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• Le vendredi 8 octobre 2010 • LE FRANCO Alphonse Fontaine avait bien planifié sa grande aventure… mais, « l’homme propose et Dieu dispose ». Né le 30 mai 1887 à Acton Vale au Québec, il avait, en 1909, accompagné sa mère Marie (Chagnon) Fontaine, son frère Antoine Jr. et ses sœurs (Mary, Anna, Rosalie) à Saint-Paul des Métis en Alberta afin de rejoindre son père Antoine et ses quatre frères (Ephrem, Henri, Arthur, Isidore) qui étaient venus s’installer sur des homesteads l’année précédente. Grande fut la joie lorsque toute la famille fut réunie le 10 décembre 1909. À son tour, Alphonse s’installe sur un homestead. Ceci fait, il est retourné au Québec où il avait laissé un terrain, des meubles et une certaine jeune fille qu’il voulait épouser. À sa grande surprise, il a découvert qu’en son absence, elle avait marié un autre jeune homme! Il vend donc son terrain et revient bredouille à Saint-Paul. Le 30 mai 1916, il épouse Mathilde (née le 9 mai 1896 à Acton Vale), fille de ses voisins Henri et Elvina (St-Germain) Tessier. Les Tessier avaient, eux aussi, pris homestead en 1908. Les jeunes mariés ont déménagé dans une petite maison sur leur quart de section (SE-1-58-9-4). En 1929, la famille comptait déjà cinq enfants : Léon, Germaine, Olive, Hélène et Yvette (Lilliane naîtrait plus tard). Il fallait absolument avoir une plus grande maison! Un plan ingénieux fut concocté : tourner la petite maison un quart de tour et bâtir un ajout. Et voilà, Mathilde a eu la maison de ses rêves : un logis à deux étages, cinq chambres à coucher et, tenez-vous bien, de grandes portes-fenêtres entre la salle familiale et le grand salon. Ouvrez ces portes et vous aviez devant vous une immense salle pour d’innombrables réunions de famille, des célébrations de tout genre et même des veillées au corps. On mangeait dans la grande cuisine qui, en plus des armoires et du poêle à bois, avait une remise avec comptoirs et accès à la glacière. La glacière faisait partie de cette maison… généralement, les glacières étaient des cabanes à part. En hiver, on empilait des carrés de glace qui, au besoin, étaient transmis à la citerne par la trappe du plancher de la glacière. L’eau de la citerne (avec pompe) servait pour la cuisine et les lavages. Évidemment, la glacière servait comme frigo, mais pour nous les petits-enfants, sa raison d’être était pour faire de la bonne crème glacée! Grand-père Alphonse était reconnu pour son boudin, une tradition qu’il a continuée même après sa retraite. C’était tout un rituel. Il commençait toujours par une prière avant de faire son mélange d’épices pour mettre avec les autres ingrédients (oignons et sang de porc frais). La cuisine se remplissait d’un arôme qu’on n’oublie pas. C’était aux petits- enfants de s’occuper des tripes. Il fallait les laver et vérifier qu’elles ne soient pas percées. Par la suite, Grand-père, son entonnoir en main, remplissait ces bouts de tripes de sa recette magique. Reste à attacher les bouts et faire cuire les boudins dans la grande marmite en fonte. Ce mets délicat se faisait distribuer au couvent, au presbytère, chez les amis et toute la parenté… Alphonse a passé la ferme à son fils Léon (Laurette Dubrûle) à la fin des années 50 et a pris sa retraite à Edmonton. Là, il s’occupait à jardiner, jouer aux cartes, suivre la boxe et la lutte à la télé… Revenu à Saint-Paul, il a vécu ses dernières années au Manoir Sunnyside avec son frère Isidore, sa sœur Anna (Van Brabant) et son beau- frère Victor Tessier. Décès : Mathilde, le 28 novembre 1949; Alphonse, le 14 juillet 1978. Biographie soumise par les enfants de Léon Fontaine (Traduction par Juliette Richard de la Société généalogique du Nord-Ouest) Nous nous souvenons de nos grands-parents, Alphonse et Mathilde (Tessier) Fontaine Volume 2, numéro 8 - Octobre 2010 L’automne est arrivé! Pour le mois d’octobre, «Avant que j’oublie» fait le point sur le projet de recherche de toponymie du professeur au Campus Saint-Jean, Carol Léonard. Il est aussi question de la famille Fontaine, dont nous vous présentons la suite de l’histoire. Pour ce qui est de Mario, il nous parle d’Alexis Cardinal, un guide métis. Enfin, nous vous présentons le portrait d’un immigrant en provenance du Rwanda. Bonne lecture! En 1910... « En février 1910, une société Saint-Jean-Baptiste est organisée à Bonnyville grâce à l’initiative de M. l’abbé Bonny.» Source : D’année en année : de 1659 à 2000 : une présentation synchronique des événements historiques franco-albertains / France Levasseur-Ouimet Ph.D, page 138 Que signifie ARUC-IFO? Faites-nous parvenir votre réponse, par la poste ou par courriel, avant le 30 novembre 2010 et courez la chance de gagner un exemplaire du CD L’empreinte francophone racontée! Par courriel : [email protected] Par la poste : ACFA - A/s Concours - Avant que j’oublie 8627, rue Marie-Anne-Gaboury (91 e Rue) Bureau 303 Edmonton (AB) T6C 3N1 Le mariage d’Alphonse et Mathilde (Tessier) Fontaine (1916) Mathilde et sa famille devant la maison de ses rêves : Germaine (Alain), Alphonse, Léon, Mathilde, Hélène (St. Denis), Olive (Duval), Lilliane et Yvette (Nieberding)

du Rwanda. Bonne lecture! Nous nous souvenons de nos grands … · 2017-03-31 · terrain, des meubles et une certaine jeune fille qu’il voulait épouser. À sa grande surprise,

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Page 1: du Rwanda. Bonne lecture! Nous nous souvenons de nos grands … · 2017-03-31 · terrain, des meubles et une certaine jeune fille qu’il voulait épouser. À sa grande surprise,

• Le vendredi 8 octobre 2010 • LE FRANCO

Alphonse Fontaine avait bien planifié sa grande aventure… mais, « l’homme propose et Dieu dispose ».

Né le 30 mai 1887 à Acton Vale au Québec, il avait, en 1909, accompagné sa mère Marie (Chagnon) Fontaine, son frère Antoine Jr. et ses sœurs (Mary, Anna, Rosalie) à Saint-Paul des Métis en Alberta afin de rejoindre son père Antoine et ses quatre frères (Ephrem, Henri, Arthur, Isidore) qui étaient venus s’installer sur des homesteads l’année précédente.

Grande fut la joie lorsque toute la famille fut réunie le 10 décembre 1909. À son tour, Alphonse s’installe sur un homestead. Ceci fait, il est retourné au Québec où il avait laissé un terrain, des meubles et une certaine jeune fille qu’il voulait épouser.

À sa grande surprise, il a découvert qu’en son absence, elle avait marié un autre jeune homme! Il vend donc son terrain et revient bredouille à Saint-Paul.

Le 30 mai 1916, il épouse Mathilde (née le 9 mai 1896 à Acton Vale), fille de ses voisins Henri et Elvina (St-Germain) Tessier. Les Tessier avaient, eux aussi, pris homestead en 1908. Les jeunes mariés ont déménagé dans une petite maison sur leur quart de section (SE-1-58-9-4).

En 1929, la famille comptait déjà cinq enfants : Léon, Germaine, Olive, Hélène et Yvette (Lilliane

naîtrait plus tard). Il fallait absolument avoir une plus grande maison!

Un plan ingénieux fut concocté : tourner la petite maison un quart de tour et bâtir un ajout. Et voilà, Mathilde a eu la maison de ses rêves : un logis à deux étages, cinq chambres à coucher et, tenez-vous bien, de grandes portes-fenêtres entre la salle familiale et le grand salon. Ouvrez ces portes et vous aviez devant vous une immense salle pour d’innombrables réunions de famille, des célébrations de tout genre et même des veillées au corps.

On mangeait dans la grande cuisine qui, en plus des armoires et du poêle à bois, avait une remise avec comptoirs et accès à la glacière. La glacière faisait partie de cette maison… généralement, les glacières étaient des cabanes à part.

En hiver, on empilait des carrés de glace qui, au besoin, étaient transmis à la citerne par la trappe du plancher de la glacière. L’eau de la citerne (avec pompe) servait pour la cuisine et les lavages. Évidemment, la glacière servait comme frigo, mais pour nous les petits-enfants, sa raison d’être était pour faire de la bonne crème glacée!

Grand-père Alphonse était reconnu pour son boudin, une tradition qu’il a continuée même après sa retraite. C’était tout un rituel. Il commençait toujours par une prière avant de faire son mélange d’épices pour mettre avec les

autres ingrédients (oignons et sang de porc frais).

La cuisine se remplissait d’un arôme qu’on n’oublie pas. C’était aux petits-enfants de s’occuper des tripes. Il fallait les laver et vérifier qu’elles ne soient pas percées. Par la suite, Grand-père, son entonnoir en main, remplissait ces bouts de tripes de sa recette magique.

Reste à attacher les bouts et faire cuire les boudins dans la grande marmite en fonte. Ce mets délicat se faisait distribuer au couvent, au presbytère, chez les amis et toute la parenté…

Alphonse a passé la ferme à son fils Léon (Laurette Dubrûle) à la fin des années 50 et a pris sa retraite à Edmonton. Là, il s’occupait à jardiner, jouer aux cartes, suivre la boxe et la lutte à la télé…

Revenu à Saint-Paul, il a vécu ses dernières années au Manoir Sunnyside avec son frère Isidore, sa sœur Anna (Van Brabant) et son beau-frère Victor Tessier.

Décès : Mathilde, le 28 novembre 1949; Alphonse, le 14 juillet 1978.

Biographie soumise par les enfants

de Léon Fontaine

(Traduction par Juliette Richard de la Société généalogique

du Nord-Ouest)

Nous nous souvenons de nos grands-parents, Alphonse et Mathilde (Tessier) Fontaine

Volume 2, numéro 8 - Octobre 2010

L’automne est arrivé! Pour le mois d’octobre, «Avant que j’oublie» fait le point sur le projet de recherche de toponymie du professeur au Campus Saint-Jean, Carol Léonard. Il est aussi question de la famille Fontaine, dont nous vous présentons la suite de l’histoire. Pour ce qui est de Mario, il nous parle d’Alexis Cardinal, un guide métis. Enfin, nous vous présentons le portrait d’un immigrant en provenance du Rwanda. Bonne lecture!

En 1910...

« En février 1910, une société

Saint-Jean-Baptiste est organisée

à Bonnyville grâce à l’initiative

de M. l’abbé Bonny.»

Source : D’année en année : de 1659 à 2000 : une présentation synchronique des événements

historiques franco-albertains / France Levasseur-Ouimet Ph.D, page 138

Que signifie ARUC-IFO?Faites-nous parvenir votre réponse, par la poste ou par courriel, avant le 30 novembre 2010 et courez la chance de gagner un exemplaire du CD L’empreinte francophone racontée!

Par courriel : [email protected]

Par la poste :ACFA - A/s Concours - Avant que j’oublie8627, rue Marie-Anne-Gaboury (91e Rue) Bureau 303Edmonton (AB) T6C 3N1

Le mariage d’Alphonse et Mathilde (Tessier) Fontaine (1916)

Mathilde et sa famille devant la maison de ses rêves : Germaine (Alain), Alphonse, Léon, Mathilde, Hélène (St. Denis), Olive (Duval), Lilliane et Yvette (Nieberding)

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LE FRANCO • Le vendredi 8 octobre 2010 •

Octobre 2010, page 2

Expliquez-nous quel est ce projet de toponymie pour l’Alberta.

Il s’agit de faire l’inventaire exhaustif des noms de lieux d’origine et d’influence française en Alberta. Nous avons l’ambition de trouver tous les noms de lieux, mais honnêtement, c’est quand même impossible de tout répertorier. Mais cette ambition, nous la suivons, car ça nous amène beaucoup plus loin dans nos recherches.

En quelques mots, la toponymie est une science qui se retrouve au carrefour de l’histoire, de la géographie et de la linguistique. C’est multidisciplinaire! Les noms de lieux c’est important. Le nom, que tu entends, que tu vois, que tu lis, devient ton référentiel qui contrôle la carte, donc contrôle le monde. La majorité des noms sont intraduisibles.

Il est également intéressant de savoir que ce ne sont pas que les francophones qui ont donné des noms francophones; les anglophones en ont aussi donné. Dans le temps des deux grandes guerres, les Canadiens de l’Ouest ont participé. Les jeunes garçons sont souvent tombés au combat. Dans les communautés, on était dévasté et on voulait leur rendre hommage. Par exemple, on a donné des noms provenant de la France aux arrondissements scolaires.

Où en est rendu le projet?

Nous nous sommes beaucoup concentrés sur les recherches documentaires. Le travail nous demande aussi de remonter dans le temps pour être capable de trouver des noms qui n’existent plus. Nous avons monté une base de données qui est maintenant rendue à environ 1500 noms. Nous avons fait une première phase exploratoire dans les régions.

Ce que j’aime beaucoup c’est, entre autres, de me présenter à 8 h le matin et de me rendre au café du coin de la région. C’est une source d’information incroyable de parler avec les gens sur place.

Donc, nous voulons vraiment impliquer les régions et nous y retournerons à la fin du mois d’octobre et au début de novembre, ainsi que pendant l’hiver.

Avez-vous sollicité plusieurs aînés?

Parfois, ça a été très fructueux, par exemple à Lac la Biche. Il faut tomber sur les bonnes personnes, c’est comme un coup de chance. Et les personnes que je préfère rencontrer sont les chasseurs et les pêcheurs puisqu’ils se promènent beaucoup. Ils connaissent bien les noms et même les noms non officiels qui ont parfois plus de valeur que les noms officiels.

Quelles sont les prochaines étapes à franchir?

Les étapes consistent à, premièrement, savoir si le nom a plusieurs formes. Savoir si c’est une traduction et identifier le nom et les formes que ce nom a pris.

Deuxièmement, il faut identifier qui a nommé les noms. En troisième lieu, il faut connaître la position exacte. Quatrièmement, il faut savoir si ça a été officialisé. Ensuite, il reste à écrire l’histoire du nom.

Finalement, il est essentiel d’identifier les sources. Alors, il faut continuer les étapes, nourrir les bases de données, valider les noms que nous avons et voir si l’usage est utilisé par plusieurs personnes.

Êtes-vous satisfait de l’ensemble du projet jusqu’à présent?

Il reste tant à faire encore. Nous écrivons aussi des petits articles tout au long du projet. Le projet devait se dérouler sur trois ans, mais ça devrait être un peu plus long. D’ici cette période-là, on aura une base de données qui va être faite, mais perfectible. Quand j’aurai atteint la satisfaction que je veux, je vais changer de projet. Si on veut comparer, j’ai travaillé à un projet semblable pour la Saskatchewan, mais c’était plus comme un passe-temps et il a pris 20 ans à se réaliser.

Y a-t-il des contraintes que vous avez dû surmonter?

L’assistant de recherche est un problème. Ce que je veux dire c’est qu’habituellement, il faudrait avoir des assistants au niveau du 2e et 3e cycle universitaire. Mes assistants sont au baccalauréat. Au printemps et à l’été dernier, j’avais cinq assistants. Cet automne, j’en aurai trois ou quatre à temps partiel. C’est difficile parce que chaque fois, il faut former des nouveaux assistants puisqu’après leur baccalauréat, les étudiants quittent.

Propos recueillis par Alexandra Prescott.

À la recherche des noms

Le directeur général de l’ACFA, Denis Perreaux, s’implique au sein de

l’Alliance de recherche universités-communautés sur les identités

francophones de l’Ouest canadien (ARUC-IFO). Le programme de

recherche-action interdisciplinaire rassemble présentement neuf partenaires universitaires et

42 partenaires communautaires. L’ACFA fait partie des deux

partenaires principaux au niveau du partenariat communautaire.

Les projets de recherche concernent des enjeux soulevés par les communautés. L’ARUC-IFO

propose de définir et de qualifier ces identités variées et de

collaborer avec les communautés afin de développer des outils favorables

à la transmission du patrimoine culturel et linguistique ainsi

qu’à l’épanouissement de ces communautés.

Un exemple de travail de M. Léonard qui a mené à la publication d’un livre sur la toponymie en Saskatchewan.

En janvier et mars 2009, vous pouviez lire dans « Avant que j’oublie », deux articles écrits par le professeur adjoint au Campus Saint-Jean, Carol Léonard, qui est à la tête du projet sur la vitalité de la toponymie franco-albertaine faisant partie de l’Alliance de recherche universités-communautés sur les identités francophones de l’Ouest canadien (ARUC-IFO). Il nous parlait de son projet de recherche. Voici où il en est rendu.

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• Le vendredi 8 octobre 2010 • LE FRANCO

Originaire du Rwanda et nouvel arrivant au Canada, Jean Servelien a choisi la ville d’Edmonton pour s’y établir avec sa femme et son garçon de 10 mois, ainsi que cinq autres enfants de sa grande sœur décédée. À 23 ans, il supporte sur ses épaules un lourd fardeau de responsabilités, mais fait preuve d’une endurance et d’un courage qui forcent l’admiration et font fondre les cœurs. Diplômé en comptabilité au Rwanda, il est aussi titulaire d’un certificat en ingénierie informatique du Business Computer College de Pretoria, en Afrique du Sud, ainsi que d’un autre certificat en gestion des ressources humaines de l’université de Johannesburg.

Fils d’un père hutu et d’une mère tutsie relativement aisés, je suis né au Rwanda, mon pays d’origine. Je suis le benjamin et l’unique rescapé d’une famille de neuf enfants tous décédés. J’avais 8 ans lorsqu’en 1994, le tragique et regrettable génocide m’a surpris, encore enfant. Il a marqué à jamais ma vie à l’instar de celle de tous les autres Rwandais vivant à cette époque-là.

Ayant perdu trois des membres de ma famille lors de cette tragédie, j’ai ensuite perdu mon père et deux de mes frères pendant la guerre qui a suivi le génocide et qui a opposé l’armée rwandaise et le Front de libération du Rwanda (FDLR). Tout ceci a bien sûr laissé nombre de séquelles et de traumatismes chez les survivants.

Après une vie faite d’errance et de réfugié, une extraordinaire bonté divine m’a fait rejoindre ma grande sœur malade en Afrique du Sud. Au chevet de cette dernière, j’ai vécu pendant cinq ans au pays de Mandela, où je m’occupais de la famille tout en combinant études et travail.

J’étais en fait partagé entre le Rwanda, où je donnais des cours d’informatique et où j’étais gérant d’établissement, et l’Afrique du Sud, où je travaillais avec l’ONG Refugee for Peace and Reconciliation en qualité d’interprète et d’aide assistant pour des nouveaux arrivants. Là, mon travail consistait à assister ces derniers pour faciliter leur intégration rapide dans le milieu du travail tout comme dans la société en général.

J’ai ensuite rejoint l’entreprise sud-africaine NewElec Motor Protection, spécialisée dans la confection des machineries lourdes. J’y travaillais en qualité de programmeur et de calibreur pendant trois ans. C’est pendant cette période que le destin arracha ma sœur à mon affection et à celle de ses cinq enfants. Lesquels sont aujourd’hui respectivement âgés de 18, 17, 13, 10 et 6 ans et dont je suis devenu de facto le tuteur en tant qu’oncle adoptif.

J’avoue avoir dû me faire violence pour endosser la lourde charge de m’occuper de tout ce monde à mon si jeune âge. Cela impliquait d’abandonner nombre de mes projets, comme mes études que je n’ai pas encore terminées. Cependant, au lieu

de me plaindre de mon sort, j’ai tout de suite pris la pleine mesure de mes nouvelles obligations en commençant par me marier. C’est ainsi que j’ai épousé Elyse Nsengiyumva avec laquelle je regrette de n’avoir jamais pu partager ne serait-ce qu’une seule journée seul à seul alors que, dans les mêmes circonstances, beaucoup de couples vont en voyage de noces.

Mes souffrances et mes déboires sont comparables à ceux que vivent des milliers de mes compatriotes restés au Rwanda et qui, comme moi, sont en charge de nombreux orphelins de guerre ou de maladie. Ce sont les conséquences directes et indirectes du génocide de 1994 qui a opposé les frères hutus et tutsis.

J’éprouve encore et toujours un sentiment de frustration et d’impuissance par rapport à la souffrance de tous ceux et celles qui souffrent des conséquences du drame rwandais et de tous ceux qui en meurent continuellement aujourd’hui. Ma compassion pour ces gens là est sans bornes!

Je n’ai aucun regret d’avoir quitté mon paysMême si plein de gens affirment qu’on est toujours mieux chez soi, en ce qui me concerne, je n’ai aucun regret d’avoir quitté mon pays. Je constate avec une certaine amertume que ce sont des circonstances parfois difficiles qui obligent les gens à vivre loin de chez eux.

Je suis arrivé au Canada en juillet 2009, au terme d’un processus d’immigration de cinq ans avec le Haut commissariat aux réfugiés. Mon premier choc fut le climat. Me voilà qui, avec les miens, affronte comme tant d’autres immigrants la rigueur du climat canadien. Malgré ce fait et tous les autres chocs qui vont avec — notamment au sujet de l’éducation des enfants en milieu familial, eut égard aux différences culturelles énormes —

je n’envisage pas de retourner dans mon pays tant et aussi longtemps que la situation là-bas ne s’améliorera pas.

Rendu ici, je regrette de n’avoir pas pu bénéficier d’une session d’orientation fournissant assez d’informations sur le pays avant mon arrivée. Je découvre le Canada comme un pays différent de ce que je m’imaginais. Pour moi, hormis le choc climatique, je trouve que le système éducatif est inapproprié, non sur le plan pédagogique, mais en ce sens qu’il donne la chance aux enfants d’origine africaine de se révolter contre l’autorité parentale.

C’est pourquoi je souhaite qu’il y ait une période d’adaptation de deux à trois ans accordée aux familles des immigrants afin qu’elles s’adaptent mieux aux lois du pays et non right away! Pour moi, la non-reconnaissance des compétences étrangères, la barrière linguistique et les difficultés liées à la connaissance des lois et règlements sont des problèmes difficiles à surmonter. Sans compter la difficulté de trouver un avocat et la gestion du coût élevé de la vie.

Heureusement qu’il y a de l’aide pour passer à travers, comme le soutien inestimable du Centre d’accueil et d’établissement (CAÉ) ainsi que celui des églises. Mais je reste tout de même un peu confus de n’avoir pas pu m’intégrer plus rapidement en raison de mon manque de connaissance du Canada. Je déplore tout autant l’insuffisance du transport en commun.

Nonobstant ces difficultés, je crois mordicus que ce n’est qu’une question de temps et je garde le moral au beau fixe en restant optimiste. Conscient de tout cela, je demeure un homme déterminé pour qui le mot découragement n’est guère d’usage.

Je conseille à tout nouveau venu la patience mais aussi la persévérance. Quitte à commencer comme bénévole tel que moi. Je le fais déjà à Catholic Social Services depuis quelques semaines, avec l’espoir que ce ne soit qu’une étape vers le chemin du succès et du bonheur!

Ce récit est tiré de «Rêves et réalités d’immigrants», un recueil publié par le Centre d’accueil et d’établissement du Nord de l’Alberta.

Octobre 2010, page 3

Ce mois-ci, nous revenons sur le projet de recherche de monsieur Carol Léonard. Dans le cadre de mon travail comme directeur général de l’ACFA, j’ai l’opportunité de siéger sur divers comités. Je participe, entre autres, à l’Alliance de recherche universités-communautés sur les identités francophones de l’Ouest canadien (ARUC-IFO) où je siège du côté communautaire pour le projet sur la toponymie et la vitalité linguistique du professeur Léonard.

De plus en plus, nous prenons conscience des retombées des études universitaires pour une meilleure compréhension de nos communautés et du développement communautaire. Ceci soulève le fait que les communautés doivent aussi s’impliquer davantage au sein de ces recherches.

Carol Léonard voyagera prochainement à travers la province afin de valider les données recueillies. Je vous invite donc à l’accueillir chaleureusement dans vos régions, mais auparavant, vous pouvez lire l’entrevue qu’Alexandra Prescott a réalisée avec lui et qui nous présente une mise à jour de son projet. par Denis Perreaux, directeur général de l’ACFA

Même si on est toujours mieux chez soi

Jean Servelien

Le Rwanda

Population : 11.1 millions

Capitale : Kigali

Langue officielle : Kinyarwanda, anglais et français

Fête nationale : 1er juillet

Le kinyarwanda est la langue officielle du gouvernement et l’anglais a remplacé le français dans la langue utilisée pour l’éducation.

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LE FRANCO • Le vendredi 8 octobre 2010 •

Octobre 2010, page 4

Dans mon article du mois passé, je vous ai laissé sur le sujet d’Alexis Cardinal, un guide métis qui se croyait missionnaire.

Les Oblats ont souvent discuté du « fameux Alexis » dans leurs écrits. Originaire de Lac la Biche, il était un Métis avec héritage cri et Canadien. D’après le journal du Père Léon Doucet, il était parent de la famille Nanouche – une famille avec de nombreux guides – et il fut baptisé par l’abbé Jean-Baptiste Thibault en 1844. Il s’est engagé pour la Compagnie de la Baie d’Hudson, mais son terme fut achevé lorsque le Père Lacombe arrive au Fort des Prairies (Fort Edmonton) en 1852.

Cardinal a marié une femme métisse nommée Nancy (Anne) Quintal le 24 avril 1853, soit le même jour que leur fille de six ans, Philomène, fut baptisée. Malheureusement, sa femme l’a quitté peu de temps après s’être mariée. Il a adopté son fils cri orphelin, David, en 1875.

Selon Lacombe, Cardinal a offert aux missionnaires ses services inconditionnels en consolation pour la perte de sa femme. Le « fidèle Alexis », comme le nomme Monseigneur Taché, était bien aimé par les Oblats, car ils le considéraient comme un conducteur de chiens d’attelage, un chasseur, un interprète et un ébéniste hors pair. Lacombe admirait sa loyauté : « Très attaché à moi surtout, pendant 17 ans, il ne m’a jamais laissé. »

Cardinal est connu pour avoir construit des bâtiments bien importants pour les missions amérindiennes. Il a aidé les Cris de plaines à bâtir une hutte à la mission de Saint-Paul-des-Cris (Brosseau, Alberta) en 1865. Dix ans plus tard, il construit le premier bâtiment de la mission Notre-Dame-de-la-Paix, celui que Doucet surnomma « la bicoque d’Alexis Cardinal ». Cet édifice fut, selon Doucet, la première installation de la ville que nous nommons aujourd’hui « Calgary ».

Lacombe explique que le désir de Cardinal « était de devenir frère convers, mais sa piété peu éclairée et ses manières étranges ne permirent pas à la Congrégation des Oblats de le recevoir parmi les siens ». À quoi réfèrent cette « piété peu éclairée » ou des « manières étranges »?

Voici quelques exemples. Au milieu des années 1860, Cardinal a été attaqué par un Cri protestant lorsqu’il était seul à la mission de Saint-Paul-des-Cris (Brosseau, Alberta). Cardinal est resté inconscient deux jours avant de « revenir », comme il le dit, « à la vie ». D’une perspective autochtone, on doit noter que de tels pouvoirs peuvent justifier une sanction surnaturelle de guérisseur.

Doucet confirme dans son journal que les Amérindiens respectaient les médecines de Cardinal: « Il a une foule de petits sacs remplis de certaines médecines. Il soigne les fièvres, les purges, les saigne avec un petit point de silex. Il porte des lunettes de couleurs avec verres pour se donner plus d’importance. Les Sauvages ont grande confiance en lui. »

Je pense qu’Alexis Cardinal se croyait lui-même un missionnaire catholique, ou du moins, une autorité spirituelle chez les Métis et les Amérindiens, et que ses manières paraissaient bien étranges aux missionnaires européens de l’époque.

J’ai mentionné dans mon article précédent qu’il portait une soutane ecclésiastique cousue, à sa demande, par une femme autochtone. Mais, comme on vient de le voir, il annonçait aussi haut et fort ses pouvoirs surnaturels. Les Oblats toléraient ses pratiques, même s’ils ne les croyaient pas légitimes.

Comme Paul Fayans dans l’article du mois passé, la sanction spirituelle de Cardinal venait en partie de sa relation avec les missionnaires Oblats. Cardinal diffère de Fayans dans le sens qu’il participait surtout aux missions amérindiennes au lieu des missions métisses.

Doucet mentionne que les médecines de Cardinal facilitaient la tâche du missionnaire chez les Amérindiens. Je pense d’ailleurs que Cardinal profitait aussi de la protection qu’accordaient les Amérindiens de ces contrées aux missionnaires européens.

S’il n’était pas avec des chapelains de chasse tels que Lacombe, Scollen ou Doucet, il serait l’ennemi des bandes amérindiennes –particulièrement les Pieds-Noirs – et il n’aurait pas accès à leur territoire. Ce fut le cas pour bien des Autochtones ainsi que des traiteurs européens.

Certains Oblats croyaient que l’esprit à Cardinal « devint dérangé », surtout vers la fin de sa carrière. Doucet, dans son journal, jugeait

que Cardinal avait un comportement « enfantin », surtout quand il se cachait « lorsque c’était le temps pour travailler ».

Lacombe, dans son mémoire, voyait une réalité bien plus troublante. Il écrit, en 1880, qu’« il se croyait inspiré et avec une mission d’en haut. À la fin, je ne pouvais plus le contrôler [sic]. Malgré tous mes efforts, pour le garder et en avoir soin, il s’éloigna de moi ».

En fin de compte, je crois que Cardinal, comme plusieurs autres « guides » ou

« prophètes » métis, dont Louis Riel après lui, tentait de promulguer ses traditions catholiques autochtones.

Bien sûr, leurs coutumes et leurs croyances différaient, en quelques aspects, avec le Catholicisme européen de l’époque. En contestant leur contrôle sur la religion dans le Nord-Ouest, Cardinal ne se voyait plus dans l’Église européenne qui ne reconnaissait ni son autorité, ni ses coutumes.

Ce fut particulièrement le cas dans les années 1880, un temps où les bisons ont disparu des plaines et où l’hégémonie sur le territoire commence à pencher sur le bord de l’immigration massive des colons européens.

Tragiquement, Lacombe retrouva mort le corps de son ami Alexis à la mission du Lac Froid (Cold Lake, Alberta) en 1882.

La « bicoque d’Alexis Cardinal » à la mission de Notre-Dame-de-la-Paix. Glenbow Archives