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Tout usage plagiaire, malencontreux ou amphibologique est prohibé. Pour citer cet article : LAVOU ZOUNGBO, Victorien, « Du malheur généalogique : Scansion 2. Afro-descendance: parcours de représentations et constructions hégémoniques ». http://sitedugrenal.e-monsite.com/pages/page-7.html Date de publication : Octobre 2012. 1 Du malheur généalogique : Scansion 2 Afro-descendance: parcours de représentations et constructions hégémoniques A la mémoire de Sonia Pierre, bien modestement Del siglo dieciséis data mi pena Y apenas lo sabía Porque aquel ruiseñor Siempre canta en mi pena (Nancy Morejón, Cuba) Ce mystère de mon origine m’avait torturé bien longtemps, mais les affres de ma survie prirent très vite le dessus; j’étais même un peu surpris de voir surgir cette interrogation alors que j’effectuais ce simple pèlerinage sur le lieu initial ; dans ce trou qui me servait de mémoire, quelque chose me troublait encore, comme cela m’avait toujours troublé à chacune de mes introspections; ce n’était pas le détail de ma provenance, ni même sa vérité; c’était que je la sentais reliée à quelque chose d’insupportable, une immense douleur, et qui (bien plus que le désir d’une quelconque filiation) constituait le lieu d’impact de ce passé inscrit indéchiffrable en moi: j’en portais sa souffrance sans savoir ce que cela pouvait être Patrick Chamoiseau, L’empreinte à Crusoé, Gallimard, 2012, pp. 25-26 On ne s’étendra pas sur le « style » historique pourtant le plus répandu : celui des énumérations, des recensements, des inventaires. On peut facilement le démolir, l’attaquant sur deux de ses déterminations, absurdement contradictoires, mais dont la réunion n’est pas fortuite mais témoigne du relâchement de ses intentions. Grisaille de faits ramassés (la notion de fait scientifique, dans un tel contexte –l’amas-, perd la plus grande partie de son sens), le compte rendu en forme de chronique donne l’illusion qu’il y a accumulation des acquis: l’histoire se réduit à une ligne pâle qu’aucun obstacle ne vient noircir, et qui ne connaît pas la régression, ou l’éclatement. Mais, inversement, cette accumulation, dans la mesure où elle a l’air d’aller de soi, implique, plutôt que celle d’une téléologie (lumière encore trop forte), l’idée d’un hasard. La ligne du récit n’est que la forme donnée à une discontinuité radicale: amenés un à un, s’alignent les apports qui n’apportent rien à rien. Cette histoire purement contingente collectionne des dates, des biographies et des anecdotes, mais finalement ne rend compte de rien, surtout pas du statut historique d’une science constituée. Contre une histoire ainsi arbitraire, qui n’est au fond qu’une histoire indifférente, il doit être possible, il est nécessaire, d’écrire une histoire intéressée. C’est à partir de cette exigence que se noue un débat, lancé par la critique d’une façon d’écrire l’histoire pri se pour modèle, dont le responsable semble le premier intéressé à écrire une histoire de la science: le savant. Pierre Macherey, De Canguilhem à Foucault La force des normes, 2009, pp.37-38.

Du malheur généalogique : Scansion 2sitedugrenal.e-monsite.com/medias/files/du-malheur-genealogique... · On ne s’étendra pas sur le « style » historique pourtant le plus répandu

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Tout usage plagiaire, malencontreux ou amphibologique est prohibé.

Pour citer cet article : LAVOU ZOUNGBO, Victorien, « Du malheur généalogique :

Scansion 2. Afro-descendance: parcours de représentations et constructions hégémoniques ».

http://sitedugrenal.e-monsite.com/pages/page-7.html Date de publication : Octobre 2012.

1

Du malheur généalogique : Scansion 2

Afro-descendance: parcours de représentations et

constructions hégémoniques

A la mémoire de Sonia Pierre, bien modestement

Del siglo dieciséis data mi pena

Y apenas lo sabía Porque aquel ruiseñor

Siempre canta en mi pena (Nancy Morejón, Cuba)

Ce mystère de mon origine m’avait torturé bien longtemps, mais les affres de ma survie prirent très vite le

dessus; j’étais même un peu surpris de voir surgir cette interrogation alors que j’effectuais ce simple

pèlerinage sur le lieu initial ; dans ce trou qui me servait de mémoire, quelque chose me troublait encore, comme cela m’avait toujours troublé à chacune de mes introspections; ce n’était pas le détail de ma provenance, ni même sa vérité; c’était que je la sentais reliée à quelque chose d’insupportable, une

immense douleur, et qui (bien plus que le désir d’une quelconque filiation) constituait le lieu d’impact de

ce passé inscrit indéchiffrable en moi: j’en portais sa souffrance sans savoir ce que cela pouvait être Patrick Chamoiseau, L’empreinte à Crusoé, Gallimard, 2012, pp. 25-26

On ne s’étendra pas sur le « style » historique pourtant le plus répandu : celui des énumérations, des recensements, des inventaires. On peut facilement le démolir, l’attaquant sur deux de ses déterminations,

absurdement contradictoires, mais dont la réunion n’est pas fortuite mais témoigne du relâchement de ses

intentions. Grisaille de faits ramassés (la notion de fait scientifique, dans un tel contexte –l’amas-, perd la plus grande partie de son sens), le compte rendu en forme de chronique donne l’illusion qu’il y a

accumulation des acquis: l’histoire se réduit à une ligne pâle qu’aucun obstacle ne vient noircir, et qui ne

connaît pas la régression, ou l’éclatement. Mais, inversement, cette accumulation, dans la mesure où elle a l’air d’aller de soi, implique, plutôt que celle d’une téléologie (lumière encore trop forte), l’idée d’un

hasard. La ligne du récit n’est que la forme donnée à une discontinuité radicale: amenés un à un, s’alignent les apports qui n’apportent rien à rien. Cette histoire purement contingente collectionne des dates, des biographies et des anecdotes, mais finalement ne rend compte de rien, surtout pas du statut

historique d’une science constituée. Contre une histoire ainsi arbitraire, qui n’est au fond qu’une histoire

indifférente, il doit être possible, il est nécessaire, d’écrire une histoire intéressée. C’est à partir de cette

exigence que se noue un débat, lancé par la critique d’une façon d’écrire l’histoire prise pour modèle, dont le responsable semble le premier intéressé à écrire une histoire de la science: le savant.

Pierre Macherey, De Canguilhem à Foucault La force des normes, 2009, pp.37-38.

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Pour citer cet article : LAVOU ZOUNGBO, Victorien, « Du malheur généalogique :

Scansion 2. Afro-descendance: parcours de représentations et constructions hégémoniques ».

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“Está bien que se les consuele abriéndoles la puerta por servicios eminentes; ¿pero es dable que los que hasta ahora no han tenido existencia política puedan haber contraído méritos relevantes? ¿Y será fácil

que tantos millares de habitantes ocurran a molestar la atención de Vuestra Majestad por sólo la investidura de ciudadanos? Yo creo, Señor, que serían pocos los tres meses que cada año han de durar

las Cortes futuras para atender a las solicitudes de millares de individuos de las castas que implorarían su benignidad. En fin, Señor, he hecho presente a Vuestra Majestad las razones de justicia que tienen los individuos originarios de África para merecer la atención de Vuestra Majestad y los inconvenientes que

se seguirán de lo contrario. Por otra parte, yo no hallo razón ni fundamento sólido para que se excluyan; porque condescender con las preocupaciones, que no niego hay en algunos españoles de Ultramar contra

las castas, no me parece bien. Lo justo será siempre bien recibido en todas partes; y aunque los grandes y poderosos quieren que duren las preocupaciones, la conducta de Vuestra Majestad y sus sabias

resoluciones, formarán en este asunto, como en otros muchos, la opinión pública. A más de que no se trata de elevar a las castas a la clase de nobles, ni colocarlas en los primeros empleos; sólo se trata de

remover el obstáculo, de darles existencia política, para que mejorándose esta porción utilísima de nuestra población, sea más útil a Vuestra Majestad y a la Patria. Por lo que concluyo pidiendo que

Vuestra Majestad decrete que los hijos de padres ingenuos, aunque originarios de África, como sean honrados y tengan algún oficio o modo de pasar la vida honestamente, sean reputados por ciudadanos

españoles.

Dirigido a las Cortes de Cádiz

Discurso del padre Florencio Castillo (secretario y presidente de las Cortes de Cádiz) en defensa de las castas (Sesión del 4 de septiembre de 1811. p. 1767-1769).”

Era un sonho dantesco…O tombadilho Que das luzernas avermelha o brilho,

En sangre a se banhar, Tinir de ferros...estalar do açoite...

Legicoes de homens negros como a noite, Horrendos a dançar...

Negras mulheres, suspendendo às tetas

Magras crianças, cujas bicas pretas Rega o sangue das maes:

Outras moças...mas nuas, espantadas, No turbilao de espectros arrastradas,

En ânsia e màgoa vâs.

...

No entanto o capitao manda a manobra E apos, fitando o ceu que se desdobra

Tao puro sobre o mar, Diz do fumo entre os densos nevoeiros:

“Vibrai rijo o chicote, marinheiros: Fazei-os mais dançar

Castro Alves, “Os escravos” (poemas seleccionados), in Espumas Flutuantes e outros poemas, Ediçao de

Arte, 2010 pp.221-222.

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Ya no somos esclavos –mi padre lo fue- pero una pesadez cuelga sobre nosotros, una densa amenaza, por Limón. Los países que ayer nos llamaron hoy nos expulsan. Aquí en Costa Rica el Congreso aprobó una ley para prohibir nuestro empleo y otra para quitarnos la propiedad. Pero tenemos que ser realistas, al

África no podemos volver. Tampoco a nuestras islas, porque no nos sustentan. Por eso le propuse al gobierno británico que, así como los hebreos van a tener un hogar, nos ayude a los negros a través de la Liga de las Naciones a crear un país para los rechazados que llenan grandes barcos de regreso de Cuba,

Guatemala, Honduras, Panamá y Costa Rica, pues son barcos que no tienen donde ir…

Ana Cristina Rossi, Limón Reggae, 2008, p. 73

C’est vers la fin des années 1990, lors de la préparation des travaux en vue de la

présentation, en 2001, de mon Habilitation à Diriger des Recherches (HDR), que j’ai

forgé, pour la première fois, la notion conceptuelle de « malheur généalogique »

(dorénavant MG dans le texte). Je l’empruntai, partiellement à Achille MBembé qui

lui-même le reprenait, si je ne m’abuse, de Michel de Certeau. La publication, en 2003,

dans la Collection Etudes, des Presses Universitaires de Perpignan, de l’ouvrage, Du

migrant-nu au citoyen différé…, issu pour partie précisément des travaux de mon

HDR, fut l’occasion de rendre public ce que je pressentais alors comme une première

tentative visant à donner un contenu théorique et critique à cette notion conceptuelle. Il

ne s’agissait donc que d’une première proposition: Scansion 1.

Alors qu’elle n’en était qu’à son épure et qu’elle traduisait une volonté de

construire une articulation entre différentes conclusions, hypothèses/lectures émanant

de mes propres travaux, cette notion fut reprise, comme grille de lecture et/ou

d’interprétation, en France, en Amérique latine et centrale, en Espagne, aux USA, au

Canada, en Afrique, etc. Par des doctorant-e-s ou des post-doctorant-e-s, ne travaillant

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pas, ou n’ayant pas travaillé sous ma direction, par des collègues anthropologues,

critiques culturelles et littéraires. Pour la plupart, ils/elles s’inscrivent, grosso modo,

dans le champ des études afro-latino-américaines et afro-caribéennes.

De même, comme il arrive souvent en nos pratiques de recherche, en lettres et

sciences humaines, certaines réappropriations critiques du MG (mode de citation,

interprétation, etc.) me laissent parfois très dubitatif, pour ne pas dire davantage. Je

sais en revanche gré aux collègues qui ont réellement trouvé quelque intérêt théorique

et critique au MG et qui donc, dix ans plus tard, me poussent, en quelque sorte, à y

revenir pour tenter de l’affiner, de lui donner une plus grande pertinence théorique et

critique ; il ne s’agit pas non plus d’un moment de concrétion définitive de cette notion

conceptuelle que je tiens pour moi toujours en devenir.

Du malheur généalogique: Scansion 2

Prévenons: un double choix est ici délibérément fait. Ne pas lester cette esquisse

théorique et critique de certaines références buissonnières indispensables/importantes,

dont je ne méconnais pas l’existence. Je ne prétends pas non plus les connaître toutes,

tant le champ dans lequel se situe cette esquisse implique plusieurs langues, différentes

« régions du Monde » et, conséquemment, différentes « bibliothèques

(post)coloniales ». En outre, les dimensions entangled de ces « bibliothèques » ont

été pendant assez longtemps négligées ou faiblement prises en compte. En effet, les

travaux historiographiques restaient (ils le sont encore) profondément marqués par des

logiques ou perspectives (proto) nationales ou (proto) régionales. Que dire du Brésil

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post colonial et post esclavagiste dont une grande partie des archives et bibliothèques

coloniales et esclavagistes (surtout) partit en fumée, suite à une décision politique prise

en 1890 par un certain Ruy Barbosa de Oliveira (1848-1923)? L’argument mis en

avant officiellement pour justifier un tel autodafé ne faisait en réalité que consacrer

une amnésie nationale, un aveuglément têtu dont les conséquences se mesurent encore.

Par exemple, à la question de savoir où se trouvaient les marchés de vente du « bétail-

Noir » esclavagisé, pourtant souvent annoncée dans les journaux ou par tout autre

moyen légal ou clandestin de l’époque, on reçoit encore, même de nos jours, des

réponses qui oscillent entre évasion, ignorance (innocente ?) ou gêne. Il faut être

honnête et reconnaître que ces attitudes ne sont pas uniquement propres au Brésil.

Il existe aussi d’autres formes d’enclosures indirectes du champ qui contribuent à

renforcer la méconnaissance de certaines « bibliothèques »: réticences marquées, refus

ou très grand retard dans la traduction de certains ouvrages par les « grandes »

maisons d’édition ; monolinguisme des enseignements dispensés par les cités savantes,

les problématiques de recherche privilégiées ou découragées/assaillies par ces

dernières, etc.

Deuxio: Ne pas se complaire dans l’exercice de la preuve par les exemples qui

visent manifestement à éviter l’amphibologie ou la ventriloquie critique (qui serait

contre l’honnêteté intellectuelle ?), à donner des gages de rigueur scientifique, de

sérieux universitaire. Il faut pourtant se rendre à l’évidence que ce calling at exemples,

quand il se fait systématique, en finit (outre la reconnaissance de discours d’autorité

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qu’il induit) par devenir un exercice de style, une pratique tautologique qui empêche

alors le développement de ce que l’on essaie de démontrer. Les exemples figurent

cependant en pointillés, en filaments dans cette esquisse; ils sont aussi présents en

quelques parenthèses, en quelques discursivités impliquées.

Dans la mesure où cette esquisse intègre le champ des études afro-latino-

américaines et afro-caribéennes, il est donc logique qu’elle en épouse certaines

formulations théoriques, certains de ses lieux communs de pensée, ses (im)

pertinences ; il est tout aussi naturel, si l’on peut dire, qu’elle s’appuie sur quelques

unes de ses historiographies. Reconnaître publiquement ces médiations revient ainsi,

d’une certaine manière, à souligner mes propres démarcations théoriques et critiques,

aussi minimes fussent-elles, par rapport au champ de recherche ici prioritairement

impliqué par cette esquisse.

Venons-en maintenant à notre objectif principal. Le MG n’a pas de visée d’usage

empirique. Il n’est pas davantage une boîte à outil théorique et critique qui permettrait

d’appréhender mécaniquement, ou automatiquement toute la complexité de

l’inscription violente de Noir-e dans les formations sociales, culturelles, raciales et

imaginaires des Amériques/Caraïbes. Il constitue, avant tout, et cela doit être

constamment et rigoureusement souligné, un possible interprétatif que je crois

cependant opératoire. Il s’agit avant tout, sans dogmatisme ni superbe théorique

d’essayer de dévoiler/comprendre cette chose aussi diffuse que surprésente, sans cesse

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réaffirmée et sans cesse contestée: the pain of being black in America, pour le dire

avec les mots de Toni Morrison.

Le MG, comme hypothèse théorique et critique, procédait de mes propres travaux,

des conclusions ou hypothèses qui en découlaient ; il provient désormais de nouvelles

inflexions/orientations théoriques et critiques que j’ai depuis données à mes

recherches, au cours de ces dernières années, ainsi que, j’aurai la faiblesse de le croire,

de l’approfondissement de mon travail critique. Avec les tremblements d’approche et

de pensée indispensables dans ce genre d’exercice, le MG vise donc fondamentalement

à rendre compte, autant que faire se peut, des rapports fortement contradictoires des

sujets collectifs latino-américains et caribéens à la « présence-histoire » noire (V.

Lavou Zoungbo, 2003). De cette notion conceptuelle j’ai aussi dit quelques mots dans

Du Migrant-nu au citoyen différé… J’ajouterai à présent que son objectif

herméneutique et critique était de mettre sous tension la distinction qu’on fait, à tort ou

à raison, entre « histoire-science » et « histoire-mémoire ». La première étant

généralement vécue, par la discipline histoire et certaines autres connexes, comme plus

objective, scientifique car prenant appui sur une procédure méthodologique, des

sources, des archives; elle se fonde sur le parti pris de la mise à distance des «

jugements de valeur », sur une stylistique conventionnelle généralement admise et/ou

défendue: temps verbaux privilégiés, mise à distance du sujet de l’énonciation, usage

des statistiques et autres unités de mesure, appel à la matérialité des preuves,

philosophie du temps ou chronosophie, etc.

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Une telle représentation, au demeurant largement partagée encore sous nos

latitudes, y compris par le sens commun, oublie généralement, par convenance

disciplinaire, ou par consensus (?), ou encore par les vertus de l’ignorance innocente,

s’il en est, de poser la (redoutable) question de l’historicité de l’historien-ne. Il y a en

outre tant d’évènements factuels que l’ « histoire-science » tend à oublier, à passer

sous silence, car ils apparaitraient « irreprésentables », non pas tellement parce qu’ils

contestent son idéologie professionnelle mais parce qu’ils sont tenus pour

incompatibles avec un travail historiographique digne de ce nom ; ils seraient en

somme incompatibles avec la bonne historiographie. Cela est souvent flagrant quand il

s’agit d’évènements factuels liés à la Colonie, à l’Empire, à l’Entreprise de la traite et

de l’esclavisation transatlantiques, pour ne citer que ces exemples. Sur ces sujets, le «

dévoilement » critique des « silences », des « oublis », des « visions convenues »,

etc. provient souvent d’un ailleurs (autres champs disciplinaires, autres

historiographies nationales ou transnationales, etc.). Le « destape » peut aussi être

interne à la discipline histoire (remise en cause performative de certains présupposés

de travail mainstream) ou consécutif à certains moments de crise profonde de la

représentation d’un Soi national imaginé. On voit alors se dessiner ou se faire jour une

exigence populaire pressante et insistante d’une restitution moins verticale et plus

complexe des « faits historiques » dans le balisage et l’institution des récits régionaux,

nationaux voire même transnationaux. Ainsi, la bonne historiographie s’est-elle vue

des fois contrainte d’intégrer (dans ses horizons de recherche) de nouvelles

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thématiques, de nouvelles problématiques ; elle s’est vue obligée aussi d’adopter de

nouvelles temporalités dans l’écriture/diffusion de l’histoire puisque finalement c’est

de cela dont il s’agit en grande partie.

Cela veut dire que l’ » histoire-science », celle en tous les cas plébiscitée dans/par

nos disciplines, n’est pas exempte de « biais », d’une hiérarchie des évènements à

traiter, ou à éviter (le Black Athena en fait partie et le demeure encore, par exemple),

de mythifications dont on ne peut se contenter d’imputer la seule responsabilité aux

sujets n’ayant pas bien sacrifié aux protocoles de ce qui relèverait idéalement du bon

travail historiographique. Au-delà de l’opposition, devenue très discutable, entre

(in)fidélité mémorielle et vérité historique, au-delà des sujets, des écoles qui les

contiennent et les justifient, c’est la question même de la préhension des mondes vécus

qui devrait être constamment posée dans les disciplines historiographiques. Il n’est pas

de saisie de ce monde-ci qui ne soit située ou situable, jusques y compris dans les

présupposés épistémologiques, dans les stylistiques qu’on adopte ou que l’on met en

avant pour le dire ou le restituer.

En outre, opposer l’empirique (qui vire souvent à l’empirisme) aux représentations

revient, d’une part, à s’empêcher de se (re)poser la question de la constitution de ce «

fait » as such et, d’autre part, à proprement méconnaître la dimension factuelle des

représentations imaginaires. Autrement dit, lorsque les « vrais gens », pour ne pas dire

les « sujets », de manière consciente, inconsciente ou non consciente, sont agis par des

croyances (souvent des schèmes de domination incorporés sous le registre du « naturel

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»), des énonciations ou des évidences qui, même partiellement, organisent leurs

comportements individuels ou collectifs; lorsque les « vrais gens » dessinent -et se

mettent à les durcir et/ou défendre, toujours avec des arguments de bon sens-, une

ligne de partage, radicale, ou constamment modulable, entre un « Je/Nous » et un «

Tu/Eux », cela peut induire et/ou produire des dispositions au rejet, à l’auto-

célébration, à la persécution, etc. Il est de ce point de vue des conséquences pratiques

et matérielles découlant des représentations, que ce soit au plan de la gouvernance

(celles et ceux qui apparaissent naturellement dotée-e-s pour l’exercer) que du vivre

ensemble citoyen (les « valeurs » jugées fondatrices d’un Soi national imaginé, les

demandes citoyennes à satisfaire en priorité, celles jugées irrecevables, celles

continuellement différées, etc.). La « vraie vie » telle qu’elle semble aller de soi ne

préexiste donc pas nécessairement aux représentations imaginaires partagées à son

propos. De la même façon on est autorisés à dire que le travail historiographique ne se

fait pas en toute extériorité, depuis des lieux neutres, voire impeccables car protégés

(de quoi exactement ?) par des procédures scientifiques ou méthodologiques

attestées/éprouvées ou, du moins, largement partagées et reproduites.

Le retour à ces lieux communs de pensée (conceptuelle), désormais largement

trans ou pluridisciplinaires, ne grève absolument pas l’aspiration de la discipline

histoire à dire le monde tel qu’il fut, tel qu’il a été ou tel qu’il semble être ; il

n’empiète pas davantage sur ses territoires et ses îles : des enclosures imaginées grâce

auxquelles la discipline histoire (loin d’être homogène) négocie activement sa

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légitimité. Il s’agit bien au contraire de rappeler que l’autrement que les « faits

historiques » ne confine pas forcément à faire l’impasse sur les vulnérabilités

inhérentes à la discipline histoire as such, sur les vulnérabilités inhérentes à

l’historiographie, at large.

Ainsi, mettre l’accent sur les représentations ne signifie pas à tout prix suivre des

modes critiques dont, pour certain-e-s, la pertinence n’est pas avérée ; cela ne signifie

pas non plus remplacer la « vraie vie » par une discursivité équivoque ou facile, ou

encore remplacer la « vraie vie » par un carnaval des sciences. C’est là un reproche

souvent indûment adressé aux postcolonial studies, aux cultural studies et aux

subaltern studies. Des approches, davantage que des disciplines figées, dont la «

découpe » n’est pas aisée. Quoi qu’il en soit, il semblerait en effet désormais acquis

que les « idées » ou les « images » mentales ne flottent pas librement dans l’air mais

qu’elles sont déjà imaginairement et socialement amorcées, marquées ; de ce point de

vue, elles sont (potentiellement) porteuses de « violence ». En un mot, elles expriment,

traduisent ou transcrivent du social historisable ou de l’histoire socialisée, avec les

intérêts contradictoires qui vont avec. Les combats herméneutiques et les luttes

politiques des « minorités » en faveur de leur propre représentativité et du contrôle

(relatif) de leurs représentations dans les pratiques discursives hégémoniques en

attesteraient amplement au demeurant.

Cela dit, les rapports fortement contradictoires à la « présence-histoire » noire en

Amériques/Caraïbes, dont il a été précédemment question, ne sont pas non plus

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Tout usage plagiaire, malencontreux ou amphibologique est prohibé.

Pour citer cet article : LAVOU ZOUNGBO, Victorien, « Du malheur généalogique :

Scansion 2. Afro-descendance: parcours de représentations et constructions hégémoniques ».

http://sitedugrenal.e-monsite.com/pages/page-7.html Date de publication : Octobre 2012.

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réductibles à une coupure entre Blancs, white-like et Noirs. Non pas que cette coupure

imaginaire, héritée d’une histoire violente et (ré)instituée, en post-colonie et dans les

sociétés post-esclavagistes, en véritables habitus ou en véritables clauses imaginaires

d’insupport contraignantes, ait été désactivée ou rendue inopérante (dans leur fonction

de règlementation et de régulation), mais parce que l’accent qui y a été mis, très

légitimement, a peut-être conduit à renforcer la confusion ou le brouillage entre «

situation coloniale » et « sémiose (post)coloniale ».

Si la première, pour aller vite, décrit et identifie une « grammaire » politique

d’appropriation, de contrôle (des territoires, des richesses, des populations) et de

domination basée sur une hiérarchisation impliquant tout à la fois, l’économique, le

politique, le raciologique et le symbolique, la seconde, autant qu’elle puisse être

rigoureusement établie, tendrait, quant à elle, à signaler qu’en dépit de ladite «

grammaire » -qui en l’occurrence les réduisit au statut infâme d’esclavagisé-e dans les

Amériques/Caraïbes-, les Noir-e-s n’ont pas moins marqué, les consciences et les

pratiques des autres « races »/ » ethnies » historiquement co-présentes en ces régions

du monde.

Parenthèse 1: le départ entre les deux catégories ci-dessus n’est pas toujours aussi

limpide et tranché; elles se superposent, se recouvrent et, selon certains régimes de

temporalité, apparaissent permutables. Ainsi, l’odeur corporelle (assignée) racialise

tout autant que celle liée à un plat identifié à X, Y, Z « ethnie ». En sorte que, selon des

imaginaires partagés, croisés et/ou affrontés, les tripes/ viscères et autres « modongos

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», « okra » ou « guingombos » (des effets phoniques ou des images acoustiques qui

programment déjà un extraordinaire), la « yuca guisada con camarrones », sont des

plats qui négrifient ou, dans les régions Amériques/Caraïbes, identifient la « race noire

» imaginée tout autant que, les fruits de mer, l’équitation, le foie gras, le climat

tempéré, le fromage, le ski et la natation, etc. convoquent la « race blanche »

également imaginée.

Il est, de ce point de vue, de redoutables réductions/raccourcis qui mettent

constamment à mal la positivité des démarches visant à distinguer ces constructions

que sont « race » et « ethnie ». Au demeurant, tout « ethnocentrisme » n’est-il pas

potentiellement ou constamment habité/hanté par un « racisme », même celui qu’on

nomme ordinaire, alors que c’est précisément le plus prégnant et diffusé? En

interrogeant le départ, qu’il convient pourtant de continuer à faire rigoureusement,

entre ces deux catégories, je ne perds point de vue la systématisation du racisme, qui

est à la source de l’invention et de l’institution des « races »/ » couleurs » (plus de

deux cent cinquante au Brésil semble-t-il et tout autant ou presque en Haïti et dans les

Antilles françaises, etc.), tout comme l’éventualité (malheureusement attestée par

certaines tragiques mémoires de notre humanité) de son adossement à une ingénierie

sociale et de pouvoir qui peut conduire à un mépris institutionnel, à une relégation au

ban de l’infra-humanité, à la destruction physique de certaines populations, à la

disqualification symbolique de certaines pratiques culturelles et, par voie de

conséquence, à la disqualification des sujets qui les portent, les vivent. Qui peut encore

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de nos jours raisonnablement affirmer ou continuer de nier le poids de ces

déterminismes/pathologies dans le maintien et/ou renforcement de la société du

mépris? Mes séjours en ces régions du Monde, les contacts réguliers que j’entretiens

avec les collègues qui y vivent, etc. et mes lectures critiques de « métissage » et/ou de

la figure du « métis », au nom desquels on oppose des sociétés « ouvertes », fluides à

d’autres plus fermées parce qu’ obsédées par les pathologies de « couleurs/races », me

permettent de douter raisonnablement des « valeurs » prophylactiques et/ou mythiques

investies dans ces « construits », dans le « grand récit » des identités nationales,

apparemment si singulières, des Amériques/Caraïbes. Car, il convient, par exemple, de

ne pas perdre de vue la (di)genèse du « métis », un « imprévu », doté par ailleurs de

tant de négativités. Par quels biais idéologiques en est-il alors venu à symboliser un

nouveau creuset identitaire, des dispositions à l’ouverture, au passage, à la Relation, au

dépassement des atavismes raciaux et culturels ? Les invocations incantatoires ou les

raisonnements qui se veulent rigoureux à propos des vertus prophylactiques de

« métissage » ne peuvent passer outre ce questionnement. En tous les cas, « métissage

» ne veut pas forcément ni automatiquement dire synthèse, harmonie, fluidité,

dépassement, nouveauté, etc. ; il peut aussi bien constituer une traduction même des

pathologies ou des fixations sur « races/couleurs » tant décriées par les ayants-droit à

prononcer sur « métissage ».

Dans l’appréhension critique du MG, il vaut mieux se garder, je n’y ai pas échappé

forcément lors de sa première ébauche, ni dans certains de mes travaux et

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communications, de le relier exclusivement à la perte d’une origine unique: l’avant-

pays Afrique. Un déterminisme géo-historique qui aurait pour conséquence/vertu

d’instituer, automatiquement, les Noir-e-s, et de leurs descendant-e-s, en d’étranges

étrangers ; il est vrai qu’il s’agit-là d’un point de discussion ardue et constamment

abordée dans le champ ici concerné.

En effet, pour certain-e-s cette « origine unique », du fait, surtout, de la brutale «

expérience du gouffre » est brouillée et, par conséquent, se retrouve forcément

diffractée par les nouvelles co-existences américaines, caribéennes, par la vitale «

Révolution de l’être » à laquelle ont dû sacrifier les Noir-e-s. Pour d’autres, cette «

origine unique » est irrémédiablement perdue; ce qui expliquerait que le « calling at

Africa » ne puisse se faire que par des « biais » ou des constructions imaginaires qui en

réalité ne sont rien que des effets compensatoires. En effet, certains exemples de «

retours » physiques concrets des Noir-e-s des diasporas en Congo/Guinée, en

Shashamane ne se sont pas forcément avérés probants ni rédempteurs. (Re)dire cela

(ne) revient-il (pas), la question mérite d’être posée, à réinvestir, même malgré soi, la

fâcheuse théorie raciste et coloniale de la tabula rasa africaine/noire?

On remarquera cependant que ces constructions imaginaires ne sont pas moins

dotées d’une puissance illocutoire (et perlocutoire) et d’une puissance d’ (auto)

identification incontestable. En effet, au regard de l’histoire politique et imaginaire de

l’invention des Amériques/Caraïbes, le « calling at Africa », comme origine

primordiale et fondatrice de l’être-Noir-e généra, et continue de produire, sans

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discontinuer, de puissantes croyances collectives, tout comme il institua (et continue

d’instituer) des positionnements non conformes (subversifs ?) au mainstream

occidentalocentriste ou eurocentriste; il fonde et alimente aussi une puissance d’agir

effective ou potentielle: les pratiques et revendications mémorielles, les pratiques

religieuses, artistiques et musicales, les hexis corporelles, les luttes pour la préservation

des textes culturels populaires (Anansi, Bouki, Mamiouata, Compère lapin, Zombi,

etc.), pour la préservation des « lieux de mémoire » (Quilombos, Palenques, Free

villages, Liberty Hall, etc.), les luttes politiques et culturelles pour le respect des Noir-

e-s, de leurs cultures et pour leur progrès social (Panafricanisme, Garveyisme, Harlem

Renaissance, Négritude, Afrocentrism, Teatro Experimental de Negro, Féminisme noir,

Associations diverses des femmes noires, parmi lesquelles on citera MUDHA :

Movimiento de Mujeres Dominico-Haitianas, etc,).

L’évaluation critique de la portée politique et imaginaire de cette puissance de

réaction et d’agir collective dépasse largement le cadre de cette esquisse théorique et

critique; elle est cependant faite de manière continue et régulière dans des publications

spécialisées, lors des colloques qui y sont consacrés, lors des commémorations ou

anniversaires des faits marquant ladite puissance d’agir, etc.

Revenons-y donc: malgré les mises en garde savantes et politiques contre une

vision enchantée, enchanteresse ou aliénée de la filiation noire africaine, il faut bien

reconnaître que l’avant-pays Afrique n’est jamais pas là dans les Amériques/Caraïbes.

Surtout là où les sujets s’emploient à la (dé)nier avec force détails et ratiocinations:

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veine et persistante querelle qui agite les historiographies nationales ou régionales au

sujet du début exact de la « présence-histoire » de Noir-e en Amériques/Caraïbes, les

pratiques répandues du crypto-mélanisme dans l’invention des ascendances qu’on

voudrait libres de toute impronta, de toute macule noire, africaine, le

(ren)chérissement systématique, chez certains sujets, des rituels d’effacement/arasage

de tout signe corporel jugé par trop noir et/ou africain, l’adoption ou la transformation

des codes onomastiques dans le but de tenir à distance toute tracée noire africaine,

l’autodéfinition de soi comme non Noir-e en réinvestissant d’autres taxinomies

racialisantes apparemment ou manifestement moins dévalorisantes que celle de « Noir-

e », etc.

Changing the same ou bien Cut and mix? Une redoutable interrogation inscrite au

cœur même du champ des études afro-latino-américaine et afro-caribéenne. En effet,

d’un côté, très fortement, me semble-t-il, depuis ces dernières décennies, on réitère et

évoque: « The myth of negro past », « identité rhyzome », « migrant-nu », « métissages

», « créolisations », « double consciousness », « effet de visière », « Black atlantic », «

Afrique comme interstices », « hybridization », « éloge de la créolité », « lo criollo »,

« el criollismo », etc.

De l’autre, on a parlé (et on parle encore) de « poches d’africanité », de « huellas

de africanía », de « réminiscences africaines », de « África en América », etc. Une

manière de contester certaines vues (pendant longtemps hégémoniques) qui tendaient

(ou tendent encore) à réduire les cultures noires dans les Amériques/Caraïbes à des

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imitations (mauvaises) des cultures blanches coloniales dominantes, à des emprunts

aux cultures indiennes ou à des avatars liés à un capitalisme prédateur qui a entraîné la

déréliction des africain-e-s, réduit-e-s en esclaves dans le « Nouveau monde ».

On remarquera, par ailleurs, que les croyances en l’origine (unique) fondatrice de

l’avant-pays Afrique sont d’autant plus fortes qu’elle a toujours été au cœur même des

politiques d’identité promues et défendues par les mouvements culturels et politiques

noirs, notamment après la seconde guerre mondiale, et qu’elle a été (est) affrontée à

d’autres origines, vécues, quant à elles, comme incontestablement assurées dans leur

unicité: Amérique, Europe, Asie. Sans perdre de vue certains (sur)investissements

idéologiques, on affirme, parfois avec force, que ces dernières « origines uniques » (?)

n’ont pas, au contraire de ce qui s’est passé avec l’Afrique noire, subi une rupture

généalogique irrémédiable d’avec un « avant-Pays ». Les migrants blancs et koulies,

en somme, pouvaient rentrer « chez eux », y retrouver filiations culturelles et

consanguinités d’antan, du temps d’avant. Point de « digenèse » absolue ou folle donc

pour ce qui les concerne. Serait-on alors donc dans ces derniers cas en présence

d’héritages testamentaires dont on ne peut que se prévaloir légitimement, sans

embrouillaminis notoires ou flagrants?

En revanche, pour les revenant-e-s afro-descendant-e-s, le rerooting ou la

groundation passeraient forcément par des opérations complexes ou s’entremêlent des

recherches ardues dans les archives esclavagistes sauvegardées ou rendues disponibles,

des récits imaginaires griotisés, et à l’envi (re)servis lors, par exemple, des visites des

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ports négriers en avant-pays Afrique, par la délivrance de quelque attestation

scientifique tendant à faire la preuve des consanguinités génétiques partagées:

complexion, phénotype, maladies spécifiques partagées avec les habitant-e-s des telle

ou telle autre région de l’avant pays-Afrique, etc.

Plus qu’un récit originel ou une forme rhétorico-juridique attestant des filiations

(lignages, ascendances/descendances, calling at aïeux, etc.), je conçois, d’un point de

vue herméneutique et critique, la « généalogie », comme un espace critique ou se

(dé)noueraient, à la fois, et en même temps, des mé/connaissances, des enjeux sociaux,

des schèmes perception onto-politiques généralisés et actifs. Cela veut dire que ces

schèmes sont constamment renouvelés ou redistribués par des pratiques sociales et

discursives, par des dispositions à l’unknowing privilege, par des habitus. D’où le

capital « racial », géo-spatial, les distinctions, les « mercredes » et/ou l’ensemble des

privilèges imaginaires revendiqués (ou reconnus) qui découleraient naturellement du

fait/texte (onto-politique) généalogique.

Parler de MG à propos des Noir-e-s dans les Amériques/Caraïbes, c’est justement

faire la postulation que, d’un point de vue onto-politique, ils/elles demeurent

durablement dépris-e-s d’un « capital géo-spatial », de ces reconnaissances instituées

(et internalisées) par les sujets individuels et collectifs hégémoniques en ces régions du

monde, du recours « naturel » aux aïeux ; c'est-à-dire finalement un recours imaginé

qui combine un ancrage géographique et un temps primordial qui défierait la chrono-

histoire. C’est sur cette base que l’on a essayé, par exemple, de lire/comprendre (un

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travail délicat et ardu) certaines revendications des paysans indiens, certaines

insurrections indiennes ou certains écrits des élites indiennes, notamment dans les

Andes, qui firent suite à la systématisation de la domination coloniale espagnole, à

partir du XVIIème siècle.

En ce qui concerne les Noir-e-s ce calling at aïeux s’avère impossible voire

illégitime car ne pouvant s’appuyer sur l’articulation ci-dessus évoquée. On évoquera

plutôt un aïeul, et souvent une aïeule, car le premier, du fait de la grammaire

esclavagiste, était souvent voué à être cessible, revendable, délocalisable en d’autres

lieux, etc. ; les Noir-e-s sont en outre dépris-e-s d’un « capital racial ». En effet, selon

les imaginaires hégémoniques, elles/ils incarneraient une « race » maudite,

condamnée car porteuse de pathologies dont il faudrait s’éloigner ou se prémunir

absolument. Cette ignoble représentation trouve, par exemple, sa matérialité dans les «

tableaux des castes » qui sont tout sauf une mise en scène simple et descriptive d’une

combinatoire des « races » en Amériques/Caraïbes. J’en suis venu à désigner ces «

tableaux » come des « retables d’altérités » pour ainsi mettre l’accent sur ce qu’ils

cachent à un regard naïf : la transcendance supposée de la blancheur et l’hypo-

descendance dévalorisante assignée à la noirceur ; le totémisme de la blancheur et la

peur panique de la noirceur, dont témoignent ces « tableaux », sont au principe des

politiques officielles de blanchiment des ces régions du Monde, notamment la

promotion, par les élites dirigeantes, de l’immigration blanche européenne au XIXème

siècle.

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Peut-on cependant nier, au regard de l’histoire de la modernité coloniale dans les

Amériques/Caraïbes, que l’avant-pays Afrique, ne saurait constituer, pour les Noir-e-s

(Afrodescendant-e-s, dans une perspective actuelle), le seul et unique espace

généalogique originel dont la perte irrémédiable serait à la base du MG qui les frappe?

Il y a moult charge de temps aprezan qu’il est admis que le « ventre » des bateaux

négriers, celui de l’Atlantique, tout comme les plantations coloniales et des mines

esclavagistes ont constitué, eux aussi, des espaces (de rupture/reconstruction)

généalogiques. En outre, à ces espaces il conviendrait d’ajouter , comme ce fut le cas

au XIXe et en début du XXe siècle, en Amérique centrale et certaines parties des

Antilles/Caraïbes, les plantations de banane, de café, la construction des chemins de

fer, le creusement du canal de Panama, qui engendrèrent une dynamique identitaire

non négligeable marquée par les (dé)rapports entre un « déchoucage » et un « replanter

».

Peut-on aussi ne pas se rendre compte qu’en différentes régions des

Amériques/Caraïbes, les migrations actuelles, dont les raisons conjuguent misère,

narco trafic, guérillas, délimitation des zones d’intérêt stratégique, économique et

géopolitique, etc., n’ont pas moins occasionné des ruptures généalogiques parmi les

Afro-descendant-e-s? Elles/ils se voient en effet obligé-e-s de quitter, des fois

définitivement, les régions où leurs ancêtres ont toujours vécus ombligados, des

régions traditionnellement vécues/représentées comme noires/africaines, pour faire

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souche, provisoirement ou définitivement, dans d’autres régions. Que ce soit à

l’intérieur de leurs pays respectifs ou en dehors du cadre national.

Parenthèse 2: les politiques de grandes plantations, sucrière et cacaotière, mises en

place, au début du XXe, à Cuba et en République dominicaine ont été, pour ainsi dire,

à l’origine, parmi une grande partie des paysans noirs haïtiens (bateyes), par exemple,

d’une rupture généalogique non négligeable; celle-ci combine non seulement un départ

de chez « soi » vers un ailleurs économique ou une géographie merveilleuse/enchantée

(loin du (devenu) « monstrueux » de chez soi), plus ou moins proche, mais aussi des

décisions politiques iniques, du côté dominicain et haïtien, qui furent cause que ces

paysans haïtiens, parents et descendances (comble d’ignominie), devinrent de facto et

de jure des apatrides: ni Dominicains ni Haïtiens. Un entre deux qui n’en est pas

moins, pour les Haïtiens, à tout le moins, une cassure ontologique si l’on pense à

l’histoire politique de l’émergence complexe de ces deux pays. Comment ne rappeler

que les mémoires collectives dominicaines demeurent encore profondément

hantées/obsédées par la peur de la « noirceur » ? Que celle-ci soit interne ou externe

proche ; dans le dernier cas de figure, Haïti et les haïtien-n-e-s constitueraient la

marque la plus palpable d’une telle abréaction. Ce que certain-e-s ont appelé la «

guerra del peregil » (1937), supposément en référence à l’incapacité des haïtien-n-e-s à

prononcer correctement la « jota » espagnol (la hispanidad dominicaine étant ici

revendiquée non seulement comme le trait définitoire par excellence de l’être

dominicain mais aussi comme une frontière inexpugnable qui s’oppose à l’africanité

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exclusive et sui generis d’Haïti et de ses populations), en est une illustration

incontestable. Une représentation imaginaire qui ne peut occulter les massacres, les

vexations récurrentes et les pogroms collectifs effroyablement subis par ces paysans

haïtiens et leurs familles. Le zoning racial que ces populations subissent est propice à

l’explosion de toutes sortes de violences, y compris endo-mutilantes, qui ne font que

contribuer, malheureusement, au renforcement des représentations négatives et

dégradantes de ces noir-e-s haïtien (ne)s dans l’imaginaire collectif hégémonique

dominicain.

A ce stade de l’esquisse théorique et critique, j’avancerai donc que dans le MG se

noue, tout d’abord, une perception onto-politique, socio-historiquement construite,

largement diffusée et contraignante. Il est, à ce propos possible d’en décrypter les

traces polymorphes (inter-dits, ombres noires menaçantes, impossibles sutures, taches

persistantes ou odeurs fantasmées laissées sur des draps, forcément, blancs, fuku, refus

catégorique de mariage ou de concubinage avec Noir-e, une chevelure réfractaire au

dressage, etc.) dans les pratiques discursives et culturelles de ces « régions du Monde

»: littératures de fondation, manuels scolaires, chansons, énoncés culturels, caricatures,

bandes dessinées, films ; elles sont aussi décelables, en tant que blancs de l’histoire ou

mémoires blanches, raccourcis, non formulés, etc., dans les stéréographies nationales

de ces régions du monde : emblèmes, hymnes nationaux, monnaies et autres effigies,

monuments… La perception en question est donc dotée d’une compétence sémio-

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idéologique qui tendrait à assurer et à pérenniser la dévaluation ou différement de la «

présence-histoire » noire dans les Amériques/Caraïbes (et diasporas).

De ce fait, il serait possible d’affirmer que le MG qui, à rebours, renvoie à certains

schèmes hégémoniques de perception des Noir-e-s dans les Amériques/Caraïbes, ne

relève pas uniquement d’une perte originelle, d’une « faille originelle », pour

emprunter une fois de plus à A. MBembe et, conséquemment, de l’extranéité imaginée

des esclavagisé-e-s et leurs descendant-e-s: des pièces rapportées, d’étranges étrangers.

Si l’on accepte cette hypothèse, le MG dénoncerait alors peut être davantage le

glissement sémantique et idéologique qui eut lieu dans les Amériques/Caraïbes, lors de

la rétraction (en discontinuités) du moment impérial, colonial, raciste et esclavagiste.

En effet, l’esclavisation transatlantique, un évènement historique, contraire à toute idée

de l’Humain, fut ainsi imaginairement muée, surtout à partir du XIXe siècle, mais

certains textes officiels, comme dans les colonies esclavagistes françaises en attestaient

déjà au XVIIIe, en un gène pathologique exclusivement définitoire des Noir-e-s et de

leurs descendant-e-s. Les abolitions ne changeront fondamentalement rien à cette

supposée identité de substance entre une « race » (noire) imaginée et un fait historique

absolument brutal et effroyable qui contribua, au reste, à construire durablement Noir-

e comme une « race » dégradée et dégradante, en tous les cas, pour toujours

condamnée.

On notera aussi que le passé esclavagiste dorénavant uniquement assigné aux Noir-

e-s peut paradoxalement jouer un rôle de démarcation dans la perception que ces

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Pour citer cet article : LAVOU ZOUNGBO, Victorien, « Du malheur généalogique :

Scansion 2. Afro-descendance: parcours de représentations et constructions hégémoniques ».

http://sitedugrenal.e-monsite.com/pages/page-7.html Date de publication : Octobre 2012.

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dernier-e-s ont les un-e-s des autres. Selon que le récit familial mette l’accent sur la

provenance d’une colonie ayant connu (les promesses de) l’abolition (partielle ou

totale) de l’esclavisation transatlantique plus tôt (c’est le cas en général des colonies

esclavagistes britanniques voire même dans certains dominions espagnols jouxtant les

premières) ; selon que le récit familial mette plutôt l’accent sur les mémoires des

marronnages, c’est à dire des mémoires pas forcément ni nécessairement habitées par

le trauma de la Plantation ou de la Mine esclavagistes; selon que le récit familial mette

préférentiellement l’accent sur les espaces de liberté conquis pendant l’esclavisation et

qui, des fois, furent reconnus en tant que tels par des accords signés dûment avec les

esclavagistes ; néanmoins, ces espaces de liberté conquise avaient une durée

d’existence plus ou moins longue : le quilombo de Palmares (Brésil), ou le palenque de

San Basilio (Colombie), entre autres.

De ce fait, on ne devrait pas continuer, au nom d’une communauté de destin

(homogène et unilatérale ?) dans l’asservissement, de s’étonner des perceptions que les

Afro-descendant-e-s ont les un-e-s des autres, pas plus que l’on ne devraient continuer

à réduire les démarcations, qui étonnent des fois (mais qui exactement ?), à un pur

déterminisme de classes, à un défaut d’éducation, à la perpétuation d’un « mental

slavery » ou encore à la permanence d’une conscience aliénée. Tout en vivant et en

subissant collectivement les effets MG, les Noir-e-s ne se ressemblent pas toutes/tous,

au regard des mémoires/histoire de la modernité coloniale et impériale que connurent

Amériques/Caraïbes. De ce chef, la catégorie de « Noir-e- », en dépit de sa capacité

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non négligeable d’identification et en dépit des affects, de la puissance d’agir

collective qu’elle peut induire ou qu’elle induit, dans certains cas indiscutablement,

devrait néanmoins et nécessairement être appréhendée en tenant compte de certains «

régimes de vérité », forcément complexes et contradictoires. Il semble très difficile, en

tous les cas, d’attribuer à la catégorie coloniale et esclavagiste « Noir-e » (depuis lors

réinvestie) un contenu géographique, culturel, ontologique et politique univoque et

définitif. A vouloir absolument le faire, même à des fins de mobilisations politiques et

de regain de la confiance en soi, constamment bafouée, on courrait le risque (même

partiel) de justifier un discours raciste et raciologique qui inventa Noir-e générique ou

suis generis. Autrement dit, la question de la portée du « moment essentialiste » reste

constamment posée dans les contextes des politiques de représentation et cela ne

concerne pas que Noir-e.

Faut-il alors renvoyer ad Patres une telle inquiétude ou alors la tenir pour une bien

curieuse pétulance critique tant c’est indéniable et évident que Noir-e c’est Noir-e, tant

Noir-e est et existe (littéralement)? Il est cependant incontestable, quels que soient les

ancrages que privilégie le récit familial (des fois régional ou national), que le memorial

healing de cette grande cassure ontologique qu’a été l’esclavisation transatlantique des

Africain-e-s reste vivace et continue d’halluciner ces régions du Monde. Et ce, malgré,

des fois, les amnésies individuelles et collectives, les injonctions à l’oubli, les

révisionnismes réactionnaires, les relations équivoques, relayées parfois par les

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historiographies et leurs sujets patentés, à propos de la vie rêvée des esclavagisé-e-s

dans tel ou tel autre pays, dans telle ou telle autre plantation, etc.

L’avènement des Républiques en Amériques/Caraïbes, signifia en somme

globalement pour les Noir-e-s le prolongement des douleurs, le commencement

durable d’un renvoi imaginaire à une infamante « origine » incarnée non pas tant par

l’avant-pays Congo-Guinée que par le « ventre du bateau négrier », et son

prolongement qui n’est autre que le « ventre » de la plantation ou de la mine. Résonne

alors fortement ici le cri d’Aimé Césaire, nègre fondamental, dans un de ses textes

emblématique « Nous, vomissures des bateaux négriers », dénonçant de la sorte le

glissement en question tout en réaffirmant l’une des particularités des l’histoire nègre

dans les Amériques/Caraïbes. Ainsi, se priverait-on de bien comprendre la forclusion

généralisée et persistante de la « présence-histoire » noire dans les récits pédagogiques

nationaux et dans les espaces publics qualifiés des Amériques/Caraïbes si l’on

persistait dans la méconnaissance des conséquences induites par un tel glissement: la

supposée consubstantiation entre Noir-e et esclavisation (transatlantique).

Les effets politiques et les dégâts symboliques dévastateurs de ce glissement

sémantique, désormais cristallisé, se mesurent à travers la permanence du puissant

raccourci entre Afrique/Noir-e et esclavisé-e/esclavisation que les discours communs

et certains discours savants du « Tout-Monde » continuent de diffuser, mine de rien ;

l’esclavisation devenant de ce fait une véritable Appellation d’Origine Contrôlée

(AOC) noire et africaine. Et ce d’autant plus fortement que, parallèlement, les

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mémoires de l’esclavisation qui, à l’époque moderne, eut bel et bien lieu en terres

européennes et occidentales (modèles adulés par les « emancipadores »des

Amériques/Caraïbes, dans leur grande majorité) ne sont plus désormais que l’apanage

de quelques spécialistes. Ces mémoires se retrouvent donc en quelque sorte évacuées

des représentations collectives, des espaces publics, des discours publics, des

programmes d’enseignement et de recherche en sciences humaines et pas uniquement.

On s’étonne, par exemple, encore de remarquer que, même au niveau des

spécialistes, certains projets universitaires (en histoire, géographie, archéologie, etc.)

ayant trait à la Méditerranée continuent d’ignorer royalement l’esclavage européen et

l’esclavisation transatlantique, préférant mettre l’accent prioritairement sur ce que l’on

peut assimiler à une auto-célébration de la Méditerranée (occidentale). Cette

Méditerranée-là n’a pas moins été aussi un centre névralgique de l’esclavisation de

l’humain ; les esclavisé-e-s qui y étaient « entrepris-e-s/vendu-e-s » n’étaient pourtant

pas exclusivement Noir-e-s. Au demeurant, les littératures du siècle d’or ibérique, pour

rester dans un champ disciplinaire précis, en attestent à cor et à cri, même si les

chercheur-e-s concerné-e-s par cette période n’ont pas l’heur de s’en apercevoir

réellement. De ce point de vue, c’est une vision historique sujette à caution que de

vouloir continuer à tout prix à représenter la Méditerranée (Idem) uniquement ou

préférentiellement comme un lieu/espace par excellence de « diffusion » de modèles

politiques, artistiques, culturelles, architecturales, philosophiques, etc. dans l’ailleurs

Amériques/Caraïbes. La Méditerranée (celle célébrée) « diffusa » aussi bien des

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modèles de terreur, de colonisation, de sujétion, de hiérarchisation ethnique/raciale,

d’acculturation linguistique forcée; elle fut aussi l’espace qui consacra une hydrarchie

étatique qui contribua au partage impérial et colonial du « Nouveau monde »; un lieu

qui tout en étant perçu comme terre de rapport et de mission, fut aussi destiné à

recevoir les « rebuts » européens dont les hégémonies sociales, anciennes ou en voie

de le devenir, s’en prémunissaient aussi imaginairement, en faisant miroiter aux

premiers les bienfaits de l’ailleurs-Paradis, les sources et ressources inépuisables de

l’Eldorado américain/caribéen. Il s’agit-là d’une page de l’histoire des Empires

coloniaux et esclavagistes européens tenue éloignée du sens commun par une tenace

vision téléologique de l’histoire européenne/occidentale.

Rien d’étonnant donc que lorsqu’il s’agit de l’exploitation effroyable des Indiens

dans les Amériques/Caraïbes, les discours savants et doxiques préfèrent parler «

servidumbre: natural ou legal », pour ainsi bien l’opposer à « escravidao »,

manifestement dévolue aux seule-e-s noir-e-s; les blanches et les blancs, souvent de

pauvres hères, littéralement hantées par les promesses d’un mieux être, d’un

enrichissement rapide, dans ces terres, quel qu’en soit le prix à payer (et à rembourser),

sont, quant à elles/eux, uniquement ou préférentiellement désignée-e-s comme des «

engagé-e-s » ou des serviteurs européens sous contrat; les « koulies » pour leur part

sont des « travailleurs ou travailleuses contractuel-l-es » venu-e-s se substituer à la «

main-d’œuvre » esclave noire désormais affranchie. Les manuels scolaires et

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universitaires, les médias continuent de diffuser inlassablement une telle vision

prosaïque d’une histoire pourtant bien plus tourmentée, bien plus complexe.

L’effroyable consubstantiation à laquelle nous faisions allusion peut être

logiquement rapprochée d’une opération imaginaire de deliverging vu qu’il s’agissait

de purger un fait historique brutal, et aux conséquences durables, en le faisant passer

pour un gène propre aux esclavisé-e-s, que le développement (inéluctable) d’un

capitalisme marchand et prédateur ne fit que rendre manifeste. On est là face à une

construction idéologique opérante logiquement devrait retenir l’attention de quiconque

s’intéresse réellement au MG. En effet, à l’exception notoire de la République d’Haïti,

les autres Républiques naissantes dans les Amériques/Caraïbes, se sont accommodées

de l’esclavisation des Noir-e-s sur leurs sols respectifs; les abolitions effectives, à ne

pas confondre avec l’interdiction de la traite ou encore avec les lois de « vientre libre »

(de l’ex esclavagisée), n’eurent bien souvent lieu que vingt à trente ans plus tard, des

fois même davantage, comme ce fut le cas aux USA (1865) et au Brésil (1888).

Cela, au fond, indique que, pour les nouvelles élites dirigeantes et une partie non

négligeable des populations de ces régions du Monde, le « gène » de l’esclavisation,

dont on affuble encore massivement Noir-e/Afrique, n’est pas compatible avec la

liberté (désormais acquise) ni avec toute idée de fondation, de citoyenneté

active/effective. Se trouverait donc (re)posée, globalement, la question de la nature

exacte des indépendances américaines/caribéennes. S’agissait-il d’une émancipation

politique effective des tutelles impériales et coloniales, de révolutions nationales

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authentiques ou de (re)négociations (des fois sérieusement contrariées par les

revendications et les belligérances des Indiens, des Noirs et autres castes) entre la «

Mère patrie » et les élites naissantes, consolidées, ou en voie de l’être, dans les

colonies ? Il est un fait attesté que ces élites vivaient très mal, malgré certaines

réformes, l’exclusif colonial ainsi que les conditions qui délimitaient leur

représentation politique, dans les instances parlementaires en Métropole; ces élites

supportaient par ailleurs de plus en plus mal le pouvoir exorbitant dont jouissait les

tenant-lieu d’Empire, qu’ils soient présents en Colonie ou qu’il y viennent pour

trancher des litiges ou dénouer quelques oppositions (des fois farouches), pour rappeler

les droits inaliénables de la Métropole, au besoin en usant de la force de la loi ou en

ayant directement recours à la répression de l’armée impériale et coloniale, comme

dans les « virreinatos », si l’on se réfère à l’exemple de l’Espagne impériale.

Suite aux rétractions impériale et coloniale, les USA (ayant acquis leur

indépendance depuis 1776) tout comme, postérieurement, les autres pays des

Amériques/Caraïbes ne savaient pas trop quoi faire de « leurs » Noir-e-s, libres ou

récemment affranchi-e-s ; ils en concevaient plutôt une peur métaphysique renforcée

de contagion (par une « race » abjecte, contagion par la « barbarie ») et une

inquiétude/peur politique (révoltes, suites aux demandes légitimes non satisfaites). Le

fameux « miedo al negro » n’est pas, au sortir de l’Empire/Colonie et au principe des

Républiques, une vue de l’esprit ni une invention (malsaine) d’un imaginaire

complotiste anachronique. La « peur du Noir » est historiquement attestée ; elle a

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même été intellectuellement systématisée et instrumentalisée politiquement, à Cuba et

ailleurs en Amériques/Caraïbes. Une raciophobie toujours rampante et qui se montre

plus pressante dans les pays, les régions, les quartiers, les rues, etc. ou vivent des sujets

se projetant comme les représentants ou les défenseurs des « ilots » de blancheur,

cernés par une « noirceur », par une « black belt » qui, pour être avoisinante

(frontières nationales ou délimitations intra-nationales), en vient à constituer une

source permanente d’inquiétude et d’angoisse.

Ainsi, il y eut-il, dans la droite ligne du parti pris eurocentriste des élites, des

projets politiques, à ne pas confondre avec l’utopie, très contradictoire, d’un Marcus

Garvey et de ses sectateurs, visant à rapatrier les ex-esclavagisé-e-s (la macule de

l’esclavisation transatlantique leur collant toujours à la peau), « chez eux », à l’avant-

pays Afrique. Le succès très maigre de ces rapatriements (Libéria, Sierra Léone

principalement) était peut-être inversement proportionnel à l’impasse des politiques

qui en conçurent l’idée mais aussi, sans conteste, à la conscience que les Noir-e-s et

libres de couleur avaient de leur groundation, de leur autochtonie

américaine/caribéenne pourtant largement et systématiquement dévoyée par les

Républiques naissantes en ces régions du Monde.

En revanche, partiellement à rebours des politiques de rapatriement orchestré, on

ne saurait perdre de vue, car cela n’est encore que très marginalement abordé par les

historiographies, l’expérience historique des « retornado-a-s ». Autrement dit,

l’expérience des ex esclavagisé-e-s ayant décidé, à l’entrecroisement des vexations

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racistes persistantes, des injonctions politiques, d’une volonté propre et/ou d’un choix

contraint, de s’en « retourner » à l’avant-pays Afrique, singulièrement en Afrique de

l’ouest (Bénin, Togo, Sénégal, Nigéria, etc.). Elles/ils connurent, à n’en pas douter, des

destins socio-politiques et imaginaires aussi divers que contradictoires. En effet, leurs

« retours » en Afrique coïncidèrent, peu ou prou, avec le redéploiement de l’Empire

colonial sur le « continent noir » ; un redéploiement qui s’accompagna de la mise en

place d’un régime colonial et esclavagiste (travaux forcés, code de l’indigénat, impôts

de capitation, coutumes, droit de portage, etc.) que légitima et consacra la «

Conférence de Berlin » de 1885. Les mêmes Empires produisirent en Afriques, comme

dans les Amériques/Caraïbes, des « différences coloniales », sur la base d’une division

opérante entre races/ethnies, de divisions territoriales, de reconfigurations

administratives et politiques mais aussi à partir de l’usage impitoyable de la violence,

etc. ; Une « grammaire coloniale » destinée à assurer/consolider les hégémonies euro-

occidentales ; il est des cas où les « retornado-a-s » réinvestirent ces « différences

coloniales », non sans s’assurer la vindicte tenace des « vrai-e-s africain-e-s » quand

les Indépendances furent venues.

D’où le débat, que d’aucuns considèrent comme superfétatoire au sujet des liens

analogiques ou intrinsèques entre les rétractions impériales, coloniales et esclavagistes

en Amériques/Caraïbes et le redéploiement de l’Empire/Colonie en Afrique/Asie. Quoi

qu’il en soit, il semblerait que les abolitions de l’esclavisation transatlantique,

paradoxalement, inaugurèrent et renforcèrent un processus systématique d’otherisation

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et de dévaluation ontologique de Noir-e. Pour prendre quelques exemples: au « one

drup rol » et/ou au « Jim Crow system » étatsuniens, répondirent, en l’-ailleurs

Amériques/Caraïbes, le totémisme conceptuel et factuel de la blancheur euro-

américaine, la mise en place de politiques d’immigration blanche, des lois interdisant

l’immigration des non Blancs, et pour celles et ceux déjà présent-e-s sur le continent,

des lois interdisant leurs migrations vers d’autres régions d’Amériques/Caraïbes,

interdisant leur circulation au-delà d’un périmètre territorial, officiellement défini (en

Amérique centrale: leyes de base y migración), la célébration (problématique) du

métissage exclusif entre Indiens et Blancs, l’institutionnalisation et le renforcement de

l’hypo-descendance surtout du côté de chez Noir-e, etc.

De ce point de vue, la figure célébrée, à tort ou à raison, du « métis » n’apparaît

pas plus comme une synthèse, un signe de nouveauté (les nouvelles cultures

américaines/caribéennes) qu’elle ne joue en définitive le rôle d’une limite/digue

destinée onto-politiquement à séparer une « race idéalisée » (euro-américaine) et une «

autre race », vécue comme dégradée, comme une altération de l’idéal d’un certain

humain. Les Xphylies de Noir-e ne changent rien fondamentalement à cette

disposition/distinction (encore) très marquante encore de nos jours, tel le « carimbo »

de sinistre mémoire en ces latitudes.

Autrement dit, l’existence de « métis-se »/ « mulâtre-sse » n’à jamais fait

disparaître les « blocs » (raciaux et culturels) dont l’union, pour ainsi dire, fut à la base

de son avènement imprévu. La nomination/désignation de cette « nouveauté », de cet «

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imprévu », je l’ai dit ailleurs, donne aussi à réfléchir, tant elle emprunte aux sèmes du

végétal, du minéral, de l’animalier, du zoologique. Cela, outre la disqualification

induite, a pour avantage de conjurer (imaginairement) toute idée de reproduction

biologique du « métis ». Il est possible, et même fondé, de voir en ces désignations

et/ou conjurations fantasmagoriques, l’expression de la hantise, bien réelle, d’une

union entre cet « imprévu » et Noir-e ou Indien-ne qui équivaudrait pratiquement et

politiquement à la fin de l’hégémonie blanche, tout au moins, à la remise en cause

brutale de sa légitimité, jusque-là posée et vécue comme transcendante et à ce titre

inexpugnable.

L’humanité et l’autochtonie de « Métis-se »/ » Mulâtre-sse » apparaissent

contraintes, overlooked. Leur figure projetée fait, à la fois, l’objet de fascinations (un

possible creuset de nouvelles identités nationales imaginées), de méfiance (sa névrose

sui generis supposée) et de mise sous surveillance (leur mépris, dit-on, aliéné de Noir-

e et d’Indien-ne dont ils/elles émanent pourtant aussi). Certaines pratiques politiques

(comme le « noirisme » naguère en Haïti), certaines pratiques discursives (les

littératures indigénistes et abolitionnistes en Amériques/Caraïbes) témoignent encore

de cet overlooking.

Tout cela devrait logiquement conduire à nuancer ou à contredire la première

hypothèse qui reliait le MG à la perte irrémédiable de l’avant-pays Afrique ; par

rapport au texte généalogique, l’Afrique se verrait ainsi donc déprise (à l’inverse de

l’avant-pays Nouveau monde, de l’Europe et de l’Asie, par exemple), de son rôle

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ontologique de dispensatrice de légitimités authentiques. Une perte qui, comme il a été

dit antérieurement, marquerait donc les descendant-e-s des ex-esclavagisé-e-s, dans les

diasporas américaines et caribéennes, du sceau indélébile d’étranges étrangers.

Mais, en même temps, comment nier le fait que tout un ensemble de dispositions,

de lois, de mesures ayant vu le jour en post-colonie était de nature à faire accroire que

les Noir-e-s étaient radicalement dépourvus du jus soli, l’une des conditions juridiques

d’accès à la citoyenneté, à la reconnaissance de la co-appartenance à un espace/lieu, à

des mémoires collectives? Les distinctions anthropo-politiques entre « pueblo », «

comunidades », « comunidades raizales », « comunidades remanentes », sur lesquelles

se fondent certaines revendications des Afro-descendant-e-s (mais aussi des Indien-ne-

s) traduisent très bien le rapport entre l’autochtonie, la co-appartenance et l’accès à

certains droits juridiquement définis et garantis par les Etats (latino)

américains/caribéens. Aussi paradoxal que cela puisse paraître à première vue,

certaines décisions politiques et juridiques prises durant les années 1980-2000, tendant

à la reconnaissance du multiculturalisme (Brésil, en Colombie, Honduras, Panama,

Pérou, Bolivie, Equateur, etc.), semblent confirmer pleinement cette déprise du jus

soli.

Ainsi donc, même si l’on ne sacrifiait pas à l’idée d’évolutionnisme dont le destin

intrinsèque serait de conduire à des changements (forcément en positivités ?) ni à celle

des progrès ou avancées démocratiques de ces régions du Monde, la question qui

mériterait d’être posée est celle de savoir si ce qui était vrai et Colonie et pendant

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l’immédiate post-Colonie reste encore fondamentalement avéré de nos jours. Car il

semble tout aussi indiscutable que grâce à leurs propres luttes et à certaines réformes

libérales qui ensuivirent, les Noir-e-s aient acquis (à l’instar des Indien-ne-s)

juridiquement le droit à la propriété et, dans certains cas, il leur est reconnu, d’un point

de vue constitutionnel, un droit de contrôle sur des territoires qu’elles/ils occupent

depuis très longtemps. Tout autre chose est bien entendu l’exercice réel et effectif d’un

tel contrôle. Nonobstant ces droits, la citoyenneté pleine et active des Noir-e-s semble

sans cesse différée, en grande partie, comme je le suggère, du fait de la perception

onto-politique qui fonde le MG et, de ce fait, continue de représenter Noir-e comme

fondamentalement réfractaire ou impropre à toute idée de citoyenneté.

A ce propos, il est frappant de remarquer, comme conséquence de ce qui vient

d’être suggéré que, d’un point de vue de la pensée philosophique et théologique (la

philosophie de la libération et la théologie de la libération: une recherche appropriée

devrait y être consacrée) et politique (emblèmes, monuments dévolus aux héros

nationaux, lieux de mémoires plébiscités, fêtes nationales, dénégrification ou

blanchiment de certains héros, la célébration de certaines icones coloniales et

précoloniales, etc.), les pratiques historiographiques hégémoniques latino-américaines

et caribéennes, peinent à instruire le refus constant (de la part des Noir-e-s) de

l’esclavisation transatlantique, les pratiques insurrectionnelles et de résistances

diverses dont les noir-e-s esclavagisé-e-s ont été à l’origine, comme autant de points

d’ancrage (re)définitoires de la liberté, de la démocratie, de la citoyenneté ou comme

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Tout usage plagiaire, malencontreux ou amphibologique est prohibé.

Pour citer cet article : LAVOU ZOUNGBO, Victorien, « Du malheur généalogique :

Scansion 2. Afro-descendance: parcours de représentations et constructions hégémoniques ».

http://sitedugrenal.e-monsite.com/pages/page-7.html Date de publication : Octobre 2012.

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des prémices des indépendances en Amériques/Caraïbes. Il ne s’agissait en effet pas

seulement de briser les chaînes de l’esclavisation mais de mettre un terme à la Colonie

dont la « grammaire » reposait sur la légalisation des injustices, une hiérarchisation des

« races », des espaces habitables qualifiés et sur l’institutionnalisation de la terreur

et/ou de la violence brute à l’encontre, principalement, des noir-e-s esclavagisé-e-s.

Le sort que connut Haïti (un pays africain « perdu » ou « niché » en Caraïbes ou

le pays noir/des Noir-e-s, par antonomase, c’est selon), suite à son indépendance,

anticipait déjà, en quelque sorte, les dénis politiques toujours actuels vis à vis des

Noir-e-s en Amériques/Caraïbes. En effet, non seulement l’île, nouvellement

indépendante, fut menacée de destruction par une coalition impériale, elle fut aussi

idéologiquement construite en « épouvantail » par l’Empire/Colonie et, par la suite, en

post-colonie, par les élites dirigeantes de nouvelles Républiques

américaines/caribéennes.

Rarement donc les historiographies (proto) nationales des Amériques/Caraïbes, et,

singulièrement, les ayants-droit à prononcer sur la vérité des

indépendances/émancipations en ces « régions du Monde », ont considéré comme

dignes d’intérêt les moments historiques d’ébranlement de la Colonie dont les

Africain-e-s esclavagisé-e-s furent les acteurs: conspirations multiraciales et

transrégionales, marronnages, guerres des indépendances, conspirations anti-

coloniales, destruction des plantations esclavagistes, guerres contre les puissances

coloniales concurrentes, contre la flibusterie, etc. Pour l’époque contemporaine on ne

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peut que s’interroger sur la place qu’occupe dans ces historiographies la participation

des Noir-e-s, des Afrodescendant-e-s aux deux guerres mondiales, à la guerre de

Corée, à la guerre de libération anticoloniale en Afrique (Cuba). Cette interrogation est

doublement essentielle. D’un côté, les ex-combattant-e-s Noir-e-s ont été, la plupart du

temps « oublié-e-s » et, de l’autre, leur participation effective (et par certains côtés

sacrificielle) à ces guerres a joué un rôle très important dans les luttes pour les droits

civiques, particulièrement aux USA. De rares productions filmiques et littéraires

(autorisées) s’emploient actuellement à dévoiler/dénoncer les amnésies relatives à la

participation en question. Car il ne faudrait pas oublier que les souffrances, les

horreurs physiques et psychologiques de ces guerres se doublaient, pour ces ex-

combattant-e-s, d’un racisme viscéral anti-Noir-e, dans leurs propres armées, ou celles

qu’ils/elles étaient censé-e-s servir (à différents postes), dans les pays qu’ils/elles

venaient libérer (ou asservir). On est aussi en droit de se demander la place

qu’occupent dans ces historiographies les indépendances africaines et leur impact sur

les revendications de citoyenneté portées par les mouvements politiques noirs des

Amériques/Caraïbes, etc.

Ainsi donc, ces historiographies, et leurs membres patenté-e-s, pendant très

longtemps -car se font désormais jour des décisions politiques et un « révisionnisme »

historiographique, qui les obligent pratiquement à adopter une vision plus globale et

complexe des formations culturelles, politiques, économiques et raciales des

Amériques/Caraïbes-, ne sont jamais parvenues à incorporer réellement les pratiques

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discursives et politiques dont les Noir-e-s furent à l’initiative: littératures, presses,

textes populaires, syndicalismes, organisations politiques, etc. Tout un ensemble de

pratiques qui s’avère d’autant plus important qu’il porte, en creux ou en relief, et en

contre-point, les traces de l’inscription violente de ces régions du Monde dans une

modernité coloniale périphérique, mais aussi les traces des discours (contre)

hégémoniques concernant les fondements culturels, politiques et métaphysiques

plébiscités par les élites et les cités savantes américaines/caribéennes en postcolonie.

La superbe indifférence que manifestent encore ces historiographies patentées à

l’endroit de ces pratiques est inversement proportionnelle à leur dévotion vis-à vis de

l’Occident ; elles signent de la sorte une perpétuation manifeste d’un euro-

occidentalocentrisme logé au cœur même des « ciudades letradas ». Comme au

XIXème siècle, leur adhésion ou la myopie qui les caractérise présente une portée

politique en ce sens que cela permet aussi de tenir à l’écart et de réprimer, en interne,

la barbarie culturelle supposément incarnée par Noir-e (et Indien-ne et autres

chusmas). Lors de l’avènement des Républiques américaines/caribéennes, les

poétiques et formes rhétoriques devant servir de modèles à suivre, les « grands textes

» philosophiques et juridiques ayant pour vocation naturelle de « suturer » et/ou de

transcender les « différences coloniales » (autres que blanches) étaient en effet «

empruntés » à l’Occident ; il en a été de même des langues de gouvernance politique

imposées, des hymnes et des devises, qu’ils soient nationaux ou régionaux ; certaines

cultures populaires ou langues se voyaient réhabilitées dans la mesure ou les sujets

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hégémoniques y décelaient les traces de la présence bienfaitrice et salvifique de

l’Occident, etc.

On peut donc dire, sans forcer le trait, que l’émergence et la consolidation, au XXe

siècle, et à l’époque actuelle, des mouvements politiques et culturels noirs, comme le

Partido Independentista de Color (PIC) à Cuba, le Teatro Experimental de Negro

(TEN) au Brésil, le Black Panthers Party (BPP), le Civil Rights Movement (CRM) aux

USA, le Movimiento Negro Francisco Congo (MNFC), au Pérou, le mouvement

Cimarrones, en Colombie, les différents foros afrodescendientes, les mouvements des

femmes noires, signaient/signent à l’envi, malgré les dénis politiques et dénégations

imaginaires, un fait incontestable: les Noir-e-s demeuraient et demeurent encore

acculé-e-s, cantonné-e-s à une « citoyenneté différée ».

Dans l’appréhension du MG, il est dorénavant indiqué de tenir compte tout à la fois

du lien entre la « cassure originelle » (espace/temps originel africain détraqué)

occasionnée par l’esclavisation transatlantique et de la transmutation idéologique de

cette même horreur en gène exclusif de Noir-e Une double articulation qui rendrait

ainsi mieux compte de l’insertion violente des Africain-e-s esclavagisé-e-s dans le

Nouveau Monde, des expériences qu’elles/ils et leurs descendances y

connurent/vécurent (et vivent encore pour les seconds) mais aussi des rapports très

contradictoires que les imaginaires et pratiques hégémoniques continuent d’entretenir

avec la « présence histoire » noire dans les Amériques/Caraïbes (et diasporas).

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Par ailleurs, avec toutes les précautions de rigueur, il n’est pas non plus illégitime

d’assimiler toutes ces mesures, toutes ces dispositions, toutes ces lois tendant à

contraindre et/ou à repousser Noir-e et Afrique dans les confins des imaginaires

collectifs hégémoniques, afin de privilégier l’Un-Blanc-Occidental rêvé, à une espèce

d’introjection ou, mieux, à une abréaction massive. Il est, par contre, à peu près certain

que l’on ne peut introjecter ou abréagir quelque chose qui soit littéralement absent

et/ou qui ne soit pas vécu comme lié (pathologiquement) à « soi ». Or, il se trouve que

la « présence-histoire » noire, dans les Amériques/Caraïbes, ne relève justement pas

que d’un régime fantasmatique. Elle est résolument actionnelle et fondatrice: sang et

sueur à la base de l’extraction des richesses accumulées, sang et sueur dans les viols

systématiques des Noir-e-s, identités culturelles et raciales emmêlées, allaitement au

sein de la descendance blanche par des « négresses-vaches-à-lait », soins durables

prodigués aux maîtres blancs et aux maîtresses blanches (hygiène intime, alimentation,

bain, habillage, etc.) par des servantes/serviteurs noir-e-s esclavagisée-e-s,

allosexualités sur les (ha)bitations, gastronomies, religions, résistances, etc. Cela bien

entendu met à mal les (sur)investissements dans la « mythologie blanche » qu’une

grande partie des cités savantes d’ici et d’ailleurs continuent de propager, même sans

s’en rendre compte tant c’est incrusté dans les schèmes de perception hégémoniques

collectives, dans les « priorités » ou « parametraciones » culturelles, dans les «

fondamentaux » de l’éducation, qu’elle soit publique, privée ou contractualisée, etc. Le

décret 10 639 pris en 2003 par l’Etat brésilien (sujet encore de nombreuses

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controverses), rendant obligatoire l’enseignement de l’histoire de l’Afrique et, surtout,

de l’histoire des Afro-brésilien-n-e-s, ratifie sans conteste une demande longtemps

différée des mouvements noirs de ce pays ; il reste qu’il n’en apporte pas moins une

preuve éclatante du différement systématique ou institué (y compris par l’enraciné des

choses) des « tracées » noires africaines au Brésil.

Dire, comme je le suggérai ci-haut, que l’Afrique (dite) noire n’est jamais pas là en

Amériques/Caraïbes, c’est reconnaître que les sujets collectifs de ces régions, de même

que leurs pratiques sociales, culturelles ou discursives sont « amorcés » par la «

présence histoire » noire. De ce point de vue, il y a bel et bien, pour reprendre un des

titres de WEB Dubois, un « gift of black folk to America » que les historiographies

(proto) nationales, et les imaginaires hégémoniques dont elles rendent compte,

partiellement, peinent à reconnaître, à incorporer. La « présence-histoire » noire dans

les Amériques/Caraïbes, j’en ai fait l’hypothèse ailleurs, confine à une mauvaise

conscience, à un retour du refoulé que les filiations ou affiliations bio-culturelles

(faussement) lisses, proprettes, ne parviennent pas à gommer/évacuer; une « présence-

histoire » qui hante constamment les énoncés culturels populaires, le choix des

partenaires sexuels ou autres, des quartiers, la répartition instituée des métiers, etc.;

une « présence-histoire » qui hante encore les pratiques discursives hégémoniques, y

compris les taxons ou le droit de nommer/étiqueter les pratiques culturelles dont les

noir-e-s sont porteuses/porteurs.

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Parenthèse 3: Vaudou, vodu, vodun, vaudu, vudu, voodoo, vhodo, etc. De quoi

cette instabilité linguistique est-elle le signe? Juste, et simplement, comme le

suggèrerait une vision innocemment positiviste, une affaire d’orthographe laissée à la

discrétion des ethnologues qui emploient donc librement tel ou tel autre mot en

fonction de sa langue d’origine ou d’un consensus établi qu’ils/elles cautionnent. Un

exemple saisissant, du point de vue d’une critique contestatrice, de l’irreprésentabilité

de l’Autre et de ses pratiques culturelles? Ne conviendrait-il pas, cette fois-ci, d’un

point de vue critique et politique, de lire cette instabilité comme la matérialisation

d’une « opacité » qui questionne le pouvoir de nommer, le pouvoir d’appeler à l’

(in)existence les pratiques culturelles…autres? Qui a ou s’octroie de droit de

(dé)nommer? Noir-e a-t-elle/il irrémédiablement perdu aussi, en Amériques/Caraïbes,

le pouvoir de (re)nommer ses entours, ses cultures, ses vécus?

Aprezan, et au finale provisoire, quelques questionnements qui hantent la notion

conceptuelle de MG, ainsi que je la formule, et la tire, au mieux, vers une indigence

théorique et critique et, au pis, vers une vaste généralisation, au demeurant, digne des

travaux de l’anthropologie du XIXème et de sa « relation » équivoque ou douteuse, de

l’Autre non occidental). En effet, cela sourd tout au long de ces pages, n’est ce pas

folie que de se risquer, même si le mot n’est pas évoqué/écrit explicitement dans

l’esquisse, à faire une psychogénèse des Amériques/Caraïbes pour en déduire, malgré

certaines précautions rhétoriques (la cause était donc déjà entendue ?), que la «

présence-histoire » noire y est vécue par les sujets et les pratiques hégémoniques de

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ces régions comme une « limite » ou comme une « liminalité » productive? Pourquoi

souscrire si aveuglément à l’idée même d’un supposé complot des majorités au point

de faire fait fi des « progrès », des mutations profondes qui ont eu lieu dans les

perceptions socio-imaginaires et politique de Noir-e dans les régions du Monde prises

ici pour cible ? Il est donc à se demander ce que recouvre ou désigne exactement le «

Malheur généalogique » (en deux mots ?).

1/ S’agit-il d’un hyper déterminisme irréversible ou, ce qui pour certain-e-s revient

au même, d’une malédiction frappant inexorablement Noir-e en Amériques/Caraïbes

quels que soient les régimes d’historicité et en dépit des « avancées » qu’on peut

pourtant mesurer statistiquement? Il en est quand même qui réussissent (s’emportent

ou rétorquent des fois des personnes bien illustrées). Mais en face de ces « cas » de

réussite indéfiniment évoqués/exhibés, combien resteront naufragé-e-s pour longtemps

ou indéfiniment? On ne manquera pas non plus d’évoquer l’endoracisme rhédibitore

de Noir-e ; cela a fini par devenir (chez elle/lui) une structure mentale handicapante et

ce sans que la supposée hégémonie blanche occidentale y soit pour quelque chose. On

dira aussi que « no saben darse su lugar » (mais lequel justement?), qu’elles/ils ne

savent pas « aller de l’avant » (mais où exactement quand le « complot global » (F.

Jameson) travaille en toute naturalité et innocences à maintenir l’immense majorité des

Afrodescendant-e-s dans le desagüe de la post-modernité périphérique?); on objectera

aussi que les Afro-descendant-e-s n’ont pas nécessairement le privilège exclusif de la

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damnation sociale ou de la dévaluation ontologique (les chérissent-elles/ils à ce

point ?).

Le MG ne serait-elle alors qu’une vulgaire conceptualisation de la culture du

ressentiment des opprimé-e-s, et de leurs critiques/défenseurs, patenté-e-s ou auto-

proclamé-e-s, pis encore lorsqu’il est question d’Afro-descendance? La flèche du

temps, désormais mondialisé, assure-t-on, par ailleurs, est de nature à défaire

positivement le MG dont les Afrodescendant-e-s sont victimes. Soit. Mais il

conviendrait tout de même de bien voir que le « développement en flèche » des

Empires européens en ces régions du Monde, l’esclavisation transatlantique qui

l’accompagnait, relevaient déjà des temps globalisés. Par ailleurs, comment

appréhender ou comprendre rigoureusement la persistance et, des fois, le renforcement

des biais de favoritismes endo/albogroupaux que traduisent ces airs de famille que l’on

perçoit dans les postes de gouvernance, de direction, de décision, dans les postes

valorisés et valorisant et, à l’inverse, le cantonnement dans des métiers subalternes,

d’exécution, socialement dévalués et dévalorisant des non-Blancs, dont les Afro-

descendant-e-s, dans leur immense majorité ? Continuer à mettre l’accent uniquement

sur les exceptions à une telle situation globale persistante, ou continuer de la rattacher

au fonctionnement d’une psychologie collective grégaire ou primaire ne constitue rien

d’autre qu’un déni politique. En effet, et à preuve, les politiques de quotas dans les

universités, comme au Brésil, les politiques d’Affirmative action, surtout aux USA,

loin d’une quelconque philanthropie ou d’un racisme institutionnel inversé, ou encore

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d’une excuse de minorité préjudiciable à ses bénéficiaires (pas forcément ni

uniquement Noir-e-s), dénoncent justement ces biais de favoritisme

albo/endogroupaaux comme des actes politiques, nuisibles à l’accès à une citoyenneté

pleine et active à laquelle aspirent les Afro-descendant-e-s.

2/ Le MG ne serait-il rien d’autre que la manifestation d’un

indécrottable/irréversible racisme socio-institutionnel manifeste ou/et subliminal

d’autant plus (im)perceptible que, d’une part, il emprunte largement aux

contraignantes di-visions héritées de la Colonie et de la post-esclavisation

transatlantique et que, de l’autre, il s’accompagne des « effets de visière » mais surtout

des protestations officielles -aussi véhémentes que (de fait) contestables-, des doctrines

républicaines et démocratiques (qui feraient pièce des origines, des généalogies) et de

la redoutable galerie de couleurs/races dont certaines demeurent pourtant encore de

nos jours, perçues comme plus proliférantes que d’autres? On invoquera, à raison ou à

tort, de la « cultura brown » triomphante qui, en dépit de la permanence de vieilles

lunes (tout à fait blafardes ?) WASP, « Casas paternas » et autres « discursos

ontológicos del Ser nacional », rendrait les choses plus ouvertes, plus complexes, plus

fluides, plus hybridisées. Doit-on croire absolument que cette « culture brown », ses

appellations varient aussi, ait déplacé irrémédiablement une certaine ethnogenèse

d’autant plus insidieuse et prodigieuse qu’elle en arrive, des fois, à (dis) qualifier des

pays et des régions entiers et qu’elle reste, par ailleurs, l’un des « biais » d’accès

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privilégié au pouvoir tout autant qu’elle constitue indiscutablement une source de

domination économique, ethnique, raciale, religieuse, sexuelle, etc.?

Le MG, qui est un texte complexe au fond, (re)pose fondamentalement la question

de la co-appartenance des Noir-e-s aux Amériques/Caraïbes, celle des représentations

d’un Soi imaginé, fût-il local, régional, national ou transnational qui diffère

incessamment la reconnaissance véritable de cette co-appartenance. Le MG (re)pose

aussi par ailleurs une double question. D’une part, celle du refus généralisé et

persistant de la reconnaissance des Noir-e-s comme les bâtisseuses et bâtisseurs, aussi

légitimes que d’autres, des Amériques/Caraïbes et, d’autre part, la question de la co-

participation dynamique des Noir-e-s aux formations culturelles et imaginaires des

régions du monde qui nous intéressent particulièrement. Les Afrodescendant-e-s

devraient ainsi être perçues et reconnu-e-s, par les discours publics de ces régions du

Monde, comme de dignes et légitimes co-fondateurs, co-fondatrices des

Amériques/Caraïbes.

Comme on s’en aperçoit, il ne s’agit donc pas, une lecture rapide, lâche,

superficielle et mesquine, de cette esquisse tendrait à le faire accroire, de

1/ ramener ou réduire la multiplicité et la complexité des vécus des Afrodescendant-e-s

à un schématisme conceptuel qui, pour le coup, se verrait inexorablement disqualifié ;

2/ surligner indûment une « mémoire du gouffre » qu’il conviendrait, pour certain-e-s,

de taire, de refréner ou de mettre sous le boisseau car elle ne ferait qu’alimenter

l’identité de substance présupposée entre Noir-e/Esclavisé-e et Afrique/Esclavisation.

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Le positionnement politique et éthique qui en appelle, au nom d’une humanité unique,

partagée et non négociable (les Afro-descendant-e-s disent-elles/ils le contraire ?), à ne

pas faire acception des personnes, au droit à l’indifférence (de couleurs/races/ethnies)

ou encore au droit à l’oubli, au nom du temps qui a passé (mais pour quels sujets au

fait ? Parle-t-on ici d’un temps mort, devrait-il se changer en un droit à l’aveuglement,

en une injonction autoritaire à l’oubli ? Comment comprendre alors, en toute rigueur,

le « pain of being Black in America » (Toni Morrison) et tout son charroi, selon la

même auteure, du « unspeakable things unspoken »?

Le MG, en tant que proposition théorique et critique tente, si d’aventure on lui

reconnaissait quelque pertinence, d’appréhender autrement des relations d’altérité; il

vise aussi à créer des conditions de déprise, fusse-t-elle relative, de certaines

propositions critiques et théoriques (péremptoires ?), au sujet de la co-appartenance

des Afrodescendant-e-s aux formations culturelles, imaginaires et raciales des

Amériques/Caraïbes. On peut, en tous les cas, affirmer que certaines fulgurances ou

sub-liminalités de la société du mépris qui barrent les Afrodescendant-e-s trouveraient

à s’expliquer par la permanence agissante du « Malheur généalogique », tel qu’il est

ici esquissé.

Mais il est vrai que la phénoménologie portative de Noir-e, c’est-à-dire finalement

les différents réductionnismes dont les sujets collectifs hégémoniques l’affublent -et à

partir desquels il/elle se construit (partiellement ou en grande partie)-, est si fortement

ancrée et si puissamment systématisée et cristallisée (sous forme d’évidences, de

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transparences, d’identités de substance, etc.), qu’il n’est absolument pas aisé de la

défaire, de la démonter. Le MG permet de prendre la mesure de cette cristallisation et

de cette systématisation, toujours déniées ou justifiées, même avec des arguments de

mauvais aloi, et il interroge les changements dans les imaginaires collectifs de ces

régions du monde vis-à-vis des tracées noires africaines, les mutations ou avancées

socio-économiques et politiques dans les Amériques/Caraïbes et la puissance d’agir

(collective) des Afrodescendant-e-s.