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La trace de l'auteur dans Le Malheur d'avoir trop d'esprit d'A. S. Griboedov à la lumière d'une approche polyphonique du texte de théâtre L. de Saussure Université de Genève 0. Introduction 0.1. Introduction au Malheur d'avoir trop d'esprit On s'accorde généralement pour dire qu'Aleksandr Sergueevic* Griboedov 1 ré- dige une première version du Malheur d'avoir trop d'esprit en 1823, et la re- touche légèrement en 1825. Dans cette Russie du début du XlX èrae siècle, do- minée par le pouvoir autocratique de l'empereur, la critique sociale ou politique est depuis longtemps interdite et la littérature ne subit pas moins que les jour- naux la vigilance de la censure. Les écrivains sont surveillés de très près et PuSkin lui-même, adulé du public, est contraint à l'exil en province, soupçonné d'athéisme. La littérature est devenue le lieu privilégié de la critique du régime. Nul doute qu'elle s'y prête à merveille : d'une part elle permet le discours à double sens, et les écrivains comme Griboedov deviennent maîtres dans l'art de pro- duire des jeux de mots allusifs, et de l'autre elle commence à circuler sous le manteau, signée par des pseudonymes, échappant alors à la vigilance du pou- voir. Le Malheur d'avoir trop d'esprit en est un exemple célèbre. La pièce patte de main en main dès 1823, sous la forme de manuscrits parfois retouchés par les lecteurs-copieurs eux-mêmes. Le texte ne sera édité en version intégrale qu'en 1862, trente-trois ans après la mort de son auteur. En décrivant la société russe, Griboedov sait de quoi il parle : il est haut- fonctionnaire et finira ambassadeur de Russie en Perse. C'est probablement l'écrivain qui comprend le mieux les tensions qui agitent alors le pays et qui 1 L'orthographe adoptée pour transcrire les noms russes CM celle de la transluérrarion internationale.

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La trace de l'auteur dans Le Malheur d'avoir trop d'esprit d'A. S. Griboedov à la lumière d'une approche

polyphonique du texte de théâtre

L. de Saussure Université de Genève

0. Introduction

0.1. Introduction au Malheur d'avoir trop d'esprit

On s'accorde généralement pour dire qu'Aleksandr Sergueevic* Griboedov1 ré­dige une première version du Malheur d'avoir trop d'esprit en 1823, et la re­touche légèrement en 1825. Dans cette Russie du début du XlXèrae siècle, do­minée par le pouvoir autocratique de l'empereur, la critique sociale ou politique est depuis longtemps interdite et la littérature ne subit pas moins que les jour­naux la vigilance de la censure. Les écrivains sont surveillés de très près et PuSkin lui-même, adulé du public, est contraint à l'exil en province, soupçonné d'athéisme.

La littérature est devenue le lieu privilégié de la critique du régime. Nul doute qu'elle s'y prête à merveille : d'une part elle permet le discours à double sens, et les écrivains comme Griboedov deviennent maîtres dans l'art de pro­duire des jeux de mots allusifs, et de l'autre elle commence à circuler sous le manteau, signée par des pseudonymes, échappant alors à la vigilance du pou­voir. Le Malheur d'avoir trop d'esprit en est un exemple célèbre. La pièce patte de main en main dès 1823, sous la forme de manuscrits parfois retouchés par les lecteurs-copieurs eux-mêmes. Le texte ne sera édité en version intégrale qu'en 1862, trente-trois ans après la mort de son auteur.

En décrivant la société russe, Griboedov sait de quoi il parle : il est haut-fonctionnaire et finira ambassadeur de Russie en Perse. C'est probablement l'écrivain qui comprend le mieux les tensions qui agitent alors le pays et qui

1 L'orthographe adoptée pour transcrire les noms russes CM celle de la transluérrarion internationale.

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aboutiront au tragique coup d'Etat manqué de décembre 1825. Pour bien com­prendre les tenants et les aboutissants du Malheur d'avoir trop d'esprit, un bref exposé de cette situation est indispensable.

Moscou, ravagée par l'incendie de 1812, sous la courte occupation fran-cjdtti a pris sa revanche : trois ans plus tard, Alexandre premier entre dans Paris à la tête de la Coalition. L'armée impériale rentre glorieuse au pays. Mais dans ses rangs, nombreux sont ceux qui. émerveillés par la France, affichent un mépris certain pour les valeurs et institutions traditionnelles de la société russe. Epris des Lumières, ces jeunes gens ravivent le clivage entre ceux qu'on nomme alors les "slavophiles" et les "occidcntalistes", c'est-à-dire, grosso modo, les conservateurs et les progressistes. Attirant dans leurs rangs un grand nombre d'artistes, d'intellectuels, mais aussi d'officiers issus de la noblesse, ils espèrent transformer un monde en grand danger de sombrer dans une médio­crité généralisée, écrasé par un pouvoir trop présent. Le camp conservateur. quant à lui. aura tôt fait de les qualifier de "voltairiens", de "libre-penseurs" et "d'hommes d'esprit". Comme l'explique Wladimir Troubetzkoy, le terme "homme d'esprit" en vient même, pendant les années 1820, à "désigner très exactement les membres des sociétés secrètes qui se créent pour changer la Société" (Troubetzkoy 1990, 279). Et c'est bien ainsi qu'il faut comprendre le mot "esprit" dans le Malheur d'avoir trop d'esprit. Cackij. le héros, étant le prototype de l'homme d'esprit. Mais ces jeunes gens n'ont ni les effectifs ni l'organisation nécessaires pour réussir une quelconque action politique. Une centaine d'officiers acquis à la cause d'imposer une constitution au pays tente cependant héroïquement un coup d'Etat, du 14 au 16 décembre 1825, ce qui leur vaudra le surnom de "décembristes". Parmi eux, il y a de nombreux membres de la plus haute noblesse et qui seront fusillés ou envoyés en Sibérie.

Le contexte socio-historique de la pièce est caractérisé par l'équilibre déjà précaire de la société russe. Le coup d'Etat des décembristes est une étape importante dans les troubles qui déchireront la Russie pendant le siècle entier et jusqu'en 1917. Notons pour les besoins de l'analyse que Griboedov, libéral, serviteur de l'Empire mais ennemi de l'autocratie, a été, tout comme PuSkin d'ailleurs, navré de l'échec du coup d'Etat des décembristes, parmi lesquels il comptait bon nombre d'amis. Cet échec, il l'avait pourtant prévu. Le Malheur d'avoir trop d'esprit est en effet une mise en garde contre l'agitation et le mor­dant de l'homme d'esprit brillant, désireux de changer une société corrompue, mais incapable d'agir au-delà de ses railleries. Cackij est semblable à ces ab­surdes cent sous-lieutenants qui espèrent changer le monde.

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Le Malheur d'avoir trop d'esprit n'est donc pas qu'une critique de la so­ciété moscovite, ce personnage collectif que Troubetzkoy nomme la "Moscou de Famoussov" (Troubetzkoy 1990. 282ss), mais aussi la critique du brillant Cackij. Ici. point de manichéisme simple : le héros est aussi un antihéros, et le lamentable Rcpctilov. ivrogne membre des sociétés secrètes, est bien l'aller-eflodefackij.

0.2. L'intérêt d'une analyse polyphonique du Malheur d'avoir trop d'esprit

On comprend facilement que dans la perspective que je viens d'évoquer. Le Malheur d'avoir trop d'esprit n'est pas qu'une comédie légère et distrayante. Le "message" de l'auteur y est primordial car politiquement engagé. Avant tout, Griboedov exprime son opinion. Cette étude se propose d'examiner cer­tains aspects de la marque de Griboedov dans le Malheur d'avoir trop d'esprit, dont le résumé est donné en annexe. J'observerai noiamment le fonctionnement de certains aspects de la trace de l'auteur dans le texte de théâtre comme l'a­phorisme, la rumeur ou certaines manifestations particulières de l'ironie d'auteur.

L'auteur dispose, selon Ducrot, de deux moyens pour rendre le texte perméable à sa voix. "D'abord, par le fait qu'il s'assimile, à tel moment, à tel personnage dont il fait son porte-parole" (Ducrot 1984, 225), ce qui permet à l'auteur de faire des déclarations à travers celles de certains personnages. Ducrot nomme ces moyens "primitifs". Il les distingue des moyens "dérivés", à savoir ceux qui permettent à l'auteur de donner son propre point de vue à tra­vers des paroles qu'il "adresse, non plus par le truchement de ses personnages, mais par le fait même de représenter ses personnages, par le choix qu'il fait d'eux" (Ducrot 1984, 226). Ainsi en est-il. par exemple, lorsque Molière donne au ridicule Sganarelle le rôle de prendre la défense de la religion.

Pour ce qui est des moyens primitifs, on admettra sans peine que le per­sonnage de £ackij, qui critique la société qui l'entoure, est souvent le "représentant" de Griboedov : si critique sociale il y a. l'intention de l'auteur est indéniable. Outre Cackij, de nombreux autres personnages prêtent aussi leur voix au discours de l'auteur, que ce soit lors de monologues, d'adresses au public ou simplement d'allusions ou de phrases ambiguës. Je passerai rapide­ment sur des exemples qui restent proches de ceux qu'Anne Reboul, dans sa thèse de 1984. relève chez Molière et m'attacherai plus en détail à des phéno­mènes plus particuliers comme l'aphorisme et sa fonction dans le dialogue théâtral, en montrant de quelle manière il constitue un cas particulier de la trace

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de l'auteur. Le Malheur d'avoir trop d'esprit est éclairant à cet égard, étant donné le grand nombre d'aphorismes qu'il contient et qui sont passés dans le langage courant

Ce seront surtout les moyens dérivés qui retiendront mon attention. Parallèlement à son discours à travers celui de ses personnages, l'auteur cri­tique leur attitude et leur discours, et £acluj lui-même n'y échappe pas. pour sa propension à dériver de la simple critique à la misanthropie, sans proposer d'option nouvelle viable. Les personnages de la pièce subissent en outre une forte caractérisation, fait de l'auteur, et qui est un signe de son opinion sur eux2. La caractérisation est le signe des actes dérivés, tout comme, d'une façon générale, les nombreux cas où les personnages du Malheur d'avoir trop d'esprit se comportent d'une façon telle qu'ils servent à illustrer la position morale de l'auteur ou son opinion sur eux. par exemple lors de propos iro­niques, de certains jeux de mots. Le cas de la rumeur que Sofija lance à propos de la folie de £ackij retiendra tout particulièrement mon attention.

La méthode que j'appliquerai pour mettre en évidence la présence de l'auteur dans le texte de théâtre est celle dite de la polyphonie, selon Ducrot. telle qu'elle a été développée spécifiquement pour tes besoins du discours théâtral par Reboul dans sa thèse de 1984. L'approche polyphonique du dis­cours, et en particulier du discours théâtral, permet une formalisation assez claire des interactions entre l'auteur et les personnages. Pour sa description précise et la définition de sa terminologie, je renvoie au chapitre 2 de la thèse de Reboul. intitulé Polyphonie, et à l'ouvrage de Ducrot, Le Dire et le Dit. au chapitre Polyphonie.

Je rappelle simplement que l'approche polyphonique, en particulier pour son application au domaine du discours théâtral, découle des éléments posés par le dialogisme de Mikhaïl Bakhtine qui voit dans les différentes formes de discours rapporté, dont fait partie le texte de théâtre, un "rapport actif d'une énonciation à une autre". Ducrot considère que le locuteur, défini comme res­ponsable de renonciation, noté L (locuteur en tant que tel), met en scène un ou des énonciatcurs, définis comme responsables des actes illocutoires et notés

2 Les critiques Ju Malheur d'avoir trop d'esprit ont tous remarqua a quel point cette caractérisation est soutenue, au point d'obtenir des personnages typés à l'extrême. A cet égard, on peut citer William Edward Brown : "Les personnages de Griboedov sont tout d'une pièce; ils sont saisis comme de complètes entités psychologiques, et leurs langues, IcurN gestuelles, leurs façons de penser, sont toutes parties intégrantes de leur personnalité" (Brown 1986, 108; c'est moi qui traduis).

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El...n, avec lequel / lesquels il s'identifie ou non\ Dans la conception de la polyphonie théâtrale de Rcboul, le locuteur est associé à l'auteur, et les énon-ciateurs sont associés aux personnages. Elle note "le discours tenu fictivement par les personnages" d et "le discours tenu réellement à travers le discours fictif des personnages" D (Reboul 1984, 84). Je me tiendrai à ces notations dans l'ensemble de cette analyse et développerai certains aspects de la polyphonie théâtrale lorsque cela sera nécessaire, pour éviter un fastidieux et réducteur ex­posé de ses articulations. Pour des raisons opératoires, on remarquera que je fonde mon approche sur celle de Reboul, ce qui m'amènera à m'éloigner de celle de Ducrot pour l'analyse de certains exemples, notamment d'ironie.

1. L'auteur dans le personnage : actes primitifs

1.1. Cackij et la critique sociale didactique

Cackij mène tambour battant une critique sociale qui est en grande parue impu­table à Griboedov lui-même. Son discours est cependant souvent chargé d'iro­nie, ce qui pose un problème particulier. L'ironie est avant tout un acte dérivé puisqu'elle met en relief certains aspects des caractères et permet à l'auteur ou à un personnage de se moquer d'un autre personnage; néanmoins, lorsque l'au­teur s'identifie au personnage responsable de l'acte ironique, il s'agit aussi, en partie, d'un acte primitif. Etant donnée cette référence aux moyens dérivés, je traiterai le problème de l'ironie dans la deuxième partie de mon analyse.

Il faut en outre faire observer que Griboedov prête à d'autres person­nages, eux-mêmes critiqués par £ackij, des propos critiques imputables à l'au­teur. Il y a là toute une complexité4, et l'on ne sera pas étonné de trouver de ci. de là, la voix de l'auteur résonnant par l'intermédiaire de celle d'un Famusov par exemple, dans le cadre, toujours, d'une critique sociale.

Le cas le plus courant de la critique sociale est le monologue, qui est toujours enflammé chez Cackij. Tout comme les apartés, les monologues sont appelés par Reboul des adresses implicites au public (Reboul 1984. 87). De

3 Voir Ducrot (1980), (1982). (1983). Notons que dans sa version de 1984. Ducrot considère que les enonciateurs ne sont que des points de vue et non les responsables d'actes illocutoires. ** A cet égard. Brown remarque que si "Cackij est lui-même l'auteur", on reuouve le même Griboedov dans le personnage de Repeiilov. qu'il "rejette par passion et exorcise en l'objectivant comme l'antagoniste de Cackij, comme Cervantes objective le monde prosaïque du sens commun en Sancho Pansa. Il y a un "anti-Cackij" tout comme un Cackij dans Griboedov" (Brown 1986,113; c'est moi qui traduis).

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plus, lorsqu'il y a critique, la parole est didactique, et pour Ducrot. le caractère didactique d'un monologue est le signe de la présence de l'auteur (voir Reboul 1984,90). Un monologue de ce type peut s'analyser de la façon très simple : au niveau de D, le locuteur, ici l'auteur, met en scène l'énonciateur du monologue, auquel il s'identifie. Ainsi.à la scène 22 de l'acte III. Cackij relate à la "Moscou de Famoussov" réunie la discussion entendue dans l'autre pièce, entre un Français et un petit groupe d'invités, puis enchaîne sur un monologue :

ùisM.- <•••> (1) Qu 'on me traite, ri l'on veut. île vieux-croyant. \fais notre Nord me paraît cent fois pire depuis qu'il a tout sacrifié à la nouvelle mode, et tes meturx, et la langue, et nos saintes traditions, et troqué nos habits pleins de majesté pour des tenues de clown... (...) etc. Deux choses sont à remarquer dans ce monologue.

Premièrement. (I) n'est évidemment pas un cas d'ironie. Dans 11 ). au ni­veau de D. L (l'auteur) met en scène l'énonciateur E (Cackij) et s'y identifie, alors qu'au niveau de d. L (Cackij). met en scène un énonciateur E, déclarant "Cackij est un vieux-croyant" et s'y identifie. Il s'agit plutôt d'un acte conces-sif que l'on pourrait paraphraser par "Admettons que je suis un rétrograde"5. II s'agit pour lui. comme pour Griboedov. de montrer qu'être "vieux-croyant" est encore préférable à "moderne".

Deuxièmement, il est à remarquer qu'une fois le monologue de Cackij achevé, il se retourne et s'aperçoit que "tous les invités valsent avec entrain", c'est-à-dire qu'au fur et à mesure de ses déclarations dénigrantes, ses auditeurs ont cessé de l'écouter I-a rumeur court que Cackij est "fou", mais il l'ignore; il ne peut donc pas s'attendre à ce qu'on fasse si peu de cas de lui. Au niveau de D, on peut dire que L (Griboedov) a pour destinataire le public, puisqu'il s'agit d'une adresse implicite au public; au niveau de d, F (Cackij) a pour allocutaire la maisonnée de Famusov et les invités. Mais seul le public écoute Cackij jusqu'à la fin. et c'est bien ce que Gnboedov a prévu et spécifié dans une di-dascalie. Il en ressort l'impression que le locuteur, au niveau de d, Cackij, disparait complètement, au profil de Griboedov, locuteur au niveau de D. Tout se passe comme si seul, le public prenait plein statut d'allocutaire. De la dispa­rition des interlocuteurs de Cackij semble apparaître une forme particulière d'intimité et de complicité entre l'auteur et son public, soulignée par le fait que

5 "Vieux-croyant" a en effet cène signification, et fait référence au mouvement religieux sclu.smiitiu.ue Je l'Orthodoxie qui a refusé, au XVTIème siècle, certaines mises a jour «les pratiques religieuses officielles. Malgré l'effet péjoratif de l'expression "vieux-croyant", il faut considérer que Cackij accepte délibérément Je ne pas adhérer uux mtturs modernes corrompues et déclare symboliquement préférer le mouvement vieux-ctoyant.

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la foule "famoussovienne", ignorante, s'est exclue de l'espace discursif (alors qu'elle croyait en exclure Cackij ).

1.2. Autres types de critique

Outre les critiques virulentes de Cackij à rencontre de la société en général, il se livre à des attaques d'une portée semblable, mais prenant à parti un interlo­cuteur déterminé6. Les exemples ne manquent pas. surtout dans l'acte III. Enfin, dans son dernier monologue, c'est à tout Moscou qu'il s'adresse en pre­nant Famusov comme allocutaire : "Et vous, Monsieur le père, vous qui ne rê­vez passionnément qu'aux honneurs, je vous souhaite de sommeiller encore dans cette heureuse ignorance!".

Le Malheur d'avoir trop d'esprit est, malgré l'omniprésence de Cackij, une œuvre très nuancée, et certaines des critiques d'autres personnages à ren­contre soit de la société, soit de Cackij, soit encore d'autres personnages, sem­blent justifiées. Certaines phrases inattendues ont ainsi clairement Griboedov comme locuteur.

Ainsi, à la scène 4 de l'acte I : Famusov, à qui la servante Liza a dit que Sofîja a lu toute la nuit, s'en prend à cène mauvaise habitude et critique les Français dont il est à la mode de lire la littérature.

Famusov • (...) 12) Toujours ce pont Kuzneckiy, et toujours ces Français.' Tout vient de chez eux : la mode, les auteurs et les muses. C'est eux qui ruinent nos poches et nos cœurs.' Quand le Créateur nous détivrera-t-it, enfin, de leurs chapeaux, de leurs bonnets, de leurs épingles a cheveux.' De toutes leurs boutiques de livres et de leurs boutiques de biscuits!

C'est bien Griboedov qui parle, et l'on peut curieusement rapprocher ce passage d'un extrait du monologue de Cackij à la scène 22 de l'acte 111 :

6 C'est en cela que £ackij constitue véritablement le pivot de la pièce, et. en quelque sorte, un peut dire que la plupart des autres personnages existent en premier lieu pour essuyer sa moquerie et subir ses railleries. Ce qu'il convient donc de remarquer, c'est que Cackij. en se moquant individuellement des différents caractères qui forment la société moscovite, s'en prend en quelque sorte par lit même a la société dans son entier. Ces personnages prennent alors un statut symbolique : on peut voir en chacun d'eux des matérialisations d'éléments sociaux qui. ensemble, forment la vaste fresque sociale du Malheur d'avoir trop d'esprit. La question fondamentale touche ici a l'allocutairc. qui. en quelque sone, devient collectif, ce qui justifie la thèse selon laquelle la "Moscou de Fanwussov" est un personnage collectif, comme le note Troubetskoy ( 1990, 282ss)

" Le pont Kuzneckij se situait dans le quartier commerçant de Moscou, dans lequel de nombreuses boutiques françaises étaient établies. Parler du "pont Kuzneckij" revenait a parler du quartier dans son enxcmble. par métonymie.

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âackii : (...) (31 Aussitôt ont fusé de toutes pans des gémissements, des plaintes, des cris nostalgiques : "Oh! la France! Il n 'y pas au monde un plus beau pays!" disaient deux saurs, deux prin­cesses, répétant ta leçon apprise dès leur enfante!

Il est patent que le même locuteur s'exprime, et le public ne peut s'y tromper. Dans un cas comme dans l'autre, on notera qu'au niveau de D, L est l'auteur et E. auquel il s'identifie, Cackij; et qu'au niveau de d. Cackij, L, met en scène E, les deux princesses. E étant pris comme un énonciateur collectif, auquel L ne s'identifie pas. Il s'agit bien ici d'un cas de discours direct, donc d'un cas de double énonciation.

Outre les critiques formulées par C ackij, l'auteur utilise à plusieurs re­prises la technique du "jeu de mots" ou de l'ambiguïté qui permet de véhiculer deux contenus propositionncls dans un même énoncé. Cl et C2, où ce dernier exprime une attaque contre l'autorité. Dans le cas d'un énoncé ambigu comme celui présent à la scène 5 de l'acte n (Sofija : "Nous avions l'impression que les dieux nous protégaient; aucune inquiétude, aucun soupçon... Pourtant le malheur était là, caché dans un coin"), on relèvera que C2 s'interprétera d'une façon qui laisse de côté le strict contexte de la pièce. On dira que C2 est refor-mulable par : "Le monde u l'impression naïve d'être à l'abri de tout, mais son état est tel que le malheur le guette". C2 est alors une mise en garde de Griboedov. L (l'auteur) met en scène deux énonciateurs. El qui est responsable de l'acte d'assertion de Cl, et E2. assimilié à L. responsable de C28. On verra que les aphorismes fonctionnent d'une manière assez comparable.

1_3. Le cas des aphorismes

Le Malheur d'avoir trop d'esprit est truffé d'aphorismes qui ont très largement survécu à leur auteur puisqu'ils sont entrés dans la langue. Aujourd'hui encore, ces aphorismes sont constamment utilisés et ceux qui les emploient ne savent même plus, pour la plupart, leur origine.

Comment décrire l'aphorisme en matière de polyphonie ? Formulons l'hypothèse suivante : un locuteur L met en scène deux énonciateurs El et E2

& Pour In besoin* de l'analyse, je sors de la conformité avec Ducrot pour qui l'acte primitif implique la présence d'un énonciateur distinct du locuteur, et l'acte dérivé la mise en scène de deux énonciateurs au moins avec la possibilité d'identification du locuteur. Cependant, il s'agit ici bel et bien d'un énonciateur qui "prend en charge" la parole de l'auteur, et c'est ce qui me semble déterminant dans le cadre du texte théâtral pour savoir si un énoné se range au nombre des actes primitifs. Cette remarque vaut d'ailleurs aussi bien pour le cas des aphorismes.

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tels que El produit un énoncé avec un contenu proposidonnel Cl pertinent au moment de renonciation pour qualifier une situation donnée, et E2 produit le même énoncé, mais avec un contenu proposidonnel C2 à caractère universel et permettant de qualifier n'importe quelle situation semblable ou de s'appliquer à n'importe quel contexte du même ordre, I e locuteur L s'identifierait, dans cette hypothèse, à E29 : le but d'un tel énoncé, pour L, est en premier lieu de pro­duire C2. J'analyse ici l'exemple suivant, tiré de la scène 3 de l'acte 1 : Sofija refuse de se lever, au risque de se faire surprendre dans sa chambre avec son amant. Elle répond à Liza qui la presse :

Saiïia: (4) Quand on est heureux, on ne remarque pas l'heurt. (4) est, selon l'hypothèse proposée, un aphorisme, dans la mesure où : • L assimilé à l'auteur, met en seine : • El, assimilé à Sofija. qui. pour justifier sa conduite et son insouciance, produit Cl : "je suis heureuse et je me moque de l'heure qu'il est" - £2, auquel l'auteur s'identifie, qui produit Ci : "dans quelque situation que l'on soit, lors­qu'on est heureux, on ne fait jamais attention a l'heure".

Bien entendu, cette hypothèse est discutable : Sofija elle-même produit un énoncé à caractère général pour en tirer la conclusion qu'il s'applique à elle-même et justifie donc sa conduite. Mais le but d'un tel énoncé reste différent pour le personnage et pour l'auteur. Avant tout, Sofija doit s'expliquer car clic est mise en cause. L'auteur, quant à lui, désire avant tout donner un aspect di­dactique a l'expression, simple dans cet exemple puisqu'il peut s'assimiler ici à l'injonction latine carpe diem, mais qui dans d'autres exemples peut revêtir une portée plus forte.

Dans l'acte II à la scène 11. dans le même registre, Sofija cherche à convaincre Molcalin d'aller sympathiser avec c'ackij pour éviter ses commé­rages :

Sofija : (...) 15) Celui qui aime dois être prêt à tout.

L'analyse de cet aphorisme serait identique à celle de (4), et les contenus pro-positionnels peuvent se décrire ainsi : Cl : 'Tu dois être prêt à tout pour moi, puisque tu m'aimes" C2 : "Lorsqu'on aime quelqu'un, on doit toujours être prêt a tout pour lui. "

9 Voir note 8.

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Cet exemple illustre clairement le fait que El , qui produit Cl. est l'é-nonciateur auquel le personnage se trouve assimilé : c'est bien dans un but précis, pour convaincre son interlocuteur d'agir que Cl est produit

Certains aphorismes ont quelques particularités qui méritent d'être rele­vées. Ainsi, à la scène 4 de l'acte III. Cackij se plaint d'avoir perdu l'amour de Sofija :

QxM :(•••> l6i celui qui part au loin pour trois ans devrait s'attendre a perdre son amour.

Procédant à la même analyse, je remarquerai que l'on peut mettre en doute l'adhésion de Cackij à ce qu'il dit lui-même. L'emploi du conditionnel semble nuancer l'affirmation, et c'est sans doute ici avant tout la déception qui s'exprime. C'est le genre de dépit qui apparaît dans une locution usuelle, pro­duite après un événement fâcheux, du type : '"j'aurais dû m'y attendre". Je considérerai alors que (6) constitue, en plus d'un aphorisme, une accusation indirecte d'une part de la légèreté de Sofija en particulier, accusation qui serait contenue dans C1. et d'autre part de la légèreté de la femme en général, qui se fonderait sur tout un ensemble de préjugés et sur une opinion assez répandue dans cet environnement socioculturel, depuis que le titre Cosi fan Tutte de Mozart est passé en adage à la mode. Cette accusation serait, quant à elle, contenue dans C2.

L'aphorisme peut aussi constituer une critique politique ou sociale, comme à la scène 3 de l'acte III :

17) Les grades sont octroyés par les hommes, et les hommes peuvent se tromper.

Cackij, qui n'a pas de grade, exprime, en tant que El et toujours selon mon hypothèse, dans Cl : "je n'ai pas de grade, parce que l'on s'est trompé en ne m'en donnant pas". L, assimilé à Griboedov, dirait en s'identifiant à E2, producteur de C2 : "ceux qui ont le pouvoir d'octroyer des grades ne sont que des hommes faillibles comme les autres". C2 constitue indubitablement une attaque contre le pouvoir autocratique, qui se veut donné par Dieu lui-même, et qui fait du Tsar une sorte de démiurge infaillible. La trace de l'auteur ici se trouve inscrite non seulement structurellement par l'aphorisme, mais aussi par sa portée politique.

Quelques aphorismes constituent aussi une parole de l'auteur à propos d'un personnage, comme dans l'exemple suivant, tiré de la scène 5 de l'acte 1, où Sofija, parlant de Cackij, émet un jugement général :

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Snfiia : f..j (8) on peut rire avec n importe qui

Dans ce cas. Cl peut se décrire ainsi : "Cackij rit de chacun, mais il n'y a rien là d'extraordinaire" et C2 : "Rire de chacun ne mène à rien".

(8) me semble constituer un cas marginal de l'aphorisme, dans la mesure où l'auteur, émettant une critique recevante sur son propre personnage, Cackij, s'identifie en même temps à Sofija, c'est-à-dire au personnage qui émet Cl, et à l'énonciateur de C2, à portée générale, dont l'auteur est de facto responsable. Dans (8), je trouve peut-être la limite de l'hypothèse que j'ai formulée plus haut, car je ne vois pas, a priori, d'autre exemple où un locuteur L s'identifie à deux énonciateurs distincts; mais il est concevable que certains cas jeux de mots puissent fonctionner de la même manière, lorsque par exemple l'auteur s'implique de façon évidente dans C1 autant que dans C2.

Outre ce qui a été dit, il faut remarquer que l'aphorisme est souvent construit de manière à être facilement retenu, que ce soit par une répétition, comme tel père, tel fils, ou par une rime, comme à tout seigneur / tout honneur ou dans un cas d'aphorisme d'auteur. Ce que l'on conçoit bien s'énonce clai­rement. / Et les mots pour le dire arrivent aisément (Nicolas Boileau. L'Art poétique, v.153-154). Griboedov. qui écrit en iambe libre, trouve des formules proverbiales qui correspondent à la structure poétique de l'œuvre dans son en­tier, et la trace de sa présence en est d'autant plus évidente. Mais je reviendrai sur cet aspect en conclusion.

Ajoutons encore pour ce qui concerne les aphorismes que certains d'entre eux peuvent constituer des cas d'ironie d'auteur, et je renvoie au deuxième chapitre, paragraphe 2.1.3. de ce travail, où je discuterai d'eux, considérant alors qu'il s'agit d'un moyen dérivé d'incursion de l'auteur dans le discours.

On pourrait continuer l'énumération des cas d'intrusion de l'auteur dans la pièce par des moyens primitifs, en relevant par exemple les quelques cas où l'auteur apparaît en tant que tel, et non en tant qu'être du monde1". Ce qu'il importe de retenir me semble avant tout le fait que dans le Malheur d'avoir trop d'esprit, les relations auteur-personnage sont particulièrement complexes.

•0 Le locuteur en tant qu'être du monde, selon Ducrot. est considéré avec sa personnalité, ses opinions, etc.. c'est-à-dire en tant qu'individu. C'est le locuteur en tant qu'être du monde que nous avons trouvé dans les énoncés à caractère critique, pur exemple. Le locuteur en tant que tel est considéré uniquement en tant qu'il a la propriété d'être le responsable de renonciation. Je renvoie à cet égard a Ducrot (1984. lWss).

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Griboedov est et n'est pas Cackij; il se retrouve parfois dans des personnages clairement ridicules comme Famusov, qui partage avec Cackij lui-même l'opi­nion que l'influence de l'étranger, en particulier de la France, est néfaste. Repedlov et un certain Monsieur D.. qui, pendant quelques instants se refusent à croire à la folie de Cackij alors que cette rumeur court, peuvent aussi faire sentir la "voix" de l'auteur. Liza, la servante, Sofïja parfois, d'autres encore peuvent à l'occasion grandir cette liste. Enfin, et c'est le plus frappant, le "vaurien" Zagoreckij prête aussi sa bouche à l'auteur, et avec quel bon sens in­attendu, lorsqu'il s'exprime sur le sens des fables. Il dit a leur sujet : "Elles se moquent sans arrêt des lions, des aigles. Et, quoi qu'on en dise, ce sont bien des animaux, mais des rois, dans leur genre" {acte III, scène 21). Une telle phrase est un acte primitif éclatant, réalisé par l'auteur "en tant que tel", qui donne la clé essentielle de l'interprétation de la pièce, dont il invite à saisir une sorte de second sens global caché sous la simple intrigue. C'est dit, le Malheur d'avoir trop d'esprit, envisagé ainsi, devient dans son entier un discours ambigu.

La multiplication des interprètes de l'auteur confère à ce dernier un statut complexe. Pour mieux comprendre à quel point Griboedov s'implique lui-même dans sa pièce, je m'attacherai maintenant à montrer quelques cas parti­culiers de sa constante irruption par des moyens "dérivés".

2. Actes dérivés

Seront considérés "actes dérivés" les actes par lesquels l'auteur indique son at­titude face au comportement des personnages, et, d'une façon générale, lorsque le fait que les personnages agissent ou s'expriment d'une certaine manière montre l'opinion que l'auteur a d'eux, notamment lorsqu'ils sont des person­nages blâmables ou ridicules. Plusieurs moyens de produire un acte dérivé re­tiendront mon attention dans le Malheur d'avoir trop d'esprit, à commencer par Y ironie d'auteur. Les jeux de mots ont eux aussi leur importance et, comme l'ironie, peuvent servir à l'auteur pour exprimer son attitude à l'égard de ceux qui ne saisissent pas l'allusion. Je verrai que l'aphorisme ridicule constitue un type particulier d'ironie d'auteur, et étudierai finalement le fonctionnement de la rumeur.

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2.1. L'ironie

2.1.1. Rappel théorique

En ce qui concerne la théorie de l'ironie mise en place par Ducrot. je renvoie d'une part à son ouvrage de 1984, au chapitre VIII. et d'autre part à l'exposé qu'en fait Reboul dans sa thèse de 1984. et aux applications spécifiques qu'elle en fait pour les besoins de l'analyse du dialogue théâtral (Reboul 1984, 99 ss.). Ducrot développe sa théorie de l'ironie dans la perspective polyphonique à partir des approches de Sperber & Wilson, Pour ceux-ci. qui s'éloignent de la théorie courante de l'ironie qui veut qu' "un énoncé ironique [soit] analysé comme ayant un sens littéral donné et un sens figuré opposé" (Sperber & Wilson 1981. 295; c'est Anne Reboul qui traduit), un locuteur qui produit un énoncé ironique "exprime une croyance sur son énoncé plutôt qu'au moyen de son énoncé" (idem, p.302). Sperber & Wilson décrivent l'ironie avant tout comme la mention de propositions, ce qui la rapproche du style indirect libre. Ducrot préfère, dans son approche polyphonique, "faire entendre une voix" à "mentionner un discours". Pour lui, en effet, on peut mentionner sans ironie.

Pour Reboul, qui complète une définition de Ducrot. "un énoncé ironique est un énoncé où est mis en scène un énonciaieur absurde dont l'acte est contemporain de renonciation, sans qu'un autre énonciateur lui soit opposé, auquel le locuteur pourrait s'assimiler". L'énoncé ironique doit en outre rema-térialiser un énoncé passé et son sens (comme l'entend Ducrot, à savoir la des­cription de son énonciation) consiste à décrire cet énoncé passé comme "dit dans le présent" et montrer ainsi son inadéquation à l'état de la réalité au mo­ment où l'énoncé ironique est produit.

En outre, Reboul développe la notion d'attitude propositionne lie et la définit ainsi : "J'appelle attitude propositionneile l'attitude indiquée implicite­ment ou explicitement que le locuteur prend face au contenu propositionnel d'un énoncé ironique (...) ou par rapport au contenu propositionnel de l'énoncé produit préalablement par la victime de l'ironie et que l'énoncé ironique rap­porte ou auquel il fait allusion (...)" (Reboul 1984. 110), L'attitude proposition­neile peut être par exemple une altitude de "feinte naïveté".

Dans le cas du dialogue théâtral, l'énoncé ironique dont la victime est dupe est toujours un acte dérivé de l'auteur, puisqu'il exprime lui-même son opinion face à la victime de l'énoncé ironique.

Reboul distingue les énoncés ironiques standard et les énoncés ironiques non-standard. Dans ces deux types d'énoncés ironiques, on considérera que

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l'auteur peut exprimer son opinion sur un personnage de deux manières. Premièrement, lorsqu'il fait dire au personnage une phrase ridicule dans la si­tuation dans laquelle il se trouve (il s'agit alors d'une ironie qu'on situera au niveau de D uniquement), et l'on considérera, toujours avec Reboul, que le lo­cuteur de l'énoncé ironique est l'auteur de la pièce, et l'énonciateur le person­nage. Deuxièmement, lorsqu'un personnage produit un énoncé ironique à ren­contre d'un autre personnage (il s'agit alors d'un énoncé ironique qui existe d'abord au niveau de d). l'auteur peut se servir de cet énoncé pour exprimer son opinion. Dans ce dernier cas. l'attitude propositionnelle adoptée par le person­nage qui produit l'énoncé ironique est bien en réalité l'attitude propositionnelle de l'auteur. C'est là une nuance à apporter au fait que l'ironie est un acte dé­rivé : le personnage qui produit l'énoncé ironique peut incidemment alors re­présenter aussi l'auteur lui-même11. Certains cas d'ironie, par exemple ceux qui donnent lieu à la formulation d'une opinion éthique, peuvent aussi consti­tuer des actes primitifs. A cet égard, je renvoie à l'analyse que Reboul fait de l'énoncé ironique produit par Cléante dans le Tartuffe de Molière : "Les senti­ments humains, mon frère, que voilà !" dit-il en réponse à Orgon qui décrit l'enseignement de Tartuffe : "Il m'enseigne à n'avoir d'affection pour rien. / De toutes mes amitiés, il détache mon âme : / Et je verrais mourir mon frère, enfants, mère et femme / Que je m'en soucierais autant que de cela." (Reboul 1984,119-129)

Les énoncés ironiques standard, selon la terminologie de Reboul. sont des énoncés dans lesquels l'énoncé-source est rcmalérialisé avec peu ou pas de modifications. Dans Le Malheur d'avoir trop d'esprit, je n'ai pas relevé de cas d'ironie standard d'auteur : dans aucun cas la victime de l'ironie n'est dupe de l'ironie, ce qui est indispensable pour que l'ironie ait lieu au niveau de D. Les cas d'ironie entre les personnages, au niveau de d. sont pléthore, et je ne m'y attarderai pas puisqu'ils ne laissent pas deviner la trace de l'auteur dans le pro­pos ironique.

" Il y aurait alors assimilation avec l'un des énonciateurs mis en scène par le locuteur. « qui laisse mon analyse conforme a l'approche de Reboul mais la pose en contradiction avec celle de Ducrot. Une telle approche se justifie lorsqu'on considère que l'ironie fonctionne dans le cas du texte de théâtre à un double niveau, celui de D et celui de d. Dans le cas de propos ironiques tenus au niveau de d. le personnage est considéré comme locuteur et ne s'identifie à aucun des enonciaieurs absurdes qu'il met en scène, et l'analyse de Ducrot est respectée. Mais quand on considère D. l'ironie prend parallèlement statut d'acte primitif et c'est l'approche de Reboul. telle que je l'applique, qui s'impose, et U peut y avoir identification de l'auteur-locuteur avec le personnage-énonciaieur qui produit un énoncé ironique.

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2.1.2. Enoncés ironiques non-standard

Reboul parle d'énoncés ironiques non-standard pour qualifier les énoncés iro­niques dont la source perd de son évidence. J'examinerai d'abord ceux dans lesquels les modifications opérées par nippon à l'énoncé source sont très im­portantes, qui constituent un premier type d'énoncés ironiques non-standard, puis ceux pour lesquels il n'existe pas d'énoncé source identifiable, qui consti­tuent le second type de ces énoncés.

Un exemple d'ironie d'auteur non-standard du premier type est à trouver à la scène 21 de l'acte III. La rumeur court que fackij est fou; on vient d'an­noncer la nouvelle à Platon MihajloviC qui s'étonne.

Platon Miliaihnil : Qui s'en est aperçu le premier? Maiatiia timitrievna : 19) Ah. mon ami! Tout le monde! Platon Mihailovif : ( 10) Si tout le monde en parle, il faut bien te croire.

Pour les besoins de l'analyse, je reformulerai (9) et (10) respectivement par "Tout le monde en parle" et par "Il faut bien le croire, puisque tout le monde en parle". Dans ( 10), je distingue l'énoncé "11 faut bien le croire ". que je note a. et "tout le monde en parle", que je note b. Rcboul analyse plusieurs énoncés de ce type chez Molière, et je fonde mon analyse de ( 10) sur son ap­proche.

Dans (10), tel que je l'ai reformulé. ( 10a) et (10b) sont mis en relation par le connecteur "puisque". Pour Ducrot. "puisque" "anicule deux paroles dont la seconde est donnée comme l'origine de la première" (Ducrot 1983, 180). Voici la description qu'en donne Ducrot, telle que la rapporte Reboul :

X puisque Y présente "l'acte q extrait de Y (...) comme antérieur à l'acte p extrait de X et articulé à q par puisque". Ducrot décrit les exemples de ce type en termes d'actes dénonciation : "pour lui, "l'assertion exprimée en Y, asser­tion qui joue le rôle de q, est reliée à un élément sémantique p constitué par re­nonciation de X : p dit pourquoi a été fait cet acte d'énonciation"" (Ducrot 1983, 175). Rcboul note que cette analyse présente un énoncé de ce type comme un acte concessif. Elle trouve dans un énoncé comme ( 10) la trace de l'ironie, et toujours sur ses traces, je propose la description suivante de ( 10) :

- L'acte d'énonciation (10) est dû à un locuteur qui met en scène 3 énonciateurs : - El est responsable de l'acte illocutoire d'assertion ( IQn) - E2 est responsable de l'acte d'assertion ( 10fr) - E3 est responsable du rapport entre les assertions ( 10a) et ( 10b) articule par "puisque" (ou. ici, par "si" qui semble fonctionner dans ce cas de la mime manière)

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Deux interprétations sont dès lors possibles : soit Platon Mihajiovic se moque de sa femme, Natalija Dmitrievna, soit il pense vraiment que (10a) constitue un argument suffisamment fort pour conclure (I0f>), ce qui CM ab­surde. La première interprétation semble peu vraisemblable, quand on connaît le caractère de Platon Mihajiovic;. C'est donc la seconde que je retiens.

Comme dans Georges Dandin de Molière, où Lubin dit (Acte II, scène 1 ) : 'Tu peux m'en croire, puisque j'en jure", on considérera ici que le locuteur est identifiable à l'auteur, et E3 est assimilé à Platon Mihajiovic. Quant à El et E2. on peut les assimiler respectivement à Platon Mihajiovic et à Natalija Dmitrievna, mais pour qu'il y ait présence d'ironie, la condition nécessaire et suffisante est que E3 soit assimilé a la victime de l'ironie, ce qui est réalisé icil2.

J'ajoute que la présence du "puisque", comme l'indique Reboul (Reboul 1984. 126), n'est pas indispensable : "les énoncés pertinents, explique-t-elle, seront ceux où un rapport absurde est établi entre deux propositions". Ici, la vérité du contenu propositionnel de (9) suffit, aux yeux de Platon Mihajiovic' (vicrime de l'ironie d'auteur), à justifier (10a) et donc à établir la relation ab­surde. Il y a donc aussi caractérisation de la pan de l'auteur, puisque le person­nage est incapable de déceler cette absurdité. Dans d'autres cas, une simple \ irgule peut établir la relation, comme lorsque que Hkstova, dans la même scène, déclare : "C'était un homme intelligent, il avait trois cents âmes".

Les cas d'ironie d'auteur les plus courants dans Le Malheur d'avoir trop d'esprit sont des cas d'ironie non-standard du second type. Ainsi, à la scène 3 de l'acte 11. nous trouvons :

MulMin <•••) (11) Chacun a ses mérites. QKMJ •' E' ' M vôtres sont...?

(12) J'en ai deux : la modération, la ponctualité.

(13) Admirable! Ces deux mérites-là valent plus cher que tous les nôtres!

Le fait qu'en (13), Cackij exprime une opinion à laquelle il n'adhère pas, mais à laquelle il suppose que Molcalin, lui, adhère, montre que (13) est bien

' - On peut cependant nuancer l'analyse, a la lumière de la suite du propos de Platon MihajloviC : "Mais quand-même, je suis un peu sceptique". Mais cette phrase ne vient pas a rencontre de l'ironie d'auteur : ce n'est pas "un peu sceptique" qu'il faudrait être, mais "absolument incrédule", et Plaion Mihajiovic ne lardera d'ailleurs pas à rejoindre définitivement l'opinion générale, convaincu par Famusov et les autres.

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un énoncé que Cackij prête à Molcaiin. Je dirai qu'ici, Cackij, auquel l'auteur s'identifie, met en scène un énonciateur El qui produit (13), auquel Molcaiin est assimilé. (13) permet ainsi à l'auteur de montrer la sottise de Molcaiin qui estime que la modération et la ponctualité sont des mérites très élevés.

Il y a d'autres cas d'ironie d'auteur, en particulier lorsqu'un personnage produit un énoncé absurde ou ridicule, soit qu'il infère mal ce qu'on lui dit, comme le stupide colonel Skalozub dans la scène 6 de l'acte I! qui croit que Cackij critique précisément la Garde alors que son propos porte sur l'armée en général, soit qu'il exprime des opinions stupides, comme Famusov à plusieurs reprises. Parfois, l'auteur fait dire à son personnage des phrases didactiques ri­dicules, qui permettent de le caractériser puisque bien entendu, il ne saisit pas l'absurdité de ses paroles. Ainsi, à la scène 1 de l'acte 0 :

Emmat:(-~) f 14) Oh. comme le monde est drôlement fait! Quand on y pense, sur le plan philosophique, on en a le vertige! D'une pan on suit un régime, et d'autre pan on sort pour déjeuner. On mange pendant trois heures et ensuite on met trois jours à digérer tout cela! f...) Oh.' race humaine! etc.

L'auteur-locuteur met ici en scène un énonciateur. Famusov, auquel il ne s'identifie pas. En effet, les termes qu'utilise Famusov sont absurdes : il parle de philosophie et croit alors investir l'espace de l'auteur, car dès qu'il y a un énoncé didactique recevable. il est imputable à l'auteur. L'ironie naît ici de la disproportion entre les événements auxquels Famusov fait allusion (déjeuner, suivre un régime, digérer...) et l'aspect de profonde philosophie que Famusov croit mettre dans son énoncé. Elle tient peut-être aussi au fait que Famusov ad­hère étroitement au mode de vie qu'il fait mine ici de critiquer.

Certains énoncés didactiques ridicules forment des aphorismes particu­liers qui constituent des actes dérivés.

2.13. Un cas particulier d'ironie d'auteur : les aphorismes ridicules

Dans l'aphorisme ridicule, l'auteur ne peut s'assimiler à aucun des énonciateurs mis en scène. Ainsi, toujours dans la scène I de l'acte 11 :

FumuMv : t...) (15) Celui qui veut laisser un bon souvenir doit mener ici-bas une vie exemplaire.

- L. assimile à l'auteur, met en seine :

- El, assimilé a Famusov. qui. pour introduire l'exemple du Chambellan qui. selon lui. eut une vie "exemplaire", produit Cl : "le Chambellan laisse un bon souvenir puisqu'il a mené une vie exemplaire";

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- E2. auquel l'auteur ne s'identifie pas, qui produit C2 : "Ne laisse un bon souvenir que uelui qui a mené une vie exemplaire ".

D'une part, il faut remarquer que l'aphorisme est ridicule dans le sens où il est très facile de le contredire, malgré son allure de truisme : même celui qui mené une vie agitée peut laisser un bon souvenir. D'autre part, le ridicule tient aussi à l'usage du mot "exemplaire" auquel Famusov donne un sens extrême­ment simpliste, ainsi qu'il le montre dans la suite du monologue.

Autre exemple, à la scène 4 de l'acte 1. qui s'analyserait de façon iden­tique à <. 15). lorsqu'on sait quel genre de père est Famusov et à quel point il in­carne tout ce que Griboedov condamne : Famuxav : Quand an a sous 1rs yww / 'exempte d'un pire, tout autre modèle est inutile.

L'ironie, tant au niveau de d qu'à celui de O, est très présente dans le Malheur d'avoir trop d'esprit. Cela tient à deux facteurs principaux. En pre­mier lieu, nombre de personnages - si ce n'est tous - sont ridicules, au moins à un moment de la pièce, et Cackij comme les autres, notamment lorsqu'il achève le monologue final de l'acte 111, puisqu'il croit avoir des interlocuteurs alors qu'il n'en a pas. Or, si un personnage produit un énoncé ridicule, on peut toujours y voir la trace de l'auteur, qui ironise a son sujet. En second lieu, la présence de l'ironie s'explique par celle de la critique, et qu'en fin de compte, l'ironie est un jugement, comme on l'a vu. sur un énoncé et sur son énoncia-teur. Les personnages sont ainsi constamment jugés et critiqués par l'auteur.

1.1. Enoncés ambigus

Certains énoncés ambigus sont des actes primitifs, lorsqu'ils constituent une critique ou une allusion directe de l'auteur au public par l'intermédiaire d'un personnage, comme je l'ai montré au chapitre 1. auquel je renvoie pour la des­cription polyphonique de l'énoncé ambigu. D'autres en revanche appartiennent à la catégorie des actes dérivés, car ils permettent de mettre en évidence le fait qu'un personnage n'infère pas C2. et il est alors significatif que les personnages se conduisent d'une certaine manière.

Il n'y a guère d'énoncés ambigus qui constituent des actes dérivés dans le Malheur d'avoir trop d'esprit. L'un des seuls exemples se situe à la scène 5 de l'acte 11, lorsque £ackij, s'adressant à Famusov et au colonel Skalozub, cri­tique les vieillards qui sont les "ennemis intransigeants de la liberté" et qui pui­sent leurs jugements dans de vieux journaux. Ce passage constitue un énoncé

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ambigu qui relève des actes dérivés dans la mesure où les deux allocataires n'infèrent pas le contenu C2 qui les inclut dans la catégorie des vieillards.

Un seul cas rerient mon attention, parce qu'il me semble constituer un jeu de mots d'un type tout particulier, où l'énonciateur lui-même n'est pas conscient du contenu propositionneI C2 qui se "cache" dans ce qu'il dit. Cackij critique, justement, les vieillards, à la suite du passage que je viens d'évoquer, toujours dans la scène 5 de l'acte II :

Cackii : (...) f 16) Ils sont toujours prHs à critiquer, ils reprennent toujours la mime chanson, sans s'a­percevoir que le temps ne les arrange pas, eux non plus!

Comme cette critique s'applique fort bien à Cackij lui-même, je décrirai (16) de la manière suivante : Le locuteur (l'auteur) met en scène deux énonciateurs El et E2 tels que : - El, assimilé à tackij. produit un contenu propositions I Cl : "Les vieillards sont toujours prêts à critiquer, etc." - E2, auquel le locuteur s'identifie, produit un contenu proportionnel C2 : "Cackij est tou­jours prft à critiquer, etc.".

11 ne faut pas s'arrêter au terme "vieillard", antécédant de l'anaphorique ils. En effet, le but de Cackij, au-delà de l'insulte faite aux deux allocataires, est de railler d'une façon générale ceux qui passent leur temps à critiquer. Or, Cackij lui-même entre dans cette catégorie. Du fait que le personnage est lui-même, en quelque sorte, "victime" de C2. (16) peut aussi ressembler à un cas d'ironie d'auteur puisqu'il est ridiculisé. Dans ce jeu de mots, Cackij est à la fois le porte-parole de Griboedov lorsqu'il prononce l'énoncé, ce qui en fait un cas d'acte primitif, et dirige une critique contre lui-même sans s'en rendre compte, ce qui donne un indice de ses limites, de son orgueil, enfin, de son ca­ractère, ce qui en fait un cas d'acte dérivé.

23. La rumeur

Le dénouement du Malheur d'avoir trop d'esprit est provoqué par la rumeur, lancée par Sofija, selon laquelle Cackij est fou, et que chacun s'empresse de croire et de répéter avec force exagérations. La source de cette rumeur est bien entendu l'auteur lui-même, et l'établissement d'une rumeur relève bien d'un acte dérivé, puisqu'elle permet à l'auteur de montrer à quel point chacun est prêt à la croire alors qu'elle est sans fondement. C'est pour cette raison que la rumeur donnera des effets ironiques comme (10) et nombre d'effets comiques d'exagération. On dira que la rumeur est une information sans fondement, fausse dans la plupart des cas, qui a tendance à être rapidement propagée et

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amplifiée. Il s'agit toujours d'une information à caractère extraordinaire, et d'apparence exacte : dans Le Malheur d'avoir trop d'esprit, tout le comporte­ment de Cackij, jusque là étrange aux yeux de la société moscovite, semble soudain s'expliquer par le fait qu' "il est fou"13.

Dans le cadre de l'approche polyphonique, on peut tenter une description de la rumeur de la manière suivante : le locuteur-auteur met en scène un énon-ciateur El, qui produit l'énoncé qui lance la rumeur. Cependant, dans le cas le plus courant qui est celui de la rumeur fausse, le locuteur s'identifie à El tout en ayant conscience de la fausseté de l'énoncé qu'il cherche à faire croire. Il se trouve donc en position de menteur. 11 met ensuite en scène, à divers moments de la progression de la rumeur, divers énonciateurs qui reprennent le contenu pruposiiionnel de la rumeur et l'augmentent régulièrement d'éléments qui lui donnent chaque fois un aspect plus indéniable et plus extraordinaire. Il y a donc une prolifération d"énonciateurs dont le nombre n'est pas fixé et tend vers l'in­fini, jusqu'à ce que la rumeur soit brusquement et définitivement démentie. En somme, on obtient la description suivante : L met en scène El qui produit p; p est faux, et L le sait, mais il s'identifie à El. De plus, pour distinguer la rumeur du simple mensonge, il faut que El mette en scène différents énonciateurs qui tiennent p pour vrai :

L (El ;p (p es» faux et L sait que p es faux» L s'assimile à El JE2:p (p est vtai et E2... En croient que p

|... est vrai) (EnP

El ne s'assimile pas à E2.., En

Tout énonciateur qui prend part à la rumeur fait montre de certains traits de caractère négatifs : crédulité, goût de l'inouï, etc. Les réactions de l'énon-ciateur sont donc disproportionnées par rapport à la réalité du moment où l'é­noncé est produit, et son attitude générale en devient ridicule, lorsque l'écart entre la réalité et le contenu proportionnel de l'énoncé est si grand que le contenu propositionnel en devient absurde. En ce sens, la rumeur dans son en­semble contient des cas d'ironie d'auteur comme (10).

Dans le cas de la rumeur selon laquelle C-ackij est fou, il faut noter que l'énonciateur El qui produit l'énoncé qui la lance, assimilé à Sofija, sait perti­nemment qu'elle est fausse et donc le premier énoncé qui lance la rumeur sert

'- Cette société est aussi prête a croire la rumeur, du tait d'une sorte d'instinct collectif qui cherche a exclure celui nui n'adhère pas aux conventions sociales. En ce sens, la rumeur du Malheur d'avoir trop d'esprit est, a un autre niveau, une description des rumeurs qui pHwivaicnt courir sur le compte des étrangers ou de ceux qui pensaient "différemment".

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parallèlement à l'auteur pour appuyer un trait de caractère de Sofija. et son opi­nion sur elle sera transmise par la bouche de Cackij lorsqu'il s'en apercevra : "C'est donc à vous que je dois cene découverte!" (Acte IV, scène 14).

Ici, la rumeur est lancée par un premier acte d'assertion de Sofija (Acte in. scène 14) : Moniteur N. s'approche. Vous êtes songeuse Sofija Je songe à Cackij. Monsieur N. : Comment l'avez-vous trouve à son retour? Sqfiia : {17) Pas tout à fait normal

C'est bien (17) qui lance la rumeur, et au total 11 personnages s'en feront l'écho et feront subir à la rumeur une telle distorsion que chaque énonciaieur ou presque produira un nouvel énoncé de rumeur avec un nouveau contenu pro-posiûonnel : Cl "Cackij n'est pas IOUI à fait normal" C2 : "Cackij a perdu l'esprit" C3 : "Cackij a passé un certain temps & l'asile de fous, enchaîné" C4 : "Une btes-sure au front a rendu fou Cackij " C5 : "Cackij est devenu franc-maçon" C6 : "Cackij est passé aux musulmans" C7 : "Quelqu'un a emmené Cackij en prison" CX : "Cackij a la mauvaise hérédité de sa mire qui avait huit fois perdu l'esprit" C9 : "Cackij était un buveur invétéré qui avalait des tonneaux entiers de Champagne" ClO : "Cackij est devenu fou à force de fréquenter les lycées" Cil : "Cackij a des yeux de fou"

L'énumérarion montre bien la force comique que renferme la rumeur. Sous certains aspects, elle peut engendrer des jeux de mots, comme à la scène 22 de l'acte III lorsque Cackij apparaît, Famusov lui dit :

Famusov : (...) il H) Tu « vraiment malade.

(18) est une phrase à laquelle on peut attribuer deux contenus proposi-tionnels : Cl : "Cackij n'a pas l'air en bonne santé" C2 : "Cackij est un malade mental"

Mais cet effet de jeu de mots est le seul que Griboedov tire de la rumeur. On peut cependant imaginer aisément que de nombreux quiproquos peuvent être dus à une rumeur : on croit quelque chose sur quelqu'un, ce n'est pas vrai. C'est ainsi que bien des énoncés peuvent avoir un double sens.

La rumeur est donc aussi un acte dérivé, ou plutôt une série d'actes déri­vés qui contient des cas d'ironie d'auteur, des jeux de mots, des quiproquos. L'auteur exprime par la rumeur son opinion sur une série de personnages. Ici,

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Sofija est menteuse et agit avec bassesse, Zagoteckij est mythomane, la jeune comtesse est prétentieuse, la vieille comtesse est friande de potins, Platon MihajloviS est naïf. Et à un autre niveau, le lancement d'une rumeur permet à l'auteur de faire, en quelque sorte, une expérience dans le laboratoire social que constitue le théâtre.

Le Malheur d'avoir trop d'esprit est prolixe en actes dérivés : c'est une comédie, et les actes dérivés ont souvent une grande fonction comique. La ru­meur est comique, on l'a vu, mais l'ironie d'auteur, et les phrases ambiguës le sont tout autant 11 semble même que plus l'intrusion de l'auteur est forte, plus l'effet comique est puissant. En quelque sorte, on peut, par ces actes dérivés, avoir le sentiment que l'auteur "manipule" la société expérimentale que for­ment les personnages et qu'il leur fait subir à son gré ses propres railleries. En outre, le personnage ridicule est toujours en position d'infériorité face à l'au­teur et donc face au public qui, lui, est appelé à saisir ce que le personnage ridi­cule, lui. ne saisit pas. Il y a donc une forme d'intimité qui se crée par l'acte dérivé entre l'auteur et le public et qui permet de rendre certains personnages plus sympathiques ou admirables et d'autres plus ridicules ou stupides. C'est là la caractérisation qui semble particulièrement évidente lors d'effets comiques.

Le comique lié aux actes dérivés me semble tenir en grande partie à cette inadaptation du personnage à la situation dans laquelle il se trouve, inadapta­tion qui nous renvoie au Rire de Bergson : par exemple, dans un cas de jeu de mots ou de quiproquo, on trouvera le fameux "effet de vitesse acquise" (Bergson 1983, 7) qui empêche le personnage de soupçonner qu'un autre contenu prépositionnel existe dans l'énoncé, et dont l'auteur est le locuteur.

3. Conclusion

Il y a des cas d'intervention directe de l'auteur que je n'ai pas pu, faute de place, passer en revue dans le cadre de cet article. Par exemple, la question de l'identité de l'auteur avec Cackij et avec Repetilov est intéressante. Dans le dialogue fameux entre les deux hommes, au cours de l'acte IV, la question de savoir chez qui l'on trouvera une plus forte identification entre le locuteur-au­teur et son énonciateur-personnage mériterait un développement : après tout, Repetilov représente aussi I" "homme d'esprit" membre de sociétés secrètes, etc. De plus, on peut supposer que Griboedov a curieusement une certaine sympathie pour Repetilov, cl Dostoevskij, dans sa critique du Malheur d'avoir

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trop d'esprit, le trouve particulièrement humain, jusqu'à affirmer qu'il est le personnage le plus attachant et pathétique de la pièce'4.

Autre cas qui appelle un développement, celui de la mise en scène par Cackij d'un autre personnage, c'est-à-dire d'un autre énonciateur, dont il va "jouer le rôle", dans la scène 1 de l'acte III :

CoLÀii < à pan : ) Pour une fois, je vais jouer un rôle.

Ce rôle sera de faire semblant d'accepter l'idée que Molcalin est un gar­çon intelligent. Nous aurions l'auteur-locuteur qui mettrait en scène un énonciateur El, Cackij, lui-même mettant en scène un énonciateur E2. assimilé à un personnage imbriqué dans le personnage, une sorte de faux Cackij.

Tous les exemples que j 'ai cités constituent des cas où l'expression de D est immédiatement appréhendable, qu'il s'agisse d'actes primitifs ou dérivés. Mais il ne s'agit là que de la partie visible de l'iceberg : chacun admet qu'au travers de chaque élément de son œuvre, l'artiste lui-même exprime un point de vue. Le public d'une pièce de théâtre est constamment confronté à des émo­tions, des situations, des jugements qui finalement l'amènent à saisir ce qu'on appelle un peu trivialement le "message" de l'auteur, à savoir D.

Le Malheur d'avoir trop d'esprit est écrit en vers, ce qui me semble une preuve particulièrement évidente de l'aspect "composé" du texte. Or, à travers ces rimes, à travers cette composition, c'est le style de l'auteur qui se déve­loppe. On peut donc affirmer que le locuteur-auteur est le seul à s'exprimer, et que les personnages ne peuvent intervenir que parce qu'ils sont des entités abs­traites imaginées et mises en scène par l'auteur. C'est dans ce sens qu'il faut comprendre le fait que le locuteur-auteur met en scène des énonciateurs assimi­lés à des personnages, tout comme dans les cas de conversation courante, il est nombre de situations où le locuteur met en scène des énonciateurs abstraits, imaginaires, comme lors d'énoncés négatifs polémiques, décrits par Ducrot Les personnages ne sont finalement que des matérialisations temporaires de ces énonciateurs, et dans cette mesure, le théâtre pourrait être vu comme une repré­sentation des fonctions discursives ou argumentâmes dans un perspective po­lyphonique.

Que Le Malheur d'avoir trop d'esprit soit rimé met en évidence le fait que les personnages n'ont pas de statut propre en dehors de l'acte auctorial. Ainsi, même lorsque les personnages semblent ne pas faire attention l'un à

!*• Voir Troubetzkoy (1990. 295)

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karbonari takov

Jychil ïiiMV pichet polûtok poobedai platok propaveâai

A B

C H C 0 E D £

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l'autre et ne parler que pour eux-mêmes, comme c'est le cas dans la scène 1 de l'acte II. l'existence des rimes qui relient les répliques les unes avec les autres montre qu'il existe un lien implicite entre CES répliques, et qu'au-delà de l'ap­parente incohérence de d, elles constituent, à un autre niveau, un monologue de l'auteur. Que ce monologue soit "décousu", contradictoire, est une autre ques­tion. Le voici en français et les rimes en translitération internationale :

BMMMI •' Ah! mon Dieu.' C'est un "carbonari"! Cackji : Non, te monde a bien changé. Fnmusm : Un homme dangereux! fiu-kij : Chacun respire désormais plus librement et refuse de s'enrôler dans le régiment des bouffons! fanûtrfiv •" Comme il parie! On dirait un écrivain! Cackii -' Venir bailler chez les prvtecteurs. fixer te plafond, garder le silence, traîner ses bottes, prendre place à table, approcher la table, ramasser le mouchoir... Fiimusov ; // veut prêcher la liberté! etc.

On voit bien, dans cet extrait, que les rimes sont organisées sans aucun rapport avec l'ordre des répliques, et il est même une réplique qui forme un demi-vers achevé par la réplique suivante. C'est un cas qu'on trouve souvent chez les auteurs français, chez Molière par exemple. Pour Reboul, "au théâtre tout au moins, l'énoncé c'est l'ensemble du texte conçu comme D. C'est pour­quoi il suffit d'une trace de la présence de l'auteur (...) à l'intérieur d'un texte de théâtre pour qu'on puisse analyser ce texte sous les catégories de la poly­phonie théâtrale" (Reboul 1984, 97- 98). Or. la rime est un élément de compo­sition qui ne relève que de l'auteur, et constitue ainsi une trace de cet auteur à travers toute la pièce. On ajoutera, toujours à la suite de Reboul, que ce sont l'auteur et les comédiens qui parlent en vers, mais non pas les personnages (énonciateurs) qui n'expriment que les contenus exprimés par eux (Reboul 1984.90). 11 me semble intéressant de noter que dans Le Malheur d'avoir trop d'esprit, l'écriture en vers libre contribue à l'aspect sentencieux de certaines phrases comme les aphonsmes. et appuie le ridicule d'énoncés absurdes. La rime joue donc aussi un rôle, dans la présence d'ironie d'auteur par exemple

Le panorama général que j'espère avoir dégagé montre que l'auteur est à chaque page prêt a apparaître, que ce soit par l'ironie, l'ambiguïté, ou simple­ment à travers les énoncés de ses personnages, principalement de Cackij. L'œuvre s'en trouve particulièrement brillante : Griboedov lui-même est l'au­teur des phrases "brillantes" de son héros, et c'est lui-même qui malmène avec brio la société moscovite du début du dix-neuvième siècle. Le bruit courait, à l'époque, que Griboedov était l'esprit le plus brillant de Russie; Cackij est lui aussi l'esprit le plus brillant de la "Moscou de Famoussov" Mais si £ackij, comme son double Repetilov, ne parviendra rien à changer, Griboedov lui-

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même, avec Le Malheur d'avoir trop d'esprit n'aura pas pu, en tout cas à temps, changer la société non plus.

Ces réflexions ouvrent sur des problèmes Lés à l'identification de l'au­teur avec son ou ses personnage(s), qui dans l'œuvre de Griboedov dépassent le cas de cette étude. Je l'ai dit : Griboedov semble être aussi bien l'un que l'autre, s'impliquer dans le discours de différents personnages dans une sorte de nébuleuse où les traces de l'auteur déroutent : la fresque relève d'un homme contradictoire et porte, contrairement à ce qu'on croirait, en plus du message qui condamne et tourne en ridicule la société moscovite dans son ensemble, un autre message, qui tourne en ridicule aussi bien le héros, et. pourquoi pas, dès lors, l'auteur lui-même.

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DUCROT O (1982), "La notion de sujet parlant". Recherches sur la philosophie et le langage 2.65-92.

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REBOUL A. 1984, Le discours théâtral. Problèmes de narratologie et de prag­matique linguistique. Thèse de 3e cycle. Paris. EHESS, chapitre 2.

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Annexe : Résumé du 'Malheur d'avoir trop d'esprit" Actel Liza, la servante de Famusov. s'éveille. C'est l'aube, et elle doit de toute urgence réveiller sa maîtresse Sofija. fille de Famusov. qui a passé la nuit avec Molcalin. le secrétaire de son père. Molcalin s'éclipse mais tombe malencontreusement nez-a-nez avec Famusov qui soup­çonne le subterfuge. Pour le tirer d'embarras. Sofija accuse son pète d'être injustement colé­rique. Famusov et Molcalin sortent. Soudain. Cackij arrive. Il est de retour aptes trois ans de voyages et vient retrouver son ancien amour, Sofija. dont il ne suppose pas qu'elle ne l'aime plus. Immédiatement, il se livre à d'ascerbes critiques du tout-Moscou, qui passe sa vie de bal en bal et dans l'ignorance des problèmes du monde. Acte 2 Famusov est dans son bureau avec Motôalin, occupé à dresser son agenda de la semaine- D n'y inscrit que des futilités, et profite pour philosopher a bon marché. Cackij vient le saluer Famusov vante les mérites de son oncle qui fît le pitre devant l'impératrice pour gagner ses bonnes grâces, attitude que Cackij condamne dan\un monologue enflammé. Ils se disputent. Arrive le colonel SkaJomb. et Famusov supplie Cackij de rester coït Skalozub est un offi­cier obtus; Famusov et lui s'entendent à merveille pour condamner tout ce qui ressemble a des idées nouvelles. Cackij, sortant de sa réserve, se livre à un nouveau monologue en­flammé contre les vieillards, "ennemis intransigeants de la liberté". Soudain. Sofija entre dans la pièce et se précipite a la fenêtre : MolEalin est tombé de cheval, et elle s'évanouit de terreur. La chute est sans gravité, mais Cackij a compris avec amertume qu'elle aime Molcalin. Ce dernier profite d'une occasion favorable pour faire une cour effrénée à Lia, lui déclarant qu'il n'aime Sofija que "par devoir".

Acte 3 Cackij trouve Sofija. qui lui reproche de toujours tout critiquer. Elle s'en va. Molcalin arrive. Cackij discute avec lui et le tourne en ridicule par des répliques ironiques. Le soir est tombé. on donne une soirée chez les Famusov et les invités arrivent. Tous ou presque sont futiles ei stupides. Tour a tour, ils saluent Cackij qui les tourne en ridicule. Sofija lance la rumeur qu'il est fou. et tous la reprennent, y compris Famusov. Cackij arrive et se livre a un violent réquisitoire contre les nouvelles modes. Lorsqu'il se tait enfin, il s'aperçoit que personne ne l'écoute : tous valsent avec entrain.

Acte 4 Les invités quittent la soirée. Cackij son et réclame sa voiture mais ne trouve pas son la­quais. Contraint d'attendre, il a une conversation avec Repetilov, un ivrogne raté qui fré­quente des sociétés qui n'ont de secrètes que le nom. Cackij le fuit et se cache dans la loge du portier, d'où il entend les invités qui parlent de sa soi-disanlc folie. Sofija envoie chercher Molcalin pour leur rendez-vous secret, mais assiste dans la pénombre aux avances qu'il fait a Liza. Elle lui fait une scène, et Cackij. qui a tout vu, apparaît. Famusov, attiré par le bruit, arrive à son tour et entre en colère. Dans le flot de ses paroles, il lâche qu'elle est .1 l'origine de la rumeur de la folie de Cackij. Ecœuré, il se lance dans un grand monologue dans lequel toute sa désillusion et sa haine éclatent, puis il pan pour toujours, "chercher un refuge pour un cœur brisé".

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Droit de réponse François Rastier a demandé un droit de réponse a un paragraphe de l'article de Jacques Moeschler "Lexique et pragmatique", para dans les Cahiers de Linguistique Française 14. 1993, pages 7-35. Nous le lui avons bien volontiers accordé. Pour autant, nous laissons à François Rastier l'entière responsabilité des propos et des opinions exprimés dans le texte qui suit

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