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DU MÊME AUTEUR

L'homme noir d'Afrique. Dakar, 1951. Mission dans l'Est libérien. Résultats démographiques,

ethnologiques et anthropométriques. Dakar, 1952. Les portes sculptées du Musée d'Abidjan. Dakar, 1952. Échantillons du folklore kono. Conakry, 1952. Les masques kono : leur rôle dans la vie religieuse et politique.

Paris, 1952.

Le culte de Zié. Éléments de la religion kono. Dakar, 1955. Les Sénoufo (y compris les Minianka). Paris, 1957. Cultures matérielles de la Côte d'Ivoire. Paris, 1960. La création du monde. Paris, 1960.

Changements sociaux en Côte d'Ivoire. Paris, 1961. Les Toura. Esquisse d'une civilisation montagnarde de Côte

d'Ivoire. Paris, 1962.

Ouvrages et articles 1944-1962. Paris, 1962. Sculpture sénoufo. Abidjan, 1964. Religions de l'Afrique noire. Paris, 1964. Le séparatisme religieux en Afrique noire : l'exemple de la Côte

d'Ivoire. Paris, 1965.

Industries et cultures en Côte d'Ivoire. Abidjan, 1965.

En préparation : Arts de la Côte d'Ivoire.

Image du monde bété. Le Gagou : son portrait culturel.

LA CÔTE D'IVOIRE

Première édition 1963

République de Côte d'Ivoire Ministère de l'Éducation Nationale

CENTRE DES SCIENCES HUMAINES Côte d'Ivoire

Deuxième édition, revue et augmentée Paris, 1965.

B. HOLAS

LA CÔTE D 'IVOIRE PASSÉ - PRÉSENT - PERSPECTIVES

LIBRAIRIE ORIENTALISTE PAUL GEUTHNER S. A. 12, rue Vavin, PARIS - V I

1965

AVANT-PROPOS

Parmi les États indépendants de l'Afrique noire, la République de Côte d'Ivoire occupe, sans conteste, une place importante. Les progrès rapides qu'elle est en train de réaliser depuis quelques années dans tous les domaines s'expliquent par la volonté commune d'une construction nationale moderne qu'a su mobi- liser, sous la devise de fraternité humaine, un guide aussi exceptionnel que le Président Félix Houphouët-Boigny dont la personnalité associe toute la sagesse de ses ancêtres baoulé à un talent, une lucidité politique remarquables.

D'ailleurs, l'aptitude à harmoniser dans un même corps étatique les deux principes, tradition et modernisme, prête à ce pays un aspect caractéristique. Les vieilles coutumes s'adaptent aux impératifs économiques nouveaux, sans perdre de leur dignité, sans exposer à d'irréparables crises la société rurale dont dépend, en somme, la stabilité interne de la République.

Au point de vue structural, la nation ivoirienne, composée d'une multitude d'ethnies parlant une soixantaine de langues, se trouve aujourd'hui sur le chemin de l'unité, préparée par la période de présence française.

En effet, le Président Houphouët-Boigny l'a déclaré à plusieurs reprises, la Côte d'Ivoire n'a pas voulu rompre les liens amicaux qui l'unissaient à l'ancien pays colonisateur. C'est en partie cette bonne entente qui a permis aux bâtisseurs du nouvel État d'opérer un glissement harmonieux de l'économie fédérale centrée sur la métropole vers une économie libérale, autonome.

Sur le plan intellectuel, la Côte d'Ivoire, tout en disposant d'un impressionnant héritage culturel, de valeurs morales propres,

accepte de s'inspirer, en opérant elle-même son choix, du brillant modèle français. Ce qui n'exclut point, bien sûr, des ouvertures nombreuses sur le reste du monde civilisé.

Membre de l'Union africaine et malgache (devenue l'U.A.M. C.E.), l'un des signataires les plus éminents de la Charte de l'unité africaine (l'O.U.A.), conclue en 1963 à Addis-Abéba, et pays pilote dans le Conseil de l'Entente, de l'O.C.A.M. (Organi- sation commune africaine et malgache), la Côte d'Ivoire est appelée à jouer un rôle capital dans la coopération continentale.

La pondération dont elle a déjà apporté des preuves devant l'opinion mondiale fait de la jeune République un partenaire recherché par les puissances occidentales et, en même temps, un agent de modération de la politique internationale. Car sa voix est considérée comme une expression raisonnable de ce continent en effervescence qu'est l'Afrique de nos jours.

CADRE PHYSIQUE

Instituée en Colonie en 1893, faisant partie de la Fédération d'Afrique occidentale française depuis 1904, promue au rang de Territoire d'outre-mer en 1946 et République indépendante depuis 1960, la Côte d'Ivoire ressemble, sur le plan géographique, à un quadrilatère irrégulier qui s'étend entre les 5e et 8e degrés de latitude nord et les 5e et 10e degrés de longitude ouest.

Au nord, ses actuelles frontières politiques séparent la Côte d'Ivoire de ses anciens partenaires fédéraux : le Soudan français devenu République du Mali et la République de Haute Volta, cette dernière ayant fait partie de l'ensemble administratif Côte d'Ivoire-Haute Volta entre les années 1932 et 1947.

Au sud, l'Océan atlantique par son Golfe de Guinée offre à la Côte d'Ivoire une frontière naturelle longue de plus de 550 kilomètres, faisant d'elle un pays à vocation maritime.

Au nord-ouest, la Côte d'Ivoire a pour voisine la République de Guinée, et à l'ouest, la République de Libéria : leur frontière commune a été délimitée par une convention passée avec la France en 1892.

A l'est, enfin, c'est la même frontière qui, établie par la convention franco-britannique de 1893 entre l'ancien Territoire de Côte d'Ivoire et l'ancienne Colonie de Gold Coast, sépare aujourd'hui la République éburnéenne de la nouvelle République de Ghana.

A part la mer, aux côtes tantôt sableuses, tantôt parsemées de rochers, constamment attaquées par une violente barre rendant malaisée la navigation, la Côte d'Ivoire ne possède nulle part ailleurs de véritables frontières naturelles — les quelques fleuves frontaliers tels que le Cavally au sud-ouest ou, du côté opposé, la Volta noire, devant être considérés comme des

facteurs de contact plutôt que comme des facteurs de séparation. En somme, résultant presque exclusivement des incidences administratives, la partie de l'Afrique occidentale qui porte, depuis les temps des premiers navigateurs, le nom de Côte d'Ivoire, ne constitue pas une entité géographique, et c'est par là que s'explique aussi l'extrême variété des populations qui l'habitent.

Le sol de la Côte d'Ivoire, bien qu'il ne soit couvert que d'une couche insuffisante d'humus, ne peut guère être qualifié de pauvre dans son ensemble. Si, pour l'instant, il ne bénéficie pas de l'application généralisée de techniques agricoles intensives, les études pédologiques en cours permettent de bons espoirs. Naturellement, il faudra qu'une fertilisation artificielle aide au rendement.

Il existe cependant, surtout à proximité des frontières sud-est, des zones de terres dites birimiennes, précieuses pour la culture du cacaoyer, et, un peu partout dans le secteur sylvestre, des terres propices aux plantations de caféier et de banane.

L'aspect géologique de la Côte d'Ivoire est dominé par la présence de formations aréneuses, surtout sur le littoral où les sables néogènes constituent de vastes plages bordées de cocotiers, et de terrains latéritiques aux différents stades de décomposition, caractéristiques des parties médiane et septentrionale. Un substrat de rochers — schistes cristallins, roches sédimentaires métamorphiques, roches éruptives — supporte partout une nappe inégale de charriage.

Exception faite pour quelques gisements de calcaire bitumeux repérés dans la région d'Aboisso et d'Assinie, dans la forêt du sud-est, les compositions calcaires sont plutôt discontinues en Côte d'Ivoire.

Il est probable, toutefois, que la prospection géologique, acti- vement menée, apportera dans ce secteur de nouveaux indices appréciables.

Une importante exploitation de minerais de manganèse, par la société de Mokta, existe déjà dans la zone lagunaire aux environs de Grand Lahou.

Quant aux roches de type cristallin, représentées en l'occur- rence par diverses alternatives du gneiss, elles se rencontrent

surtout dans le nord, composant les dômes de Séguéla ainsi que les éminences noirâtres qui jalonnent la ligne Boundiali- Korhogo-Dabakala.

Fréquentes dans les savanes du centre, les roches sédimen- taires métamorphisées, représentées essentiellement par des schistes micacés et des schistes amphiboliques, forment les nombreuses collines qui entourent Toumodi, dans le massif du Yaouré, etc., tandis que des quartzites se rencontrent dans la région de Bondoukou.

Parmi les formations archaïques d'origine éruptive, on trouve aussi bien des roches basiques (comme le filon de diorite dans le massif d'Akoué) que des roches granitiques, acides (comme les sites de pegmatite des alentours de Bouaké).

Dans l'ensemble, la Côte d'Ivoire possède un relief plutôt monotone, à peine égayé par quelques groupes de buttes ne dépassant pas, pour la plupart, 200 ou 300 mètres ; c'est le cas de Mankono, Séguéla, Boundiali et Odiéné, de la chaîne de collines baoulé et, enfin, du système chaotique des hauteurs éparpillées le long de la côte telles que celles de Grabo, de Béréby, de Kouta et, dans une mesure moindre, les quelques surélévations de terrain en bordure nord du système lagunaire.

La montagne, la vraie — escarpée et majestueuse — n'appa- raît en fait qu'à proximité de la haute Guinée, aux alentours de Man où certains pics atteignent presque 1.300 mètres d'altitude.

Le schéma hydrographique, reflétant l'image générale du plateau légèrement incliné sur lequel est inscrite la République ivoirienne, est évidemment d'une simplicité extrême.

Quatre grands fleuves à peu près parallèles — le Cavally, le Sassandra, le Bandama et le Comoé — véhiculent l'eau de surface vers les lagunes et la mer en direction nord-sud, décou- pant ainsi le pays en quatre tranches morphologiquement plus ou moins autonomes, mais offrant — en attendant l'éventuel aménagement de certains secteurs — peu de possibilités comme chemins d'évacuation. Par conséquent, ils ont tous une valeur économique discutable, à part la petite Bia qui, grâce à un remarquable barrage, fournit du courant électrique à la capitale et aux zones industrielles de ses banlieues.

Exception faite pour quelques régimes spécifiques localisés

notamment dans les secteurs lagunaires et montagneux, justifiant le terme de micro-climats, le territoire de Côte d'Ivoire est divisé en deux grandes aires climatiques : celle du sud sylvestre connaît un climat humide et chaud dit équatorial, et celle du centre et du nord, que couvrent des savanes à rônier ou à karité, est soumise à un climat chaud et plus sec, dit intertropical.

La température moyenne des localités maritimes telles qu'Abidjan, Grand Bassam, Grand Lahou, Sassandra et Tabou est de 25° à 26° centigrades, les écarts diurno-nocturnes ne dépassant pas trois ou quatre degrés : climat très équilibré, monotone même.

Dans la frange nord, la température moyenne est d'environ 27°, et les variations entre les températures du jour et de la nuit sont bien plus importantes, sous l'influence du climat sou- danien ; à Ferkessédougou, par exemple, le thermomètre, après avoir atteint 35° au milieu du jour, peut baisser la nuit jusqu'à 14°.

Exposée à l'action saisonnière des moussons, la zone littorale connaît des précipitations annuelles allant de deux à plus de trois mètres, réparties d'ailleurs assez irrégulièrement, avec le maximum situé approximativement au mois de juin.

Dans la zone des savanes, la totalité des pluies annuelles est d'environ un mètre, et les périodes pluvieuses y sont mieux marquées que dans les grandes forêts du sud.

En fait, ce qu'on vient d'appeler « grandes forêts » ne constitue plus aujourd'hui une couverture continue : elles formaient jadis une bande de rain forests (près de la côte) et de deciduous forests (plus loin vers le centre) remontant à plus de deux cents kilomètres vers l'intérieur, et qui s'étendaient sur une superficie dépassant six millions d'hectares. Aujourd'hui, par suite d'une rapide extension des plantations industrielles, la magnifique sylve éburnéenne s'est déjà sensiblement dégradée.

Néanmoins, quelques parcelles relativement préservées contiennent encore des essences précieuses telles que l'iroko, l'acajou africain, l'azobé, le makoré, le framiré, l'avodiré et autres, faisant toutes l'objet d'une exploitation active en vue de l'exportation.

La forêt vierge, primaire, n'existe plus en Côte d'Ivoire, si l'on exclut les rares échantillons sauvegardés dans les réserves

naturelles ou les parcs nationaux. Partout ailleurs, la forêt secondaire est caractérisée par la présence de sous-bois diffici- lement pénétrables.

Naguère encore, la Côte d'Ivoire était considérée comme une région très giboyeuse. Aujourd'hui, sauf exception, les animaux de chasse deviennent rares, après les destructions subies depuis la distribution généralisée d'armes à feu. Néanmoins, grâce aux mesures de protection prises par l'État, des centaines d'élé- phantes, d'hippopotames, des milliers d'antilopes et de singes (ces derniers étant particulièrement chassés) ont pu survivre dans les endroits les plus reculés.

L'ensemble géographique de la Côte d'Ivoire se compose de trois régions naturelles distinctes.

En remontant du sud au nord, on parcourt d'abord la portion sylvestre, entrecoupée de nombreuses clairières et plantations et composant un ensemble caractérisé par une remarquable égalité thermométrique et une chaleur humide permanente dont la saturation atmosphérique atteint parfois des chiffres proches de cent.

Au centre, s'étend une vaste savane arbustive dont le tapis herbeux est dominé par le rônier et de menus bosquets résiduels.

Cette savane-parc, ouverte au sud de la capitale baoulé, Bouaké, s'éclaircit et s'assèche en direction du nord ; là ne vivent que des arbres plus modestes parmi lesquels, à l'ombre de quelques géants baobabs et fromagers, apparaissent en particulier le karité, le néré et, déjà, certains épineux ou acacias, caractéristiques de la flore sahélienne.

En gros, on distingue en Côte d'Ivoire deux grands complexes végétaux à physionomies très diverses, le premier représenté par des forêts hygrophiles ou mésophiles plus ou moins denses qui occupent approximativement un tiers de la surface du pays, et le second — couvrant plus de 200.000 kilo- mètres carrés — caractérisé par un système de savanes d'aspect varié qui vont de la forêt claire et de la savane préforestière à de vastes plaines de type soudanais.

HABITANTS

SITUATION DEMOGRAPHIQUE.

En 1950, le Territoire de Côte d'Ivoire comptait, selon les recensements officiels, 2.528.000 habitants.

Aujourd'hui, en 1965, la population totale de la jeune Répu- blique s'élève à 3.338.000 âmes (dont environ 19-20.000 Euro- péens et 2.500-3.000 Libano-Syriens), ce qui correspond à un taux d'accroissement de 2,25 %. Une telle progression démogra- phique ferait donc doubler les chiffres actuels, dans des conditions inchangées, avant une trentaine d'années.

La superficie étant d'environ 322.000 k m la densité démo- graphique est actuellement de plus de dix.

L'extraordinaire mosaïque des groupes ethniques compose un tableau confus et nuancé d'où ne se dégagent que quelques blocs humains plus homogènes, occupant le centre et surtout le nord.

L'expression puzzle humain qu'utilise en l'occurrence le géographe Rougerie se justifie donc dans ces circonstances. «Au tournant du siècle, écrit cet auteur, des esprits étrangers ont conçu la définition d'un quadrilatère aux bords du bloc ouest-africain. Ses limites se sont insinuées parmi les éléments du relief, enserrant au hasard un échantillonnage disparate. Dans ce filet, de même, se sont trouvés pris des groupes d'hom- mes ; chacun vivant son particularisme, chacun parvenu à un moment différent de son histoire, de ses migrations, de son évo- lution. »

Les plus grandes concentrations de la population se trouvent, à part les grands marchés et nœuds ferroviaires, dans quelques foyers autour des chefs-lieux des six Départements, à savoir Abidjan, Bouaké, Korhogo, Daloa, Man et Abengourou. La densité démographique du cœur du pays baoulé, entre Bouaké et Béoumi, varie, par exemple, de 20 à 30.

Avec ses plus de 265.000 habitants, la commune d'Abidjan, englobant plusieurs importantes banlieues, sort nettement du cadre : c'est une véritable grande ville, moderne, cosmopolite et pleine de dynamisme qui a absorbé, comme le chiffre donné plus haut indique, plus de huit pour cent de la population globale du pays. Contre les risques de déséquilibre économique et social que pourrait entraîner un tel phénomène, le Gouvernement oppose une sage politique de décongestion dont les effets sont déjà apparents.

CONDITIONS LINGUISTIQUES.

Quant à la situation linguistique, elle se complique, comme ailleurs en Afrique noire, du fait qu'elle ne recouvre pas exac- tement le schéma ethnique. Même à l'intérieur d'une unité vernaculaire, les variations dialectales sont parfois importantes.

Dans ces conditions, on comprend la nécessité d'une lingua franco, une langue de communication. Ainsi, un bambara-mandé simplifié, dit « dioula », est parlé non seulement dans toute la partie septentrionale du pays, mais aussi le long des principales routes commerciales reliant le nord islamisé avec les marchés du littoral. En somme, le parler dioula accompagne le marchand ambulant qui, le Koran dans la main, transporte des bords de la Bani et du Niger le poisson sec qu'il échange contre les noix du kolatier (bot. Cola nitida de la famille des Sterculiacées), précieux arbre des forêts du sud. Il va cependant sans dire que l'extension du français enseigné à l'école se propage rapidement dans le secteur rural, dépassant désormais, grâce à sa qualité de langue officielle unique, les limites du domaine administratif dans lesquelles il se trouvait naguère circonscrit. Le français est, en fait, devenu la seule expression possible de l'intellectuel ivoirien désireux de se faire comprendre — par-dessus les barrières serrées de sa langue maternelle — d'un public plus vaste. Toute la jeune littérature autochtone, relativement volu- mineuse, est ainsi écrite dans la langue de Molière.

En 1904 déjà, l'ethnographe Maurice Delafosse a dénombré en Côte d'Ivoire plus de soixante unités linguistiques autonomes, et il était en dessous de la réalité ; de toute façon, ce nombre ne tient pas compte des idiomes parlés par les immigrés, de passage ou à titre définitif, représentés notamment par le mossi-

gourounsi de la famille des langues voltaïques, le bambara- malinké-dioula du groupe dénommé sénégalo-nigérien, le wolof et le poular (peul) du groupe sénégalo-guinéen, sans oublier le nago-yorouba que l'on entend sur les places du marché, le fanti sur les plages de pêche, etc.

Conformément au classement de Delafosse, discutable en détail mais valable dans son ensemble, les langues locales se diviseraient en trois grandes catégories : les langues lagunaires dites parfois kwa-kwa, les langues akan-anyi, et les langues de type krou.

1° Les langues des lagunes, parlées sur la bande côtière et dans quelques enclaves enfoncées dans les grandes forêts, sont représentées par une multitude de micro-formes mal définies telles, entre autres, que l'ébrié, l'abouré, l'adioukrou, l'aladian, l'avikam, l'abidji, l'atié et l'abè. Certains auteurs ont trouvé, à la base des vocabulaires comparés, deux ou tout au plus trois sources communes et en concluent que cet étonnant mor- cellement linguistique résulterait d'une évolution tardive, ne datant que de quelque deux ou trois siècles, soit lors de l'irruption massive des Anyi dans le sud-est éburnéen.

2° Les parlers du type anyi, représentant en Côte d'Ivoire le complexe linguistique akan (avec pour centre de diffusion la région achanti de Koumassi dans l'actuel Ghana), sont d'abord les dialectes du Sanwi et du Ndénié, puis l'abron parlé plus au nord, enfin le baoulé, le moins « p u r » parce qu'il se trouve imprégné de nombreux éléments archaïques étrangers, répandu à travers les savanes du centre.

C'est à peu près dans le même cadre de cet important bloc lin- guistique que se situent le nzima ou « apollonien », et quelques menues langues imparfaitement définies comme l'agwa, le vétré ou mékibo, l'éwotilé, etc.

3° Un autre grand bloc linguistique, celui dit krou, s'étend à l'ouest du Bandama. Subdivisée par les théoriciens en deux sous-groupes, bété et bakwé, cette catégorie englobe une certaine quantité de langues à souche commune, mais aujoud'hui très diversifiées. Ainsi se seraient formés le bété — lui-même fractionné en trois dialectes locaux : celui de Gagnoa, celui d'Issia et celui de Daloa — le néyo, le dida, le niabwa, le godié

d'un côté, le bakwé, le tribwé et les langues du bas Cavally de l'autre côté.

Situés sur le pourtour de ce bloc, les Guéré, les Wobé, les Oubi, les Gouro, les Dan et les Toura parlent chacun une langue de type mandé, donc d'origine soudanaise, mais forte- ment imprégnée d'emprunts archaïques locaux.

D'origine également septentrionale, le sénoufo constitue un important complexe linguistique que Greenberg a récemment classé sous la large étiquette de « langues nigéro-congolaises ».

La présence des langues lobi-birifor à la frontière nord-est de la Côte d'Ivoire résulte d'un simple accident de délimitation politique : elles se rattachent organiquement à la grande souche voltaïque.

Appartenant toutes à la famille des langues négro-africaines (à la différence de celles dites bantou ou semi-bantou), les langues parlées en Côte d'Ivoire ont en commun un certain nombre de caractères morphologiques. Du point de vue phonétique, on a souvent dit qu'elles sont assez proches du cri, du chant ou de la mélopée primitive ; une telle définition, sans doute, n'a rien de scientifique. Ce qu'il importe de savoir, c'est que la modulation de tons montants et descendants, obtenue par des contractions adéquates de la gorge, produit toute une gamme musicale des éléments qui correspondent selon leur position (ou leur hauteur sonore), à telle ou telle valeur conventionnelle. Les voyelles et les consonnes sont en principe instables, en fonction de certaines modifications mécaniques — occlusion glottale, aspiration, expiration, nasalisation. Parfois, la structure de tel ou tel mot se trouve fortement altérée par l'élision, l'assimilation ou par la suppression complète de consonnes. Le ton joue un rôle décisif, donnant au mot son sens sémantique précis.

Le phénomène d'agglutination apparaît fréquemment et donne même à certaines langues — à l'adioukrou, par exemple — un aspect tout particulier.

Du point de vue morphologique, les langues de Côte d'Ivoire sont caractérisées par l'usage d'affixes et de suffixes qui, selon les circonstances, modifient le sens du mot, déterminent son genre, etc.

Quant à la syntaxe, elle reflète la logique africaine fondée, en

somme, sur une simple juxtaposition des notions sans souci de catégorisation, sans respect des hiérarchies.

A l'encontre de leur relative pauvreté syntaxique, les langues éburnéennes possèdent généralement, à l'exception des termes relevant de la pensée abstraite et de la technologie moderne, un vocabulaire très complet et très nuancé. Il arrive ainsi qu'à une seule expression française correspondent deux ou trois termes vernaculaires : on a trop souvent rappelé l'exemple des bergers peul qui connaissent plus d'une dizaine d'équivalents de notre mot «vache» pour qu'il soit nécessaire de l'évoquer une nouvelle fois ici.

Chacune de ces langues constitue donc, à part d'indispensables emprunts et néologismes dus aux innovations techniques, un ensemble complet de signes sonores originaux, parfaitement adapté à la transmission des pensées.

GROUPES ETHNIQUES.

En face de ses transformations substantielles, amorcées au cours de la période dite coloniale et développées depuis les débuts de son existence autonome, l'on peut se poser la question : qu'était la Côte d'Ivoire avant l'arrivée de l'homme blanc ? Or, à la différence de certaines autres régions d'Afrique occi- dentale, la portion qu'occupe aujourd'hui la jeune république n'a pas connu, selon toute probabilité, d'importantes formations étatiques. Dans le nord, sous l'emprise des puissantes civilisations soudanaises, existaient sans doute quelques embryons d'orga- nismes politiques d'une certaine envergure, calqués plus ou moins sur le modèle arabe. Les États de Kong, de Bouna en sont des exemples. Les grandes forêts ivoiriennes, en revanche, n'ont pas formé de véritables « royaumes ». Seule la forte chefferie de Krinjabo était strictement hiérarchisée et adminis- trativement efficace, mais, tout compte fait, elle ne peut être considérée comme une authentique réalisation locale mais plutôt comme une enclave achanti, née dans l'ancienne Côte de l'Or.

Inspirée, également, par le modèle achanti, la chefferie baoulé a pu de son côté, malgré son émiettement structural, s'imposer ainsi, depuis ces deux dernières siècles, dans les secteurs du centre et assimiler culturellement les petites unités ethniques autochtones.