérature de colportage), àune collection (la Bibliothèque bleue)

Lodovica BRAIDAProfesseure à l’université de Milan (Italie),invitée par l’Assemblée des professeurs à l’initiative du Pr Roger Chartiera donné en novembre-décembre 2009 quatre leçons intitulées :

Pour une histoire de la culture écrite en Italie (XVIe-XVIIIe siècles)

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et à un centre de production dans unlieu mythique en Champagne, àTroyes. En Espagne, une formule dési-gnant la matérialité typographique – lepliego suelto – a donné aux spécia-listes une base cohérente d’où partir.En Italie, par contre, la recherche n’apas trouvé de corpus révélant deséléments d’unification textuelle, maté-rielle, productive et commerciale, àmoins qu’il ne soit question d’un genrebien précis.

Les recherches sur les livres à grandediffusion ont eu, à partir des années1980, deux types d’approche : l’his-toire d’une maison d’édition et l’ana-lyse de textes ayant une fonctionsociale précise ; ou bien elles se sontconcentrées sur un genre bien défini,les « livres pour apprendre à lire » parexemple, ou les almanachs. Dans lesdernières années, les études d’histoirereligieuse et les recherches surl’Inquisition ont permis de mieuxcomprendre quelles avaient été lesconséquences de la tentative de l’Égliseromaine de mettre de l’ordre dans laproduction typographique et la circu-lation des livres, avec les Index maisaussi en pratiquant d’autres formes decontrôle. Certains textes ont parfoissurvécu à la censure grâce à leur diffu-sion sous des formes diverses, écritemais aussi orale. C’est ce qui est arrivéaux textes magiques et aux poèmeschevaleresques ; le succès extraordi-naire qu’ils connurent fut lié à ce quel’on peut définir « un statut fluide »,pour les modalités de transmissionmais aussi pour les pratiques de circu-lation. Ils pouvaient en effet atteindreun vaste public grâce à la lecture àhaute voix durant les veillées du soir,ou encore par la transmission écrite,manuscrite ou imprimée.

Ces formes de résistance ne doiventtoutefois pas porter à sous-estimerl’action répressive de la censure ecclé-siastique. De récentes études sur leslivres prohibés, présents dans lesbibliothèques de plusieurs ordres reli-gieux, congrégations de clercs, frères etmoines, ont révélé la tendance à élargirla gamme des ouvrages « susceptibles

d’être mauvais ». Au final, il restait leclimat de suspicion qui entourait unebonne part de la production de livres,et en particulier de la littérature enlangue vulgaire. Sur les livres enlangue vulgaire et sur le simple faitd’en posséder – avant même de leslire – pesait une ombre démoniaquequi aurait eu des conséquences extrê-mement graves sur l’accès à la lecturedes couches sociales les plus basses.

4e leçon. L’auteur absent. Laréflexion sur la propriété littéraireau XVIIIe siècle

En Angleterre et en France, au coursdu XVIIIe siècle, on reconnaît lapropriété littéraire des auteurs, aprèsun débat long et tourmenté, au débutdu siècle en Angleterre, à partir de1793 en France. La situation est biendifférente dans les États italiens. Ilfaudra attendre l’époque napoléo-nienne pour que le droit d’auteur fasseson entrée en Italie ; encore ne sera-t-il valable que sur les territoires de laRépublique cisalpine.

Parmi les réflexions des auteursitaliens sur leur propre condition onreleve une grande absente : la discus-sion sur la propriété littéraire, autre-ment dit sur la définition d’homme delettres en tant que propriétaire de sonœuvre, contre la conception tradi-tionnelle du « privilège d’édition » quiprivait l’auteur de tout droit dès l’ins-tant où il cédait son manuscrit à unlibraire-imprimeur. Il n’existe, parconséquent, aucune base pour recon-naître la propriété littéraire, à savoirque le travail intellectuel peut êtrerémunéré, crée un profit pour celui quil’exerce, comme n’importe quel autretravail.

Il est question ici de trois œuvresconsacrées aux problèmes de laproduction et de la circulation deslivres : les Lettere inglesi de SaverioBettinelli (Venise, Zatta, 1766), laBibliopea o sia l’arte di compor libride Carlo Denina (Turin, Reycends,1776) et Del principe e delle lettere diVittorio Alfieri (Typographie de Kehl,

1795). Elles se situent toutes à l’inté-rieur du processus de création dutexte, avec ses caractéristiques litté-raires. Elles acceptent le mécénat, defaçon explicite ou sous-entendue, oubien lui opposent un net refus– comme dans le cas d’Alfieri. Aucundes trois auteurs cités – sauf Deninaen passant – ne semble s’intéresser àla transformation du texte en livre. Letexte n’est donc qu’un simple véhiculed’idées. On n’accorde aucune atten-tion au fait que pour circuler, les idéesont besoin d’un support matériel ; cequi comporte un système de produc-tion et, par conséquent, un marché dulivre. Alfieri porte d’ailleurs cetteabstraction à l’extrême : non seule-ment, il ne tient pas compte dumarché, mais il craint que ce dernierne puisse conditionner la rédactionpuisque, selon lui, l’œuvre littéraire n’ade sens que si elle est détachée de toutelogique de profit économique. C’estune valeur qui n’appartient pas à unindividu, mais à l’humanité entière.

L’absence de réflexion sur la propriétélittéraire n’est pas sans conséquence.Longtemps les écrivains italiens subi-ront toutes sortes de méfaits et deplagiats, tolérés et souvent passés soussilence. Les exemples sont nombreux,notamment dans les genres à succèscomme le roman. Des recherches dansce domaine pourraient contribuer àanalyser le rôle de l’auteur à uneépoque – les dernières décennies dusiècle – où le marché du livre prend del’importance et où les stratégies del’édition se renouvellent. �

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On connaît depuis longtemps l’im-portance du sommeil pour les fonc-tions cognitives, et notamment pourla mémoire. Cependant les méca-nismes en jeu commencent à peine àêtre élucidés. De nombreuses étudesont déjà montré que l’hippocampe,une structure du cerveau fortementimpliquée dans la mémoire, avaitune activité particulière pendant lesommeil. En effet, dans l’hippo-campe, les neurones s’activentpendant le sommeil de la mêmefaçon qu’ils se sont activés dans laphase d’éveil qui précède, comme sil’animal était en train de rêver. Ces

réactivations ont lieu spécifique-ment pendant des courtes périodesoù les neurones hippocampiques sesynchronisent pour produire uneoscillation très rapide, qui pourraitêtre le mécanisme principal durenforcement de la mémoirependant le sommeil. Formulée il y avingt ans, et bien qu’étayée depuispar un grand nombre de résultatsexpérimentaux (Cf. communiqué depresse CNRS « la nuit porte réelle-ment conseil », Peyrache et al.,publié par notre équipe) cette hypo-thèse n’a jamais été démontrée.C’est ce que nous avons fait dans

cette étude, publiée dans NatureNeuroscience. En effet, nous avonssupprimé les oscillations rapidesdans l’hippocampe et donc les réac-tivations chez des rats entraînés àmémoriser l’emplacement de récom-penses sur un labyrinthe, pendant lesommeil suivant l’entrainement : lesrats dont les oscillations ont étésupprimées ont présenté d’impor-tants déficits d’apprentissage,démontrant pour la première fois lerôle capital des oscillations hippo-campiques rapides et des réactiva-tions pendant le sommeil pour lamémoire. �

Référence :G. Girardeau, K. Benchenane, S. I. Wiener, G. Buzsáki & M. l B. Zugaro, « Selective suppression of hippocampal ripples impairs spatial memory », NatureNeuroscience. Published online: 13 September 2009.1. György Buzsáki est professeur à Rutgers University, Newark, USA. Il a donné une série de conférences au Collège de France en juin 2008, en tant que professeur invité.

ÉQUIPE DE RECHERCHE AU COLLÈGE DE FRANCEPUBLICATION

Gabrielle Girardeau, Karim Benchenane,Sidney I. Wiener, György Buzsáki(1)

& Michaël B. ZugaroLaboratoire de Physiologie de la perception et del’action (CNRS/Collège de France)

Comment la mémoire se consolide pendant lesommeil

Schéma : Les ripples (oscillations rapides de l’hippocampe) sont essentiellesà la mémorisation. a- Les rats sont entraînés à trouver les trois récompensessur un labyrinthe à 8 bras. Pendant le sommeil qui suit, on déclenche desstimulations qui suppriment les ripples (animaux de test) ou les laissentintactes (animaux de contrôle). b- Exemples de signaux électrophysiologiques.Chez les animaux du groupe test les ripples sont interrompues par une courtestimulation (triangles noirs), alors que les animaux de contrôle gardent leursripples intactes car la stimulation arrive après. c- La performanced’apprentissage des animaux dont les ripples sont supprimées (en rouge) estsignificativement moins élevée que celle des groupes de contrôle.

Gabrielle Girardeau, Michaël B. Zugaro et Sidney I. Wiener György BuzsákiKarim Benchenane

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Le 27 octobre dernier, la résidenceMarcelin Berthelot du Collège de Franceà Meudon a été inaugurée parMme Valérie Pécresse, ministre del’Enseignement supérieur et de larecherche, en présence de MM. Jean-Paul Huchon, président du Conseilrégional d’Ile-de-France, DenisLarghero, conseiller général des Hauts-de-Seine, Hervé Marseille, maire deMeudon, Daniel Biard, président de lasociété Logirep, et du Pr Pierre Corvol,administrateur du Collège de France.

Au milieu d’un parc de 4,5 ha, en lisièrede la forêt de Meudon, cette résidencecompte 58 logements destinés en prioritéaux chercheurs du Collège de France, del’Observatoire de Paris et du CNRS,

mais aussi d’autres organismesscientifiques. Elle est gérée par l’ARPEJ(Association des résidences pourétudiants et jeunes).

L’histoire commence en 1883, date àlaquelle l’État met à disposition duCollège de France une partie de l’anciendomaine royal de Meudon, tombé enruines, pour permettre à MarcelinBerthelot, titulaire de la chaire de Chimieorganique, d’y installer une station de« chimie végétale ». Berthelot habita ettravailla à Meudon pendant unevingtaine d’années. Il y fit d’importantesdécouvertes, notamment sur le processusd’assimilation de l’azote par les végétauxqui conduisit à la fabrication industrielledes engrais azotés. Après la mort deMarcelin Berthelot, en 1907, la stationfonctionna encore quelque temps. Ledernier occupant en fut Jean Roche,titulaire de la chaire de Biochimiegénérale et comparée (1947-1972).

En 2002, dans le cadre duprogramme de rénovation du Collègede France, l’assemblée des professeursdécida de transformer la station deMeudon en une résidence pour jeuneschercheurs. Il revint à JacquesGlowinski de mener à bien ce projet,d’abord en tant qu’administrateurpuis, à partir de 2006, en tant que

chargé de mission pour le programmede rénovation du Collège de France.

L’opération, d’un montant de3,2 millions d’euros, a été financéegrâce à un emprunt contracté par lasociété Logirep, en échange d’un droitd’exploitation de la résidence d’unedurée de trente ans, et par de généreusessubventions de la région Ile-de-Franceet du département des Hauts-de-Seine.Elle a bénéficié du soutien du ministèrede l’Enseignement supérieur et de larecherche, du ministère de l’Économie,des finances et de l’industrie, ainsi quede la mairie de Meudon. M. Jean-PaulAudigé y a apporté son concours entant qu’ingénieur conseil.

Mise en service en septembre 2008, larésidence accueille de nombreuxchercheurs français et étrangers (le tauxd’occupation est proche de 100 %),attirés à la fois par la beauté du site, laqualité des installations et du service, etles loyers modérés. Ainsi, le Collège deFrance tire profit de son patrimoineimmobilier pour développer sa politiqued’accueil de jeunes chercheurs et pourservir les intérêts de la communautéscientifique dans son ensemble. �

INAUGURATION DE LA RÉSIDENCE

MARCELIN BERTHELOT

DU COLLÈGE DE FRANCE

À MEUDON

Adresse de la résidence:30 avenue Marcelin Berthelot - 92190 Meudon

Réservation : www.univercity.fr

Pierre Corvol Valérie Pécresse Jean-Paul Huchon

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À l’occasion de la semaine de la Fêtede la science, les doctorants et post-doctorants du laboratoire de Chimiede la matière condensée de Paris ontproposé un voyage au cœur de lachimie et de ses innovations. Ils ontmis en place huit ateliers qui consti-tuaient un parcours organisé autourde deux thèmes développés par leprofesseur Jacques Livage dans sescours au Collège de France : « couleuret lumière » et « chimie douce ». Pourillustrer les applications pratiques dela recherche dans ces domaines, unpartenariat avec Saint-Gobain apermis de présenter quelques applica-tions verrières.

� Couleur et lumière

D’où vient la couleur ?

La couleur n’est pas une propriétéintrinsèque de l’objet : elle résulte del’interaction entre la lumière et l’objet.Cette interaction peut se produireselon deux modalités : - sans échange d’énergie : l’objet ne faitque séparer la lumière en une partieréfléchie et une autre transmise. Onparle alors de couleurs « physiques » ;

- avec échange d’énergie : l’objetabsorbe une partie de la lumière, et ceque nous voyons est la couleurcomplémentaire. Les couleurs résul-tantes sont dites « chimiques ».

La couleur physique était illustrée parl’observation des ailes de papillons,porteuses de cristaux photoniques quicausent des variations de couleur enfonction de l’angle d’incidence desrayons lumineux. Pour la couleurchimique, à partir du colorant orga-nique extrait du chou rouge, l’ajout decomposants acides ou basiquespermettait d’explorer les variationsstructurales qui déterminent la couleurde la solution.

Photoluminescence : des nano-particules qui émettent de lalumière visible, comment çamarche ?

Quand on illumine des nanoparticulesavec de la lumière ultraviolette, ellessont excitées. En retournant à leur étatstable, elles émettent une lumièrevisible. Cette propriété est appeléephotoluminescence. La couleur de lalumière émise dépend de la taille des

FÊTE DE LA SCIENCE

AU COLLÈGE DE FRANCE

« Faites de la science ! » était lapremière manifestation placée sousl’égide de l’Association CHADOC(Chercheurs associés et doctorantsdu Collège de France), qui a étéofficiellement enregistrée le29 septembre dernier.

Événement organisé du 19 au21 novembre 2009 par TamarSaison et Céline Rosticher,laboratoire de Chimie de lamatière condensée de Paris(CMCP) au Collège de France,avec l’aide des jeunes chercheursdu laboratoire et le soutienfinancier de la Fondation Hugotdu Collège de France.

Remerciements à Saint-Gobain,au laboratoire Photons et Matière,à l’association Les atomes crochus età l’université Strathclyde de Glasgow.

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C. Rosticher, T. Saison

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particules. Plus la taille des particulesest grande, plus l’écart entre lesniveaux d’énergie est petit : les parti-cules de 2 nm émettront une lumièrebleue alors que celle de 5 nm unelumière rouge de plus faible énergie.L’ajustement de la taille des particulespermet de choisir la couleur émise. Cesnanoparticules appelées quantum dotspeuvent être utilisées commemarqueurs biologiques pour suivre,par exemple, le parcours de protéinesdans le sang ou encore commemarqueurs sur les billets de banque,pour reconnaître la contrefaçon.

Chimiluminescence : commentcréer de la lumière à partir d’uneréaction chimique ?

Lors de certaines réactions entre deuxmolécules, une nouvelle molécule dite« excitée » est obtenue. Cette molé-cule dans un état instable va retournerà son état dit « fondamental » enémettant une lumière qui peut êtrevisible. On parle de chimilumines-cence puisque la lumière émiseprovient d’une réaction chimique. Parexemple, le luminol et l’eau oxygénéeréagissent en créant une molécule qui,en se désexcitant, émet une intenselumière bleue. Cette réaction peut êtreaccélérée en présence d’un catalyseurtel qu’un sel de fer. C’est pourquoi lecouple luminol/eau oxygénée, parcequ’il réagit au fer présent dans lesang, est utilisé pour détecter rapide-ment les traces de sang sur les scènesde crime. Un principe analogue basé

sur la chimiluminescence est utilisédans les bracelets lumineux ou lesbâtons de sécurité routière : ilscontiennent deux substances isoléesdans des ampoules qui, en se cassant,permettent le mélange des deuxproduits dont la réaction s’accom-pagne d’une émission lumineuse.

� Chimie douce

Sol-gel coloré : comment créerdu « verre coloré » à bassetempérature ?

Le verre est traditionnellementélaboré à partir de silice fondue audessus de 1000° C. Cependant, ens’inspirant de la nature, des cher-cheurs ont développé une voie desynthèse pour concevoir du verre àbasse température. Cela permet nonseulement de consommer moinsd’énergie mais aussi de créer touteune gamme de matériaux hybridesinorganiques/organiques impossiblesà obtenir selon le processus standardde fabrication du verre puisque, sousair, la matière organique brûle engénéral dès 400° C. Cette synthèse,appelée « sol-gel » comprend deuxétapes : l’hydrolyse et la condensa-tion. En présence d’eau, les précur-seurs de silice Si(OR)4 s’hydrolysentpour former des espèces Si(OH)4

réactives qui, à travers des réactionssuccessives de polycondensation,conduisent à la formation de gels. Lesréactions sol-gel mises en œuvre enprésence de colorants organiquesconduisent à la formation de verreshybrides. Les applications de cesmatériaux sont nombreuses : verrescolorés (et lasers à colorants solides),revêtements fonctionnels sur les vitreset pour la micro-optique et micro-électronique, capteurs et bio-capteurs,etc.

Jardins minéraux : commentfaire pousser des jardinschimiques ?

La chimie permet de faire pousser defascinantes structures, étonnammentsemblables au vivant. La « crois-

sance » de ces minéraux s’expliquepar deux phénomènes chimiques :l’osmose et la chimie sol-gel. Dans cedernier cas, l’insertion d’une solutionde cation métallique (fer, cuivre,cobalt, etc.) dans une solution de sili-cate Si(OH)4 entraîne localement unemodification de pH. Ces groupe-ments Si(OH)4 très sensibles au pHse condensent alors autour du cationqui se retrouve bloqué dans un réseaude silice. De ce fait, on peut contrôlerla croissance de structures minéralesressemblant à des arbres. De plus,suivant le cation utilisé, ces plantesminérales peuvent avoir des couleursdifférentes : orange pour le fer, bleupour le cuivre.

� Applications verrières

Feuilles de lotus : comment créerdes vitres super-hydrophobes ?

Essayez de mouiller une feuille delotus : vous n’y arriverez pas ! Eneffet, la feuille de lotus est une surfacesuper-hydrophobe : l’eau qu’on ydépose prend la forme de petites gout-telettes qui roulent à la surface sansla pénétrer. Cette super-hydrophobieest due principalement à la texture dela feuille de lotus : sa surface estcomposée de plots micrométriquesrecouverts de cheveux nanométriques.À cause de cette structure particulière,l’eau reste au sommet des plots sansjamais toucher la surface interne,comme sur un tapis de fakir. Les tech-niques de nano-impression permettentde copier la texture de cette surface.Dans un premier temps, on fabriqueun moule en polymère à partir d’unefeuille de lotus. Ce moule est ensuiteutilisé comme un tampon pourimprimer des verres recouverts d’unecouche sol-gel. Lors du chauffage dela couche sol-gel, la condensationproduite à l’intérieur du moulepermet d’obtenir un verre texturé etdonc super-hydrophobe. Les applica-tions concernent par exemple lespare-brises des voitures : ces verrespermettent une évacuation rapide del’eau sans essuie-glaces.

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Photocatalyse : comment dépolluer des eaux ou nettoyerdes vitres par simple action dusoleil ?

L’oxyde de titane (TiO2) est le photo-catalyseur le plus utilisé aujourd’hui.C’est un semi-conducteur capabled’absorber des rayonnements ultra-violets. Cette absorption énergétiquepermet de générer une paireélectron/trou. Ces électrons et cestrous migrent à la surface du photo-catalyseur et donnent lieu à des réac-tions de dégradation des moléculesorganiques adsorbées. Il suffit doncd’illuminer TiO2 aux ultravioletspour dégrader toutes sortes de molé-cules organiques en CO2 et H2O. Ce

principe est utilisé pour dépolluerl’eau ou l’air sous l’action soit d’unelampe UV, soit de la lumière du soleil.C’est sur ce principe que sont déve-loppées les vitres auto-nettoyantesBioclean®. De plus, la présence deTiO2 rend la vitre super-hydrophilesous l’action des UV : la pluie s’ydépose sous forme de film et emporteles polluants résiduels.

Vitres intelligentes : commentdes vitres peuvent-elles changerde couleur ou conserver lachaleur ?

Trois vitres issues de travaux derecherche et commercialisées parSaint-Gobain ont été présentées.

La vitre électrochrome Lightuning®est revêtue d’une couche activecomposée d’oxyde de tungstène WO3

transparent. Sous l’effet d’un courantélectrique, l’injection de protons H+

dans cette couche transforme l’oxydede tungstène en bronze ce quientraîne le changement de l’étatd’oxydation du tungstène de W6+ àW5+, un composé qui génère une fortecoloration bleue. Cet effet est réver-sible, et en outre, en faisant varier lecourant électrique, on peut obtenirtoutes les couleurs intermédiairesentre le transparent et le bleu. Cettevitre est déjà utilisée dans des voitures

et des bâtiments, elle permet decontrôler la luminosité et l’entrée dela chaleur.

La vitre Privalite® est composée d’unfilm de cristaux liquides inséré entredeux plaques de verre, chacunerevêtue d’une couche transparenteconductrice et reliée à une alimenta-tion électrique par le biais de deuxélectrodes. Lorsqu’un champ élec-trique est établi entre les deux couchesconductrices, les cristaux liquidess’orientent et s’alignent et le vitragedevient transparent. Lorsque le verren’est soumis à aucune tension élec-trique, les cristaux liquides reprennentdes positions aléatoires et diffusent lalumière dans toutes les directions,rendant le verre opaque. Le temps decommutation entre l’état opaque ettransparent de la vitre est de l’ordrede la milliseconde. Ces vitres sont utili-sées par exemple comme panneauxd’isolation optiques commutablesdans des salles de réunion.

La vitre Planitherm® est recouverted’une fine couche nanométriqued’argent qui permet de réfléchir lesrayonnements infrarouges et ainsi deconserver la chaleur à l’intérieur de lamaison. Cela permet de réduire laconsommation de chauffage, doncles émissions de CO2. �

Céline Rosticher, Tamar Saison

Dans le cadre du partenariat établi en 2006 entre leCollège de France et la mairie d’Aubervilliers, neufclasses du lycée Le Corbusier d’Aubervilliers, avecleurs professeurs, ont été accueillies par les jeunes

chimistes du Collège de France qui se sont efforcés deleur transmettre leur savoir et de leur faire partagerleur passion pour la recherche.

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IAN HACKING

LAURÉAT DU PRIX HOLBERG 2009

Son Altesse Royale la Princesse Mette-Marit remet le prix Holberg 2009 auPr Ian Hacking (Bergen, Norvège)© Marit Hommedal/Holberg Prize.

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Discours de réception lors de lacérémonie de remise du PrixHolberg, 25 novembre 2009Pr Ian HackingTraduction Marc Kirsch

« Votre Altesse royale, Messieurs lesmembres du Ludwig HolbergMemorial Fund, chers invités,

la coutume voulait, les années précé-dentes, que le lauréat du prix Holbergs’en tienne à quelques mots de remer-ciement et de commentaire sur le prix,les organisateurs et le Baron Holberg.On m’a demandé cette année de parlerun peu plus longuement d’un thème derecherche en cours.

Pour autant, je ne saurais omettre lesremerciements. J’aimerais parler pourl’ensemble des trois prix. Le plus impor-tant est celui des plus jeunes : leconcours de recherche pour les lycéens.Les participants et les trois vainqueurs

représentent l’avenir. C’est une belle idéed’avoir inclus des jeunes dans la struc-ture du Prix Holberg. Le suivant parordre d’importance est le prix Nils Klimdestiné aux jeunes chercheursnordiques. Ils sont le futur proche. Untel prix peut donner au lauréat uneimpulsion décisive à la fois sur le planfinancier et en termes de reconnaissanceinternationale. Le moins important estle prix senior. En effet, si actifs que nouscontinuions à être, nous autres hommeset femmes âgés, l’œuvre de notre vie,pour l’essentiel, est accomplie.

Je suis bien sûr reconnaissant pour ceprix si généreux, mais aussi attristé. J’aieu un grand quart d’heure de célébrité,que je n’aurais jamais connu sans cetteimposante somme d’argent. Ce que j’aipréféré, c’est le titre du Daily Telegraph,le journal conservateur de Londres :« Un philosophe canadien gagne500 000 euros et s’achète des drapsneufs ». Il est honteux que dans leshumanités il ne puisse y avoir de véri-table reconnaissance publique sans quesoient en jeu de fortes sommes d’argent.Non qu’il faille mépriser l’argent, biensûr. Comme beaucoup d’autres lauréatsde prix importants, ma femme et moiferons don d’une bonne partie de cettesomme. Chose qui nous a frappée,notre choix de bénéficiaires est remar-quablement semblable, hormis lescontributions à des institutions éduca-tives, à celui qui figure sur la liste duCrown Prince and Crown Princess’sHumanitarian Fund.

J’en viens à mes recherches actuelles.Le meilleur résumé de ma vie, intel-lectuelle et en général, tient en troismots : je suis curieux. […] Macuriosité me vaut beaucoup d’ennuis,dont le moindre n’est pas de suivre

plus de sujets différents que je n’ai letemps et l’énergie d’en traiter.

Le symposium Holberg a porté sur desquestions sociales, et en particulier surmes idées concernant la manière defaçonner les gens et sur les « effets deboucle » de la classification. Mais pourl’heure, le problème que je trouve le pluspressant est la curiosité au sujet de lacuriosité elle-même.

William Saroyan, romancier marxisteaméricain, a écrit une merveilleusehistoire pour enfants intitulée ME !(Moi !). Au commencement, il n’y avaitqu’un seul mot, « moi ». Les gensallaient et venaient en répétant « moi,moi, moi » et rien d’autre. Puis ilsdécouvrirent « toi ». S’il pouvait y enavoir deux, il pouvait y en avoir plus :« oui » et « non », « vert » et « bleu ».Et puis, dit Saroyan, les gens se sont misà trouver. À la dernière page de son livremagnifique, « ils trouvent encore ». Ouinous trouvons.

Cette histoire nous apprend ceci : nousavons dû trouver comment trouver.C’est une série de découvertes culturellesau cours de l’histoire. Mais ce n’est passeulement l’histoire des civilisations. Ilfallait que les gens possèdent différentessortes de capacités latentes qu’ilsdevaient apprendre à utiliser. Trouvercomment trouver est un jeu d’inter-actions compliquées entre des facultésinnées et l’histoire humaine. Il a produitplus d’effet sur notre planète que tout ceque nous avons fait d’autre.

Nous avons trouvé comment faire d’in-nombrables choses, comment sculpterle corps humain dans le marbre,comment le peindre sur des toiles, etnous sommes en train de trouver

Ian Hacking, titulaire de la chaire dePhilosophie et histoire des conceptsscientifiques (2000-2006) au Collège deFrance, a reçu le Ludwig HolbergMemorial Prize à Bergen, Norvège, le25 novembre 2009. Le prix Holbergcomporte trois volets. Le Holberg PrizeSchool Project est un prix de recherchepour les élèves de lycée. Le Nils KlimPrize est décerné à des chercheursnordiques de moins de 35 ans travail-lant dans les domaines couverts par leprix Holberg. Le Holberg InternationalMemorial Prize est décerné chaqueannée « pour une œuvre intellectuelleexceptionnelle dans un domaine relevantdes arts et des humanités, des sciencessociales, du droit et de la théologie ». Lemontant de ce prix est de 4,5 millionsde couronnes norvégiennes (environ500 000 €).

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comment modifier son génome. Noustrouvons non seulement comment faire,mais nous trouvons aussi ce qui est vrai.Nous avons fait des découvertes sansnombre en amour et aussi, hélas, dansla guerre. Mais c’est de trouver dans lessciences qui a fait de nous l’espèce domi-nante. Trop dominante, peut-être. Uneanthropologie philosophique dessciences est une enquête sur ceux desaspects de la nature humaine qui ontchangé la face de la terre et de tout cequi l’habite.

Trouver est toujours une chose parti-culière, mais il y a quelques grandeslignes directrices. Je les appelle des stylesde raisonnement scientifique. J’aiadapté ce label qui vient d’un historiendes sciences australien, feu AlistairCrombie. Je transforme son anthro-pologie de la raison scientifique en uneanthropologie philosophique.

Crombie distinguait quelque sixméthodes d’argumentation fonda-mentalement différentes, qui se sontdéveloppées dans ce qu’il appelait « latradition européenne », mais qui sontdevenues partie intégrante du patri-moine humain. Leur épicentre pourraitbien se situer aujourd’hui dans la métro-pole flambant neuf de Shenzen, dans lesud de la Chine, à côté de Hong-Kong.À moins que ce ne soit à Bangalore, enInde ? Reste qu’à l’origine, l’histoireculturelle de ce que nous appelons lessciences s’est développée enMéditerranée puis en Europe.

Le premier style que l’on vit s’épanouirfut mathématique. Kant l’avait très bienremarqué. Il y a dans la seconde éditionde sa Critique de la raison pure unpassage magique où il parle d’une révo-lution : « Le premier qui démontra letriangle isocèle (qu’il s’appelât Thalèsou de tout autre nom) eut une illumi-nation ». Bien entendu, ce n’est pas d’unhomme seul qu’il s’agit mais d’unepetite communauté, et l’on parleraitaujourd’hui d’Eudoxe plutôt que deThalès. Cependant, dans le cours d’en-viron quatre-vingts ans, un petit cercled’excentriques découvrit la démonstra-tion mathématique, une manière

entièrement nouvelle de trouver. Et nousavons continué à trouver : les preuves etles techniques de preuve continuentd’être, dans l’histoire sociale, undomaine en développement.

Chez Crombie, les deux styles de penséescientifique qui viennent ensuite sont lessuivants, dans sa propre terminologie :(1) la construction de modèles hypothé-tiques du monde, une techniqueancienne qui s’est cristallisée avecGalilée, et (2) l’exploration expérimen-tale, plus antique et universelle encore.L’étape conceptuelle vraiment décisive,qui a rendu possible dans l’Europe duXVIIe siècle l’essor de ce que l’onqualifie de révolution scientifique, futla fusion de ces deux styles pour formerle style du laboratoire. Une nouvellefois, Kant parle d’une « révolutionsubite dans la manière de penser ». Ilmet en avant Galilée d’un côté,Torricelli de l’autre. Il fallait que théorieet exploration se combinent, pourchanger le monde. Robert Boyle et sapompe à air sont à mes yeux l’emblèmed’une nouvelle cristallisation du style delaboratoire. Son cœur est la construc-tion d’instruments destinés non seule-ment à examiner le monde, mais aussià créer de nouveaux phénomènes.Crombie propose encore trois autresstyles : je ne mentionnerai que le styletaxinomique, que l’on trouve danstoutes les cultures, mais qui s’estcristallisé dans l’œuvre de Linné.

Ce qui m’intrigue, ce sont les tournantsphilosophiques. Je pars d’une versionérudite de l’histoire des sciences popu-laire, mais des événements historiquescanoniques prennent de nouvelles signi-fications. Cette histoire doit avoir aussiun volet cognitif – quoique pour lemoment il soit plus a priori qu’em-pirique. En sciences cognitives, il y a uneécole modulariste qui soutient, parexemple, qu’il existe une structureuniverselle de la manière dont les êtreshumains de par le monde classifient leschoses vivantes. Le style de pensée taxi-nomique repose sur ce fondement. À lavérité, je suis assez peu modulariste.Mais on peut concevoir chaque style depensée comme déployant un ensemble

spécifique de capacités humaines quidoivent être découvertes et cultivées.Lorsque Thalès, Eudoxe et leurscollègues ont reçu cette illumination,quelque chose dans l’esprit humain s’estdéclenché, la réalisation d’un potentielqui était déjà présent. En l’espace de trèspeu d’années, ce fut un jaillissementprodigieux de créativité géométrique.L’historien des mathématiques israélienReviel Netz s’est lancé brillammentdans cette « histoire cognitive », commeil l’appelle. Mais gardons-nous de tropmettre l’accent sur les aspects cognitifs.Le style de laboratoire ne demande passeulement des aptitudes cognitives à lamodélisation et à l’exploration : ilrequiert aussi que l’on trouve commentfaire des choses avec le corps humain, lamain et l’œil. C’est un art corporel.

Il y a aussi un tournant plus purementphilosophique qui a affaire à la véritéelle-même. Les styles de pensée ne sontpas des manières de trouver des véritésqui sont juste là, attendant d’êtredécouvertes. Les styles sont auto-authentifiants en ceci qu’ils produisentde nouveaux critères de ce qui est vrai.Il ne s’agit pas là de quelque forme derelativisme ; c’est une manière d’ex-pliquer d’où vient notre sens de l’ob-jectivité. Cela pourrait ressembler à unhistoricisme sauvage, mais c’est trèsproche du principe de vérification despositivistes du Cercle de Vienne.

Je m’arrête et je m’en tiens à cecommencement intrigant. Nous voiciparvenus dans le cœur du territoire dela philosophie. C’est un pays kantien,sans doute, mais j’y vois la terre de celui,parmi les philosophes des tempsmodernes, qui avait la plus grande descuriosités : je veux dire Leibniz. Voilàmon modèle, curieux de tout, y comprisde la curiosité elle-même. Le prixHolberg est pour moi un encourage-ment à poursuivre ces réflexions sur laraison scientifique, et peut-être à lesmener à terme dans un futur assezproche. C’est pourquoi je veux unenouvelle fois vous remercier. » �

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Variations sur un thème humain

L’année 2009 peut, sans hésitation, êtrequalifiée d’année Darwin puisque nousavons, d’un même élan, célébré lebicentenaire du naturaliste et les centcinquante ans de L’Origine des espèces.Cela a quelque peu contribué à laisserdans l’ombre un autre grand évolu-tionniste, Jean-Baptiste Lamarck, quipublia la Philosophie zoologiquel’année même de la naissance deDarwin. Lamarck, qui finit sa vieaveugle, conduit par sa fille vers l’am-phithéâtre où il donnait ses cours àquelques fidèles, dont Étienne GeoffroySaint-Hilaire. Lamarck le rouge, pourNapoléon, pour les tories anglais aussi,peu soucieux d’importer notre révolu-tion et le dernier cri de la technique enmatière de décollation. Profitons doncde l’occasion qui nous est donnée poursaluer un savant qui n’est jamais loinquand on parle d’évolution et dontl’œuvre est peu à peu redécouverte àtravers l’importance nouvelle accordéeà l’épigenèse.

La célébration des grands hommes,malgré ses côtés parfois pompeux – ouchauvins – qui peuvent prêter à sourire,nous rappelle d’abord que sapiens estattaché à son histoire. Sauf erreur dema part, et les éthologues rectifierontau besoin, les autres animaux n’ont pasce type de pratique culturelle, pasmême les chimpanzés qui sont pournous comme des frères, dit-on. Si l’au-teur de ces lignes s’était laissé aller àprésenter une communication lors ducolloque de rentrée, c’eût été sans doutepour dégonfler le mythe des 1,23 % dedifférence entre les génomes de l’Homosapiens et de Pan troglodytes (oupaniscus) et pour rappeler que si lechimpanzé est en effet le plus prochecousin de l’homme, affirmer quel’homme est à 98,77 % chimpanzé (ouà 80 % souris) est, tout simplement,dépourvu de sens.

Ce caractère unique de sapiens, de serattacher à une histoire, ou à deshistoires, des cultures, est particulière-ment intéressant quand on parle deDarwin qui, d’une part, n’a eu de cessed’humilier sapiens en le rappelant à seshumbles origines et, d’autre part, s’estinterrogé sur l’étrangeté d’une espècequi, même si elle a hérité de son histoireévolutive ses facultés mentales, doncaussi psychologiques et morales, les apoussées à un point si extrême qu’onpeut parler d’animal tragique. C’estl’hominisation biologique, processusévolutif, qui a ouvert sur les possibilitésculturelles de l’humanisation.

Le colloque a offert une part réduite àla biologie « pure et dure ». Après tantde rassemblements, aux formes variées,consacrés à l’événement, il n’a en effetpas paru nécessaire d’en rajouter. Mais,pour limitée qu’elle fut, cette part apermis de donner une idée de l’étatactuel d’une théorie elle-même enévolution. C’est bien le moins pour unethéorie vivante que d’évoluer, même sicela signe un degré d’imperfection, ouplutôt d’inachèvement, qui sert d’angled’attaque aux créationnistes qui, eux,en ont une de parfaite, je veux dire dethéorie – à ce qu’ils croient. Les dogmesn’évoluent pas, ils sont morts et– souvent – mortifères. D’ailleurs, lescréationnistes ont bien raison de haïrDarwin, un savant athée pour quil’évolution n’a ni fin ni finalité, pourqui aussi le grand livre de la nature n’estpas écrit, par un être divin, en langagemathématique. L’histoire de cetterupture avec une conception galiléennede la nature reste à faire. Comme resteà en analyser les conséquences sur lanature même de la science. Mais c’est làun autre débat, peut-être le thème d’uncolloque futur.

Stimulés par la diversité des champs desavoir présents au Collège de France,nous avons offert une place importante

à la question de l’homme – de l’humaincorrigerait Françoise Héritier. En cela,nous avons suivi Darwin dont LaDescendance de l’homme est unelongue suite de réflexions non seule-ment sur l’évolution de l’homme maisaussi sur l’homme comme animalsocial, une réflexion liant hominisation,notre histoire évolutive, et humanisa-tion comme construction de sociétés etde règles, évidemment contingentes, quipolicent nos façons de vivre ensemble.Il est d’ailleurs intéressant de constaterque le darwinisme lui-même a étéinfluencé par la question sociale– Malthus –et l’a influencée – darwinismesocial. L’humanisation est aussi inventionde cultures qui nous permettent de nousraconter des histoires et de nous efforcerde donner du sens, ou d’en chercher un,au bref éclair qu’est toute vie organique.

Et même si notre destin mortel est assuré(si j’ose dire) au niveau individuel, peut-être même au niveau de l’espèce, voirepour toute vie sur terre, le colloque derentrée n’a pas voulu faire l’impasse surl’évolution future de l’homme. Certainsparlent de post-humain, je préfère plussimplement parler d’évolution tech-nique, puisque sapiens, même s’ilcontinue d’évoluer biologiquement, estun animal dont le destin est d’abordtechnique, l’outil étant le prolongementnon seulement de son bras, mais aussi

COLLOQUE DE RENTRÉE DU COLLÈGE DE FRANCE :DARWIN A DEUX CENTS ANS

15 ET 16 OCTOBRE 2009

Pr Alain Prochiantz

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Colloque organisé avec le soutien de la Fondation Hugot du Collège de France. Les vidéos du colloquesont disponibles sur le site internet du Collège, les actes seront publiés par les éditions Odile Jacob.Nous publions ici un compte-rendu de la conférence du professeur Mireille Delmas-Marty, paru dans lejournal Libération, le 19 novembre 2009, ainsi qu’un compte-rendu de la conférence du professeur Jean-Pierre Changeux.

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Hominisation et humanisation.

Alors que l’évolution biologique résultede l’émergence d’une seuleespèce humaine (hominisation), l’évolu-tion sociale et culturelle, plus tardive, s’estfaite par la diversification des cultures etl’émergence d’une normativité propre àchaque groupe humain (humanisation).La tension est peu visible car les deuxprocessus, étudiés séparément, nerelèvent ni de la même échelle de temps,graduée d’un côté en millions d’années etde l’autre en milliers, ni des mêmesvaleurs (vie de l’espèce/promotion de ladignité de chaque être humain).

Pourtant, Darwin lui-même, évoquantle rôle des facultés sociales et morales,constatait déjà qu’elles limitent chezl’homme l’influence de la sélection natu-relle. Et nous entrons dans une phase oùles connaissances scientifiques permet-traient sans doute de changer le modede reproduction et/ou les caractéristiquesde l’espèce humaine, voire de fabriquerdes hybrides, homme/animal, ouhomme/machine. Ainsi l’humanisationpourrait à son tour modifier le cours del’hominisation par diversification del’espèce humaine. À l’inverse, les normeséthiques s’universalisent de sorte qu’il est

apparu nécessaire d’adopter une conven-tion pour rappeler que la diversité descultures fait partie du patrimoinecommun de l’humanité (Unesco, 2005) :comme si l’humanisation tendait versl’éradication des différences et à l’unifi-cation des cultures.

D’où la nécessité de relier les deuxprocessus : Jean-Pierre Changeux aexpliqué que la variabilité épigénétique(particulièrement forte chez l’êtrehumain) favorise la créativité donc l’hu-manisation, et Stanislas Dehaene,montré comment le « recyclageneuronal », qui prolonge l’hominisation,contribue à la culture, donc à l’humani-sation. Or le droit participe à cette miseen relation, mais de plusieurs façons.

Le droit révélateur des tensionsIl est clair que protéger le droit à la viefavorise l’espèce : l’interdit de tuer semblequasi universel, y compris en ce quiconcerne les exceptions comme la guerreou la légitime défense. En revanche, il ya désaccord sur la peine de mort et pluslargement sur le commencement et la finde la vie (avortement, euthanasie).Hannah Arendt soulignait en effet que« la naissance et la mort des êtreshumains ne sont pas de simples événe-

ments naturels », et que la vie humainesemble bornée par un commencementet une fin, alors que, pris dans le mouve-ment cyclique de la nature, le vivant nonhumain ne connaît « ni mort ni nais-sance au sens où nous entendons cesmots ». Si les modalités du droit à la vievarient avec l’histoire des peuples, c’estqu’elles relèvent aussi de l’humanisation.

À l’inverse, le droit à l’égale dignité, quisous-tend l’interdit de la torture, despeines et traitements inhumains oudégradants, ou encore de l’esclavage, estlié au processus d’humanisation ; mais ilrévèle aussi des tensions, par exemplequand on justifie la torture par la néces-

– surtout – de son cerveau. Sans l’outil,qui prépare peut-être notre perte à venir,les quelques milliers d’ancêtres africainsn’auraient pas pour descendance lesbientôt sept milliards d’individus occu-pant la presque totalité du globeterrestre, sans oublier la lune. Par là, lepost-humain me semble essentiellementhumain.

Oui, l’outil est le prolongement ducerveau, un cerveau humain excep-tionnel arrivé à un point de développe-ment organique sans commune mesureavec celui de nos parents chimpanzés.Cette hominisation cérébrale, en nous

ouvrant le champ des cultureshumaines – la technique fait partie de laculture –, a projeté l’Homo sapienshors de la nature, je n’ose parler de clai-rière. Le colloque « Darwin a deuxcents ans » s’est donc saisi de ce sujetbrûlant de l’avenir de l’humain, c’est-à-dire de l’avenir des cultures humainessous toutes leurs facettes, à travers tousles champs de savoirs présents ou àinventer.

En nous retournant sur ces deux jour-nées de conférences, il me sembleévident que les conférenciers ont joué lejeu, que nous avons beaucoup appris,

et que des questions sont venues aujour qui permettent de prolonger laréflexion. Cette lettre de commémora-tion de la commémoration est d’abordun remerciement adressé à celles etceux qui, deux jours durant, nous ontcommuniqué leur savoir et permis denous instruire et de débattre. Un remer-ciement aussi adressé à un auditoireattentif et cultivé. Chacun est impatientmaintenant de lire les différentes contri-butions qui seront bientôt rassembléesen un ouvrage collectif. Ainsi le veutnotre coutume. �

Pr Alain Prochiantz

Pr Mireille Delmas-Marty

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Conférence introductive deJ.-P. Changeux

Darwin a 200 ans, mais sa pensée estplus vivante et omniprésente quejamais : au point qu’elle est devenue insé-parable aujourd’hui de notre définitionde la vie.

Avec On the Origin of Species, Darwinpropose d’abord une théorie l’évolution,qu’il applique à l’hominisation, c’est-à-dire à l’origine de l’espèce Homo sapiens.Avec The Descent of Man, Darwin étendsa réflexion à l’humanisation, c’est-à-direaux origines de l’humanité; il s’intéresseaux « facultés mentales de l’homme »,comparées à celles des « animaux infé-rieurs », à la communauté de certainsinstincts, etc. Le simple énoncé desthèmes traités dans le livre montre l’am-pleur de sa réflexion sur le cerveau del’homme et sur ses productions.

Je limiterai donc mes remarques intro-ductives au cerveau de l’homme maiségalement à un concept fondamental de lapensée de Darwin : la notion de variation.Le mot est très présent dans L’Origine desespèces. Darwin écrit : « Les espèces n’ontpas été créées indépendamment les unesdes autres », mais « comme les variétés,elles descendent d’autres espèces. » Ilconsacre le premier chapitre de son livre« à l’étude des variations à l’état domes-

tique » et à « la variabilité des espèces àl’état de nature ». De fait, si la sélectionnaturelle est un mécanisme essentiel, quiconduit, écrit Darwin, à la divergence descaractères, la variation est un aspect toutaussi important de sa théorie. La variationest, selon moi, le moteur de l’évolution.

La variabilité se présente sous au moinstrois formes.La première est la variabilité génétique. Aucours des récentes décennies, nos connais-sances sur le génome des être vivants sesont considérablement accrues. On peutdésormais représenter en détail cet arbre dela vie qui illustre magnifiquement la penséede Darwin, avec le foisonnement, la diver-sification des génomes. À la vision arbo-rescente et hiérarchique de l’évolution desgénomes, la science contemporaine ajouteles transferts horizontaux de gènes. Lareprésentation de l’évolution des espècesdans le monde vivant s’est donc trans-formée de l’image originelle arborescentequ’en donnait Darwin à un réseaucomplexe d’interactions géniques.

Pr Jean-Pierre Changeux

sité de sauver des vies humaines. Enrevanche, quand notre code pénalqualifie le clonage reproductif humainde crime contre « l’espèce humaine », etnon de crime contre « l’humanité », ilsépare l’hominisation de l’humanisation,au risque d’aggraver les tensions.

Le droit perturbateurPerturbateur surtout quand il s’attache,plus directement encore, à la déshumani-sation d’un être humain, qu’il s’agisse delégitimer l’esclavage ou de fonder sur lacontinuité entre l’animal et l’hommecertaines formes de criminalité :Lombroso faisait appel à Darwin poursoutenir que certains criminels étaient desêtres humains inachevés. Et les théorieseugénistes légitimeront ainsi, en Europecomme aux États-Unis, les mesures destérilisation des criminels, puis les poli-tiques de castration et d’élimination del’Allemagne hitlérienne. Et notre siècle alui aussi ses monstres : des terroristes« ennemis combattants illégaux » auxpervers sexuels et autres grands criminels,il ne s’agirait plus de punir des êtresresponsables, mais d’éliminer des « mons-tres » dangereux, ainsi déshumanisés.

Mais la perturbation peut venir, à l’in-verse, d’une assimilation à l’humain detout ou partie du vivant non humain.Sous l’effet conjugué des découvertesscientifiques (notamment la faible diffé-rence génétique entre l’homme et le chim-panzé) et des innovations technologiques,les courants écologiques se radicalisent,comme cette déclaration des droits del’animal (1978) qui définit comme« génocide » tout acte « compromettantla survie d’une espèce sauvage et toutedécision conduisant à un tel acte ». Cesexcès mêmes montrent que pour devenirrégulateur, le droit devrait transformer lestensions en interactions.

Le droit régulateurPour y parvenir, il faut reconstruire larelation au sein de chaque binôme. Larelation « humain/inhumain » est aucœur des textes sur les droits del’homme et la biomédecine qui impo-sent à la fois de respecter l’êtrehumain dans son appartenance àl’espèce humaine et le droit à l’égaledignité. Ce qui devrait conduire àunifier crime contre l’humanité etcrime contre l’espèce humaine. En

effet si la « déshominisation » résul-tant du changement biologique devaitêtre pratiquée de façon massive parun État ou une organisation ayantpour but ces pratiques, sur une échellede temps qui n’a plus rien à voir avecl’évolution de notre espèce, l’appari-tion de nouveaux groupes, fabriquéspar eugénisme, clonage, ou croise-ment d’espèces, aggraverait le risquede traitements discriminatoires, doncde déshumanisation.

En revanche, pour reconstruire la rela-tion « humain/non humain » en évitanttout anthropomorphisme, c’est la notionde « devoir », inscrite dans la charte cons-titutionnelle de 2005 sur l’environne-ment, qui permettra d’instituer unerelation sans réciprocité avec la nature oules animaux, mais aussi les générationsfutures. L’évolution éthique s’orienteraitainsi vers une certaine universalisation.Mais alors, le droit devra concilier cetteuniversalisation avec la diversité descultures qui a permis, si inachevée soit-elle, notre lente humanisation. �

Pr Mireille Delmas-Marty

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Ces progrès de la connaissance des génomespermettront-ils de lever le voile sur la« nature humaine ». On connaît certestoutes les molécules qui entrent dans lacomposition du corps de l’homme et spécia-lement de son cerveau. Cela suffit-il ? Pourl’heure, on en est loin. Le génome del’homme et celui d’autres mammifèresvoisins ont été séquencés totalement. Onconnaît le nombre et l’identité de tous lesgènes mais la relation entre génome etphénotype cérébral reste très énigmatique.Certes, de la mouche à la souris, le nombrede gènes s’accroit avec le nombre deneurones. Mais on trouve environ le mêmenombre de gènes chez la souris et chezl’homme, et de plus les séquences de cesgènes sont très voisines. Quelle est l’originegénétique des différences, notamment detaille et de complexité du cerveau, qui appa-raissent au cours de l’évolution des mammi-fèresde la souris à l’homme? Ce paradoxeque les biologistes moléculaires doiventencore résoudre est particulièrement difficileà comprendre, car cette évolution est trèsrécente : seuls quelques millions d’annéesnous séparent des ancêtres communs auchimpanzé et àHomo sapiens.

Passer d’une structure linéaire, celle desgénomes, à une structure tridimension-nelle comme celle du cerveau suppose unesérie d’étapes intermédiaires. C’est à leurniveau que l’évolution doit être comprise.Ce saut de complexité est sans doute liéau caractère non linéaire des processusconcernés. Des modifications génétiquesont du interagir entre elles et créer unréseau combinatoire : il existe de ce faitune «connectivité» au niveau du génome.Ainsi, des variations génétiques modestesont pu entraîner des changementsmorphologiques importantes. C’est pour-quoi des variations en apparence discrètes,comme les duplications géniques, peuventexpliquer le caractère non linéaire du

passage entre la connectivité génomiqueet la connectivité cérébrale.

La variabilité n’est pas à l’œuvre seulementdans l’évolution génétique : elle opèreégalement au cours du développement. Lamasse du cerveau humain adulte estenviron cinq fois plus importante que celledu cerveau du nouveau-né, et le dévelop-pement connexionnel se poursuit pendantles quinze premières années de la vie. Cettedimension épigénétique est déterminantepour expliquer la variabilité connexion-nelle qui résulte de cette longue période dedéveloppement dans des conditions d’in-teraction profonde avec l’environnement.Elle conduit à un nouveau paradoxe pourle neurobiologiste : comment conciliercette variabilité connexionnelle avec laconstance de la fonction ? Nous n’avonspas encore la réponse.

Soulignons là encore l’importance de cetteapplication de la pensée darwinienne, parexemple pour comprendre certaines patho-logiescérébrales. Plusieurs théories récentesétablissent en effet un lien entre des maladiesneuro-psychiatriques graves et des anoma-lies du développement épigénétique. Uneexplication récente de la schizophrénierecourt ainsi à l’hypothèse d’une perturba-tion de la sélection épigénétique dessynapses au cours du développement.

La pensée darwinienne apporte ici deséléments de compréhension à l’humanisa-tion. Chez l’homme, la phase d’évolutionconnexionnelle est une période de déve-loppement prolongé et d’apprentissagepermanent où le jeune est en interactionétroite avec son environnement physique,social et culturel. Cette circonstance est sansdoute décisive dans le développementprodigieux de la culture dans l’espècehumaine et dans le passage de l’hominisa-tion à l’humanisation. De fait, la variabilité

épigénétique et la multiplicité des périodessensibles contribuent à créer des empreintesstables de l’évolution culturelle dans lecerveau en développement, à l’image, parexemple, de l’acquisition de l’écriture.

Enfin, le dernier niveau de variabilité queje veux évoquer est celui de l’activitéspontanée du cerveau, qui commencedès la période embryonnaire et contribueà la mise en place finale du cerveau. Elleest la source de la diversité de nos actionssur le monde, de notre créativité. Cettefois, la variabilité des conduites de l’in-dividu et de ses relations avec les autresprend une dimension sociale.

Ainsi, à la variabilité génétique qui s’exerceau niveau de l’évolution de l’espèces’ajoute, sur le plan ontogénétique, la varia-bilité connexionnelle et épigénétique, puis,sur un registre encore différent, la variabi-lité de l’activité spontanée du cerveau quiparticipe de la dynamique de la pensée etse poursuit au niveau des échanges sociauxet culturels avec la mise en place demémoires extra-cérébrales recourant àl’écriture, aux œuvres d’art ou encore, plusrécemment, aux mémoires électroniquesde l’informatique, qui ouvrent de gigan-tesques possibilités de traitement.

Ce parcours dans l’histoire évolutive ducerveau de l’homme et ses multiplesniveaux invite à l’abandon du modèle« instructif »du cerveau – procédant parentrée-sortie – au bénéfice d’un schémadarwinien généralisé – par variation etsélection. On adopte ainsi un styleprojectif du fonctionnement cérébral. Cemodèle rend mieux compte des évolu-tions darwiniennes emboîtées dans notrecerveau qui se poursuivent et contribuentà la dynamique exceptionnelle de l’hu-manisation, avec une ouverture évolutivevers l’avenir sans limite apparente…. �

Pr Jean-Pierre Changeux

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Le Collège de France a inauguré en2008-2009 une nouvelle chaireannuelle, consacrée au développementdurable – environnement, énergie etsociétés. Le colloque « Population,comportements et développementdurable » constituait le dernierélément de cette première annéeacadémique. Il a été organisé en asso-ciation avec l’Académie des sciences(où un rapport sur « Population,alimentation et climat » est en coursde préparation, coordonné par HenriLeridon et Ghislain de Marsily), le butprincipal étant de mettre l’accent surun certain nombre de comportementsque les évolutions en cours obligerontà modifier.

Après les propos d’ouvertureprononcés par Pierre Corvol, adminis-trateur du Collège, et Jean Dercourt,secrétaire perpétuel de l’Académie dessciences, Joël Cohen (RockefellerUniversity, New York) a fait une inter-vention remarquée sur les perspectivesde population mondiale en insistantsur le triptyque population-économie-environnement, les relations entre cestrois termes étant toutes médiatiséespar la culture (en pratique, le niveaud’instruction). Outre la croissanceencore attendue (9 milliards d’habi-tants en 2050), l’évolution démogra-phique se caractérisera par unvieillissement généralisé : jusqu’en2000, l’effectif des 0-4 ans dépassaitcelui des plus de 60 ans ; l’écart vamaintenant se creuser rapidement enfaveur de la population âgée. FrançoisGemenne (IEP, Paris) a complété letableau en évoquant l’augmentation

de l’impact des catastrophes naturellessur les déplacements de populations,et en rappelant que cet impact estd’autant plus fort que les populationssont plus vulnérables : aux multiplessources d’inégalités entre populations,il faut donc ajouter celle-ci.

Les évolutions climatiques attenduesont été présentées par Sandrine Bony-Léna (Laboratoire de météorologiedynamique, Paris), en insistant sur lesmarges d’incertitude des projections etsur la prise en compte des comporte-ments humains dans les modélisations.Les modifications probables destempératures et des régimes des pluiesauront un impact sur les productionsagricoles, et donc les ressources alimen-taires des prochaines décennies. Jean-Luc Redelsperger (GAME/CNRM,Toulouse) a d’ailleurs montrécomment la modification du régimedes moussons avait déjà déplacé lescultures au Sahel, selon un gradientnord-sud. Le programme de recherchepluridisciplinaire AMMA a permis àla fois de comprendre les mécanismesde cette transformation et de mettre enplace un système de prévisions météo-rologiques locales à court et moyentermes. Au plan mondial, de très inté-ressants scénarios d’évolution desdisponibilités alimentaires au cours descinquante prochaines années ont étéconstruits par le CIRAD et l’INRA(scénarios « Agrimonde »), qui ont étéprésentés par Sébastien Treyer(AgroParisTech, Paris), tandis queBruno Jarry (Académie des technolo-gies, Paris) évoquait les risques deconcurrence entre productions à usagealimentaire et biocarburants : labalance entre ces deux productionsdépendra fortement de l’évolution desprix respectifs des produits alimen-taires sur les marchés mondiaux et dupétrole. À ce sujet, Olivier Appert(Institut français du pétrole, Paris) arappelé qu’on attend une croissance de70 % de la demande énergétique, entre2000 et 2030, alors que la populationmondiale augmentera de 35 % dans

le même temps : signe que la consom-mation par tête, qui s’était stabilisée de1975 à 2000, est repartie à la hausse,principalement dans les pays émergents(Chine en tête). Autre ressource rare :l’eau, qui demandera une gestion deplus en plus rigoureuse. Selon LaurentStéfanini (ambassadeur délégué àl’Environnement, Paris), les objectifs duMillénium pour 2015 quant à l’accès àl’eau et à l’assainissement seront loind’être atteints, et pour Daniel Zimmer(Conseil mondial de l’eau, Marseille)on pourrait voir la proportion de lapopulation en situation de stresshydrique passer de 20 à 50 %.

La réflexion économique doit aussiintégrer toutes ces évolutions. Pour lacontrainte démographique, RonaldLee (université de Californie, Berkeley)a montré comment la baisse de lafécondité et le vieillissement modifientla structure de la consommation, del’épargne et des transferts intergénéra-tionnels. Quant au climat, son évolu-tion introduit un élément d’incertitudequi rend la prévision économiqueparticulièrement difficile : le point a étéabordé par Claude Henry (IEP, Pariset Columbia University, New York).

Les débats se sont prolongés au coursd’une table ronde, avec des interven-tions de Didier Blanchet (Insee, Paris),Françoise Héritier (Collège de France),Ghislain de Marsily (universitéParis VI) et Henri Leridon. Enfin,Amartya Sen, prix Nobel d’économie,a conclu la réunion en évoquant lesinteractions entre « Sustainability,Population and Human Will ». �

Pr Henri Leridon

POPULATIONS, COMPORTEMENTS ET DÉVELOPPEMENT DURABLE

Colloque international organisé parle Pr Henri Leridon, chaire de Développement durable –environnement, énergie et sociétésannée académique 2008-20094-5 juin 2009Les vidéos sont disponibles sur lesite internet du Collège de FranceLa chaire reçoit le soutien deTOTAL

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LA LETTRE - N° 2726

Pr Henri Leridon

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Ce séminaire a rassemblé des cher-cheurs économistes et des responsablesde programme de développement deplusieurs pays. Il s’agissait de rappro-cher le point de vue d’un scientifique etcelui d’une personne de terrain, afind’exposer aussi bien les résultats tech-niques de différentes évaluations aléa-toires que leurs applications pratiques.

La plupart des expérimentationsabordées ont été conduites par leschercheurs de J-PAL.

Abhijit Banerjee (professeur d’éco-nomie, MIT) et Fouad Abdelmoumni(directeur général, Al Amana, Maroc)ont évoqué les évaluations aléatoiresen cours dans différents pays afin demesurer l’impact de la micro-financesur la santé, le niveau d’éducation, lepouvoir de décision des femmes, ce quin’a jamais été fait.

Dean Karlan (professeur d’économie,Yale) et Carlos Danel (cofondateur,Compartamos, Mexique) ont examinéla pertinence des politiques publiquesqui invitent souvent les institutions demicro-finance à augmenter leur tauxd’intérêt afin de diminuer leur dépen-dance aux subventions. Cette stratégiene fait sens que si les emprunteurs nesont pas sensibles au taux d’intérêt.

Jakob Svensson (professeur d’éco-nomie, université de Stockholm) etMary C.K. Bitekerezo (spécialiste dudéveloppement, Banque mondiale,Ouganda) ont rendu compte des effetsfavorables d’une expérimentation desuivi communautaire : en Ouganda,

une association locale a encouragé descommunautés à s’impliquer davantageau niveau des services de santé et àdévelopper leurs capacités à demanderdes comptes aux services locaux.

Rohini Pande (professeur d’économie,Harvard) et Anjali Bhardwaj (direc-trice, Satark Nagrik Sangathan, Inde)ont démontré les effets positifs descampagnes d’incitation au vote :plusieurs projets visent actuellement àmobiliser les électeurs des jeunes démo-craties des pays en développement.

Esther Duflo et Nina Singh (inspecteurgénéral de police, Rajasthan, Inde) ontabordé une expérimentation visant àaméliorer l’efficacité de la police auRajasthan. Une évaluation aléatoire amesuré l’impact de formations profes-sionnelles dispensées au sein de lapolice et de changements dans lagestion du personnel. Certaines de cesactions ont permis aux usagers d’êtremieux traités et aux policiers d’êtreplus performants.

Orazio Attanasio (professeur d’éco-nomie, University College London) etBertha Briceño (directrice de la direc-tion des évaluations des politiquespubliques, service national de la plani-fication, Colombie) ont évalué et misen œuvre un programme de transfertsmonétaires conditionnels en Colombie :Familias en Accion. Ils ont décrit à lafois, les difficultés pour mettre en placeun tel programme, financé par unemprunt du gouvernement colombienauprès de la Banque mondiale, ainsique ses effets positifs.

Bruno Crépon (directeur desservices de recherches, CREST-INSEE) et Annie Gauvin (directricede la recherche, Pôle emploi) ontcomparé les différents effets deprogrammes d’accompagnementpublic ou privé des chômeurs delongue durée. Cette évaluation aléa-toire a révélé que les programmes

mis en œuvre par le Pôle emploi onteu un impact plus important.

Rachel Glennerster, (directrice géné-rale, J-PAL, MIT) et Rukmini Banerji,(directrice des programmes, Pratham,Inde) ont analysé les effets encoura-geants de programmes de contrôle del’école mis en œuvre en Inde parPratham, grâce à une évaluationrandomisée. La participation desbénéficiaires au contrôle des servicespublics est de plus en plus perçue parles institutions internationales commeune des solutions permettant d’amé-liorer leur qualité.

Pascaline Dupas, (professeur d’éco-nomie, UCLA, États-Unis) et LizaKimbo (directrice, CFW Shops,Kenya) ont démontré qu’en Afriquesub-saharienne, pour lutter contre lepaludisme, il est plus efficace dedistribuer gratuitement les mousti-quaires que de les vendre, et que lefait de les avoir données gratuitementn’empêche pas les gens de les acheterultérieurement.

Arianna Legovini (directrice de l’ini-tiative « Évaluations d’impact enmatière de développement », Banquemondiale, États-Unis), Abhijit Banerjeeet Esther Duflo ont conclu ces deuxjours en détaillant comment les évalua-tions influent sur la recherche et lespolitiques publiques. �

Hélène Giacobinodirectrice J-PAL Europe

ÉVALUATION DES POLITIQUES DE DÉVELOPPEMENT

REGARDS CROISÉS : SCIENTIFIQUES ET ACTEURS DE TERRAIN

Séminaire organisé parle Pr Esther Duflo, chaire Savoirs contre pauvretéannée académique 2008-20098-9 juin 2009Les vidéos sont disponibles sur lesite internet du Collège de FranceLa chaire reçoit le soutien del’Agence française de développement

Pr Esther Duflo

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LA LETTRE - N° 2728

Cette manifestation a été l’occasionde célébrer le 65e anniversaire denotre collègue, Serge Haroche, titu-laire de la chaire de Physique quan-tique au Collège de France. Unevingtaine de scientifiques venus deFrance, d’Europe, des États-Unis, duJapon et du Brésil ont ainsi puprésenter à Paris, devant une largeaudience, leurs travaux portant surdes thèmes de recherche auxquelsSerge Haroche et son équipe ontcontribué depuis trois décennies.L’électrodynamique quantique encavité, qui s’intéresse au couplaged’atomes avec quelques photonspiégés dans une cavité, était le sujetcentral du colloque, qui a égalementabordé d’autres domaines voisins enoptique et en information quan-tiques.

La liste des participants incluaitClaude Cohen-Tannoudji, professeurhonoraire au Collège de France, prixNobel de physique en 1997, qui fut ledirecteur de thèse de Serge Haroche,

Daniel Kleppner, du MIT, l’inventeurdu maser à hydrogène et l’une despersonnalités les plus influentes de laphysique atomique mondiale, RoyGlauber de Harvard, le père de lathéorie de l’optique quantique, pourlaquelle il a reçu le prix Nobel en2005, Theodor Hänsch de l’institutMax Planck de Garching enAllemagne, l’un des fondateurs de laspectroscopie laser, prix Nobel en2005 également, ainsi que DavidWineland, le grand spécialiste améri-cain du piégeage des ions atomiquesen vue d’applications à l’informationquantique et à la métrologie dutemps.

Il faut ajouter à cette liste Peter Zoller,Anton Zeilinger et Rainer Blatt, troisscientifiques qui font le renom del’école autrichienne d’informationquantique. Massimo Inguscio,Gerhardt Rempe, Andreas Wallraffet Peter Knight représentaient respec-tivement la physique quantiqueitalienne, allemande, suisse etanglaise. La recherche françaisen’était pas en reste avec PhilippeGrangier (Institut d’optique dePalaiseau), Jean-Michel Gérard(CEA, Grenoble) et Jakob Reichel(LKB-ENS). Plusieurs anciensétudiants, postdocs, visiteurs et colla-borateurs de Serge Haroche et de songroupe sont aussi venus à Paris pourl’occasion : Dieter Meschede, ArnoRauschenbeutel et Ferdinand Schmidt-Kaler de Bonn, Mayence et Ulm,Vahid Sandoghdar de l’Institut poly-technique de Zurich, Luigi Moi deSienne, Enrique Solano de Bilbao,Luiz Davidovich et Nicim Zagury deRio de Janeiro. Enfin, YoshiYamamoto (Stanford et NationalInstitute of Informatics - Tokyo), quia pendant dix ans codirigé avec SergeHaroche un programme de recherchefranco-americano-japonais sur l’in-trication quantique, était égalementprésent.

Certaines présentations ont rappelél’histoire de l’électrodynamique

quantique en cavité. D’autres ontdécrit les derniers développements dela recherche dans ce domaine et dansd’autres, qui lui sont reliés. La mani-pulation d’atomes et de photonsuniques, les progrès de la mesure desfréquences et du temps, les récentesavancées de la communication quan-tique, l’extension des concepts de laphysique atomique et de l’optiquequantique à l’étude des atomes arti-ficiels que sont les boîtes quantiqueset les circuits Josephson supracon-ducteurs ont fait l’objet de très bellesprésentations. Tous les exposés ontdonné lieu à des discussions trèsanimées.

En plus des débats scientifiques, unbanquet a été organisé le11 septembre au musée JacquemartAndré, réunissant des scientifiquesordinairement dispersés dans lemonde entier et qui ont eu ainsi l’op-portunité de tisser ou de renouer desliens personnels. Grâce au parrainagede l’Institut de France, propriétairedu musée, les invités ont pu à cetteoccasion visiter, le jour de son inau-guration, l’exposition consacrée à lacollection Brukenthal. �

Michel Brune etJean-Michel Raimond

ATOMES, CAVITÉS ET PHOTONS

Colloque international organisé parJean-Michel Raimond etMichel Brune, laboratoire KastlerBrossel (LKB),École normale supérieure,Avec le soutien de la FondationHugot du Collège de France10-12 septembre 2009

Theodor Hänsch Pr Claude Cohen-Tannoudji

Le programme du colloque ainsi que lescomptes rendus de certaines présentationspeuvent être consultés sur le site :www.cqed.org

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Divers acteurs et observateurs de lavie politique libanaise ont été réunisà la maison du barreau de Paris lorsde ce colloque, afin d’analyser lescauses des blocages institutionnelset de dégager des perspectives deréforme pour l’avenir.

À titre d’introduction, le professeurHenry Laurens a souligné que leLiban avait été « façonné par uneculture politique définie à la fin duXVIIIe siècle » selon laquelle « lessociétés du Proche-Orient se cons-truisent politiquement dans une rela-tion d’ingérence et d’implication desacteurs régionaux et extra-régio-naux ». Les forces politiques localessont « toujours en relation avec desacteurs extérieurs ; aucun acteur liba-nais n’est isolé ». Pourtant l’État« fonctionne, produit des lois, desservices sociaux, opère des transfertséconomiques » et finit aussi par créerde la loyauté. Il a été l’enjeu de laguerre civile de 1975, la tentationséparatiste n’apparaissant, ponctuel-lement, qu’en cas de faiblesseflagrante de l’une des parties enconflit. C’est ce qui a permis au Libande conserver son existence.Aujourd’hui, le défi est de savoircomment l’État pourrait passer deson statut « d’enjeu », au niveau localet régional, à un statut d’« acteur »capable de s’affirmer face aux pres-sions extérieures.

Le professeur Antoine Kheir établitque la plupart des changements insti-tutionnels depuis l’indépendance onteu lieu sur fond de conflits. Avec lesaccords de Taëf, le conseil des minis-tres devient ainsi le dépositaire

exclusif du pouvoir exécutif, sanspour autant constituer une « équipesolidaire ». L’article 65 donne à untiers de ses membres une capacité deblocage sur toute décision impor-tante, consacrant ainsi la catégorieinédite de « ministres opposants ».Ce blocage a pris valeur de nouvelleinstitution, mettant en péril lagouvernabilité du pays. Le Libanapparaît comme « un régime deconsensus communautaire habillépar une constitution ».

Charles Rizk a insisté, quant à lui,sur le poids d’une nouvelle géopoli-tique confessionnelle dépassant lesfrontières du Liban, et reliant lesdeux plus grandes communautés dupays (chiite et sunnite) à leursparrains régionaux respectifs, l’Iranet l’Arabie saoudite. Aussi, les insti-tutions ne parviennent plus à régulerles conflits. Il a insisté sur l’impor-tance de l’indépendance de la magis-trature dans un tel contexte et lesobstacles à cette indépendance.

Les liens entre la société civile et lespartis politiques ont été analysés parElizabeth Picard et Ziad Majed.Selon la première, le Liban estdépourvu d’une société civile quiferait face à la société politique. Ilexiste certes une « société commu-nautaire » (moujtam’a ahli) avec sesgroupes d’appartenances assignés,ses segments identitaires juxta-posés ; en revanche, les attributs dela « société civile » (moujtam’amadani) – État de droit, modes d’ac-tion participatifs, égalitaires, réso-lution pacifique des conflits – sesont faiblement constitués.

La polarisation chiite/sunnite quitraverse aujourd’hui les deuxgrandes communautés dirigeantesdu pays traduit la vigueur des mobi-lisations confessionnelles et l’écra-sement de la société civile. Enprenant pour exemple le cas de lacommunauté chiite, Ziad Majed

confirme la difficulté à établir unedistinction entre partis politiquesannonciateurs de la société civile etappareils miliciens « boucliers de lasociété communautaire ».

Un bilan mitigé de la présidencemodernisatrice du général FouadChehab a été établi par l’historienSayed Frangieh. Léna Gannagé amontré comment l’État au Libanavait renoncé à exercer ses préroga-tives légales face aux juridictionscommunautaires auxquelles il aconcédé la gestion du statutpersonnel. En l’absence de toutcontrôle sur les modalités de leurfonctionnement, les instances reli-gieuses bloquent ainsi l’émergenced’une identité citoyenne libanaisequi se manifesterait à travers l’insti-tution, toujours absente au Liban,du mariage civil. Le colloque s’estachevé par un exposé d’IbrahimWarde portant sur la situationéconomique du pays, marqué parune économie extravertie, des tauxd’intérêts très élevés et un rôleconfirmé des services bancaires. �

Pr Henry Laurens

L’ÉTAT LIBANAIS, ENTRE CRISE DE RÉGIME ET REFONDATION

Colloque organisé par la chaired’Histoire contemporaine du mondearabe du Collège de FranceAvec le soutien de la FondationHugot du Collège de France, etl’Association des avocats et juristespour le Liban3 octobre 2009

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Pr Henry Laurens

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Ce colloque international, sous ladirection des professeurs MarcFumaroli et Antoine Compagnon, aété la première manifestation publiquede l’équipe de recherche « Respublicaliteraria – République des Lettres »,commune au Collège de France et àl’ENS, depuis qu’elle est devenue l’UPS3285 du CNRS en août 2009. Sonchamp d’activité, auparavant l’Âgeclassique, s’est étendu à la fois vers leMoyen Âge et vers la modernité.

Avec des communications de savantsvenus de France, de Grande-Bretagne,d’Allemagne et d’Espagne, il s’agissaitd’enquêter sur les avatars de laRépublique européenne des Lettresdurant une période particulièrementagitée, celle de l’entre-deux-guerres,avec ses espoirs et ses désespoirs poli-tiques, rappelés par Jean-Luc Barrépour commencer.

De nombreux espaces européensd’échange intellectuel virent le jour après1918, notamment autour de la NRF,haut lieu de la réconciliation franco-alle-mande, avec Gide, Jacques Rivière,Albert Thibaudet, en cheville avec lesentretiens de Pontigny de PaulDesjardins, jusqu’en 1933 et l’arrivée deHitler au pouvoir. De nouvelles revuesparurent autour de la Société desNations (SDN), comme L’Europenouvelle de Louise Weiss, la Revue deGenèvede Robert de Traz, ou, plus loin,Europe. Gabriel de Broglie, del’Académie française, chancelier del’Institut, a évoqué les rencontreseuropéennes de Saverne, et Éric Roussel,les Mayrisch et leur cercle littéraire deColpach, prémices heureuses de l’Europehumaniste des années 1920.

Une Commission internationale decoopération intellectuelle (CICI) futcréée par la SDN en janvier 1922, d’oùémana l’Institut international decoopération intellectuelle (IICI) en 1926et qui devint en 1931 l’Organisation decoopération intellectuelle (OCI),ancêtre de l’Unesco. L’action de sonpremier président, Bergson, a été décritepar François Azouvi.

En 1931, les membres français duComité permanent des lettres et desarts de l’OCI étaient Valéry, apôtre del’Europe spirituelle s’il en fût – dontles missions ont été retracées parMichel Jarrety – l’historien de l’artHenri Focillon, Julien Luchaire,directeur de l’IICI de 1926 à 1930,approché par Jean-Louis Jeannelle.Parmi ses autres membres, figuraientSalvador de Madariaga, ThomasMann, John Masefield et GilbertMurray – objet de la communicationd’Oswyn Murray –, Ugo Ojetti, etc.

Lors de leur première réunion à Genèveen juillet 1931, Valéry et Focillonproposèrent deux grandes activités, des« Entretiens », comme à Pontigny, etdes « Correspondances », sur le modèledes grandes correspondances littérairesde l’Europe des Lumières. Plusieursvolumes de « Correspondances »parurent, à la suite de la fameuse Lettresur la société des esprits de Valéry, etneuf « Entretiens » eurent lieu entre1932 et 1938 : les premiers, sur Goethecomme il se devait, à l’occasion ducentenaire de sa mort, se tinrent aFrancfort en mai 1932. Puis on seréunit à Madrid, Paris, Venise, etc.

La politique culturelle de la SDN a étéanalysée par Jean-Michel Guieu etJean-Jacques Renoliet. Quelquesfigures majeures de l’espéranceeuropéenne ont été évoquées : JorgeGuillen par Antonio Garcia Berrio,Hugo von Hofmannsthal par JacquesLe Rider, Hubertus Prinz zuLöwenstein par Ulrich Raulff, et LionFeuchtwanger par Sabina Becker.

Comme on l’imagine, ces beaux rêvesde Société des esprits et de Républiqueeuropéenne des lettres furentcompromis par la montée des totali-tarismes, l’invasion de l’Éthiopie parMussolini, la militarisation de laRhénanie par Hitler, les débuts de laguerre d’Espagne. Les déceptions desannées 1930 ont été abordées parJean-François Sirinelli, traitant deRaymond Aron, Nicole Racine, sur lecas de Benjamin Crémieux.

L’idéal optimiste d’une Républiqueeuropéenne des lettres n’a pas tenulongtemps. Admirable dans son inten-tion, il garda toujours quelque chosed’officiel, rassemblant une Europe denotables, d’écrivains et d’intellectuelsinstitutionnels : l’Europe des profes-seurs, pour jouer sur le titre deThibaudet, plus que celle de la vielittéraire, de Dada et du surréalisme parexemple.

Si les humanités modernes ne nous ontpas sauvés dans les années 1930, sielles n’ont pas suscité un humanismecivique à l’échelle de l’Europe, c’estsans doute pour la raison qu’Alainindiquait dès 1932 : « Il n’y a pointd’Humanités modernes, par la mêmeraison qui fait que coopération n’estpas société. » Mais Bergson, Valéry etleurs complices ont jeté les semencesd’une société européenne des espritsqu’il nous revient de réaliser et que cecolloque a voulu illustrer. �

Pr Antoine Compagnon

LA RÉPUBLIQUE DES LETTRES DANS LA TOURMENTE (1919-1939)

Colloque international organisé parla chaire de Littérature françaisemoderne et contemporaine :histoire, critique, théoriedu Collège de France,avec le soutien de la FondationHugot du Collège de France27-28 novembre 2009

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Pr Antoine Compagnon

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Pour célébrer la relation franco-brési-lienne dans toutes ses composantes, lesgouvernements des deux pays décidèrentd’organiser une année du Brésil enFrance, en 2005, suivie d’une année de laFrance au Brésil, en 2009. L’Académiedes sciences, qui entretient des liensétroits avec son homologue brésilienne,et le Collège de France, qui dispose d’unechaire d’accueil à l’Université de SãoPaulo (chaire Lévi-Strauss), ont pris partà ces deux grands événements. En 2005,leur participation consista en l’organisa-tion de deux rencontres scientifiquesfranco-brésiliennes, l’une par l’Académiedes sciences dans les locaux de l’Institutde France, l’autre par le Collège deFrance dans ses propres locaux.

Pour l’Année du Brésil en France(21avril -15novembre2009), l’Académiedes sciences et le Collège de France, solli-cités par le co-président de l’Année de laFrance au Brésil, M. Yves Saint-Geours,décidèrent de présenter en commun unprojet de colloques scientifiques en parte-nariat avec l’Académie des sciences brési-lienne. Ce projet fut labellisé par leCommissariat de l’Année de la Franceau Brésil. Ce fut également le cas de deuxautres projets franco-brésiliens soumispar la chaire d’Études juridiques compa-ratives et internationalisation du droit duCollège de France.

Le projet des Académies des sciencesfrançaise et brésilienne et du Collège deFrance consistait en deux colloquesscientifiques, organisés de manièreconcomitante, du 14 au 16 septembre2009, l’un en mathématiques-physique,à Rio de Janeiro, l’autre en chimie,biologie, sciences de la vie, à São Paulo.

Ces deux colloques réunirent quinzeparticipants français, tous membres del’Académie des sciences et, pour neufd’entre eux, professeurs au Collège deFrance, et à peu près autant de spécia-listes brésiliens.

Le 18 septembre, tous les participants seretrouvèrent à Rio de Janeiro pour unejournée organisée par l’Académie dessciences brésilienne sur le thème de « Lascience pour la société ». Cette journéefut rythmée par quatre conférences dansles domaines de la santé publique et duchangement climatique, qui furentsuivies par un large public.

Dans le prolongement de ces diversesrencontres, le Pr Jacob Palis, présidentde l’Académie des sciences brésilienne,les Prs Jean-François Bach et Guy Laval,respectivement secrétaire perpétuel etvice-président délégué aux relations inter-nationales de l’Académie des sciencesfrançaise, le Pr Pierre Corvol, adminis-trateur du Collège de France, et lePr Aloisio Teixeira, recteur de l’univer-sité fédérale de Rio de Janeiro, ont signéune convention quadripartite portantcréation d’une chaire d’accueil à Rio deJaneiro pour des professeurs et cher-cheurs français.

Dans le même temps, la chaire d’Étudesjuridiques comparatives et internationa-lisation du droit du Pr Mireille Delmas-Marty, organisait, dans le cadre de seséchanges réguliers avec le Brésil, deuxmanifestations.

Il s’agissait d’une part de la 3e réuniondu réseau ID (Internationalisation dudroit) franco-brésilien, lieu d’échange etde prospective associant des théoricienset des praticiens du droit. Le thèmeabordé était « Le contrôle de la mise enœuvre des normes par les divers acteursde l’internationalisation du droit »illustré par référence aux domaines de laprotection de l’enfance et à celle de l’en-vironnement. Huit français, dont deuxmembres de l’Académie des sciencesmorales et politiques, et autant de brési-

liens, dont deux membres de l’Académiedes sciences, ainsi qu’un franco-brésilien,prirent part à cette réunion qui se tint àl’université de São Paulo.

Il s’agissait d’autre part du colloque declôture d’un projet de recherche sur« Les figures de l’internationalisationdu droit – Amérique latine », dont l’ob-jectif était d’analyser les processus d’in-ternationalisation du droit dans ladouble perspective de l’universalismedes droits de l’homme et de la globali-sation économique. Ce colloque orga-nisé à São Paulo en partenariat avec lafaculté de droit de la Fondation GetulioVargas, et d’autres institutions brési-liennes, rassembla vingt-et-un partici-pants français et brésiliens, juristes pourla plupart, mais aussi anthropologues,sociologues et politologues. Les présen-tations et débats seront mis en ligne etferont l’objet d’une publication en fran-çais et en portugais.

Tous les projets mis en œuvre parl’Académie des sciences et le Collège deFrance avec leurs partenaires brésiliensont été financés à part égale par les deuxpays. La partie française a bénéficié d’unesubvention de CulturesFrance et del’appui constant de l’ambassade deFrance au Brésil et des consulats géné-raux à Rio de Janeiro et São Paulo.

Ces rencontres entre spécialistes françaiset brésiliens de haut niveau ont, de l’avisgénéral, conforté des partenariats exis-tants et ouvert la voie à de nouvellescollaborations, soulignant le dynamismede la relation franco-brésilienne enmatière de recherche et d’enseignementsupérieur. �

Olivier Guillaumechargé des relations internationales

Collège de FranceGuy Laval

vice-président de l’Académie des sciences,délégué aux relations internationales

L’ANNÉE DE LA FRANCE AU BRÉSIL

De gauche à droite : Prs J. Palis et G. Laval.De gauche à droite : Prs Laval, Teixeira,Corvol et Palis, signataires de laconvention entre l’Académie dessciences française, l’université fédéralede Rio de Janeiro, le Collège de Franceet l’Académie des sciences brésilienne.

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Au cours de l’année 2008/09, troiscycles de conférences du Collège deFrance ont été organisés à Tunis,Oxford et Madrid, en partenariatavec le réseau de coopération cultu-relle et scientifique du ministère desAffaires étrangères et européennes(MAEE) et les institutions d’ensei-gnement supérieur et de recherchelocales.

En Tunisie, le cycle était organisé,pour la 3e année consécutive, parl’Institut français de coopération(IFC) de l’ambassade de France enliaison avec l’Académie des sciences,des lettres et des arts Beit Al-Hikma,et la Bibliothèque nationale. Lethème retenu était « L’autorité » etles intervenants les Prs A. Compagnon,M. Edwards, X. Le Pichon etA. Prochiantz.

Ce programme a impliqué une quin-zaine de professeurs du Collège deFrance. Après trois ans de fonction-nement, le Pr J. Scheid, qui en est lecoordinateur, et les responsables del’IFC, Mme L. Haguenauer etM. Y. Le Roux ont souhaité l’ouvrirdavantage en direction des univer-sités tunisiennes. C’est ainsi que lePr M. Zink, qui a inauguré les 19 et20 octobre dernier, le cycle 2009-10intitulé « Passé, Présent » par deuxconférences sur la littérature médié-

vale, est intervenu non seulement àla Bibliothèque nationale mais aussià l’université de la Manouba avecretransmission par visioconférencedans les universités de Sfax, Sousseet Kairouan. Le succès est venuconfirmer le bien-fondé desnouvelles orientations.

Avec la Maison française d’Oxford(MFO), une convention a été signéeen janvier dernier, à l’initiative de sonnouveau directeur, M. Luc Borot,officialisant un partenariat engagédepuis plusieurs années. Les confé-rences s’inscrivent dans les théma-tiques de recherche prioritaires de laMFO. En 2008-09, les professeursinvités ont été H. Laurens, sur laRépublique arabe unie, etM. Edwards, sur Milton et Claudel.

Avec l’Institut français de Madrid,il s’agissait d’un partenariatnouveau, engagé à l’initiative de sondirecteur, M. S. Fohr, dans le cadred’un programme visant à promou-voir le débat d’idées. Le cycle a étéinauguré par le Pr P. Rosanvallon(Les mutations de la démocratie auXXIe siècle) et s’est poursuivi avec lesPrs P. Descola (Par-delà nature etculture), A. Compagnon (La photoet le roman) et R. Chartier (Labibliothèque, le livre et l’édition).

Ces conférences, suivies de débats,ont remporté un vif succès auprèsdu public madrilène et ont été large-ment relayées dans les media natio-naux. Comme à la Maison françaised’Oxford, un nouveau cycle deconférences est programmé début2010.

Outre le fait qu’ils donnent auxprofesseurs l’occasion de fairemieux connaître leurs travaux etd’interagir avec leurs collèguesétrangers, ces cycles de conférencescontribuent à l’ouverture interna-tionale et au rayonnement duCollège de France. Nul doute qu’ilsdonnent à de nouveaux publicsl’envie de fréquenter les cours enligne offerts, en nombre croissant,sur le site internet du Collège deFrance. Compte tenu de sa positiondans la recherche et la vie intellec-tuelle française, il est naturel que leCollège de France apporte sonconcours au MAEE dans sa missionde diffusion culturelle et de promo-tion du débat d’idées. �

Olivier Guillaumechargé des relations internationales

Collège de France

LES CYCLES DE CONFÉRENCES DU COLLÈGE DE FRANCE

MADRID, OXFORD, TUNIS

Pr Alain Prochiantz, Tunis

Pr Antoine Compagnon, Tunis

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LA BIBLIOTHÈQUE GÉNÉRALE DU

COLLÈGE DE FRANCEpar Marie-Renée Cazabon

Conservatrice générale

Les bibliothèques du Collège de France, parmi lesquellesles bibliothèques spécialisées du Proche-Orient,d’Extrême-Orient ou encore de Byzance ou d’égypto-logie, figurent parmi les plus fournies et les plus bellesd’Europe. Au centre du dispositif, la Bibliothèque géné-rale et les Archives ont réintégré en avril 2008 le siteMarcelin-Berthelot. 2000 m2 de locaux entièrementrénovés sont prêts désormais à accueillir les chercheursfrançais et étrangers dans des conditions optimales deconsultation et de recherche (mise en réseau, accès auxgrands catalogues et aux banques de données et à termeconsultations à distance de volumes numérisés).L’ensemble est coordonné par le Service des bibliothèqueet des archives.

Les missions du Service des bibliothèques et des archivessont les suivantes :

� Assurer auprès de toutes les bibliothèques du Collègede France une action de coordination :- conseil bibliothéconomique, normalisation et unifica-tion des procédures professionnelles, y compris dans ledomaine des archives ;- centralisation des marchés d’acquisitions, d’abonne-ments, de reliure ; - centralisation du prêt entre bibliothèques (PEB), mutua-lisation des ressources ; - développement de partenariats avec les établissementsdocumentaires extérieurs au Collège de France.� Fédérer l’ensemble de ces bibliothèques autour d’un

système unique de gestion informatisé : ALEPH. Il s’agitd’un système intégré de gestion de bibliothèque (le SIGB),acquis sur des fonds de mécénat qui offrira en un cata-logue unique la refonte de tous les catalogues hétéro-gènes des bibliothèques spécialisées et de la Bibliothèquegénérale. Y seront en outre greffés des outils actuels derecherche fédérée de documents en ligne, grâce au portaildocumentaire.� S’intégrer dans la dynamique documentaire nationale :la bibliothèque générale du Collège de France et lesbibliothèques spécialisées participent aux grands projetsfédérateurs de l’Enseignement supérieur : SUDOC(système universitaire de documentation), à termeCALAMES (catalogue en ligne des archives et des manus-crits de l’enseignement supérieur), etc.� Accueillir les chercheurs : les nouveaux espacespermettent d’améliorer considérablement l’accueil deschercheurs et de développer trois fonctions essentielles :- fonction mémorielle : collecte, identification, conserva-tion et diffusion des publications de et sur les professeurs,sur leurs enseignements, sur l’histoire du Collège deFrance, quels qu’en soient les supports ;- fonction transversale : mise à jour et mise à dispositiond’instruments de travail intéressant plusieurs chaires ouplusieurs groupes de chaires ;- fonction extérieure : étendre au-delà de ses propreséquipes l’usage de ses ressources, (accueil de chercheursétrangers ou d’établissements partenaires, recherche etfourniture de documents par le PEB, accès aux ressourcesextérieures par le biais du portail documentaire).

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Service des Bibliothèques et des Archives

Dans une démarche à la fois scientifique et économique,les bibliothèques spécialisées et la Bibliothèque géné-rale du Collège de France ont établi des liens, confirméspour certains par des conventions, avec la BULAC(Bibliothèque universitaire des langues et civilisations),

l’ENS (École normale supérieure – ULM), la BIUM(Bibliothèque inter-universitaire de médecine), l’IMEC(Institut mémoire de l’édition contemporaine) et d’au-tres établissements scientifiques.

Collaboration et partenariats

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Grâce au mécénat et particulièrement celui deM. Michel David-Weill, le service des bibliothèques adéveloppé et mis en place un outil commun à l’ensembledes bibliothèques : un catalogue unique permettant entout lieu d’accéder à l’ensemble des descriptions biblio-graphiques des collections présentes dans les différentesbibliothèques du Collège de France. Les catalogues hété-rogènes des bibliothèques ont été versés sur un systèmeintégré de gestion de bibliothèque (SIGB) baptiséALEPH. Outre la possibilité de rechercher comme danstout catalogue la description d’un ouvrage, ce systèmeoffre de nombreuses ressources qui en font un outil deréférence très puissant.

ALEPH est utilisé dans un grand nombre de biblio-thèques d’enseignement supérieur en France. Il intègreles standards bibliothéconomiques et informatiques lesplus récents ainsi que les fonctionnalités essentiellesattendues d’un catalogue. ALEPH intègre en outre lanorme Unicode et donne ainsi la possibilité de catalo-guer les ouvrages en langues et écritures originales. Ilpermet bien entendu le travail en réseau et les échangesde données avec le SUDOC (catalogue collectif desbibliothèques de l’enseignement supérieur et de larecherche).

L’utilisateur dispose d’un portail documentaire deressources électroniques organisées et cataloguées par

les bibliothèques du Collège de France. Celui-ci fournitune vision complète des sources d’information propo-sées par les bibliothèques de l’établissement.

Pour chaque notice, l’usager peut rebondir sur lesservices proposés par les bibliothèques, comme parexemple l’accès au texte intégral. Un espace personnelcomposé d’un panier, d’une liste de ressources préfé-rées, d’une gestion des alertes automatiques (DSI), etd’un historique des recherches est proposé à tout utili-sateur authentifié.

Lors d’une recherche informatique, l’usager se voitproposer un certain nombre de services et des liens quilui permettent, à partir de la consultation d’une réfé-rence bibliographique, de rebondir vers des systèmesd’information complémentaires.

Un autre module permet la gestion des collectionsnumériques. Il inclut des fonctionnalités spécifiquementdédiées à la préservation des documents numérisés et àla gestion du dépôt légal ainsi qu’au dépôt en ligne desobjets numériques. Il offre la garantie de pérenniserl’accès à ces objets dans le temps et s’appuie sur les tech-nologies mises au point dans ALEPH pour le catalo-gage des données et l’indexation. �

Informatisation des bibliothèques

Les nouveau locaux de la bibliothèque générale duCollège de France ont été inaugurés le 1er décembredernier en présence de M. Michel David-Weill, denombreux professeurs du Collège de France, del’Inspection générale des bibliothèques, du maire du

5e arrondissement de Paris et de nombreux directeursdes bibliothèques de l’enseignement supérieur et desArchives nationales.

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Inauguration

Marie-Renée CazabonMichel Zink, Michel David-Weill, Pierre Corvol Michel David-Weill Marc Fumaroli

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Informations pratiques

Plans

Rez-de-chaussée

Salle Georges Duby : Histoire, art, épigraphie, numismatique

Salle Michel David-Weill :Accueil, information bibliographique,

ouvrages des professeurs, collections du Collège de France, périodiques, nouveautés

Mezzanine en sous-sol

Sous-sol - 2

Salle Jean-Pierre Vernant :Littérature, linguistique, philosophie, religion,sciences sociales, psychologie

Salle Pierre-Gilles de Gennes :Physique, chimie, biologie,

sciences de la terre, mathématiques

Carrels : 6 espaces individuels detravail, équipés d’internet et de casiers.

Réservation pour plusieurs jours sur planning

N° 27 - LA LETTRE

Horaires : 10h00-18h00du lundi au vendredi01 44 27 14 05

Lecteurs autorisés :� les professeurs du Collège de France,� leurs collaborateurs,� le personnel du Collège de France,� les chercheurs appartenant à des institutions

ayant passé convention avec le Collège de France.

Et, en fonction des places disponibles, sur recomman-dation d’un professeur ou après accord du conserva-teur :

� les personnes effectuant des recherches sur leCollège et ses professeurs,

� les chercheurs qualifiés ayant besoin de consulter les fonds de la Bibliothèque générale.

Accès gratuit pour tous.

Inscriptions :Une carte de lecteur, valable un an, sera délivrée à tousles lecteurs autorisés. Elle servira également à leur éven-tuelle inscription dans les bibliothèques spécialisées.

Consultation et Prêt :Consultation sur place uniquement

Le prêt est réservé aux professeurs sauf exceptionaccordée par le conservateur de la Bibliothèque surcaution d’un professeur.

Le prêt entre bibliothèques (PEB) :Ce service permet d’emprunter auprès de bibliothèquesextérieures des documents absents du catalogue desbibliothèques. Ils sont consultables dans les locaux duCollège de France. �

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Après la Seconde Guerre mondiale, l’acoustiquephysiologique, et plus spécialement, l’analyse dufonctionnement de l’oreille interne étaient très délais-sées dans notre pays ; seuls quelques rares médecinsotorhinolaryngologistes s’efforçaient de faireprogresser la physiopathologie de l’audition.

C’est au neurophysiologiste Jean-Paul Legouix(1922-2009), chercheur au CNRS – qui travailla auCollège de France de 1960 à 1987 d’abord dans lachaire de Neurophysiologie générale d’Alfred Fessard(1949-1971) puis dans celle de Neurophysiologied’Yves Laporte (1972-1991) –, que l’on doit la créa-tion d’un laboratoire consacré à l’étude électro-physiologique de l’organe sensoriel très complexequ’est la cochlée.

Docteur en médecine, Jean-Paul Legouix préparaitune thèse de sciences lorsqu’il fit la connaissance duprofesseur Hallowell Davis, à l’occasion d’une confé-rence sur l’audition que ce dernier donna à laSorbonne en 1951. H. Davis dirigeait alors à Saint-Louis (États-Unis) un prestigieux institut, le CentralInstitute for the Deaf (CID), où tous les aspects del’audition – morphologiques, physiologiques, patho-logiques et thérapeutiques – faisaient l’objet derecherches approfondies. H. Davis proposa au jeuneLegouix de venir travailler au CID, ce que celui-cifit au cours des années 1951-1952.

À cette époque, Georg von Békésy (prix Nobel,1961) avait élucidé la manière dont l’onde acous-tique se propage au sein des liquides de l’oreilleinterne, tout au moins pour des stimulations sonoresfortes. Les dernières décennies avaient également vules psychophysiciens (dont certains au sein du labo-ratoire d’Henri Piéron, titulaire de la chaire dePhysiologie des sensations au Collège de 1923 à1951) établir à quel point le système auditif étaitperformant dans l’analyse des sons. Mais l’analyse

neurophysiologique du fonctionnement de l’oreilleinterne ne faisait que commencer.

Comme le rappelait récemment Christine Petit, titu-laire de la chaire de Génétique et physiologie cellu-laire du Collège de France depuis 2001, nous savonsassez bien aujourd’hui comment l’organe sensorielauditif des mammifères, la cochlée, produit lemessage nerveux qui sera ensuite traité par les struc-tures cérébrales : « La transformation du son ensignaux électriques ou transduction mécano-électriqueest effectuée par un contingent de cellules sensoriellesauditives, les cellules ciliées internes (ou CCI). Avantmême cette transduction, le son est prétraité par unautre contingent de cellules sensorielles cochléaires,les cellules ciliées externes (ou CCE). Ces dernièresassurent une amplification de la stimulation méca-nique sonore. En abaissant considérablement le seuilde sensibilité auditive, cette étape d’amplificationrend compte de l’aptitude du système auditif desmammifères à détecter des sons dont l’énergie est àpeine dix fois supérieure à celle du bruit thermique »(C. Petit et P. Avan, La Lettre du Collège de France,n° 26, juin 2009, p. 45-48).

L’efficacité de ce prétraitement tient au fait que lesCCE sont douées d’électromotilité et que leur vibra-tion propre s’ajoute à celle de l’onde acoustique. Onexplique ainsi le curieux phénomène des otoémis-sions que l’on peut observer en plaçant un petitmicrophone dans le conduit auditif externe. Ces sonsont un intérêt considérable en clinique, leur absencetraduisant une atteinte des CCE et éventuellementdes CCI.

Mais le brillant tableau des recherches contempo-raines ne doit pas faire oublier l’œuvre des pionniers.Lorsque J.-P. Legouix arrive à Saint-Louis, il y a plusd’un demi-siècle, on n’a aucune idée précise des rôlesrespectifs des CCI et des CCE. La physiologie des

par Paul AvanProfesseur de biophysique à la faculté de médecine de Clermont-Ferrand

ACOUSTIQUE PHYSIOLOGIQUE

L’ÉLECTROPHYSIOLOGIE DE LA COCHLÉE AU COLLÈGE DE FRANCE

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neurones est alors très incomplètement connue :Hodgkin et Huxley n’auront le prix Nobel pour leurexplication de l’excitation neuronale et la nature despotentiels d’action qu’en 1963. À cette époque, laseule manifestation électrique détectable de laréponse de la cochlée à un stimulus sonore est unpotentiel électrique que l’on peut recueillir sur laspire cochléaire et qui reproduit assez fidèlement lescaractéristiques de l’onde sonore stimulatrice, d’oùson qualificatif de « microphonique ».

En 1952, H. Davis, I. Tasaki, autre invité du CID,spécialiste du neurone, et J.-P. Legouix réussirent àdémontrer que ces potentiels provenaient de l’organede Corti et précisèrent leur distribution spatiale. Enmettant en place deux électrodes séparées de moinsd’un millimètre en des endroits précis de la spirecochléaire du Cobaye, (espèce choisie à cause de lataille exceptionnelle de sa cochlée), on ne détecte queles sources de courants situées en regard desélectrodes, tout en éliminant les contributions loin-taines. L’équipe du CID a ainsi démontré comment cepotentiel variait d’un endroit à l’autre de la cochléeet comment il reflétait la répartition le long de celle-ci des processus de détection et d’analyse desfréquences (tonotopie). Jusqu’aux années 1975-1980, où apparurent les enregistrements intracellu-laires et les mesures vibratoires à l’échellenanométrique, c’est par le seul moyen du potentielmicrophonique que l’on accédait au fonctionnementde l’oreille interne in vivo.

À son retour à Paris, Jean-Paul Legouix mit en œuvrel’enseignement de Davis et, pendant plusieurs années,fut le seul en France à développer cette thématique.Après avoir travaillé dans des conditions difficiles àl’Institut national d’orientation professionnelle(INOP), c’est seulement à partir de 1960 qu’il pour-suivit au Collège de France l’étude du potentielmicrophonique chez le cobaye et accueillit dans sonlaboratoire de nombreux médecins spécialistes del’audition, à une époque où les relations entre scien-tifiques et médecins étaient rares.

Les années 1970 virent s’accumuler des preuves queles potentiels microphoniques étaient produits par lescellules ciliées externes et que le rôle de celles-ci étaitétroitement lié à l’existence d’une haute sensibilité etd’une résolution fréquentielle fine. L’étude de cespotentiels microphoniques permit à Legouix et à sescollaborateurs d’élucider l’origine de la non linéaritédu potentiel microphonique et de mettre en évidencele phénomène du « masquage ». Celui-ci est observélorsque deux sons d’amplitude différente sont simul-tanément appliqués : le potentiel microphonique totalest très inférieur à la somme des microphoniques indi-

viduels, ce qui explique que le son le plus fort rendmoins audible le son le plus faible. Le masquage a desconséquences importantes en situation d’écoute natu-relle, caractérisée généralement par un mélange desons d’intensités différentes.

Les cellules ciliées externes sont très vulnérables àl’exposition aux sons très intenses, aux barotrau-matismes, à l’administration de diverses substancesototoxiques, notamment certains antibiotiques, ainsiqu’à une oxygénation défectueuse. Soucieux decontribuer à établir des normes de sécurité, Legouixet ses élèves ont procédé à de nombreuses étudessystématiques de la vulnérabilité du potentiel micro-phonique, et donc de l’audition, à ces agressions quisont responsables de millions de surdités neurosensorielles.Leur prévention était, et reste en 2009, un sujet desanté publique très important car aucun traitementne permet la régénération de cellules sensoriellesauditives détruites.

Jean-Paul Legouix utilisait aussi la cochlée, par le biaisdes potentiels microphoniques, comme un capteurnaturel permettant de déduire le rôle de transmetteurde l’oreille moyenne interposée entre le conduit auditifexterne et l’oreille interne. Pour cela il mesurait simul-tanément la pression acoustique instantanée en avantde la membrane tympanique et le potentiel micro-phonique cochléaire. Comme l’amplitude de cedernier est liée à celle de la pression acoustique intra-cochléaire, et que pressions intracochléaire et micro-phonique sont exactement en phase, la pressionacoustique instantanée interne peut être calculée etcomparée à la pression acoustique externe mesurée, cequi révèle l’action de l’oreille moyenne. En bloquantexpérimentalement les vibrations transmises par lachaîne des osselets, J.-P. Legouix observait un poten-tiel microphonique résiduel dû à la propagation dessons par voie osseuse transcrânienne. Cette méthodelui permit entre autres d’élucider le rôle de l’étrangeanatomie de l’os temporal de la gerboise, petitmammifère du désert, dotée de cavités tympaniques(ou « bulles » auditives) géantes qui améliorent sacapacité à détecter les sons de basse fréquence, seulscapables de se propager au fond de son terrier.

Les médecins otorhinolaryngologistes effectuent auquotidien des tests cliniques à l’aide de diapasons etde vibrateurs, qui leur permettent d’attribuer rapi-dement la cause d’une surdité soit à la chaîne desosselets soit à l’appareil neurosensoriel. Ceux d’entreeux qui ont étudié les travaux de J.-P. Legouix sur lesvoies de propagation des sons fondent leurs conclu-sions sur des bases fonctionnelles plus assurées etpeuvent mettre en œuvre certaines techniques chirur-gicales de manière plus rationnelle.

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Bibliographie :- Tasaki I., Davis H., Legouix J.-P., « The space-time pattern of the cochlear microphonics (guinea pig), as recorded by differential electrodes », J AcousSoc Am 24, 502-519, 1952.- Legouix J.-P. (éd), Les récepteurs cochléaires, structure et fonctionnement. Monographie GALF et Collège de France, 1979, 224 pages.

Les contraintes d’un laboratoire d’électrophysiologiede l’audition en termes d’infrastructure résident dansla nécessité d’avoir recours à des sons proches duseuil auditif et de recueillir des signaux électriques detrès faible amplitude. Très opportunément, il y avaitau troisième sous-sol du bâtiment de biologie duCollège une impressionnante chambre sourde, cons-truite à la demande d’Alfred Fessard et qui futinstallée en 1967 .

On voit sur ces photos que la paroi interne de cettechambre anéchoïque est hérissée de dièdres enmatière poreuse conçus pour atténuer considérable-ment la réverbération des ondes sonores. Cettechambre, dont le blindage métallique externe servaitde cage de Faraday, a beaucoup servi à Jean-PaulLegouix (visible à la partie droite de chaque clichétravaillant en compagnie de l’auteur de ces lignes) età René Chocholle, psycho-acousticien, élève d’HenriPiéron. Elle a ainsi vu défiler de nombreux cher-cheurs venus apprendre auprès de Jean-Paul Legouixles bases d’une technique délicate pour l’utiliser dansleurs laboratoires respectifs.

Aujourd’hui, la compréhension des mécanismes del’audition se focalise sur la mise en évidence desmolécules essentielles à la morphogenèse et au fonc-tionnement de l’oreille interne, rendue possible parl’identification des gènes responsables. Ce passage àl’échelle moléculaire, développé au Collège dans lelaboratoire de Christine Petit, loin de supprimer l’ap-proche électrophysiologique telle que la pratiquaitJean-Paul Legouix, lui donne une seconde jeunesse.

En effet, pour chaque altération d’une moléculespécifique, l’atteinte auditive qu’elle entraîne peutêtre rapidement caractérisée in vivo, ce qui permet dedéterminer le rôle de cette molécule. Ainsi la pluri-disciplinarité instaurée il y a plus d’un demi-siècledans quelques institutions privilégiées comme le CIDde Davis à Saint-Louis et le Collège de Francecontinue de se révéler fructueuse dans ce domainede la physiologie qui nécessite l’application combinéede méthodologies très différentes. �

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La chambre sourde du Collège de France, dans les années 1960.A gauche : Paul Avan. A droite : Jean-Paul Legouix

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Jean Dausset nous a quittés le 6 juin 2009 à l’âge de93 ans. Titulaire de la chaire de Médecine expéri-mentale de 1977 à 1987, il fut à l’origine d’une desdécouvertes les plus importantes jamais faites enimmunologie : celle du système HLA. En 1952, ilobserve que le mélange de globules blancs d’unmalade avec le sérum d’un autre donneur provoqueune réaction d’agglutination. Il en déduit qu’il existedans ce dernier des anticorps anti-globules blancs,et montre que ceux-ci sont le résultat des nombreusestransfusions que le patient a subies. On connaissaitl’existence de groupes sanguins pour les globulesrouges. Il en va donc de même pour les globulesblancs, mais ils sont de nature différente et beaucoupplus complexes. Des années de travail, et l’étude dusang d’un grand nombre de malades et de donneursbénévoles seront nécessaires. En 1958, il décrit lepremier groupe leucocytaire, en soupçonne l’originegénétique et en souligne l’importance probable dansla transplantation d’organes. Le système HLA est né,avec de multiples implications : implications médi-cales d’abord, sur la transplantation. Implicationsimmunologiques : des milliers de chercheurs de parle monde – dont moi-même – s’attacheront à isolerles gènes, et à élucider les origines moléculaires desantigènes de transplantation, ainsi que les réactionscellulaires associées au HLA. Implications anthro-pologiques : le HLA peut servir de marqueur desindividus et donc des migrations et des mélangesdans les populations humaines. Implications géné-tiques enfin, le polymorphisme du HLA ouvrant lavoie à l’analyse des autres polymorphismes chezl’homme. Ce pour quoi, en 1984, Jean Daussetcréera le Centre d’études des polymorphismeshumains, ou CEPH, transformé en 1993 enFondation Jean Dausset, où naîtra la première carte

génétique détaillée de l’homme, prélude au séquen-çage du génome humain. Jean Dausset recevra en1980, avec Baruj Benacerraf et George D. Snell, lePrix Nobel de physiologie et de médecine qui consa-crera, avec de nombreuses autres distinctions, sadécouverte du HLA.

Voilà donc ce qui figure d’ores et déjà dans lesmanuels. Mais les scientifiques offrent souvent del’histoire des sciences une reconstruction formelle,bien différente de l’histoire tout court, qu’ils sontmalhabiles à restituer. Leur reconstitution constitueparfois une regrettable approximation de la réalitévécue. Dans le cas de Jean Dausset, elle est toutsimplement erronée.

Né en 1916 à Toulouse, il fait ses études de méde-cine, mais en 1939, il est rattrapé par la guerre.Mobilisé, il peut en 1940 rejoindre Paris pourpréparer l’internat, qu’il obtient en 1941. Ensuite, àla lecture d’une petite affiche postée à l’hôpital Saint-Louis, il s’engage et part en Afrique du Nord.D’ambulancier, il devient transfuseur et réanimateur.Le voila confronté à des afflux de blessés qu’il faut,dans des conditions difficiles et incertaines, réanimer,opérer, transfuser. Transfuseur il restera, puisque, deretour à Paris en 1945, il est affecté au Centre detransfusion sanguine de l’hôpital Saint-Antoine.C’est en 1961 qu’il rejoindra le Centre Hayem del’hôpital Saint-Louis aux côtés de Jean Bernard.

Pour transfuser, il faut du sang. Il faut que leshommes donnent leur sang pour d’autres hommes.La transfusion est l’expression d’un lien humain,dont Jean Dausset devient porteur. Il l’exprime à sontour dans toutes ses activités, non seulement scienti-

Jean Dausset (1916-2009)titulaire de la chaire de

Médecine expérimentale, 1977-1987

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fiques et médicales, mais tout aussi bien sociales etsociétales. Dans son goût pour les arts par exemple :en 1946, il a ouvert à Paris, rue du Dragon, dans le6e arrondissement, une librairie qui va devenir unegalerie d’avant-garde, fréquentée par André Breton etbeaucoup d’autres. Fernand Léger, Yves Tanguy,Pierre Alechinsky, etc., y seront exposés. Dans savolonté de service public : de 1955 à 1958, JeanDausset est membre du cabinet du ministre de l’Édu-cation nationale, où il défend et planifie les réformes« Debré » des études médicales et du systèmehospitalo-universitaire, qui vont permettre le tempsplein à l’hôpital et l’essor de la recherche médicale.Dans son engagement pour la responsabilisation desscientifiques : de 1984 à 2001, il présidera leMouvement universel pour la responsabilité scienti-fique (MURS). Dans ses activités de recherche, enfin,car c’est aussi sous cet angle qu’il faut relire sonœuvre scientifique et médicale, puisqu’elles furentlargement fondées sur le lien humain.

Jean Dausset n’aurait probablement pas été enmesure de mener ses travaux et de faire ses impor-tantes découvertes s’il n’avait pas eu accès auxpatients bien sûr, mais aussi aux donneurs de sang etplus tard aux donneurs d’organes. Il respecte lesdonneurs, les donneurs le respectent. Pour la remisedu prix Nobel, il tient à être entouré de deux d’entreeux. Il reçoit, mais est animé par la volonté derendre, non seulement dans l’acte médical individuel,

mais aussi dans l’organisation de la mutualisationdes connaissances et des ressources au service de lacollectivité. Les conférences internationales ou« workshops » sur le HLA en témoignent, de mêmeque la création de France-Transplant en 1969, puiscelle de France-Greffe de Moelle en 1987. Cetteculture de la mutualisation trouve un débouchéparticulièrement remarquable dans un secteur stric-tement scientifique où elle était à peu près absente.La création du CEPH en 1984 fut rendue possiblegrâce à la vente d’une collection de tableaux léguéepar une donatrice qui l’avait reconnu à la télévision.Jean Dausset en fit le plus simple et le meilleur usagequi soit. Il commença par rassembler les échantillonsde sang de 61 familles nombreuses de donneurs. LeurADN fut extrait, conservé, analysé, et de nombreuxpolymorphismes génétiques cartographiés : près de2000 dès 1992 – plusieurs millions aujourd’hui. Lelien avec l’Association française contre la myopathie(AFM) et la création du Généthon en 1991, ampli-fieront magistralement cet effort qui aboutira àcartographier de plus en plus précisément le génomede l’homme et à en permettre le séquençage. LaFrance aura ouvert ainsi la voie de la mutualisationorganisée dans l’expérimentation biologique, et JeanDausset peut être considéré comme l’un des fonda-teurs de la génétique moléculaire de l’homme.

De Jean Dausset, nous ne verrons plus la silhouetteélancée, un peu courbée, ni le regard affable, maisnon dépourvu d’humour, voire de malice. Il a étéhonoré de maintes manières et à maintes reprises.Mais au-delà de l’histoire officielle, retenons sadimension humaine. Jean Dausset fut certes un grandsavant, mais aussi et avant tout peut-être un homme,un grand homme, dont la science fut grande parcequ’elle était humaine. �

Pr Philippe Kourilsky

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Journées Jean Dausset8-9 janvier 2010

vendredi 8 janvier, 9 h 00 - 17 h 30

I. Immunologie cellulaireE. Carosella (Paris), A. Bensussan (Paris),M. Bonneville (Nantes), A. Fischer (Paris), Ph. Kourilsky(Paris)II. Génétique et diversité du génome humainJ. Weissenbach (Paris), H. Cann (Paris), M. Lathrop(Evry), L. Quintana-Murci (Paris), A. Arnaiz-Villena(Madrid), A. Piazza (Turin), E. Mignot (Stanford)

samedi 9 janvier 2010, 9 h 00 - 12 h 00

III. Médecine : Transplantation et médecine prédictiveE. Gluckman (Paris), J.-P. Soulillou (Nantes), J.-P. Hugot(Paris), D. Stoppa-Lyonnet (Paris), L. Degos (Paris)

(pour plus d’informations : www.college-de-france.fr)

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PUBLICATIONS

Penser, modéliser et maîtriser le calculinformatiqueGérard BerryColl. Leçons inaugurales du Collège de FranceParis, Collège de France/Fayard, 2009.

La révolution numérique a pour racine le calculinformatique, c’est-à-dire le calcul automatiquesur des informations encodées numériquement.Je décrirai ici les différents principes du calculautomatique et leur réalisation dans desmodèles de calcul, objets à la fois intuitifs etmathématiques au centre de la pensée infor-matique. Ces modèles permettent de mieuxmaîtriser la transition difficile entre notrepensée, créatrice mais lente et pas toujoursrigoureuse, et les circuits électroniques, hyper-rapides et exacts mais totalement serviles.

Polytechnicien, ingénieur général des mines en déta-chement à l’INRIA (Institut national de recherchesen informatique et automatique), membre del’Académie des sciences et de l’Académie des tech-nologies, Gérard Berry a donné en 2007-2008 unepremière année d’enseignement au Collège deFrance dans la chaire d’Innovation technologique -Liliane Bettencourt (Pourquoi et comment lemonde devient numérique, Fayard, 2008). Il revientau Collège de France pour une nouvelle année d’en-seignement (2009-2010) comme premier titulairede la nouvelle chaire d’Informatique et sciencesnumériques créée en partenariat avec l’INRIA.

Chimie des processus biologiques : uneintroductionMarc FontecaveColl. Leçons inaugurales du Collège de FranceParis, Collège de France/Fayard, 2009.

La vie dépend de la capacité des organismesvivants à utiliser efficacement le potentielchimique de leur environnement : le soleil,pour l’énergie, et un certain nombre de molé-cules accumulées à la surface de la terre (eau,oxygène, dioxyde de carbone, azote, etc.).Pour en tirer parti, il faut les activer, et celanécessite des modifications électroniquesprofondes que seuls les ions métalliquespermettent. Les métalloenzymes qui réalisent

ces activations sont véritablement extraordi-naires, et leurs mécanismes d’action d’une trèsgrande subtilité. À l’interface de la chimie et dela biologie, la chimie bio-inorganique estaujourd’hui en pleine expansion. Elle est néedu constat relativement récent que la vie n’estpas seulement organique mais aussi « miné-rale » : il n’y a pas de vie sans métaux.

Chimiste et biologiste, Marc Fontecave dirige àGrenoble le Laboratoire de chimie et biologie desmétaux qu’il a fondé. Depuis mars 2009, il estprofesseur au Collège de France, titulaire de lachaire de Chimie des processus biologiques.

Les Cornes de MoïseFaire entrer la Bible dans l’histoireThomas RömerColl. Leçons inaugurales du Collège de FranceParis, Collège de France/Fayard, 2009.

Les progrès des méthodes littéraires et de l’ar-chéologie ont conduit à mettre en question laconstruction traditionnelle de la chronologie etde l’historiographie bibliques. Les maxima-listes partent de l’idée qu’il faut simplementfaire confiance au récit biblique. Cette posi-tion n’est scientifiquement pas tenable. Pourles minimalistes, tout commence seulement àl’époque achéménide, vers 400 avant notreère, voire encore plus tard à l’époque hellé-nistique. Ils font valoir que la Bible est une

pure construction idéologique et que lespremiers manuscrits datent précisément decette époque. Mais le matériel et les traditionsqui sont à l’origine de la Bible hébraïque sontantérieurs à l’époque perse.

Longtemps professeur ordinaire de Bible hébraïqueà la faculté de théologie et des sciences des religionsde l’université de Lausanne, Thomas Römer estnotamment l’auteur de Moïse, « lui que Yahvé aconnu face à face » (2002), L’Homosexualité dansle Proche-Orient ancien et la Bible (2005), LaPremière histoire d’Israël (2007), Psaumes interdits(2007). Depuis février 2009, il est professeur auCollège de France, titulaire de la chaire Milieuxbibliques.

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La SimplexitéAlain BerthozParis, Éditions Odile Jacob, 2009.

« La simplexité, telle que je l’entends, est l’en-semble des solutions trouvées par les orga-nismes vivants pour que, malgré la complexitédes processus naturels, le cerveau puissepréparer l’acte et en projeter les conséquences.Ces solutions sont des principes simplificateursqui permettent de traiter des informations oudes situations, en tenant compte de l’expé-rience passée et en anticipant l’avenir. Ce nesont ni des caricatures, ni des raccourcis ou

des résumés. Ce sont de nouvelles façons deposer les problèmes, parfois au prix dequelques détours, pour arriver à des actionsplus rapides, plus élégantes, plus efficaces. »

Comme le démontre Alain Berthoz dans celivre profondément original, faire simple n’estjamais facile ; cela demande d’inhiber, de sélec-tionner, de lier, d’imaginer pour pouvoirensuite agir au mieux.

Et si, à notre tour, nous nous inspirions duvivant pour traiter la complexité qui nousentoure ?

Parole et musiqueAux origines du dialogue humainsous la direction deStanislas Dehaene et Christine PetitColl. Collège de FranceParis, Éditions Odile Jacob, 2009.

Parole et musique façonnent notre vie sociale etnotre relation au monde. Mais d’où provient l’ap-titude singulière de notre espèce à donner du sensà l’expression de signaux acoustiques ? Pourquoiet comment ces systèmes de communication sont-ils apparus au cours de l’évolution ? Existe-t-ildes parentés entre les sonorités émises et traitéespar l’un et l’autre système ? Peut-on parler delangage musical ? Ou bien doit-on affirmer avecWagner que la musique commence là où s’arrêtele pouvoir des mots ?

Ces interrogations trouvent aujourd’hui deséléments de réponse dans les avancées réalisées

depuis vingt ans par les neurosciences cognitivesde la musique et du langage. De nouveauxconcepts, outils et voies de recherche naissentde la rencontre entre neurobiologistes, spécia-listes de l’évolution, philosophes, historiens,psychologues, anthropologues, psychoacousti-ciens, informaticiens, linguistes, musicologues.

Ce colloque, qui les a rassemblés au Collège deFrance les 16 et 17 octobre 2008, montrecombien cette réflexion est stimulante et féconde.

Contributions de S. Arom, A. Bargiacchi,E. Bigand, J. Bouveresse, R. Chartier, G. Dehaene-Lambertz, M. Edwards, D. Gnansia, C. Hagège,M. Hausberger, R. Kolinsky, C. Lorenzi,H. Neville, P-Y. Oudeyer, I. Peretz, J.-C. Risset,L. Rizzi, X. Rodet, P. Szendy, M. Zilbovicius.

Éthique et changement climatiqueO. Abel, É. Bard, A. Berger, J.-M. Besnier,R. Guesnerie, M. SerresParis, Les Éditions du Pommier, 2009.

Face au changement climatique, quelle est laresponsabilité des scientifiques, des écono-mistes et des décideurs politiques ? Celle desphilosophes, des moralistes, des théologiens ?Enfin, celle de chacun d’entre nous ? Cette,question, qui interroge l’éthique, n’a encoreété que rarement abordée en France.

Préparé à l’issue d’un colloque tenu à Paris en2009, cet ouvrage conjugue des éclairagesscientifiques, philosophiques, moraux et théo-logiques mis à la portée de tous. Il souligne lanouveauté et l’urgence de la réflexion éthique

sur une question qui engage profondément ledevenir de humanité, et tout particulièrementcelui des plus démunis, qui seront aussi les plusvulnérables face à ce bouleversement déjàamorcé. Car si l’être humain peut aimer le bienet être capable de se mobiliser collectivementpour une cause universelle, il peut aussi tendreà se rétracter sur des positions individualistes,surtout lorsqu’il lui faut s’extraire de l’immé-diat pour se préoccuper du sort des généra-tions futures.

Toutes les traditions de pensée sont conviées àcette indispensable et urgente réflexion, quiassocie enjeux planétaires et enjeux indivi-duels. Puisse cet ouvrage y contribuer utile-ment.

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Le temps de l’altruismePhilippe KourilskyPréface d’Amartya SenParis, Éditions Odile Jacob, 2009.

Réchauffement climatique, pollutions, crise finan-cières, épidémies, famines, pauvreté… Nous nemanquons ni d’informations, ni de possibilités d’ac-tion sur ces problèmes essentiels. Pourtant, nousavons du mal à les saisir et à les résoudre. Leproblème ne viendrait-il pas d’un déficit de percep-tion de la réalité, qui pourrait altérer la conscienceque nous avons des choses, mais aussi de nous-mêmes, des autres et de notre rapport aux autres ?

Pour Philippe Kourilsky, si nous éprouvons tant dedifficulté à résoudre les grands problèmes du globe,c’est avant tout parce que nous ne percevons pas laréalité adéquate. L’accumulation des jugements indi-

viduels produit trop de divergences et trop peu deconsensus pour fonder une action collective efficace.

La voie à suivre est alors tracée. Il faut élargir notreregard sur le monde et sur nous-mêmes. Un exerciced’introspection rationnelle doit conduire à faire del’altruisme une nécessité logique et pas seulement uneoption éthique. Incorporer l’altruisme dans la théorieet les sciences politiques, et particulièrement dans lathéorie et la pratique économique, constitue donc unpréalable indispensable à l’action collective.

L’essai est précédé d’une préface d’Amartya Sen quien souligne l’originalité : « Ce n’est pas la premièrefois que les graves problèmes moraux qui se posentdans le monde globalisé sont abordés et traités, maisce que nous propose ici Philippe Kourilsky, ce n’estni plus ni moins qu’une approche inédite de ces ques-tions centrales dans le monde d’aujourd’hui. »

Le camp de la flotte d’Agrippa à FréjusLes fouilles du quartier de Villeneuvesous la direction de Christian Goudineau etDaniel BrentchaloffOuvrage publié avec le concours du Collègede FranceParis, Éditions Errance, 2009.

En 31 avant J.-C., Octave et Agrippa remportent lavictoire navale d’Actium sur les flottes de Marc-Antoine et de Cléopâtre. La paix allait désormaisrégner sur tout l’Empire, Octave étant peu aprèssalué du titre d’Augustus. Les navires pris à Antoinefurent envoyés à Forum Julii (Fréjus). Une unité dela flotte y fut même stationnée. L’implantation ducamp de la flotte a constitué une énigme, jusqu’à ce

que des fouilles de sauvetage, entamées en 1977,retrouvent, à l’écart de la ville, des bâtiments de typemilitaire (casernements, entrepôts, voies, installa-tions de commandement, etc.). Un matériel archéo-logique d’une incroyable richesse a été mis au jour,pour l’essentiel directement importé d’Italie.

Cet ouvrage constitue la publication scientifique deces recherches. Il éclaire la vie d’un camp sur plusd’un demi-siècle. Il restitue le rivage de l’époque,depuis lors totalement modifié. Aux archéologues,aux numismates, mais aussi à ceux qui s’intéressentà l’histoire de la Gaule, il offre une riche moisson demobiliers (pièces d’armement, céramiques, verres,monnaies, petits objets) exceptionnels par leurqualité et leur quantité.

ShakespeareLe poète au théâtreMichael EdwardsParis, Éditions Fayard, 2009.

Pourquoi le plus grand poète anglais a-t-il choisid’écrire avant tout pour le théâtre ? Telle est la ques-tion essentielle que pose Michael Edwards, lui-mêmepoète, essayiste et grand spécialiste de Shakespeare,à qui il a déjà consacré plusieurs livres.

En étudiant comment Shakespeare œuvre en poètedans tous les aspects d’un travail pour la scène, ilmontre que la multiplicité des personnages danschaque pièce l’incite à renoncer à une seule perspec-tive et à soumettre sa vision au jugement de situa-tions concrètes. Shakespeare dépasse le lyrisme dumoi en se hasardant sans cesse dans le je des person-nages, même secondaires. Il transforme ainsi la

poésie en parole, maintient l’oralité, et devient le« poète des autres ».

Pour développer ses idées, Michael Edwards a sciem-ment choisi des pièces moins connues : Les Deuxgentilshommes de Vérone, Peines d’amour perdues,Troilus et Cressida, Mesure pour mesure, Tout estbien qui finit bien et Cymbeline. Couvrant toute lacarrière de Shakespeare, elles sont particulièrementaptes à éclairer la question et se révèlent d’unerichesse insoupçonnée. Elles lui permettent égale-ment de redéfinir le théâtre – lieu autre, à la foismatériel et fictif, image parfaite de ce changement duréel et du moi qui serait la tâche fondamentale de lapoésie. En suivant inversement le travail du drama-turge dans les Sonnets, Michael Edwards proposeune lecture claire et passionnante de ces poèmesmystérieux, qui explique enfin leur sens et leur placedans l’œuvre de Shakespeare.

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Le temps des capitales culturellesXVIIIe-XXe sièclessous la direction de Christophe CharlesOuvrage publié avec le concours du Collège deFranceColl. EpoquesSeyssel, Éditions Champ Vallon, 2009.

L’histoire culturelle de l’Europe entre leXVIIIe siècle et le milieu du XXe siècle est marquéepar l’émergence de nouveaux lieux centraux pourles échanges, le rayonnement et l’innovation enmatière de culture. L’observation de ces capitalesculturelles, d’État le plus souvent, permet decomprendre la dynamique du passage de laculture de cour ou d’élite à une culture de plus enplus largement partagée et pratiquée, ainsi quel’émulation entre les espaces nationaux et linguis-tiques. Les capitales culturelles anciennes ou

dominantes (Londres, Rome, Paris) suscitent eneffet des politiques de rattrapage dans les capi-tales culturelles plus récentes ou incertaines.

Produit d’un travail collectif rassemblant desspécialistes de littérature, d’histoire, d’histoire dessciences, d’histoire des arts et de la musique, celivre redresse bien des stéréotypes et imagessimplifiées d’une période qui voit l’apogée durayonnement culturel européen, l’un de sesmoments de créativité les plus féconds (de l’opéraaux avant-gardes picturales) et un momentd’interaction intense avec les combats politiqueset sociaux les plus décisifs pour la transforma-tion du continent.

Point de fuiteLes images des images des imagesEssais critiques sur l’art actuel, 1987-2007Roland RechtPréface de Henry-Claude CousseauParis, Éditions Beaux-arts de Paris, 2009.

« L’histoire de l’art a depuis quelques décen-nies considérablement élargi son champ épis-témologique. Elle a fini par tirer parti dudéveloppement des sciences humaines etouvrir ses frontières à des disciplines connexes.Mais son objet, par définition, appartient aupassé, et son regard, pour se déployer, doitmettre cet objet en perspective, le tenir àdistance. Or quand il se penche sur les artistesde son temps, Roland Recht s’adonne nonseulement brillamment au genre de la critique,mais il le fait en outre avec la profondeur del’historien ; le retournement du discours surson propre point de vue, dont cet exercicenous présente un exemple accompli, noussemble éminemment fécond. »

C’est ainsi que Henry-Claude Cousseauprésente les essais publiés entre 1987 et 2007par Roland Recht et réunis ici pour lapremière fois. Textes de commande parfois,ou encore liés à des expositions que l’auteur aorganisées, ils témoignent d’une remarquablecohérence. De Marcel Broodthaers à Jean-LucGodard, Roland Recht montre en quoi touteœuvre forte et singulière se présente commeun hiéroglyphe où les images s’emboîtent dansd’autres images, hiéroglyphe dont le critiquene peut pas prétendre épuiser la signification,mais dont il doit, patiemment, appréhender laconfiguration.

Roland Recht a partagé son activité entre la direc-tion de musées et l’université. Ses intérêts l’ont portéaussi bien vers l’art médiéval que vers celui de sescontemporains. En 2001, le Collège de France acréé à son intention une chaire d’Histoire de l’arteuropéen médiéval et moderne et en 2003 il a éténommé membre de l’Institut.

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OrientsConversations avec Rita Bassil et RamyHenry LaurensParis, CNRS Éditions, 2009.

Henry Laurens a construit une œuvre impo-sante, exigeante, renouvelant en profondeurnotre connaissance du monde proche etmoyen-oriental. Dialoguant à bâtons rompusavec la journaliste Rita Bassil et Ramy, l’auteurdes Orientales revient sur son itinéraire intel-

lectuel, de la khâgne du lycée Louis le Grandau Collège de France en passant par la Syrie,le Koweït, l’Égypte et le Liban. Ponctuant sessouvenirs d’analyses politiques, il passe aucrible de sa vaste érudition les événements quise sont succédé au Moyen-Orient depuis l’ex-pédition d’Égypte de Bonaparte jusqu’à l’échecdu processus de paix israélo-palestinien.

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Le nom, l’écrit et le non-dit : mentalitésrurales et « culture intermédiaire » dans leJapon médiévalSimone Mauclaire Bibliothèque de l’Institut des hautes étudesjaponaisesInstitut des hautes études japonaises duCollège de FranceParis, Éditions de Boccard, 2009.

À travers la problématique anthropologiquede la construction du « lien social » et uneanalyse des sources et des notions-clés de l’uni-vers politique, économique et familial, ce livreporte un nouveau regard sur l’histoire desmentalités dans la société rurale du Japonmédiéval. On y trouvera une réflexion généralesur le régime des domaines médiévaux (shôenkôryôsei), principalement durant la périodequi a précédé son déclin (XIIe siècle-début duXIVe siècle), ainsi qu’une étude monographiquedes rapports entre petits fonctionnaires locauxet chefs paysans dans le domaine Ôsato noshô, situé dans l’île de Shikoku.

Particulièrement intéressants et rares, les docu-ments d’Ôsato no shô permettent de pénétrerdans un univers villageois peu connu et d’étu-dier ses rapports avec l’histoire des institutionsrurales de l’« espace étatique » médiéval. Uneattention spécifique a été accordée aux règle-

ments des litiges locaux (XIIe siècle-début duXIVe siècle) en relation avec les rôles respectifsde l’écrit et de l’oral, mais aussi à la place du« non-dit » dans cette société d’interconnais-sance.

L’analyse souligne l’importance d’une « cultureintermédiaire » qui opère une médiation entredominants et dominés appartenant à des sphèressocioculturelles différentes. Cela est vrai tantdes sociétés locales, où l’on remarque unegrande inégalité dans la maîtrise des savoirsécrits, que des relations entre celles-ci et leursdominants au sommet de la hiérarchie doma-niale. Cette « culture intermédiaire », qui est engrande partie une reformulation des règlescoutumières dans le « jargon administratifmédiéval », est indissociable des pratiquesd’échange asymétrique qui participent d’uneritualisation des relations de domination où lavaleur magique du « nom » associée à la notionde « maison » occupe une place centrale.

Oralité et lien social au Moyen Âge(Occident, Byzance, Islam) : Parole donnée,foi jurée, sermentMonographies 29Édité par Marie-France Auzépy et GuillaumeSaint-GuillainCollège de France – CNRS, Centre derecherche d’histoire et civilisation de ByzanceOuvrage publié avec le concours del’université de Paris IV-SorbonneParis, ACHCByz, 2008.

Ce livre rassemble les contributions aucolloque international « Oralité et lien social(Occident, Byzance, Islam) : parole donnée,foi jurée, serment », organisé à Paris du 10 au12 mai 2007, à l’instigation des byzantinistesde l’UMR 8167 - Orient et Méditerranée. À lalumière des recherches récentes, la place de laparole donnée et sa relation avec le sermentleur avaient semblé plus importantes qu’on nel’avait cru jusqu’ici dans la société qu’ilsétudient : l’honneur passe en effet pour avoir,

à Byzance, une importance bien moindre qu’enOccident, où notamment le rôle du sermentvassalique a suscité une vaste littérature.

En élargissant l’étude aux sociétés qui entou-rent l’Empire byzantin tant au sud et à l’est– le califat et les royaumes ou principautésmusulmans – qu’à l’ouest – l’empire et lespuissances chrétiennes d’Occident –, on voitse dégager de nouvelles perspectives.

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À la croisée du texte et de l’imagePaysages cryptiques et poèmes cachés(Ashide) dans le Japon classique et médiévalClaire-Akiko BrissetBibliothèque de l’Institut des hautes étudesjaponaisesCollège de France, Institut des hautes étudesjaponaises, Paris, 2009.

Cet ouvrage a pour objectif de présenter unphénomène intersémiotique d’une rarecomplexité dans l’art japonais et proposantdes objets d’arts (peintures et laques, notam-ment) dans lesquels ont été dissimulés àdessein des caractères d’écriture. De tels jeuxcryptiques supposent naturellement une récep-tion particulière et exigent de grandes compé-tences chez le « lecteur » qui devra toutd’abord repérer les signes graphiques commetels, les déchiffrer et découvrir le texte auquell’artiste a voulu le renvoyer. Ce dialogue silen-cieux entre l’œuvre et son destinataire ne peutse comprendre aujourd’hui qu’à condition dese livrer à un travail patient d’analyse entreles dispositifs ingénieux que le temps nous alégués et leur source d’inspiration. La maîtriseet la manipulation des codes (graphique eticonique) ont ainsi permis d’élaborer àl’époque classique et au moyen âge desmessages cachés dont la subtilité décourage leplus souvent les chercheurs, y compris auJapon même.

Le corpus rassemble plus d’une centaine d’œu-vres dont seule une partie a été déchiffréeaujourd’hui de façon certaine. Le présentouvrage ayant pour visée de rendre comptedes relations entre texte et image au sein deces objets particuliers, on se propose donc icid’expliciter les modalités de cryptage etsurtout d’analyser certaines d’entre elles,tenues pour particulièrement représentativesdes fonctionnements intersémiotiques qui nousoccupent.

Généralement désignées sous le nom génériqued’ashide, ou « écriture en forme de roseau »– terme dont la genèse s’associe à un champlexical aux résonances poétiques fécondes –,ces images seront proposées au lecteur en fonc-tion de la nature des procédés cryptogra-phiques mobilisés par les artistes et du type derelation entre texte et image qu’elle induit.Accompagnant le fil de la réflexion, la richeiconographie (plus d’une centaine de figureset de planches) permettra non seulementd’illustrer le propos, mais plus encore de fairedécouvrir ces œuvres subtiles pour la premièrefois en France.

Regards critiquesQuatre réflexions sur la littérature classiquedans le Japon des XVIIe-XVIIIe sièclesTravaux et conférences de l’Institut deshautes études japonaises du Collège deFranceCollège de France, Institut des hautes étudesjaponaises, Paris, 2009.

À tous égards, on peut dire que l’époque d’Édo(1603-1868) constitue au Japon l’âge d’or dela réflexion critique. Le présent recueilvoudrait contribuer à la connaissance de cetteriche littérature critique – largement ignoréeen France – en présentant une traductionannotée de quatre œuvres. Deux d’entre ellesportent sur la prose, plus particulièrement surle Genji monogatari, et deux sur la poésie(waka). Toutes ont été écrites par des critiquesmajeurs : Kumazawa Banzan (1619-1691),

Andô Tameaki (1659-1716), Kamo noMabuchi (1697-1769) et Ozawa Roan (1723 -1801).

L’objectif que se sont proposé les auteurs de cerecueil est de présenter quelques démarches àla fois exemplaires et originales par leurapproche théorique ou par leur forme, et depermettre ainsi au lecteur de découvrir unaspect fondamental de la pensée japonaise.

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Puer ApuliaeMélanges offerts à Jean-Marie MatinMonographies 30 – Vol. 1 et 2 Édités par E. Cuozzo, V. Déroche,A. Peters-Custot et V. PrigentCollège de France – CNRS, Centre derecherche d’histoire et civilisation deByzance.Ouvrage publié avec le concours du « LegsMalandrino » (Université Paris I Panthéon-Sorbonne) et de l’Università‘Suor Orsola Benincasa’ di Napoli’Paris, ACHCByz, 2008.

Ces Mélanges sont offerts à Jean-Marie Martin,directeur de recherche émérite au CNRS, spécia-liste de l’Italie du sud médiévale, byzantine etlatine, en particulier à travers les documents d’ar-chives dont il est un éditeur infatigable. On trou-vera dans ce volume une bibliographie de sestravaux. Ces Mélanges regroupent les contribu-tions de plusieurs de collègues et amis, essentiel-lement sur l’Italie médiévale et Byzance, quireflètent l’ampleur de la curiosité scientifique dudédicataire : histoire de l’Église, documents d’ar-chive, archéologie, hagiographie, histoire écono-mique et sociale, iconographie, codicologie etnumismatique y croisent leurs perspectives.

Paroles en actesCahiers d’anthropologie sociale 05sous le haut patronage de Claude Lévi-Strauss, Françoise Héritier etNathanWachtelDirigé par Carlo Severi et Julien BonhommeOuvrage publié avec le concours du Collègede FranceParis, Éditions L’Herne, 2009.

Une parole est un acte socialement efficace. Cetaspect pragmatique du langage, relevé depuislongtemps, ne cesse pourtant de poser problème.Pour les linguistes, la pragmatique se limite àl’étude de tout ce qui est explicitement formuléà travers des moyens appartenant à la langue.Pour les anthropologues, l’analyse des enjeuxsociaux de l’énonciation semble suivre unelogique largement indépendante de l’étude tech-nique du langage. En somme, ce qui paraîtanalysable d’un point de vue linguistique émergecomme un résidu de l’analyse des anthropolo-gues, et vice versa. Cet ouvrage vise à définir un nouvel espace detravail commun entre linguistes et anthropolo-

gues. Comment imaginer un style d’analysecapable d’inclure les acquis techniques deslinguistes, mais aussi de tenir pleinement comptede l’apport des moyens de communication nonlinguistiques, comme par exemple l’image et legeste ? Comment articuler une approche fondéesur l’identification des indices linguistiques ducontexte et une approche centrée sur l’étude desmodalités sociales de l’interaction ? Peut-on, àpartir de cette perspective croisée, jeter unregard nouveau sur la communication rituelle ?

Les articles réunis dans ce volume abordent cesquestions à partir d’une série d’études de casportant aussi bien sur la Grèce ancienne que surdes terrains africains, océaniens et amérindiens,ou encore sur les sociétés occidentales contem-poraines. Rites funéraires et discours chama-niques, rituels de conciliation et discourscérémoniels, circulation de la rumeur et mêmeconversation ordinaire apparaissent commeautant d’occasions d’exercice de la parole effi-cace. De ce dialogue entre anthropologie etpragmatique émerge ainsi un nouvel objetd’analyse : la parole en actes.

De Méditerranée et d’ailleurs...Mélanges offerts à Jean GuilaineOuvrage publié avec le concours du Collègede FranceToulouse, Archives d’écologie préhistorique,2009.

Principalement axées sur la préhistoire et laprotohistoire méditerranéenne et toujoursreplacées dans des perspectives historiques, lesrecherches menées depuis près de cinquanteans par le Pr Jean Guilaine ont pu être trans-mises au plus grand nombre grâce à la chaireCivilisation de l’Europe au néolithique et à

l’âge du Bronze qu’il a animée entre 1995 et2007 au sein du Collège de France. Plus d’unecentaine de chercheurs de nationalités diversesont souhaité, à travers cet ouvrage, rendrehommage à la diversité de ses travaux maiségalement à l’homme, passionné et toujoursdésireux de faire partager son savoir.

La diversité des aires géographiques et lavariété des thématiques abordées dans les arti-cles ici rassemblés souligne l’envergure derecherches qui contribuent à jalonner lesroutes de l’histoire européenne.

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CONFÉRENCES

� Souleymane Bachir DIAGNE1. Bergson et la pensée de L.S. Senghor, 2. L.S. Senghor et la philosophie du socialisme africain3. Bergson et la philosophie iqbalienne de l’ijtihad4. Leibniz, Bergson, Iqbal et le Fatum mahometanum

18 décembre 2009 et 4, 11 et 18 janvier 2010, 11 heures

� Itzhak FRIED1. Matter and Memory: Stimulation and recordings in the

human temporal lobe2. Matter and Memory: Single neurons and human

recollections3. Neuronal Mechanisms of Will and Action: Stimulation

and single neuron recordings in the human frontal lobe4. Surgery of Epileptogenic and Functional Brain

Networks: Plasticity and functional recovery4 février, 10 heures, 11 février, 11 heures, 7 février 2010, 17 heures

� Daniel Heller ROAZENHarmonies et disharmonies du monde.Le son, le mètre et le nombre, de Pythagore à NicoleOresme1. Dans la forge. L'invention de la consonance2. De l'Arithmétique à l'art rythmique 3. « Musique naturelle » et langues vulgaires4. Brisures du cosmos

6, 13, 20 et 27 janvier 2010, 17 heures

� Jörg RÜPKE1. Les déviances religieuses : concepts romains et modernes2. Les superstitions : expériences religieuses interdites dans

les temples3. Le discours normatif de l’Antiquité tardive4. L’individualisation religieuse dans le monde

gréco-romain10, 17, 24 février et 3 mars 2010, 17 heures

A G E N D A

La Lettre du Collège de FranceDirecteurs de la publication : Pierre CORVOL, Administrateur du Collège de France et

Florence TERRASSE-RIOU, Directrice des Affaires culturelles et relations extérieuresDirection éditoriale : Marc KIRSCH - Patricia LLEGOU

Conception graphique : Patricia LLEGOU - Relecture : Céline VAUTRIN

Crédits photos : © Collège de France, PATRICK IMBERT, JEAN-PIERRE MARTIN - Reproduction autorisée avec mention d’origine.ISSN 1628-2329 - Impression : ADVENCE

11 place Marcelin-Berthelot – 75231 Paris cedex 05Prix

: 4 €

TOUTETOUTE LL’’ ACTUALITÉACTUALITÉ SURSUR WWWWWW.. COLLEGECOLLEGE -- DEDE -- FRANCEFRANCE .. FRFR

LEÇONS INAUGURALES

� Peter PIOT (Imperial College London)chaire Savoirs contre pauvreté 2009-20107 janvier 2010, 18 heures

� Patrick COUVREUR (Université Paris-Sud)chaire Innovation technologique – Liliane Bettencourt 2009-201021 janvier 2010, 18 heures

� Nicholas STERN (London School of Economics)chaire Développement durable – environnement,énergie et société 2009-20104 février 2010, 18 heures

JOURNÉES JEAN DAUSSET - 8-9 janvier 2010

vendredi 8 janvier, 9 h 00 - 17 h 30I. Immunologie cellulaireII. Génétique et diversité du génome humain

samedi 9 janvier 2010, 9 h 00 - 12 h 00III. Médecine : Transplantation et médecine prédictive

(programme détaillé : www.college-de-france.fr)

CONFÉRENCES À AUBERVILLIERS

Théâtre de la Commune d’Aubervilliers2, rue Édouard Poisson - Aubervilliers

� Les CeltesPr Christian Goudineau15 février 2010, 19 heures

� Les romainsPr John Scheid22 mars 2010, 19 heures

� Le monde arabePr Henry Laurens10 mai 2010, 19 heures

Lycée Le Corbusier44, rue Léopold Réchossière - Aubervilliers

� Le monde hispaniquePr Philippe Descola7 juin 2010, 19 heures