2
21 formation dossier Actualités pharmaceutiques n° 508 Septembre 2011 A u total, 95 % des médicaments utilisés en ophtalmologie sont administrés localement, le plus souvent de façon topique à l’aide de collyres, de pommades ou de gels. Les ophtalmo- logistes pratiquent également des injections (péri- et intra-oculaires) et ont recours à des implants pour traiter de façon plus efficace les maladies du segment postérieur de l’œil. Des collyres sans conservateur Dans le cas des affections touchant le segment antérieur de l’œil (cornée, conjonctive, iris, humeur aqueuse, cristallin), l’administration des substances actives est effectuée le plus souvent par simple instil- lation de collyres. Ces dernières années, dans ce domaine, les avan- cées galéniques ont porté sur le développement de collyres ne contenant pas de conservateur anti- microbien. Selon la Pharmacopée européenne, les préparations aqueuses conditionnées en récipient multidose doivent contenir un conservateur anti- microbien sauf si la préparation possède elle-même des propriétés antimicrobiennes adéquates ou si un filtre est placé sur l’embout du flacon. Le conservateur antimicrobien le plus largement uti- lisé dans la formulation des collyres est le chlorure de benzalkonium, un ammonium quaternaire efficace sur une grande plage de pH. Il est souvent associé à l’acide éthylènediaminotétraacétique (EDTA) pour permettre une action contre Pseudomonas aeruginosa. Si les proprié- tés tensioactives du conservateur peuvent augmenter la pénétration cornéenne des substances actives, celui-ci exerce également une toxicité directe sur les cellules, un effet détergent et hypersensibilisant. Le problème de son utilisation est principalement posé dans le cadre de traitements chroniques (glaucome chronique à angle ouvert, syndrome sec) ou d’allergies pour lesquels des irritations importantes dues au chlorure de benzalko- nium ont été signalées. Pour ces pathologies, il est donc préférable de prescrire des collyres qui ne contiennent pas de conservateur antimicrobien. Ces collyres peuvent être conditionnés en récipient unidose ou multidose empêchant la contamination microbienne du contenu après ouverture. Concernant les récipients multidoses, leur contenu est délivré à travers une membrane filtrante de porosité 0,2 μm (système Abak ® ) ou en empêchant l’air de pénétrer dans le conditionnement (système Comod ® ). La conservation de ces collyres après ouverture est de 2 mois pour le système Abak ® et de 3 mois pour le système Comod ® . Il est facile d’identifier ces collyres sans conservateur, car leur nom est suivi du suffixe “abak” ou “comod”. Des collyres à libération prolongée Des collyres à libération prolongée ont également fait leur apparition dans le traitement du glaucome chro- nique à angle ouvert : cartéolol (Cartéol ® LP), timolol (Timoptol ® LP). Ils permettent l’instillation d’une seule goutte par jour. Les prodrogues Latanoprost (Xalatan ® ) et travoprost (Travatan ® ) sont ce que l’on appelle des prodrogues. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une avancée galénique mais d’une modi- fication chimique de la substance active. Ces analo- gues de prostaglandines de type ester sont inactifs en eux-mêmes, mais deviennent biologiquement actifs après hydrolyse in vivo. La modification chimique de ces molécules a pour but de favoriser leur absorption au travers l’épithélium de la cornée qui constitue la principale barrière à l’entrée des substances actives dans l’œil. La prodro- gue est ainsi bien absorbée par la cornée au niveau de laquelle elle est hydrolysée pour libérer sa forme active au niveau de l’humeur aqueuse. Utilisés pour réduire une pression intraoculaire élevée chez les patients atteints d’hypertonie intraoculaire ou de glaucome à angle ouvert, le latanoprost et le travo- prost sont susceptibles de modifier progressivement la couleur des yeux. Avant l’instauration du traitement, les patients doivent donc être informés du risque de changement permanent de la couleur de l’œil traité. Par ailleurs, ces molécules peuvent aussi avoir un impact progressif sur les cils de l’œil ou des yeux Du nouveau pour la voie ophtalmique Au-delà de la prise en charge classique par collyre, développé aujourd’hui sans conservateur pour les traitements de longue durée et à libération prolongée pour les affections chroniques, les pathologies de l’œil peuvent bénéficier de thérapeutiques par des prodrogues, des injections et des implants intravitréens. © Fotolia.com/Lumières Dans le domaine ophtalmologique, les avancées galéniques ont porté sur le développement de collyres ne contenant pas de conservateur antimicrobien.

Du nouveau pour la voie ophtalmique

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Du nouveau pour la voie ophtalmique

21 formation

dossier

Actualités pharmaceutiques n° 508 Septembre 2011

Au total, 95 % des médicaments utilisés en ophtalmologie sont administrés localement, le plus souvent de façon topique à l’aide de

collyres, de pommades ou de gels. Les ophtalmo-logistes pratiquent également des injections (péri- et intra-oculaires) et ont recours à des implants pour traiter de façon plus efficace les maladies du segment postérieur de l’œil.

Des collyres sans conservateurDans le cas des affections touchant le segment antérieur de l’œil (cornée, conjonctive, iris, humeur aqueuse, cristallin), l’administration des substances actives est effectuée le plus souvent par simple instil-la tion de collyres.Ces dernières années, dans ce domaine, les avan-cées galéniques ont porté sur le développement de collyres ne contenant pas de conservateur anti-microbien. Selon la Pharmacopée européenne, les préparations aqueuses conditionnées en récipient multidose doivent contenir un conservateur anti-microbien sauf si la préparation possède elle-même des propriétés antimicrobiennes adéquates ou si un filtre est placé sur l’embout du flacon. Le conservateur antimicrobien le plus largement uti-lisé dans la formulation des collyres est le chlorure de benzal ko nium, un ammonium quaternaire efficace sur une grande plage de pH. Il est souvent associé à l’acide éthylène diaminotétraacétique (EDTA) pour permettre une action contre Pseudomonas aeruginosa. Si les proprié-tés tensioactives du conservateur peuvent augmenter la pénétration cornéenne des substances actives, celui-ci exerce également une toxicité directe sur les cellules, un effet détergent et hypersensibilisant. Le problème de son utilisation est principalement posé dans le cadre de traitements chroniques (glaucome chronique à angle ouvert, syndrome sec) ou d’allergies pour lesquels des irritations importantes dues au chlorure de benzalko-nium ont été signalées. Pour ces pathologies, il est donc préférable de prescrire des collyres qui ne contiennent pas de conservateur antimicrobien.Ces collyres peuvent être conditionnés en récipient unidose ou multidose empêchant la contamination

microbienne du contenu après ouverture. Concernant les récipients multidoses, leur contenu est délivré à travers une membrane filtrante de porosité 0,2 μm (système Abak®) ou en empêchant l’air de pénétrer dans le conditionnement (système Comod®). La conservation de ces collyres après ouverture est de 2 mois pour le système Abak® et de 3 mois pour le système Comod®. Il est facile d’identifier ces collyres sans conservateur, car leur nom est suivi du suffixe “abak” ou “comod”.

Des collyres à libération prolongéeDes collyres à libération prolongée ont également fait leur apparition dans le traitement du glaucome chro-nique à angle ouvert : cartéolol (Cartéol®LP), timolol (Timoptol®LP). Ils permettent l’instillation d’une seule goutte par jour.

Les prodroguesLatanoprost (Xalatan®) et travoprost (Travatan®) sont ce que l’on appelle des prodrogues. Dans ce cas, il ne s’agit pas d’une avancée galénique mais d’une modi-fication chimique de la substance active. Ces analo-gues de prostaglandines de type ester sont inactifs en eux-mêmes, mais deviennent biologiquement actifs après hydrolyse in vivo. La modification chimique de ces molécules a pour but de favoriser leur absorption au travers l’épit hélium de la cornée qui constitue la principale barrière à l’entrée des substances actives dans l’œil. La prodro-gue est ainsi bien absorbée par la cornée au niveau de laquelle elle est hydrolysée pour libérer sa forme active au niveau de l’humeur aqueuse.Utilisés pour réduire une pression intraoculaire élevée chez les patients atteints d’hypertonie intraoculaire ou de glaucome à angle ouvert, le latanoprost et le travo-prost sont susceptibles de modifier progressivement la couleur des yeux. Avant l’instauration du traitement, les patients doivent donc être informés du risque de changement permanent de la couleur de l’œil traité. Par ailleurs, ces molécules peuvent aussi avoir un impact progressif sur les cils de l’œil ou des yeux

Du nouveau pour la voie ophtalmique

Au-delà de la prise en charge classique par collyre, développé aujourd’hui sans

conservateur pour les traitements de longue durée et à libération prolongée pour les

affections chroniques, les pathologies de l’œil peuvent bénéficier de thérapeutiques

par des prodrogues, des injections et des implants intravitréens.

© F

oto

lia.c

om

/Lum

ière

s

Dans le domaine ophtalmologique, les avancées galéniques ont porté sur le développement de collyres ne contenant pas de conservateur anti microbien.

Page 2: Du nouveau pour la voie ophtalmique

22formation

dossier

Du nouveau pour la voie ophtalmique

Actualités pharmaceutiques n° 508 Septembre 2011

traité(s). Cela peut se traduire par une augmentation de la longueur, de l’épaisseur, de la pigmentation et/ou du nombre de cils.Contrairement à Travatan®, Xalatan® doit être conservé entre 2 et 8 °C.

Les injections intravitréennesDans le cadre d’affections touchant le segment posté-rieur (vitré, rétine, choroïde) du globe oculaire, l’admi-nistration des médicaments par voie topique ne permet pas une pénétration suffisante des molécules théra-peutiques dans le globe oculaire pour être efficace.Depuis la fin des années 1980, l’utilisation d’injections intravitréennes a permis de réaliser des progrès théra-peutiques notables dans le traitement des maladies du segment postérieur de l’œil d’origine infectieuse ou de maculopathies œdémateuses.La piqûre est réalisée, à l’aide d’une aiguille extrême-ment fine, directement dans l’œil anesthésié, à travers la sclère (blanc de l’œil) dans la cavité oculaire située en arrière du cristallin appelée le vitré. Ce type d’injection permet d’obtenir rapidement des concentrations efficaces, supérieures à celles qui seraient atteintes par une injection périoculaire ou intraveineuse.Les principaux risques liés à ce mode d’administration sont l’endophtalmie, le décollement de la rétine et la cataracte post-traumatique. Le protocole d’injection doit être parfaitement encadré1. Ainsi, l’injection intra-vitréenne doit être réalisée par un ophtalmologiste expérimenté, dans des conditions strictes d’asepsie et d’antisepsie. De plus, il n’est pas recommandé, sauf cas exceptionnels, d’en effectuer une dans les deux yeux le même jour.Les médicaments injectés par cette voie sont principalement :– les antiangiogéniques (Macugen®, Lucentis®, Avastin® hors autorisation de mise sur le marché [AMM]) employés depuis peu de temps dans le traitement de la dégénérescence maculaire liée à l’âge. En empêchant la formation de nouveaux vaisseaux sanguins sous la rétine, ils peuvent améliorer la vision des patients ;– les corticoïdes comme Kenacort® retard (acétate de triamcinolone) et Soludécadron® (dexamétha-sone), utilisés hors AMM pour diminuer l’œdème maculaire ;– les anti-infectieux.

Les médicaments sont injectés sous la forme de solu-tions ou suspensions stériles dépourvues de conserva-teurs. Peu de formulations ont été développées spéci-fiquement pour cette voie d’administration, ce qui peut poser des problèmes comme cela a été reporté avec Kenacort® retard qui contient de l’alcool benzylique.Deux mesures doivent être respectées avant toute injection :– l’administration d’un anesthésique local ;– l’instillation d’un collyre antibiotique 3 jours avant et 3 jours après l’injection pour éviter une infection oculaire (surtout endophtalmie).

Les implants intravitréensLa forme implant présente également un intérêt en ophtalmologie, car elle permet d’allonger la durée de vie des substances actives dans le segment posté-rieur de l’œil, ce qui évite de répéter les injections.Ozurdex® est un implant intravitréen biodégradable contenant 700 μg de dexaméthasone, libérée pendant une durée allant jusqu’à 6 mois, et mesurant environ 0,46 mm de diamètre et 6 mm de long. Il est indiqué dans la prise en charge de l’œdème maculaire dû à une occlusion veineuse rétinienne.Retisert® (commercialisé aux États-Unis) est un implant non biodégradable de 0,59 mg qui libère de l’acétonide de fluocinolone sur une période de 30 mois. Il est le premier implant au monde destiné au traitement de l’uvéite chronique non infectieuse affectant le segment postérieur. Il est introduit dans le vitré par une scléro-tomie de 3,5 mm à la pars plana et suturé à la sclère. Contrairement à Ozurdex®, il doit être retiré.D’autres implants intraoculaires font actuellement l’objet d’essais cliniques. �

Référence1. Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé.

Bonnes pratiques d’injection intravitréenne (IVT). Mise au point.

Janvier 2011 (www.sf2h.net/publications-SF2H/AFSSAPS_bonnes-

pratiques-IVT.pdf).

Injection intravitréenne, quels conseils à l’officine ?

Déclaration d’intérêts : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article.

Amélie Bochot

Maître de conférences,

Faculté de pharmacie, Châtenay-Malabry (92)

[email protected]

Odile Chambin

Professeur, Faculté de pharmacie, Dijon (21)

[email protected]

François Pillon

Pharmacien, Dijon (21)

[email protected]